Language of document : ECLI:EU:T:2021:764

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

10 novembre 2021 (*)

« Clause compromissoire – Personnel civil international des missions internationales de l’Union européenne – Recrutement sur une base contractuelle – Contrats d’engagement à durée déterminée successifs – Demande de requalification de l’ensemble des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée – Recours en responsabilité contractuelle – Recours en responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑602/15 RENV,

Liam Jenkinson, demeurant à Killarney (Irlande), représenté par Me N. de Montigny, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et M. Bishop, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par MM.  B. Mongin, D. Bianchi et G. Gattinara, en qualité d’agents,

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt, R. Spáč et Mme E. Orgován, en qualité d’agents,

et

Eulex Kosovo, établie à Pristina (Kosovo), représentée par Me E. Raoult, avocate,

parties défenderesses,

ayant pour objet, à titre principal, premièrement, une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant, d’une part, à faire requalifier l’ensemble des contrats d’engagement du requérant en un contrat de travail à durée indéterminée et, d’autre part, à obtenir réparation du préjudice contractuel qu’il aurait prétendument subi de ce fait et, deuxièmement, des demandes fondées sur les articles 268 et 340 TFUE, tendant à mettre en cause la responsabilité non contractuelle du Conseil, de la Commission et du SEAE, voire de la Mission Eulex Kosovo,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de M. M. van der Woude, président, Mme V. Tomljenović, M. F. Schalin, Mme P. Škvařilová-Pelzl (rapporteure) et M. I. Nõmm, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 juillet 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Liam Jenkinson, ressortissant irlandais, a tout d’abord été employé du 20 août 1994 au 5 juin 2002, dans le cadre de divers contrats de travail à durée déterminée (ci-après les « CDD ») successifs, au sein de la mission de surveillance en Yougoslavie, établie par un mémorandum d’entente signé à Belgrade le 13 juillet 1991, désignée à l’époque sous le nom « Mission de surveillance de la Communauté européenne (ECMM) », par la suite renommée « Mission de surveillance de l’Union européenne (EUMM) » par l’action commune 2000/811/PESC du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la Mission de surveillance de l’Union européenne (JO 2000, L 328, p. 53). Le mandat de l’ECMM, puis de l’EUMM, a été prorogé à plusieurs reprises, en dernier lieu par l’action commune 2006/867/PESC du Conseil, du 30 novembre 2006, prorogeant et modifiant le mandat de la Mission de surveillance de l’Union européenne (EUMM) (JO 2006, L 335, p. 48), jusqu’au 31 décembre 2007.

2        Le requérant a ensuite été employé du 17 juin 2002 au 31 décembre 2009, dans le cadre de divers CDD successifs, au sein de la Mission de police de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine (MPUE), qui a été créée par l’action commune 2002/210/PESC du Conseil, du 11 mars 2002, relative à la Mission de police de l’Union européenne (JO 2002, L 70, p. 1). Le mandat de la MPUE a été prorogé à plusieurs reprises, en dernier lieu par la décision 2011/781/PESC du Conseil, du 1er décembre 2011, concernant la Mission de police de l’Union européenne (MPUE) en Bosnie-Herzégovine (JO 2011, L 319, p. 51), jusqu’au 30 juin 2012.

3        Enfin, le requérant a été employé au sein la Mission Eulex Kosovo du 5 avril 2010 au 14 novembre 2014, dans le cadre de onze CDD successifs conclus, s’agissant des neuf premiers, avec le chef de la Mission Eulex Kosovo et, s’agissant des deux derniers, avec la mission elle-même (ci-après les « onze CDD »). La Mission Eulex Kosovo a été créée par l’action commune 2008/124/PESC du Conseil, du 4 février 2008, relative à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (JO 2008, L 42, p. 92). Elle a été prorogée à plusieurs reprises, notamment jusqu’au 14 juin 2016 par la décision 2014/349/PESC du Conseil, du 12 juin 2014, modifiant l’action commune 2008/124/PESC (JO 2014, L 174, p. 42).

4        Au cours du dixième CDD, conclu avec la Mission Eulex Kosovo, couvrant la période comprise entre le 15 juin et le 14 octobre 2014, le requérant a été informé, par lettre du chef de la Mission Eulex Kosovo du 26 juin 2014 (ci-après la « lettre du 26 juin 2014 »), que, par suite d’une décision de restructuration de la Mission Eulex Kosovo prise par les États membres le 24 juin 2014, le poste qu’il occupait depuis son engagement au sein de la mission serait supprimé après le 14 novembre 2014 et que, par conséquent, son contrat ne serait pas renouvelé au-delà de cette date. Un onzième et dernier CDD a donc été conclu entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo pour la période allant du 15 octobre au 14 novembre 2014 (ci-après le « dernier CDD »).

5        À l’exception du dernier CDD, tous les CDD conclus par le requérant concernant ses activités au sein de la Mission Eulex Kosovo contenaient une clause compromissoire désignant les tribunaux belges. S’agissant du dernier CDD, il contenait, à son article 21, une clause compromissoire désignant le juge de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 272 TFUE, pour tout litige relatif au contrat.

II.    Procédures devant le Tribunal et la Cour

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 octobre 2015, le requérant a introduit le présent recours à l’encontre du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne, du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ainsi que de la Mission Eulex Kosovo.

7        Statuant par ordonnance du 9 novembre 2016, Jenkinson/Conseil e.a. (T‑602/15, ci-après l’« ordonnance initiale », EU:T:2016:660), sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, le Tribunal s’est déclaré manifestement incompétent pour se prononcer sur les deux premiers chefs de conclusions, soulevés à titre principal, et a rejeté le troisième chef de conclusions, soulevé à titre subsidiaire, comme étant manifestement irrecevable. En conséquence, il a rejeté le recours dans son ensemble.

8        Par suite du pourvoi introduit par le requérant contre l’ordonnance initiale, la Cour a annulé celle-ci par arrêt du 5 juillet 2018, Jenkinson/Conseil e.a. (C‑43/17 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2018:531), l’affaire étant renvoyée devant le Tribunal.

9        À la suite de l’arrêt sur pourvoi, en vertu de l’article 217, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, un délai a été fixé aux parties défenderesses pour le dépôt d’un mémoire en défense.

10      Par actes séparés respectivement déposés le 31 octobre par la Commission et 19 novembre 2018 par le Conseil et le SEAE, ces parties ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité.

11      Le 19 novembre 2018, la Mission Eulex Kosovo a déposé un mémoire en défense.

12      Le 28 janvier 2019, le requérant a déposé ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité du Conseil, de la Commission et du SEAE.

13      Le 5 février 2019, le requérant a déposé une réplique.

14      Par lettre déposée au greffe le 12 février 2019, le requérant a, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, demandé l’omission de certaines données personnelles envers le public (autres que le pays de résidence) figurant à l’annexe 2 de la réplique.

15      Le 21 mars 2019, la Mission Eulex Kosovo a déposé une duplique.

16      Par ordonnance de la première chambre du 29 mars 2019, les exceptions d’irrecevabilité ont été jointes au fond. Par la suite, le Conseil, la Commission et le SEAE ont déposé des mémoires en défense.

17      Le 18 juin 2019, le requérant a demandé l’autorisation de déposer une réplique pour répondre aux mémoires en défense du Conseil, de la Commission et du SEAE. Cette demande contenait également une demande de mesure d’organisation de la procédure visant à ce que la Commission soit invitée à produire une copie du contrat qu’elle avait signé avec les différents chefs de la Mission Eulex Kosovo (ou, à tout le moins, le chef de la mission en fonction d’octobre à novembre 2014).

18      Le 21 juin 2019, la première chambre a décidé de ne pas autoriser le dépôt d’une telle réplique. Par ailleurs, la Commission ayant, le 9 juillet 2019, produit une copie des contrats qu’elle avait signés avec les chefs de la mission ayant été en fonction durant la période comprise entre le 15juin 2014 et le 14 juin 2015, il n’y a pas eu lieu de prendre position quant à la mesure d’organisation de la procédure demandée par le requérant. Celui-ci a formulé ses observations sur lesdits contrats dans le délai imparti.

19      Le 6 septembre 2019, sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (première chambre) a adopté une mesure d’organisation de la procédure (ci-après la « première mesure d’organisation de la procédure ») consistant à recueillir les observations du requérant, d’une part, sur certains éléments d’information et pièces figurant soit dans la duplique, soit en annexe à cette dernière, et, d’autre part, sur la législation irlandaise, dans l’hypothèse où elle s’appliquerait dans le cadre du présent litige. Le requérant a répondu en deux temps, le 16 septembre 2019, puis le 27 septembre 2019, aux questions posées dans la mesure d’organisation de la procédure susvisée.

20      Par lettre déposée au greffe le 27 septembre 2019, le requérant a, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, demandé l’anonymisation de l’ensemble des données personnelles, familiales, financières et fiscales figurant dans les différents formulaires produits par la Mission Eulex Kosovo ainsi que dans l’annexe 2 de la réponse du 16 septembre 2019 à la première mesure d’organisation de la procédure.

21      En raison du renouvellement partiel du Tribunal, la présente affaire a été attribuée à une nouvelle juge rapporteure, siégeant dans la deuxième chambre.

22      Sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a, le 16 janvier 2020, décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

23      Par décision du 21 janvier 2020, un membre de la formation de jugement étant empêché, le président du Tribunal s’est désigné, en application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement de procédure, pour compléter la formation de jugement.

24      Le 13 mars 2020, sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a adopté une mesure d’organisation de la procédure (ci-après la « deuxième mesure d’organisation de la procédure ») consistant à inviter le requérant et les parties défenderesses à répondre à diverses questions, ce qu’ils ont fait par lettre du 30 avril 2020, s’agissant du requérant (ci-après la « réponse du 30 avril 2020 »), et par quatre lettres séparées, toutes datées du 29 mai 2020, s’agissant des parties défenderesses.

25      Dans sa réponse du 30 avril 2020 à la question l’invitant à préciser de manière explicite et claire le fondement juridique du deuxième chef de conclusions, soulevé à titre principal, le requérant a indiqué que ledit chef de conclusions visait à mettre en cause la responsabilité non contractuelle des institutions sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE. Les parties défenderesses ont été invitées à faire part de leurs éventuelles observations sur ladite réponse.

26      Le 11 juin 2020, le requérant a formulé des observations sur les réponses des parties défenderesses aux questions qui leur étaient posées dans le cadre de la deuxième mesure d’organisation de la procédure (ci-après les « observations du 11 juin 2020 »).

27      Par quatre lettres séparées, toutes datées du 12 juin 2020, les parties défenderesses ont formulé leurs observations sur la réponse du requérant du 30 avril 2020.

28      Par lettre du 25 juin 2020, qu’il a été décidé de verser au dossier de la procédure, la Mission Eulex Kosovo a formulé des observations sur les observations du 11 juin 2020.

29      Le 1er décembre 2020, sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a adopté une mesure d’organisation de la procédure (ci-après la « troisième mesure d’organisation de la procédure ») invitant le requérant et les parties défenderesses à répondre à diverses questions, ce qu’ils ont respectivement fait par lettre du 23 décembre 2020, s’agissant de la Commission, par lettre du 24 décembre 2020, s’agissant du requérant, et par trois lettres séparées, toutes datées du 5 janvier 2021, s’agissant du Conseil, du SEAE et de la Mission Eulex Kosovo.

30      Par lettre du 14 janvier 2021, le requérant a formulé des observations sur la réponse de la Mission Eulex Kosovo à la première question qui lui était posée dans le cadre de la troisième mesure d’organisation de la procédure (ci-après les « observations du 14 janvier 2021 »).

III. Conclusions

31      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

« À titre principal :

1.      [q]uant aux droits découlant du contrat de droit privé :

–        [r]equalifier sa relation contractuelle en contrat d’emploi à durée indéterminée ;

–        [c]onstater la violation par les parties défenderesses de leurs obligations contractuelles et, notamment, [concernant] la notification d’un préavis dans le cadre de la rupture d’un contrat d’emploi à durée indéterminée ;

[p]ar conséquent, en compensation du préjudice subi par l’usage abusif de [CDD successifs] au prix d’une incertitude prolongée du requérant et la violation de l’obligation de notification d’un préavis de rupture de contrat :

–        [c]ondamner les parties défenderesses à payer au requérant une indemnité compensatoire de préavis de 176 601,55 [euros] calculée sur son ancienneté de service au sein des missions créées par l’Union […] ;

–        [à] titre subsidiaire, condamner les parties défenderesses à payer au requérant une indemnité compensatoire de préavis de 45 985,15 [euros] calculé[e] en tenant compte de la durée de ses services pour la [Mission Eulex Kosovo] ;

–        [d]ire pour droit que le licenciement du requérant est abusif et condamner, en conséquence, les parties défenderesses à lui payer une indemnité évaluée ex æquo et bono à 50 000 [euros] ;

–        [c]onstater que les parties défenderesses n’ont pas fait établir les documents sociaux légaux de fin de contrat[,] et

–        les condamner à payer au requérant la somme de 100,00 [euros] par jour de retard à compter de l’introduction du présent recours ;

–        les condamner à transmettre les documents sociaux de fin de contrat au requérant ;

–        [c]ondamner les parties défenderesses à payer les intérêts sur les sommes [susmentionnées], calculés au taux légal belge[ ;]

2.      [q]uant à l’abus de pouvoir et à la discrimination existante :

–        [d]éclarer que [le Conseil, la Commission et le SEAE] ont traité le requérant de manière discriminatoire, sans justification objective, au cours de sa période d’engagement au sein des [m]issions qu’[ils] ont instituées, en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et avantages afférents, ainsi qu’en ce qui concerne la garantie d’un emploi ultérieur ;

–        [c]onstater qu[’il] aurait dû être recruté en tant qu’agent temporaire [du Conseil, de la Commission ou du SEAE] ;

–        condamner [le Conseil, la Commission et le SEAE] à l’indemniser de la perte de rémunération, de pension, d’indemnités et d’avantages occasionnée par les violations du droit [de l’Union susmentionnées] ;

[l]es condamner à lui payer les intérêts sur ces sommes, calculés au taux légal belge[ ;]

–        [f]ixer un délai aux parties pour fixer ladite indemnité en tenant compte du grade et de l’échelon dans lequel le requérant aurait dû être engagé, de la progression moyenne de rémunération, de l’évolution de sa carrière, des allocations qu’il aurait dû alors percevoir au titre de ce contrat d’agent temporaire, et comparer les résultats obtenus avec la rémunération effectivement perçue par le requérant[ ;]

[à] titre subsidiaire :

–        [c]onstater la violation de leurs obligations par les parties défenderesses ;

–        [l]es condamner à indemniser le requérant pour le dommage résultant desdites violations, lequel est estimé ex æquo et bono à 150 000 [euros] ;

en tout état de cause :

[e]ntendre les parties défenderesses condamnées aux dépens. »

32      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, déclarer le recours irrecevable en tant qu’il est dirigé contre lui ;

–        à titre subsidiaire, déclarer le recours irrecevable en tant qu’introduit hors délai ;

–        à titre infiniment subsidiaire, déclarer le recours non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

33      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable à son égard ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

34      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en tant qu’introduit hors délai ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours comme irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre lui ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

35      La Mission Eulex Kosovo conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter le recours comme irrecevable en tant qu’introduit hors délai ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

IV.    En droit

36      D’emblée, pour les raisons évoquées par le requérant, il convient de faire droit à ses demandes formulées, sur le fondement de l’article 66 du règlement de procédure, d’omission et d’anonymisation de données personnelles, telles que visées aux points 14 et 20 ci-dessus.

A.      Observations liminaires

37      À titre liminaire, dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu, dans un premier temps, de déterminer précisément le fondement juridique et l’objet du recours ainsi que des trois premiers chefs de conclusions du requérant. Dans un second temps, il sera procédé à un rappel de la portée de l’arrêt sur pourvoi.

1.      Sur le fondement juridique et l’objet du recours ainsi que des trois premiers chefs de conclusions du requérant

38      Par ses trois premiers chefs de conclusions, ainsi que l’a résumé la Cour au point 3 de l’arrêt sur pourvoi, en substance, le requérant demande formellement au Tribunal :

–        à titre principal, de requalifier sa relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée (ci-après un « CDI »), de constater la violation par les parties défenderesses de leurs obligations contractuelles et, notamment, de l’obligation de notification d’un préavis dans le cadre de la rupture d’un CDI, de constater que son licenciement était abusif et de condamner en conséquence lesdites parties à la réparation du préjudice subi du fait de l’usage abusif de CDD successifs, de la violation de l’obligation de notification d’un préavis et d’un licenciement abusif (ci-après le « premier chef de conclusions ») ;

–        à titre principal, de déclarer que le Conseil, la Commission et le SEAE l’ont traité de manière discriminatoire au cours de sa période d’engagement au sein de missions internationales de l’Union visées aux points 1 à 3 ci-dessus (ci-après les « missions ») en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et d’autres avantages, de constater qu’il aurait dû être recruté en tant qu’agent temporaire de l’un d’eux et de les condamner en conséquence à l’indemniser du préjudice subi de ce fait (ci-après le « deuxième chef de conclusions »), et

–        à titre subsidiaire, de condamner les parties défenderesses sur le fondement de leur responsabilité non contractuelle à l’indemniser pour le dommage résultant des violations de leurs obligations (ci-après le « troisième chef de conclusions »).

