Language of document : ECLI:EU:T:2016:452

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (1)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accords conclus entre le titulaire de brevets et une entreprise de médicaments génériques – Erreur de droit – Erreur d’appréciation – Imputabilité des infractions – Responsabilité de la société mère pour les infractions aux règles de la concurrence commises par une de ses filiales – Sécurité juridique – Délai raisonnable – Amendes »

Dans l’affaire T‑470/13,

Merck KGaA, établie à Darmstadt (Allemagne), représentée initialement par Mes B. Bär-Bouyssière, K. Lillerud, L. Voldstad, B. Marschall, P. Sabbadini, R. De Travieso, M. Holzhäuser et S. O, avocats, M. M. Marelus, solicitor, et Mmes R. Kreisberger et L. Osepciu, barristers, puis par Mes Bär-Bouyssière, Voldstad, Holzhäuser, A. Cooke, M. Gampp, avocats, M. Marelus, Mmes Kreisberger et Osepciu,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. J. Bourke, Mmes F. Castilla Contreras et T. Vecchi, puis par Mmes Castilla Contreras, Vecchi, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, barrister,

partie défenderesse,

soutenue par

Generics (UK) Ltd, établie à Potters Bar (Royaume-Uni), représentée initialement par Mes G. Drauz, M. Rosenthal et B. Record, avocats, puis par Mes Drauz et Rosenthal,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission C (2013) 3803 final, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226-Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Résumé des faits et antécédents du litige

I –  Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, c’est-à-dire une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Merck KGaA (ci-après « Merck » ou la « requérante ») est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH (ci-après « Merck Generics »), sa filiale Generics UK Limited (ci-après « GUK » ou l’« intervenante »), une société responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni. Merck et GUK ont été considérées par la Commission européenne comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits [ci-après « Merck (GUK) »].

II –  Produit concerné et brevets concernant celui-ci

4        Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») citalopram.

5        En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

6        En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires ont expiré en janvier 2002.

7        Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

8        Ainsi, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni (ci-après le « brevet sur la cristallisation »). L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002.

9        Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA escitalopram (ou S‑citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

III –  Accords litigieux

10      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont Merck (GUK).

11      Le premier accord conclu entre Lundbeck et Merck (GUK) a pris effet le 24 janvier 2002, pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’« accord UK »). Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Puis, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché du Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003, une seconde prorogation de l’accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres entreprises de génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une des autres entreprises de génériques (ci-après « Lagap » et le « litige Lagap »).

12      Il ressort des termes de l’accord UK ce qui suit :

–        il existe un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente du « Produit » puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord UK), ces « Produits » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en Annexe 2 » ;

–        Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des « Produits », dans les quantités prévues par l’accord, à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord UK) ;

–        GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les « Produits » tels que spécifiés dans l’annexe à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord UK) ;

–        les paiements effectués et la livraison des « Produits » par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les « Produits » livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord UK) ;

–        Lundbeck s’engage à vendre ses « Produits Finis » à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces « Produits Finis » auprès de Lundbeck pour revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord UK), ces « Produits Finis » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord » ;

–        Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de « Produits Finis » convenu pendant la durée de l’accord (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord UK).

13      La première prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK et modifiait la définition des « profits nets ».

14      La seconde prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK.

15      L’accord UK a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige Lagap. Au total, pendant toute la durée de l’accord, Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions d’euros à GUK.

16      Un second accord a été conclu entre Lundbeck et GUK le 22 octobre 2002, couvrant l’EEE à l’exception du Royaume-Uni (ci-après l’« accord pour l’EEE »). Cet accord prévoyait le paiement d’un montant de 12 millions d’euros, en échange duquel GUK s’engageait à ne pas vendre ni fournir de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur tout le territoire de l’EEE (à l’exception du Royaume-Uni) et à entreprendre tous les efforts raisonnables afin que Natco Pharma Ltd (ci-après « Natco »), le producteur du citalopram générique que Merck (GUK) avait l’intention de commercialiser (ci-après le « citalopram de Natco »), cesse de fournir le citalopram ou des produits contenant du citalopram dans l’EEE pendant la durée de l’accord (points 1.1 et 1.2 de l’accord pour l’EEE). Lundbeck s’engageait à ne pas intenter d’actions en justice contre GUK, à condition que celle-ci respecte ses obligations en vertu du point 1.1 de l’accord (point 1.3 de l’accord pour l’EEE).

17      L’accord pour l’EEE a expiré le 22 octobre 2003. Au total, Lundbeck a transféré l’équivalent de 12 millions d’euros à GUK en vertu de cet accord.

IV –  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

18      Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

19      Dès lors que la plupart de ces accords concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, d’autres États membres que le Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

20      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

21      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché de médicaments innovants et génériques à usage humain.

22      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait, dans une annexe technique, la version intégrale dudit rapport d’enquête, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

23      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé la procédure formelle à l’égard de Lundbeck.

24      Au cours de l’année 2010 et du premier semestre de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont la requérante.

25      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard des entreprises de génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

26      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

27      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

28      Le conseiller auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

29      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226-Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

V –  Décision attaquée

30      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que l’accord UK et l’accord pour l’EEE (ci-après, pris ensemble, les « accords litigieux »), tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée). Les accords litigieux ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003.

31      Ainsi qu’il résulte des résumés figurant aux considérants 824 et 874 de la décision attaquée, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion des accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) étaient à tout le moins des concurrents potentiels au Royaume-Uni et dans l’EEE et des concurrents effectifs au Royaume-Uni avant la seconde prorogation de l’accord UK ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Merck (GUK) en vertu des accords litigieux ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Merck (GUK) de limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans lesdits accords, en particulier à son engagement de ne pas vendre le citalopram de Natco ou tout autre citalopram générique au Royaume-Uni et dans l’EEE pendant la période pertinente ;

–        ce transfert de valeur correspondait environ aux profits que Merck (GUK) espérait réaliser si elle était entrée avec succès sur le marché ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Merck (GUK) en vertu des accords litigieux allaient au-delà des droits conférés aux titulaires de brevets de procédé ;

–        les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration des accords litigieux.

32      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). À l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par chaque participant à une entente (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée). En revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 desdites lignes directrices, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

33      Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Merck (GUK), la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés dans la décision attaquée que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée). Afin de tenir compte des frais de distribution exposés par Merck (GUK), la Commission a néanmoins appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci (considérant 1373 de la décision attaquée).

34      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

35      Au vu de la scission intervenue entre Merck et GUK en 2007, la Commission a appliqué le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, second alinéa, TFUE séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision attaquée).

36      Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 21 411 000 euros à Merck, dont 7 766 843 euros solidairement avec GUK (article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

37      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, la requérante a introduit le présent recours.

38      Par ordonnance du président de la neuvième chambre du 20 mai 2014, GUK a été admise à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission en ce qui concerne le rejet du dixième moyen de la requérante, visant à mettre en cause la responsabilité de celle-ci en tant qu’ancienne société mère de GUK.

39      La phase écrite de la procédure a été clôturée le 18 septembre 2014.

40      Le 27 novembre 2014, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, les parties ont été invitées à formuler par écrit leurs observations concernant les éventuelles conséquences à tirer pour la présente affaire de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204).

41      Les parties ont répondu à cette demande dans le délai imparti.

42      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, a posé des questions aux parties pour réponse écrite.

43      Les parties ont déféré à ces mesures dans le délai imparti.

44      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 octobre 2015.

45      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée ainsi que l’article 2, paragraphe 5, et les articles 3 et 4 de ladite décision pour autant qu’ils la visent ;

–        à titre subsidiaire, annuler ou réduire le montant de l’amende qui lui a été imposée ;

–        en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.

46      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

47      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours en ce qui concerne le dixième moyen de la requérante.

 En droit

48      La requérante soulève treize moyens à l’appui de son recours.

49      Le premier est tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la notion de restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE. Le deuxième est tiré de ce que la théorie du préjudice appliquée par la Commission est fondamentalement erronée, le troisième de ce que l’approche de la Commission est contraire au principe de sécurité juridique et le quatrième de ce que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte du contexte matériel, économique et juridique, qui montrait que, sans les accords litigieux, Merck (GUK) n’aurait pas lancé le citalopram plus rapidement sur le marché du Royaume-Uni et sur les autres marchés de l’EEE. Le cinquième moyen est tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la portée des accords litigieux. Le sixième moyen est tiré de ce que la Commission a commis une erreur de droit et de fait en constatant que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels. Le septième moyen est tiré de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux. Le huitième moyen est tiré de ce que la Commission a commis une erreur de fait dans ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur entre Lundbeck et Merck (GUK). Le neuvième moyen est tiré de ce que la Commission n’a pas correctement apprécié les arguments soulevés par les parties au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Le dixième moyen est tiré de ce que la Commission a omis de tenir dûment compte des preuves de Merck réfutant la présomption d’influence décisive sur sa filiale GUK et a, par conséquent, commis une erreur de droit en constatant que cette présomption n’était pas réfutée. Le onzième moyen est tiré d’une violation du délai raisonnable, le douzième, d’une violation du droit des parties à être entendues et, le treizième, de ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation des sanctions.

50      Étant donné que certains de ces moyens et certains arguments qui sont avancés à leur soutien se recoupent, il convient d’examiner tout d’abord les arguments de la requérante soulevés dans le cadre des quatrième et sixième moyens ayant trait, en substance, à l’examen de la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck dans la décision attaquée.

51      Il convient d’examiner ensuite les arguments soulevés dans le cadre des premier, deuxième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens liés à la notion de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à la manière dont cette notion a été appliquée par la Commission dans la décision attaquée et enfin les dixième, troisième, onzième et treizième moyens, dans l’ordre indiqué.

52      À titre liminaire, il y a lieu d’examiner la recevabilité des neuvième et douzième moyens étant donné que celle-ci a été contestée par la Commission.

I –  Sur la recevabilité des neuvième et douzième moyens, tirés d’une violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et d’une violation du droit des parties à être entendues

53      La requérante se borne à indiquer, dans le cadre du neuvième moyen, que la Commission n’aurait pas correctement apprécié ses arguments relatifs à l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE aux accords litigieux, en violation des principes juridiques consacrés par la Cour dans l’arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec, EU:C:2009:610, point 83). Elle renvoie intégralement aux arguments soulevés sur cette question par GUK dans son recours dans l’affaire pendante T‑469/13, Generics (UK)/Commission.

54      Dans le cadre du douzième moyen, la requérante estime ne pas avoir eu l’opportunité de répondre à un certain nombre de griefs qui ont été formulés pour la première fois dans la décision attaquée et qui modifiaient les conclusions de la Commission, telles qu’exposées dans la communication des griefs. Elle renvoie également, à cet égard, aux arguments développés par GUK dans la requête dans l’affaire pendante T‑469/13, Generics (UK)/Commission.

55      La Commission conteste la recevabilité de ces deux moyens, sans que la requérante ait réagi sur ce point.

56      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, toute requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, ordonnance du 25 juillet 2000, RJB Mining/Commission, T‑110/98, Rec, EU:T:2000:199, point 23, et arrêt du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, Rec, EU:T:2005:31, point 64).

57      À cet égard, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus, doivent figurer dans la requête (ordonnance du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, Rec, EU:T:1999:109, point 49).

58      Force est de constater que, en l’espèce, les neuvième et douzième moyens ne sont nullement étayés dans la requête et font l’objet d’un seul paragraphe chacun, par lequel il est fait renvoi aux arguments présentés par GUK dans le cadre de l’affaire pendante T‑469/13, Generics (UK)/Commission. Par ailleurs, la requérante n’a présenté aucun argument afin d’expliciter ces moyens dans sa réplique. Or, bien que GUK ait été admise comme partie intervenante dans la présente affaire, l’affaire pendante T-469/13, Generics (UK)/Commission, demeure une affaire distincte de la présente affaire et n’a pas été jointe à celle-ci.

59      Dès lors, au vu de la jurisprudence énoncée ci-dessus, il y a lieu de rejeter les neuvième et douzième moyens comme irrecevables.

II –  Sur le sixième moyen, tiré, en substance, de ce que la Commission a commis une erreur de droit et de fait en constatant que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels et sur le quatrième moyen, en ce qu’il est fondé sur cette même argumentation

60      En premier lieu, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur de droit dans le choix du critère pertinent pour examiner l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce. Elle rappelle que le critère pertinent, selon la jurisprudence, pour qu’une entreprise puisse être considérée comme un concurrent potentiel sur un marché est celui selon lequel elle doit avoir des possibilités réelles et concrètes d’intégrer ledit marché, la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’étant pas suffisante à cet effet. L’intention de l’entreprise d’intégrer un marché ne saurait constituer un élément décisif à cet égard, alors que tel serait le cas de sa capacité d’intégrer ledit marché. La Commission aurait par ailleurs elle-même précisé dans ses lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1) que des entreprises ne sont pas concurrentes dès lors que l’entrée sur le marché de l’une serait illégale en ce qu’elle violerait les droits de propriété intellectuelle de l’autre partie. Cela ressortirait également du règlement (CE) n° 772/2004 de la Commission, du 27 avril 2004, concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO L 123, p. 11), ainsi que des lignes directrices relatives à l’application de l’article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2), selon lesquelles les clauses de non-contestation incluses dans des règlements amiables sont considérées comme ne relevant pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

61      En outre, la requérante estime que la Commission a commis une erreur de droit en se fondant sur le fait que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel pour constater l’existence d’une concurrence potentielle. La notion de concurrence potentielle serait une notion objective, de sorte que la perception subjective de l’une des parties ne saurait être considérée comme un élément pertinent à cette fin. La référence de la Commission dans la décision attaquée à l’arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission (T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342), serait inappropriée, dans la mesure où, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la question qui se posait consistait à déterminer s’il y avait eu un « arrangement commun » entre les fournisseurs japonais et européens d’appareillages de commutation à isolation gazeuse. De même, la référence à l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770), serait fallacieuse, dans la mesure où, contrairement aux faits en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il ne serait pas établi, en l’espèce, que les brevets en cause avaient été délivrés de manière frauduleuse ou illégale.

62      En deuxième lieu, la requérante considère que la Commission a commis une erreur de fait en concluant que Merck (GUK) avait une possibilité « réelle et concrète » d’intégrer les marchés du Royaume-Uni et de l’EEE et d’entrer en concurrence avec Lundbeck.

63      En troisième lieu, la requérante fait valoir que la Commission a conclu à tort qu’il existait une concurrence réelle entre Lundbeck et Merck (GUK) à l’époque des faits. Les ventes réalisées par Merck (GUK) au Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003 l’auraient été « à risque » et Lundbeck aurait inévitablement intenté une action en justice et demandé l’adoption de mesures provisoires contre Merck (GUK) si l’accord UK n’avait pas été prorogé le 7 août 2003. Par ailleurs, le fait que NM Pharma, une société indépendante sans aucun lien structurel avec Merck (GUK), ait commencé à commercialiser à risque le générique en Suède serait également dénué de pertinence, puisque Merck (GUK) lui aurait demandé de suspendre ses ventes du médicament générique.

64      La Commission conteste ces arguments.

65      Avant d’examiner les arguments de la requérante, il convient d’effectuer un bref rappel de la jurisprudence pertinente ainsi que de l’approche retenue par la Commission dans la décision attaquée s’agissant de la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck.

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

66      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

67      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés de production viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (AMM) en application de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

68      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises de génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première entreprise de génériques qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi les entreprises de génériques sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

69      Dans le cadre de ces deux phases de concurrence potentielle, les entreprises de génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

70      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises de génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Eu égard à ces éléments, la Commission a conclu que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

71      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise de génériques concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché. Or, en l’espèce, la Commission a considéré, en se fondant notamment sur les évaluations des parties aux accords litigieux, que le brevet sur la cristallisation, sur lequel Lundbeck se fondait essentiellement afin de bloquer l’entrée sur le marché des génériques au Royaume-Uni, avait jusqu’à 60 % de chances d’être invalidé par une juridiction et qu’il était perçu par les entreprises de génériques comme peu innovant. Dans de telles circonstances, la Commission a estimé que le fait pour les entreprises de génériques d’entrer « à risque » sur le marché et de devoir éventuellement faire face à des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck constituait l’expression d’une concurrence potentielle. Dès lors, la Commission a conclu que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché.

72      Au considérant 635 de la décision attaquée, la Commission a identifié en l’espèce huit voies d’accès possibles au marché :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son intermédiaire – dans le cas de Merck (GUK), Schweizerhall Pharma International GmbH (ci-après « Schweizerhall ») – afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé de Lundbeck ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

73      En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et Merck (GUK) au moment de la conclusion des accords litigieux, la Commission a distingué, dans la décision attaquée, la situation prévalant au Royaume-Uni et la situation prévalant dans l’EEE.

1.     Situation au Royaume-Uni

74      S’agissant de la situation concurrentielle au Royaume-Uni, la Commission a considéré que, pendant la période précédant le 24 janvier 2002, date de signature de l’accord UK, Lundbeck était la seule entreprise vendant du citalopram au Royaume-Uni. Le 5 janvier 2002, les brevets originaires de Lundbeck arrivaient à expiration au Royaume-Uni. À partir de cette date, le marché du citalopram au Royaume-Uni était donc en principe ouvert aux produits génériques contenant du citalopram, à condition que ceux-ci respectent les obligations légales en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité, telles que confirmées par une AMM. La Commission a estimé, dès lors, que les entreprises fabriquant ou ayant l’intention de vendre des produits génériques contenant du citalopram au Royaume-Uni, ayant des perspectives réalistes de se voir fournir du citalopram générique et d’obtenir une AMM dans un futur proche, pouvaient être considérées comme des concurrents potentiels de Lundbeck. L’entrée sur le marché des génériques, en particulier par plusieurs entreprises de génériques simultanément, aurait plus que probablement généré un intense processus de concurrence par les prix qui aurait réduit le prix du citalopram de manière rapide et abrupte (considérant 738 de la décision attaquée).

75      Merck (GUK), après avoir informé Lundbeck de son intention d’entrer sur le marché du citalopram, était la première entreprise de génériques à obtenir une AMM pour le Royaume-Uni, le 9 janvier 2002. Durant cette période, Merck (GUK) avait accumulé un stock de 8 millions de tablettes de citalopram produites par Natco et prêtes à être vendues au Royaume-Uni (considérant 741 de la décision attaquée).

76      À la suite de l’accord UK, signé avec Lundbeck le 24 janvier 2002, Merck (GUK) s’est abstenue de lancer le citalopram générique sur le marché jusqu’à la fin de la durée de l’accord, initialement prévue pour juillet 2003. Néanmoins, entre le 1er et le 4 août 2003, avant que l’accord soit prorogé une seconde fois le 6 août 2003, Merck (GUK) a effectivement vendu du citalopram générique au Royaume-Uni pour une valeur de 3,3 millions de GBP (considérant 742 de la décision attaquée).

77      La Commission a conclu, au considérant 743 de la décision attaquée, que ces faits démontraient de manière suffisante que Merck (GUK) avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni au moment de signer les accords litigieux. De plus, le fait que Merck (GUK) soit entrée brièvement sur le marché en août 2003 démontrerait suffisamment que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de signer les accords litigieux en janvier 2002. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de ces accords démontrerait que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché du citalopram au moment de la signature des accords litigieux.

2.     Situation dans l’EEE

78      En ce qui concerne la situation concurrentielle dans l’EEE, la Commission a exposé, aux considérants 827 et suivants de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait estimé que Merck (GUK) pouvait être considérée comme un concurrent potentiel de Lundbeck dans la plupart des États de l’EEE. Le 15 mai 2001, Merck (GUK) avait conclu un accord d’approvisionnement exclusif portant sur le citalopram générique produit par Natco avec Schweizerhall (ci-après l’« accord Schweizerhall »). Cet accord faisait de Schweizerhall le distributeur privilégié de Natco pour une série d’États de l’EEE (à savoir la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et la Norvège) et de Merck (GUK) le « client privilégié » de celle-ci, en ce sens que Merck (GUK) couvrirait en principe la totalité de ses besoins annuels en citalopram générique auprès de Schweizerhall et que ces besoins seraient traités prioritairement (considérant 235 de la décision attaquée).

79      En mai 2002, NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) pour la Suède, a obtenu une AMM et est entré sur le marché suédois. NM Pharma avait un important réseau de distribution en Norvège et comptait utiliser son AMM suédoise pour obtenir des AMM en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas, en Finlande et en Norvège, par le biais de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83. Merck (GUK) entendait, de son côté, obtenir des AMM similaires pour l’Allemagne, l’Irlande, la Grèce, la France, l’Italie, l’Autriche et le Portugal, en utilisant son AMM obtenue au Royaume-Uni (considérants 829 et 830 de la décision attaquée). En outre, la Commission s’est fondée sur le point D du préambule de l’accord pour l’EEE, qui reconnaît le rôle de concurrent potentiel de Merck (GUK) sur le territoire de l’EEE (considérant 831 de la décision attaquée).

80      C’est sur ces éléments que la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck étaient à tout le moins des concurrents potentiels au moment de signer l’accord pour l’EEE en octobre 2002. Merck (GUK) aurait même été un concurrent effectif de Lundbeck en Suède pendant les quelques mois précédant la signature de l’accord, par le biais de son distributeur NM Pharma. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de cet accord démontrerait suffisamment que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché du citalopram au moment de la signature de l’accord pour l’EEE (considérant 832 de la décision attaquée).

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.     Sur la notion de concurrence potentielle

81      Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

82      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 81 supra, EU:T:2012:332, point 85).

83      Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 81 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

84      Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 81 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

85      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 82 supra, EU:T:2011:181, point 169).

86      Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts Hitachi e.a./Commission, point 61 supra, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

87      S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 81 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

2.     Sur la charge de la preuve

88      La jurisprudence prévoit, tout comme l’article 2 du règlement n° 1/2003, que c’est à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence qu’il incombe d’en apporter la preuve. Ainsi, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

89      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

90      En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

91      En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

92      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

93      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

94      Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

95      Néanmoins, lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 88 supra, EU:T:2013:188, point 99 et jurisprudence citée).

3.     Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

96      Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union européenne exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par la partie requérante à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

C –  Sur la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

97      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante concernant l’absence de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

98      À titre liminaire, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains à la date à laquelle les accords litigieux ont été conclus (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée). En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les évènements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de ces accords. D’autre part, les parties à ces accords ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure les accords litigieux.

99      C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission a évalué la situation concurrentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck telle qu’elle existait au moment où ces accords ont été conclus, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs peuvent toujours également être pris en compte pour autant qu’ils permettent de mieux établir quelle était la position de ces entreprises à l’époque, de confirmer ou d’infirmer les thèses de celles-ci à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties aux accords litigieux.

1.     Sur l’application du critère juridique pertinent au cas d’espèce et la prise en compte de la perception de Lundbeck pour constater l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

100    La requérante fait valoir que la Commission n’aurait pas appliqué le bon critère juridique en l’espèce aux fins d’apprécier l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck.

101    Ce grief doit être rejeté.

102    En effet, il ressort clairement de la décision attaquée que, afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce, la Commission s’est fondée sur la jurisprudence dégagée par les arrêts European Night Services e.a./Commission, point 82 supra (EU:T:1998:198), et Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 82 supra (EU:T:2011:181), selon laquelle il convient d’examiner si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (considérants 610 et 611 de la décision attaquée).

103    La Commission a également rappelé, à juste titre, au considérant 612 de la décision attaquée, que l’élément essentiel à cet égard était la nécessité que l’entrée sur le marché potentielle puisse se faire suffisamment rapidement aux fins de peser sur les participants au marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 82 supra, EU:T:2011:181, point 189).

104    La requérante considère, néanmoins, que la Commission a commis une erreur de fait et de droit en tenant compte du fait que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel pour constater l’existence d’une concurrence potentielle entre elles, en se fondant notamment sur l’arrêt Hitachi e.a./Commission, point 61 supra (EU:T:2011:342).

105    Or, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Tribunal a considéré que l’existence même d’un mécanisme de notification et de comptabilisation dans le cadre de la preuve de l’arrangement commun sur les appareillages de commutation à isolation gazeuse, impliquant les producteurs japonais, constituait un indice sérieux de ce que les producteurs japonais étaient perçus par les producteurs européens comme des concurrents potentiels crédibles sur le marché de l’EEE (arrêt Hitachi e.a./Commission, point 61 supra, EU:T:2011:342, point 226).

106    Dès lors, la Commission n’a commis aucune erreur en considérant que la perception des acteurs du marché et l’existence même d’un accord entre Lundbeck et Merck (GUK) visant à limiter l’autonomie commerciale de cette dernière en l’empêchant d’entrer sur le marché avec ses produits génériques constituaient des éléments pertinents aux fins d’évaluer l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce.

107    Il convient de constater, en outre, que la Commission a uniquement relevé, au considérant 614 de la décision attaquée, que la perception des entreprises déjà présentes sur le marché (incumbents) devrait jouer un rôle quant à l’évaluation de l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission n’a pas estimé, toutefois, que cela constituerait le seul élément pertinent, comme tente de le faire valoir la requérante.

108    En effet, en l’espèce, la Commission s’est avant tout fondée sur des éléments objectifs, tels que l’obtention d’AMM, les démarches et investissements déjà effectués par Merck (GUK) ainsi que la constitution d’un stock important de tablettes de citalopram au moment de conclure les accords litigieux, pour établir l’existence d’une concurrence potentielle entre celle-ci et Lundbeck (points 74 à 80 ci-dessus). Par ailleurs, la perception de Lundbeck est décrite dans la décision attaquée sur la base d’éléments objectifs remontant à une période non suspecte précédant la signature des accords litigieux.

109    Contrairement à ce que soutient la requérante, dès lors, la Commission n’a pas méconnu la jurisprudence selon laquelle l’élément essentiel sur lequel doit reposer la qualification de concurrent potentiel d’une entreprise est constitué par sa capacité à intégrer le marché (point 84 ci-dessus).

110    De même, la référence à l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 61 supra (EU:C:2012:770, point 108), figure au considérant 619 de la décision attaquée, dans la partie relative à la concurrence potentielle consacrée aux spécificités du secteur pharmaceutique, et vise à indiquer que les entreprises de génériques peuvent devenir une menace concurrentielle pour les entreprises actives déjà présentes sur le marché bien avant l’expiration d’un brevet sur l’IPA.

111    À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle démarre avant l’expiration des brevets est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a, en substance, considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des parties requérantes dans l’instance en cause étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

112    Quant à l’argument de la requérante fondé sur les lignes directrices de la Commission sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale ainsi que sur le règlement n° 772/2004 et les lignes directrices relatives aux accords de transfert de technologie (point 60 ci-dessus), il y a lieu de relever que, s’il est vrai que l’article 1er, paragraphe 1, sous j), ii), du règlement n° 772/2004 prévoit que les entreprises potentiellement concurrentes sur le marché des produits en cause sont des entreprises qui, pour des motifs réalistes, seraient prêtes à consentir les investissements supplémentaires nécessaires ou à supporter les coûts de transformation nécessaires pour pénétrer en temps voulu, sans empiéter sur leurs droits de propriété intellectuelle mutuels, sur les marchés de produits et les marchés géographiques en cause à la suite d’une augmentation légère, mais permanente, des prix relatifs, il convient de rappeler que, en l’espèce, il n’était nullement établi que les produits génériques de la requérante empiétaient sur les brevets de Lundbeck, cette question faisant l’objet précisément d’une incertitude qui a été éliminée par les accords litigieux, mais qui ne l’empêchait pas, en elle-même, d’entrer sur le marché avec ces produits. En outre, comme l’a rappelé la Commission au considérant 677 de la décision attaquée, les lignes directrices relatives aux accords de transfert de technologie prévoyaient que « [d]es preuves particulièrement convaincantes de l’existence d’une situation de blocage [étaient] requises lorsque les parties [pouvaient] avoir un intérêt commun à prétendre qu’une telle situation exist[ait] afin d’être qualifiées de non-concurrents, par exemple lorsque la situation de blocage bilatéral alléguée concern[ait] des technologies qui [étaient] des substituts technologiques ». En tout état de cause, les accords litigieux ne prévoyaient pas le transfert d’une technologie de Lundbeck à Merck (GUK), de sorte que ces lignes directrices ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce.

