Language of document : ECLI:EU:C:2004:255

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004 (1)


Pourvoi – Concurrence – Marché du sucre – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) – Entente – Incidence sur le commerce entre États membres – Amende – Proportionnalité

Dans l'affaire C-359/01 P,

British Sugar plc, établie à Peterborough (Royaume-Uni), représentée par MM. T. Sharpe, QC, et D. Jowell, barrister, ainsi que par M. A. Nourry, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre) du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission (T-202/98, T-204/98 et T-207/98, Rec. p. II-2035), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

les autres parties à la procédure étant:

Tate & Lyle plc, établie à Londres (Royaume-Uni),

Napier Brown & Co. Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

parties demanderesses en première instance,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. K. Wiedner, en qualité d'agent, assisté de M. N. Khan, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,



LA COUR (cinquième chambre)



composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 10 juillet 2003, au cours de laquelle British Sugar plc a été représentée par M. T. Sharpe et Mme K. Fisher, solicitor, et la Commission par MM. K. Wiedner et N. Khan,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 octobre 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 septembre 2001, British Sugar plc (ci-après «British Sugar») a, en vertu de l’article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal de première instance du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission (T‑202/98, T-204/98 et T-207/98, Rec. p. II-2035, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours visant à l’annulation de la décision 1999/210/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (Affaire IV/F-3/33.708 – British Sugar plc, affaire IV/F-3/33.709 – Tate & Lyle plc, affaire IV/F-3/33.710 – Napier Brown & Company Ltd, affaire IV/F-3/33.711 – James Budgett Sugars Ltd) (JO 1999, L 76, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»).


Le cadre juridique

2
Au point 1, intitulé «Montant de base», de ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les «lignes directrices»), la Commission des Communautés européennes indique:

«[…]

A. Gravité

L’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

[…]»


Les faits à l’origine du litige

3
Dans l’arrêt attaqué, le régime communautaire du marché du sucre, la situation d’un tel marché en Grande-Bretagne et les autres faits pertinents à l’origine du litige sont décrits comme suit:

«1      Le régime communautaire du marché du sucre est destiné à soutenir et à protéger la production de sucre dans la Communauté. Il comprend un prix minimal auquel le producteur communautaire pourra toujours vendre son sucre aux autorités publiques et un prix de seuil auquel le sucre non soumis à des quotas peut être importé des pays tiers.

2        Le soutien à la production communautaire au moyen de prix garantis est toutefois limité aux quotas nationaux de production (quotas A et B) attribués par le Conseil à chaque État membre, qui les répartit ensuite entre ses producteurs. Le sucre relevant du quota B est soumis, par rapport à celui du quota A, à un prélèvement à la production plus élevé. Le sucre produit en excédent des quotas A et B est dénommé sucre C et ne peut être vendu, sauf à être stocké pendant douze mois, à l’intérieur de la Communauté européenne. Les exportations extracommunautaires bénéficient, à l’exception du sucre C, de restitutions à l’exportation. Le fait que la vente avec restitution est, normalement, plus avantageuse que celle effectuée dans le cadre du système d’intervention permet d’écouler les excédents communautaires vers l’extérieur de la Communauté.

3        British Sugar est le seul transformateur britannique produisant du sucre à partir de la betterave, et s’est vu attribuer l’ensemble du quota de betteraves britanniques s’élevant à 1 144 000 tonnes. Tate & Lyle achète du sucre de canne dans les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), qu’elle transforme ensuite.

4        Le marché du sucre en Grande-Bretagne est de nature oligopolistique. En raison du régime du sucre dans la Communauté, Tate & Lyle souffre toutefois d’un désavantage structurel par rapport à British Sugar et il est constant que ce dernier domine le marché en Grande-Bretagne. Ensemble, British Sugar et Tate & Lyle produisent un volume de sucre à peu près égal à la demande totale de sucre en Grande-Bretagne.

5        Un élément supplémentaire qui affecte la concurrence sur le marché du sucre en Grande-Bretagne est l’existence de négociants en sucre. Les négociants exercent leur activité de deux manières, soit pour leur propre compte, à savoir en achetant le sucre en vrac à British Sugar, Tate & Lyle ou à des importateurs et en le revendant, soit pour le compte de tiers, à savoir en étant responsable de la passation des commandes, de la facturation aux clients au nom du commettant et du recouvrement des créances. Dans le cas de négoce au compte de tiers, les négociations en matière de prix et de conditions de livraison du sucre ont directement lieu entre British Sugar ou Tate & Lyle et le client final, bien que les négociants soient presque toujours au courant des prix convenus.

[…]

6        Entre 1984 et 1986, British Sugar pratiqua une guerre des prix qui mena à des prix anormalement bas sur le marché du sucre industriel et du sucre au détail. En 1986, Napier Brown, qui est un négociant en sucre, renouvela la plainte qu’il avait initialement déposée auprès de la Commission en 1980, dénonçant le fait que British Sugar avait exploité de façon abusive sa position dominante, en violation de l’article 86 du traité CE (devenu article 82 CE).