39      En premier lieu, il convient d’emblée de statuer sur la question de savoir si, ainsi que le Conseil, le SEAE et la Mission Eulex Kosovo le font valoir, implicitement, en ce qu’elles soulèvent l’irrecevabilité du recours en raison de sa tardiveté, ledit recours doit être considéré comme un recours en annulation introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE.

40      À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, la requête introductive d’instance contient diverses mentions pouvant laisser entendre que le recours serait, à tout le moins pour partie, fondé sur les dispositions de l’article 263 TFUE. Ainsi, en haut de la première page de la requête, figure le titre « Recours en annulation et en indemnisation » et, au point 158 de la requête, le requérant affirme que « la décision d’absence de renouvellement [de son contrat] est illégale et doit être annulée ». Par ailleurs, le bordereau des pièces annexées à la requête est intitulé « Bordereau des pièces annexées au recours en annulation […] » et les annexes de la requête sont identifiées en tant qu’« annexe numéro […] au recours en annulation ».

41      Toutefois, outre le fait que, tant dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité que dans la réplique, le requérant conteste formellement avoir formé un quelconque recours en annulation, il ressort, en substance, de manière claire de la requête que, nonobstant les approximations terminologiques dans ses écritures, telles que relevées au point 40 ci-dessus, le requérant n’a pas eu l’intention d’introduire un recours au titre de l’article 263 TFUE.

42      En effet, premièrement, les trois premiers chefs de conclusions du requérant, qui déterminent formellement l’objet du litige, ne contiennent aucune demande d’annulation d’un quelconque acte, en particulier de la lettre du 26 juin 2014 ou d’une décision que celle-ci porterait à sa connaissance. En revanche, force est de constater que, ainsi que cela est exposé de manière détaillée aux points 50 à 62 ci-après, lesdits chefs de conclusions contiennent uniquement des demandes de requalification de CDD successifs en un CDI, d’une part, et des demandes de réparation de préjudices contractuels et non contractuels.

43      Deuxièmement, contrairement à ce qu’affirment, en substance, le Conseil et le SEAE, dans le exceptions d’irrecevabilité qu’ils ont soulevées, et la Mission Eulex Kosovo, dans son mémoire en défense, le requérant ne conteste pas le bien-fondé du non-renouvellement de son contrat. En effet, ainsi que celui-ci l’a formellement indiqué tant dans les observations sur les exceptions d’irrecevabilité que dans la réplique, il ne remet pas en cause, de manière générale, le droit de la Mission Eulex Kosovo de mettre fin à la relation de travail et ne demande pas à être réintégré dans son poste.

44      Troisièmement, à aucun endroit de ses écritures le requérant ne prétend démontrer l’illégalité d’un quelconque acte pour en demander l’annulation. Tout au plus, en substance, ainsi qu’il l’a indiqué dans sa réponse à une question qui lui a été posée lors de l’audience et dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience, se prévaut-il de l’illégalité de l’action commune 2008/124 afin d’obtenir réparation du préjudice non contractuel qu’il allègue, ce dans le cadre du deuxième chef de conclusions, soulevé à titre principal.

45      Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le présent recours n’a pas été introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE. Consécutivement, l’exception d’irrecevabilité déduite du caractère tardif du prétendu recours en annulation introduit contre la lettre du 26 juin 2014 soulevée par le Conseil, le SEAE et la Mission Eulex Kosovo doit être rejetée comme manquant en fait et en droit.

46      En deuxième lieu, il convient d’examiner si, ainsi que le requérant l’a fait valoir dans le cadre de la phase écrite de la procédure, le recours comporte une exception d’illégalité, au titre de l’article 277 TFUE, soulevée à l’encontre de l’action commune 2008/124.

47      En effet, dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité et dans la réplique, le requérant souligne que, si, en l’espèce, ses moyens sont tirés de la violation du droit applicable aux contrats, il a introduit non pas un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, « mais un recours en indemnisation fondé, à titre principal, sur l’article 272 [TFUE] et, ensuite, accessoirement, sur les articles 277 TFUE (exception d’illégalité) et 268 TFUE (responsabilité non contractuelle de l’Union) ».

48      À ce titre, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 44 ci-dessus, il ressort des écritures du requérant que celui-ci ne s’est prévalu de l’illégalité de l’action commune 2008/124 que, tout au plus, afin de démontrer le bien-fondé de sa demande de réparation du préjudice non contractuel qu’il allègue dans le cadre du deuxième chef de conclusions, soulevé à titre principal. Par ailleurs, à supposer même que le requérant ait soulevé une exception d’illégalité de l’action commune 2008/124, sur le fondement de l’article 277 TFUE, force serait alors de constater que cette demande n’est étayée par aucune argumentation en droit ou en fait développée dans la requête et que, partant, faute pour le requérant d’énoncer le moindre argument au soutien d’une telle exception, il y aurait lieu de constater que celle-ci ne répond pas aux conditions prévues à l’article 76, sous d), du règlement de procédure et donc de la déclarer irrecevable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, points 87 à 91, et arrêt du 3 mars 2021, Barata/Parlement, T‑723/18, sous pourvoi, EU:T:2021:113, points 59 à 62).

49      En troisième lieu, il convient de déterminer le fondement juridique et l’objet des trois premiers chefs de conclusions du requérant.

50      S’agissant du premier chef de conclusions, soulevé à titre principal, d’une part, il est formulé en vertu de l’article 272 TFUE à l’attention du juge de l’Union, dans le cadre d’une clause compromissoire qui désigne ce dernier et figure dans le dernier CDD conclu entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo.

51      En effet, il ressort des motifs de la requête, sous le titre « Compétence juridictionnelle », que le requérant se prévaut, en la reproduisant, de ladite clause compromissoire, qui désigne la Cour de justice de l’Union européenne comme compétente pour trancher un litige relatif audit contrat en faisant expressément référence à l’article 272 TFUE.

52      D’autre part, s’agissant de l’objet des demandes formulées dans le cadre du premier chef de conclusions, ainsi que cela ressort du résumé que la Cour en a effectué, tel que repris au point 38 ci-dessus, le requérant demande au Tribunal de requalifier les CDD successifs en un CDI et de constater que les conditions dans lesquelles la Mission Eulex Kosovo a mis fin à ce CDI violent le droit du travail applicable à ce type de contrat. À ce titre, dans l’énoncé même du premier chef de conclusions, tel que reproduit au point 31 ci-dessus, le requérant se fonde, notamment, sur des règles formelles et substantielles applicables à la rupture d’un CDI et se prévaut des règles en matière d’indemnisation compensatoire de préavis.

53      Ainsi, l’objet du recours s’agissant du premier chef de conclusions, présenté à titre principal, se situe à l’intérieur du cadre défini par le(s) contrat(s) de travail du requérant, lu(s) et interprété(s) à la lumière du droit du travail applicable.

54      Au regard des considérations qui précèdent, il convient de considérer que le premier chef de conclusions, présenté à titre principal, vise, au regard du droit applicable à la relation contractuelle en cause, à obtenir, d’une part, une requalification des CDD successifs en un CDI et, d’autre part, en conséquence de ladite requalification et du fait de la violation par les parties défenderesses de leurs obligations contractuelles, une réparation de l’ensemble des préjudices contractuels prétendument subis, en raison de l’abus de CDD successifs et de la violation des droits du requérant dans le cadre d’un CDI ainsi que des conditions de rupture de ce type de contrat.

55      S’agissant du deuxième chef de conclusions, également présenté à titre principal, premièrement, dans sa réponse du 30 avril 2020, le requérant a indiqué que ledit chef de conclusions visait « à mettre en cause la responsabilité extracontractuelle des [i]nstitutions sur le fondement des articles 268 et 340 [TFUE], en lien avec la création d’un cadre juridique [...] relatif à l’occupation de personnel contractuel internationa[l] par les [m]issions qui [était] illégal pour les raisons invoquées au travers du recours ».

56      Deuxièmement, force est de constater que, si un tel fondement juridique ne figurait pas de manière explicite dans la requête, il ressort de manière claire des motifs de cette dernière que ledit chef de conclusions vise à obtenir réparation de préjudices liés aux choix des institutions concernant la politique de recrutement du personnel civil international des missions internationales de l’Union pour lesquelles le requérant a travaillé.

57      En effet, tout d’abord, ainsi que la Cour l’a elle-même résumé au point 3 de l’arrêt sur pourvoi, par le deuxième chef de conclusions, le requérant demande au Tribunal de déclarer que le Conseil, la Commission et le SEAE l’ont traité de manière discriminatoire au cours de sa période d’engagement au sein des trois missions visées aux points 1 à 3 ci-dessus, en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et d’autres avantages, de constater qu’il aurait dû être recruté en tant qu’agent temporaire de l’un d’eux et de les condamner en conséquence à l’indemniser du préjudice subi.

58      Ensuite, la demande d’indemnisation contenue dans le deuxième chef de conclusions n’est pas dirigée contre la Mission Eulex Kosovo, partie contractante avec laquelle le requérant avait conclu le dernier CDD, qui contient la clause compromissoire désignant le juge de l’Union.

59      Enfin, dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité, s’agissant du deuxième chef de conclusions, ainsi qu’il est relevé au point 55 ci-dessus, le requérant a non seulement explicitement visé les dispositions des articles 268 et 340 TFUE, mais a en outre précisé, en les maintenant, les motifs figurant dans la requête visant à étayer sa demande d’indemnisation au titre de la responsabilité non contractuelle des parties défenderesses concernées.

60      Au regard des considérations qui précèdent, il convient de considérer que le deuxième chef de conclusions, présenté à titre principal, est fondé sur les dispositions des articles 268 et 340 TFUE et vise à obtenir réparation, par le Conseil, la Commission et le SEAE, de préjudices non contractuels que le requérant aurait subis du fait de leur politique de recrutement du personnel civil international au sein des missions pour lesquelles le requérant a travaillé.

61      S’agissant du troisième chef de conclusions, présenté à titre subsidiaire, il est constant que celui-ci se fonde sur les dispositions des articles 268 et 340 TFUE. Ledit chef de conclusions vise à voir reconnaître la responsabilité non contractuelle des « institutions européennes » en raison du préjudice que subirait le requérant en cas de rejet par le Tribunal de ses deux premiers chefs de conclusions, présentés à titre principal.

62      En conclusion, s’agissant de la détermination de l’objet du présent recours, il ressort des constatations effectuées aux points 45, 48, 54, 60 et 61 ci-dessus que, s’agissant du premier chef de conclusions, présenté à titre principal, ledit recours a été introduit en vertu de la clause compromissoire désignant le juge de l’Union qui figure dans le dernier CDD et que, s’agissant du deuxième chef de conclusions, également présenté à titre principal, et du troisième chef de conclusions, présenté à titre subsidiaire, le présent recours est un recours en responsabilité non contractuelle, introduit sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE.

2.      Sur la compétence du Tribunal à la suite de l’arrêt sur pourvoi

63      Par le point 1 du dispositif de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a annulé l’ordonnance initiale dans son intégralité. Par ailleurs, n’étant pas en mesure de statuer sur le fond de l’affaire, elle a décidé, au point 2 du dispositif, de la renvoyer devant le Tribunal. Partant, il incombe au Tribunal de statuer sur l’ensemble des chefs de conclusions de la requête.

64      À ce titre, en premier lieu, s’agissant du premier chef de conclusions, il convient de rappeler que, aux points 49 et 50 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a considéré que le Tribunal avait commis une erreur de droit en se déclarant manifestement incompétent pour se prononcer notamment sur ledit chef de conclusions, alors que, à l’aune du point 10 de l’arrêt du 1er juillet 1982, Porta/Commission (109/81, EU:C:1982:253), qu’elle a visé au point 44 de l’arrêt sur pourvoi, il aurait dû vérifier si et, le cas échéant, dans quelle mesure il pouvait tenir également compte des contrats de travail qui ont précédé le dernier CDD.

65      Or, il ressort des points 45 à 47 de l’arrêt sur pourvoi que, dans la mesure où les demandes du requérant sont liées à l’existence d’une relation de travail unique et continue fondée sur une succession de CDD, elles visent à la requalification de l’ensemble des contrats et sont fondées sur l’ensemble de ceux-ci, y compris le dernier CDD. La Cour en a conclu, au point 48 de cet arrêt, que le recours contenait des demandes qui dérivaient également du dernier CDD.

66      Partant, s’agissant des demandes figurant dans le premier chef de conclusions, le Tribunal doit les examiner en tenant également compte des contrats de travail qui ont précédé le dernier CDD.

67      En second lieu, étant donné que les demandes indemnitaires formulées par le requérant – tant dans le deuxième chef de conclusions que dans le troisième chef de conclusions – ne sont pas formées dans le cadre d’une clause compromissoire, en vertu de l’article 272 TFUE, mais sur le fondement des articles 268 et 340, deuxième alinéa, TFUE, la compétence du Tribunal pour statuer à leur sujet n’est pas tributaire des clauses compromissoires contenues dans les différents CDD conclus par le requérant.

68      En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en ce qui concerne les actes de gestion du personnel relatifs aux opérations « sur le terrain », le Tribunal et, dans le cas d’un pourvoi, la Cour sont compétents pour contrôler de tels actes. Selon la Cour, cette compétence découle, s’agissant des litiges en matière de responsabilité non contractuelle, de l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en prenant en considération l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 58). À cet égard, la Cour a jugé que des décisions de redéploiement des membres d’une mission sur le théâtre des opérations, bien qu’ayant été adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), ne constituaient pas des actes visés à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 275, premier alinéa, TFUE et que, par conséquent, elles relevaient de la compétence du juge de l’Union au titre des dispositions générales du traité FUE susvisées s’agissant des litiges en matière de responsabilité non contractuelle (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 59).

69      En l’espèce, il ressort des objets respectifs des demandes indemnitaires formulées par le requérant dans les deuxième et troisième chefs de conclusions, tels que déterminés aux points 55 à 61 ci-dessus, que celles-ci, pour autant qu’elles se rapportent au cadre juridique de recrutement, sur une base contractuelle, du personnel civil international des missions en général et aux conditions spécifiques de recrutement du requérant, concernent des actes de gestion du personnel. Partant, au regard de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, le Tribunal est compétent pour examiner lesdites demandes sur le fondement de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

70      En conclusion, le Tribunal est compétent pour examiner, d’une part, les demandes formulées dans le premier chef de conclusions en vertu de la clause compromissoire désignant le juge de l’Union qui figure dans le dernier CDD et, d’autre part, les demandes formulées dans les deuxième et troisième chefs de conclusions, respectivement présentées à titre principal et à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

B.      Sur la recevabilité

71      Les parties défenderesses soulèvent plusieurs exceptions d’irrecevabilité. Elles font valoir, séparément ou conjointement, d’une part, que la demande d’indemnisation subsidiaire est insuffisamment claire et, d’autre part, que les faits, les décisions et les éventuelles irrégularités invoqués par le requérant ne leur sont pas imputables.

72      Le requérant conteste le bien-fondé de ces deux exceptions d’irrecevabilité.

73      D’emblée, s’agissant de la première exception d’irrecevabilité, prise de l’absence de clarté de la demande d’indemnisation subsidiaire, exception qui se rapporte exclusivement au troisième chef de conclusions, dans la mesure où celui-ci est précisément présenté à titre subsidiaire par rapport aux deux premiers chefs de conclusions, il convient d’en réserver l’éventuel examen pour l’hypothèse où les deux premiers chefs de conclusions devraient être rejetés.

74      S’agissant de la seconde exception d’irrecevabilité, prise de ce que les faits, les décisions et les éventuelles irrégularités invoqués par le requérant ne seraient pas imputables aux parties défenderesses, en substance, ces dernières font valoir qu’elles n’ont noué aucun lien contractuel avec le requérant (pour le Conseil, le SEAE ou la Commission) ou qu’elles n’en ont noué aucun avant le 5 avril 2010 (pour la Mission Eulex Kosovo). Les comportements incriminés ne leur seraient donc pas imputables, en totalité ou en partie.

75      Premièrement, il convient de constater que les arguments exposés au soutien de la présente exception d’irrecevabilité se rapportent tous, à tout le moins en substance, à la demande de requalification des CDD successifs en un CDI et à la demande de réparation du préjudice contractuel que le requérant aurait subi. Or, au regard de la constatation effectuée au point 54 ci-dessus, lesdites demandes sont formulées par le requérant dans le cadre du premier chef de conclusions, présenté à titre principal. Partant, il y a lieu de considérer que, en substance, ladite exception d’irrecevabilité est dirigée non pas contre le recours dans son ensemble, mais uniquement contre le premier chef de conclusions.

76      Deuxièmement, il convient de constater que, lorsque le Tribunal est saisi, dans le cadre d’une clause compromissoire, en vertu de l’article 272 TFUE, d’un recours relatif au droit du travail et portant, notamment, sur la question de savoir si une relation contractuelle doit être requalifiée comme étant un CDI, l’examen de l’implication éventuelle des parties défenderesses mises en cause dans ladite relation et, le cas échéant, de la période concernée est une question étroitement liée à l’examen du bien-fondé du recours.

