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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

29 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Critères – Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Renvoi préjudiciel émanant d’une formation de jugement n’ayant pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑720/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques), Pologne], par décision du 17 novembre 2021, parvenue à la Cour le 26 novembre 2021, dans la procédure

Rzecznik Praw Obywatelskich,

en présence de :

M. M.,

E. M.,

X Bank SA,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, faisant fonction de président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et D. Gratsias, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Rzecznik Praw Obywatelskich, par MM. A. Krzywoń et M. Taborowski,

–        pour E. M. et M. M., par Mes R. Mazur et B. Sieńko-Kowalska, radcowie prawni,

–        pour X Bank SA, par Me E. Buczkowska, radca prawny, Mes Ł. Hejmej, A. Szczęśniak et P. Wajda, adwokaci,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, C. Pochet, L. Van den Broeck et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Meloncelli, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. M. et E. M. à X Bank SA, ayant pour objet l’examen de la recevabilité d’un recours extraordinaire (skarga nadzwyczajna) introduit par le Rzecznik Praw Obywatelskich (Médiateur, Pologne) aux fins de l’annulation d’une décision judiciaire définitive qui aurait été adoptée en violation des dispositions de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

 Le cadre juridique

 La loi sur la Cour suprême

3        L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), est entrée en vigueur le 3 avril 2018. Cette loi a été modifiée à diverses reprises par la suite.

4        La loi sur la Cour suprême a notamment institué, au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), deux nouvelles chambres, respectivement dénommées Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) (ci-après la « chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ») et Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire).

5        Aux termes de l’article 26, paragraphe 1, de cette loi :

« Relèvent de la compétence de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques les recours extraordinaires, [...] »

6        Aux termes de l’article 89 de ladite loi :

« 1.      Si cela est nécessaire pour garantir la conformité avec le principe d’un État de droit démocratique qui concrétise le principe de justice sociale, un recours extraordinaire peut être formé contre la décision définitive d’une juridiction de droit commun ou d’une juridiction militaire mettant fin à la procédure dans l’affaire en cause :

1)      si la décision viole des principes ou les droits et libertés de l’homme et du citoyen définis dans la Konstytucja [Rzeczypospolitej Polskiej] (Constitution de la République de Pologne), ou

2)      si la décision viole de manière flagrante le droit en ce qu’elle en fait une interprétation erronée ou une application incorrecte, [...]

[...]

et que la décision ne peut être annulée ou modifiée au moyen d’autres voies de recours extraordinaires.

2.      Le recours extraordinaire peut être formé par le Procureur général, le Médiateur pour les droits des citoyens, [...]

3.      Le recours extraordinaire est introduit dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la décision attaquée est devenue définitive et, si un pourvoi en cassation a été formé contre cette décision, dans un délai d’un an après l’examen de celui-ci. [...]

[...] »

7        Les dispositions transitoires de la même loi contiennent l’article 115 de celle-ci, lequel prévoit, à ses paragraphes 1 et 1a :

« 1.      Pendant trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le recours extraordinaire peut être formé contre les décisions devenues définitives qui mettent fin aux procédures dans des affaires ayant acquis force de chose jugée après le 17 octobre 1997. [...]

1a.      Un recours extraordinaire contre une décision définitive mettant fin à une procédure dans une affaire devenue définitive avant l’entrée en vigueur de la présente loi peut être introduite par le Procureur général ou le Médiateur. [...] »

 La loi sur le Conseil national de la magistrature

8        L’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. no 126, position 714), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), entrée en vigueur le 17 janvier 2018, et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U., position 1443), entrée en vigueur le 27 juillet 2018, prévoit, à son article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, que le Sejm (Diète, Pologne) élit, parmi les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Le 18 janvier 2008, E. M. et M. M., les requérants au principal, ont conclu avec Y Bank SA, devenue X Bank SA, la défenderesse au principal, un contrat de prêt hypothécaire. Le prêt concerné était libellé et versé en zlotys polonais (PLN) pour un montant équivalent à 123 180,80 francs suisses (CHF) (environ 125 014 euros). Ce prêt devait être remboursé en mensualités de capital et d’intérêts en zlotys polonais en utilisant le cours de vente du franc suisse selon le tableau des cours en vigueur dans la banque concernée à la date de remboursement.

10      Le 9 février 2016, les requérants au principal ont demandé à cette banque de leur restituer toutes les mensualités qu’ils avaient versées au titre du remboursement dudit prêt, invoquant la nullité du contrat de prêt hypothécaire en cause au principal.