113    Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ressort des éléments de preuve sur lesquels s’appuie la décision attaquée et dont la pertinence sera examinée ci-après que la Commission ne s’est pas fondée sur des possibilités purement théoriques pour établir l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck dans la décision attaquée, mais qu’elle a établi, au contraire, que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché dans un délai raisonnable et qu’elle constituait une menace concurrentielle pour Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

114    Partant, le grief de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas appliqué le test juridique pertinent dans la décision attaquée afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck doit être rejeté.

2.     Sur l’existence d’une possibilité réelle et concrète pour Merck (GUK) d’intégrer les marchés du Royaume-Uni et de l’EEE et d’entrer en concurrence avec Lundbeck

115    La requérante conteste la conclusion selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux et fait valoir plusieurs arguments à cet égard, dans le cadre des quatrième et sixième moyens.

a)     Sur le caractère inéluctable d’actions en justice intentées par Lundbeck en cas de commercialisation du citalopram générique

116    La requérante fait valoir que Lundbeck aurait inévitablement intenté des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) en cas de commercialisation du citalopram générique, que le brevet sur la cristallisation de Lundbeck conférait à cette dernière une position de blocage et que, en l’absence de décision d’une juridiction du Royaume-Uni déclarant ce brevet invalide, la Commission aurait dû considérer qu’il n’existait pas de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck.

117    De plus, selon la requérante, le fait même d’avoir obtenu un nouveau brevet obstructif peu de temps avant l’expiration du brevet sur l’IPA aurait empêché ou suspendu la concurrence potentielle en gestation. Elle conteste l’argument selon lequel Merck (GUK) se serait préparée à entrer sur le marché avant la conclusion de l’accord UK et considère que de telles circonstances ne démontrent pas que cette dernière s’estimait en mesure de commercialiser sa version générique du citalopram lorsque l’accord UK a été conclu.

118    Il convient de relever d’emblée, toutefois, qu’un tel argument vise à remettre en cause la distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle, dans la mesure où, selon la requérante, aucune concurrence potentielle ne saurait exister tant qu’il ne serait pas démontré de manière absolument certaine que, en l’absence des accords litigieux, Merck (GUK) serait effectivement entrée sur le marché sans faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck.

119    Or, il y a lieu de constater à cet égard, comme la Commission l’a exposé au considérant 635 de la décision attaquée, qu’il existait, de manière générale, plusieurs voies constituant des possibilités concrètes et réalistes d’entrer sur le marché pour les entreprises de génériques au moment de la conclusion des accords litigieux (point 72 ci-dessus). Parmi celles-ci figure, notamment, le lancement du produit générique « à risque », avec la possibilité de devoir affronter Lundbeck dans d’éventuels litiges.

120    Une telle possibilité représente bien l’expression d’une concurrence potentielle, dans une situation dans laquelle, comme en l’espèce, les brevets originaires de Lundbeck, portant à la fois sur l’IPA citalopram et sur les procédés de production d’alkylation et de cyanation, avaient expiré et où il existait d’autres procédés permettant de produire du citalopram générique dont il n’était pas établi qu’ils violaient d’autres brevets de Lundbeck (considérants 248 et 351 de la décision attaquée). En outre, les démarches et les investissements accomplis par Merck (GUK) en vue d’entrer sur le marché du citalopram avant de conclure les accords litigieux, tels qu’exposés par la Commission aux considérants 739 et suivants de la décision attaquée (point 75 ci-dessus), dont la réalité n’a pas été contestée par la requérante, démontrent que celle-ci était prête à entrer sur le marché et à courir les risques qu’une telle entrée comportait.

121    Il convient de relever, par ailleurs, que la Commission n’a pas ignoré l’existence des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck et, notamment, le brevet sur la cristallisation, contrairement à ce que prétend la requérante.

122    En effet, s’il est vrai, comme la Commission l’a reconnu au considérant 745 de la décision attaquée, que Lundbeck aurait pu faire valoir devant les juridictions nationales compétentes qu’un ou plusieurs de ses brevets de procédé avaient été violés par les versions génériques du citalopram de la requérante, il n’en reste pas moins qu’une telle violation restait à démontrer et que c’était à Lundbeck qu’incombait la charge de la preuve à cet égard. En outre, comme le note la Commission au même considérant, les entreprises de génériques telles que la requérante auraient pu, en cas de contentieux, non seulement tenter de démontrer que leurs produits ne violaient aucun des brevets de procédé de Lundbeck, mais aussi tenter de remettre en cause la validité de tels brevets par le biais d’une demande reconventionnelle, s’il s’était révélé par exemple que ces brevets étaient en réalité peu innovants ou couverts par des inventions préexistantes.

123    Or, il ressort de la réponse de Lundbeck à la communication des griefs que la démonstration d’une violation d’un brevet de procédé était « très difficile » (considérant 745 de la décision attaquée). Dans une déclaration à la presse du vice-président de Lundbeck du 9 novembre 2002, celui-ci avait estimé qu’« il serait naïf de penser qu’il n’est pas possible pour les entreprises de génériques de copier le Cipramil sans enfreindre notre brevet » (considérant 150 de la décision attaquée). Enfin, il ressort également des évaluations internes de Lundbeck d’août et de septembre 2003, émises dans le contexte du litige Lagap, que celle-ci avait elle-même considéré qu’il y avait entre 50 % et 60 % de risques que son brevet sur la cristallisation puisse être déclaré invalide en cas de contentieux (considérant 157 de la décision attaquée).

124    Dans ces circonstances, il est difficilement contestable que les brevets de procédé de Lundbeck et, en particulier, son brevet sur la cristallisation ne constituaient pas des barrières insurmontables pour les entreprises de génériques telles que la requérante, qui étaient désireuses d’entrer sur le marché du citalopram et prêtes à le faire et qui avaient déjà effectué des investissements considérables à cette fin au moment de conclure les accords litigieux.

125    Certes, il est possible que, dans certains cas, Lundbeck eût pu obtenir gain de cause devant les juridictions compétentes et obtenir des injonctions ou des dommages-intérêts contre Merck (GUK). Cependant, il ressort des éléments de preuve soutenant la décision attaquée qu’une telle possibilité n’était pas perçue comme une menace suffisamment crédible pour la requérante au moment de conclure les accords litigieux. En effet, celle-ci avait estimé, notamment, à la suite de la publication du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, que son médicament générique « n’était pas litigieux », qu’« aucune des demandes de brevet publiées […] ne posait problème » ou encore que, vu les déclarations des experts, elle n’avait « aucun problème en matière de brevet » (considérants 237, 248 et 334 de la décision attaquée). Il ressort, par ailleurs, d’un courrier interne de Merck (GUK) du 13 septembre 2001 que, lorsque Lundbeck l’avait initialement menacée de la « poursuivre jusqu’en enfer » en cas de violation de ses brevets, celle-ci avait répondu ce qui suit : « [B]onne chance […] cela ne nous empêche pas de lancer [notre produit.] » (considérant 240 de la décision attaquée).

126    En outre, les éléments du dossier révèlent également qu’il n’y avait aucune certitude quant au fait que Lundbeck aurait effectivement intenté une action en justice en cas de commercialisation du citalopram générique par Merck (GUK). La décision attaquée reconnaît, certes, que Lundbeck avait mis en place une stratégie générale consistant à menacer les entreprises de génériques d’actions en contrefaçon ou à intenter de telles actions sur le fondement de ses brevets de procédé. Néanmoins, toute décision d’agir en justice dépendait du point de vue de Lundbeck quant à la probabilité qu’un recours aboutisse et qu’un produit générique commercialisé soit considéré comme contrefaisant l’un de ses brevets. Or, il ressort de la réponse de Lundbeck aux demandes d’informations de la Commission dans le cadre de la procédure administrative que les « fabricants de génériques auraient pu produire le citalopram en appliquant le procédé décrit dans son brevet originaire protégeant l’IPA […] ou [qu’]ils auraient pu investir dans la mise au point d’un procédé tout à fait neuf » (considérant 150 de la décision attaquée). Par ailleurs, s’agissant d’une éventuelle demande reconventionnelle portant sur la validité du brevet sur la cristallisation, Lundbeck savait que ce brevet n’était « pas le plus solide des brevets » et qu’il était considéré par ses rivaux comme de la « chimie d’école secondaire » (considérant 149 de la décision attaquée).

127    De plus, il ressort des pièces du dossier que Lundbeck n’a poursuivi Merck (GUK) à aucune des occasions où celle-ci est effectivement entrée sur le marché, tout d’abord en Suède par l’entremise de son distributeur NM Pharma en mai 2002, puis au Royaume-Uni en août 2003 avant que l’accord UK ne soit prorogé une seconde fois parce que l’offre de Lundbeck avait dans un premier temps été jugée « pas assez bonne » (considérant 299 de la décision attaquée) par Merck (GUK) pour qu’elle décide de rester à l’écart du marché. Certes, comme le fait valoir la requérante, une telle décision de ne pas poursuivre Merck (GUK) pouvait se justifier au vu de la prorogation de l’accord UK. En revanche, s’agissant de l’accord pour l’EEE, il convient de relever que celui-ci a été conclu près de cinq mois après que NM Pharma a pu lancer son générique, avec des ventes « très encourageantes » (considérant 325 de la décision attaquée) et sans faire l’objet d’aucune action en justice de la part de Lundbeck (considérant 837 de la décision attaquée). Dans ce contexte, il convient de relever que, bien que NM Pharma ait été approchée par Lundbeck pour conclure un accord du même type que les accords litigieux, elle a refusé d’entrer dans de telles discussions au motif que cela était contraire à sa politique de concurrence (considérant 190 de la décision attaquée).

128    Enfin, il convient de relever que, même si Merck (GUK) avait fait l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck et que ses produits s’étaient révélés contrefaisants, elle aurait sans doute pu, malgré tout, se procurer du citalopram d’autres sources, dont le caractère contrefaisant n’était pas établi, dans un délai raisonnable. En effet, même si la requérante avait conclu un accord d’approvisionnement avec Schweizerhall pour une période de huit ans, cet accord se fondait sur l’hypothèse de l’absence de contrefaçon du produit de Natco (considérant 235 de la décision attaquée), de sorte que Merck (GUK) aurait sans doute pu résilier cet accord en cas de contrefaçon, que ce soit sur la base des dispositions expresses de cet accord ou en vertu du droit allemand, qui était le droit applicable à ce contrat. Or, il ressort notamment des considérants 248 et 351 de la décision attaquée qu’il existait d’autres sources de citalopram générique sur le marché, dont Merck (GUK) avait connaissance par le biais notamment de Merck dura GmbH, la filiale de Merck en Allemagne. En tout état de cause, à supposer même que Merck (GUK) eût été tenue, en vertu de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement auprès de Natco et que le citalopram générique produit par ce dernier eût enfreint le brevet sur la cristallisation, il n’est pas exclu que Natco eût pu produire l’IPA citalopram en se fondant sur d’autres procédés non contrefaisants (considérant 746 de la décision attaquée).

129    Cela démontre suffisamment que, loin d’être inéluctable, la possibilité d’une action en justice de la part de Lundbeck faisait partie des risques qu’une entreprise de génériques telle que Merck (GUK), ayant effectué des investissements considérables et des démarches importantes afin d’entrer sur le marché, était prête à courir avant la conclusion des accords litigieux. La requérante n’a pas établi, en outre, que de telles actions, si elles avaient été intentées, auraient abouti, dans tous les cas, en faveur de Lundbeck et qu’elles auraient constitué une barrière insurmontable à son entrée sur le marché du citalopram.

130    Les éléments de preuve sur lesquels se fonde la requérante pour tenter de remettre en cause cette conclusion témoignent, tout au plus, du fait qu’il existait une incertitude quant à la possibilité que les produits génériques de Merck (GUK) enfreignent les brevets de Lundbeck, ce que la Commission ne conteste pas. Si Lundbeck a pu initialement menacer Merck (GUK) d’actions en contrefaçon, elle a finalement préféré conclure les accords litigieux et payer celle-ci pour qu’elle s’abstienne d’entrer sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée de ces accords. Or, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 86 ci-dessus, de tels éléments permettent de confirmer l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck en l’espèce.

131    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le présent grief.

b)     Sur l’arrêt Paroxetine et son impact sur l’opposition de Lundbeck au lancement du citalopram générique et sur l’évaluation des risques réalisée par Merck (GUK)

132    La requérante estime que, à supposer même que l’entrée de Merck (GUK) sur le marché n’aurait pas empiété sur le brevet sur la cristallisation de Lundbeck, une telle commercialisation à risque n’aurait pas constitué une option viable, en raison de l’arrêt de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancellerie], du 23 octobre 2001, Smithkline Beecham Plc v. Generics (UK) Ltd [(2002) 25(1) I.P.D. 25005, ci-après l’« arrêt Paroxetine »], qui aurait permis à Lundbeck d’obtenir des mesures provisoires interdisant la vente du citalopram générique jusqu’au règlement du litige.

133    Elle considère que l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, aurait fondamentalement altéré le contexte juridique dans lequel les entreprises de génériques opéraient. Cet arrêt aurait établi une présomption selon laquelle le juge accordera en principe des mesures provisoires interdisant la commercialisation du citalopram générique à moins que l’entreprise de génériques n’ait au préalable pris des mesures pour « lever les obstacles ». Il s’agirait d’un revirement radical par rapport à l’approche antérieure des juridictions du Royaume-Uni et cela constituerait la première fois depuis un certain temps que des mesures provisoires auraient été accordées dans une affaire de brevet. Cela aurait modifié la situation et aurait conduit Merck (GUK) à revoir sa stratégie en ce qui concernait le lancement du citalopram au Royaume-Uni. À cet égard, la Commission méconnaîtrait le fait que l’obligation découlant de l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, de lever les obstacles aurait précisément pour objectif d’assurer que la question relative à l’octroi de mesures provisoires ne se pose pas.

134    Elle reproche en outre à la Commission de ne pas avoir dûment tenu compte de cet arrêt dans la décision attaquée, alors que celui-ci lui aurait permis d’établir que l’octroi de mesures provisoires aurait bloqué l’entrée sur le marché de Merck (GUK) pendant une période susceptible d’être plus longue que la durée de chacun des accords litigieux. L’arrêt Paroxetine, point 132 supra, serait uniquement mentionné dans deux notes en bas de page de la décision attaquée, mais la Commission n’en aurait pas tiré toutes les conséquences et n’aurait pas répondu à la question de savoir si, en l’absence des accords litigieux, la situation aurait été plus concurrentielle. Selon elle, rien ne prouve que Merck (GUK) aurait lancé son générique si elle n’avait pas obtenu un accord suffisamment intéressant avec Lundbeck et si elle risquait d’être poursuivie en justice.

135    La Commission conteste ces arguments.

136    À cet égard, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 222), sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (point 96 ci-dessus).

137    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, le juge Jacob de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a appliqué les principes régissant la délivrance d’injonctions provisoires en droit anglais et a estimé que la mise en balance des intérêts penchait en faveur du laboratoire de princeps au vu des circonstances particulières de l’affaire, notamment du fait que GUK n’avait pas « levé les obstacles » en informant celui-ci de sa ferme intention de lancer son produit générique sur le marché alors qu’elle s’était préparée à une telle entrée pendant quatre ans et en dépit du fait qu’elle savait que celui-ci détenait des brevets lui permettant d’intenter une action en contrefaçon à son égard.

138    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’interprétation et la portée exacte à donner à cet arrêt, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, en l’espèce, à la différence des faits en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, Merck (GUK) avait effectué des démarches afin d’informer Lundbeck de son intention ferme d’entrer sur le marché bien avant qu’elle n’ait eu l’intention de lancer ses produits génériques. La décision attaquée mentionne ainsi l’existence d’une réunion entre Lundbeck et Merck (GUK) dès le mois de février 1999, dont il ressort déjà que Lundbeck était au courant de l’intention de Merck (GUK) de développer et de vendre une version générique du citalopram et que de nombreux contacts entre Lundbeck et Merck (GUK) avaient eu lieu au cours des années 2000 et 2001.

139    De plus, contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, en l’espèce, le brevet sur la cristallisation n’a été publié et octroyé au sens de l’article 25 de la UK Patents Act 1977 (loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977) que le 30 janvier 2002 au Royaume-Uni, c’est-à-dire peu après que Merck (GUK) a obtenu une AMM au Royaume-Uni le 9 janvier 2002 et bien après qu’elle a entamé des démarches pour entrer sur le marché du citalopram avec une version générique de ce produit. Dès lors, il est erroné d’affirmer, comme le fait la requérante, que Lundbeck aurait pu demander des mesures provisoires avant cette date et, en application des principes dégagés par l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, il est à tout le moins douteux que, en cas d’entrée à risque de Merck (GUK) sur le marché, Lundbeck eût pu obtenir des mesures provisoires après cette date en l’espèce en invoquant le brevet sur la cristallisation afin de bloquer une telle entrée.

140    S’agissant  de l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte de cet arrêt dans la décision attaquée, il convient de rappeler, tout d’abord, que la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais qu’il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec, EU:C:2008:375, point 96, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑102/07 et T‑120/07, Rec, EU:T:2010:62, point 180).

141    Dès lors, au vu des différences existant entre la situation de la requérante en l’espèce et celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, c’est à bon droit que la Commission a considéré que cet arrêt n’était pas un élément essentiel de son analyse afin de démontrer que la requérante et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux. Les différentes lettres et communications invoquées par la requérante au soutien de ses arguments témoignent uniquement du fait que, bien que Merck (GUK) était confiante dans sa position en matière de brevets, elle n’était pas certaine de l’emporter en cas de contentieux avec Lundbeck et qu’elle a, dès lors, préféré conclure des accords lucratifs avec cette dernière, ce que la Commission ne conteste pas.

142    En tout état de cause, il convient de relever que la Commission a bien tenu compte de l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, notamment dans la note en bas de page n° 312 de la décision attaquée, où elle a constaté qu’il était difficile de comprendre en quoi cet arrêt aurait pu rendre Lundbeck moins encline à intenter des actions contentieuses, si cet arrêt était effectivement plus favorable aux détenteurs de brevets. De même, en ce qui concerne Merck (GUK), la Commission a estimé, dans la note en bas de page n° 1134 de la décision attaquée, que, malgré cet arrêt, un producteur de génériques conservait le droit de lancer son produit générique à risque sans avoir à fournir la preuve que son produit ne violait aucun brevet. La charge de la preuve pesait donc, à cet égard, même au Royaume-Uni après l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, sur l’entreprise détentrice du brevet, sans que les éléments de preuve fournis par la requérante permettent de remettre en cause cette conclusion.

143    Il découle de ce qui précède que le grief de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte des implications de l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, et aurait méconnu l’impact de cet arrêt sur l’opposition de Lundbeck au lancement du citalopram générique et sur l’évaluation des risques opérée par Merck (GUK) à cet égard doit être rejeté.

c)     Sur l’absence d’autres voies d’accès au marché qui auraient permis à Merck (GUK) de lancer son générique sur le marché bien avant l’expiration des accords litigieux

144    La requérante conteste les huit voies d’accès possibles au marché identifiées par la Commission au considérant 635 de la décision attaquée et lui reproche en substance de ne pas avoir précisé laquelle de ces huit voies possibles se serait concrétisée en l’absence des accords litigieux.

145    La Commission conteste ces arguments.

146    Il convient de constater, à l’instar de la requérante, que, au considérant 635 de la décision attaquée, la Commission a identifié huit voies d’accès possibles au marché qui étaient en principe ouvertes aux entreprises de génériques telles que la requérante au moment de conclure les accords litigieux.

147    Les quatre premières de ces voies potentielles consistaient, premièrement, à lancer le produit générique « à risque », en faisant face aux actions en contrefaçon de Lundbeck, deuxièmement, à faire des efforts pour « lever les obstacles » avant d’entrer sur le marché, troisièmement, à demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale et, quatrièmement, à demander l’invalidité du brevet devant une juridiction nationale, par une action reconventionnelle dans le cadre d’un litige en contrefaçon.

148    Ces quatre premières voies, qui concernent des litiges avec Lundbeck en matière de brevet qui auraient considérablement retardé l’entrée sur le marché des génériques, n’auraient pas permis, selon la requérante, l’entrée de ses produits génériques sur le marché avant le terme des accords litigieux. Dès lors, la Commission aurait dû, selon elle, évaluer la durée probable de ces litiges dans la décision attaquée.

149    Il convient de constater toutefois, à l’instar de la Commission, que cette interprétation n’est pas corroborée par les faits, tels qu’ils ressortent notamment des points 74 à 80 ci-dessus, qui démontrent que Merck (GUK) était prête à entrer sur le marché du Royaume-Uni de façon imminente, dès que les brevets originaires de Lundbeck auraient expiré, c’est-à-dire, en principe, en janvier 2002 et au plus tard au cours du premier trimestre de l’année 2002. Il importe de rappeler, en outre, que Merck (GUK) avait déjà obtenu une AMM pour le Royaume-Uni le 9 janvier 2002 et qu’elle s’apprêtait à obtenir des AMM similaires dans plusieurs autres États de l’EEE. Il ressort par ailleurs du plan stratégique de Lundbeck pour l’année 2003, mentionné au considérant 206 de la décision attaquée, que Lundbeck elle-même avait confirmé que « l’entrée attendue du générique du citalopram au premier trimestre 2002 a[vait] été ajournée de manière très efficace jusqu’à octobre 2002 » et qu’« [i]l rest[ait] évident que l’absence de génériques pendant 10 mois de plus que prévu en 2002 conservera[it] un effet positif ».

150    Au vu de ces éléments, la requérante ne saurait prétendre que toute entrée sur le marché du citalopram aurait été impossible avant l’expiration des accords litigieux, même en l’absence de ceux-ci, en raison des actions en justice qui auraient pu être intentées par Lundbeck. En outre, comme cela a été exposé aux points 116 à 129 ci-dessus, il est loin d’être certain que, si de telles actions avaient été intentées par Lundbeck, celles-ci auraient inéluctablement débouché sur des mesures provisoires ou sur l’impossibilité pour la requérante d’entrer sur le marché pendant toute la durée des accords litigieux.

151    En tout état de cause, comme le rappelle à juste titre la Commission, elle n’était pas tenue de démontrer que la requérante serait entrée sur le marché avec certitude avant l’expiration des accords litigieux en l’absence de ceux-ci, mais uniquement qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes à cet effet, sans que celles-ci soient purement théoriques, qui témoignaient d’une capacité réelle d’entrée sur le marché dans un délai suffisamment court pour constituer une pression concurrentielle sur Lundbeck (voir, en ce sens, arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 82 supra, EU:T:2011:181, point 168).

152    Certes, la Commission ne saurait se fonder sur des possibilités purement théoriques, qui ne seraient nullement réalisables en pratique, afin d’établir l’existence d’un concurrence potentielle. Cependant, la Commission ne saurait non plus être tenue de démontrer que ces possibilités se seraient matérialisées avec certitude dans la réalité, en l’absence des accords litigieux, ni d’établir laquelle de ces possibilités avait le plus de probabilités de se produire. Il suffit que la Commission établisse, en se fondant sur des éléments objectifs, que des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché existaient au moment de la conclusion des accords litigieux, ce qui est le cas en l’espèce (points 74 à 80 ci-dessus).

153    Dès lors, puisqu’au moins deux des huit voies d’accès possibles au marché identifiées par la Commission au considérant 635 de la décision attaquée (point 72 ci-dessus), à savoir le lancement à risque et la possibilité d’obtenir l’invalidité du brevet de Lundbeck devant les juridictions nationales, constituaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché pour Merck (GUK), c’est en vain que celle-ci tente de démontrer que les autres voies identifiées de manière générale par la Commission au même considérant ne lui auraient pas permis d’entrer sur le marché en l’absence des accords litigieux.

154    En tout état de cause, s’agissant de la cinquième voie identifiée au considérant 635 de la décision attaquée (point 72 ci-dessus), celle-ci concerne la possibilité de demander la nullité ou la limitation du brevet sur la cristallisation (ou de tout autre brevet) de Lundbeck devant les autorités nationales compétentes en matière de brevet ou devant l’OEB. La requérante estime, à cet égard, que le précédent concernant Merck dura, une filiale de Merck en Allemagne, invoqué par la Commission au considérant 166 de la décision attaquée, n’est pas approprié dans la mesure où la procédure d’opposition intentée par celle-ci n’a pas abouti avant l’expiration des accords litigieux.

155    Or, à cet égard, force est de constater à nouveau que le fait même qu’une action similaire intentée par Merck dura ait abouti, même après l’expiration des accords litigieux, ne signifie pas qu’une entrée sur le marché du Royaume-Uni ou de l’EEE ne constituait pas une possibilité réelle et concrète pour la requérante, mais témoigne, au contraire, du fait que celle-ci exerçait une pression concurrentielle sur Lundbeck dans plusieurs États de l’EEE.

156    Enfin, s’agissant des trois dernières hypothèses identifiées au considérant 635 de la décision attaquée (point 72 ci-dessus), celles-ci concernent les possibilités de se tourner vers un autre IPA fondé sur un procédé qui ne violait pas les brevets de Lundbeck ou de changer de producteur d’IPA. Selon la requérante, celles-ci seraient totalement irréalistes puisque, premièrement, Merck (GUK) aurait été liée par un contrat d’approvisionnement exclusif auprès de Schweizerhall pour une période de huit ans, deuxièmement, aucune version non contrefaisante du citalopram n’aurait été disponible à l’époque et, troisièmement, à supposer même qu’un changement de procédé eût été possible, il n’aurait pas permis une commercialisation plus rapide du citalopram générique, une telle procédure pouvant durer entre 14 et 25 mois, voire plus longtemps.

157    La requérante ne saurait prétendre, toutefois, que ces trois dernières voies ne représentaient pas des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché.

158    En effet, premièrement, même si Merck (GUK) était en principe tenue de s’approvisionner auprès de Natco en vertu de son contrat d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall (point 78 ci-dessus), cet accord aurait sans doute pu être résilié en cas de contrefaçon et, dans le cas contraire, Natco aurait pu modifier sa méthode de production afin de contourner les brevets de Lundbeck en se fondant sur des procédés non contrefaisants (point 128 ci-dessus).

159    Deuxièmement, comme le fait valoir la Commission, l’affirmation selon laquelle il n’existait aucune version non contrefaisante du citalopram générique n’est pas corroborée par les faits. D’une part, il convient de rappeler que tout producteur d’IPA aurait pu se fonder sur les procédés originaires de cyanation et d’alkylation tels que publiés avec le brevet sur l’IPA de Lundbeck, qui avait expiré (point 5 ci-dessus). Ainsi, il ressort du considérant 158 de la décision attaquée que, dans le cadre du litige Lagap, qui portait sur le citalopram générique sous forme d’IPA produit par Matrix, un autre producteur indien de citalopram générique, un conseiller de Lundbeck a reconnu que Matrix « faisait la cyanation de manière plus efficace que ce qu’ils avaient pensé jusqu’alors », ce qui démontre qu’il était possible de produire du citalopram générique à une échelle industrielle en se fondant sur les brevets originaires de Lundbeck.