77      Troisièmement, il ne saurait en aller autrement de l’examen de la question de savoir si et dans quelle mesure chacune des parties défenderesses est responsable des dommages contractuels dont se prévaut le requérant dans le cadre du premier chef de conclusions, a fortiori dans la mesure où la demande de requalification en un CDI et la demande d’indemnisation subséquente portent non seulement sur la relation de travail nouée par le requérant dans le cadre de ses activités au sein de la Mission Eulex Kosovo, mais également sur celles qui ont été nouées dans le cadre des deux premières missions visées points 1 et 2 ci-dessus. Or, d’une part, s’agissant de la Mission Eulex Kosovo, celle-ci ne s’est vu octroyer la personnalité juridique qu’en 2014, par suite de l’insertion, par la décision 2014/349, de l’article 15 bis de l’action commune 2008/124. D’autre part, s’agissant des deux premières missions, ainsi que cela ressort des points 1 et 2 ci-dessus, celles-ci ne sont plus en activité. Partant, si la demande de requalification de l’ensemble des relations d’emploi du requérant au sein des trois missions, entre le 20 août 1994 et le 14 novembre 2014, en un CDI unique et la demande d’indemnisation pour le préjudice contractuel allégué devaient être accueillies, il conviendrait, en tout cas jusqu’à l’octroi de la personnalité juridique à la Mission Eulex Kosovo, le 12 juin 2014, d’identifier les institutions de l’Union auxquelles la responsabilité se rapportant aux activités concernées est imputable.

78      C’est donc au terme de l’examen au fond du premier chef de conclusions qu’il y aurait éventuellement lieu, au regard du droit applicable, de déterminer dans quelle mesure les demandes formulées par le requérant dans ledit chef de conclusions sont fondées à l’égard de chacune des parties défenderesses.

79      Au regard des considérations qui précèdent et des circonstances de l’espèce, le Tribunal estime opportun, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, d’examiner les demandes formulées au titre du premier chef de conclusions avant d’examiner éventuellement lesdites exceptions d’irrecevabilité (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

C.      Sur le fond

1.      Sur la demande, à titre principal, de requalification de la relation contractuelle en un CDI et d’indemnisation d’un préjudice contractuel (premier chef de conclusions)

a)      Sur la demande de requalification des CDD successifs en un CDI unique

80      S’agissant de l’examen du bien-fondé de la demande figurant dans le premier chef de conclusions en tant qu’elle vise à obtenir la requalification des CDD successifs du requérant en un CDI, il convient de relever que, dans la partie relative à l’objet du recours et dans les conclusions de la requête, le requérant demande, par le premier chef de conclusions, en des termes généraux, de « [r]equalifier sa relation contractuelle en [CDI] ». En outre, il ressort des motifs de la requête qui soutiennent ladite demande que le requérant entend par « relation contractuelle » l’ensemble des CDD successifs qu’il a conclus dans le cadre de ses activités au sein des missions visées aux points 1 à 3 ci-dessus. Par conséquent, la demande de requalification de la relation contractuelle en un CDI et la demande d’indemnisation du préjudice contractuel allégué portent, à titre principal, sur l’ensemble des contrats conclus dans le cadre de ses activités au sein des missions et, à titre subsidiaire, sur les onze CDD, relatifs à ses activités au sein de la Mission Eulex Kosovo.

81      Cependant, il ressort de l’arrêt sur pourvoi que la compétence juridictionnelle du Tribunal découle de la clause compromissoire désignant le juge de l’Union qui figure dans le dernier CDD et que, ainsi qu’il a été constaté aux points 64 à 66 ci-dessus, cette compétence couvre toutes les demandes qui dérivent du dernier CDD ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat.

82      Partant, dans la mesure où le dernier CDD fait partie des onze CDD, lesquels sont relatifs aux activités du requérant au sein de la Mission Eulex Kosovo, il convient, dans un premier temps, d’examiner la demande du requérant de requalification en un CDI unique des onze CDD. En effet, si cette demande devait être rejetée, le Tribunal ne serait pas compétent pour examiner la demande de requalification en un CDI des deux premières séries de CDD, conclus par le requérant dans le cadre de ses activités au sein des deux premières missions, visées aux points 1 et 2 ci-dessus, puisque ces derniers CDD ne contenaient pas de clause compromissoire désignant le juge de l’Union.

83      Aux fins de l’examen de la demande de requalification des onze CDD en un CDI unique, il y a lieu de déterminer le droit applicable à la relation contractuelle entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo ou les chefs de la mission s’agissant des neuf premiers CDD, puis de faire application dudit droit.

1)      Sur la détermination du droit applicable aux onze CDD

84      S’agissant du droit applicable à sa relation contractuelle dans le cadre de la Mission Eulex Kosovo, le requérant allègue une violation, d’une part, de différentes dispositions du droit belge ou, à titre subsidiaire, du droit irlandais et, d’autre part, de plusieurs normes et principes généraux du droit de l’Union, et notamment des principes et des règles édictés par ou dégagés de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43). En application des dispositions du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6), en particulier de son article 8, paragraphe 4, il conviendrait d’appliquer le droit belge au présent litige. S’agissant de la violation alléguée de principes généraux du droit de l’Union, le requérant se prévaut de la jurisprudence du juge de l’Union, d’où il ressortirait que les principes découlant de la directive 1999/70 peuvent être invoqués à l’encontre des institutions de l’Union lorsqu’ils constituent l’expression spécifique de règles fondamentales du traité UE et de principes généraux qui s’imposent directement auxdites institutions. En outre, le requérant se prévaut de la violation du code européen de bonne conduite administrative du Médiateur européen (ci-après le « code de bonne conduite »), qui, selon lui, reprend, en substance, l’ensemble des droits des travailleurs tels que ces droits sont protégés par les instruments de l’Union et les textes nationaux.

85      Le requérant soutient tout d’abord que, d’une part, son engagement sur la base de CDD successifs était abusif et que le formalisme requis, en vertu du droit belge, préalablement à la conclusion desdits CDD n’a pas été respecté. Partant, il demande que sa relation contractuelle soit requalifiée en un CDI. D’autre part, du fait de cette requalification, l’ensemble des droits sociaux dont il jouissait en sa qualité de travailleur employé sous le régime d’un CDI, notamment en matière de sécurité sociale et de pension, mais aussi d’information, de consultation, de notification et de rupture de contrat, auraient été violés. En revanche, il déclare ne pas contester la légalité de la décision de ne pas renouveler son contrat et ne pas demander à être réintégré dans son poste.

86      Ensuite, il s’oppose à l’argument selon lequel le droit applicable à sa relation contractuelle serait le droit autonome de la Mission Eulex Kosovo, d’autant que les instruments juridiques dont celle-ci se prévaut ne lui seraient pas opposables.

87      Enfin, en réponse à une question qui lui était posée dans le cadre de la première mesure d’organisation de la procédure, l’invitant à formuler d’éventuelles observations sur la législation irlandaise qui, selon la Mission Eulex Kosovo, serait applicable au présent litige, le requérant soutient, d’une part, que, dans les circonstances de l’espèce, il n’existait pas de raisons objectives justifiant le recours à des CDD au-delà du plafond de quatre années prévu à l’article 9 du Protection of Employees (Fixed – Term Work) Act 2003 [loi de 2003 relative à la protection des salariés (travail à durée déterminée), ci-après la « loi de 2003 »)], de sorte que, conformément audit article, il y aurait lieu de requalifier la relation contractuelle en un CDI. D’autre part, il a indiqué que la violation des dispositions de l’article 8 de la loi de 2003, concernant les obligations d’information préalable de l’employeur envers l’employé lors du renouvellement de CDD, « entraîne ipso facto la requalification en CDI des CDD ».

88      La Mission Eulex Kosovo, soutenue dans une large mesure par le Conseil, la Commission et le SEAE, s’oppose à l’argumentation du requérant.

89      En particulier, la Mission Eulex Kosovo et le SEAE font valoir que le droit applicable à la relation contractuelle nouée dans le cadre des onze CDD serait constitué par le droit autonome de la Mission Eulex Kosovo, tel qu’il s’est développé depuis la création de celle-ci en 2008. Ce droit autonome aurait pour objet d’encadrer les contrats de travail que la mission conclut avec les agents contractuels, en tenant compte de ses spécificités, notamment de son caractère temporaire. À supposer que le Tribunal ne fasse pas application d’un tel droit autonome, la mission soutient, conformément au règlement Rome I et aux stipulations des onze CDD, eu égard à la résidence fiscale permanente du requérant en Irlande, que ce serait le droit du travail irlandais qui s’appliquerait à la relation contractuelle en cause. Le Conseil se rallie expressément à ces arguments de la Mission Eulex Kosovo.

i)      Observations liminaires

90      Il ressort des arguments des parties qu’elles se prévalent de sources normatives différentes qui, selon elles, trouveraient à s’appliquer dans le cas d’espèce.

91      À ce titre, premièrement, il y a lieu d’examiner l’argumentation du SEAE et de la Mission Eulex Kosovo selon laquelle il conviendrait, en l’espèce, de faire application d’un droit autonome, qui se serait développé depuis la création de la mission en 2008 et aurait pour objet d’encadrer les contrats de travail conclus avec les agents contractuels, en tenant compte de ses spécificités.

92      À ce sujet, il suffit de constater que le législateur de l’Union n’a pas adopté, en vertu des dispositions de droit primaire, et en particulier de l’article 336 TFUE, de règles visant à encadrer, par exemple dans le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») ou tout autre acte, les conditions d’emploi du personnel contractuel d’une mission PESC, telle que la Mission Eulex Kosovo.

93      En outre, il ne ressort pas des termes des actes adoptés à la suite de la création de ladite mission qu’ils contiennent des dispositions propres à régler le litige sous-jacent au premier chef de conclusions, à savoir la demande de requalification des onze CDD en un CDI unique, d’une part, et la demande de réparation des préjudices contractuels prétendument subis dans le cadre de la relation de travail en cause, d’autre part.

94      Partant, c’est à tort que le SEAE et la Mission Eulex Kosovo se prévalent de l’application d’un droit autonome au présent litige.

95      Deuxièmement, s’agissant de la violation du code de bonne conduite dont se prévaut le requérant, il ressort des termes mêmes dudit code, notamment de ses articles 1er à 3, qu’il s’agit d’un guide de bonne pratique administrative que les institutions, les organes ou les organismes de l’Union, leurs administrations et leurs agents devraient respecter dans leurs relations avec le public. Conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 2, dudit code, les principes que ce dernier énonce ne s’appliquent pas aux relations entre lesdites entités et leurs fonctionnaires ou autres agents de l’Union. La méconnaissance des dispositions dudit code ne peut donc être utilement invoquée par le requérant dans ses rapports avec l’une quelconque des parties défenderesses, en tant qu’employeur (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juillet 2010, Tomas/Parlement, F‑116/07, F‑13/08 et F‑31/08, EU:F:2010:77, points 85 et 86). Partant, il convient de rejeter le grief pris de la violation dudit code comme non fondé.

96      Troisièmement, s’agissant de l’application des principes généraux du droit de l’Union dont se prévaut le requérant, certes, le principe d’interdiction de l’abus de droit, en vertu duquel nul ne peut se prévaloir abusivement des normes de droit, fait partie des principes généraux du droit dont le juge de l’Union assure le respect (voir arrêt du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, EU:T:2011:506, point 59 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 49).

97      En outre, par la directive 1999/70, et plus précisément par la mise en œuvre de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre CDD »), qui constitue l’annexe de ladite directive, le législateur de l’Union a établi un cadre juridique dont l’objectif est de prévenir les abus de droit résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

98      La poursuite des abus de droit résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs répond aux objectifs que l’Union et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels ceux énoncés dans la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, se sont fixés à l’article 151 TFUE, au nombre desquels figurent l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs ainsi qu’une protection sociale adéquate de ces derniers (arrêt du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, EU:T:2011:506, point 60).

99      Pour autant, il ressort également de la jurisprudence constante que, lorsqu’il est saisi dans le cadre d’une clause compromissoire en vertu de l’article 272 TFUE, le Tribunal doit trancher le litige sur la base du droit matériel national applicable au contrat (voir arrêt du 4 mai 2017, Meta Group/Commission, T‑744/14, non publié, EU:T:2017:304, point 64 ; voir également, en ce sens, arrêt du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, EU:C:1986:501, point 4).

100    Or, selon la jurisprudence de la Cour, le droit de l’Union exige des États membres que, lors de la transposition des directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union. Par la suite, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l’Union (voir arrêt du 18 octobre 2018, Bastei Lübbe, C‑149/17, EU:C:2018:841, point 45 et jurisprudence citée).

101    Partant, eu égard à la clause compromissoire, désignant le juge de l’Union, qui figure dans le dernier CDD, c’est au titre de la mise en œuvre du droit national applicable au présent litige que le Tribunal doit veiller au respect du principe général de l’interdiction de l’abus de droit résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

ii)    Règles de détermination du droit national applicable à la relation contractuelle en cause

102    En ce qui concerne l’examen du bien-fondé du premier chef de conclusions, qui vise à obtenir, d’une part, une requalification des CDD successifs en un CDI unique et, d’autre part, par suite de ladite requalification, réparation des préjudices contractuels prétendument subis, au regard de la jurisprudence rappelée au point 99, il convient de déterminer le droit applicable à la relation contractuelle en cause. À ce titre, il ressort de l’objet du litige sous-jacent audit chef de conclusions que le droit national applicable relève du droit du travail.

103    Afin de déterminer le droit matériel national applicable à un litige en matière de droit du travail, tel que celui en cause, le juge de l’Union utilise les règles de droit international privé et, notamment, conformément à l’article 28 du règlement Rome I, s’agissant de contrats conclus, comme les onze CDD, après le 17 décembre 2009, celles figurant à l’article 8 dudit règlement, relatif aux contrats individuels de travail.

104    L’article 8, paragraphe 1, du règlement Rome I dispose que « [l]e contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3 » de ce règlement, ce qui « ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi [du pays dans lequel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ou du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur] ». L’article 3, paragraphe 1, du règlement Rome I prévoit que « [l]e contrat est régi par la loi choisie par les parties », choix qui « est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause », et que, « [p]ar ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ».

105    Le droit applicable au contrat est donc, en principe, celui qui est expressément prévu dans le contrat, les stipulations contractuelles exprimant la commune volonté des parties devant primer sur tout autre critère utilisable seulement dans le silence du contrat (voir arrêt du 18 février 2016, Calberson GE/Commission, T‑164/14, EU:T:2016:85, point 23 et jurisprudence citée).

106    En l’absence de choix exercé par les parties, le juge de l’Union doit déterminer le droit applicable au contrat individuel de travail en utilisant les critères objectifs prévus à l’article 8, paragraphes 2 à 4, du règlement Rome I. En vertu du paragraphe 2 de cet article, à défaut de choix, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail. Selon le paragraphe 3 de cet article, si la loi applicable ne peut pas être déterminée sur la base dudit paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur. Enfin, en vertu du paragraphe 4 de cet article, s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé auxdits paragraphes 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique.

107    En l’espèce, s’il devait être constaté que les onze CDD ne contiennent pas de stipulations propres à régler directement le litige sous-jacent au premier chef de conclusions, il sera fait application des règles de droit international privé afin de déterminer le droit matériel national applicable en l’espèce.

iii) Sur l’absence dans les onze CDD de stipulation propre à régler directement le litige sous-jacent au premier chef de conclusions

108    Outre le fait que, ainsi qu’il a été constaté au point 92 ci-dessus, les actes adoptés à la suite de la création de la Mission Eulex Kosovo ne contiennent pas de disposition propre à régler le litige sous-jacent au premier chef de conclusions, force est de constater qu’il en va de même des onze CDD.

109    C’est ainsi que, s’agissant des neuf premiers CDD, il était indiqué, dans leur préambule respectif, que la communication C(2009) 9502 de la Commission, du 30 novembre 2009, intitulée « Réglementation relative aux conseillers spéciaux de la Commission mandatés pour la mise en œuvre des actions opérationnelles PESC, ainsi qu’au personnel contractuel international » [ci-après la « communication C(2009) 9502 »], prévoyait les conditions d’emploi du personnel international. En vertu de l’article 23 des neuf premiers CDD, il était renvoyé à ladite communication, soit en annexe aux cinq premiers CDD, soit par un hyperlien figurant dans ledit article des sixième à neuvième CDD. Il était par ailleurs précisé que cette dernière faisait partie intégrante desdits contrats. Or, il est constant que, conformément au point 2, troisième alinéa, premier point, et du point 4a de la communication C(2009) 9502, le contrat d’engagement était soumis au droit du travail du pays d’origine, voire de la résidence (fiscale) permanente, de l’agent, avant qu’il ne prenne ses fonctions au sein de la mission. En revanche, ladite communication ne contenait aucune disposition propre à régler le litige sous-jacent au premier chef de conclusions.

110    S’agissant des dixième et onzième CDD, il était indiqué dans leur préambule respectif que, conformément à l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124, « les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel international et local figurent dans les contrats conclus entre [la Mission] E[ulex] K[osovo] et les membres du personnel concernés ». Contrairement aux neuf premiers CDD, les dixième et onzième CDD ne contenaient pas de disposition renvoyant à l’application d’un droit matériel national du travail. Les seuls renvois à l’application d’un droit national contenus dans ces derniers CDD, figurant aux articles 12 et 13 de ceux-ci, portaient, d’une part, sur le régime de sécurité sociale et de pension et, d’autre part, sur le régime fiscal dont relèverait le requérant, lesquels ne sont pas pertinents s’agissant d’un litige dont l’objet est cantonné, comme c’est le cas en l’espèce, à la sphère du droit du travail. Partant, aucune des stipulations des dixième et onzième CDD ne permet de déterminer le droit applicable au litige sous-jacent au premier chef de conclusions.