11      Le 26 août 2016, les requérants au principal ont saisi le Sąd Rejonowy W. (tribunal d’arrondissement de W., Pologne) pour demander que X Bank soit condamnée à verser à chacun d’eux la somme d’un montant de 249 PLN (environ 53 euros), majorée des intérêts légaux de retard qui auront couru depuis le 18 février 2016 jusqu’à la date de paiement, et qu’elle soit condamnée aux dépens.

12      Par un jugement du 10 juin 2017, ce tribunal d’arrondissement a rejeté cette demande.

13      Les requérants au principal ont interjeté appel de ce jugement devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne). Par un jugement du 18 décembre 2017, ce dernier a rejeté le pourvoi des requérants au principal, partageant, en substance, les motifs de la juridiction de première instance.

14      Le 25 mars 2021, le Médiateur a formé un recours extraordinaire (skarga nadzwyczajna) contre ce jugement devant le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques), Pologne], sur le fondement des dispositions combinées de l’article 89, paragraphe 1, et de l’article 115, paragraphes 1 et 1a, de la loi sur la Cour suprême, invoquant la nécessité d’assurer le respect du principe d’un État de droit démocratique mettant en œuvre les principes de justice sociale.

15      Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE], de l’article 47 de la [Charte], de l’article 4, paragraphe 3, [TUE] et de l’article 2 [TUE] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles poussent à conclure à la recevabilité d’une voie de recours telle le recours extraordinaire (skarga nadzwyczajna) visant à l’annulation d’un jugement définitif d’une juridiction lorsqu’il y a lieu “d’assurer le respect du principe d’un État de droit démocratique mettant en œuvre les principes de justice sociale”, si l’exercice de cette voie de recours est nécessaire pour assurer l’effectivité du droit de l’Union ?

2)      Les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE], de l’article 47 de la [Charte], de l’article 4, paragraphe 3, [TUE] et de l’article 2 [TUE] doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque des dispositions du droit national permettent de modifier ou d’annuler un jugement définitif d’une juridiction en cas de violation des principes énoncés dans la Constitution d’un État membre en recourant à une voie de recours telle que le recours extraordinaire (skarga nadzwyczajna), ces dispositions peuvent servir de base à l’annulation ou à la modification d’une décision de justice définitive également en cas de violation du droit de l’Union ?

3)      Les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE], de l’article 47 de la [Charte], de l’article 4, paragraphe 3, [TUE] et de l’article 2 [TUE] doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsqu’une juridiction nationale a violé le droit de l’Union d’une manière qui aboutit à une solution erronée du litige – du point de vue du droit de l’Union – le jugement définitif de cette juridiction peut être annulé ou modifié en recourant à une voie de recours telle le recours extraordinaire (skarga nadzwyczajna), qui subordonne une telle décision à une violation “flagrante” du droit ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

16      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

17      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

18      La Commission européenne a émis des doutes quant au point de savoir si l’instance de renvoi, en l’occurrence une formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, constituée de deux juges de cette chambre ainsi que d’un juré, satisfait aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en particulier à celle tenant à l’existence d’un tribunal établi préalablement par la loi, qui sont requises d’une instance de renvoi pour que celle-ci puisse revêtir la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

19      La Commission invoque notamment la circonstance que la nomination de ces deux membres concernés de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques à la fonction de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) est intervenue sur la base de propositions figurant dans la résolution no 331/2018 adoptée le 28 août 2018 par le Conseil national de la magistrature, dans une formation constituée sur le fondement de la loi sur le Conseil national de magistrature dans sa version mentionnée au point 8 de la présente ordonnance, à savoir un organe dont l’indépendance aurait été mise en cause à de nombreuses reprises, en particulier dans plusieurs arrêts de la Cour. Elle renvoie, en outre, à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (ECLI:CE:ECHR:2021:1108JUD004986819) (ci-après l’« arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ») ainsi qu’à l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) du 21 septembre 2021 portant annulation de la résolution no 331/2018.

20      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, et donc pour apprécier si la demande de décision préjudicielle est recevable, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que, entre autres, l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance [arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, point 40 et jurisprudence citée].

21      Dans ce contexte, la Cour a relevé que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) en tant que tel répond aux exigences ainsi rappelées et a précisé, à cet égard, que, pour autant qu’une demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction nationale, il doit être présumé que celle-ci remplit ces exigences indépendamment de sa composition concrète (voir, en ce sens arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, points 68 et 69).