160    D’autre part, Lundbeck a elle-même confirmé que ses nouveaux brevets de procédé n’étaient pas capables de bloquer toutes les possibilités d’entrer sur le marché, même si le procédé fondé sur la cristallisation semblait être le plus efficace. Ainsi, à titre d’exemple, la Commission relève, au considérant 163 de la décision attaquée, que Niche Generics Ltd est entrée sur le marché en obtenant une déclaration de non-contrefaçon pour le citalopram générique de Sekhsaria, un producteur indien d’IPA. Il ressort par ailleurs des éléments de preuve mentionnés au considérant 634 de la décision attaquée que, en mars 2002, les experts en matière de brevet de Lundbeck ont même déclaré qu’« il était possible de produire un IPA qui ne [requérait] probablement pas la cristallisation de la base libre », c’est-à-dire qui n’était pas fondé sur le brevet sur la cristallisation de Lundbeck. Le vice-président de Lundbeck a également déclaré dans un communiqué de presse du 9 novembre 2002 qu’« il serait naïf de penser qu’il n’est pas possible pour des producteurs de génériques de produire du Cipramil sans enfreindre notre brevet ».

161    Troisièmement, il ressort des statistiques de la UK Medicines Control Agency (agence de contrôle des médicaments du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) mentionnées au considérant 86 de la décision attaquée que la modification d’importance majeure d’une AMM, dite de « type II », au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 541/95 de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par l’autorité compétente d’un État membre (JO L 55, p. 7), qui est la procédure utilisée lorsqu’une entreprise de génériques ayant déjà obtenu une AMM souhaite changer de fournisseur d’IPA et donc de procédé de fabrication, prenait en principe au maximum 90 jours, comptés à partir de l’envoi de la demande fondée sur un dossier complet. Pour une modification dite de « type I », qui est la procédure utilisée pour apporter des modifications mineures à une AMM existante sans changer de fournisseur d’IPA, le délai maximal était de 30 jours (considérant 86 de la décision attaquée). Les délais de 14 à 25 mois sur lesquels se fonde la requérante, mentionnés par la Commission au considérant 85 de la décision attaquée, ne sont donc pas pertinents, puisqu’ils concernent les délais totaux requis pour l’octroi d’une AMM initiale et non pour la modification d’une AMM existante.

162    Partant, il convient de conclure au rejet de ce grief également.

d)     Sur le grief selon lequel la Commission aurait dû examiner la situation concurrentielle dans chaque État membre de l’EEE afin de pouvoir conclure à l’existence d’une concurrence potentielle dans l’ensemble de l’EEE

163    La requérante fait valoir que les marchés de produits pour la fourniture de produits pharmaceutiques tels que le citalopram ont une portée nationale, de sorte que la Commission aurait dû évaluer si Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels dans chaque État membre de l’EEE dans lequel elle a constaté une infraction, au lieu de procéder à une appréciation unique pour l’ensemble de l’EEE. Elle rappelle que, au moment de la conclusion de l’accord pour l’EEE, Merck (GUK) n’avait pas obtenu d’AMM en Grèce, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Islande et au Lichtenstein et qu’elle n’avait pas obtenu l’approbation du prix et l’inscription sur la liste des médicaments remboursés en France. En outre, après l’expiration de l’accord pour l’EEE, Merck (GUK) n’aurait toujours pas été en mesure de commercialiser son générique dans une série d’États, dont le Danemark, le Luxembourg, le Portugal et la Norvège, pour des raisons totalement étrangères à l’accord pour l’EEE.

164    Il y a lieu de constater, toutefois, contrairement à ce que fait valoir la requérante, que, pour conclure à l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck dans l’ensemble de l’EEE, la Commission n’était nullement tenue d’établir que Merck (GUK) serait effectivement entrée sur le marché du citalopram dans tous les États membres de l’EEE pendant la durée des accords litigieux, ni qu’elle avait déjà obtenu une AMM dans tous ces États, mais uniquement qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes à cet effet, sans que celles-ci soient purement théoriques, qui témoignaient d’une capacité réelle d’entrer sur le marché dans un délai suffisamment court pour constituer une pression concurrentielle sur Lundbeck (voir, en ce sens, arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 82 supra, EU:T:2011:181, point 168).

165    Or, l’analyse effectuée par la Commission aux considérants 827 à 840 de la décision attaquée (points 78 à 80 ci-dessus) et les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée à cet égard démontrent que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels sur l’ensemble du territoire de l’EEE au moment de conclure l’accord pour l’EEE. La circonstance que, dans certains États, l’obtention d’une AMM aurait pu prendre plus de temps ou que le produit générique ne figurait pas sur la liste des médicaments remboursés ne permet pas d’altérer cette conclusion.

166    Il convient de rappeler, en outre, que Merck (GUK) est effectivement entrée sur le marché du Royaume-Uni en août 2003 ainsi que sur le marché suédois, par le biais de NM Pharma, de mai à octobre 2002. Cela témoigne non seulement du fait que Merck (GUK) était un concurrent effectif de Lundbeck au Royaume-Uni et en Suède, mais également du fait qu’elle était un concurrent potentiel de Lundbeck dans l’ensemble de l’EEE, en raison de l’utilisation de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83, au moment de conclure les accords litigieux (point 79 ci-dessus).

167    Par ailleurs, le fait même que l’accord pour l’EEE couvre l’ensemble du territoire de l’EEE (à l’exclusion du Royaume-Uni) démontre que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme une menace potentielle sur l’ensemble de ce territoire et que cette dernière disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés de l’EEE au moment de conclure les accords litigieux.

168    En outre, il ressort de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des différences existant entre les États de l’EEE lorsque celles-ci se révélaient pertinentes aux fins d’examiner l’existence d’une concurrence potentielle sur ce territoire. Ainsi, la Commission a mentionné, au considérant 827 de la décision attaquée, que le brevet sur l’IPA de Lundbeck n’expirait qu’en avril 2003 en Autriche, à la différence des autres États membres. Elle a également examiné la situation en ce qui concerne les AMM dans différents États de l’EEE aux considérants 326, 347 et 827 à 830 de la décision attaquée.

169    C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a conclu, dans la décision attaquée, que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux.

3.     Sur l’existence d’une concurrence réelle entre Lundbeck et Merck (GUK) à l’époque des faits

170    S’agissant du grief selon lequel la Commission aurait conclu à tort qu’il existait une concurrence réelle entre Lundbeck et Merck (GUK) pendant la période pertinente, il y a lieu de relever d’emblée qu’un tel grief est inopérant et, en tout état de cause, non fondé.

171    En effet, à supposer qu’un tel grief soit fondé, il ne serait pas à même de remettre en cause la conclusion selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux. Or, la Commission n’était nullement tenue d’établir que Merck (GUK) et Lundbeck étaient effectivement concurrents au moment de conclure les accords litigieux. Elle s’est uniquement fondée sur les deux exemples portant sur le marché du Royaume-Uni et le marché suédois afin de démontrer que Merck (GUK) et Lundbeck étaient à tout le moins des concurrents potentiels au moment de conclure ces accords.

172    En tout état de cause, il convient de souligner, à l’instar de la Commission, que la requérante ne conteste pas qu’elle est effectivement entrée sur le marché du Royaume-Uni du 1er au 4 août 2003, c’est-à-dire immédiatement après la fin prévue pour la première prorogation de l’accord UK, le 31 juillet 2003. Elle ne conteste pas non plus que NM Pharma est effectivement entrée sur le marché suédois pendant cinq mois, du 21 mai au 22 octobre 2002, avant que l’accord pour l’EEE ne soit conclu.

173    Il ressort de ces éléments factuels, qui n’ont pas été contestés par la requérante, que Merck (GUK) était un concurrent effectif de Lundbeck au Royaume-Uni du 1er au 4 août 2003 ainsi qu’en Suède de mai à octobre 2002, par le biais de son distributeur NM Pharma. À cet égard, même si NM Pharma était une entreprise différente, comme le rappelle la requérante, elle était le distributeur exclusif de Merck (GUK) en Suède et il ressort des courriels internes de Merck (GUK) et de Lundbeck, mentionnés aux considérants 314 et 319 de la décision attaquée, que c’est avec Merck (GUK) et non avec NM Pharma que Lundbeck a négocié l’accord pour l’EEE, par lequel Merck (GUK) s’est notamment engagée à ne plus fournir de citalopram générique à NM Pharma en Suède. Lundbeck a pu, par ce biais, obtenir avec succès le retrait des génériques du marché suédois et, par ce biais, d’une partie substantielle du territoire de l’EEE (point 79 ci-dessus).

174    La requérante estime néanmoins qu’une telle entrée sur le marché était une entrée « à risque » et illégale, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme l’exercice légitime d’une concurrence réelle ou potentielle.

175    Une telle argumentation ne saurait prospérer.

176    En effet, la jurisprudence rappelée aux points 81 à 87 ci-dessus exige uniquement de démontrer que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes et de la capacité d’entrer sur le marché, ce qui est certainement le cas lorsqu’une entreprise de génériques parvient à entrer, même à ses propres risques, sur le marché.

177    Dès lors, la requérante ne saurait prétendre que de telles possibilités réelles et concrètes n’existaient pas en l’espèce, alors même qu’elle avait vendu des comprimés pour une valeur de 3,3 millions de GBP au Royaume-Uni en août 2003 et que NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) en Suède, avait effectué pendant près de cinq mois des ventes « très encourageantes » (considérant 837 de la décision attaquée) sur le marché suédois, avant la conclusion de l’accord pour l’EEE, sans être inquiétée par Lundbeck (point 127 ci-dessus).

178    En outre, l’argument de la requérante repose sur la prémisse erronée selon laquelle, d’une part, ses produits génériques violaient certainement les brevets de Lundbeck et, d’autre part, ces brevets auraient inévitablement résisté aux exceptions d’invalidité soulevées par elle dans le cadre d’éventuelles actions en contrefaçon.

179    Or, s’il est vrai que les brevets sont présumés valides jusqu’à ce qu’ils soient expressément révoqués ou invalidés par une autorité ou une juridiction compétente à cet effet, une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci.

180    En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que la possibilité pour une entreprise de génériques de commercialiser ses produits génériques sur le marché, qui se matérialise par l’obtention d’une AMM, n’est pas conditionnée par la démonstration de ce que ces produits ne sont pas contrefaisants (considérant 624 de la décision attaquée), ce que les parties ne contestent pas.

181    C’est donc à tort que la requérante estime qu’une entrée à risque sur le marché ne saurait suffire pour établir l’existence d’une relation de concurrence à tout le moins potentielle entre elle et Lundbeck. C’est en vain également que la requérante prétend que Merck (GUK) et Lundbeck n’étaient pas des concurrents réels pendant une certaine période en Suède et au Royaume-Uni, puisqu’une telle démonstration n’était pas nécessaire afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre celles-ci.

182    Partant, l’ensemble des arguments de la requérante soulevés dans le cadre des quatrième et sixième moyens, en ce qu’ils visent à remettre en cause la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux, doivent être rejetés.

III –  Sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

183    Par l’ensemble de ces moyens, la requérante met en cause l’interprétation, effectuée par la Commission, de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (premier moyen) et la théorie du préjudice sur laquelle elle s’est fondée à cet égard afin de conclure que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de cette disposition (deuxième moyen). Elle estime, en outre, que la Commission n’a pas dûment tenu compte du contexte matériel, économique et juridique, qui montre que, sans les accords litigieux, Merck (GUK) ne serait pas entrée plus rapidement sur le marché du Royaume-Uni et sur les autres marchés de l’EEE (quatrième moyen). Elle considère, par ailleurs, que la Commission a commis une erreur d’appréciation en examinant la portée des accords litigieux (cinquième moyen) et en concluant qu’elle avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux (septième moyen), ainsi que dans ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur effectué en vertu de ces accords (huitième moyen).

184    Avant d’examiner les différents moyens de la requérante, il convient d’effectuer un bref rappel de la jurisprudence pertinente ainsi que de l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée pour qualifier, en l’espèce, les accords litigieux de restriction de la concurrence par objet, tout en examinant les arguments plus généraux présentés par la requérante à cet égard.

A –  Principes et jurisprudence applicables

185    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit ce qui suit :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur […] et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

186    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359, 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

187    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 186 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

188    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir arrêt CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 51 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

189    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 186 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

190    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 186 supra, EU:C:2013:160, point 36, et CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 53).

191    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 186 supra, EU:C:2013:160, point 37, et CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 54).

192    C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner si la Commission pouvait à bon droit qualifier les accords litigieux de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au regard du contenu, de la finalité et du contexte de ces accords.

B –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

193    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords (point 31 ci-dessus).

194    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords litigieux avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré avant la conclusion des accords litigieux, mais que celle-ci avait obtenu – ou était sur le point d’obtenir – plusieurs brevets de procédé au moment où ces accords avaient été conclus, dont le brevet sur la cristallisation. La Commission a considéré, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci (considérant 638 de la décision attaquée).

195    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords amiables en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé ») (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

196    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords litigieux entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché d’un citalopram générique jugé par les parties aux accords comme contrefaisant potentiellement ces brevets et non celle de tout type de citalopram générique, ceux-ci seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

197    En d’autres termes, selon la Commission, les accords litigieux avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

198    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas établi, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords litigieux avaient pour objet de restreindre la concurrence par objet, au sens de cette disposition, en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

199    C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les différents moyens de la requérante.

C –  Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son interprétation du concept de restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE

200    La requérante rappelle, tout d’abord, les principes juridiques pertinents aux fins d’établir une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, il conviendrait d’examiner si l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel il doit être appliqué, présente un degré suffisant de nocivité pour la concurrence. Une telle présomption du caractère nocif pour la concurrence ne trouverait à s’appliquer que si elle repose sur la gravité de la restriction et sur l’expérience, qui démontre que ces restrictions sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur le marché. La notion de restriction par objet devrait donc être comprise de manière restrictive et se limiter aux cas dans lesquels il existe un risque intrinsèque d’effets préjudiciables particulièrement graves pour la concurrence.

201    Selon la requérante, l’approche adoptée par la Commission au considérant 652 de la décision attaquée notamment serait erronée, puisqu’elle se serait appuyée sur une formulation, non reconnue par la jurisprudence, selon laquelle le critère décisif pour établir une restriction par objet serait de savoir si un accord a pour but objectif de restreindre la concurrence. La Commission se serait en outre écartée de sa propre approche en la matière, telle que définie dans les lignes directrices concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] (JO 2004, C 101, p. 97), et aurait appliqué un niveau d’exigence moins strict que dans ces lignes directrices.

202    Ainsi, la requérante prétend que l’arrêt du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, Rec, EU:C:2011:649), cité par la Commission à l’appui de son approche, se différencie du cas d’espèce, dans la mesure où, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait déjà précisé dans ses lignes directrices que le type de restrictions visées, consistant en une interdiction des ventes passives sur Internet, constituait une restriction par objet.

203    De même, la pertinence de l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), sur lequel la Commission s’appuie dans la décision attaquée, est remise en cause par la requérante, dans la mesure où cet arrêt rappellerait explicitement que les effets restrictifs d’une pratique déterminée doivent apparaître de façon manifeste, sans qu’une analyse complète de ceux-ci soit nécessaire, pour pouvoir qualifier cette pratique de restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE.

204    En réponse à une question du Tribunal sur les conséquences à tirer de l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), la requérante a fait valoir que cet arrêt confirmait son interprétation selon laquelle la notion de restriction de la concurrence par objet devait être appliquée de manière restrictive et être réservée aux cas dans lesquels il n’y avait aucun doute quant au caractère nocif de l’accord ou de la pratique concernée pour la concurrence. Or, en l’espèce, il n’y aurait pas de telle certitude puisque, en l’absence des accords litigieux, il n’est pas certain que les entreprises de génériques auraient pu entrer sur le marché, en raison des brevets de procédé détenus par Lundbeck. Ainsi, à la différence des autres affaires dans lesquelles une restriction par objet a pu être constatée, il n’y aurait pas, en l’espèce, d’effets nocifs clairement identifiables sur la concurrence.

205    Dès lors, selon la requérante, si un règlement amiable en matière de brevets prévoyant des paiements inversés peut, en théorie, restreindre la concurrence dans des circonstances qu’il est, par définition, impossible de vérifier, la Commission ne saurait qualifier de restriction de la concurrence par objet des accords contenant de tels paiements.

206    La Commission conteste ces arguments.

207    Il convient de relever, tout d’abord, qu’il ressort du rappel de jurisprudence effectué ci-dessus, issu notamment de l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), que, par cet arrêt, la Cour n’a pas remis en cause les principes de base concernant la notion de restriction par objet tels qu’ils résultent de la jurisprudence antérieure.

208    Certes, dans l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204, point 58), la Cour a rejeté l’analyse du Tribunal effectuée dans l’arrêt CB/Commission, point 203 supra (EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. La Cour a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (point 186 ci-dessus).

209    Cependant, c’est à tort que la requérante fait valoir que la Commission aurait dû examiner les effets des accords litigieux, dans la mesure où, si la Commission établit à suffisance de droit que ces accords pouvaient être considérés, par leur contenu et la portée de leurs dispositions et de leurs objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme suffisamment nocifs pour la concurrence, elle n’est pas tenue, en outre, d’examiner les effets concrets de ces accords sur la concurrence pour pouvoir établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (points 186 à 190 ci-dessus).

210    Or, il ressort de l’économie d’ensemble de la décision attaquée, notamment des considérants 802, 821, 871, 1300, 1331, 1332, 1338, 1361 et 1362, que la Commission a considéré que les accords litigieux s’apparentaient à des accords d’exclusion du marché, qui figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence et qui étaient donc, de par leur nature même, nocifs au fonctionnement normal du jeu de la concurrence. Ce faisant, la Commission a correctement appliqué la jurisprudence rappelée aux points 186 à 191 ci-dessus.

211    La Commission a également rappelé le libellé de ses lignes directrices concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] (point 201 ci-dessus) au considérant 656 de la décision attaquée ainsi que des extraits de ses lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale (point 60 ci-dessus) aux considérants 654 et 655 de la décision attaquée aux fins d’interpréter la notion de restriction de la concurrence par objet, sans que la requérante ait démontré en quoi la Commission aurait commis une erreur de droit à cet égard. En effet, il ressort de ces deux instruments que les accords qui visent à répartir les marchés et les consommateurs figurent parmi les restrictions de la concurrence par objet et que l’un des objectifs ultimes de l’article 101 TFUE est de protéger le processus concurrentiel.

212    Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en lui-même, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

213    En outre, il y a lieu de rappeler que la notion de restriction de la concurrence par objet ne donne pas lieu à une présomption irréfragable, dès lors que la jurisprudence a reconnu que l’article 101, paragraphe 3, TFUE avait vocation à s’appliquer également à de telles restrictions (voir, en ce sens, arrêts Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, point 202 supra, EU:C:2011:649, point 59, et du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T‑17/93, Rec, EU:T:1994:89, point 85).

214    Il ressort de ce qui précède que la requérante ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir appliqué le test juridique pertinent en l’espèce.

215    Il importe néanmoins de vérifier si, sur la base des éléments de preuve dont disposait la Commission au moment d’adopter la décision attaquée, c’est à bon droit que celle-ci a conclu qu’il ressortait du contenu des accords litigieux, de leurs objectifs et de leur contexte économique et juridique qu’ils pouvaient être considérés comme étant particulièrement nocifs pour la concurrence et donc être qualifiés de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

D –  Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la théorie du préjudice appliquée par la Commission est fondamentalement erronée

216    Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que la théorie du préjudice appliquée par la Commission dans la décision attaquée est fondamentalement erronée. Ce moyen se subdivise en quatre branches.

1.     Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas dûment compte du fait que Lundbeck détenait le brevet sur la cristallisation

217    La requérante rappelle tout d’abord qu’un brevet confère un droit exclusif de commercialisation de l’invention à son titulaire, afin de garantir une compensation suffisante à l’inventeur et de préserver de façon générale l’intérêt à investir dans la recherche et le développement et à stimuler l’innovation. La Cour aurait confirmé, dans son arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper (15/74, Rec, EU:C:1974:114), que, en matière de brevets, l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon.

218    Ainsi, selon la requérante, l’idée selon laquelle les droits de propriété intellectuelle valides doivent pouvoir être pleinement exercés et protégés de manière à récompenser l’innovation se retrouve dans la théorie de la validité présumée des brevets selon laquelle, une fois accordés, les brevets sont présumés valides. Cette présomption de validité serait expressément reconnue par le droit de l’Union et notamment par l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, Rec, EU:T:2010:266, point 362). Il en découlerait qu’un règlement amiable en matière de brevets retardant l’entrée sur le marché d’un générique, dans le cadre d’un brevet valablement octroyé, ne restreint pas la concurrence puisque, en l’absence de tout règlement de cette nature, le brevet présumé valide interdit déjà l’entrée sur le marché de ce générique.

219    La requérante fait valoir que, en l’espèce, Lundbeck était titulaire d’un brevet sur la cristallisation que le citalopram générique aurait violé. Ce brevet n’aurait fait l’objet d’aucune décision juridictionnelle dans l’EEE et n’aurait donc été déclaré invalide par aucune juridiction nationale. La Commission n’aurait pas non plus effectué d’appréciation de la validité du brevet sur la cristallisation dans la décision attaquée, de sorte que Lundbeck était titulaire d’un brevet présumé valide au moment de la conclusion des accords litigieux, qui l’autorisait à s’opposer à l’entrée sur le marché de médicaments génériques, ce qui signifie que les accords litigieux n’ont pas entraîné d’entraves à la concurrence autres que celles qui auraient pu être obtenues légalement en l’absence de ceux-ci.

220    Selon la requérante, l’approche ex ante adoptée par la Commission dans la décision attaquée aurait pour conséquence absurde qu’un règlement amiable en matière de brevets qui se contenterait de limiter l’entrée sur le marché d’un générique qui aurait violé illégalement un brevet valide constituerait néanmoins une restriction de la concurrence par objet, pour la seule raison que, au moment où l’accord a été conclu, il était impossible de prévoir avec certitude l’issue des procédures portant sur la validité du brevet. Une telle analyse serait fondamentalement viciée. Une restriction de concurrence ne pourrait être constatée que lorsqu’un accord aboutit à un marché moins concurrentiel que celui qui aurait existé en l’absence d’accord et le seul fait qu’un litige entre entreprises ait été évité serait totalement dénué de pertinence au regard du droit de la concurrence.

221    La requérante estime, dès lors, que la Commission aurait dû effectuer sa propre appréciation de la validité du brevet dans la décision attaquée afin de pouvoir constater une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, d’une part, l’approche adoptée par la Commission viderait de son sens la présomption de validité des brevets et serait hautement préjudiciable aux objectifs de politique publique qui sous-tendent le système des brevets. S’il est possible d’établir une analogie entre les abus du système des brevets condamnés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 218 supra (EU:T:2010:266), et un règlement amiable conclu alors que le brevet au centre du litige a été délivré de manière frauduleuse ou abusive, il n’en va pas de même lorsque le brevet a été valablement et légalement octroyé. D’autre part, l’approche de la Commission s’opposerait directement à l’intérêt public consistant à encourager la résolution amiable des litiges, qui constitue un moyen légitime de mettre fin à des conflits privés, puisque, en considérant que les actions en justice contre les brevets de procédé constituent l’expression d’une concurrence potentielle de la part des entreprises de génériques, elle ne laisserait aucune place au règlement amiable des litiges portant sur des brevets.

222    Donc, selon la requérante, la Commission aurait plutôt dû procéder à une évaluation ex post des accords litigieux, fondée sur l’ensemble des informations pertinentes dont elle disposait au moment de son appréciation, y compris par référence au contexte juridique pertinent. La question de savoir si un accord restreint la concurrence serait en effet une question objective qui concerne les effets sur le marché et non une question subjective concernant les intentions des parties au moment de conclure cet accord.

223    La Commission conteste ces arguments.

224    S’agissant, tout d’abord, de l’arrêt Centrafarm et de Peijper, point 217 supra (EU:C:1974:114), mentionné par la requérante, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cet arrêt n’exclut nullement l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE aux accords amiables qui peuvent être conclus en matière de brevets, mais qu’il prévoit au contraire que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par ledit article, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (voir, en ce sens, arrêt Centrafarm et de Peijper, point 217 supra, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

225    De même, selon la jurisprudence, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, ci-après l’« arrêt Windsurfing », EU:C:1986:75, point 26). La Cour a également précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (arrêt Windsurfing, précité, EU:C:1986:75, point 92).

226    Dès lors, s’il est vrai que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt Centrafarm et de Peijper, point 217 supra, EU:C:1974:114, point 9), l’existence d’un brevet n’implique pas le droit d’exclure de manière temporaire ou définitive un concurrent réel ou potentiel du marché, sous couvert de régler certains litiges à l’amiable, lorsque l’issue de tels litiges est hautement incertaine et qu’il ressort à la fois du contenu des accords en cause et du contexte dans lequel ils ont été conclus que l’objectif de ces accords était de restreindre la concurrence.

227    Contrairement à ce que fait valoir la requérante, cela ne remet pas en question la présomption de validité attachée aux brevets, mais une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité de tous les produits valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, comme le rappelle la Commission, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée à risque n’étant pas illégale en elle-même. Par ailleurs, il eût été possible, en cas d’action en contrefaçon intentée par Lundbeck contre les producteurs de génériques, que ceux-ci contestent la validité du brevet dont se prévalait Lundbeck, par le biais d’une action reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé dont le détenteur de brevet se prévaut. Ainsi, il ressort des éléments de preuve figurant aux considérants 157 et 745 de la décision attaquée que Lundbeck estimait elle-même cette probabilité à hauteur de 50 à 60 % en ce qui concerne le brevet sur la cristallisation.

228    Or, selon la jurisprudence, le fait même qu’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché puisse être écartée par le biais d’un accord entre concurrents suffit, en principe, pour rendre l’objet de cet accord contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

229    En outre, la Commission n’était pas tenue d’effectuer sa propre appréciation de la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck dans le cadre d’une analyse fondée sur la notion de restriction par objet, en l’absence de jugement définitif portant sur l’existence d’une contrefaçon et sur la validité des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales (considérants 185 et 671 de la décision attaquée).

230    En effet, bien que certains litiges aient été portés devant les juridictions nationales, dont le litige Lagap au Royaume-Uni, qui a abouti à un règlement amiable, aucun n’a abouti à un jugement définitif réglant la question de la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck ou la question de la contrefaçon des produits génériques de Natco vendus par Merck (GUK) (considérant 159 de la décision attaquée).

231    L’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée, qui consiste à tenir compte de l’existence des brevets de procédé de Lundbeck et à examiner la perception, par les parties aux accords litigieux, des brevets de Lundbeck et, en particulier, du brevet sur la cristallisation, au moment de conclure ces accords (considérant 669 de la décision attaquée), est conforme à l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75, point 26), dans lequel la Cour a considéré qu’il n’appartenait pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, mais qu’elle ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE.

232    Or, il ressort des éléments de preuve figurant notamment au considérant 838 de la décision attaquée que Merck (GUK) était particulièrement confiante dans le fait que le citalopram de Natco ne violait pas le brevet sur la cristallisation de Lundbeck et que, au moment où les accords litigieux ont été conclus, Merck (GUK) comptait lancer son produit au Royaume-Uni ainsi que dans plusieurs États de l’EEE dans un futur proche. Par ailleurs, il ressort des éléments de preuve figurant au considérant 754 de la décision attaquée que Merck (GUK), à l’instar d’autres entreprises de génériques, doutait de la validité du brevet sur la cristallisation et estimait que ses chances de pouvoir l’emporter en cas de contentieux avec Lundbeck étaient élevées.