111    Il ressort des considérations qui précèdent que, en l’absence de stipulation dans les onze CDD permettant de trancher le litige sous-jacent au premier chef de conclusions ou désignant le droit applicable à ces contrats, il convient, en vue de trancher ce litige, de déterminer le droit matériel national applicable auxdits CDD. À ce titre, il y a lieu d’examiner séparément les neuf premiers CDD, conclus avec le chef de la Mission Eulex Kosovo, puis les deux derniers CDD, conclus avec la Mission Eulex Kosovo.

iv)    Sur le droit matériel national applicable aux neuf premiers CDD, conclus entre le requérant et le chef de la Mission Eulex Kosovo

112    Premièrement, ainsi qu’il a déjà été constaté au point 109 ci-dessus, il était expressément indiqué dans les préambules des neuf premiers CDD que la communication C(2009) 9502 prévoyait les conditions d’emploi du personnel international.

113    S’agissant de l’opposabilité au requérant de la communication C(2009) 9502, qu’il conteste, il convient de relever que, après avoir prétendu, dans un premier temps, ne pas avoir eu connaissance de cette communication avant le début du premier CDD, le requérant a reconnu, dans le cadre de sa réponse à la première mesure d’organisation de la procédure, qu’elle lui avait été transmise avant la signature dudit CDD, en annexe à un courriel du 9 février 2010 qui lui avait été adressé par le département des ressources humaines de la Mission Eulex Kosovo.

114    En outre, s’agissant de l’argument du requérant pris de ce que le point 5 de la communication C(2009) 9502, intitulé « Dispositions finales », précisait en son point b) que celle-ci n’était plus applicable après le 1er janvier 2011, date de la création effective du SEAE, il convient de relever que, certes, contrairement à ce que soutient la Mission Eulex Kosovo, l’application de cette communication après cette date ne saurait être fondée sur l’accord politique qui aurait été conclu en 2013 au sein du Comité des représentants permanents (Coreper), en vertu duquel ladite application avait été maintenue jusqu’à ce qu’un accord politique soit trouvé pour remplacer ladite communication. En effet, une telle justification impliquerait une incorporation rétroactive, après son expiration, de la communication C(2009) 9502 dans les CDD conclus avant que ne soit intervenu ledit accord. Or, la Mission Eulex Kosovo ne fait valoir aucun motif susceptible de fonder, en droit, une telle application rétroactive.

115    Toutefois, le Tribunal considère que, ainsi que le soutient également la Mission Eulex Kosovo, c’est par une volonté commune des parties contractantes que la communication C(2009) 9502 a été incorporée dans les troisième à neuvième CDD, conclus après son expiration, ce en vertu de leur article 23, paragraphe 1. Partant, contrairement à ce que soutient le requérant, la communication C(2009) 9502 faisant partie intégrante des neuf premiers CDD conclus entre le requérant et le chef de la Mission Eulex Kosovo, elle leur est opposable.

116    Deuxièmement, l’article 1.1 des neufs premiers CDD stipulait que, en signant le contrat d’engagement, l’employé reconnaissait et acceptait les dispositions et les principes figurant dans lesdits contrats, ses annexes, les procédures opérationnelles normalisées et le code de conduite de la Mission Eulex Kosovo. En vertu de l’article 23 des neuf premiers CDD, il était renvoyé à la communication C(2009) 9502 et précisé qu’elle faisait partie intégrante desdits contrats.

117    Or, ainsi que cela ressort formellement de l’ensemble des neuf premiers CDD conclus entre le requérant et le chef de la Mission Eulex Kosovo, qui comportent tous, au début de la première page, la mention « Contract of employment for international staff », le requérant a été engagé en tant qu’« agent international », au sens du point 4a de la communication C(2009) 9502.

118    En outre, il ressort de manière explicite des dispositions du point 4a, troisième alinéa, de la communication C(2009) 9502 que, « [e]n ce qui concerne [...] le droit [...] du travail dont relève le personnel international, la législation de son pays d’origine/de sa résidence fiscale permanente reste applicable ». Ensuite, il est indiqué au dixième alinéa du même point que « [l]e contrat d’engagement est soumis au droit du travail et à la législation sociale de l’État dont est ressortissant la personne engagée/où sa résidence (fiscale) permanente a été constatée avant qu’elle prenne ses fonctions ». Par ailleurs, en vertu du onzième alinéa dudit point, « la résiliation du contrat [...] ainsi que les aspects de responsabilité sont soumis à la législation sociale et au droit du travail dans le pays » qui est identifié conformément aux critères visés dans le dixième alinéa. Enfin, en vertu du point 4a, sixième alinéa, de la communication C(2009) 9502, en cas de divergence entre le pays d’origine et la « résidence (fiscale) permanente » constatée avant la prise de fonctions, c’est cette dernière qui prévaut.

119    Au regard des considérations qui précèdent, s’agissant des neuf premiers CDD, le Tribunal constate que les parties contractantes ont choisi, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Rome I, le droit irlandais en tant que droit du travail national applicable, en désignant, par un renvoi à la communication C(2009) 9502, premièrement, le droit du pays dont le requérant était ressortissant [conformément au point 4a, dixième alinéa, de la communication C(2009) 9502], voire, deuxièmement, le droit de son pays d’origine et de résidence (fiscale) permanente avant son entrée en fonctions au sein de la Mission Eulex Kosovo [conformément au point 4a, troisième et dixième alinéas, de la communication C(2009) 9502].

120    En effet, premièrement, il est constant que le requérant est un ressortissant irlandais. Or, les dispositions du point 4a, dixième alinéa, de la communication C(2009) 9502 désignent explicitement le droit de l’État dont est ressortissant l’agent comme étant le droit applicable à la relation de travail.

121    Deuxièmement, s’agissant du pays d’origine et de résidence du requérant avant son entrée en fonctions au sein de la Mission Eulex Kosovo, il convient de déterminer où il se situait entre le 31 décembre 2009, date qui correspond à la fin de son emploi au sein de la mission MPUE en Bosnie-Herzégovine (voir point 2 ci-dessus), et le 5 avril 2010, date de sa prise de fonctions au sein de la Mission Eulex Kosovo (voir point 3 ci-dessus).

122    Or, force est de constater que, dans sa réponse du 16 septembre 2019 à la première mesure d’organisation de la procédure, le requérant a reconnu que son pays d’origine désigné et revendiqué dans le cadre de sa relation contractuelle avec la Mission Eulex Kosovo est l’Irlande. C’est ainsi qu’il a admis qu’il ressort des différentes pièces produites par la Mission Eulex Kosovo au stade de la duplique qu’il avait constamment indiqué, lors de la conclusion de son premier CDD avec ladite mission, mais également tout au long de sa relation d’emploi avec elle, notamment dans ses demandes de prise en charge de ses frais de voyage vers son lieu d’origine (« Statement of Home Travel Expenses »), que son pays d’origine était l’Irlande. Il a par ailleurs ajouté que l’Irlande était restée son pays d’origine tout au long de son occupation au sein des missions visées aux points 1 à 3 ci-dessus.

123    Il ressort de ces éléments du dossier que, au moment de sa prise de fonctions au sein de la Mission Eulex Kosovo, le pays d’origine et de résidence du requérant était l’Irlande. Au demeurant, il y a lieu de signaler que, toujours dans sa réponse du 16 septembre 2019 à la première mesure d’organisation de la procédure, le requérant a également mentionné que l’Irlande était son pays d’origine dès avant la conclusion, en 1994, du premier CDD avec la première mission pour laquelle il a travaillé. Dès lors, le critère de rattachement relatif au pays d’origine désigne le droit irlandais comme étant le droit du travail applicable en l’espèce, s’agissant des neufs premiers CDD conclus entre le requérant et le chef de la mission.

124    Cette conclusion ne saurait être modifiée au regard du critère prévu au point 4a, sixième alinéa, de la communication C(2009) 9502, tel que visé au point 118 ci-dessus. En effet, il ne ressort pas des écritures du requérant qu’il ait revendiqué une résidence fiscale qui se serait située dans un autre pays que son pays d’origine.

v)      Sur le droit matériel national applicable aux dixième et onzième CDD, signés entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo

125    Ainsi que cela ressort du point 110 ci-dessus, le Tribunal constate que, contrairement aux neuf premiers CDD, les dixième et onzième CDD ne contiennent pas de stipulation relative au choix, par les parties contractantes, de la loi qui régit la relation de travail nouée par chacun de ces deux derniers contrats.

126    En effet, dans le préambule des dixième et onzième CDD, conclus entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo, représentée par son chef, il était indiqué que, conformément à l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124, les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel international et local étaient censés figurer dans les contrats conclus entre la Mission Eulex Kosovo et les membres du personnel concernés.

127    Néanmoins, si l’article 1er des dixième et onzième CDD était, en substance, identique à l’article 1.1 des neuf premiers CCD, visé au point 116 ci-dessus, il convient de relever que, d’une part, les stipulations mêmes de ces deux CDD ne permettent pas de déterminer les règles applicables aux conditions d’emploi relevant de ceux-ci, ce, notamment, au regard du litige de droit du travail sous-jacent au premier chef de conclusions. D’autre part, l’article 23 des dixième et onzième CDD ne contenait plus de référence à la communication C(2009) 9502 et ne renvoyait pas non plus à des documents en annexe contenant des indications visant à désigner le droit du travail qui leur était applicable. Partant, il y a lieu de constater que les parties n’ont pas désigné le droit du travail applicable aux dixième et onzième CDD.

128    Par conséquent, à défaut pour les parties contractantes d’avoir, s’agissant de ces derniers CDD, opéré un choix à cet égard, il convient de déterminer le droit du travail applicable sur le fondement des critères de rattachement du droit international privé, à savoir, en l’espèce, ainsi qu’il est rappelé au point 106 ci-dessus, conformément aux critères objectifs visés à l’article 8, paragraphes 2 à 4, du règlement Rome I.

129    À ce titre, en vertu des critères successifs visés à l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement Rome I, le droit en principe applicable serait le droit kosovar. Cependant, ainsi que le soulignent tant le requérant que la Mission Eulex Kosovo, conformément à l’article 2, paragraphe 4, de la Law No. 03/L‑212 on Labour (loi no 03/L‑212 sur le travail) du Kosovo, produite en annexe au mémoire en défense de la Mission Eulex Kosovo, les dispositions de cette loi ne s’appliquaient pas aux relations d’emploi auprès de missions internationales, telles que la Mission Eulex Kosovo. Ainsi, le droit du travail kosovar exclut lui-même son application aux relations d’emploi telles que celles en cause.

130    En tout état de cause, il convient de constater que les dixième et onzième CDD présentent des liens plus étroits, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I, avec le droit irlandais, dont il y a donc lieu de faire application auxdits contrats.

131    En effet, premièrement, nonobstant la conclusion successive des dixième et onzième CDD, il existait, de fait, une relation de travail continue entre les parties depuis le premier des onze CDD.

132    Cette continuité ressort notamment, tout d’abord, de la désignation du poste que le requérant a occupé au sein de la mission dans les dixième et onzième CDD, à savoir celui de « IT Officer (Regional Infrastructure Support) (EK 10453) », en qualité de responsable des technologies au niveau régional, qu’il occupait déjà depuis la conclusion du sixième CDD. Ainsi que le requérant l’a lui-même décrit dans ses observations du 11 juin 2020 et que cela ressort de la première annexe qu’il a jointe auxdites observations, en tout cas dans le cadre du poste qu’il occupait depuis le 15 juin 2012, identifié sous la référence EK 10453, il exerçait, au sein de la Mission Eulex Kosovo, des fonctions de gestionnaire et de superviseur de tous les membres du personnel travaillant au bureau d’assistance et de soutien informatique (IT help desk/support). Ce constat ne saurait être écarté au motif que les tâches qui lui ont été confiées dans le cadre des sixième à onzième CDD ont pu évoluer au cours de la période en cause, à savoir entre le 15 juin 2012 et le 14 novembre 2014.

133    En effet, ainsi que cela ressort de manière explicite de leur description par le requérant lui-même, telle qu’elle figure dans la partie III du rapport d’évaluation personnel (ci-après le « PER ») qui couvrait la période comprise entre le 16 avril et le 14 novembre 2014, ses tâches ont alors évolué en raison de la restructuration de la Mission Eulex Kosovo, en particulier du fait de la suppression de l’unité de support informatique et technologique régional. De telles évolutions des tâches exécutées par le requérant sont inhérentes aux fonctions de gestionnaire et de superviseur, responsable d’un service, qu’il occupait. Elles ne sauraient dès lors avoir modifié la continuité de la relation de travail nouée entre le requérant et la mission au cours des onze CDD.

134    Ensuite, il ressort de l’ensemble des six PER établis au cours de la relation de travail entre la Mission Eulex Kosovo ou le chef de celle-ci et le requérant qu’il était proposé au requérant un nouveau CDD. Ces PER ont été communiqués par la Mission Eulex Kosovo en réponse à une demande formulée en ce sens dans la troisième mesure d’organisation de la procédure.

135    Enfin, il est constant que le requérant a bénéficié d’un avancement par échelons en fonction de son ancienneté cumulée au fil de ses onze CDD successifs au sein de la Mission Eulex Kosovo.

136    Eu égard à cette continuité et aux liens existant entre les onze CDD, dans le silence des dixième et onzième CDD quant au choix par les parties contractantes du droit applicable au litige de droit du travail sous-jacent au premier chef de conclusions, il y a lieu de tenir compte des paramètres de détermination dudit droit tels qu’ils figuraient dans les neuf premiers CDD.

137    Or, ainsi qu’il a été constaté au point 123 ci-dessus, dans les neufs premiers CDD, les parties contractantes avaient choisi de soumettre leur relation contractuelle au droit irlandais. Ainsi, nonobstant le silence des dixième et onzième CDD, conformément à la jurisprudence rappelée au point 105 ci-dessus, en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I, il y a lieu de conclure que, au regard de l’ensemble des circonstances qui caractérisent la relation d’emploi du requérant dans le cadre de son activité au sein de la Mission Eulex Kosovo en vertu des onze CDD, les deux derniers CDD restent soumis à la loi irlandaise, en tant que loi du pays dont le requérant était ressortissant et dont il était originaire au moment de sa prise de fonctions auprès de la Mission Eulex Kosovo.

138    Deuxièmement, s’agissant des régimes de sécurité sociale et de pension, d’une part, et du régime fiscal, d’autre part, dont relèverait le requérant, les deux derniers CDD prévoyaient, dans leurs articles 12.1 et 13.1, que l’employé était soumis à la loi nationale en vigueur dans son pays de résidence (fiscale) permanente avant sa prise de fonctions au sein de la Mission Eulex Kosovo. Bien que le facteur de rattachement applicable en ce qui concerne ces divers régimes ne se rapporte pas directement à l’objet d’un litige en matière de droit du travail tel que celui sous-jacent au premier chef de conclusions, il y a lieu de relever que, au regard des constatations exposées aux points 121 à 124 ci-dessus, ils renvoient de nouveau au droit irlandais en tant que droit national applicable.

139    En conclusion, il y a lieu de faire application du droit irlandais à l’ensemble de la relation contractuelle nouée en vertu des onze CDD, conclus par le requérant avec le chef de la Mission Eulex Kosovo puis avec ladite mission. C’est donc au regard dudit droit, et non du droit belge, dont s’est initialement prévalu le requérant, qu’il convient de statuer sur l’objet du litige sous-jacent au premier chef de conclusions.

2)      Droit matériel du travail irlandais applicable en l’espèce et transposant la clause 5 de l’accord-cadre CDD

140    Ainsi qu’il ressort des points 96 à 98 ci-dessus, en mettant en œuvre l’accord-cadre CDD qui figure en annexe à la directive 1999/70, le législateur de l’Union, eu égard au principe général de droit de l’interdiction de l’abus de droit, a établi un cadre juridique dont l’objectif est de prévenir les abus de droit résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

141    La clause 5 de l’accord-cadre CDD, relative aux « [m]esures visant à prévenir l’utilisation abusive », énonce :

« 1.      Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas [de] mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a)      des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b)      la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c)      le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2.      Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a)      sont considérés comme successifs ;

b)      sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

142    La clause 5, point 1, de l’accord-cadre CDD a pour objet de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par cet accord-cadre, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, considéré comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs, en prévoyant un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés (voir arrêt du 26 janvier 2012, Kücük, C‑586/10, EU:C:2012:39, point 25 et jurisprudence citée).

143    Ainsi, cette disposition de l’accord-cadre CDD impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes. Les mesures ainsi énumérées au point 1, sous a) à c), de ladite clause, au nombre de trois, ont trait, respectivement, à des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou de telles relations de travail, à la durée maximale totale de ces contrats ou de ces relations de travail successifs et au nombre de renouvellements de ceux-ci (voir arrêt du 26 janvier 2012, Kücük, C‑586/10, EU:C:2012:39, point 26 et jurisprudence citée).

144    La directive 1999/70 a été transposée dans l’ordre juridique irlandais par la loi de 2003. Cette loi est entrée en vigueur le 14 juillet 2003.

145    L’article 9 de la loi de 2003 transpose la clause 5 de l’accord-cadre CDD. À son paragraphe 1, il prévoit que le CDD d’un salarié qui, à la date de l’adoption de cette loi ou postérieurement à cette date, a achevé sa troisième année d’emploi ininterrompue au service de son employeur ou d’un employeur associé ne peut être renouvelé qu’une seule fois par cet employeur, pour une période d’un an au maximum. En vertu de l’article 9, paragraphe 3, de cette loi, toute condition insérée dans un contrat de travail en violation du paragraphe 1 de cet article est dépourvue d’effet et le contrat en cause est réputé conclu pour une durée indéterminée.