22      Toutefois, la Cour a également précisé que la présomption rappelée au point précédent de la présente ordonnance peut être renversée lorsqu’une décision judiciaire définitive rendue par une juridiction d’un État membre ou une juridiction internationale conduirait à considérer que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 72).

23      Or, à ce sujet, la Cour a déjà constaté que l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ainsi que l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 21 septembre 2021, invoqués en l’occurrence par la Commission, émanent, respectivement, d’une juridiction internationale et d’une juridiction d’un État membre et qu’ils revêtent tous deux un caractère définitif, de même qu’elle a déjà constaté que ces arrêts ont spécifiquement trait aux circonstances dans lesquelles des juges de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ont été nommés sur la base de la résolution no 331/2018 [voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, point 45].

24      En outre, la Cour a déjà dit pour droit que, à la lumière de sa propre jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, les constats et appréciations effectués par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en combinaison avec ceux effectués par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, conduisaient à considérer que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques qui l’avait saisie à titre préjudiciel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), n’avait pas, en raison des modalités ayant présidé à la nomination des juges qui la composaient, la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de ces dispositions du droit de l’Union, et que, en conséquence, cette formation de jugement ne satisfaisait pas aux exigences rappelées au point 20 de la présente ordonnance, de sorte qu’elle ne constituait pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, points 46 à 58].

25      La Cour a, ainsi, estimé que, appréhendés conjointement, l’ensemble des éléments tant systémiques que circonstanciels qu’elle avait relevés aux points 47 à 57 et 62 à 76 de l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), qui avaient caractérisé la nomination, au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, des trois juges constituant l’instance de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avaient pour conséquence que celle-ci n’avait pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. En effet, la conjonction de l’ensemble de ces éléments était de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ces juges et de la formation de jugement dans laquelle ils siègent à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif nationaux, et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent. Lesdits éléments étaient ainsi susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité desdits juges et de cette instance, propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer à ces justiciables dans une société démocratique et un État de droit [arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, point 77].

26      La Cour a, par conséquent, considéré, au point 78 de l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), que la présomption rappelée au point 21 de la présente ordonnance devait être tenue pour renversée dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt et constaté que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques l’ayant saisie de la demande de décision préjudicielle dans cette affaire ne constituait pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de sorte que cette demande devait être déclarée irrecevable.

27      Or, force est de constater que les considérations émises par la Cour aux points 47 à 57, 62 à 70 et 73 à 76 de l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), à propos des éléments ayant caractérisé la nomination, au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, des trois juges composant l’instance de renvoi qui l’avait saisie d’une demande de décision préjudicielle dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt valent, de manière identique, pour les deux juges membres de l’instance de renvoi dans la présente affaire.

28      En effet, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les deux juges membres de l’instance de renvoi dans la présente affaire ont été nommés au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques dans des circonstances identiques à celles dans lesquelles avaient été nommés au sein de cette chambre les trois juges qui composaient l’instance de renvoi qui avait saisi la Cour dans l’affaire ayant donné lieu au même arrêt. Or, il résulte des motifs de l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), que les considérations émises dans celui-ci par la Cour au soutien du renversement de la présomption dont il est fait état au point 21 de la présente ordonnance valent indifféremment pour l’ensemble des juges de ladite chambre ayant été nommés au sein de celle-ci dans les circonstances analysées dans cet arrêt.

29      Par ailleurs, le fait que l’instance de renvoi dans la présente affaire soit composée, outre de ces deux juges, d’un juré qui n’a pas été nommé au sein de la même chambre dans de telles circonstances est sans incidence aux fins de l’appréciation de la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de cette instance de renvoi. En effet, la présence, au sein de ladite instance de renvoi, d’un seul juge nommé dans les mêmes circonstances que celles analysées dans l’arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge) (C‑718/21, EU:C:2023:1015), suffit à priver la même instance de renvoi de sa qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, points 69 à 75).

30      Dans ces conditions, la présomption rappelée au point 21 de la présente ordonnance doit, en l’occurrence, être tenue pour renversée et il y a lieu, en conséquence, de constater que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ayant saisi la Cour de la présente demande de décision préjudicielle ne constitue pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de sorte que cette demande doit être déclarée manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

31      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques), Pologne], par décision du 17 novembre 2021, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.