233    Ces éléments confirment que la Commission a bien pris en compte l’existence du brevet sur la cristallisation de Lundbeck comme un des éléments de contexte permettant d’établir l’existence d’une restriction par objet en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

234    Enfin, il convient de rappeler que la décision attaquée ne condamne pas tous les règlements amiables en matière de brevets, mais uniquement ceux qui, comme en l’espèce, s’apparentent à des accords d’exclusion du marché, en raison de la présence d’un ensemble de facteurs (points 31 et 198 ci-dessus).

235    Le grief de la requérante doit, dès lors, être rejeté.

2.     Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en traitant les règlements amiables en matière de brevets comme s’ils étaient des accords d’exclusion du marché

236    La requérante estime que la Commission a commis une erreur de droit en assimilant les accords litigieux, qui concernaient des règlements amiables en matière de brevets, aux accords d’exclusion du marché tels que ceux qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), ou dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juin 2011, Gosselin Group/Commission (T‑208/08 et T‑209/08, Rec, EU:T:2011:287). Ces deux affaires seraient fondamentalement différentes puisque, en l’espèce, Lundbeck disposait d’un droit légitime de s’opposer aux violations de son brevet.

237    En réalité, selon la requérante, les accords litigieux ne restreignaient pas la concurrence par rapport au scénario qui se serait produit en l’absence des accords litigieux (ci-après le « scénario contrefactuel ») et il serait insensé de considérer que les paiements prévus par ces accords auraient incité Merck (GUK) à ne pas lancer ses médicaments si l’entrée des médicaments génériques sur le marché n’avait pas pu avoir lieu plus rapidement en l’absence des accords litigieux. Or, ces accords auraient été conclus en raison de la campagne agressive et incessante menée par Lundbeck afin de menacer Merck (GUK) d’actions en contrefaçon au Royaume-Uni et dans l’ensemble de l’EEE.

238    La Commission conteste ces arguments.

239     Il convient de constater, tout d’abord, que la Commission a fait référence aux arrêts BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), et Gosselin Group/Commission, point 236 supra (EU:T:2011:287), aux considérants 657 et 658 de la décision attaquée afin de relever certains points communs entre les affaires ayant donné lieu à ces arrêts et les accords litigieux.

240    Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), les entreprises présentes sur le marché avaient payé certains de leurs concurrents pour qu’ils acceptent de se retirer du marché, en vue d’améliorer leur situation par le biais du maintien de prix artificiellement élevés, au détriment des consommateurs.

241    De même, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gosselin Group/Commission, point 236 supra (EU:T:2011:287), les entreprises de déménagement concurrentes s’étaient mises d’accord pour ne pas se livrer concurrence, afin de maintenir des niveaux de prix plus élevés, toujours au détriment des consommateurs.

242    La Commission a reconnu, toutefois, que la principale différence entre ces affaires et les accords litigieux, par lesquels des concurrents potentiels se sont mis d’accord pour que les génériques n’entrent pas sur le marché, résultait du fait que ces accords avaient été conclus avec, en toile de fond, des règlements amiables en matière de brevets et une incertitude quant à l’issue de litiges éventuels portant sur ces brevets.

243    Ce faisant, la Commission n’a commis aucune erreur de droit.

244    En effet, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), les accords litigieux ont limité la faculté des opérateurs économiques de déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

245    Certes, à la différence des circonstances dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), les accords litigieux ont été conclus dans un contexte où Lundbeck possédait des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits les contrefaisant. Il y a lieu de rappeler, néanmoins, que, en l’espèce, l’existence des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck ne s’opposait pas à ce que les entreprises de génériques pussent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen des quatrième et sixième moyens ci-dessus. Or, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle (point 82 ci-dessus).

246    En outre, aux points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a en substance mis en exergue le fait que les accords visés par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 188 supra (EU:C:2008:643), modifiaient la structure du marché et présentaient un degré de nocivité tel qu’ils pouvaient être qualifiés de restriction par objet, alors que tel n’était pas le cas du comportement dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), qui consistait dans l’obligation faite à des banques de payer une redevance ou de limiter leurs activités d’émission de cartes bancaires.

247    À cet égard, à supposer même que les points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 40 supra (EU:C:2014:2204), puissent être lus en ce sens que la modification de la structure du marché est une condition sine qua non pour constater l’existence d’une restriction par objet, les accords litigieux ont affecté la structure des marchés concernés en l’espèce, dès lors qu’ils ont permis de retarder l’entrée de la requérante sur ces marchés, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions plus favorables pour le lancement du Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil à brève échéance (point 9 ci-dessus et considérants 129 à 132 de la décision attaquée).

248    Au demeurant, selon la jurisprudence, un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15). Par ailleurs, il peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).

249    Or, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ressort suffisamment des pièces du dossier et notamment du compte rendu de la réunion du 11 décembre 2001 mentionnés au considérant 255 de la décision attaquée que les accords litigieux ont incité Merck (GUK) à s’engager à ne pas entrer avec ses produits génériques sur le marché pendant la durée de ces accords au moyen d’un paiement inversé important. Ce faisant, comme l’a relevé la Commission aux considérants 644 à 646 de la décision attaquée, Lundbeck et Merck (GUK) ont pu se partager une partie des bénéfices dont a continué à jouir Lundbeck en vendant le Cipramil, au détriment des consommateurs qui ont continué à payer des prix plus élevés que ceux qu’ils auraient payés en cas d’entrée des génériques sur le marché.

250    Certes, il n’était pas certain, au moment de conclure les accords litigieux, que Merck (GUK) serait entrée sur le marché immédiatement sans devoir affronter Lundbeck dans le cadre d’éventuelles actions en contrefaçon. Cependant, comme cela a été relevé au point 227 ci-dessus, l’issue de telles actions était hautement incertaine et c’est précisément la transformation de cette incertitude, qui existait au moment de la conclusion des accords litigieux, en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée de ces accords au moyen de paiements inversés importants qui constitue une restriction de la concurrence par objet en l’espèce.

251    Au vu de ces considérations, il y a lieu de rejeter ce grief également.

3.     Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en n’analysant pas les effets réels des règlements amiables en matière de brevets

252    Par cette branche, la requérante insiste à nouveau sur le fait que, même si aucune juridiction n’avait finalement constaté la validité ou la violation du brevet sur la cristallisation, les accords n’auraient pas eu d’effet restrictif sur les marchés pertinents s’ils n’avaient pas retardé la commercialisation du citalopram générique de Merck (GUK), puisqu’une telle commercialisation n’aurait pas été plus rapide en l’absence des accords litigieux. Ainsi, afin de constater une violation de l’article 101 TFUE, la Commission aurait dû, dans un premier temps, identifier quelle aurait été la situation en l’absence des accords litigieux, puis, dans un deuxième temps, examiner si ces accords avaient eu un effet plus ou moins restrictif que le scénario contrefactuel. Or, la Commission se serait limitée, dans la décision attaquée, à présumer que les accords comportaient un risque intrinsèque d’effets préjudiciables particulièrement graves pour la concurrence en qualifiant ces accords de restriction par objet, sans apprécier, au regard des faits, si ces accords avaient eu des effets plus restrictifs que le scénario contrefactuel.

253    En outre, ce serait la première fois que la Commission analyserait des règlements amiables en matière de brevets, de sorte qu’elle ne pourrait pas se fonder sur l’expérience existante pour démontrer que ces règlements amiables produisent, par leur nature même, des effets anticoncurrentiels graves. La Commission aurait dû adopter une approche analogue à celle adoptée dans l’affaire Mastercard (décision du 19 décembre 2007, COMP 34.579, JO 2009, C 264, p. 8), dans laquelle elle avait considéré que, compte tenu du fait qu’il était clairement établi que les commissions d’interchange de Mastercard avaient eu pour effet de restreindre et de fausser la concurrence au préjudice des commerçants, il n’y avait pas lieu de tirer de conclusion définitive sur la question de savoir si ces commissions constituaient une restriction par objet.

254    La requérante fait valoir également que la Commission a changé d’avis durant la procédure, puisqu’elle a estimé, tout d’abord, que ces mêmes règlements amiables ne violaient pas l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ce qui ressortirait clairement du communiqué de presse du KFST de 2004, qui affirme ce qui suit :

« La Commission estime que nous nous trouvons dans une zone grise, mais n’a pas précisé à quel point nous sommes proches de la ‘zone noire’ en l’espèce. […] La Commission est d’avis que les paiements ne sont pas d’un montant tel que le dédommagement pouvait vraisemblablement être considéré comme un paiement visant à évincer un concurrent du marché. Il n’est donc pas certain que les accords restreignent la concurrence. C’est pourquoi la Commission ne souhaite pas ouvrir de procédure à l’encontre de Lundbeck. Cependant, au début de l’année 2004, la Commission lancera une enquête globale sur ce type d’affaires qui devrait déboucher sur l’élaboration d’une norme générale concernant leur mode de traitement. »

255    La requérante estime, dès lors, qu’une appréciation fondée sur les effets des accords litigieux plutôt que sur leur objet s’imposait en l’espèce. Premièrement, un tel examen aurait également été compatible avec le traitement de tels accords en droit américain. En effet, dans l’arrêt du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U.S. (2013), ci-après l’« arrêt Actavis »], la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) aurait refusé d’appliquer l’approche fondée sur un examen rapide, qui s’apparenterait à la notion de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et aurait considéré qu’il convenait d’appliquer la règle de raison à de tels accords, ce qui implique que l’administration est tenue de démontrer le bien-fondé de ses arguments.

256    Deuxièmement, une telle approche aurait été compatible avec l’examen, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, des clauses de non-contestation incluses dans les règlements amiables. En effet, la requérante prétend que GUK ne s’est pas engagée, dans les accords litigieux, à ne pas contester les brevets de Lundbeck. Ces accords ne fixeraient aucune limite à la capacité de GUK de contester les brevets de Lundbeck. De ce fait, la référence faite dans la décision attaquée à l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75), dans lequel la Cour a considéré qu’une clause de non-contestation incluse dans un accord de licence était illégale au motif qu’elle éliminait toute possibilité d’intenter des actions en justice contre les brevets sous licence, ne serait pas appropriée. Dans l’arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 248 supra (EU:C:1988:448), la Cour aurait également considéré qu’il ne saurait être présumé que les clauses de non-contestation incluses dans des règlements amiables ont des effets anticoncurrentiels. Par conséquent, la Commission ne saurait justifier la décision de qualifier les accords litigieux d’infraction par objet par le fait que ces derniers interdisent toute action en justice, puisque des considérations rigoureusement identiques ne l’ont pas empêchée de conclure que des clauses de non-contestation ne relevaient pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

257    La Commission conteste ces arguments.

258    Il convient de rappeler, tout d’abord, que, en vertu de la jurisprudence mentionnée au point 188 ci-dessus, la Commission n’est pas tenue d’examiner les effets concrets d’un accord sur le marché lorsque celui-ci a pour objet même de restreindre la concurrence, c’est-à-dire lorsqu’il ressort suffisamment de l’accord lui-même, pris dans son contexte, que celui-ci présente un caractère particulièrement nocif pour la concurrence et est susceptible de produire des effets négatifs sur la concurrence.

259    La requérante fait valoir néanmoins que la Commission ne pouvait pas appliquer la notion de restriction par objet en l’espèce, puisqu’elle se saisissait pour la première fois d’accords amiables conclus entre un détenteur de brevets et des entreprises de génériques.

260    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il est acquis que certains comportements collusoires peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 40 supra, EU:C:2014:2204, point 51).

261    Tel est le cas en l’espèce, puisque, par les accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) ont accepté de ne pas se faire concurrence sur le marché du citalopram pendant une certaine période, au détriment des consommateurs qui auraient pu bénéficier de médicaments génériques à un prix beaucoup plus bas en cas d’entrée de ces médicaments sur le marché (point 249 ci-dessus). Le fait que Lundbeck détenait certains brevets de procédé ne change rien à cette analyse, dans la mesure où, compte tenu des circonstances de l’espèce, qui faisaient de Merck (GUK) un concurrent potentiel de Lundbeck, ces brevets n’empêchaient pas l’entrée à risque de Merck (GUK) sur le marché et où l’issue de litiges potentiels quant à la validité de ces brevets ou au caractère contrefaisant des génériques était plus qu’incertaine (point 227 ci-dessus).

262    En outre, le fait que la Commission n’ait pas, par le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, par son objet même, restrictif de concurrence n’est pas de nature, en lui-même, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (point 212 ci-dessus).

263    S’agissant de la référence faite par la requérante à l’affaire Mastercard (point 253 ci-dessus), il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, une pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique à l’imposition d’amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernées, soient identiques (voir arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec, EU:C:2007:326, point 60 et jurisprudence citée).

264    En tout état de cause, si la Commission a, dans certains cas, préféré privilégier une approche fondée sur la démonstration des effets sur la concurrence, cela ne saurait la priver de la possibilité d’appliquer la notion de restriction par objet dans d’autres affaires, lorsque cela se révèle possible et justifié.

265    De même, le fait que la Commission a considéré dans son rapport final sur l’enquête sectorielle effectuée dans le domaine pharmaceutique que certains accords pouvaient requérir une analyse approfondie ne signifie pas qu’elle ne pouvait pas appliquer la notion de restriction par objet à ces accords, s’il se révélait, à l’issue d’un examen approfondi de leur contexte, qu’ils étaient, par leur nature même, suffisamment nocifs pour la concurrence et susceptibles de créer des effets négatifs sur la concurrence (points 187, 188 et 212 ci-dessus).

266    La requérante considère néanmoins que la Commission a « changé d’avis » puisque le KFST avait précisé dans un communiqué de presse du 28 janvier 2004 qu’il n’était « pas certain » que les accords litigieux restreignaient la concurrence et que la Commission estimait que ce type d’accords se situait dans une « zone grise ».

267    À cet égard, s’il est vrai que ce document fait référence à l’opinion de la Commission quant au caractère anticoncurrentiel des accords litigieux, il convient de constater qu’il ne s’agit pas d’un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services mais d’un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence. Or, il ressort de la jurisprudence que les autorités nationales de la concurrence ne peuvent pas faire naître à l’égard des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreint pas l’article 101 TFUE, dès lors que celles-ci ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence de violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 42 et jurisprudence citée).

268    En tout état de cause, ce document précise clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des producteurs de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique. De même, il ressort également du communiqué du KFST que tous les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels.

269    Or, c’est précisément à l’issue de cette enquête, qui lui a permis de se faire une idée plus précise du fonctionnement des accords amiables dans le domaine pharmaceutique, que la Commission a ouvert une procédure sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’encontre de Lundbeck et des producteurs de génériques tels que la requérante.

270    La requérante ne saurait donc prétendre que la Commission aurait changé d’avis et que cela l’empêcherait d’appliquer la notion de restriction par objet aux accords litigieux, dans la mesure où c’est précisément à l’issue d’une enquête approfondie sur le secteur pharmaceutique que la Commission a pu préciser son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent des paiements inversés importants, comme en l’espèce, en procédant à un examen approfondi de leur contenu, de leur contexte et de leur finalité (considérants 638 à 641 de la décision attaquée).

271    La requérante invoque également l’arrêt Actavis, point 255 supra, afin d’établir que la Commission aurait dû examiner les effets concrets des accords litigieux, plutôt que d’appliquer la notion de restriction par objet.

272    Or, à supposer même que la lecture de l’arrêt Actavis, point 255 supra, effectuée par la requérante soit fondée et que l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée ne corresponde pas à celle préconisée par la Supreme Court of the United States, il a déjà été jugé qu’une position adoptée par le droit américain ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union et qu’une violation du droit américain ne constitue pas, en tant que telle, un vice susceptible d’entraîner l’illégalité d’une décision adoptée sur le fondement du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, point 1407).

273    En tout état de cause, l’arrêt contenant l’avis majoritaire de la Supreme Court of the United States dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Actavis, point 255 supra – et non l’opinion dissidente du juge Roberts – établit clairement que le fait qu’un accord relève du champ d’application d’un brevet n’exclut pas que cet accord puisse faire l’objet d’une action antitrust. La notion de restriction par objet n’existant pas en droit américain et n’étant pas comparable à la règle « per se » en raison de la possibilité de justifier une telle restriction sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, il n’est pas exact d’assimiler la « rule of reason » en droit américain à l’examen des effets en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, comme le propose la requérante. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision attaquée ne s’appuie pas sur des présomptions, mais sur une analyse détaillée et minutieuse des accords litigieux, de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte, avant de conclure qu’ils restreignent la concurrence par leur objet même.

274    Enfin, la requérante fait valoir qu’une approche fondée sur les effets aurait été compatible avec l’examen des clauses de non-contestation incluses dans des règlements amiables qui a été effectué par la Cour dans l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75). En effet, selon elle, elle ne se serait pas engagée, dans les accords litigieux, à ne pas contester les brevets de Lundbeck.

275    Au considérant 601 de la décision attaquée, la Commission a rappelé l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75), dans lequel la Cour a considéré qu’une clause imposant aux licenciés de ne pas contester la validité des brevets sous licence ne relevait manifestement pas de l’objet spécifique du brevet, qui ne saurait être interprété comme garantissant également une protection contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort. Une telle obligation avait donc été considérée par la Cour comme une restriction illicite de la concurrence (arrêt Windsurfing, point 225 supra, EU:C:1986:75, points 92 et 93).

276    La Commission précise avoir fait référence à cet arrêt en soutien du principe selon lequel un accord restreint la concurrence s’il empêche la possibilité d’une concurrence non limitée par un brevet donné et du principe selon lequel un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet. Contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission ne soutient pas, toutefois, que les accords litigieux contenaient des clauses de non-contestation analogues à celles qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75). En revanche, la Commission a tenu compte du fait que ces accords ne prévoyaient aucune clause permettant à Merck (GUK) d’entrer directement sur le marché après leur expiration, tout en prévoyant que Lundbeck s’engagerait à ne pas intenter d’actions en contrefaçon à son égard à ce moment.

277    Il importe peu, dès lors, que Merck (GUK) ait été empêchée ou non de contester la validité des brevets de Lundbeck pendant la durée des accords litigieux, puisque la Commission ne s’est pas fondée erronément sur la présence de telles clauses de non-contestation dans les accords litigieux pour conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée (point 31 ci-dessus).

278    Partant, ce grief doit également être rejeté.

4.     Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de la pertinence des paiements inversés sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

279    La requérante conteste la distinction opérée par la Commission dans la décision attaquée entre, d’une part, les règlements amiables en matière de brevet qui ne prévoient aucun dédommagement pour l’entreprise de génériques et, d’autre part, ceux qui prévoient un tel versement en échange de son engagement de ne pas vendre la version générique du médicament breveté au cours de la période couverte par le brevet. En effet, selon l’approche adoptée par la Commission, alors que la première catégorie d’accords ne serait pas contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la seconde le serait. Une telle distinction serait illogique dans la mesure où le fait que le laboratoire de princeps puisse choisir de payer l’entreprise de génériques dans le cadre d’un règlement amiable n’aurait absolument aucune incidence sur la concurrence.

280    La requérante considère que la présence d’un paiement inversé n’est pas utile pour apprécier le caractère restrictif d’un règlement amiable. L’approche de la Commission selon laquelle l’engagement de ne pas entrer sur le marché ne découlerait pas d’un examen par les parties des mérites du droit exclusif lui-même, mais d’un transfert de valeur qui supplanterait cet examen et pousserait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses propres efforts pour entrer sur le marché serait fallacieuse et erronée. En effet, une telle approche ne tiendrait pas compte de l’asymétrie des risques et des bénéfices existant entre le titulaire d’un brevet convaincu de la validité de celui-ci et l’entreprise de génériques : même si le statut juridique du titulaire d’un brevet est solide, il existerait toujours un risque d’échec et ce faible risque constituerait toujours la plus grande incitation à conclure un règlement amiable. La Commission se serait fondée à tort sur l’idée selon laquelle l’existence d’un paiement inversé serait assimilable à un brevet affaibli, alors que la seule question pertinente serait celle de savoir si les accords litigieux ont restreint la concurrence par comparaison avec la situation qui aurait prévalu en l’absence de ceux-ci.

281    En outre, l’approche de la Commission selon laquelle le titulaire du brevet aurait payé l’entreprise de génériques pour avoir la certitude que celle-ci n’entrerait pas sur le marché pendant la durée des accords, plutôt que de rester dans l’incertitude quant à une éventuelle commercialisation du citalopram générique dans l’hypothèse d’une action en contrefaçon, serait contraire à la position de la Commission sur les clauses de non-contestation. D’une part, si l’approche de la Commission devait être suivie, chaque règlement amiable en matière de brevets prévoyant un paiement inversé constituerait une infraction par objet à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, même lorsque ce règlement relève du champ d’application matériel du brevet, même si le brevet était valide, contrefait et qu’il avait probablement été déclaré comme tel, et même si l’entrée du médicament générique sur le marché n’avait pas été plus rapide en l’absence d’un tel règlement. D’autre part, en considérant que le règlement d’un contentieux en matière de brevets au moyen d’un paiement ne relève pas de l’objet spécifique du brevet, la Commission méconnaîtrait la logique attachée aux droits de propriété intellectuelle, puisque l’issue d’une action en contrefaçon serait toujours incertaine (même une action sérieusement fondée n’aurait pas plus de 70 % de chances d’aboutir). Les accords litigieux ne pourraient dès lors être contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE que s’il était constaté qu’ils ont eu des effets anticoncurrentiels et non en considérant qu’un règlement amiable prévoyant un paiement inversé est, par principe, constitutif d’une restriction par objet.

282    La Commission conteste ces arguments.

283    Il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission n’a pas constaté que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant semblait correspondre aux bénéfices escomptés par l’entreprise de génériques, suffisait pour établir une violation des règles du traité sur la libre concurrence en l’espèce. Au contraire, la Commission a estimé que des accords amiables contenant certains paiements, même inversés, n’étaient pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, tant que de tels paiements étaient liés à la force du brevet concerné, telle que perçue par chacune des parties, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab Ltd, avec laquelle Lundbeck avait également conclu un accord amiable, qui n’avait pas été considéré comme problématique, alors même qu’il impliquait un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab s’accompagnait, d’une part, d’un engagement de celle-ci de ne pas demander de dommages-intérêts à Lundbeck devant les juridictions compétentes et, d’autre part, d’une renonciation, par Lundbeck, à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, le paiement inversé ne constituait donc pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement de ne pas entraver l’entrée sur le marché des génériques.

284    S’il est vrai que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les mêmes parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige Lagap, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné au fait que Lundbeck versât des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck eut finalement décidé de régler son litige Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à obtenir des dommages-intérêts, ce qui avait nécessité d’obtenir au préalable l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck avait préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement aux accords litigieux, le paiement inversé dans le cas de Neolab avait effectivement pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

285    En l’espèce, en revanche, la Commission a considéré à juste titre, en se fondant sur les éléments de preuve qui figurent notamment au considérant 809 de la décision attaquée, que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant correspondait, aux yeux de Merck (GUK), aux bénéfices qu’elle estimait pouvoir obtenir en entrant sur le marché du citalopram avec ses produits génériques, constituait l’un des facteurs pertinents à prendre en compte en tant qu’élément de contexte permettant d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 31 ci-dessus et considérant 824 de la décision attaquée).

286    En tout état de cause, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle démontre que les paiements inversés excédaient les bénéfices escomptés par Merck (GUK) en cas de commercialisation des génériques pour pouvoir établir l’existence d’une restriction par objet. La simple existence d’un paiement inversé pouvait donc être prise en compte par la Commission en tant qu’élément de contexte pertinent, afin d’établir l’existence d’une telle restriction. En effet, en l’absence d’autre explication plausible, un tel paiement peut être considéré comme une contrepartie aux restrictions prévues par les accords litigieux, étant donné qu’il n’est pas certain que Merck (GUK) aurait accepté de telles restrictions en l’absence de ce paiement et qu’il ressort des éléments de preuve mentionnés dans la décision attaquée qu’elle a accepté ces restrictions tant que les chiffres « se goupillaient » (considérants 255 et 299 de la décision attaquée).

287    En outre, comme le fait valoir la Commission, le caractère disproportionné d’un paiement inversé peut constituer une indication de ce que le titulaire du brevet a payé le fabricant de génériques pour qu’il s’abstienne d’entrer sur le marché, comme en l’espèce. L’importance d’un paiement inversé peut en effet constituer une indication de la force ou de la faiblesse d’un brevet, telle que perçue par les parties aux accords au moment de conclure ceux-ci, et du fait que le laboratoire de princeps n’était pas intimement convaincu de ses chances de succès en cas de litige. Ainsi, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a constaté, au considérant 640 de la décision attaquée, que, plus le laboratoire de princeps estimait que ses chances d’avoir un brevet révoqué ou non enfreint étaient élevées et plus le dommage résultant d’une entrée des génériques sur le marché était élevé, plus ce laboratoire serait enclin à verser des sommes importantes aux entreprises de génériques afin d’éviter ce risque. Dans le même sens, la Supreme Court of the United States a également considéré que la présence d’un paiement inversé important dans un accord de règlement amiable en matière de brevets pouvait constituer un substitut pour la faiblesse d’un brevet, sans qu’une juridiction doive procéder elle-même à un examen approfondi de la validité de ce brevet (voir, en ce sens, arrêt Actavis, point 255 supra).

288    Certes, comme le fait valoir la requérante, l’asymétrie des risques existant entre les parties aux accords peut conduire le laboratoire de princeps à effectuer un paiement inversé, afin d’éviter tout risque, même minime, que les génériques puissent entrer sur le marché et provoquent une spirale des prix irréversible, surtout lorsque le produit breveté, comme le Cipramil en l’espèce, constitue son produit phare, représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires (considérants 26 et 120 de la décision attaquée) et que l’entreprise en cause, telle Lundbeck, cherche une fenêtre propice pour pouvoir lancer le successeur de ce produit sur le marché (considérants 135 et suivants de la décision attaquée).

289    Cependant, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73, et Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220, point 211), en particulier lorsqu’il s’agit de payer des concurrents réels ou potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et de partager avec ceux-ci les bénéfices résultant d’une rente de monopole, au détriment des consommateurs, comme en l’espèce.

290    Du point de vue de la requérante, s’il est vrai que la Commission ne saurait exiger d’une entreprise qu’elle prenne des risques commerciaux qu’elle ne souhaite pas prendre, les démarches et les investissements accomplis par Merck (GUK) en vue d’entrer sur le marché démontrent que celle-ci était prête à courir les risques qu’une telle entrée comportait (points 74 à 80 ci-dessus). Dès lors, bien que Merck (GUK) n’était pas tenue d’entrer sur le marché si, en se fondant uniquement sur les brevets de procédé de Lundbeck, elle estimait qu’une telle entrée était trop risquée, elle ne saurait, toutefois, conclure des accords tels que les accords litigieux par lesquels elle s’engage à ne pas entrer avec ses génériques sur le marché en échange de paiements inversés importants, d’autant plus lorsque ces paiements correspondent aux bénéfices qu’elle comptait réaliser en entrant sur le marché.