146    En application de l’article 9, paragraphe 4, de la loi de 2003, un employeur peut toutefois déroger, pour des raisons objectives, aux obligations découlant des paragraphes 1 à 3 dudit article. La notion de raisons objectives est explicitée à l’article 7 de cette loi. Conformément à ce dernier article, « [u]n motif n’est pas considéré comme un motif objectif aux fins de toute disposition de la présente partie à moins qu’il ne repose sur des considérations autres que le statut de l’employé concerné en tant qu’employé à durée déterminée et que le traitement moins favorable qu’il implique pour cet employé (lequel traitement peut inclure le renouvellement du contrat d’un employé à durée déterminée pour une autre durée déterminée) vise à atteindre un objectif légitime de l’employeur et qu’un tel traitement est approprié et nécessaire à cette fin ». En d’autres termes et en substance, pour être objective, la raison invoquée doit être fondée sur des considérations externes à l’employé et le traitement moins favorable que le CDD implique pour ce dernier doit viser à atteindre un objectif légitime de l’employeur, ce de manière appropriée et nécessaire.

3)      Sur l’application du droit du travail irlandais à la demande de requalification des onze CDD en un CDI

147    Dans la réponse du requérant à la première mesure d’organisation de la procédure, en ce qu’il était notamment invité à faire part de ses observations quant à une application éventuelle du droit irlandais, en substance, le requérant a maintenu sa demande de requalification des onze CDD en un CDI. À ce titre, il a fait valoir qu’il n’existait pas de raison objective, d’ordre général et budgétaire, susceptible de justifier la conclusion des onze CDD et que, conformément à la jurisprudence, son emploi par la Mission Eulex Kosovo visant des besoins permanents et durables, cette conclusion était abusive, de sorte que lesdits CDD devraient être requalifiés en un CDI unique.

148    Plus précisément, au sujet des raisons objectives invoquées par la Mission Eulex Kosovo pour justifier la conclusion des onze CDD, le requérant conteste que la mission ait été systématiquement limitée à la durée de son mandat, d’autant que la durée des CDD en cause n’était pas calquée sur la durée dudit mandat. Il ajoute qu’il aurait été possible de soumettre la relation contractuelle du requérant à une durée indéterminée, dès lors que l’organisation de la procédure décisionnelle de renouvellement des missions permettait tout à fait de donner un préavis dans le délai applicable à un CDI.

149    La Mission Eulex Kosovo, soutenue par les autres parties défenderesses, considère, en substance, qu’il existait des raisons objectives justifiant la conclusion des onze CDD.

150    En l’espèce, il incombe au Tribunal, en vertu de la clause compromissoire figurant dans le dernier CDD, d’apprécier, au regard des dispositions de l’article 9 de la loi de 2003, qui transpose la clause 5 de l’accord-cadre CDD, le bien-fondé de la demande du requérant de requalification des onze CDD en un CDI unique. Il ne ressort ni du dossier de l’affaire ni des arguments des parties que la loi de 2003 ne serait pas conforme à la directive 1999/70, voire même au principe général de droit de l’interdiction de l’abus de droit.

151    En premier lieu, il est constant que c’est sur le fondement de l’article 9, paragraphe 3, première phrase, de l’action commune 2008/124 que le requérant a été recruté pour la Mission Eulex Kosovo. Conformément à cet article, la Mission Eulex Kosovo pouvait, au besoin, recruter du personnel civil international et local sur une base contractuelle. En revanche, en l’absence de précision figurant dans ladite action commune à ce sujet, il incombait au chef de la mission, puis à cette dernière lorsque la personnalité juridique lui a été octroyée en 2014, de décider du type de contrat proposé au requérant. C’est ainsi que, tout au long de la relation contractuelle avec ce dernier, il a été décidé de lui proposer de conclure des CDD successifs.

152    En second lieu, selon la jurisprudence du juge de l’Union, il incombe aux autorités concernées d’examiner, dans chaque cas, toutes les circonstances de l’espèce, en prenant en considération, notamment, le nombre desdits contrats successifs conclus avec la même personne ou aux fins de l’accomplissement d’un même travail, afin d’exclure que des contrats ou des relations de travail à durée déterminée, même conclus ostensiblement pour couvrir un besoin en personnel de remplacement, soient utilisés de façon abusive par les employeurs. Même si l’appréciation de la raison objective avancée doit se référer au renouvellement du dernier contrat de travail conclu, l’existence, le nombre et la durée de contrats successifs de ce type conclus dans le passé avec le même employeur peuvent s’avérer pertinents dans le cadre de cet examen global (voir arrêt du 26 janvier 2012, Kücük, C‑586/10, EU:C:2012:39, point 40 et jurisprudence citée).

153    Il est constant que le requérant a été employé au sein de la Mission Eulex Kosovo en vertu des onze CDD, conclus successivement entre le 5 avril 2010 et le 14 novembre 2014, en qualité de responsable des technologies (« IT Officer »). Il ressort des éléments du dossier que c’est au cours de l’exécution du huitième CDD, qui prenait fin le 14 juin 2013, que le troisième anniversaire du début de la relation de travail est intervenu. Or, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la loi de 2003, la durée du neuvième CDD, qui a couru du 15 juin 2013 au 14 juin 2014, n’a pas excédé un an. C’est à donc à compter de cette dernière date que s’appliquait l’interdiction de conclure de nouveaux CDD. Ainsi, le dixième CDD devrait, en principe, être requalifié en un CDI, à moins que, conformément à l’article 9, paragraphe 4, de la loi de 2003, il ait existé des raisons objectives de nature à justifier sa conclusion.

154    Or, selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre CDD, doit être entendue comme visant des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et, partant, de nature à justifier dans ce contexte particulier l’utilisation de CDD successifs. Ces circonstances peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles de tels contrats ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles‑ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (voir arrêt du 26 janvier 2012, Kücük, C‑586/10, EU:C:2012:39, point 27 et jurisprudence citée).

155    C’est à la lumière de ladite jurisprudence qu’il convient de faire application de l’article 7 de la loi de 2003 et d’examiner si, conformément à l’article 9 de cette loi, il existait, en l’espèce, de telles raisons objectives pour conclure les onze CDD successifs au-delà du 14 juin 2014, à savoir après le neuvième CDD.

156    À ce titre, il y a lieu de relever que le cadre juridique et le contexte professionnel global dans lesquels le requérant a exécuté les tâches qui lui étaient confiées au sein de la Mission Eulex Kosovo se caractérisaient par leur dimension temporaire. Cette dimension ressort, en particulier, non seulement de la durée des mandats de la mission et des périodes couvertes par les montants de référence financière visant à couvrir ses dépenses, mais également de la (re)définition périodique de ses compétences et champ d’action et de la durée des mandats du chef de la mission. Cette dimension se trouve par ailleurs illustrée par les conditions et les modalités de recrutement du personnel de la Mission Eulex Kosovo.

157    Premièrement, s’agissant de la durée des mandats de la mission, il convient de rappeler que c’est sur le fondement du traité UE dans sa version en vigueur à cette époque, et notamment de son article 14, que le Conseil a adopté l’action commune 2006/304/PESC, du 10 avril 2006, sur la mise en place d’une équipe de planification de l’UE (EPUE Kosovo) en ce qui concerne l’opération de gestion de crise que l’UE pourrait mener au Kosovo dans le domaine de l’État de droit et, éventuellement, dans d’autres domaines (JO 2006, L 112, p. 19). Le 11 décembre 2006, le Conseil a, sur le fondement des mêmes dispositions du traité UE, adopté l’action commune 2006/918/PESC modifiant et prorogeant l’action commune 2006/304 (JO 2006, L 349, p. 57), dans laquelle il a approuvé le concept de gestion de crise menée par l’Union au Kosovo. C’est par ailleurs au regard desdites actions communes que la Mission Eulex Kosovo a été créée, toujours sur le fondement, notamment, de l’article 14 du traité UE, par l’action commune 2008/124. Au considérant 10 de cette dernière, il est rappelé que l’article 14, paragraphe 1, du traité UE requiert que soit indiqué un financement pour toute la durée de la mise en œuvre de cette action commune.

158    En vertu de l’article 14, paragraphe 1, du traité UE, dans sa version en vigueur, au moment de la création de la Mission Eulex Kosovo, les actions communes étaient arrêtées par le Conseil et concernaient certaines situations où une action opérationnelle de l’Union était jugée nécessaire. Elles devaient fixer leurs objectifs, leur portée, les moyens à mettre à la disposition de l’Union, les conditions relatives à leur mise en œuvre et, si nécessaire, leur durée.

159    C’est ainsi que, en vertu des dispositions de l’article 20, second alinéa, première phrase, de la version initiale de l’action commune 2008/124, l’action devait expirer après 28 mois à compter de l’adoption du plan d’opération (OPLAN) relatif à la mission « État de droit » menée par l’Union au Kosovo, Eulex Kosovo. Eu égard à la date d’adoption de ce plan, le mandat initial de cette action commune a expiré le 14 juin 2010. Elle a par la suite été prorogée à plusieurs reprises et de manière consécutive, par le Conseil, pour des périodes de deux années.

160    Ainsi, son mandat a notamment été prorogé, dans un premier temps, jusqu’au 14 juin 2012 [article 1er, paragraphe 10, de la décision 2010/322/PESC du Conseil, du 8 juin 2010, modifiant et prorogeant l’action commune 2008/124 (JO 2010, L 145, p. 13)], puis jusqu’au 14 juin 2014 [article 1er, paragraphe 7, de la décision 2012/291/PESC du Conseil, du 5 juin 2012, modifiant et prorogeant l’action commune 2008/124 (JO 2012, L 146, p. 46)], puis jusqu’au 14 juin 2016 (article 1er, paragraphe 9, de la décision 2014/349)].

161    Deuxièmement, s’agissant des périodes couvertes par les montants de référence financière, qui figurent dans les versions successives de l’article 16 de l’action commune 2008/124, intitulé « Dispositions financières », il appartenait au Conseil, conformément aux dispositions du dernier alinéa du paragraphe 1 dudit article dans ses différentes versions depuis celle résultant de la décision 2010/322, d’arrêter lesdits montants, destinés à couvrir les dépenses de la Mission Eulex Kosovo. Ces périodes couvertes par les montants de référence financière illustrent le contexte budgétaire temporaire dans lequel s’inscrivait l’intervention menée par l’Union au Kosovo au travers de la Mission Eulex Kosovo.

162    C’est ainsi que, entre la création de la mission et le premier semestre 2015, les montants de référence financière destinés à couvrir les dépenses liées à la mission, initialement fixés en vertu de l’action commune 2008/124 jusqu’au 14 juin 2009 (articles 16 et 20 de l’action commune 2008/124), puis de l’action commune 2009/445/PESC du Conseil, du 9 juin 2009, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2009, L 148, p. 33), jusqu’au 14 juin 2010 (article 1er, paragraphe 1, de l’action commune 2009/445), ont, par la suite, été arrêtés, par décisions du Conseil, jusqu’au 14 octobre 2010 (article 1er, paragraphe 6, de la décision 2010/322), puis jusqu’au 14 octobre 2011 [article 1er de la décision 2010/619/PESC du Conseil, du 15 octobre 2010, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2010, L 272, p. 19)], puis jusqu’au 14 décembre 2011 [article 1er de la décision 2011/687/PESC du Conseil, du 14 octobre 2011, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2011, L 270, p. 31)], puis jusqu’au 14 juin 2012 [article 1er de la décision 2011/752/PESC du Conseil, du 24 novembre 2011, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2011, L 310, p. 10)], puis jusqu’au 14 juin 2013 (article 1er, paragraphe 5, de la décision 2012/291), puis jusqu’au 14 juin 2014 [décision 2013/241/PESC du Conseil, du 27 mai 2013, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2013, L 141, p. 47)], puis jusqu’au 14 octobre 2014 (article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/349) et, enfin, jusqu’au 14 juin 2015 [article 1er, paragraphe 3, de la décision 2014/685/PESC du Conseil, du 29 septembre 2014, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2014, L 284, p. 51)].

163    Troisièmement, s’agissant de la définition des compétences et du champ d’action de la Mission Eulex Kosovo, ceux-ci étaient sujets à des adaptations en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain et des relations entre l’Union et les autorités kosovares.

164    Tout d’abord, cet aléa géopolitique et diplomatique est reflété, d’une part, par les dispositions de l’article 28, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en vertu desquelles, s’il se produit un changement de circonstances ayant une nette incidence sur une question faisant l’objet d’une décision adoptée par le Conseil mettant en place une action opérationnelle de l’Union, le Conseil révise les principes et les objectifs de cette décision et adopte les décisions nécessaires. Il en allait de même des dispositions de l’article 14, paragraphe 2, du traité UE, dans sa version en vigueur lors de la création de la Mission Eulex Kosovo en 2008, qu’a remplacé l’article 28, paragraphe 1, second alinéa, TUE. D’autre part, ledit aléa est également reflété par le rappel itératif, dans les considérants des différentes décisions du Conseil portant modification et prorogation de l’action commune 2008/124, du fait que la Mission Eulex Kosovo devait être menée dans le contexte d’une situation susceptible de se détériorer et de porter atteinte aux objectifs, initialement, de la PESC, puis de l’action extérieure énoncés à l’article 21 TUE.

165    Ensuite, conformément aux dispositions de l’article 19 de l’action commune 2008/124 dans sa version résultant de la décision 2010/322, le Conseil était tenu d’évaluer, six mois au plus tard avant la date d’expiration de ladite action, si la mission devait être prorogée. C’est ainsi qu’il ressort des considérants de chacune des décisions de prorogation de cette action commune que le Conseil a fait état des recommandations formulées à ce sujet par le Comité politique et de sécurité (COPS) (considérant 3 de la décision 2010/332), puis de l’examen stratégique (considérant 3 de la décision 2012/291 et considérant 4 de la décision 2014/349].

166    L’examen stratégique de la Mission Eulex Kosovo (CMDP, EEAS 00115/14) établi dans le courant du mois de janvier 2014 (ci-après l’« examen stratégique ») a été produit par la Mission Eulex Kosovo dans une version non entièrement déclassifiée en tant qu’annexe A5 de sa réponse à la deuxième mesure d’organisation de la procédure. C’est sur la base de ce document que le Conseil a décidé, par la décision 2014/349, de modifier et de proroger l’action commune 2008/124 jusqu’au 14 juin 2016. À cet égard, il convient de relever que, ainsi que le soutient notamment la Mission Eulex Kosovo, il ressort de cet examen que, d’une part, en 2013, les autorités kosovares avaient exprimé le souhait que, dans la perspective de la fin du mandat de l’action commune, alors fixée au 14 juin 2014, le processus de fin de l’indépendance supervisée du Kosovo soit entamé. C’est ainsi que, dans la lettre du cabinet du Premier ministre du Kosovo établie dans le courant du mois de juillet 2013, constituant l’annexe I de l’examen stratégique, lesdites autorités proposaient une stratégie de transition visant à aider la mission à transférer ses pouvoirs exécutifs aux institutions kosovares concernées de manière coordonnée et afin de mettre fin à son mandat dans le courant du mois de juin 2014. À ce titre, dans ladite lettre, lesdites autorités avaient énuméré certains domaines d’activité de la Mission Eulex Kosovo qui, selon leur propre évaluation, pourraient être transférés aux institutions kosovares.

167    D’autre part, c’est au regard notamment de ces souhaits exprimés par les autorités kosovares que, dans l’examen stratégique, il a été recommandé de redéfinir le champ des activités de la Mission Eulex Kosovo. À ce titre, au point 45 dudit examen, il était en particulier proposé de maintenir une présence résiduelle au niveau du système judiciaire local. De même, au point 75 de l’examen stratégique, dans la perspective de la prorogation du mandat de la mission à compter du mois de juin 2014 et jusqu’au mois de juin 2016, il était expressément indiqué que, eu égard aux nouvelles activités confiées à la mission, cette dernière serait beaucoup plus petite et que, à cet égard, il était proposé de convenir d’une période de transition de trois à quatre mois, devant se terminer au cours du mois de septembre ou d’octobre 2014.

168    Enfin, il ressort de la version révisée de l’OPLAN adoptée le 20 juin 2014 (9633/6/14 REV 6) que la Mission Eulex Kosovo a communiquée, dans une version non entièrement déclassifiée, en tant qu’annexe A7 de sa réponse à la deuxième mesure d’organisation de la procédure, que les modifications apportées à l’action commune 2008/124 reposaient sur la mise en balance des aspirations des autorités kosovares et du constat, énoncé dans l’examen stratégique, selon lequel, nonobstant les progrès réalisés, les objectifs poursuivis ne seraient pas entièrement atteints dans le courant du mois de juin 2014. Partant, sous le titre 1.2 (« Situation Update »), il était expressément indiqué qu’il y avait lieu, dans le cadre de la prorogation de son mandat jusqu’au mois de juin 2016, de mettre en place un partenariat tendant à répondre à la fois aux souhaits des autorités kosovares de relever elles-mêmes les défis et à la volonté d’assurer une transition dans les domaines d’activité où les objectifs convenus auraient été atteints. Il était explicitement précisé qu’« une appropriation et une responsabilisation au niveau local constituaient une caractéristique déterminante du mandat à venir ». S’agissant de la mise en œuvre de la restructuration de la Mission Eulex Kosovo, qui devait entrer en vigueur le 15 octobre 2014, il ressort du titre 4.2.1 (« Transition Phase ») que, au cours de la phase de transition débutant le 15 juin 2014 et se terminant le 14 octobre 2014, la mission devait être réorganisée conformément à l’organigramme constituant l’annexe 1 de ladite version de l’OPLAN. Or, il ressort de ladite annexe que, concernant les services techniques, le nombre d’« Information Technology Officers » de l’unité « Information Technology and Software Development », dont faisait partie le requérant, devait passer de six à quatre.