7         Le 8 juillet 1986, la Commission a adressé une communication des griefs à British Sugar assortie de mesures provisoires visant à mettre fin à la violation de l’article 86 du traité. Le 5 août 1986, British Sugar a proposé à la Commission des engagements quant à son comportement futur, que cette dernière a acceptés par lettre du 7 août 1986 (ci-après les ‘engagements’).

8        La procédure entamée à la suite de la plainte de Napier Brown a été clôturée par la décision 88/518/CEE de la Commission, du 18 juillet 1988, relative à une procédure d’application de l’article 86 du traité (IV/30.178 – Napier Brown – British Sugar) (JO L 284, p. 41), qui constatait la violation de l’article 86 du traité par British Sugar et lui imposait une amende.

9        Entre-temps, le 20 juin 1986, une réunion avait eu lieu entre les représentants de British Sugar et ceux de Tate & Lyle pendant laquelle British Sugar a annoncé la fin de la guerre des prix sur les marchés du sucre industriel et du sucre au détail au Royaume-Uni.

10      Cette réunion a été suivie, notamment, jusqu’au 13 juin 1990, par 18 autres réunions concernant les prix du sucre industriel, auxquelles ont également participé les représentants de Napier Brown et de James Budgett Sugars, principaux négociants de sucre au Royaume-Uni (ci-après les ‘négociants’). Pendant ces réunions, British Sugar a donné des renseignements à tous les participants concernant ses prix futurs. Au cours d’une de ces rencontres, British Sugar a également distribué aux autres participants un tableau de ses prix pour le sucre industriel par rapport aux volumes d’achats.

11      En outre, jusqu’au 9 mai 1990, Tate & Lyle et British Sugar se sont rencontrées à huit reprises pour discuter des prix du sucre au détail. British Sugar a remis ses barèmes de prix à Tate & Lyle en trois occasions, une fois cinq jours et une fois deux jours avant leur mise en circulation officielle.

12      Le 4 mai 1992, à la suite de deux lettres adressées par Tate & Lyle à l’Office of Fair Trading anglais, en date du 16 juillet et du 29 août 1990, et dont copie a été envoyée par Tate & Lyle à la Commission, cette dernière a ouvert une procédure contre British Sugar, Tate & Lyle, Napier Brown, James Budgett Sugars et certains producteurs de sucre d’Europe continentale et leur a envoyé, le 12 juin 1992, une communication des griefs faisant état d’une violation des articles 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) et 86 du traité.

13      Le 18 août 1995, la Commission a adressé à British Sugar, Tate & Lyle, James Budgett Sugars et Napier Brown une seconde communication des griefs dont le contenu était plus limité que celui de la communication des griefs du 12 juin 1992 en ce qu’elle ne faisait état que de la seule violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

14      Le 14 octobre 1998, la Commission a adopté la décision [litigieuse]. Dans cette décision, adressée à British Sugar, Tate & Lyle, James Budgett Sugars et Napier Brown, la Commission constate la violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité par ces derniers et impose, notamment, à l’article 3, une amende de 39,6 millions d’écus à British Sugar et de 7 millions d’écus à Tate & Lyle pour la violation de l’article 85, paragraphe 1, [du traité] sur les marchés du sucre industriel et du sucre au détail et une amende de 1,8 million d’écus à Napier Brown pour la violation de l’article 85, paragraphe 1, [du traité] sur le marché du sucre industriel.»


La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4
Tate & Lyle plc (ci-après «Tate & Lyle»), British Sugar et Napier Brown & Co. Ltd (ci-après «Napier Brown») ont introduit des recours devant le Tribunal respectivement les 18 décembre 1998 (T‑202/98), 21 décembre 1998 (T‑204/98) et 23 décembre 1998 (T-207/98), visant à l’annulation de la décision litigieuse. Par ordonnance du 20 juillet 2000, le Tribunal a décidé de joindre les trois affaires aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

5
Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le premier moyen invoqué par Tate & Lyle, dans l’affaire T-202/98, ramenant le montant de l’amende à 5,6 millions d’euros.

6
En revanche, le Tribunal a rejeté les différents moyens invoqués par British Sugar et Napier Brown, dans les affaires T-204/98 et T-207/98. Les moyens présentés par ces deux requérantes à l’appui de leur demande principale en annulation de la décision litigieuse étaient tirés, le premier, d’erreurs manifestes de fait et de droit dans la détermination de ce qui constitue un accord ou une pratique concertée, le deuxième, de l’absence d’effet anticoncurrentiel des réunions litigieuses et, le troisième, d’une appréciation erronée de l’incidence des réunions litigieuses sur le commerce entre États membres. Les moyens présentés à l’appui de leur demande subsidiaire en annulation concernant le montant de l’amende, étaient relatifs, le premier, à la proportionnalité des amendes et à la prise en considération de la structure du marché, le deuxième, à la prétendue violation du principe d’égalité de traitement, le troisième, à la prétendue absence de caractère intentionnel lors de l’accomplissement des faits reprochés, le quatrième, à la prise en compte de l’effet dissuasif des amendes, le cinquième, à la coopération durant la procédure administrative et, le sixième, au prétendu préjudice découlant du retard pris par la Commission dans l’adoption de la décision.