291    Par ailleurs, les éléments de preuve qui figurent notamment aux considérants 255 et 748 de la décision attaquée démontrent que c’est principalement l’importance du paiement inversé en faveur de Merck (GUK) qui a incité celle-ci à accepter les limitations régissant sa conduite et non l’existence du brevet de procédé de Lundbeck ou encore la volonté d’éviter les frais liés à un éventuel litige. Du point de vue de Merck (GUK), ces montants constituaient un dédommagement de son manque à gagner correspondant aux bénéfices qu’elle comptait réaliser en entrant sur le marché, sans qu’elle ait à poursuivre ses efforts et à assumer les risques d’une telle entrée (considérant 350 de la décision attaquée). À cet égard, force est de constater que la requérante n’a fourni aucune autre explication plausible des raisons pour lesquelles Lundbeck lui aurait payé la somme de 19,4 millions d’euros en ce qui concerne l’accord UK et celle de 12 millions d’euros en ce qui concerne l’accord pour l’EEE (point 286 ci-dessus).

292    Enfin, c’est à tort que la requérante prétend que la Commission ne pouvait pas appliquer la notion de restriction par objet en l’espèce, sous peine de qualifier tous les accords amiables contenant des paiements inversés d’accords contraires à l’article 101 TFUE, sans procéder à une analyse concrète de leurs effets sur le marché. Comme cela a été rappelé au point 283 ci-dessus, la Commission n’a pas établi dans la décision attaquée que tous les accords contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné d’un tel paiement, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que, en l’espèce, l’absence d’une clause permettant à Merck (GUK) de lancer ses produits génériques sur le marché à l’expiration des accords litigieux sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck dans ces accords, permettait de conclure que lesdits accords avaient pour objet de restreindre la concurrence au sens de cette disposition en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

293    Partant, il y a lieu de rejeter ce grief également ainsi que le deuxième moyen dans son ensemble.

E –  Sur le quatrième moyen, en ce qu’il est tiré de ce que la Commission n’a pas dûment tenu compte du contexte matériel, économique et juridique entourant les accords litigieux

294    La requérante fait valoir que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de contexte qui démontrent, dans leur ensemble, que, sans les accords litigieux, elle n’aurait pas été en mesure de commercialiser plus rapidement le générique du citalopram au Royaume-Uni ou sur les autres marchés de l’EEE.

295    Elle met en avant le fait qu’elle avait conscience que le lancement à risque de son générique aurait entraîné des actions en justice longues et coûteuses et l’octroi de mesures provisoires en faveur de Lundbeck. Ayant considéré le délai et les coûts nécessaires à sa défense dans le cadre de telles actions, elle aurait considéré qu’ils étaient trop importants pour qu’elle prenne le risque de s’y exposer. Cela ressortirait clairement de plusieurs passages de la décision attaquée (considérants 245, 355, 357 et 362 de la décision attaquée).

296    La requérante allègue également que les accords litigieux auraient eu en réalité des effets favorables à la concurrence, dès lors qu’ils auraient offert à Merck (GUK) l’opportunité de prendre les mesures nécessaires pour « lever les obstacles » à son entrée sur le marché, au sens de l’arrêt Paroxetine, point 132 supra. Cela serait corroboré par plusieurs éléments du dossier, qui démontreraient que Merck (GUK) pensait pouvoir entrer sur le marché du citalopram après l’expiration des accords litigieux. Le fait que deux prorogations de l’accord UK aient eu lieu serait lié à l’issue du litige Lagap, qui, aux yeux des deux parties, devait faire jurisprudence sur la question de la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck. La conclusion de la Commission selon laquelle ce procès n’aurait eu aucune incidence sur la conclusion de l’accord UK serait donc erronée.

297    La Commission conteste ces arguments.

298    Tout d’abord, il convient de rappeler que, au moment de conclure les accords litigieux, il n’existait aucune certitude quant au fait que Lundbeck aurait inévitablement pu bloquer l’entrée de Merck (GUK) sur le marché en invoquant ses brevets de procédé.

299    Dès lors, dans la mesure où, par ces arguments, la requérante vise à remettre en cause la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une relation de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck, il convient de relever que ceux-ci ont déjà été examinés et rejetés dans le cadre du sixième moyen et de la partie du quatrième moyen fondée sur cette argumentation (point 182 ci-dessus).

300    En outre, de tels arguments ne sont pas susceptibles de remettre en cause le bien-fondé de la conclusion de la Commission selon laquelle les accords litigieux constituaient une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, dans la mesure où Merck (GUK) était un concurrent potentiel de Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux et où ces accords ont restreint son autonomie commerciale en l’incitant à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée desdits accords, c’est en vain que la requérante fait valoir qu’il n’était pas certain qu’elle serait entrée sur le marché pendant la durée de ces accords en l’absence de ceux-ci.

301    Il convient de rappeler en effet que l’article 101, paragraphe 1, TFUE protège non seulement la concurrence réelle que se font les entreprises sur le marché, mais également la concurrence potentielle (point 82 ci-dessus). Or, la concurrence potentielle implique par définition un certain degré d’incertitude et la Commission ne saurait être tenue de démontrer que les entreprises de génériques seraient entrées avec certitude sur le marché pendant la durée des accords litigieux pour pouvoir établir l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck ni, a fortiori, pour établir que cette concurrence potentielle a été réduite ou éliminée par les accords litigieux.

302    Le Tribunal estime opportun, cependant, d’examiner certains des arguments présentés par la requérante dans le cadre de ce moyen, dans la mesure où ils visent également à remettre en cause la conclusion de la Commission, dans la décision attaquée, relative au contexte et à la finalité des accords litigieux.

303    Ainsi, en premier lieu, quant à l’argument selon lequel les accords litigieux auraient permis d’éviter des actions en justice longues et coûteuses et l’octroi de mesures provisoires en faveur de Lundbeck, il y a lieu de constater que, même s’il n’est pas exclu que l’intention de régler un litige à l’amiable ait pu constituer l’un des objectifs poursuivis par les parties aux accords litigieux lors de la conclusion de ces accords, il n’en reste pas moins que l’objectif de Lundbeck lors des négociations était d’obtenir une exclusion du marché des génériques (considérant 814 de la décision attaquée) et que c’est en échange d’un paiement substantiel que Merck (GUK) a accepté de rester en dehors du marché pendant une certaine période, et ce aussi longtemps que les chiffres « se goupillaient » (considérant 255 de la décision attaquée).

304    La Commission n’a jamais prétendu qu’il n’existait aucune incertitude en matière de brevets, mais que c’est principalement en raison de l’importance du paiement proposé par Lundbeck en vertu des accords litigieux que Merck (GUK) a décidé de conclure ces accords. La Commission a reconnu que les parties aux accords litigieux avaient éliminé l’incertitude liée notamment aux contentieux éventuels en matière de brevet, mais qu’elles l’avaient fait au moyen d’instruments anticoncurrentiels, à savoir des accords prévoyant une limitation de l’autonomie commerciale d’une des parties en contrepartie d’un paiement. En outre, il ressort notamment des considérants 748, 755 et 809 de la décision attaquée que les montants des paiements inversés octroyés par Lundbeck en vertu des accords litigieux correspondaient aux bénéfices escomptés par Merck (GUK) en cas d’entrée sur le marché avec ses produits génériques.

305    Dès lors, le fait que ces accords aient pu avoir comme objectif supplémentaire d’éviter les incertitudes d’un éventuel procès ne permet pas de remettre en cause l’existence d’une restriction par objet, puisqu’il est de jurisprudence constante qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée). Par ailleurs, un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 248 supra, EU:C:1988:448, point 15).

306    Au demeurant, à supposer même que les accords litigieux aient pu avoir comme objectif d’éviter les coûts liés à la survenance de litiges, force est de constater qu’il n’était fait aucune référence à ces coûts ni même à une estimation de ceux-ci dans les accords litigieux. Il convient de rappeler, par ailleurs, que l’accord UK ne précisait même pas quel brevet de Lundbeck aurait prétendument été contrefait par Merck (GUK).

307    En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les accords litigieux auraient eu des effets favorables à la concurrence, il y a lieu de relever que, à supposer même que tel soit le cas, il conviendrait d’examiner de tels effets favorables à la concurrence sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, à moins que les restrictions de la concurrence engendrées par ces accords en constituent l’accessoire, en ce sens qu’elles seraient objectivement nécessaires et proportionnées à la mise en œuvre de ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, Rec, EU:C:2014:2201, points 89 à 91 et jurisprudence citée), ce que la requérante n’a pas cherché à démontrer en l’espèce.

308    En outre, l’article 2 du règlement n° 1/2003 prévoit, comme la jurisprudence (arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., point 53 supra, EU:C:2009:610, point 82), que c’est à la partie qui se prévaut de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE qu’incombe la charge de la preuve à cet égard. Or, la requérante n’a pas cherché à démontrer que l’ensemble des conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE étaient remplies en l’espèce, mais s’est limitée à renvoyer aux arguments présentés par GUK à cet égard dans le cadre de son recours (points 53 à 59 ci-dessus).

309    Un tel argument doit, dès lors, nécessairement être rejeté.

310    Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que c’est essentiellement en raison du transfert de valeur proposé par Lundbeck que Merck (GUK) a accepté de conclure les accords litigieux, et non en vue de « lever les obstacles » à la commercialisation de son générique ou de se conformer à l’arrêt Paroxetine, point 132 supra.

311    En effet, premièrement, il ressort d’un courrier interne de Merck (GUK) du 28 septembre 2001 que celle-ci avait entrepris des démarches en vue de conclure un accord avec Lundbeck dès cette date, c’est-à-dire avant que l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, ne soit rendu (considérant 244 de la décision attaquée).

312    Deuxièmement, Merck (GUK) avait réaffirmé son intention, dans un courrier du 24 octobre 2001, c’est-à-dire dès le lendemain du prononcé de cet arrêt, d’« attaquer Lundbeck par tous les moyens possibles » (considérant 246 de la décision attaquée). De même, il ressort d’une réunion tenue entre Lundbeck et Merck (GUK) le 11 décembre 2001 que Merck (GUK) envisageait de lancer ses génériques le 5 janvier 2002 si Lundbeck ne proposait pas un accord suffisamment intéressant, indépendamment de l’arrêt Paroxetine, point 132 supra (considérant 255 de la décision attaquée).

313    Troisièmement, si Merck (GUK) entendait effectivement se conformer à cet arrêt afin de « lever les obstacles », il est difficile de comprendre pourquoi elle a accepté de livrer tous ses produits de citalopram générique à Lundbeck afin que ceux-ci soient retirés du marché (point 2.2 de l’accord UK).

314    Quatrièmement, la requérante n’explique pas en quoi l’arrêt Paroxetine, point 132 supra, rendu par une juridiction du Royaume-Uni, aurait pu avoir un impact sur sa position concurrentielle dans l’EEE et influencer sa décision de ne pas entrer sur les marchés des autres États de l’EEE.

315    Cinquièmement, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que Merck (GUK) est brièvement entrée sur le marché du Royaume-Uni en août 2003 parce que l’offre de Lundbeck n’était « pas assez bonne » (considérant 299 de la décision attaquée) et s’est retirée de nouveau par après en prorogeant son accord avec Lundbeck lorsque le paiement promis par celle-ci a été considéré comme étant satisfaisant, ce qui ôte toute crédibilité à l’argument de la requérante.

316    Il convient d’observer par ailleurs, à l’instar de la Commission, que la requérante n’a fourni aucune autre explication plausible quant aux paiements inversés effectués en vertu des accords litigieux, ni quant à l’importance de ces paiements, si la volonté des parties aux accords était effectivement de « lever les obstacles » à la commercialisation du citalopram générique (point 286 ci-dessus).

317    Il convient de rappeler également que les accords litigieux ne contenaient aucune clause qui aurait permis à Merck (GUK) d’entrer immédiatement sur le marché à l’expiration de ceux-ci sans faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck. L’argument selon lequel l’accès au marché n’aurait pas été plus rapide en l’absence de ces accords est donc, en tout état de cause, non fondé, puisqu’il repose sur la prémisse erronée selon laquelle les produits génériques violaient les brevets de Lundbeck et ceux-ci auraient certainement résisté à d’éventuelles demandes d’invalidité.

318    Or, il ressort des éléments de preuve figurant notamment aux considérants 286 et 794 de la décision attaquée que ces accords avaient pour objectif de permettre à Lundbeck de « gagner du temps » par rapport à l’entrée imminente des génériques sur le marché, quelle qu’ait été l’issue des actions en justice intentées par elle, ce en vue de créer une fenêtre d’opportunité pour le lancement de l’escitalopram (considérants 135 et suivants de la décision attaquée). À cet égard, il résulte des preuves produites par la Commission aux considérants 129 à 132 de la décision attaquée notamment que, au cours de l’année 2002, Lundbeck voulait éviter que le prix de son médicament fondé sur l’IPA citalopram, le Cipramil, puisse chuter en raison de l’entrée sur le marché du citalopram générique, dès lors que le niveau de ce prix serait déterminant lors de la fixation de celui du Cipralex dans de nombreux États (point 247 ci-dessus).

319    Enfin, l’affirmation selon laquelle le litige Lagap au Royaume-Uni aurait servi d’affaire clé pour lever les obstacles n’est pas convaincante, puisque l’accord UK, dans sa version initiale, ne faisait aucune allusion à ce litige, qui s’est ouvert en octobre 2002, après la conclusion de cet accord. En outre, il ressort d’un courrier interne de Lundbeck du 29 septembre 2003 que celle-ci envisageait de proroger l’accord UK une nouvelle fois en cas de « victoire totale » dans le litige Lagap (considérant 305 de la décision attaquée). Si les première et seconde prorogations de l’accord UK faisaient référence à ce litige, c’était sans doute parce qu’un tel accord, visant à retarder l’entrée de Merck (GUK) sur le marché, ainsi que les paiements qui en découlaient auraient été inutiles pour Lundbeck une fois que Lagap Pharmaceuticals ou toute autre entreprise de génériques serait parvenue à entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni, comme l’indique à juste titre la Commission au considérant 685 de la décision attaquée et ainsi qu’il ressort également du considérant 306 de ladite décision.

320    En outre, comme l’indique la Commission au considérant 687 de la décision attaquée, le citalopram générique en cause dans le litige Lagap (celui de la société indienne Matrix) était différent de celui produit par Natco que Merck (GUK) envisageait de commercialiser, de sorte que ce procès ne saurait avoir été déterminant en ce qui concerne la décision de la requérante de conclure les accords litigieux. En effet, à supposer même que, dans le litige Lagap, le citalopram de Matrix eût été jugé contrefaisant, ce qui ne fut finalement pas le cas, cela n’aurait pu avoir aucun impact sur les produits de Merck (GUK) qui étaient fondés sur le citalopram de Natco. Le litige Lagap aurait donc tout au plus permis de clarifier la situation en ce qui concerne la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, mais cette question n’a pas non plus été définitivement résolue, puisque les parties au procès relatif à ce litige ont finalement préféré transiger, à la demande de Lundbeck, qui craignait une « défaite humiliante » qui aurait été utilisée contre elle dans d’autres juridictions, ainsi que cela ressort d’un document interne de Lundbeck postérieur de quelques jours au règlement amiable intervenu dans le litige Lagap (considérant 160 de la décision attaquée).

321    Par ailleurs, étant donné que le litige Lagap ne concernait que le Royaume-Uni, son issue n’aurait pas pu être déterminante en ce qui concerne la situation en matière de brevets dans le reste de l’EEE. L’accord pour l’EEE ne contenait d’ailleurs aucune référence à ce litige, bien qu’il ait été signé postérieurement.

322    Partant, les griefs de la requérante fondés sur l’absence de prise en compte du contexte dans lequel les accords litigieux ont été conclus doivent être rejetés, de même que le surplus du quatrième moyen dans son intégralité.

F –  Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation dans l’examen du contenu des accords litigieux

323    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur d’appréciation en interprétant le contenu des accords litigieux, en particulier en considérant que ceux-ci dépassaient le champ d’application du brevet sur la cristallisation de Lundbeck. Ce moyen est subdivisé en deux branches, tirées de ce que la Commission aurait commis une erreur en concluant, d’une part, que les accords litigieux avaient limité les ventes d’autres citalopram que celui de Natco et, d’autre part, que les accords litigieux avaient été conclus indépendamment de la question de savoir si le citalopram de Natco violait les brevets de Lundbeck.

1.     Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux avaient limité les ventes d’autres citalopram que celui de Natco

324    Dans le cadre de la première branche, la requérante estime, en premier lieu, que l’accord UK était rigoureusement destiné à empêcher Merck (GUK) de vendre le citalopram de Natco, dont Lundbeck considérait qu’il violait son brevet sur la cristallisation, pendant toute la durée de cet accord, mais qu’il n’empêchait pas l’achat et la revente d’autres formes de citalopram générique qui ne portaient pas atteinte aux brevets de Lundbeck.

325    Ainsi, la Commission aurait reconnu que le préambule de l’accord UK visait uniquement le citalopram de Natco, mais elle aurait considéré néanmoins que l’obligation d’achat exclusif imposée par le point 3.2 de l’accord UK constituait une obligation dépassant le champ d’application des brevets de Lundbeck. Or, cet article contiendrait uniquement une obligation pour Merck (GUK) d’acheter des « Produits Finis », c’est-à-dire le médicament Cipramil, à Lundbeck. Dès lors, l’accord n’aurait limité en rien la liberté de Merck (GUK), d’une part, de développer une version générique du citalopram ou d’en acheter à d’autres fabricants et, d’autre part, de fabriquer, de commercialiser, de distribuer ou de revendre cette version générique du citalopram, que ce soit sous forme de matière première, de produit en vrac ou de produit fini. En outre, si Merck (GUK) avait pu ne pas avoir l’intention d’acheter du citalopram qui n’était pas produit par Natco, cela ne signifierait pas que les accords dépassaient le champ d’application matériel du brevet de Lundbeck. Dans ce cas, les restrictions de la concurrence résulteraient de l’accord Schweizerhall, et non de l’accord UK.

326    La requérante estime, en second lieu, que l’accord pour l’EEE, et notamment son point 1.1, contenant une obligation pour Merck (GUK) de cesser la vente et l’approvisionnement de produits pharmaceutiques contenant du citalopram, ne couvrait pas toutes les formes de citalopram, malgré le libellé de ce point. Il conviendrait de replacer ce point dans son contexte et notamment de tenir compte du préambule de l’accord, duquel il ressortirait clairement que le champ d’application de cet accord se limitait aux ventes par Merck (GUK) du citalopram de Natco, qui était la seule forme de citalopram distribuée par Merck (GUK) à l’époque et qui était considéré par Lundbeck comme violant ses brevets. En tout état de cause, à supposer même que l’accord pour l’EEE ait effectivement interdit à Merck (GUK) de commercialiser des médicaments génériques à base de citalopram produits à l’aide de procédés non contrefaisants, une telle obligation n’aurait eu aucun effet sur la concurrence dans le marché de l’EEE puisque, d’une part, l’accord Schweizerhall imposait à Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram auprès de Natco et, d’autre part, Merck (GUK) n’aurait pas été en mesure d’obtenir une modification de type II de son AMM pendant la durée de cet accord.

327    La Commission conteste ces arguments

a)     Accord UK

328    S’agissant, tout d’abord, de l’accord UK, la requérante considère que celui-ci couvrait exclusivement le citalopram de Natco pour lequel il existait un différend lié aux brevets de Lundbeck, ce qui ressortirait notamment des points 1.1 et 2.1 de l’accord et des points B et C de son préambule, qui feraient état du caractère potentiellement contrefaisant du citalopram de Natco.

329    La requérante conteste, en particulier, l’interprétation du point 3.2 de l’accord UK effectuée par la Commission dans la décision attaquée.

330    Le point 3.2 de l’accord UK précise que Lundbeck « s’engage à vendre ses Produits Finis de citalopram à Merck (GUK) et [que] Merck (GUK) s’engage à acheter ces produits exclusivement auprès de Lundbeck pour revente au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord ». Ces « Produits Finis » sont définis au point 1.1 de l’accord UK comme étant les « produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par Lundbeck à GUK conformément [à cet] accord ».

331    À cet égard, il y a lieu de considérer, à l’instar de la requérante, que l’interprétation du point 3.2 de l’accord UK retenue par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle Merck (GUK) se serait engagée à acheter exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck pour les commercialiser au Royaume-Uni, à l’exclusion de tout autre citalopram, ne saurait être retenue.

332    En effet, il ressort clairement de la définition de « Produits Finis » au point 1.1 de l’accord UK (point 330 ci-dessus) que ceux-ci se réfèrent aux produits finis provenant de Lundbeck, c’est-à-dire au Cipramil. Par cette clause, Merck (GUK) s’est donc uniquement engagée à acheter les comprimés de Cipramil de Lundbeck en vue de les revendre au Royaume-Uni, en vertu d’un accord de distribution. Le terme « exclusivement » utilisé dans cette disposition ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirme la Commission, que Merck (GUK) se serait engagée à vendre exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck, mais bien qu’elle s’était engagée à acheter le Cipramil, pour revente au Royaume-Uni, auprès de Lundbeck uniquement, à l’exclusion d’autres fournisseurs. Contrairement à ce que fait valoir la Commission au considérant 779 de la décision attaquée, une telle interprétation n’est pas absurde, puisque le terme « exclusivement » figurant au point 3.2 pouvait ainsi avoir pour objectif d’éviter que Merck (GUK) puisse se fournir en Cipramil auprès de grossistes ou d’autres fournisseurs que Lundbeck, conformément à l’objectif de celle-ci d’augmenter le volume de ventes du Cipramil.

333    En outre, c’est à tort que la Commission se fonde sur le point D du préambule de l’accord UK, dont le libellé est essentiellement identique au point 3.2 de l’accord, pour soutenir son interprétation, puisqu’il y est fait référence également aux « Produits Finis », avec majuscules, qui sont clairement définis au point 1.1 du même accord.

334    Par ailleurs, comme la Commission l’admet elle-même au considérant 781 de la décision attaquée, une interprétation textuelle du point 3.2 de l’accord UK conduit à la conclusion selon laquelle cette disposition n’empêchait pas Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers, ce qui lui aurait permis éventuellement de lancer une autre version générique du citalopram sur le marché.

335    En effet, il convient de relever que le point 2.2 de l’accord UK prévoit uniquement que Merck (GUK) s’engage à livrer à Lundbeck l’ensemble de ses « Produits », qui sont définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram […] sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature [de l’accord], jointe en Annexe 2 ». Or, cette annexe fait effectivement référence au citalopram de Natco. Cela implique que Merck (GUK) était uniquement tenue, en vertu de cette disposition, de livrer son stock de citalopram existant, déjà constitué au moment de la signature de l’accord, et non tout autre type de citalopram générique, provenant d’autres producteurs que Natco, qu’elle aurait pu se procurer ultérieurement. La Commission reconnaît par ailleurs, au considérant 763 de la décision attaquée notamment, que cette obligation visait uniquement le citalopram de Natco.

336    Au considérant 783 de la décision attaquée, la Commission a estimé néanmoins que, si Merck (GUK) s’était approvisionnée en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers, elle aurait violé le point 1.3 de son contrat d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall (point 78 ci-dessus), qui prévoyait que Merck (GUK) couvrirait 100 % de ses besoins annuels en citalopram générique auprès de cette dernière. La Commission a considéré, dès lors, dans la note en bas de page n° 1435 de la décision attaquée, que, même s’il était formellement possible pour Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec un citalopram générique provenant d’autres sources que Natco en vertu de l’accord UK, cela n’était pas possible en raison de l’accord Schweizerhall. Or, selon la Commission, ces deux accords se renforçaient mutuellement, de sorte qu’ils devaient être lus conjointement.

337    Il convient de relever toutefois, à l’instar de la requérante, qu’une telle obligation pour Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram générique auprès de Natco exclusivement, par l’intermédiaire de Schweizerhall, ne découle pas des dispositions de l’accord UK mais de l’accord Schweizerhall.

338    Or, la Commission ne saurait se fonder sur les dispositions d’un autre accord ne concernant pas les mêmes parties afin de déterminer le contenu des clauses de l’accord UK et, en particulier, afin d’établir si ces clauses contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non. En effet, une telle interprétation permettrait de considérer que n’importe quel type d’accord conclu par Merck (GUK) contenant des restrictions portant sur le citalopram de Natco, qui était pourtant identifié comme potentiellement contrefaisant par les parties à l’accord UK, dépassait le champ d’application des brevets de Lundbeck, en raison de l’obligation d’approvisionnement exclusif découlant de l’accord Schweizerhall, conclu antérieurement et par des parties différentes.

339    Dès lors, même si Lundbeck pouvait avoir eu connaissance de l’existence de l’accord Schweizerhall, la Commission ne saurait se fonder sur une telle circonstance afin de conclure que le point 3.2 de l’accord UK visait, en lui-même, à empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec tout type de citalopram, qu’il provienne de Natco ou non et qu’il soit jugé par les parties comme potentiellement contrefaisant ou non.

340    Certes, comme le fait valoir la Commission, il convient d’interpréter les accords litigieux en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également de leur contexte et des objectifs qu’ils poursuivent. Une telle méthode d’interprétation ne saurait toutefois conduire la Commission à ignorer le libellé des dispositions d’un accord lorsque ce libellé est suffisamment clair.

341    Il y a lieu de relever par ailleurs, à cet égard, que la Commission a elle-même soutenu, au considérant 635 et dans la note en bas de page n° 1562 de la décision attaquée ainsi qu’en réponse à une question du Tribunal, que l’accord Schweizerhall aurait pu être résilié dans l’hypothèse d’une contrefaçon des brevets de Lundbeck (point 128 ci-dessus). Or, une telle interprétation de l’accord Schweizerhall est difficilement conciliable avec l’interprétation de l’accord UK proposée par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle les restrictions dépassaient le champ d’application des brevets de Lundbeck en raison de l’obligation pour Merck (GUK), découlant de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement en citalopram générique auprès de celle-ci. Comme le fait valoir la requérante à cet égard, le fait qu’elle ait pu ne pas avoir l’intention d’acheter du citalopram qui n’était pas produit par Natco ne signifie que l’accord UK contenait une telle restriction qui dépassait le champ d’application des brevets de Lundbeck.

342    Partant, il convient de constater que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que les restrictions contenues dans l’accord UK allaient au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que de telles restrictions n’auraient pas pu être obtenues par Lundbeck devant un juge compétent en matière de brevets si les produits génériques fondés sur le citalopram de Natco, que Merck (GUK) entendait commercialiser, avaient été jugés contrefaisants et si ces brevets avaient résisté aux éventuelles demandes reconventionnelles visant à remettre en cause leur validité.

343    Cependant, une telle constatation n’est pas susceptible d’avoir des conséquences dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où le grief avancé par la requérante est inopérant pour les raisons exposées ci-après.

344    Premièrement, force est de constater que la requérante ne conteste pas que, en vertu du point 1.1 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec le citalopram de Natco et que, en vertu des points 2.2 et 2.3 du même accord, elle s’est engagée à livrer à Lundbeck l’intégralité de son stock de citalopram (considérants 771 et 772 de la décision attaquée), ni le fait qu’elle a obtenu une somme de 3 millions de GBP de la part de Lundbeck en échange de cet engagement (point 12 ci-dessus). De même, la requérante ne conteste pas que, en vertu du point 2.7 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas octroyer ou à ne pas vendre sous licence une copie de ses AMM déjà obtenues au Royaume-Uni, pendant la durée de l’accord.

345    Or, comme le fait valoir la Commission, de tels engagements sont, en tout état de cause, anticoncurrentiels par leur objet même, qu’ils aillent au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non, dans la mesure où, loin de régler un quelconque litige en matière de brevets entre les parties à l’accord UK, ils ont été obtenus en contrepartie de paiements inversés importants et où ils avaient pour objectif d’empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché pendant toute la durée de l’accord avec ses produits génériques contenant le citalopram de Natco, sur lesquels elle avait fondé, jusqu’alors, toute sa stratégie pour entrer en concurrence avec Lundbeck sur le marché du Royaume-Uni.