169    S’agissant des principes applicables à ladite phase de transition quant aux conséquences des décisions de restructuration de la Mission Eulex Kosovo sur les conditions d’emploi de son personnel, il était prévu que, en cas de suppression de postes, les contrats des membres du personnel contractuel les occupant ne seraient en tout état de cause pas renouvelés à leur expiration.

170    Quatrièmement, s’agissant de la durée des mandats des chefs de la mission successifs, celle-ci illustre de nouveau les conséquences du cadre décisionnel temporaire dans lequel s’inscrivait l’intervention menée par l’Union au Kosovo au travers de la Mission Eulex Kosovo.

171    C’est ainsi que le mandat du premier chef de la mission a couru, en vertu des dispositions de l’article 2, second alinéa, de la décision Eulex/1/2008 du COPS, du 7 février 2008, relative à la nomination du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2008/125/PESC) (JO 2008, L 42, p. 99), jusqu’à l’expiration de l’action commune 2008/124. Ledit mandat a pris fin le 14 octobre 2010, par suite de l’abrogation de la décision Eulex/1/2008 par l’article 2 de la décision Eulex/1/2010 du COPS, du 27 juillet 2010, relative à la nomination du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2010/431/PESC) (JO 2010, L 202, p. 10)].

172    Le mandat du deuxième chef de la mission, quant à lui, a tout d’abord couru, en vertu de la décision Eulex/1/2010, du 15 octobre 2010 au 14 octobre 2011, puis a été prorogé à trois reprises, à savoir jusqu’au 14 juin 2012 [décision Eulex Kosovo/1/2011 du COPS, du 27 juillet 2010, prorogeant le mandat du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2011/688/PESC) (JO 2011, L 270, p. 32)], puis jusqu’au 14 octobre 2012 [décision Eulex Kosovo/1/2012 du COPS, du 12 juin 2012, prorogeant le mandat du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2012/310/PESC) (JO 2012, L 154, p. 24)] et enfin jusqu’au 31 janvier 2013 [décision Eulex Kosovo/2/2012 du COPS, du 12 octobre 2012, prorogeant le mandat du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2012/631/PESC) (JO 2012, L 282, p. 45)].

173    Le mandat du troisième chef de la mission a tout d’abord couru du 1er février 2013 au 14 juin 2014 [décision Eulex Kosovo/3/2012 du COPS, du 4 décembre 2012, portant nomination du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2012/751/PESC) (JO 2012, L 334, p. 46)], puis a été prorogé jusqu’au 14 octobre 2014 [décision Eulex Kosovo/1/2014 du COPS, du 17 juin 2014, prorogeant le mandat du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2014/371/PESC) (JO 2014, L 180, p. 17)].

174    Eu égard à la conclusion du dernier CDD pour la période allant du 15 octobre au 14 novembre 2014, il convient d’ajouter qu’un quatrième chef de la mission a été nommé pour la période allant du 15 octobre 2014 au 14 juin 2015 [décision Eulex Kosovo/2/2014 du COPS, du 9 octobre 2014, portant nomination du chef de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (2014/707/PESC) (JO 2014, L 295, p. 59)].

175    Il ressort des constatations qui précèdent que la durée des mandats des chefs de la Mission Eulex Kosovo était non seulement limitée, mais également fixée pour des périodes variables et erratiques. Or, outre le fait que les neuf premiers CDD ont été conclus entre le requérant et le chef de la mission alors en poste, il convient de relever que, conformément au point 4, septième et huitième alinéas, de la communication C(2009) 9502, qui faisait initialement partie intégrante des dispositions régissant la relation contractuelle entre le requérant et le chef de la mission, la durée du contrat d’engagement des agents internationaux devait être conforme aux conditions du contrat de recrutement du conseiller spécial pour la PESC avec lequel le requérant avait conclu le contrat. À cet égard, il est constant que chacun des chefs de la mission avec lesquels le requérant a respectivement conclu les neuf premiers CDD était, en sa qualité de chef de la mission alors en poste, conseiller spécial pour la PESC. En l’absence de personnalité juridique conférée à la Mission Eulex Kosovo, il était justifié que les contrats d’engagement des agents contractuels internationaux soient conclus par les chefs de ladite mission. Or, la durée des mandats de ces derniers était limitée, ainsi que le rappelle la Mission Eulex Kosovo, en vertu du point 4 de la communication C(2009) 9502. Dans ces circonstances, en principe, les chefs de la mission ne pouvaient conclure des contrats d’engagement d’une durée supérieure à celle de leurs propres contrats.

176    Ainsi, il résulte des constatations opérées aux points 157 à 175 ci-dessus que, durant la période comprise entre la date de la création de la Mission Eulex Kosovo et le deuxième semestre 2014, la durée du mandat de la mission, en tant que mission civile de gestion de crise, initialement fixée à 28 mois, a, par la suite, été prorogée à trois reprises à concurrence de deux années. En outre, tant les périodes couvertes par les montants de référence financière destinés à couvrir ses dépenses que les mandats des différents chefs de la mission ont été fixés pour des périodes successives, erratiques et non homogènes entre elles. Par ailleurs, concernant la définition des compétences et du champ d’action de la mission, celle-ci a fait l’objet de modifications en fonction de l’évolution de la mise en œuvre du mandat qui lui était confié, de la situation sur le terrain des opérations et des relations établies entre l’Union et les autorités kosovares.

177    Par ailleurs, il y a lieu d’ajouter que, s’agissant des conditions et des modalités de recrutement du personnel de la Mission Eulex Kosovo, l’article 9, paragraphe 2, première phrase, de l’action commune 2008/124 dispose que « [l]e personnel de E[ulex] K[osovo] consiste essentiellement en agents détachés par les États membres ou les institutions de l’U[nion] ». Conformément à la seconde phrase du paragraphe 2 du même article, il incombait à chaque État membre ou institution de l’Union de supporter les dépenses afférentes au personnel qu’il détachait, y compris les frais de voyage à destination et au départ du lieu de déploiement, les salaires, la couverture médicale et les indemnités. En vertu du paragraphe 3, première phrase, du même article, la mission pouvait aussi, au besoin, recruter notamment du personnel civil international sur une base contractuelle si les fonctions nécessaires n’étaient pas assurées par des agents détachés par les États membres.

178    Ainsi, le recrutement du personnel de la Mission Eulex Kosovo devait être réalisé, en priorité, par le détachement d’agents des États membres ou des institutions de l’Union. Ce n’est qu’à titre subsidiaire, lorsque les agents ainsi détachés n’étaient pas en mesure d’assurer certaines fonctions nécessaires à ladite mission, que cette dernière pouvait alors recruter du personnel civil international et local.

179    Ces conditions d’emploi du personnel au sein de la Mission Eulex Kosovo étaient justifiées par la nature temporaire du mandat de ladite mission, dans la mesure où celui-ci, ainsi qu’il résulte notamment des points 163, 166 et 177 ci-dessus, quels qu’en soient la durée et l’objet, était toujours susceptible d’être modifié, voire dénoncé par les autorités kosovares. Ces circonstances propres à une mission de gestion de crise internationale, créée dans le cadre de la PESC, telle que la Mission Eulex Kosovo, justifiaient que son personnel soit recruté, en priorité, sur la base du détachement d’agents des États membres ou d’agents des institutions de l’Union. En effet, d’une part, dans l’hypothèse où le mandat de ladite mission n’aurait pas été renouvelé ou aurait été interrompu en cours de réalisation, il eût alors été possible de mettre immédiatement fin, sans risquer d’exposer la mission à des conséquences administratives et budgétaires incompatibles avec sa dimension temporaire, au détachement des agents détachés auprès d’elle par les États membres ou les institutions de l’Union.

180    Partant, dès lors que le requérant n’était pas un agent détaché par un État membre ou par une institution de l’Union, les tâches susceptibles de lui être confiées, quel qu’en soit l’objet spécifique, étaient, nécessairement et directement, exposées non seulement aux aléas des relations internationales, qui conditionnaient le maintien de la Mission Eulex Kosovo sur le terrain, ses compétences et son champ d’action, et de son financement, mais également aux capacités, par nature évolutives, des États membres de détacher des agents nationaux capables de répondre aux besoins de la mission. Ces conditions et ces modalités d’emploi du personnel de la mission, qui sont étroitement et directement liées à la nature temporaire de cette dernière, constituent, elles aussi, des raisons objectives permettant de justifier la décision de proposer au personnel civil international des CDD.

181    Par conséquent, eu égard au caractère temporaire de l’ensemble de ces paramètres, c’est à tort que le requérant soutient, d’une part, que, pour l’accomplissement de ses activités au sein de la Mission Eulex Kosovo, il aurait pu lui être proposé de conclure un CDI contenant une clause résolutoire en cas de fin de mandat de la mission et, d’autre part, que l’emploi qu’il occupait visait à satisfaire des besoins permanents et durables. En effet, les perspectives d’emploi de l’ensemble du personnel de la mission, y compris les agents civils internationaux, étaient toutes conditionnées par une décision de maintien de la mission, au regard de facteurs géopolitiques, et, dans cette hypothèse, par la définition de ses compétences et de son champ d’action, au titre de son mandat. C’est donc la nature même de l’entité concernée, en ce que cette dernière est destinée, à terme, à disparaître et est, dans ce contexte particulier, tributaire des seuls financements qui lui sont alloués par l’autorité budgétaire en fonction de ses compétences et de son champ d’action tels que définis par l’autorité politique, qui détermine nécessairement le caractère temporaire des conditions d’emploi de son personnel ainsi que, en principe, jusqu’au neuvième CDD, la durée du mandat du chef de la mission, avec qui les contrats étaient initialement conclus.

182    Ainsi, la durée des contrats conclus par ou pour le compte de la Mission Eulex Kosovo avec les agents civils internationaux ne pouvait en aucun cas dépasser la fin de chacun des mandats de la mission ni, avant tout et en principe, le terme des périodes couvertes par les montants de référence financière.

183    Or, en l’espèce, la date de fin de chacun des neuf premiers CDD, conclus entre le requérant et le chef de la mission, ainsi que celle du dixième CDD, conclu entre le requérant et la mission elle-même, a toujours coïncidé avec la fin d’un mandat de la mission ou des périodes couvertes par les montants de référence financière ou du mandat du chef de la mission, de sorte que le recours auxdits CDD constituait un moyen nécessaire et approprié, ainsi qu’il ressort des constatations suivantes :

–        la fin du premier CDD, fixée au 14 juin 2010, coïncidait avec la fin du mandat de la mission prévue par les actions communes 2008/124 et 2009/445 et la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par l’action commune 2009/445 ;

–        la fin du deuxième CDD, fixée au 14 octobre 2010, coïncidait avec la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2010/322 ;

–        la fin du troisième CDD, fixée au 14 octobre 2011, coïncidait avec la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2010/619 et la fin du mandat du chef de la mission fixée par la décision 2010/431 ;

–        la fin du quatrième CDD, fixée au 14 décembre 2011, coïncidait avec la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2011/687 ;

–        la fin du cinquième CDD, fixée au 14 juin 2012, coïncidait avec la fin du mandat de la mission prévue par la décision 2010/322, la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2011/752 et la fin du mandat du chef de la mission fixée par la décision 2011/688 ;

–        la fin du sixième CDD, fixée au 14 octobre 2012, coïncidait avec la fin du mandat du chef de la mission fixée par la décision 2012/310 ;

–        la fin du septième CDD, fixée au 31 janvier 2013, coïncidait avec la fin du mandat du chef de la mission fixée par la décision 2012/631 ;

–        la fin du huitième CDD, fixée au 14 juin 2013, coïncidait avec la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2012/291 ;

–        la fin du neuvième CDD, fixée au 14 juin 2014, coïncidait avec la fin du mandat de la mission prévue par la décision 2012/291, la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2013/241 et la fin du mandat du chef de la mission fixée par la décision 2012/751 ;

–        et la fin du dixième CDD, fixée au 14 octobre 2014, coïncidait avec la fin de la période couverte par le montant de référence financière fixée par la décision 2014/349.

184    En conclusion, eu égard à la dimension temporaire du contexte dans lequel s’est développée la relation contractuelle entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo, dimension qui était étroitement liée aux circonstances précises et concrètes de détermination et de mise en œuvre du mandat de la Mission Eulex Kosovo, il y a lieu de constater que, dans les circonstances de l’espèce, il existait des raisons objectives justifiant le recours, au-delà du 14 juin 2014, à savoir après le neuvième CDD, à des CDD successifs en ce qui concerne l’engagement du requérant en tant qu’agent civil international au sein de ladite mission. Partant, contrairement à ce que celui-ci soutient, c’est sans commettre d’abus qu’il lui a été proposé de conclure les dix premiers CDD.

185    S’agissant des raisons objectives susceptibles de justifier, conformément à l’article 9 de la loi de 2003, la conclusion du onzième CDD entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo, le requérant avait été expressément informé, par la lettre du 26 juin 2014, que, par suite de la décision de restructuration de la Mission Eulex Kosovo prise par les États membres le 24 juin 2014, le poste de responsable des technologies (« IT Officer ») qu’il occupait depuis son engagement au sein de la Mission Eulex Kosovo serait supprimé après le 14 novembre 2014, de sorte que son contrat ne serait pas renouvelé au-delà de cette date. Cette information a donc été formellement communiquée au requérant un peu moins de cinq mois avant le terme de ses perspectives de travail au sein de ladite mission, à savoir le 14 novembre 2014 et un peu moins de quatre mois avant le terme du dixième CDD, fixé au 14 octobre 2014. Par ailleurs, cette lettre faisait explicitement état des raisons pour lesquelles, après le 14 novembre 2014, il ne pourrait lui être proposé de conclure un nouveau contrat d’engagement au sein de la mission pour les fonctions qu’il avait jusqu’alors assumées dans le cadre de ses relations de travail avec cette dernière.

186    C’est dans ce contexte spécifique, directement et étroitement lié à la restructuration de la Mission Eulex Kosovo décidée dans le courant du mois de juin 2014, que, à la fin du dixième CDD, le 14 octobre 2014, conformément aux termes de la lettre du 26 juin 2014, la Mission Eulex Kosovo a proposé au requérant de conclure un dernier CDD, pour la période allant du 15 octobre au 14 novembre 2014. Le requérant était donc parfaitement informé des raisons pour lesquelles et des conditions dans lesquelles un dernier CDD lui était proposé et du fait que, eu égard à la restructuration de la mission et, consécutivement, à la suppression du poste qu’il occupait jusqu’alors, aucune perspective de renouvellement de son contrat pour les fonctions qu’il avait assumées n’était envisageable. Cette circonstance particulière illustre parfaitement la dimension hautement temporaire et aléatoire qui caractérise la nature même d’une mission PESC telle que la Mission Eulex Kosovo et, consécutivement, son existence elle-même. Au demeurant, hormis l’insertion, à l’article 21, de la clause compromissoire désignant le juge de l’Union, les stipulations dudit contrat ne différaient pas de celles figurant dans le dixième CDD.

187    Il ressort des constatations figurant aux points 185 et 186 ci-dessus que, en sus des raisons objectives, liées à la nature temporaire et en perpétuelle évolution du mandat de la Mission Eulex Kosovo, s’agissant de sa durée, de son contenu et de son financement, qui justifiaient la conclusion des dix premiers CDD, il existait d’autres raisons objectives, reposant sur un contexte spécifique, pour justifier, de manière encore plus concrète et circonstanciée, la décision de la mission de proposer au requérant de conclure le dernier CDD, pour une durée d’un mois seulement. Une telle proposition constituait un moyen nécessaire et approprié de satisfaire les besoins pour lesquels la relation contractuelle avait été nouée, eu égard à ces raisons objectives. En effet, la date de fin dudit CDD coïncidait alors avec celle à laquelle le poste qu’il occupait jusqu’alors devait être supprimé dans le cadre de la restructuration de la mission décidée par le Conseil et de sa mise en œuvre par la mission, à savoir le 15 novembre 2014.

188    Par conséquent, tout d’abord, il existait des raisons objectives permettant de justifier, conformément à l’article 9 de la loi de 2003, la conclusion des onze CDD. Partant, c’est sans commettre d’abus qu’il a été proposé au requérant de conclure le dernier CDD. Ensuite et consécutivement, eu égard aux considérations exposées aux points 184 et 187 ci-dessus, la demande de requalification des onze CDD en un CDI unique doit être rejetée comme non fondée. Enfin, conformément aux considérations exposées au point 82 ci-dessus, la demande de requalification des CDD conclus entre le requérant et les deux premières missions, visées aux points 1 et 2 ci-dessus, doit dès lors également être rejetée.

189    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments complémentaires du requérant. Il en est ainsi, premièrement, s’agissant de l’argument pris de ce que la relation contractuelle serait automatiquement requalifiée en un CDI dès lors que la signature des onze CDD est toujours intervenue postérieurement à la date de son entrée en fonctions.

190    En effet, s’il est constant que les onze CDD ont tous été signés après leur prise d’effet, il suffit de constater que la règle dont se prévaut le requérant est tirée des dispositions de l’article 9 de la loi belge du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (Moniteur belge du 22 août 1978, p. 9277). Or, ainsi qu’il a été constaté au point 139 ci-dessus, le droit national applicable au présent litige est le droit irlandais, lequel ne contient pas, fût-ce en substance, une règle de formalisme contractuel comparable. Partant, cet argument n’est pas fondé.