7
À l’appui de son pourvoi, British Sugar invoque deux moyens. Le premier est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise lors de l’appréciation de l’incidence sur le commerce entre États membres des réunions litigieuses et le second d’une appréciation erronée du Tribunal de la proportionnalité des amendes et de la prise en considération de la structure du marché.

8
S’agissant du premier moyen du pourvoi, qui concerne les appréciations portées par le Tribunal dans le cadre du troisième moyen de la demande principale dont il était saisi, l’arrêt attaqué énonce ce qui suit:

«78
Selon une jurisprudence constante, un accord entre entreprises, ou une pratique concertée, pour être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager, avec un degré de probabilité suffisant, qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre les États membres (arrêts de la Cour du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, Rec. p. 295, point 5; du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 171, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeytihö, C-89/85, C‑104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I‑1307, point 143; arrêts du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 175, et du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 201). Ainsi, il n’est pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté le commerce entre États membres de manière sensible, il suffit d’établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, Rec. p. II-289, point 235).

79
En outre, le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. Dès lors qu’il s’agit d’un marché perméable aux importations, les membres d’une entente de prix nationale ne peuvent conserver leur part de marché que s’ils se protègent contre la concurrence étrangère (arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, Rec. p. 2117, points 33 et 34).

80
En l’espèce, il n’est pas contesté que le marché du sucre en Grande-Bretagne est perméable aux importations, et cela nonobstant le fait que la réglementation communautaire du marché du sucre et les coûts de transport contribuent à les rendre plus difficiles.

81
Par ailleurs, il résulte de la décision [litigieuse] et de l’ensemble du dossier que l’une des préoccupations majeures de British Sugar et de Tate & Lyle était de limiter le niveau des importations dans la mesure où celles-ci ne leur permettraient pas d’écouler leur production à l’intérieur du marché national ([points] 16 et 17 [des motifs] de la décision [litigieuse]). En effet, d’une part, c’est British Sugar elle-même qui a déclaré avoir adopté sciemment, durant la période de référence, une politique de prix visant à empêcher les importations, sa priorité étant d’écouler la totalité de ses quotas A et B sur le marché en Grande-Bretagne (requête, points 257 et 258). D’autre part, il résulte du [point] 17 [des motifs] de la décision [litigieuse] que Tate & Lyle avait activement engagé, durant la période de référence, une politique visant à réduire le risque d’une augmentation du niveau des importations.

82
Dans ces circonstances, ce n’est donc pas à tort que la Commission a estimé que l’entente en cause, qui couvrait la quasi-totalité du territoire national et qui avait été mise en œuvre par des entreprises représentant environ 90 % du marché pertinent, était susceptible d’avoir une influence sur le commerce entre États membres.

83
British Sugar avance que l’effet potentiel sur les courants d’échanges entre États membres n’était pas sensible.

84
À cet égard, la jurisprudence a reconnu que la Commission n’a pas l’obligation de démontrer qu’un accord ou une pratique concertée a un effet sensible sur les échanges entre États membres. En effet, l’article 85, paragraphe 1, du traité requiert seulement que les accords et les pratiques concertées restrictifs de la concurrence soient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 279).

85
Au vu de ce qui précède, c’est donc à bon droit que la Commission a retenu que l’entente incriminée était susceptible d’exercer une influence sur les échanges intracommunautaires.

86
Dès lors, le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.»

9
S’agissant du second moyen du pourvoi, qui concerne les appréciations portées par le Tribunal dans le cadre du premier moyen de la demande subsidiaire dont il était saisi, le Tribunal a jugé ce qui suit:

«98
Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204)], la Commission peut infliger des amendes de 1000 euros au moins et d’un million d’euros au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction. Pour déterminer le montant de l’amende à l’intérieur de ces limites, ladite disposition prescrit la prise en considération de la gravité et de la durée de l’infraction.

99
Il est de jurisprudence constante que le montant de l’amende doit être gradué en fonction des circonstances de la violation et de la gravité de l’infraction et que l’appréciation de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de l’amende doit être effectuée en tenant compte notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II‑549, point 92).

100
En outre, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 85, paragraphe 1, ou de l’article 86 du traité constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend certainement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais elle comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 105).

101
Il s’ensuit que, pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l’espèce, mais également le contexte dans lequel l’infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 106).

102
Or, en ce qui concerne la proportionnalité des amendes infligées, les requérantes dans les affaires T-204/98 et T-207/98 affirment en substance que le caractère disproportionné des amendes serait la conséquence de la qualification de l’infraction de ‘grave’. En effet, leur argumentation peut être résumée en ce sens que, à la lumière des lignes directrices, leur entente, bien que de type horizontal, devrait être qualifiée de ‘peu grave’ à cause de l’absence d’effets anticoncurrentiels substantiels sur le marché.