346    Comme la Commission l’a souligné aux considérants 641 et 820 de la décision attaquée notamment, ce qui importe, à cet égard, c’est que l’accord UK ait transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) ne résultaient pas exclusivement d’une analyse, par les parties à l’accord, des brevets de Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (points 196 et 197 ci-dessus).

347    Deuxièmement, il y a lieu de relever, à titre surabondant, que la Commission a constaté à juste titre, au considérant 784 de la décision attaquée notamment, que Merck (GUK) n’avait plus aucune incitation, en raison des dispositions de l’accord UK, prises dans leur contexte, à se procurer du citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers ou à vendre du citalopram sous forme de produits finis autre que celui de Lundbeck, même si elle était en principe libre de le faire en vertu de l’accord UK.

348    En effet, il convient de relever, tout d’abord, que Merck (GUK) s’est engagée, en vertu du point 3.2 de l’accord UK, à vendre le Cipramil de Lundbeck au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord et que, en vertu du point 6.2 de l’accord UK, le paiement d’un montant de 5 millions de GBP, qualifié de « profits nets », était conditionné à la vente d’un certain volume de ces produits finis au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord. Il convient de rappeler, en outre, que cette somme devait être payée en plusieurs tranches, ce qui permettait à Lundbeck de s’assurer de la bonne exécution de l’accord.

349    Dès lors, même si Merck (GUK) avait pu, théoriquement, vendre d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, elle n’avait aucun intérêt à le faire, puisqu’elle pouvait, sans prendre le moindre risque, obtenir la somme de 5 millions de GBP en tant que bénéfices garantis pour la vente du Cipramil en vertu du point 6.2 de l’accord UK.

350    De même, si Merck (GUK) pouvait en théorie se procurer du citalopram générique sous forme d’IPA auprès de tiers, elle n’était pas non plus incitée à le faire, puisqu’elle s’était déjà engagée, en vertu de l’accord Schweizerhall, à couvrir l’intégralité de ses besoins en citalopram générique auprès de Natco pendant huit ans. En outre, à supposer que l’accord Schweizerhall ait pu être résilié et qu’elle ait pu malgré tout se tourner vers un autre producteur d’IPA, d’une part, elle n’avait aucun intérêt à vendre elle-même cet IPA sous forme de produits finis, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 349 ci-dessus, et, d’autre part, comme le fait valoir la Commission au considérant 784 de la décision attaquée, il est difficile de percevoir l’intérêt qu’auraient eu des tiers à acheter du citalopram générique sous forme d’IPA par l’intermédiaire de Merck (GUK), pour le revendre sous forme de produits finis au Royaume-Uni, s’ils pouvaient se le procurer auprès du producteur d’IPA ou auprès de son fournisseur privilégié directement.

351    Partant, l’argument de la requérante selon lequel la Commission a conclu à tort que l’accord UK avait limité les ventes de citalopram autre que celui produit par Natco ou, en d’autres termes, qu’il ne contenait pas de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, tel que défini aux points 196 et 342 ci-dessus, doit être rejeté comme inopérant.

b)     Accord pour l’EEE

352    S’agissant de l’accord pour l’EEE, la requérante soutient également que cet accord, et notamment son point 1.1, ne couvrait pas toutes les formes de citalopram, mais uniquement le citalopram de Natco, de sorte qu’il ne dépassait pas le champ d’application des brevets de Lundbeck.

353    Il convient de relever, toutefois, que le libellé de la première phrase du point 1.1 de l’accord pour l’EEE prévoit que Merck (GUK) « s’engage à cesser la vente et l’approvisionnement de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE (en ce compris, sans limitation, cesser de vendre et d’approvisionner NM Pharma AB) pendant la durée de l’accord », sans autre précision.

354    Les points D et E du préambule de cet accord font, certes, référence au fait que Merck (GUK) était le distributeur de produits contenant du citalopram fabriqué ou livré par Natco et au fait que la vente et l’approvisionnement par Merck (GUK) de produits contenant du citalopram au Royaume-Uni ont été effectués sans licence de la part de Lundbeck.

355    Cela ne permet pas de confirmer, toutefois, l’interprétation retenue par la requérante, selon laquelle le point 1.1 de l’accord pour l’EEE visait uniquement le citalopram de Natco.

356    En effet, si les parties à l’accord pour l’EEE avaient voulu viser uniquement le citalopram de Natco, elles auraient expressément fait référence, dans le point 1.1 de l’accord, à ce citalopram, tout comme dans le préambule de l’accord, et non aux « produits pharmaceutiques contenant du citalopram » de manière générale, comme le fait valoir à juste titre la Commission. Elles auraient également pu définir le terme « citalopram » de manière à préciser que ce terme ne couvrait que certains types de citalopram produits selon certaines méthodes, comme dans le cadre de l’accord UK (point 335 ci-dessus).

357    En outre, l’interprétation proposée par la requérante est peu plausible lorsqu’elle est confrontée au libellé du point 1.3 de l’accord pour l’EEE, qui prévoit que Lundbeck s’engage à n’intenter aucune action en justice à l’encontre de Merck (GUK) tant que cette dernière respecte le point 1.1 de l’accord. Si l’interprétation de la requérante était retenue, cela signifierait en effet que Lundbeck se serait engagée à n’intenter aucune action en contrefaçon contre Merck (GUK) tant que cette dernière s’abstenait de vendre ou de fournir le citalopram de Natco au sein de l’EEE, et même si elle vendait une autre version du citalopram provenant d’un autre producteur. Cela est difficilement conciliable avec le contexte dans lequel les accords litigieux ont été conclus, qui témoigne notamment du fait que Lundbeck avait l’intention ferme d’empêcher toute entrée des génériques sur le marché.

358    La requérante fait valoir, cependant, que la Commission n’a pas dûment tenu compte de l’accord d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall ni du fait que celui-ci lui imposait de couvrir tous ses besoins en citalopram auprès de Natco, ce qui implique que l’accord ne pouvait pas couvrir d’autres types de citalopram.

359    Il y a lieu de relever, toutefois, que, même si Merck (GUK) était en principe obligée, en vertu de son contrat d’approvisionnement avec Schweizerhall, de n’acheter et de ne vendre que le citalopram générique produit par Natco pendant huit ans, un tel engagement ne résultait pas des dispositions de l’accord pour l’EEE mais bien de l’accord Schweizerhall (point 337 ci-dessus).

360    Dès lors, en prévoyant une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram à ses affiliés ou à toute partie tierce (y compris NM Pharma, qui avait commencé à vendre le citalopram en Suède) pendant la durée de l’accord pour l’EEE, le point 1.1 de cet accord contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, puisqu’une telle obligation n’était pas limitée au citalopram jugé potentiellement contrefaisant par les parties à cet accord.

361    En outre, il y a lieu de rappeler que le point 1.1 de l’accord pour l’EEE prévoyait non seulement une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram pendant toute la durée de l’accord, mais également que celle-ci ferait tous les efforts raisonnables pour s’assurer que Natco cesse de fournir du citalopram et des produits en contenant sur le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

362    Or, rien n’indique qu’une telle obligation n’était qu’un engagement peu important, voire inexistant, comme l’affirme la requérante. En effet, comme le fait valoir la Commission, cette clause a été jugée suffisamment importante par les parties à l’accord pour conditionner le paiement d’une somme de 12 millions d’euros. Par ailleurs, le point 1.2 de l’accord pour l’EEE prévoyait expressément que Lundbeck ne serait pas tenue d’effectuer les paiements non encore échus dans l’hypothèse où Natco fournirait du citalopram ou des produits contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

363    Dès lors, même si Merck (GUK) n’avait pas la capacité d’empêcher Natco de fournir du citalopram sur le territoire de l’EEE, comme le fait valoir la requérante, il n’en reste pas moins que le point 1.1 de l’accord pour l’EEE incitait fortement Merck (GUK) à entreprendre toutes les démarches nécessaires « dans la mesure du raisonnable » en ce sens, sous peine de se voir privée d’une partie substantielle des paiements promis par Lundbeck en vertu de cet accord.

364    Cela démontre, comme la Commission l’a constaté à juste titre au considérant 848 de la décision attaquée, que le but objectif de l’accord pour l’EEE était non seulement d’éliminer Merck (GUK) des marchés de l’EEE, en tant que vendeur du citalopram de Natco, mais également d’éliminer Natco en tant que producteur de citalopram générique sur ce territoire.

365    Il y a lieu de conclure, dès lors, qu’il ressort du contenu de l’accord pour l’EEE, lu dans son contexte, que Merck (GUK) a, en vertu des clauses de cet accord, abandonné toute possibilité de vendre sa version générique du citalopram, que celui-ci provienne de Natco ou non et que celui-ci ait potentiellement violé un brevet de Lundbeck ou non.

366    Partant, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, au considérant 846 de la décision attaquée, que l’accord pour l’EEE, et en particulier le point 1.1 de cet accord, devait être interprété comme ayant obligé Merck (GUK) à cesser la vente et la fourniture de tout type de citalopram pendant la durée de l’accord sur tout le territoire de l’EEE, ce qui allait au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

367    En tout état de cause, quelle que soit l’interprétation donnée à cet accord, et que les restrictions imposées à Merck (GUK) découlent ou non du champ d’application des brevets de Lundbeck, elles seraient malgré tout anticoncurrentielles, dans la mesure où il n’était pas établi que le citalopram de Natco violait l’un de ces brevets, où Merck (GUK) a explicitement contesté que ses produits génériques étaient contrefaisants (point G du préambule de l’accord pour l’EEE) et où les restrictions de son autonomie commerciale ont été induites par des paiements inversés importants qui en constituaient la contrepartie (points 345 et 346 ci-dessus).

368    En outre, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 847 de la décision attaquée, les accords litigieux ne contenaient aucune contrepartie aux restrictions en question autre que les paiements inversés promis par Lundbeck, telle que la possibilité pour Merck (GUK) d’entrer immédiatement sur le marché à l’expiration de ces accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, de sorte qu’ils ne visaient pas à régler un quelconque litige en matière de brevets.

369    Partant, le grief de la requérante selon lequel l’accord pour l’EEE ne contenait aucune restriction allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck doit être rejeté.

2.     Sur la seconde branche, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux avaient été conclus indépendamment de la question de savoir si le citalopram de Natco violait les brevets de Lundbeck

370    La requérante fait valoir, dans le cadre de la seconde branche, que la conclusion de la Commission, aux considérants 768 et 844 de la décision attaquée, selon laquelle les obligations imposées à Merck (GUK) par les accords litigieux avaient été fixées indépendamment de la question de savoir si le citalopram de Natco violait ou non les brevets de procédé de Lundbeck est fallacieuse. En effet, selon elle, l’objectif même des accords litigieux, comme celui de tout autre règlement amiable en matière de brevets, était de parvenir à un règlement amiable des revendications de Lundbeck en matière de brevet. Dès lors qu’aucune des parties ne pouvait avoir la certitude qu’un tribunal constaterait l’absence ou l’existence d’une infraction, en raison des vicissitudes de toute procédure juridictionnelle, les accords litigieux auraient été conclus précisément dans le but d’éviter que Lundbeck intente une action en contrefaçon contre Merck (GUK), ainsi que la perte de temps et les frais considérables qui en auraient découlé.

371    La Commission conteste ces arguments.

372    Il convient de relever tout d’abord, à l’instar de la Commission au considérant 815 de la décision attaquée, que l’accord UK ne précisait même pas quel brevet aurait été violé par Merck (GUK) selon Lundbeck. Dans ce contexte, il convient de relever que, au moment de conclure cet accord, le brevet sur la cristallisation n’avait pas encore été définitivement octroyé au Royaume-Uni, de sorte qu’il ne pouvait pas encore être utilement invoqué au soutien d’une éventuelle action en contrefaçon (point 139 ci-dessus).

373    En outre, il convient de rappeler que les accords litigieux ne contenaient aucune clause permettant à Merck (GUK) d’entrer directement sur le marché du citalopram après leur expiration ou prévoyant que Lundbeck renoncerait à intenter des actions en contrefaçon à son égard à ce moment (point 276 ci-dessus).

374    Dès lors, il est à tout le moins douteux que l’objectif des accords litigieux ait été de régler à l’amiable un litige en matière de brevet.

375    Il convient de rappeler en outre que la Commission n’a pas exclu qu’un des objectifs poursuivis par les parties aux accords litigieux ait pu être de régler un litige à l’amiable, ni qu’il existait une incertitude en matière de brevets, mais elle a considéré que, si les accords litigieux avaient permis d’éliminer l’incertitude liée aux brevets de Lundbeck, ils l’avaient fait par des moyens anticoncurrentiels, en prévoyant des restrictions à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) en échange de paiements inversés importants correspondant aux bénéfices escomptés par celle-ci en cas d’entrée sur le marché avec les produits génériques correspondants.

376    Or, il est de jurisprudence constante qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée). Par ailleurs, un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 248 supra, EU:C:1988:448, point 15).

377    Dès lors, le fait que les accords litigieux aient pu avoir comme objectif supplémentaire d’éviter les incertitudes d’un éventuel procès ne permet pas de remettre en cause l’existence d’une restriction par objet en l’espèce, au vu des éléments relatifs au contenu, à la finalité et au contexte de ces accords litigieux, tels que constatés par la Commission dans la décision attaquée et rappelés au point 31 ci-dessus.

378    Partant, ce grief doit également être rejeté, ainsi que le cinquième moyen dans son ensemble.

G –  Sur le septième moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux

379    La requérante allègue, dans le cadre de ce moyen, que la Commission n’a pas compris les raisons pour lesquelles Merck (GUK) avait conclu les accords litigieux en considérant que celle-ci avait l’intention de restreindre la concurrence. Ainsi, s’agissant de l’accord UK, la conclusion figurant au considérant 814 de la décision attaquée, selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck ont partagé une intention anticoncurrentielle, serait erronée pour les raisons exposées ci-après.

380    Premièrement, les passages de la décision attaquée relatifs aux intentions des parties révéleraient une intention anticoncurrentielle de la part de Lundbeck et n’accorderaient qu’une part minimale aux intentions de Merck (GUK).

381    Deuxièmement, il n’existerait pas de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que Merck (GUK) avait pour intention de restreindre la concurrence en partageant les profits en échange de son exclusion du marché. Une appréciation correcte des preuves démontrerait que le comportement de Merck (GUK) était parfaitement rationnel au regard du comportement général de Lundbeck, en particulier des menaces de poursuites de sa part, et au regard de l’environnement réglementaire créé notamment par l’arrêt Paroxetine, point 132 supra. Ainsi, le fait que Merck (GUK) ait été consciente de la stratégie de Lundbeck ne signifierait pas qu’elle avait des intentions anticoncurrentielles, mais indiquerait simplement qu’elle s’est heurtée à l’intention du laboratoire de princeps de bloquer l’entrée sur le marché de son générique. De même, le fait que Merck (GUK) ait cherché à maintenir les niveaux de profits en adoptant une solution alternative à la commercialisation du citalopram générique ne constituerait pas la preuve d’une intention anticoncurrentielle, dès lors que toute entreprise rationnelle adopterait un comportement propice à la maximisation de ses profits. Le fait que Merck (GUK) ait entendu fonder sa stratégie de lancement sur la solution la plus rentable et la moins risquée constituerait un comportement commercial normal pour une entreprise et le droit de la concurrence n’aurait pas pour fonction d’exiger des entreprises qu’elles se comportent différemment.

382    Troisièmement, Merck (GUK) aurait eu un intérêt commercial à envisager un arrangement avec Lundbeck, afin de parvenir à une entrée anticipée sur le marché grâce à la distribution de produits portant la marque de Lundbeck. Plutôt que de créer une situation moins concurrentielle, les accords litigieux auraient fourni à Merck (GUK) une fenêtre d’opportunité au cours de laquelle elle a ainsi pu « lever les obstacles » afin d’améliorer les perspectives de lancement de son générique sur le marché dès leur expiration. Merck (GUK) s’attendait par ailleurs à ce que d’autres acteurs intègrent le marché avec leur version du citalopram générique et n’aurait donc pas eu l’intention de retarder l’entrée du citalopram générique en tant que telle.

383    De même, s’agissant de l’accord pour l’EEE, la requérante conteste la pertinence des éléments de preuve utilisés par la Commission pour établir l’existence d’une intention anticoncurrentielle à son égard. Merck (GUK) n’aurait pas conclu l’accord pour l’EEE dans le but d’obtenir son exclusion du marché, mais plutôt pour chercher un arrangement commercial viable qui lui permettait de trouver une alternative à des actions en justice longues et coûteuses et à l’exclusion inévitable des marchés de l’EEE à laquelle elle s’exposait en cas de commercialisation à risque.

384    La Commission conteste ces arguments.

385    Il convient de rappeler, à cet égard, que selon la jurisprudence, l’intention anticoncurrentielle des parties ne constitue pas un élément nécessaire en droit pour déterminer le caractère anticoncurrentiel d’un accord (point 191 ci-dessus).

386    Aux considérants 803 et suivants de la décision attaquée, la Commission a principalement examiné l’intention anticoncurrentielle de Lundbeck en concluant les accords litigieux et a rejeté l’argument des parties à ces accords selon lequel elles avaient l’intention de régler un litige à l’amiable et de clarifier la situation concernant les brevets de Lundbeck. La Commission a précisé que, même s’il n’était pas exclu que cela ait pu constituer l’un des objectifs poursuivis par les parties lors de la conclusion des accords, il n’en restait pas moins que l’un des objectifs poursuivis par Lundbeck lors des négociations était d’obtenir une exclusion des génériques du marché et que c’était en échange d’un paiement substantiel que Merck (GUK) avait accepté de rester en dehors du marché pendant une certaine période, aussi longtemps que les chiffres « se goupillaient » (considérant 255 de la décision attaquée).

387    Or, ainsi que l’a estimé à bon droit la Commission, ces éléments révèlent clairement l’intention anticoncurrentielle des parties aux accords litigieux, consistant à se partager la rente de monopole en échange d’une exclusion du marché. Le fait que les accords aient pu poursuivre également d’autres objectifs ne saurait remettre en cause cette appréciation, puisqu’il est de jurisprudence constante qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).

388    Par ailleurs, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts Dalmine/Commission, point 289 supra, EU:T:2004:220, point 211, et Corus UK/Commission, point 289 supra, EU:T:2004:219, point 73).

389    En outre, il est douteux que les parties aient eu comme objectif de clarifier la situation concernant les brevets de Lundbeck, dans la mesure où l’accord UK ne mentionne aucun brevet qui aurait été enfreint par Merck (GUK) (considérant 814 de la décision attaquée), où Lundbeck ne s’est pas engagée à ne pas contester une éventuelle entrée sur le marché de Merck (GUK) à l’expiration des accords litigieux et où, à l’inverse, Merck (GUK) s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec ses génériques pendant la durée des accords, alors même qu’elle contestait que ses produits violaient un quelconque brevet de Lundbeck (préambule de l’accord UK). Il ressort des pièces du dossier, en revanche, que Merck (GUK) a considéré qu’il était financièrement plus avantageux de rester en dehors du marché en acceptant un paiement de 31,6 millions d’euros en guise de dédommagement, même si elle était tout à fait confiante quant au caractère non contrefaisant de ses produits génériques au moment de la signature des accords (points 249 et 291 ci-dessus).

390    Ces éléments démontrent donc à suffisance que la Commission n’a commis aucune erreur en constatant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux.

391    Le septième moyen doit donc également être rejeté.

H –  Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur de fait commise par la Commission dans ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur entre Lundbeck et Merck (GUK)

392    Par ce moyen, la requérante estime que c’est à tort que la Commission a conclu que l’ensemble des paiements versés en application des accords litigieux constituaient un bénéfice net pour Merck (GUK), qui aurait incité celle-ci à ne pas lancer son produit générique sur le marché du citalopram. En réalité, ces paiements refléteraient uniquement l’évaluation des risques à laquelle les parties ont procédé et la valeur de l’évitement d’une action en contrefaçon.

393    Il y a lieu d’examiner l’ensemble des arguments présentés dans le cadre de ce moyen successivement.

1.     Sur l’erreur d’appréciation qui aurait été commise par la Commission concluant que les bénéfices tirés par Merck (GUK) des paiements versés pour les services de distribution en vertu de l’accord UK et de ses avenants s’élevaient à 9,65 millions de GBP

394    La requérante estime que la Commission a commis une erreur de fait en concluant que les bénéfices tirés par Merck (GUK) des paiements versés pour les services de distribution en vertu de l’accord UK (et de ses prorogations) s’élevaient à 9,65 millions de GBP. En réalité, les bénéfices que Merck (GUK) a tirés de l’accord UK seraient nettement inférieurs aux bénéfices nets évalués par la Commission, qui n’intégraient pas les frais de distribution et de stockage nécessaires assumés par Merck (GUK) pour se conformer à l’accord UK.

395    La Commission conteste ces arguments.

396    Il y a lieu de constater, tout d’abord, contrairement à ce que fait valoir la requérante, que la Commission n’a pas considéré que l’ensemble des paiements versés en vertu des accords litigieux constituaient un bénéfice net pour Merck (GUK). Ainsi, s’agissant de l’accord UK, la Commission a distingué, au considérant 795 de la décision attaquée, d’une part, les bénéfices garantis versés en vertu du point 6.2 de l’accord, s’élevant à 9,65 millions de GBP au total pour toute la durée de l’accord, c’est-à-dire du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003, et, d’autre part, le paiement de 3 millions de GBP versé en échange du stock de citalopram générique de Merck (GUK). De ces 3 millions de GBP, seuls 2 millions ont été considérés par la Commission comme un bénéfice net pour Merck (GUK) (considérant 789 de la décision attaquée).

397    S’agissant de l’absence de prise en compte des frais de distribution encourus par Merck (GUK) en vertu de l’accord UK dans le montant de 9,65 millions de GBP, la Commission a expliqué, au considérant 790 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait estimé que les 5 millions de GBP initialement versés (auxquels s’ajoutaient 2,4 millions de GBP et 2,25 millions de GBP en vertu des deux prorogations de l’accord) n’étaient pas liés aux frais de distribution éventuellement encourus par Merck (GUK), mais plutôt à un montant garanti, visant à compenser pour Merck (GUK) le fait de ne pas vendre de citalopram générique.

398    La Commission a néanmoins reconnu, aux considérants 790 et suivants de la décision attaquée, que, même si Lundbeck avait déjà un système de distribution bien développé au Royaume-Uni, l’accord de distribution avec Merck (GUK) n’était pas nécessairement inutile pour Lundbeck et ne signifiait pas que Merck (GUK) avait exécuté ses services de distribution sans encourir aucun coût. Cependant, la Commission a tenu compte du fait que les profits que Merck (GUK) pouvait réaliser en vendant le citalopram de Lundbeck étaient plafonnés à 125 000 boîtes par mois, ce qui lui permettait d’augmenter ses marges de bénéfices en réduisant le nombre de boîtes distribuées. En effet, en vertu du point 6.2 de l’accord UK, les bénéfices nets de Merck (GUK) pour la vente du citalopram de Lundbeck étaient plafonnés à 5 millions de GBP, même si Merck avait commandé plus de 125 000 boîtes par mois à Lundbeck pendant la durée de l’accord. En outre, il ressort de cette disposition que, si le prix de marché du Cipramil baissait, Lundbeck s’engageait à réduire le prix de vente auquel elle vendait ce produit à Merck (GUK) afin d’assurer que celle-ci puisse percevoir les 5 millions de GBP de profits nets (considérant 790 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a tenu compte du fait que Merck (GUK) avait elle-même indiqué que ce montant de 5 millions de GBP constituait un bénéfice net, sans opérer aucune déduction (considérants 294 et 797 de la décision attaquée).

399    Or, l’addition des 5 millions de GBP de bénéfices garantis et des 2 millions de GBP de bénéfices pour la livraison du stock de citalopram générique de Merck (GUK) à Lundbeck (point 396 ci-dessus) donne un bénéfice net total de 7 millions de GBP, ce qui correspondait au bas de la fourchette des bénéfices prévisionnels estimés par Merck (GUK) pour la première année de commercialisation de son générique (considérants 748, 755 et 809 de la décision attaquée). Comme la Commission le rappelle en outre, le bénéfice net garanti est passé de 400 000 GBP par mois à 750 000 GBP par mois lors de la seconde prorogation de l’accord, sans que des frais de distribution supplémentaires aient été encourus par Merck.

400    Il ressort donc suffisamment des pièces du dossier que les paiements d’un montant total de 9,65 millions de GBP n’ont pas été versés en contrepartie de services de distribution, mais en vue de compenser les bénéfices que Merck (GUK) estimait pouvoir réaliser en cas de commercialisation de son citalopram générique. À cet égard, il y a lieu de souligner, en tout état de cause, que la requérante n’a pas cherché à donner une estimation des frais de distribution qui auraient effectivement été encourus par Merck (GUK), mais qu’elle s’est bornée, par des affirmations générales, à soutenir que l’ensemble des paiements effectués en vertu du point 6.2 de l’accord UK correspondaient intégralement aux frais de distribution et de stockage encourus par Merck (GUK), sans remettre en cause les éléments de preuve mis en avant par la Commission dans la décision attaquée afin d’établir le contraire.

401    Un tel grief doit, dès lors, être rejeté.

2.     Sur l’allégation selon laquelle aucune preuve ne permettrait de conclure que les paiements pour les services de distribution versés par Lundbeck à Merck (GUK) ne constituaient pas seulement des paiements pour des services présentant un intérêt commercial

402    La requérante fait valoir qu’aucune preuve ne permet à la Commission de conclure que les paiements pour les services de distribution versés par Lundbeck à Merck (GUK) en vertu de l’accord UK ne constituaient pas seulement des paiements pour des services présentant un intérêt commercial. Ainsi, selon elle, la clause prévoyant une indemnité forfaitaire en cas de non-respect par Lundbeck de son obligation de fournir ses produits finis à Merck (GUK) au prix de revient (point 6.2 de l’accord UK) ne serait pas une véritable option de ne pas fournir le volume convenu de citalopram pour Lundbeck. De même, la définition du terme « volume » à l’article 1er, paragraphe 1, de cet accord n’aurait établi aucune obligation pour Merck (GUK) de commander la totalité du volume fixé en annexe audit accord. L’accord UK aurait uniquement prévu que Merck (GUK) n’était en droit de toucher l’ensemble des bénéfices nets que si elle commandait et vendait la totalité du volume convenu. En cas de ventes inférieures au volume convenu, Merck (GUK) aurait dû percevoir les bénéfices nets au prorata de ce volume. La Commission aurait conclu à tort, dès lors, que l’accord UK ouvrait à Merck (GUK) le droit de percevoir des bénéfices nets, indépendamment de la quantité de citalopram de Lundbeck qu’elle achetait et revendait.

403    La Commission conteste ces arguments.

404    À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que l’argument de la requérante se fonde sur une prémisse erronée selon laquelle l’ensemble des paiements effectués par Lundbeck à Merck (GUK) en vertu de l’accord UK seraient des paiements effectués exclusivement pour des services de distribution. Or, une telle affirmation, qui n’a nullement été démontrée ni étayée par des chiffres, va manifestement à l’encontre du contenu de cet accord et de son contexte tels qu’établis dans la décision attaquée (points 389, 399 et 400 ci-dessus).