191    Deuxièmement, il y a également lieu d’écarter l’argument pris de ce que, en l’absence de communication de l’ensemble des documents faisant partie intégrante des contrats, et notamment de la communication C(2009) 9502, le requérant n’aurait pas été informé de ses droits fiscaux et sociaux préalablement à la signature du premier CDD. Il soutient à cet égard que, en l’absence de consentement éclairé et d’information quant au cadre juridique applicable aux onze CDD, ces derniers seraient invalides, de sorte que, pour ce motif également, la relation contractuelle devrait être requalifiée en un CDI unique.

192    La Mission Eulex Kosovo conteste que le consentement du requérant aurait été vicié.

193    S’agissant de la prétendue absence d’information du requérant quant à ses droits fiscaux et sociaux préalablement à la signature du premier CDD, ainsi qu’il a été constaté au point 113 ci-dessus, la communication C(2009) 9502 lui avait effectivement été transmise avant la signature de ce contrat.

194    Or, il est constant que ladite communication, qui faisait partie intégrante des neuf premiers CDD, conclus entre le requérant et le chef de la Mission Eulex Kosovo, faisait expressément état, en plus des règles applicables à la relation de travail, de l’ensemble des droits sociaux et fiscaux du requérant. En outre, force est de relever que, tout d’abord, dans le courriel du 9 février 2010 lui transmettant la communication C(2009) 9502 (voir point 113 ci-dessus), le département des ressources humaines de la mission précisait la procédure et les modalités applicables, entre autres, pour déterminer son grade et son salaire, aux fins de l’établissement de son offre d’emploi. Ensuite, à ces fins, le requérant a retourné le formulaire de déclaration de résidence à la mission, dûment rempli et daté du 22 février 2010. Enfin, consécutivement, par courriel du 18 mars 2010, d’une part, la mission a notamment informé le requérant, sur la base des documents qu’il avait communiqués à la suite du courriel du 9 février 2010, de la catégorie dont relèverait son poste, de ses grade et échelon, de ses salaire et autres émoluments, des heures et des horaires de travail au sein de la mission, de ses droits en matière de congés et de la police d’assurance à haut risque dont il bénéficierait. D’autre part, elle a invité le requérant à accepter l’offre d’emploi annexée audit courriel du 18 mars 2010 et à communiquer la date exacte de son arrivée, tout en précisant qu’il lui était loisible de solliciter, préalablement, toute information qu’il jugerait utile. Le requérant a retourné ladite offre d’emploi, qui précisait son poste, son grade, sa rémunération et la date de fin de son CDD initial, signée et datée du 25 mars 2010.

195    Il ressort de l’ensemble des constatations qui précédent que c’est en parfaite connaissance de cause de ses conditions d’emploi et de ses droits sociaux et fiscaux que le requérant a conclu le premier CDD avec la Mission Eulex Kosovo. Par ailleurs, dans ses écritures, le requérant n’a pas prétendu que les documents annexés aux dix autres CDD successifs ultérieurement conclus avec la mission n’auraient pas été mis à sa disposition. S’agissant du dernier CDD, ainsi qu’il a été relevé au point 138 ci-dessus, les données relatives aux droits sociaux et fiscaux du requérant figuraient dans les stipulations mêmes du contrat. N’étaient alors annexées à ce dernier CDD que la description de son poste, la grille des salaires et le formulaire d’indentification de l’agent (« Beneficiary form » ou « Designation form »).

196    Troisièmement, l’argument du requérant pris de la violation de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003 n’est pas non plus fondé.

197    À ce titre, ainsi qu’il est relevé au point 87 ci-dessus, le requérant soutient que la violation des dispositions de l’article 8 de la loi de 2003 entraîne ipso facto la requalification en CDI des CDD. De même, en réponse à une nouvelle question posée dans le cadre de la troisième mesure d’organisation de la procédure, le requérant a expressément indiqué que sa demande de réparation de préjudices contractuels, liée à la rupture illégale de sa relation d’emploi, repose sur la requalification, fondée sur « l’application de [l’article 9 de la loi de] 2003 », de sa relation contractuelle au sein des missions.

198    En vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003, lorsque l’employeur propose de renouveler un CDD, il est tenu d’informer l’employé, par écrit, au plus tard à la date du renouvellement, des raisons objectives justifiant ce dernier et l’absence de proposition de conclure un CDI. En vertu de l’article 8, paragraphe 4, de ladite loi, lorsque l’employeur a omis de procéder à cette information par écrit ou que ladite information est évasive et équivoque, il y a lieu de tirer les conséquences justes et équitables des circonstances de l’espèce.

199    Tout d’abord, il convient d’emblée de constater que, d’une part, si les dispositions de l’article 8, paragraphe 4, de la loi de 2003 prévoient que, en cas de violation de l’obligation d’information préalable et par écrit prévue au paragraphe 2 de cet article, il y a lieu de tirer les conséquences justes et équitables des circonstances de l’espèce, en revanche, le législateur irlandais n’a pas prévu que de telles conséquences peuvent consister en une requalification des CDD en cause en un CDI. Ces dispositions divergent à cet égard de celles de l’article 9, paragraphe 3, de la loi de 2003, d’où il ressort que ledit législateur a prévu, cette fois expressément, que, en cas de violation des paragraphes 1 et 2 de ce dernier article, le CDD concerné est requalifié en un CDI.

200    D’autre part, il ressort de la jurisprudence des juridictions irlandaises, et notamment de l’arrêt du Labour Court (tribunal du travail, Irlande) du 24 février 2009, National University of Ireland Maynooth v. Dr. Ann Buckley (FTD092), sur lequel les parties ont été invitées à formuler leurs éventuelles observations dans le cadre de la troisième mesure d’organisation de la procédure, que, lorsqu’il est fait application des dispositions de l’article 8, paragraphe 4, de la loi de 2003, les conséquences justes et équitables tirées par lesdites juridictions prennent la forme, dans le cas d’une violation de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003 et alors qu’il existe des raisons objectives justifiant la conclusion de CDD, d’une indemnisation financière.

201    Ensuite, s’agissant de la violation alléguée des dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003 en l’espèce, il est certes permis de considérer que les exigences d’information écrite et préalable, non évasive ou équivoque, ont été respectées lors de la conclusion du onzième CDD, dont l’exécution a débuté le 15 octobre 2014. En effet, par la lettre du 26 juin 2014, la Mission Eulex Kosovo a exposé de manière claire et non équivoque que, en raison de la suppression du poste du requérant à partir du 15 novembre 2014, elle ne pourrait lui proposer de conclure qu’un ultime CDD, au terme du dixième CDD. Ainsi que cela ressort des points 185 à 187 ci-dessus, la raison invoquée, dès lors qu’elle est directement liée aux facteurs de temporalité qui caractérisent la nature même de la mission, constituait une raison objective, au sens de l’article 7 de la loi de 2003.

202    Toutefois, contrairement à ce que soutient la Mission Eulex Kosovo et ainsi que le fait valoir le requérant dans sa réponse à la troisième mesure d’organisation de la procédure, il ne ressort ni des stipulations des deuxième à dixième CDD, y inclus les documents annexés à ceux-ci, ni des six PER que ladite mission aurait formellement et spécifiquement communiqué au requérant, conformément aux dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003, par écrit et préalablement à la prise d’effet des CDD renouvelés, les raisons objectives pour lesquelles elle lui proposait de conclure lesdits CDD et ne pouvait pas lui offrir de conclure un CDI. La Mission Eulex Kosovo se prévaut à cet égard des éléments d’information qui figuraient, selon elle, dans lesdits PER et dans les documents annexés aux CDD, relatifs aux facteurs de temporalité caractéristiques de la Mission Eulex Kosovo, à savoir, notamment, la durée limitée des mandats de la mission ou de ses chefs successifs ou la durée limitée de son budget alloué périodiquement.

203    Or, force est de constater que, d’une part, il est constant que les deuxième à dixième CDD n’ont pas été signés avant leurs dates respectives de prise d’effet. Partant, contrairement à ce que prévoient les dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003, les informations écrites qu’ils contenaient ne pouvaient être formellement et spécifiquement portées à la connaissance du requérant préalablement auxdites dates.

204    D’autre part, force est également constater que, s’agissant des six PER, certains d’entre eux portaient sur des périodes de travail couvertes par plusieurs CDD, de sorte que l’obligation d’information prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003 n’a manifestement pas pu être respectée par ce biais lors du renouvellement de chacun des deuxième à neuvième CDD. Tel est le cas, par exemple, du quatrième PER, qui portait sur la période comprise entre le 15 juin 2012 et le 14 juin 2013, période qui était couverte par les sixième, septième et huitième CDD. Le requérant n’a donc manifestement pas été informé par écrit des raisons objectives justifiant la proposition qui lui était faite de conclure les septième et huitième CDD.

205    S’agissant toujours des six PER, il est certes vrai que le deuxième PER, qui portait sur la période comprise entre le 15 octobre 2010 et le 20 juillet 2011, contenait la mention « date actuelle de la fin de la mission : 14 octobre 2011 ». Toutefois, cette information s’avère erronée. En effet, à la date de la signature du deuxième PER, à savoir le 8 août 2011, ainsi que cela ressort du point 160 ci-dessus, le mandat de la mission avait été reconduit jusqu’au 14 juin 2012 depuis l’adoption de la décision 2010/322. Ainsi que cela ressort des points 162 et 172 ci-dessus, la date du 14 octobre 2011 correspondait à la fois à la fin d’une période couverte par les montants de référence financière destinés à financer la mission et à la fin du mandat du chef de la mission en exercice à l’époque.

206    Il ressort des considérations qui précèdent que, outre l’absence d’information exhaustive se rapportant au renouvellement des deuxième à dixième CDD, l’information dont se prévaut la Mission Eulex Kosovo les concernant était, à certains égards, équivoque, voire incorrecte, de sorte qu’elle ne répondait pas aux exigences d’information spécifique et préalable figurant à l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003.

207    Par conséquent c’est à bon droit que le requérant fait valoir la violation des dispositions de l’article 8, paragraphe 2, de la loi de 2003.

208    En revanche, s’agissant des conséquences justes et équitables qu’il convient de tirer de ladite violation, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, de la loi de 2003, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 76 et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita (voir arrêt du 17 septembre 2020, Alfamicro/Commission, C‑623/19 P, non publié, EU:C:2020:734, point 40 et jurisprudence citée). Plus précisément, lorsque le Tribunal est saisi en tant que juge du contrat sur le fondement de l’article 272 TFUE, il doit statuer uniquement dans le cadre juridique et factuel tel que déterminé par les parties au litige (voir arrêt du 17 septembre 2020, Alfamicro/Commission, C‑623/19 P, non publié, EU:C:2020:734, point 41 et jurisprudence citée).

209    Or, en l’espèce, ainsi qu’il est relevé au point 197 ci-dessus, en tant qu’il invoque la violation des dispositions de l’article 8 de la loi de 2003, d’une part, le requérant a expressément indiqué qu’il demandait la requalification en CDI des CDD que cette violation entraînerait ipso facto. D’autre part, il a clairement rappelé que sa prétention indemnitaire liée à la rupture illégale de sa relation d’emploi se fonde sur la requalification, en application de l’article 9 de la loi de 2003, de sa relation contractuelle avec les missions au sein desquelles il a successivement travaillé. Cependant, il ressort des considérations exposées aux points 199 et 200 ci-dessus qu’une telle demande de requalification ne saurait être accueillie sur le seul fondement d’une violation de l’article 8 de la loi de 2003. Il en est d’autant plus ainsi lorsque, ainsi qu’il a été conclu au point 188 ci-dessus, il existait, en l’espèce, conformément à l’article 9 de la loi de 2003, des raisons objectives pour conclure les onze CDD successifs.

210    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande de requalification des CDD successifs en un CDI unique.

b)      Sur la demande de réparation de l’ensemble des préjudices contractuels

211    La demande du requérant de réparation des préjudices contractuels figurant dans le premier chef de conclusions repose sur la requalification des CDD en un CDI unique, en raison de l’abus de CDD successifs qui aurait été commis par les parties défenderesses et de la violation des règles de formalisme contractuel applicables en vertu du droit belge ou du droit irlandais. Dans ce cadre, il se prévaut de la violation des droits sociaux dont il aurait dû jouir en qualité de travailleur employé sous le régime d’un CDI, notamment en matière de sécurité sociale et de pension, mais aussi d’information, de consultation, de notification et de rupture de contrat. Le requérant demande donc à se voir rétabli rétroactivement dans l’ensemble des droits dont il aurait dû bénéficier en vertu de la conclusion d’un tel contrat.

212    Les parties défenderesses s’opposent aux arguments du requérant.

213    À cet égard, il y a lieu de relever que, premièrement, conformément à la conclusion tirée aux points 82 et 188 ci-dessus, le grief pris de l’abus de CDD prétendument commis par la Mission Eulex Kosovo doit être rejeté de même que, par voie de conséquence, la demande de requalification en CDI de la relation contractuelle nouée par le requérant avec la Mission Eulex Kosovo et, consécutivement, avec les deux premières missions, visées aux points 1 et 2 ci-dessus.

214    Deuxièmement, ainsi que cela ressort des points 189 à 195 ci-dessus, c’est à tort que le requérant reproche à la Mission Eulex Kosovo d’avoir violé les règles formelles de conclusion des onze CDD ainsi que les règles relatives à l’information du travailleur et se prévaut ainsi de l’invalidité de ces contrats au motif que son consentement aurait été vicié.

215    Partant, la demande de réparation des préjudices contractuels allégués par le requérant dans le cadre du premier chef de conclusions doit être rejetée comme non fondée.

216    Au regard des conclusions tirées aux points 188 et 215 ci-dessus, il convient de rejeter les demandes figurant dans le premier chef de conclusions comme non fondées, sans qu’il soit nécessaire, dès lors, de se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité de ces demandes, visé au point 74 ci-dessus, soulevés par les parties défenderesses (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52, et du 1er décembre 1999, Boehringer/Conseil et Commission, T‑125/96 et T‑152/96, EU:T:1999:302, points 143 et 146).

2.      Sur la demande, à titre principal, d’indemnisation de préjudices extracontractuels présentée à titre principal (deuxième chef de conclusions)

217    S’agissant du deuxième chef de conclusions, également présenté à titre principal, d’une part, le requérant demande au Tribunal, en substance, de constater que, en décidant, au cours de sa période d’engagement au sein des missions internationales de l’Union, de le recruter en tant que personnel civil international sur une base contractuelle, et non en tant qu’agent temporaire sur le fondement du RAA, le Conseil, la Commission et le SEAE ont violé diverses règles de droit, en particulier certaines dispositions du « traité », et l’ont traité de manière discriminatoire. D’autre part, au regard des différents préjudices financiers et statutaires que ces comportements illégaux lui auraient causés, le requérant demande que ces trois parties défenderesses soient condamnées à l’indemniser à concurrence d’un montant que les parties détermineront dans un délai fixé par le Tribunal.

218    Le Conseil, la Commission, le SEAE et la Mission Eulex Kosovo s’opposent aux arguments du requérant. En outre, dans leurs observations sur la réponse du requérant à la deuxième mesure d’organisation de la procédure, selon laquelle sa demande indemnitaire au titre du deuxième chef de conclusions serait fondée sur les articles 268 et 340, deuxième paragraphe, TFUE, la Commission et le SEAE invoquent l’irrecevabilité de ladite demande.

219    À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été constaté au point 60 ci-dessus, le deuxième chef de conclusions, présenté à titre principal, se fonde sur les dispositions des articles 268 et 340 TFUE et vise à obtenir réparation, par le Conseil, la Commission et le SEAE, de préjudices non contractuels que le requérant aurait subis du fait de la politique de recrutement du personnel civil international des missions qu’ils ont adoptée.

220    À titre principal, nonobstant l’irrecevabilité du deuxième chef de conclusions invoquée par la Commission et le SEAE, le Tribunal considère qu’il convient, par économie de procédure et dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, afin de fournir aux parties au principal une réponse aboutie et utile audit chef, d’examiner d’emblée la demande qu’il contient au fond, conformément à la jurisprudence rappelée au point 79 ci-dessus.

221    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ». Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite des institutions est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué (voir arrêts du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 47).

222    Lesdites conditions sont cumulatives. Il s’ensuit que, lorsque l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, EU:T:2010:499, point 93, et ordonnance du 17 février 2012, Dagher/Conseil, T‑218/11, non publiée, EU:T:2012:82, point 34).

223    Par ailleurs, la condition tenant à l’existence d’un comportement illégal des institutions de l’Union requiert la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 29 et jurisprudence citée).

224    En l’espèce, s’agissant en premier lieu de la prétendue violation de règles de droit, notamment du droit primaire, premièrement, il convient de constater que, sans en préciser les dispositions, le requérant renvoie dans la note en bas de page 63 de la requête, à un extrait d’un ouvrage sur le droit matériel général de l’Union où il est fait référence aux articles 39 et 42 CE. Or il y a lieu de rappeler que ces articles figuraient dans le chapitre I, intitulé « Les travailleurs », du titre III, intitulé « La libre circulation des personnes, des services et des capitaux », de la troisième partie du traité CE, intitulée « Les politiques de la Communauté », et que la libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union [article 75 TFUE (anciennement article 39 CE)]. En vertu de l’article 48 TFUE (anciennement article 42 CE), le législateur adopte, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs. Dans la mesure où la relation d’emploi en cause en l’espèce a été exclusivement conclue et exécutée en dehors du territoire de l’Union, la présente affaire ne porte aucunement sur l’exercice par le requérant de son droit à la libre circulation en tant que travailleur, de sorte que l’allégation selon laquelle la discrimination qu’auraient commise les trois premières parties défenderesses « est contraire au [t]raité » est manifestement dénuée de fondement.