103
À cet égard, il suffit de constater, d’une part, que l’entente incriminée doit être considérée comme horizontale, dans la mesure où les négociants y participaient en tant que concurrents des producteurs, et, d’autre part, qu’elle portait sur la fixation des prix. Or, une telle entente a toujours été considérée comme particulièrement nuisible et elle est qualifiée de ‘très grave’ dans les lignes directrices. De plus, comme la Commission le souligne dans ses écritures, la qualification de l’entente en question de ‘grave’, à cause de son impact limité sur le marché, représente déjà une qualification atténuée par rapport aux critères généralement appliqués dans la fixation des amendes en cas de cartels de prix qui auraient dû l’amener à qualifier l’entente de très grave.

104
En ce qui concerne le grief soulevé par British Sugar concernant la proportionnalité de la majoration d’amende en fonction de la durée de l’infraction, il convient de rappeler que l’article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 17 prévoit que, ‘pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci’. La durée de l’infraction constitue donc, aux termes de cette disposition, l’un des éléments à prendre en considération pour arrêter le montant de la sanction pécuniaire à infliger aux entreprises qui ont commis des infractions aux règles de la concurrence (arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 154). C’est donc à bon droit que la Commission a procédé, dans la fixation des amendes infligées, à l’appréciation de la durée de l’infraction.

105
Dans cette appréciation, la Commission a constaté être en présence d’une infraction de durée moyenne et elle a, par conséquent, appliqué une majoration d’environ 40 % du montant retenu en fonction de la gravité. À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et elle ne saurait être considérée comme tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II-1165, point 59, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II‑1989, point 268, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I-9855, point 45).

106
Il incombe néanmoins au juge communautaire de contrôler si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la durée et aux autres éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127). À cet égard, il n’est pas possible de partager l’opinion de British Sugar, selon laquelle la Commission pourrait procéder à une majoration d’une amende en fonction de la durée de l’infraction uniquement si, et dans la mesure où, il existe une relation directe entre la durée et un préjudice accru qui serait causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence, relation qui serait exclue en l’absence d’effets de l’infraction sur le marché. Au contraire, il convient de considérer que l’impact de la durée de l’infraction sur le calcul du montant de l’amende doit être apprécié également en fonction des autres éléments caractérisant l’infraction en question (voir, en ce sens, arrêt Dunlop Slazenger/Commission, précité, point 178). Il y a lieu de considérer que, en l’espèce, la majoration de 40 % appliquée par la Commission au montant calculé en fonction de la gravité de l’infraction n’a pas un caractère disproportionné.

107
L’argument soulevé par British Sugar, selon lequel la notion de circonstances aggravantes figurant dans les lignes directrices serait contraire à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, est également privé de tout fondement.

108
En premier lieu, il convient d’analyser les dispositions pertinentes des lignes directrices. Le point 1 A énonce que ‘l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné’. Le point 2, sous le titre de circonstances aggravantes, établit une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base calculé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, telles que la récidive, le refus de coopération, le rôle d’incitateur de l’infraction, la mise en œuvre de mesures de rétorsion et la nécessité de tenir compte des montants des gains illicites réalisés grâce à l’infraction.

109
Or, il ressort des dispositions citées ci-dessus que l’appréciation de la gravité de l’infraction est effectuée en deux étapes. Dans un premier stade, la gravité est appréciée uniquement en fonction des éléments propres à l’infraction tels que sa nature et son impact sur le marché et, dans un second stade, l’appréciation de la gravité est modulée en fonction des circonstances propres à l’entreprise concernée, ce qui amène par ailleurs la Commission à prendre en considération non seulement des éventuelles circonstances aggravantes, mais également, le cas échéant, des circonstances atténuantes (voir point 3 des lignes directrices). Cette démarche, loin d’être contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, permet, dans le cadre notamment d’infractions impliquant plusieurs entreprises, de tenir compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction du rôle différent joué par chaque entreprise et de son attitude vis-à-vis de la Commission pendant le déroulement de la procédure.

110
En deuxième lieu, en ce qui concerne la proportionnalité de la majoration appliquée à l’amende infligée à British Sugar en fonction de circonstances aggravantes, il convient de constater que, compte tenu des circonstances invoquées par la Commission aux points 207 à 209 de la décision [litigieuse], une majoration de 75 % n’est pas à considérer comme disproportionnée.

[…]

112
Le moyen soulevé par British Sugar et Tate & Lyle en ce qui concerne le caractère prétendument disproportionné des amendes doit dès lors être rejeté.