405    En outre, il convient de rappeler que les paiements dus par Lundbeck en vertu du point 6.2 de l’accord UK l’étaient indépendamment des quantités de Cipramil de Lundbeck que Merck (GUK) distribuait réellement et que ce montant était plafonné, même si Merck (GUK) commandait plus que le nombre de boîtes spécifiées dans l’accord UK à Lundbeck. Merck (GUK) était donc assurée de percevoir l’ensemble des bénéfices nets garantis, à condition qu’elle commande la totalité du volume convenu à Lundbeck (point 398 ci-dessus). De plus, si Lundbeck n’était pas en mesure de livrer ses produits pour une raison ou une autre, elle devait assurer le paiement des bénéfices escomptés par Merck (GUK) à cette dernière.

406    Ces éléments témoignent à suffisance du fait que ces paiements n’étaient pas effectués pour des services de distribution présentant un intérêt commercial, mais plutôt en contrepartie des engagements pris par Merck (GUK) en vertu de l’accord UK, comme la Commission l’a relevé à juste titre aux considérants 787 et suivants de la décision attaquée (points 397 à 400 ci-dessus).

407    En tout état de cause, à supposer que ces paiements aient pu également être effectués en échange de services présentant un intérêt commercial pour les parties, la requérante n’a pas démontré en quoi les autres clauses de l’accord UK, telles que l’obligation pour Merck (GUK) de se retirer du marché avec ses produits génériques et de livrer l’ensemble de son stock de citalopram générique à Lundbeck (points 2.2 et 2.3 et point C du préambule de l’accord UK), étaient des clauses relatives à un accord de distribution classique présentant un intérêt commercial pour les parties et non des clauses restrictives de la concurrence dont le paiement d’un bénéfice net garanti constituait la contrepartie (considérant 790 de la décision attaquée et points 398 à 400 ci-dessus).

408    En outre, il convient de rappeler à nouveau qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 188 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).

409    Ce grief doit donc également être rejeté.

3.     Sur l’erreur d’appréciation qui aurait été commise par la Commission concluant que le paiement de 3 millions de GBP versés par Lundbeck pour l’achat de son stock, en application de l’accord UK, constituait une incitation pour Merck (GUK) à ne pas entrer sur le marché

410    La requérante soutient que la Commission a conclu à tort que le paiement de 3 millions de GBP versés par Lundbeck à Merck (GUK) pour l’achat de son stock, en application de l’accord UK, constituait une incitation à ne pas entrer sur le marché pour celle-ci. Le seul fait que Lundbeck ait acheté le stock de citalopram de Merck (GUK) au prix de revente, et non au prix d’achat, ne constituerait pas un indice pertinent à cet égard. La requérante souligne par ailleurs que l’accord UK prévoyait que les paiements exécutés et la livraison des produits par Merck (GUK) conformément aux articles 2.2 et 2.3 de cet accord constituaient un règlement définitif de toute plainte.

411    La Commission conteste ces arguments.

412    Comme le fait valoir la Commission, les articles 2.2 et 2.3 de l’accord UK sont limpides. Ils prévoient que Merck (GUK) recevra un paiement de 3 millions de GBP en échange de son engagement de livrer tous ses produits de citalopram générique à Lundbeck dans les délais prévus à cet effet. La Commission a considéré que 2 de ces 3 millions de GBP constituaient un bénéfice net pour Merck (GUK), en échange de son engagement de ne pas entrer sur le marché (point 396 ci-dessus).

413    La requérante se contente d’affirmer que le paiement de ces 2 millions de GBP représentait la valeur que Lundbeck accordait au règlement amiable en matière de brevet ou le montant que Lundbeck était disposée à payer pour éviter le risque d’une issue négative dans le cadre d’une action en contrefaçon. Or, le fait que ce montant puisse représenter la valeur, aux yeux de Lundbeck, des restrictions imposées à Merck (GUK) et, notamment, celle de la livraison du stock de citalopram générique de celle-ci ne signifie pas qu’un tel montant était nécessaire pour régler un litige à l’amiable, et encore moins qu’il fût légitime au regard du droit de la concurrence.

414    Ce grief doit donc aussi être rejeté.

4.     Sur l’allégation selon laquelle aucune preuve ne démontrerait que Merck (GUK) a réalisé un bénéfice de 12 millions d’euros dans le cadre de l’accord pour l’EEE

415    Selon la requérante, aucune preuve n’étayerait la conclusion de la Commission selon laquelle Merck (GUK) aurait réalisé un bénéfice de 12 millions d’euros dans le cadre de l’accord pour l’EEE. Ce montant n’aurait jamais été considéré par les parties comme un bénéfice net, mais aurait couvert principalement les coûts liés à la fourniture du citalopram, à l’indemnisation du distributeur et les coûts de transformation de l’IPA. La conclusion de la Commission selon laquelle la suspension des engagements de Merck (GUK) envers son distributeur ne semblait pas avoir engendré de frais serait donc erronée. En outre, en permettant l’achat de l’IPA, ce paiement aurait facilité la préparation par Merck (GUK) du lancement d’une version générique du citalopram dès la clarification de la situation du brevet de Lundbeck.

416    La Commission conteste ces arguments.

417    D’une part, il convient de relever, à cet égard, qu’il résulte d’une évaluation interne de Merck (GUK) de mars 2003, mentionnée au considérant 854 de la décision attaquée, que celle-ci a elle-même qualifié le montant de 12 millions d’euros de bénéfices, sans effectuer aucune déduction pour certains coûts qui auraient été encourus. D’autre part, il ne ressort pas des éléments de preuve présentés par la requérante que des frais aient réellement été encourus du fait de la suspension de certaines commandes de citalopram auprès de ses fournisseurs. Comme le fait valoir la Commission, les sommes invoquées par la requérante correspondent donc à des estimations de coûts qui n’ont en réalité jamais été encourus.

418    Ainsi, aucun élément de preuve ne permet d’établir que Merck (GUK) ait dû indemniser Natco ou NM Pharma, ce que la requérante n’a contesté ni dans le cadre de la réplique ni à l’audience. Même si elle avait initialement envisagé devoir « s’occuper de Natco » et qu’elle estimait qu’il serait clairement préférable de répercuter ce coût sur Lundbeck, il ressort d’un document interne de Lundbeck du 28 juin 2002, cité au considérant 337 de la décision attaquée, que Lundbeck a finalement refusé de prévoir une compensation pour Natco.

419    En outre, à supposer que certains frais aient pu être encourus, Merck (GUK) n’a pas établi que ces frais résultaient de l’exécution de l’accord pour l’EEE et qu’ils n’auraient pas été encourus, en tout état de cause, en l’absence des accords litigieux ou à l’expiration de ceux-ci. En effet, s’agissant de la suspension de certaines commandes ou de l’IPA déjà commandé, ceux-ci n’ont généré aucun frais supplémentaires pour Merck (GUK), puisque, en août 2003, elle a finalement vendu pour 3 millions de GBP de comprimés au Royaume-Uni, ce qui montre clairement qu’il n’y avait pas de problème concernant la conservation de l’IPA et qu’elle a pu mettre à profit les comprimés déjà commandés (considérants 345 et 854 de la décision attaquée). De plus, comme l’explique la Commission au considérant 854 de la décision attaquée, Merck (GUK) a pu suspendre les commandes d’IPA en cours sans encourir de frais supplémentaires à cet égard.

420    Dès lors, à supposer même que, du point de vue de Merck (GUK), l’accord pour l’EEE aurait engendré des coûts à hauteur de 12 millions d’euros, le paiement garanti par Lundbeck serait revenu à l’indemniser pour des dépenses qu’elle n’avait jamais effectivement engagées ou qu’elle aurait de toute façon engagées en l’absence de cet accord. Par conséquent, les allégations de la requérante selon lesquelles les paiements de Lundbeck constituaient une compensation pour les coûts supplémentaires qu’elle aurait engagés ne sont corroborées par aucun élément de preuve. En outre, ainsi que la Commission l’a constaté à juste titre au considérant 855 de la décision attaquée et dans le cadre du présent recours, la requérante n’a fourni aucune explication alternative convaincante concernant l’importance du paiement inversé effectué en vertu de cet accord.

421    Partant, il y a lieu de considérer que la Commission a établi à suffisance de droit que c’était principalement l’importance du paiement inversé en faveur de Merck (GUK) qui avait incité celle-ci à accepter les limitations régissant sa conduite et que ce paiement constituait un dédommagement des bénéfices qu’elle comptait réaliser sur le marché, sans qu’elle ait à poursuivre ses efforts et à assumer les risques d’une telle entrée sur le marché (considérant 350 de la décision attaquée).

422    Il y a lieu, dès lors, de rejeter également ce grief ainsi que le huitième moyen dans son ensemble.

IV –  Sur le dixième moyen, tiré de ce que la Commission a omis de tenir dûment compte des éléments de preuves présentés par Merck permettant de réfuter la présomption d’exercice d’une influence décisive sur son ex-filiale GUK et a, par conséquent, commis une erreur de droit et de fait en constatant que cette présomption n’était pas réfutée

423    La requérante allègue, par ce moyen, que la Commission n’a pas dûment tenu compte des éléments de preuve qu’elle a fournis visant à réfuter la présomption d’exercice d’une influence décisive sur son ancienne filiale GUK au moment des faits.

424    Ainsi, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante aurait démontré, premièrement, qu’il n’y avait pas de direction croisée entre elle et GUK pendant toute la période pertinente, deuxièmement, qu’elle et GUK ont conservé des activités totalement séparées et des services de ressources humaines, de logistique, de ventes, de production et des services financiers distincts, troisièmement, que GUK ne lui adressait pas de rapports opérationnels et que ce n’est qu’un mois après sa conclusion qu’un salarié de son service chargé des relations avec les entreprises a eu connaissance de l’accord UK et, quatrièmement, que le personnel détaché par elle auprès de GUK a été traité avec suspicion et a été tenu à l’écart des activités de cette dernière.

425    La requérante conteste en outre que l’accord de contrôle conclu entre elle et Merck Generics puisse être interprété comme un lien juridique entre elle et GUK supplantant la participation à hauteur de 100 % qu’elle détenait à l’époque dans GUK. Elle estime que la question n’est pas tant de savoir si Merck Generics exerçait un contrôle sur GUK, mais plutôt de déterminer la division des opérations entre elle et Merck Generics. Dès lors, la requérante estime que tous les éléments de preuve mis en avant par la Commission et l’intervenante, qui concernent les liens existant entre GUK et Merck Generics, ne sont pas pertinents pour démonter une immixtion de sa part dans les activités de GUK.

426    La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.

427     Il convient de relever à titre liminaire que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec, EU:C:2009:536, point 54 et jurisprudence citée).

428    La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 55 et jurisprudence citée).

429    Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 56 et jurisprudence citée).

430    L’infraction au droit de la concurrence doit, en revanche, être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (voir, en ce sens, arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 57 et jurisprudence citée).

431    En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 58 et jurisprudence citée).

432    En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 427 et 428 ci-dessus. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 101 TFUE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 59 et jurisprudence citée).

433    Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir, en ce sens, arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 60 et jurisprudence citée).

434    Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 427 supra, EU:C:2009:536, point 61 et jurisprudence citée).

435    La jurisprudence a considéré, pour les mêmes raisons que celles qui sont exposées aux points 431 à 433 ci-dessus, que la présomption de responsabilité tirée de la détention, par une société, de la totalité du capital d’une autre société s’appliquait non seulement dans les cas où il existait une relation directe entre la société mère et sa filiale, mais également dans des cas où, comme en l’espèce, cette relation était indirecte eu égard à l’interposition d’une autre société (arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, Rec, EU:C:2011:21, point 88 ; du 14 juillet 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, T‑190/06, Rec, EU:T:2011:378, point 42, et du 6 mars 2012, FLSmidth/Commission, T‑65/06, EU:T:2012:103, point 27).

436    En l’espèce, la Commission a constaté, au considérant 1243 de la décision attaquée, que GUK, la société qui a conclu les accords litigieux avec Lundbeck, était détenue indirectement à 100 % par Merck à l’époque de la conclusion et de la mise en œuvre de ces accords et qu’il pouvait dès lors être présumé que cette dernière exerçait une influence déterminante sur sa filiale.

437    Aux considérants 1244 et suivants de la décision attaquée, la Commission a répondu aux arguments de la requérante en réponse à la communication des griefs visant à réfuter cette présomption. Elle a estimé qu’aucun des éléments de preuve avancés n’était suffisant pour conclure que GUK avait agi de façon indépendante sur le marché.

438    La requérante fait valoir, néanmoins, que l’ensemble des documents fournis en réponse à la communication des griefs auraient dû amener la Commission à conclure que la présomption d’exercice d’une influence décisive de sa part sur sa filiale avait été renversée.

439    Ce grief ne saurait être accueilli.

440    En effet, il convient de constater, tout d’abord, que la requérante ne conteste pas les éléments de preuve avancés par la Commission aux considérants 1244 et suivants de la décision attaquée en réponse à ses arguments, qui confirment l’existence d’une présomption d’exercice d’une influence décisive de celle-ci sur sa filiale GUK en l’espèce, mais tente uniquement de minimiser l’importance de ceux-ci ou se borne à répéter les mêmes arguments que ceux qui ont été présentés à la Commission en réponse à la communication des griefs.

441    Dès lors, dans la mesure où la requérante effectue un renvoi global aux éléments de preuve fournis à la Commission dans le cadre de la procédure administrative, qui sont reproduits dans l’annexe 14 de la requête, il convient de rappeler qu’un tel renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, au soutien d’arguments qui ne sont pas étayés dans la requête, doit être déclaré irrecevable au vu de la jurisprudence mentionnée aux points 56 et 57 ci-dessus.

442    En outre, la requérante fait valoir, tout d’abord, que le fait qu’elle ait détaché l’un de ses cadres auprès de GUK afin d’établir des pratiques d’acquisition cohérentes dans les deux groupes n’indiquerait pas qu’elle était parfaitement informée des activités de GUK. Ce cadre ne lui aurait pas adressé de rapport sur les questions opérationnelles, mais uniquement sur les questions relatives à l’emploi et aux ressources humaines et ce détachement aurait été un échec, étant donné que le cadre en question aurait été traité avec suspicion et tenu à l’écart par GUK.

443    Or, ainsi que la Commission l’a observé au considérant 1247 de la décision attaquée, à supposer même que ce détachement ait été un échec – ce qui paraît peu probable au vu de sa durée (près de six ans) –, cela ne suffirait pas pour remettre en cause l’existence d’une unité économique entre les deux sociétés, étant donné que le fait même de pouvoir imposer un tel détachement témoigne de ce que Merck était activement impliquée dans la gestion de sa filiale. La Commission n’a donc pas ignoré les éléments de preuve mis en avant par la requérante à cet égard, comme tente de le faire valoir cette dernière, mais a estimé, à bon droit, que ceux-ci n’était pas suffisants pour renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante de Merck sur sa filiale.

444    Par ailleurs, s’agissant de l’enquête menée par le service de presse de Merck auprès de GUK sur l’accord UK, mentionnée par la Commission au considérant 1250 de la décision attaquée, afin d’établir que Merck agissait comme un conglomérat en matière de communication, la requérante fait valoir que cette enquête indique en réalité qu’elle n’avait eu connaissance des accords conclus par GUK qu’après les faits.

445    À cet égard, il convient de rappeler que ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens susmentionné qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés (arrêts du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, T‑168/05, EU:T:2009:367, point 77, et Total et Elf Aquitaine/Commission, point 435 supra, EU:T:2011:378, point 50). Il n’est donc pas requis par la jurisprudence que la société mère ait eu connaissance de l’infraction au moment où celle-ci a été commise par sa filiale pour qu’elle puisse être considérée comme constituant une seule entreprise avec cette dernière au sens du droit de la concurrence et pour qu’elle puisse se voir, à ce titre, imposer une amende [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2015, Socitrel et Companhia Previdente/Commission, T‑413/10 et T‑414/10, Rec (Extraits), EU:T:2015:500, point 252 et jurisprudence citée].

446    En tout état de cause, il ressort des éléments de preuve mentionnés au considérant 1250 de la décision attaquée ainsi que des observations de l’intervenante que certains dirigeants de Merck étaient directement informés de la stratégie commerciale suivie par GUK et de la mise en œuvre des accords litigieux.

447    Ainsi, le cadre détaché par Merck auprès de sa filiale GUK, [confidentiel](2), était directement responsable de la communication stratégique avec Natco pendant la durée des accords litigieux et était chargé d’expliquer notamment la stratégie future de Merck Generics concernant le lancement du citalopram après l’expiration des accords litigieux ainsi que les raisons pour lesquelles ces accords avaient été conclus. Or, ce cadre devait également répondre de ses objectifs commerciaux auprès du directeur du département « Corporate Procurement » de Merck, [confidentiel]. De tels éléments témoignent à suffisance, comme l’a constaté la Commission, de l’implication directe de Merck dans les activités illégales de GUK.

448    De plus, il ressort des pièces du dossier, et sans que cela soit contesté par la requérante, que le directeur général de GUK, [confidentiel], qui a cosigné l’accord pour l’EEE avec Lundbeck, était également à l’époque directeur régional européen des activités de Merck Generics pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Cette personne répondait directement auprès du directeur de Merck Generics, [confidentiel], qui non seulement avait connaissance des accords conclus, mais a également participé activement à leur élaboration. Ce dernier rendait régulièrement compte de ses fonctions auprès du directeur général de Merck, [confidentiel], ainsi que cela ressort notamment du courriel envoyé le 21 février 2002, faisant état de l’attention des médias sur l’accord UK récemment conclu entre GUK et Lundbeck.

449    En outre, comme la requérante l’admet elle-même, en vertu du droit allemand, le fait de détenir 100 % des participations dans une GmbH permet en théorie à son actionnaire unique d’exercer un pouvoir presque absolu en remplaçant les décisions de la direction par ses propres décisions en tant qu’actionnaire. Cette démarche peut même être institutionnalisée par le biais d’un conseil consultatif composé des membres du conseil d’administration de l’actionnaire et habilité à assurer une microgestion des membres du conseil d’administration de la filiale, en donnant à ce conseil le pouvoir de se charger des décisions d’affaires aussi bien stratégiques que quotidiennes de cette filiale. Quelle que soit, dès lors, la portée de l’accord de contrôle conclu postérieurement entre Merck et sa filiale Merck Generics, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a constaté qu’il existait des liens de contrôle entre Merck et ses filiales Merck Generics et GUK, ce que la requérante n’a pas été à même de réfuter.

450    Partant, le dixième moyen doit être rejeté.

V –  Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

451    Par ce moyen, la requérante estime que la Commission a enfreint le principe de sécurité juridique en concluant que les règlements amiables en matière de brevets avaient restreint la concurrence par objet dans la présente affaire, dans la mesure où, d’une part, elle aurait opéré un revirement quant à la légalité de ces accords spécifiques et où, d’autre part, elle aurait toujours eu pour politique de considérer que les clauses de non-contestation incluses dans les accords amiables ne relevaient pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

452    En outre, ce principe serait manifestement violé en l’espèce du fait qu’une autorité de la concurrence de l’Union aurait fait état du point de vue de la Commission, concernant ces mêmes accords, comme se trouvant dans une zone grise ne justifiant pas de poursuites judiciaires. Or, dans un contexte analogue, la Commission aurait reconnu la nécessité de tenir compte du fait qu’une nouvelle interprétation d’une norme abstraite et générale n’était pas prévisible pour les opérateurs concernés. La Commission aurait dû, dès lors, adopter une approche similaire en l’espèce et n’apprécier que les futurs accords sous l’angle du droit de la concurrence, comme le KFST lui aurait suggéré de le faire.

453    La Commission conteste ces allégations.

454    Selon la jurisprudence, le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec, EU:C:2011:190, point 68 et jurisprudence citée).

455    Or, en l’espèce, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’était pas imprévisible que des accords par lesquels un laboratoire de princeps paye une entreprise de génériques, avec laquelle elle est à tout le moins potentiellement en concurrence, pour que cette dernière n’entre pas sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée de ces accords, et sans aucun engagement permettant à celle-ci d’entrer sur le marché à l’expiration de ces accords, puissent être considérés comme contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de par leur objet même.

456    En effet, les accords de répartition ou d’exclusion du marché figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence explicitement mentionnées par l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 185 ci-dessus).

457    De plus, la jurisprudence a progressivement clarifié la notion de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et a clairement établi que cette notion s’appliquait à des accords qui, de par leur nature même, présentaient un degré suffisant de nocivité pour la concurrence (points 186 et suivants ci-dessus).

458    La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords ont été conclus dans un contexte impliquant des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à la requérante de conclure que l’approche de la Commission serait totalement nouvelle ou qu’elle aurait opéré un revirement en ce qui concerne son appréciation de la légalité de ce type d’accords.

459    En effet, la jurisprudence antérieure aux accords litigieux précisait qu’un accord n’était pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il portait sur un brevet ou qu’il visait à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 248 supra, EU:C:1988:448, point 15) et que le fait de substituer l’appréciation discrétionnaire d’une des parties aux décisions des juges nationaux afin de constater l’existence d’une violation d’un brevet ne relevait manifestement pas de l’objet spécifique du brevet et constituait donc une restriction de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Windsurfing, point 225 supra, EU:C:1986:75, point 92).

460    En outre, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet (point 212 ci-dessus).

461    Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que certains producteurs de génériques avaient bien perçu le caractère infractionnel des accords proposés par Lundbeck et ont refusé d’entrer dans de tels accords précisément pour cette raison (considérant 190 de la décision attaquée). De même, un employé de Lundbeck a également réagi à certains échanges de courriels qui établissaient les prix et les volumes de citalopram achetés par Merck (GUK) à Lundbeck en vertu des accords litigieux, en précisant qu’il « s’oppos[ait] fortement au contenu de ce courriel » et que Lundbeck et Merck (GUK) « ne pouv[aient] pas et ne dev[aient] pas [se] mettre d’accord sur les prix de revente – cela [étant] illégal » (considérant 265 de la décision attaquée). Dans un document intitulé « Generic Citalopram update 22.11.2002 », Lundbeck avait également constaté que la conclusion des accords avec les entreprises de génériques était délicate, au motif notamment qu’« il [était] illégal de bloquer la concurrence » (considérant 191 de la décision attaquée).

462    Ces éléments démontrent que les restrictions de concurrence prévues par les accords litigieux pouvaient raisonnablement être perçues par les parties aux accords litigieux comme étant contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ce fait étant, dès lors, loin d’être imprévisible à l’époque.

463    En effet, la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-il être attendu d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir arrêt du 16 septembre 2013, Wabco Europe e.a./Commission, T‑380/10, Rec, EU:T:2013:449, point 175 et jurisprudence citée).

464    Enfin, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la Commission se serait écartée de sa propre pratique concernant les clauses de non-contestation.

465    Il convient en effet de rappeler, à cet égard, que la Commission n’a pas considéré que les accords litigieux contenaient des clauses de non-contestation analogues à celles qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Windsurfing, point 225 supra (EU:C:1986:75). En revanche, la Commission a tenu compte du fait que ces accords ne prévoyaient aucune clause permettant à Merck (GUK) d’entrer directement sur le marché du citalopram après leur expiration et prévoyant que Lundbeck s’engagerait à ne pas intenter d’actions en contrefaçon à son égard à ce moment (point 276 ci-dessus).

466    De même, l’argument de la requérante selon lequel le communiqué du KFST aurait laissé croire que de tels accords n’étaient pas contraires à l’article 101 TFUE ne saurait prospérer, pour les raisons exposées aux points 267 et suivants ci-dessus.

467    Par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

VI –  Sur le onzième moyen, tiré d’une violation du délai raisonnable

468    La requérante fait valoir que la durée excessive de la procédure administrative en l’espèce a affecté la capacité des entreprises concernées de se défendre effectivement, ce qui aurait une incidence sur la validité de ladite procédure, selon la jurisprudence. En effet, plus de huit ans et demi se seraient écoulés entre la date à laquelle la Commission a eu connaissance des accords litigieux et la date à laquelle elle a ouvert la procédure formelle contre Merck et GUK. En outre, le KFST aurait déclaré que la Commission n’ouvrirait pas de procédure d’infraction à l’encontre des accords litigieux. Cette déclaration, combinée à l’écoulement du temps, aurait induit un manque de documentation et d’accès à des témoins potentiels et aurait affecté la capacité de Merck de se défendre efficacement sur plusieurs griefs essentiels de l’infraction soulevés par la Commission. Enfin, le fait que Merck ait eu accès au dossier au cours de l’enquête n’aurait pas permis de remédier à ces difficultés.

469    La Commission conteste ces arguments.

470    Il y a lieu de rappeler que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite de la procédure administrative en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont les juridictions de l’Union assurent le respect (voir arrêt du 19 décembre 2012, Bavaria/Commission, C‑445/11 P, EU:C:2012:828, point 77 et jurisprudence citée).

471    Il est également de jurisprudence constante que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte dans lequel elle s’inscrit, des différentes étapes procédurales qui ont été suivies, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec, EU:C:2002:582, point 187, et du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec, EU:T:2003:249, point 230).

472    En outre, il y a lieu de rappeler que le dépassement d’un délai raisonnable, à le supposer établi, ne justifie pas nécessairement l’annulation de la décision. En effet, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation que, dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec, EU:T:2008:211, point 227 et jurisprudence citée).

473    Il convient de relever également que, selon la jurisprudence, aux fins de l’application du principe du délai raisonnable, une distinction doit être opérée entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs (ci-après la « première phase ») et celle correspondant au reste de la procédure administrative (ci-après la « seconde phase »), chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre. La première phase, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde phase, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec, EU:C:2006:593, points 42 et 43).

474    À cet égard, il a été jugé que la durée excessive de la première phase peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci sont invoqués dans la seconde phase, en raison de l’écoulement du temps et de la difficulté qui en résulte de recueillir des éléments à décharge. Il importe, toutefois, dans un tel cas, que les entreprises concernées démontrent de manière suffisamment précise qu’elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission en précisant quels sont les documents ou les témoignages qu’elles ne pourraient plus solliciter et les raisons pour lesquelles cela serait de nature à compromettre leur défense (voir, en ce sens, arrêts Technische Unie/Commission, point 473 supra, EU:C:2006:593, points 54 et 60 à 71, et ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., point 225 supra, EU:C:2011:190, point 118).

475    De même, selon la jurisprudence, ces entreprises doivent indiquer de manière circonstanciée, sinon les éléments de preuve spécifiques disparus, à tout le moins les incidents, évènements ou circonstances qui les ont empêchées, pendant la période considérée, de se conformer à leur obligation de diligence et qui ont entraîné la prétendue disparition des éléments de preuve auxquels elles font allusion. En effet, ce n’est qu’en examinant de telles indications spécifiques que le juge de l’Union peut apprécier si une entreprise a démontré à suffisance de droit qu’elle a éprouvé les difficultés invoquées pour se défendre contre les allégations de la Commission en raison d’une durée excessive de la procédure administrative ou si, au contraire, lesdites difficultés résultent d’une méconnaissance de ses obligations de diligence (arrêt ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., point 454 supra, EU:C:2011:190, points 120 à 122).

476    En l’espèce, la requérante fait valoir qu’un manque de documentation et d’accès aux témoins aurait affecté sa capacité à se défendre efficacement contre les griefs soulevés par la Commission, s’agissant notamment des passages de la décision attaquée qui concernent l’intention subjective de GUK lorsqu’elle a conclu les accords litigieux, l’opinion de GUK sur la solidité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck ainsi que sur la question de savoir si le citalopram de Natco contrefaisait ce brevet et, enfin, le niveau de bénéfices effectivement réalisés par GUK dans le cadre des accords litigieux.