225    Deuxièmement, s’agissant du grief pris d’un abus de pouvoir qui aurait été commis par le Conseil, la Commission et le SEAE, en substance, le requérant soutient qu’ils auraient mis en place et utilisé un système d’occupation du personnel des missions en violation des dispositions de droit primaire. Il affirme par ailleurs que les institutions auraient elles-mêmes pris conscience des risques légaux, financiers et d’atteinte à la réputation que faisaient encourir les contrats conclus entre les différentes missions PESC et le personnel civil international. À ce titre, le requérant renvoie, d’une part, au rapport annuel d’activité 2012, rédigé par le service des instruments de politique étrangère (« Service for Foreign Policy Instruments ») de la Commission et, d’autre part, à des documents qui auraient été rédigés par le groupe des conseillers pour les relations extérieures (RELEX) à l’attention du Conseil.

226    À ce titre, il convient de rappeler que l’article 28 TUE, qui a remplacé, en le modifiant, l’article 14 du traité UE dans sa version en vigueur lors de la création de la Mission Eulex Kosovo (voir point 158 ci-dessus), prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, que, lorsqu’une situation internationale exige une action opérationnelle de l’Union, le Conseil adopte les décisions nécessaires et que celles-ci fixent leurs objectifs, leur portée, les moyens à mettre à la disposition de l’Union, les conditions relatives à leur mise en œuvre et, si nécessaire, leur durée. Ainsi, il convient de constater que, dans le cadre spécifique de la PESC, il appartient au Conseil de décider des moyens à mettre à la disposition de l’Union et des conditions relatives à la mise en œuvre des décisions qu’il adopte au titre de l’action opérationnelle de l’Union concernée. Cette disposition ne prévoyant aucune restriction quant aux moyens qu’elle vise, il y a lieu de considérer que ceux-ci se rapportent notamment aux moyens en personnel mis à la disposition de ladite action.

227    C’est sur le fondement de ces dispositions spécifiques à la PESC, telles qu’elles figuraient déjà à l’article 14 du traité UE dans sa version en vigueur en 2008, que le Conseil a prévu, à l’article 9, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124, que la Mission Eulex Kosovo pouvait également recruter, en fonction des besoins, du personnel civil international et local sur une base contractuelle. En ce qui concerne les conditions d’emploi du personnel civil international, le Conseil a tout d’abord décidé, ainsi que cela ressort de l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124, dans sa version initiale, que « [l]es conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel civil international […] [figuraient] dans les contrats conclus entre le chef de la mission et les membres du personnel ». Cette disposition était restée inchangée jusqu’à l’adoption de la décision 2014/349, qui l’a modifiée afin de tenir compte de l’octroi de la personnalité juridique à la Mission Eulex Kosovo, en vertu de l’article 15 bis qu’elle a inséré dans l’action commune 2008/124. C’est ainsi que cette disposition fait depuis lors état de contrats conclus entre la Mission Eulex Kosovo et les membres du personnel.

228    Il ressort des constatations qui précèdent que c’est en se fondant sur les dispositions de droit primaire se rapportant spécifiquement à la PESC que les dispositions normatives relatives à la Mission Eulex Kosovo ont explicitement établi une base juridique permettant au chef de la mission, puis à cette dernière, de recruter du personnel civil international sur une base contractuelle.

229    Par ailleurs, c’est en vain que le requérant se prévaut, d’une part, du rapport d’activité annuel de 2012 rédigé par le service des instruments de politique étrangère de la Commission, qui contiendrait une proposition d’appliquer le RAA aux agents contractuels des missions PESC, proposition qui aurait été formulée afin d’« éviter des risques légaux, financiers et d’atteinte à la réputation », et, d’autre part, de documents qui auraient été rédigés par le groupe RELEX à l’attention du Conseil, qui contiendraient des propositions relatives à un nouveau cadre juridique légal applicable aux membres du personnel civil international. En effet, à supposer établie l’existence de telles propositions, force est de constater que le requérant ne démontre pas en quoi le fait qu’elles n’aient pas été retenues serait, en soi, constitutif d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

230    En second lieu, s’agissant de la prétendue violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, premièrement, c’est à tort que le requérant soutient qu’une discrimination aurait existé entre les différents membres du personnel contractuel de la Mission Eulex Kosovo, en raison de l’application de droits nationaux différents auxquels les stipulations contractuelles tirées de la communication C(2009) 9502 renvoyaient. En effet, conformément à la jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 10 octobre 2013, Manova, C‑336/12, EU:C:2013:647, point 30 et jurisprudence citée). Au regard de cette jurisprudence, il y a lieu de considérer que, nonobstant le fait que des membres du personnel civil international ont conclu individuellement leurs contrats avec la Mission Eulex Kosovo, ces membres du personnel sont traités selon les mêmes modalités, qui sont énoncées de manière identique dans les contrats les concernant (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2014, Bitiqi e.a./Commission e.a., T‑410/13, non publiée, EU:T:2014:871, point 35). Partant, cette allégation doit être écartée comme non fondée.

231    Deuxièmement, c’est également à tort que le requérant allègue avoir subi un préjudice en raison d’une inégalité de traitement et d’une discrimination par rapport à ses collègues européens employés sous le statut d’agent soumis au RAA, statut qui, selon lui, aurait dû lui être octroyé en tant qu’agent employé au sein du SEAE, ajoutant que, conformément à la décision instituant l’ECMM, le personnel n’était pas supposé être engagé autrement qu’en tant que « personnel européen ».

232    En effet, d’une part, ainsi que cela ressort des points 224 à 230 ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur de droit que le législateur a prévu, dans le cadre des dispositions normatives relatives à la Mission Eulex Kosovo, une base juridique permettant au chef de la mission, puis à cette dernière, de recruter du personnel civil international sur une base contractuelle. D’autre part, s’agissant de l’allégation selon laquelle il ressortirait de la décision instituant l’ECMM que le personnel n’est pas supposé être engagé autrement qu’en tant que « personnel européen », d’une part, il convient de constater que le requérant ne produit ni ladite décision ni aucun élément d’information au soutien de cette allégation. En tout état de cause, force est de constater que le mémorandum d’entente signé à Belgrade le 13 juillet 1991, qui a établi l’ECMM, renommée par la suite EUMM, ne contient pas de disposition susceptible d’établir que ce serait de manière illégale que le personnel contractuel a été par la suite employé au sein de la Mission Eulex Kosovo.

233    En troisième lieu, c’est également en vain que le requérant fait référence, d’une part, au jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique) du 30 juin 2014 dans l’affaire RG no 12/3600/A et, d’autre part, à l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), comme étant non seulement révélateurs du problème de discrimination découlant des contrats « non européens », mais aussi illustratifs des conséquences financières que cela impliquerait pour les institutions européennes.

234    En effet, premièrement, le requérant n’expose pas les raisons pour lesquelles ces deux décisions seraient susceptibles, en l’espèce, de fonder la demande d’indemnisation qui figure dans le deuxième chef de conclusions.

235    Deuxièmement, s’agissant du jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 30 juin 2014 dans l’affaire RG no 12/3600/A, force est de constater que le litige concerné par ce jugement portait sur des faits sans rapport pertinent apparent avec ceux de l’espèce. En effet, ce litige portait, à titre principal, sur une demande d’indemnité pour rupture d’un CDD d’un agent civil international employé au sein de la Mission Eulex Kosovo par suite de son licenciement pour fautes graves. Or, dans ce jugement, le tribunal du travail francophone de Bruxelles a considéré que le contrat de travail en cause avait été rompu avant l’échéance normale en dehors de l’hypothèse d’un motif grave, d’une incapacité de travail ou d’un cas de force majeure, en contravention avec les dispositions du droit du travail français qui étaient applicables, de sorte qu’il y avait lieu d’indemniser la partie demanderesse. Partant, faute pour le requérant de préciser les conséquences qu’il conviendrait de tirer de cette décision, le Tribunal n’est pas en mesure de les identifier.

236    De même, s’agissant de l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), dont se prévaut également le requérant, l’enseignement qui en découle ne saurait être transposé par analogie au cas d’espèce. En effet, au point 142 de cet arrêt, le Tribunal a constaté que, en s’abstenant de proposer aux requérants des contrats d’agent temporaire en violation des statuts de l’entreprise commune pour laquelle ils travaillaient, la Commission avait méconnu, dans l’exercice de ses compétences administratives, le droit que les intéressés tiraient desdits statuts. Or, en l’espèce, le requérant reste en défaut de démontrer que, en vertu des dispositions du droit de l’Union, il avait un droit d’être employé au sein des missions visées aux points 1 à 3 ci-dessus selon les règles du RAA (ou selon un statut équivalent).

237    Au regard de l’ensemble des considérations exposées aux points 224 à 236 ci-dessus, il convient de constater que le requérant n’a pas rapporté la preuve d’une violation suffisamment caractérisée d’une quelconque règle de droit ayant pour objet de lui conférer des droits.

238    Par conséquent, une des conditions cumulatives pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union faisant défaut, la demande d’indemnisation figurant dans le deuxième chef de conclusions doit être rejetée comme non fondée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les chefs d’irrecevabilité de cette demande, visés aux points 74 et 218 ci-dessus, soulevés par les parties défenderesses, conformément à la jurisprudence rappelée au point 216 ci-dessus.

3.      Sur la demande subsidiaire d’indemnité non contractuelle (troisième chef de conclusions)

239    À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal devrait rejeter les demandes formulées à titre principal dans ses deux premiers chefs de conclusions, le requérant présente une demande d’indemnité fondée sur la responsabilité non contractuelle des « institutions européennes ». Il soutient que les parties défenderesses, dans le cadre de la relation contractuelle qu’elles lui ont imposée, ont violé les principes de sécurité juridique, de respect des droits acquis et de protection de la confiance légitime ainsi que le droit à une bonne administration, le principe de transparence administrative et le devoir de sollicitude, le principe de protection des particuliers et le code de bonne conduite. Or, il fait valoir que, si les deux premiers chefs de conclusions, présentés à titre principal, devaient être rejetés comme irrecevables ou non fondés, cela démontrerait une violation par les parties défenderesses de ces principes, droit et devoir ainsi que de ce code. En effet, dans cette hypothèse, il se trouverait « dans l’impossibilité de déterminer à quels droits étaient soumis ses contrats et dans quels délais et dans quelle mesure ces droits ou leurs violations pouvaient être invoqués ». Partant, il fait valoir que, si le Tribunal devait rejeter les deux premiers chefs de conclusions, soulevés à titre principal, comme irrecevables ou non fondés, cela lui causerait un dommage, qu’il évalue à 150 000 euros.

240    Dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, le requérant affirme qu’il ressort clairement de la requête qu’il vise, à titre subsidiaire, au regard de la violation de droits fondamentaux, à engager la responsabilité non contractuelle des institutions. Il considère qu’il n’est pas en mesure d’expliciter plus en détail lesquels de ses droits ont été violés, dès lors que cette violation ne pourrait être établie que dans l’hypothèse où le Tribunal écarterait ses demandes formulées dans les deux premiers chefs de conclusions, présentés à titre principal. Ces circonstances particulières de la présente affaire et le cadre légal applicable à celle-ci devraient être pris en compte pour apprécier le respect des dispositions de l’article 76 du règlement de procédure. Pour les mêmes raisons que celles exposées quant au deuxième chef de conclusions, le requérant considère que la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer sur le troisième chef de conclusions. Au regard de l’absence de clarté, de cohérence et de prévisibilité du cadre juridique qui a été créé, la Commission ne pourrait reprocher au requérant de ne pas avoir défini la part de responsabilité respective de chacune des institutions visées par le troisième chef de conclusions.

241    Dans l’hypothèse où le troisième chef de conclusions serait déclaré recevable, ce à quoi ils s’opposent eu égard au manque de clarté allégué de l’argumentation du requérant, le Conseil, la Commission et le SEAE concluent à son rejet comme non fondé.

242    Le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner la recevabilité de la demande d’indemnité non contractuelle formulée dans le troisième chef de conclusions.

243    À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, lu en combinaison avec l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Plus particulièrement, pour satisfaire à ces exigences, une requête tendant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la partie requérante reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 132 et jurisprudence citée, et ordonnance du 5 octobre 2015, Grigoriadis e.a./Parlement e.a., T‑413/14, non publiée, EU:T:2015:786, point 30).

244    Or, il convient de constater que ni la requête, même considérée dans son ensemble, ni les écritures ultérieures du requérant ne permettent d’identifier avec le degré de clarté et de précision requis l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre les violations prétendument commises par les parties défenderesses et le préjudice invoqué par le requérant dans le cadre de la demande d’indemnisation formulée dans le troisième chef de conclusions.

245    En effet, en substance, le requérant invoque l’existence d’un préjudice découlant du rejet par le Tribunal de ses deux premiers chefs de conclusions, formulés à titre principal. C’est au regard dudit préjudice qu’il fonde sa demande tendant à ce que la responsabilité non contractuelle des parties défenderesses soit engagée, sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE.

246    Ainsi, bien que le requérant fonde sa demande de réparation sur un comportement du Tribunal pour caractériser le préjudice allégué, c’est bien la responsabilité non contractuelle des parties défenderesses qu’il prétend engager en raison, en substance, de leurs prétendus comportements illégaux dénoncés dans le cadre des deux premiers chefs de conclusions, qui lui auraient causé des préjudices contractuels ou non contractuels. Dans ces conditions, le Tribunal n’est pas en mesure de comprendre comment sa décision de rejet des deux premiers chefs de conclusions, formulés à titre principal, comme non fondés, pourrait avoir causé au requérant un préjudice qui serait imputable aux parties défenderesses.

247    Il s’ensuit que le troisième chef de conclusions, formulé à titre subsidiaire, ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 76, sous d), du règlement de procédure et, partant, doit être rejeté comme manifestement irrecevable pris de l’absence de clarté du troisième chef de conclusions (voir les points 73 et 241 ci-dessus).

248    Au regard des considérations figurant aux points 216, 238 et 247 ci-dessus, les premier et deuxième chefs de conclusions devant être rejetés comme non fondés et le troisième comme irrecevable, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, conformément à la jurisprudence rappelée au point 216 ci-dessus.

V.      Sur les dépens

249    Conformément à l’article 219 du règlement de procédure, dans sa décision rendue après annulation et renvoi, le Tribunal statue sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

250    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

251    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

252    Dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a réservé les dépens. Il appartient donc au Tribunal de statuer, dans le présent arrêt, sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour, conformément à l’article 219 du règlement de procédure.

253    Les parties défenderesses ayant succombé dans la procédure de pourvoi devant la Cour, au titre de l’affaire C‑43/17 P, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante liés à cette procédure ainsi qu’à la procédure devant le Tribunal antérieure au pourvoi, au titre de l’affaire T‑602/15, ce à compter des exceptions d’irrecevabilité qu’elles ont respectivement soulevées par actes séparés dans cette dernière procédure.

254    Le requérant ayant succombé sur le fond dans la procédure de renvoi devant le Tribunal, au titre de l’affaire T‑602/15 RENV, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens, y compris ceux se rapportant au dépôt de la requête, et à ceux des parties défenderesses liés à cette procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), la Mission Eulex Kosovo supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le requérant liés à la procédure de pourvoi devant la Cour, au titre de l’affaire C43/17 P, ainsi qu’à la procédure initiale devant le Tribunal, au titre de l’affaire T602/15, ce à compter des exceptions d’irrecevabilité qu’elles ont respectivement soulevées par actes séparés dans cette dernière affaire.

3)      M. Liam Jenkinson est condamné aux dépens afférents à la procédure de renvoi devant le Tribunal, au titre de l’affaire T602/15 RENV, y compris ceux se rapportant au dépôt de la requête, et à ceux des parties défenderesses liés à cette procédure.

Van der Woude

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

 

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Procédures devant le Tribunal et la Cour

III. Conclusions

IV. En droit

A. Observations liminaires

1. Sur le fondement juridique et l’objet du recours ainsi que des trois premiers chefs de conclusions du requérant

2. Sur la compétence du Tribunal à la suite de l’arrêt sur pourvoi

B. Sur la recevabilité

C. Sur le fond

1. Sur la demande, à titre principal, de requalification de la relation contractuelle en un CDI et d’indemnisation d’un préjudice contractuel (premier chef de conclusions)

a) Sur la demande de requalification des CDD successifs en un CDI unique

1) Sur la détermination du droit applicable aux onze CDD

i) Observations liminaires

ii) Règles de détermination du droit national applicable à la relation contractuelle en cause

iii) Sur l’absence dans les onze CDD de stipulation propre à régler directement le litige sous-jacent au premier chef de conclusions

iv) Sur le droit matériel national applicable aux neuf premiers CDD, conclus entre le requérant et le chef de la Mission Eulex Kosovo

v) Sur le droit matériel national applicable aux dixième et onzième CDD, signés entre le requérant et la Mission Eulex Kosovo

2) Droit matériel du travail irlandais applicable en l’espèce et transposant la clause 5 de l’accord-cadre CDD

3) Sur l’application du droit du travail irlandais à la demande de requalification des onze CDD en un CDI

b) Sur la demande de réparation de l’ensemble des préjudices contractuels

2. Sur la demande, à titre principal, d’indemnisation de préjudices extra-contractuels présentée à titre principal (deuxième chef de conclusions)

3. Sur la demande subsidiaire d’indemnité non contractuelle (troisième chef de conclusions)

V. Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.