113
En ce qui concerne le grief relatif au manque de considération de la structure du marché pertinent, il y a lieu de relever que la Cour, dans l’arrêt [du 16 décembre 1975,] Suiker Unie [e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 615 à 619,] considère que le contexte réglementaire et économique dans le marché du sucre est de nature à justifier un traitement moins sévère des pratiques potentiellement anticoncurrentielles. Cependant, la Commission a relevé, de façon correcte, que les ententes qui font l’objet de l’arrêt Suiker Unie ne concernent pas une hausse de prix, mais la répartition des marchés selon certains quotas. En outre, la Cour elle-même dans l’arrêt Suiker Unie a souligné que, en cas d’entente sur les prix, ses conclusions auraient été différentes. Elle ajoute à cet égard que ‘le préjudice que le comportement incriminé a pu causer aux utilisateurs ou aux consommateurs était limité, la Commission elle-même n’ayant pas reproché aux intéressés une hausse concertée ou abusive des prix pratiqués, et des entraves apportées au libre choix du fournisseur grâce à la répartition des marchés, tout en méritant la censure, pesant moins lourd lorsqu’il s’agit d’un produit largement homogène tel que le sucre’ (point 621). Puisque dans le présent cas d’espèce il s’agit justement d’une entente sur les prix, la Commission s’est à bon droit éloignée des conclusions de l’arrêt Suiker Unie.

114
Il y a, dès lors, lieu de conclure également que le grief concernant l’absence de prise en considération de la structure du marché entourant les infractions doit être rejeté.

115
Il y a donc lieu de rejeter ce moyen dans son ensemble.»


Le pourvoi

10
British Sugar conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt attaqué;

annuler la décision litigieuse en tout ou, à titre subsidiaire, en partie;

à titre plus subsidiaire:

annuler les articles 3 et 4 de la décision litigieuse ou réduire l’amende, et

condamner la Commission aux dépens exposés par British Sugar dans le cadre de la présente procédure de pourvoi et aux dépens afférents à l’affaire T-204/98, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

11
La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter le pourvoi comme irrecevable en partie et comme infondé pour le surplus ou, à titre subsidiaire, comme entièrement infondé, et

condamner la requérante aux dépens exposés par la Commission pour le pourvoi.


Sur le pourvoi

Sur le moyen relatif à l’incidence sur le commerce entre États membres

Arguments des parties

12
British Sugar soutient d’abord qu’aucun des faits ou circonstances mentionnés par le Tribunal aux points 80 et 81 de l’arrêt attaqué ne suffit en droit à entraîner les conséquences juridiques que cette juridiction a retenues.

13
À cet égard, elle soutient que la mise en œuvre d’une entente sur l’ensemble ou sur une large partie du territoire d’un État membre n’établit pas en soi une influence sur le commerce interétatique (voir arrêt du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 et C-216/96, Rec. p. I‑135). En effet, il serait nécessaire de montrer que l’entente elle-même a eu, ou était susceptible d’avoir, un effet sur le commerce entre États membres.

14
Or, les faits cités par le Tribunal aux points 80 et 81 de l’arrêt attaqué ne montreraient pas que l’entente a été de nature à avoir un effet sur le commerce entre États membres. Tout au plus montreraient-ils qu’il y a eu d’autres faits ou circonstances à l’œuvre durant la période concernée, indépendants de l’entente, qui pourraient avoir été susceptibles d’avoir un tel effet sur le commerce interétatique.

15
Le premier fait sur lequel s’appuierait le Tribunal, au point 80 de l’arrêt attaqué, montrerait uniquement que l’importation d’une quantité de sucre a eu lieu vers la Grande-Bretagne durant la période en question.

16
En ce qui concerne le deuxième fait, British Sugar observe qu’il est exact que l’une des préoccupations majeures de Tate & Lyle et d’elle-même était de limiter le niveau des importations dans la mesure où celles-ci ne leur permettraient pas d’écouler leur production à l’intérieur du marché national (point 81 de l’arrêt attaqué). Toutefois, une telle limitation aurait été motivée pour des raisons propres à chaque partie.

17
S’agissant du troisième fait sur lequel s’appuie le Tribunal, à la deuxième phrase du point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal semble avoir admis, selon British Sugar, que sa politique de prix a consisté à établir les prix à un niveau auquel aucune importation ne pouvait être attirée par la rentabilité des ventes de sucre au Royaume-Uni. Cette politique n’aurait cependant rien à voir avec l’accord ou la pratique concertée.

18
Quant au quatrième fait sur lequel s’appuie le Tribunal, à la troisième phrase du point 81 de l’arrêt attaqué, British Sugar fait valoir que la politique de Tate & Lyle serait unilatérale et n’aurait rien à voir avec l’accord ou la pratique concertée.

19
Ensuite, British Sugar soutient que, aux points 84 et 85 de l’arrêt attaqué, le Tribunal semble rejeter son argument selon lequel il est nécessaire de montrer que le prétendu effet potentiel sur les courants d’échange est sensible. Or, il ressortirait de la jurisprudence que, pour tomber sous le coup de l’interdiction de l’article 85 du traité, le prétendu effet potentiel sur les courants d’échange entre États membres doit être sensible (voir arrêts du 25 novembre 1971, Béguelin, 22/71, Rec. p. 949; Bagnasco e.a., précité, et du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374/94, T-375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II-3141).