477    À titre liminaire, il convient de rappeler la séquence des évènements ayant mené à l’adoption de la décision attaquée (considérants 8 à 19 de la décision attaquée) :

–        en octobre 2003, la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords litigieux, par le biais d’informations communiquées par le KFST dans le cadre de son enquête ;

–        en janvier 2005, la Commission a procédé à des inspections au Danemark, en Italie et en Hongrie, dans les locaux de Lundbeck principalement ;

–        en 2006, des demandes de renseignements ont été adressées aux autorités de la concurrence de l’ensemble des États membres ainsi qu’à Lundbeck et à CF Pharma ;

–        en 2007, la Commission a traité les réponses à ces demandes et a établi une position préliminaire sur les pratiques de Lundbeck et des autres entreprises impliquées ;

–        en janvier 2008, la Commission a décidé de commencer une enquête sectorielle dans le domaine pharmaceutique, qui s’est close par l’adoption d’un rapport final le 8 juillet 2009 ;

–        en décembre 2009, la Commission a effectué de nouvelles inspections dans les locaux de Lundbeck Italia SpA et d’entreprises italiennes de génériques ;

–        le 7 janvier 2010, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre de Lundbeck ;

–        le 19 mars 2010, la Commission a adressé une demande de renseignements à Merck dans le cadre de la procédure ouverte à l’encontre de Lundbeck ;

–        le 24 juillet 2012, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre de Merck ;

–        les 14 et 15 mars 2013, la Commission a tenu une audition avec les parties ;

–        le 21 juin 2013, la Commission a adopté la décision attaquée.

478    Tout d’abord, s’agissant de la seconde phase de la procédure, il suffit de constater que celle-ci a duré moins d’un an à l’égard de la requérante, ce qui ne saurait être considéré comme excessif.

479    Ensuite, s’agissant de la première phase de la procédure, il convient de constater que celle-ci a débuté, à l’égard de la requérante, le 19 mars 2010, date à laquelle la Commission a pris les premières mesures reprochant à Merck d’avoir commis une infraction, et qu’elle s’est clôturée le 24 juillet 2012, date de la communication des griefs.

480    Or, la requérante soutient que c’est principalement en raison de la cession de sa filiale GUK en 2007 qu’elle a eu plus de difficultés à se procurer des documents et des témoignages pour assurer sa défense, ce qui implique que, à supposer que ses possibilités de se défendre aient efficacement pu être compromises, elles l’étaient avant même que la Commission effectue les premières mesures d’inspection à son égard. Dans ces conditions, une éventuelle violation des droits de la défense de la requérante imputable à la Commission en raison de la durée excessive de la première phase de la procédure administrative ne saurait être établie dans le cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 472 supra, EU:C:2006:593, point 69).

481    En outre, premièrement, dans la mesure où la requérante se fonde sur la date à laquelle la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords litigieux pour établir que celle-ci a méconnu son obligation d’adopter une décision dans un délai raisonnable et a ainsi violé ses droits de la défense, il importe de souligner qu’une telle approche n’est nullement suivie par la jurisprudence, qui prend comme point de départ de la première période la date des premières mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 472 supra, EU:C:2006:593, point 43).

482    Par ailleurs, il convient de noter que, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, la prescription court, pour les infractions continues, comme en l’espèce, à compter du jour où l’infraction a pris fin. En application de l’article 25, paragraphes 3 et 4, dudit règlement, des demandes de renseignements, l’engagement d’une procédure et l’envoi d’une communication des griefs interrompent la prescription, et ce pour tous les participants à une infraction. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption en étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte, de sorte que la Commission ne saurait, sous peine que la prescription ne soit acquise, retarder indéfiniment sa décision quant aux amendes.

483    Or, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais de prescription dans le respect desquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec, EU:T:2003:76, point 324 et jurisprudence citée).

484    Deuxièmement, il convient de noter que la durée de la première phase de la procédure, à supposer qu’elle puisse être calculée à compter de la fin de l’infraction comme le propose la requérante, serait de presque sept ans à l’égard de celle-ci. Or, une telle durée peut être justifiée par les circonstances particulières de l’espèce, dont il ressort que, en plus des nombreuses demandes de renseignements qu’elle a adressées aux entreprises concernées, la Commission a estimé nécessaire d’effectuer une enquête sectorielle afin d’analyser l’ensemble des pratiques concernant les règlements amiables dans le domaine pharmaceutique et d’obtenir une vue détaillée du paysage concurrentiel dans ce secteur. Ainsi, l’ensemble de la procédure n’a été caractérisée par aucune période d’inactivité prolongée qui ne trouve sa justification dans les besoins de la Commission d’effectuer une enquête plus générale dans le secteur concerné.

485    En outre, il convient de relever que la Commission a tenu compte de cette durée pour octroyer une réduction de 10 % du montant de l’amende infligée à la requérante et aux autres destinataires de la décision attaquée, au considérant 1380 de la décision attaquée.

486    Troisièmement, s’agissant du communiqué de presse du KFST, qui aurait laissé penser, selon la requérante, que la Commission n’entamerait aucune poursuite à son égard, il y a lieu de rappeler que ce document précisait clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si les accords en cause étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des producteurs de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique. La requérante ne saurait donc valablement prétendre qu’un tel communiqué l’aurait incitée à ne pas prendre de mesures pour assurer sa défense, et encore moins qu’une telle incitation, à la supposer établie, serait imputable à la Commission et à la durée excessive de la procédure administrative devant elle.

487    Enfin, il y a lieu de souligner, à l’instar de la Commission, que la requérante a eu accès à l’ensemble du dossier administratif et des éléments de preuve invoqués par la Commission, sans avoir émis aucune plainte particulière et motivée quant à l’importance d’accéder à un quelconque élément retiré du dossier pendant la procédure administrative ou dans le cadre du présent recours.

488    À cet égard, à supposer que, par ses allégations, la requérante ait réuni les conditions de précision et de spécificité requises par la jurisprudence rappelée au point 474 ci-dessus, il y a lieu de constater que, au vu du communiqué de presse du KFST et de l’enquête sectorielle que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union (point 482 ci-dessus), indépendamment des délais éventuellement en vigueur selon les droits des États membres.

489    Or, la diligence relève des conditions requises par la jurisprudence (point 475 ci-dessus) afin qu’une partie puisse utilement invoquer la violation de ses droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure.

490    Partant, au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

VII –  Sur le treizième moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation des sanctions infligées

491    La requérante fait valoir, dans le cadre de ce moyen, que l’approche choisie par la Commission pour fixer les amendes infligées aux entreprises de génériques aurait dû conduire à ce qu’elle n’inflige aucune amende ou, à tout le moins, à ce qu’elle inflige une amende réduite. La Commission, en s’écartant de sa pratique habituelle telle que définie dans ses lignes directrices de 2006 (point 32 ci-dessus), aurait dû procéder à un ajustement du montant de base des amendes pour tenir compte de la durée ou de la gravité des infractions.

492    La Commission conteste les arguments de la requérante.

493    Avant d’examiner ce moyen, il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, Rec, EU:T:2014:92, point 156).

494    Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause (arrêts InnoLux/Commission, point 493 supra, EU:T:2014:92, point 157, et du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, Rec, EU:T:2014:1049, point 352).

495    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, Rec, EU:C:2011:816, point 131).

496    À titre liminaire, il convient de rappeler que la requérante a été condamnée à une amende de 21 411 000 euros, dont 7 766 843 euros à titre solidaire avec GUK (article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée). Ce montant a été calculé en tenant compte de la valeur des paiements obtenus en vertu des accords litigieux (considérants 1361 et 1374 de la décision attaquée) et en appliquant le plafond de 10 % prévu par l’article 23 du règlement n° 1/2003 séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision attaquée).

A –  Sur le grief tiré de l’incompétence de la Commission pour infliger une amende au titre de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 en l’espèce

497    La requérante fait valoir, à titre principal, que la Commission n’était pas compétente pour lui imposer une amende, dès lors qu’aucune infraction de Merck (GUK) n’avait été commise de propos délibéré ou par négligence. Selon elle, la Commission ne saurait assimiler la présente espèce à une affaire impliquant des incitations financières à la sortie du marché, puisque les paiements inversés ont été versés en vue de régler un contentieux probable soulevant des questions inédites et complexes quant à leur effet sur la concurrence. La Commission n’aurait pas clairement établi, dès lors, que, avant l’adoption de la décision attaquée, les règlements amiables en matière de brevets prévoyant des paiements inversés relevaient de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En outre, la Commission aurait conclu à tort que Merck (GUK) était consciente que les accords litigieux visaient à restreindre la concurrence, puisque leur objectif était d’éviter des injonctions provisoires et un contentieux coûteux.

498    La Commission conteste ces arguments.

499    À cet égard, force est de constater que la requérante réitère ses arguments émis dans le cadre des autres moyens selon lesquels il n’était pas clairement établi que des règlements amiables prévoyant des paiements inversés comme en l’espèce violaient l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

500    Or, dans la mesure où l’ensemble de ces arguments ont été rejetés dans le cadre de l’examen des différents moyens exposés ci-dessus, ceux-ci doivent être rejetés par voie de conséquence également dans le cadre d’un moyen tiré de l’incompétence de la Commission pour infliger une amende.

501    En effet, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que la requérante ait eu effectivement conscience d’enfreindre l’article 101, paragraphe 1, TFUE en concluant les accords litigieux pour pouvoir établir que l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, l’important étant de déterminer si, au vu de la teneur des accords, de leur contexte juridique et économique et du comportement des parties, celles-ci avaient conscience ou devaient avoir conscience du fait que les restrictions prévues par ces accords étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. En d’autres termes, la condition de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003 est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec, EU:C:1983:310, point 45 ; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec, EU:C:1983:313, point 107, et Schenker & Co. e.a., point 267 supra, EU:C:2013:404, point 37).

502    Or, en l’espèce, la Commission a rappelé, à juste titre, aux considérants 1312 et 1313 de la décision attaquée, qu’une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus dans le cadre de règlements amiables portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à la requérante d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement imprévisible.

503    En effet, il ressort du considérant 190 de la décision attaquée, par exemple, que, lorsque NM Pharma s’est vu proposer le même type d’accord par Lundbeck, elle a estimé ne pas pouvoir engager de discussions sur ce sujet en raison de son code de conduite et de sa politique antitrust. De même, il ressort du considérant 265 de la décision attaquée que, en réaction à un courriel envoyé à Merck (GUK), daté du 18 janvier 2002 et contenant des estimations chiffrées des profits qui seraient réalisés en cas d’achat du citalopram de Lundbeck, un employé de Lundbeck a commenté qu’il « désapprouv[ait] fortement le contenu de ce courriel […], cela [étant] illégal ».

504    De même, il n’est pas requis, afin d’établir une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, que la Commission démontre que les mêmes types de pratiques ou d’accords ont déjà été condamnés auparavant au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’il était suffisamment établi au moment de la conclusion des accords litigieux que le fait d’exclure des concurrents réels ou potentiels du marché constituait une restriction de la concurrence par objet (points 456 à 463 ci-dessus).

505    C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission a constaté, au considérant 1301 de la décision attaquée, que les sociétés de génériques telles que la requérante ne pouvaient ignorer que leur comportement, consistant à s’engager à ne pas entrer avec leurs médicaments génériques sur le marché du citalopram en échange de paiements considérables, constituait, délibérément ou, à tout le moins, par négligence, une infraction aux règles de concurrence.

506    Le premier grief de la requérante doit donc être rejeté.

B –  Sur le grief tiré d’une violation du principe de légalité des peines

507    La requérante allègue que l’imposition d’une amende à son égard serait contraire au principe nullum crimen nulla poena sine lege, c’est-à-dire le principe de légalité des peines. En effet, ce principe interdirait l’imposition d’une amende sur le fondement de l’interprétation d’une disposition législative dont le résultat n’était pas prévisible au moment de la commission de l’infraction.

508    La Commission conteste ces arguments.

509    Il convient de rappeler que les principes de sécurité juridique et de légalité des peines, prévus par l’article 7 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi que par l’article 49 de la charte des droits fondamentaux, ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction (voir, en ce sens, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 96 supra, EU:C:2014:2062, point 148 et jurisprudence citée).

510    Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 96 supra, EU:C:2014:2062, point 149 et jurisprudence citée).

511    En outre, la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-il être attendu d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir arrêts du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, Rec, EU:T:2008:256, point 142 et jurisprudence citée, et Wabco Europe e.a./Commission, point 463 supra, EU:T:2013:449, point 175 et jurisprudence citée).

512    En l’espèce, la Commission a rappelé, à juste titre, aux considérants 1312 et 1313 de la décision attaquée, qu’une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus dans le cadre de règlements amiables portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à la requérante d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement imprévisible (points 456 à 463 ci-dessus).

513    En outre, il ressort clairement du communiqué du KFST que les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels. À l’issue de son enquête approfondie sur le secteur pharmaceutique, la Commission a pu préciser son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent un paiement inversé important, comme en l’espèce (points 266 à 270 ci-dessus).

514    Ce grief doit donc également être rejeté.

C –  Sur le grief tiré de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant uniquement l’imposition d’une amende symbolique

515    La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que l’infraction constatée était inédite et appelait uniquement une amende symbolique, au regard du paragraphe 4 de la communication de la Commission relative à des orientations informelles sur des questions nouvelles qui se posent dans des affaires individuelles au regard des articles [101 TFUE et 102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 78). Selon elle, la Commission ne saurait se départir de cette règle en matière d’imposition des amendes sans violer le principe de confiance légitime.

516    La Commission conteste ces arguments.

517    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon la jurisprudence, la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. En outre, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union. L’application efficace des règles de la concurrence de l’Union exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt du 25 octobre 2011, Aragonesas Industrias y Energía/Commission, T‑348/08, Rec, EU:T:2011:621, point 293 et jurisprudence citée).

518    La requérante invoque toutefois le paragraphe 4 des orientations informelles (point 515 ci-dessus), où il est précisé que la Commission a pour pratique de n’infliger des amendes plus que symboliques que dans les cas où il est établi, soit dans des instruments horizontaux soit dans la jurisprudence et la pratique, qu’un comportement donné constitue une infraction.

519    Il y a lieu de relever néanmoins que, à supposer que les orientations informelles puissent revêtir un caractère contraignant pour la Commission au même titre que ses lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, Rec, EU:C:2013:513, points 59 et 60 et jurisprudence citée), celles-ci n’ont été adoptées et publiées au Journal officiel de l’Union européenne qu’en 2004, c’est-à-dire après l’expiration des accords litigieux. La requérante ne saurait donc invoquer ces orientations pour prétendre qu’elle ne pouvait s’attendre, au moment de conclure les accords litigieux, à ce qu’une amende plus que symbolique lui soit infligée (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T‑29/05, Rec, EU:T:2010:355, point 430).

520    En tout état de cause, il était suffisamment établi dans la pratique et dans la jurisprudence qu’un comportement visant à exclure des concurrents du marché constituait une restriction de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (points 185 à 188 et 512 ci-dessus).

521    Partant, il y a lieu de rejeter ce grief également.

D –  Sur le grief tiré de l’existence d’un retard excessif dans l’enquête de la Commission justifiant une réduction supplémentaire du montant de l’amende

522    La requérante fait valoir, à titre infiniment subsidiaire, que le retard excessif dans l’enquête de la Commission justifie une réduction supplémentaire du montant de l’amende.

523    La Commission conteste ces arguments.

524    À cet égard, il convient de rappeler que la durée de la procédure ne saurait être considérée comme excessive ou déraisonnable, au vu des circonstances particulières de l’espèce (points 478 à 484 ci-dessus).

525    En tout état de cause, à supposer, d’une part, que la présente branche puisse être interprétée comme visant également à obtenir que le Tribunal réduise le montant de l’amende infligée à la requérante indépendamment de l’existence d’une illégalité justifiant l’annulation de la décision attaquée et, d’autre part, que la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission (C‑414/12 P, EU:C:2014:301, points 106 et 107), ne s’oppose pas à la possibilité pour le Tribunal de réformer à la baisse le montant d’une amende, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, pour sanctionner une telle violation du délai raisonnable, il convient de relever que la Commission a elle-même octroyé une réduction de 10 % du montant de l’amende infligée à la requérante et aux autres destinataires de la décision attaquée pour tenir compte de la durée de la procédure, au considérant 1380 de la décision attaquée.

526    Dans ces conditions, le Tribunal estime, en faisant usage de sa compétence de pleine juridiction, prévue par l’article 31 du règlement n° 1/2003 conformément à l’article 261 TFUE (voir la jurisprudence citée aux points 493 à 495 ci-dessus), qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une réduction supplémentaire du montant de l’amende imposé à la requérante, la réduction octroyée par la Commission apparaissant suffisante et équitable au vu des circonstances de l’espèce.

E –  Sur le grief tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission n’imputant pas la responsabilité pleine et entière de l’infraction à GUK

527    La requérante estime que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne précisant pas dans quelle proportion le montant de 7,76 millions d’euros imposé solidairement à GUK et à Merck devait être supporté par chacune de ces deux sociétés. Selon elle, il incombait à la Commission de définir la responsabilité relative de chacune des parties déclarées solidairement responsables de l’infraction et elle aurait dû condamner GUK à supporter l’intégralité de cette partie de l’amende, du fait qu’elle était l’unique responsable de l’infraction. La requérante se fonde, à cet égard, sur l’arrêt du 3 mars 2011, Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission (T‑122/07 à T‑124/07, Rec, EU:T:2011:70).

528    La Commission conteste ces arguments.

529    Il convient de noter que l’arrêt du Tribunal invoqué par la requérante a été annulé explicitement sur le point en cause par l’arrêt du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a. (C‑231/11 P à C‑233/11 P, Rec, EU:C:2014:256).

530    En effet, après avoir rappelé que les règles du droit de la concurrence de l’Union, y compris celles relatives au pouvoir de sanction de la Commission, ainsi que les principes du droit de l’Union relatifs à la responsabilité personnelle pour l’infraction et à l’individualisation des peines et des sanctions devant être respectés lors de l’exercice de ce pouvoir de sanction ne concernent que l’entreprise en tant que telle et non les personnes physiques ou morales qui en font partie, la Cour a jugé dans cet arrêt que, s’il découle de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 que la Commission peut condamner solidairement à une amende plusieurs sociétés dans la mesure où elles faisaient partie d’une même entreprise, ni le libellé de cette disposition ni l’objectif du mécanisme de solidarité ne permettent de considérer que ce pouvoir de sanction s’étendrait, au-delà de la détermination de la relation externe de solidarité, à celui de déterminer les quotes-parts des codébiteurs solidaires dans le cadre de leur relation interne (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, points 56 et 58).

531    Selon la Cour, au contraire, l’objectif du mécanisme de solidarité réside dans le fait qu’il constitue un instrument juridique supplémentaire, dont dispose la Commission afin de renforcer l’efficacité de son action en matière de recouvrement des amendes infligées pour des infractions au droit de la concurrence, dès lors que ce mécanisme réduit, pour la Commission, en tant que créancier de la dette que représentent ces amendes, le risque d’insolvabilité, ce qui participe à l’objectif de dissuasion qui est généralement poursuivi par le droit de la concurrence (voir arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, point 59 et jurisprudence citée).

532    Or, la détermination, dans la relation interne existant entre codébiteurs solidaires, des quotes-parts de ceux-ci ne vise pas ce double objectif. Il s’agit, en effet, d’un contentieux qui intervient à un stade ultérieur, qui ne présente en principe plus d’intérêt pour la Commission, dans la mesure où la totalité de l’amende lui a été payée par l’un ou par plusieurs desdits codébiteurs (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, point 60).

533    En outre, ni le règlement n° 1/2003 ni le droit de l’Union en général ne comportent de règles permettant de résoudre un tel contentieux relatif à la répartition sur le plan interne de la dette au paiement de laquelle les sociétés concernées sont tenues solidairement. Dans ces conditions, en l’absence de fixation par voie contractuelle des quotes-parts des codébiteurs d’une amende à laquelle ceux-ci ont été condamnés solidairement, il incombe aux juridictions nationales de déterminer ces quotes-parts, dans le respect du droit de l’Union, en faisant application du droit national applicable au litige (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, points 61 et 62).

534    C’est donc à tort que la requérante considère que la Commission a commis une erreur en restant muette sur la question de la responsabilité relative des parties et de la répartition interne du paiement de la partie de l’amende au paiement de laquelle Merck et GUK sont solidairement tenues.

535    Il convient de noter, cependant, que la Cour a rejeté, de manière tout aussi explicite, dans ce même arrêt, les développements du Tribunal selon lesquels, en l’absence de toute constatation, dans la décision de la Commission infligeant à plusieurs sociétés une amende devant être payée solidairement, selon laquelle, au sein de l’entreprise, certaines sociétés seraient davantage responsables que d’autres de la participation de ladite entreprise à l’entente pendant une période donnée, il y a lieu de supposer qu’elles ont une responsabilité égale et, partant, une quote-part égale des montants qui leur sont imposés solidairement (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, point 69).

536    En effet, la Cour a précisé que le droit de l’Union ne prescrit pas une telle règle de responsabilité à quotes-parts égales applicable par défaut, dès lors que les quotes-parts des codébiteurs d’une amende résultant d’une condamnation solidaire doivent, sous réserve du respect du droit de l’Union, être déterminées en application du droit national (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, point 70).

537    Cela étant, la Cour a souligné que, en principe, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que la répartition interne d’une telle amende soit effectuée selon une règle du droit national qui détermine les quotes-parts des codébiteurs solidaires en tenant compte de leur responsabilité ou de leur culpabilité relative dans la commission de l’infraction reprochée à l’entreprise dont ils faisaient partie, accompagnée, le cas échéant, d’une règle applicable par défaut, prévoyant que, s’il ne peut être démontré par les sociétés réclamant une répartition à parts inégales que certaines sociétés sont davantage responsables que d’autres de la participation de ladite entreprise à l’entente pendant une période donnée, les sociétés concernées doivent être tenues pour responsables à quotes-parts égales (arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., point 529 supra, EU:C:2014:256, point 71).

538    En l’espèce, la décision attaquée ne précise pas dans quelle mesure les sociétés Merck et GUK doivent se répartir le paiement de la partie de l’amende dont elles sont solidairement tenues responsables. Dès lors, les explications données à ce sujet par la Commission dans le mémoire en défense, selon lesquelles Merck et GUK seraient tenues de contribuer à parts égales au paiement de l’amende infligée, bien qu’inexactes au vu de la jurisprudence susmentionnée, ne sont pas de nature à entacher la décision attaquée d’une illégalité.

539    À la lumière des considérations qui précèdent, le treizième moyen doit être rejeté, y compris en ce qui concerne l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction.

540    Aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de sa demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé et l’examen des arguments au soutien de sa demande de réduction du montant de l’amende n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de celle-ci effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

541    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

542    Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, il y a lieu de décider que l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Merck KGaA supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Generics (UK) Ltd supportera ses propres dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Résumé des faits et antécédents du litige

I –  Sociétés en cause dans la présente affaire

II –  Produit concerné et brevets concernant celui-ci

III –  Accords litigieux

IV –  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

V –  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur la recevabilité des neuvième et douzième moyens, tirés d’une violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et d’une violation du droit des parties à être entendues

II –  Sur le sixième moyen, tiré, en substance, de ce que la Commission a commis une erreur de droit et de fait en constatant que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels et sur le quatrième moyen, en ce qu’il est fondé sur cette même argumentation

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

1.  Situation au Royaume-Uni

2.  Situation dans l’EEE

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.  Sur la notion de concurrence potentielle

2.  Sur la charge de la preuve

3.  Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

C –  Sur la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

1.  Sur l’application du critère juridique pertinent au cas d’espèce et la prise en compte de la perception de Lundbeck pour constater l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

2.  Sur l’existence d’une possibilité réelle et concrète pour Merck (GUK) d’intégrer les marchés du Royaume-Uni et de l’EEE et d’entrer en concurrence avec Lundbeck

a)  Sur le caractère inéluctable d’actions en justice intentées par Lundbeck en cas de commercialisation du citalopram générique

b)  Sur l’arrêt Paroxetine et son impact sur l’opposition de Lundbeck au lancement du citalopram générique et sur l’évaluation des risques réalisée par Merck (GUK)

c)  Sur l’absence d’autres voies d’accès au marché qui auraient permis à Merck (GUK) de lancer son générique sur le marché bien avant l’expiration des accords litigieux

d)  Sur le grief selon lequel la Commission aurait dû examiner la situation concurrentielle dans chaque État membre de l’EEE afin de pouvoir conclure à l’existence d’une concurrence potentielle dans l’ensemble de l’EEE

3.  Sur l’existence d’une concurrence réelle entre Lundbeck et Merck (GUK) à l’époque des faits

III –  Sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

A –  Principes et jurisprudence applicables

B –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

C –  Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son interprétation du concept de restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE

D –  Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la théorie du préjudice appliquée par la Commission est fondamentalement erronée

1.  Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas dûment compte du fait que Lundbeck détenait le brevet sur la cristallisation

2.  Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en traitant les règlements amiables en matière de brevets comme s’ils étaient des accords d’exclusion du marché

3.  Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en n’analysant pas les effets réels des règlements amiables en matière de brevets

4.  Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de la pertinence des paiements inversés sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

E –  Sur le quatrième moyen, en ce qu’il est tiré de ce que la Commission n’a pas dûment tenu compte du contexte matériel, économique et juridique entourant les accords litigieux

F –  Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation dans l’examen du contenu des accords litigieux

1.  Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux avaient limité les ventes d’autres citalopram que celui de Natco

a)  Accord UK

b)  Accord pour l’EEE

2.  Sur la seconde branche, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux avaient été conclus indépendamment de la question de savoir si le citalopram de Natco violait les brevets de Lundbeck

G –  Sur le septième moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux

H –  Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur de fait commise par la Commission dans ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur entre Lundbeck et Merck (GUK)

1.  Sur l’erreur d’appréciation qui aurait été commise par la Commission concluant que les bénéfices tirés par Merck (GUK) des paiements versés pour les services de distribution en vertu de l’accord UK et de ses avenants s’élevaient à 9,65 millions de GBP

2.  Sur l’allégation selon laquelle aucune preuve ne permettrait de conclure que les paiements pour les services de distribution versés par Lundbeck à Merck (GUK) ne constituaient pas seulement des paiements pour des services présentant un intérêt commercial

3.  Sur l’erreur d’appréciation qui aurait été commise par la Commission concluant que le paiement de 3 millions de GBP versés par Lundbeck pour l’achat de son stock, en application de l’accord UK, constituait une incitation pour Merck (GUK) à ne pas entrer sur le marché

4.  Sur l’allégation selon laquelle aucune preuve ne démontrerait que Merck (GUK) a réalisé un bénéfice de 12 millions d’euros dans le cadre de l’accord pour l’EEE

IV –  Sur le dixième moyen, tiré de ce que la Commission a omis de tenir dûment compte des éléments de preuves présentés par Merck permettant de réfuter la présomption d’exercice d’une influence décisive sur son ex-filiale GUK et a, par conséquent, commis une erreur de droit et de fait en constatant que cette présomption n’était pas réfutée

V –  Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

VI –  Sur le onzième moyen, tiré d’une violation du délai raisonnable

VII –  Sur le treizième moyen, tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation des sanctions infligées

A –  Sur le grief tiré de l’incompétence de la Commission pour infliger une amende au titre de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 en l’espèce

B –  Sur le grief tiré d’une violation du principe de légalité des peines

C –  Sur le grief tiré de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant uniquement l’imposition d’une amende symbolique

D –  Sur le grief tiré de l’existence d’un retard excessif dans l’enquête de la Commission justifiant une réduction supplémentaire du montant de l’amende

E –  Sur le grief tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission n’imputant pas la responsabilité pleine et entière de l’infraction à GUK

Sur les dépens


1 Langue de procédure : l’anglais.


2 Données confidentielles occultées.