20
Enfin, British Sugar fait valoir que l’arrêt attaqué ne fait aucune distinction entre le sucre industriel et le sucre au détail, bien que des éléments très différents s’appliquent à l’un et à l’autre. Contrairement au sucre industriel, il n’y aurait eu, et il n’y aurait, virtuellement aucun commerce de sucre au détail emballé, du fait des coûts de livraison élevés, des langues et des différences nationales quant à la taille et au poids des paquets.

21
La Commission fait d’abord valoir qu’un accord doit être apprécié compte tenu de son contexte et que les questions qui sont étrangères à l’accord peuvent donc très bien être pertinentes.

22
Ensuite, la Commission soutient qu’une présomption d’effet sur les échanges intracommunautaires est reconnue en droit communautaire lorsqu’une entente s’étend à l’ensemble du territoire d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec. p. I-3851, point 48).

23
S’agissant des constatations de faits de l’arrêt attaqué, la Commission considère qu’elles sont suffisantes pour étayer la conséquence juridique tirée par le Tribunal, selon laquelle l’accord en cause était susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires. Elle rappelle à cet égard qu’il ressort de la jurisprudence que l’affectation des échanges intracommunautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (voir arrêt Bagnasco e.a., précité, point 47). La conclusion au point 82 de l’arrêt attaqué reposerait sur une appréciation de l’ensemble des faits exposés aux points 80 et 81 dudit arrêt. Ceux-ci ne devraient donc pas être examinés isolément.

24
En ce qui concerne la politique de fixation des prix de British Sugar, la Commission remarque qu’il est indifférent que British Sugar ait adopté unilatéralement une politique de fixation des prix destinée à empêcher que des possibilités rentables ne se présentent aux importateurs, puisqu’elle avait conclu un accord avec les autres participants représentant près de 90 % du sucre livré sur le marché du Royaume-Uni.

25
Pour ce qui est de l’argument de British Sugar selon lequel l’effet potentiel sur les échanges intracommunautaires doit être sensible, la Commission considère que British Sugar a mal interprété l’arrêt attaqué. En effet, au point 78 dudit arrêt, le Tribunal aurait rappelé que la jurisprudence n’exige pas que les échanges intracommunautaires aient été réellement affectés, mais simplement que l’accord ait été de nature à avoir un effet sensible. Toute mention d’un effet sur les échanges intracommunautaires apparaissant ultérieurement dans l’arrêt attaqué devrait se comprendre comme se référant à ce critère.

26
Enfin, quant à l’argument de British Sugar tiré de la distinction entre sucre industriel et sucre au détail, la Commission relève que, au point 59 de ses motifs, la décision litigieuse définit le marché du produit en cause comme étant celui du sucre blanc cristallisé et que celle-ci n’admet la distinction évoquée par British Sugar qu’à titre de sous-marchés.

Appréciation de la Cour

27
C’est à bon droit que le Tribunal a rappelé, au point 78 de l’arrêt attaqué, qu’un accord entre entreprises, pour être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre États (voir arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 22). Ainsi, l’affectation des échanges intracommunautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (voir arrêts du 15 décembre 1994, DLG, C-250/92, Rec. p. I-5641, point 54, et Bagnasco e.a., précité, point 47).

28
En outre, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 79 de l’arrêt attaqué, le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. Dès lors qu’il s’agit d’un marché perméable aux importations, les membres d’une entente de prix nationale ne peuvent conserver leur part de marché que s’ils se protègent contre la concurrence étrangère (voir, notamment, arrêt Belasco e.a./Commission, précité, points 33 et 34).

29
Or, il résulte du point 80 de l’arrêt attaqué qu’il n’est pas contesté que le marché du sucre en Grande-Bretagne est perméable aux importations. Ensuite, il est constant que, pendant les réunions concernant les prix du sucre industriel, British Sugar donnait des renseignements à tous les participants concernant ses prix futurs et qu’elle et Tate & Lyle se sont rencontrées à plusieurs reprises pour discuter des prix du sucre au détail. En outre, British Sugar ne conteste pas la constatation du Tribunal, au point 53 de l’arrêt attaqué, selon laquelle c’est à bon droit que la Commission a considéré que ces réunions avaient pour objet la restriction de la concurrence par la coordination des politiques des prix. Enfin, British Sugar reconnaît elle-même, d’une part, être chef de file en matière de prix et, d’autre part, avoir établi ses prix, et donc les prix du marché, par référence au prix juste en dessous duquel aucune importation n’aurait pu être réalisée de façon rentable. Le fait que la limitation des importations d’autres États membres était une des préoccupations majeures de British Sugar et de Tate & Lyle résulte, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué, des points 16 et 17 des motifs de la décision litigieuse.

30
Dans de telles circonstances, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en constatant, au point 82 de l’arrêt attaqué, que ce n’est pas à tort que la Commission a estimé que l’entente en cause était susceptible d’avoir une influence sur le commerce entre États membres.

31
Quant à l’argument de British Sugar, selon lequel le Tribunal n’a pas retenu que la Commission avait l’obligation de démontrer que l’effet potentiel sur les échanges entre États membres est sensible, il est fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal a relevé, au point 78 de l’arrêt attaqué, qu’il doit être établi que le comportement incriminé est de nature à affecter le commerce entre États membres de manière sensible. Au point 84 dudit arrêt, le Tribunal ne fait que rappeler sa jurisprudence selon laquelle il n’est pas nécessaire que la Commission démontre qu’une entente a effectivement un effet sensible sur les échanges entre États membres, mais qu’il suffit de démontrer que l’entente est susceptible d’affecter ces échanges.

32
Enfin, s’agissant de l’argument de British Sugar tiré du fait que l’arrêt attaqué n’opère pas une distinction entre le sucre industriel et le sucre au détail lors de l’examen de l’effet de l’entente sur le commerce entre les États membres et de l’absence conséquente d’une analyse correcte dudit effet sur le marché du sucre au détail, il y a lieu de constater, d’une part, que, ainsi que l’a relevé la Commission, la décision litigieuse, au point 59 de ses motifs, définit le marché des produits en cause comme celui du sucre blanc cristallisé, le sucre au détail et le sucre industriel étant considérés comme deux sous-marchés. D’autre part, la Commission a apprécié l’effet de l’entente sur les courants d’échanges entre États membres d’abord sur le marché du sucre blanc cristallisé, aux points 159 à 161 des motifs de la décision litigieuse, et ensuite sur les deux sous-marchés, aux points 163 à 168 des motifs de cette même décision, après avoir indiqué au point 162 des motifs de celle-ci que, en ce qui concernait le sucre industriel et le sucre au détail, il y avait aussi d’autres éléments de fait qui permettaient de conclure que l’entente pouvait avoir eu un effet sensible sur ces courants.

33
British Sugar n’ayant invoqué dans son recours devant le Tribunal aucun moyen tiré de l’irrégularité de la définition du marché établi par la Commission ni, plus précisément, de son analyse du sous-marché du sucre au détail, force est de constater que le présent argument est fondé sur des éléments nouveaux qui n’ont pas été présentés en première instance. En vertu de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure, ils sont dès lors irrecevables dans le cadre du présent pourvoi (voir arrêt du 17 mai 2001, IECC/Commission, C-450/98 P, Rec. p. I‑3947, point 36).

34
Le premier moyen est donc en partie irrecevable, et en partie non fondé. Il doit par conséquent être rejeté dans son intégralité.

Sur le moyen relatif à la proportionnalité de l’amende à la prise en considération de la structure du marché

Arguments des parties

35
À titre liminaire, British Sugar rappelle qu’il appartient au Tribunal de vérifier si le montant de l’amende imposée est proportionné à la durée et à la gravité de l’infraction (voir arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689) et, en particulier, d’apprécier cette dernière par rapport aux circonstances invoquées par le requérant (voir arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I-5951). En l’espèce, le Tribunal n’aurait pas correctement accompli cette tâche.

36
À cet égard, British Sugar fait valoir, dans la première branche de son moyen, que le Tribunal n’a pas suffisamment pris en compte le fait que l’entente n’avait eu aucun impact actuel sur les prix, sur la concurrence ou sur le commerce entre États membres. Or, la circonstance que les effets d’un accord sont limités ou, comme en l’espèce, inexistants devrait revêtir une importance majeure dans l’évaluation de la gravité d’une infraction, ainsi qu’il résulterait des premier et deuxième alinéas du point 1, A, des lignes directrices.

37
En effet, une restriction à la concurrence, quoique horizontale, qui n’a pas eu d’impact actuel sur la concurrence ou sur les prix, n’a pas eu d’impact sur le commerce interétatique, n’a pas impliqué de fixation des prix facturés aux clients particuliers ni de fixation de prix minimal et était limitée à une partie du territoire d’un État membre devrait être considérée comme une violation «peu grave» et non pas «grave».

38
De toute façon, même si la prétendue infraction devait être rangée dans la catégorie des «infractions graves», elle aurait dû l’être au plus bas de l’échelle de celles-ci. Or, dans un éventail compris entre 1 million et 20 millions d’écus, la Commission aurait fixé à 18 millions d’écus l’amende de base pour la gravité de l’infraction.

39
À cet égard, tant la Commission, en fixant le niveau de base de l’amende à ce montant dans la décision litigieuse, que le Tribunal en confirmant cet aspect de la décision litigieuse, auraient omis de prendre dûment en considération le fait que la prétendue infraction n’aurait pas eu d’impact sur la concurrence, ce qui serait contraire aux quatrième et sixième alinéas du point 1, A, des lignes directrices.

40
Le niveau disproportionné de l’amende de base de 18 millions d’écus ressortirait de manière flagrante lors d’une comparaison avec d’autres décisions de la Commission dans lesquelles les infractions auraient également été rangées dans la catégorie «infractions graves».

41
En outre, British Sugar soutient que, en déterminant le montant ou la majoration liés à la durée de l’infraction dans le calcul du montant de l’amende, la Commission et le Tribunal auraient également dû prendre en considération l’absence de tout impact dommageable sur les consommateurs, conformément au troisième alinéa du point 1, B, des lignes directrices.

42
Enfin, British Sugar observe que, en l’absence de presque tous les éléments jugés pertinents comme tels dans la décision litigieuse, une majoration de 75 % de l’amende pour circonstances aggravantes est excessive et illégale.

43
Dans la seconde branche de son moyen, British Sugar soutient que le Tribunal n’a pas suffisamment pris en compte la structure du marché pertinent. Elle fait valoir que cette structure explique la raison pour laquelle l’infraction concernée n’a pas eu, et ne serait pas susceptible d’avoir, un effet sur les prix, la concurrence ou le commerce et invoque à l’appui de cet argument l’arrêt Suiker Unie e.a/Commission, précité (points 615 à 619).

44
British Sugar relève, à cet égard, que l’interprétation de l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, donnée par le Tribunal, au point 113 de l’arrêt attaqué, est erronée. En effet, la Cour n’aurait pas indiqué que, dans le cas d’une entente en matière de prix, elle serait parvenue à une conclusion différente. La Cour aurait dit que ses conclusions auraient été différentes si l’entente avait causé un préjudice à des utilisateurs ou consommateurs du fait d’une «hausse concertée ou abusive des prix pratiqués» (voir arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 619 à 621). Or, en l’espèce, il n’aurait été affirmé ni qu’une quelconque hausse réelle des prix pratiqués ait résulté de l’accord ou de la pratique concertée ni qu’un préjudice réel soit causé à des utilisateurs ou des consommateurs.

45
La Commission soutient que ce moyen est irrecevable parce qu’il équivaut à une demande tendant à ce que la Cour substitue, pour des motifs d’équité, sa propre appréciation à celle du Tribunal en ce qui concerne le montant de l’amende (voir arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 129) et, en tout cas, dans la mesure où il part de l’hypothèse que la Cour peut procéder à un réexamen général de l’amende pour des motifs de proportionnalité.

46
Quant à l’argument de British Sugar tiré de la structure du marché en cause, la Commission considère que, comme il est indiqué au point 113 de l’arrêt attaqué, la position de British Sugar ne peut se comparer à celle des parties dans ledit arrêt. Selon la Commission, la Cour a clairement indiqué qu’elle aurait été d’un avis différent sur la question concernée si l’accord avait été une entente sur les prix. Or, l’accord en cause en l’espèce serait un accord «pour augmenter le niveau des prix du sucre blanc cristallisé en Grande-Bretagne et pour s’abstenir d’augmenter [les] parts de marché en baissant les prix».

Appréciation de la Cour

47
Il convient de rappeler que le Tribunal est seul compétent pour contrôler la façon dont la Commission a apprécié dans chaque cas particulier la gravité des comportements illicites. Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 85 du traité et 15 du règlement n° 17 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par la requérante tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende (voir, notamment, arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 128).

48
S’agissant du prétendu caractère disproportionné de l’amende, il importe de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit communautaire (arrêts du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 31, et Baustahlgewebe/Commission, précité, point 129).

49
Il s’ensuit que ce moyen doit être déclaré irrecevable dans la mesure où il a pour objet un réexamen général des amendes (voir arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 129).

50
Pour le reste, ainsi que l’a constaté Mme l’avocat général au point 50 de ses conclusions, British Sugar n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer que le Tribunal n’aurait pas pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité du comportement reproché à la lumière des articles 85 du traité et 15 du règlement n° 17. À cet égard, il suffit d’observer que, au point 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, après avoir constaté que l’entente incriminée devait être considérée comme horizontale et qu’elle portait sur la fixation des prix, a précisé qu’une telle entente a toujours été considérée comme particulièrement nuisible et qu’elle est qualifiée de «très grave» dans les lignes directrices.

51
British Sugar n’a pas non plus allégué que le Tribunal n’a pas répondu à suffisance de droit à l’ensemble de ses arguments tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende. En tout état de cause, il convient notamment de relever que, dans l’arrêt attaqué le Tribunal a répondu, aux points 101 à 103, à l’argument relatif au caractère prétendument peu grave de l’entente, aux points 104 à 106, à l’argument relatif à la durée de l’infraction, aux points 107 à 110, à l’argument relatif aux circonstances aggravantes et, au point 113, à l’argument relatif à la structure du marché concerné.

52
Enfin, il convient de constater que, contrairement à ce que prétend British Sugar, le Tribunal a, au point 113 de l’arrêt attaqué, correctement interprété les points 619 à 621 de l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, en constatant que la Cour elle-même a souligné que, en cas d’entente sur les prix, ses conclusions auraient été différentes.

53
Il résulte de ce qui précède que ce moyen doit également être rejeté, en partie comme irrecevable et en partie comme non fondé.

54
La requérante ayant succombé en tous ses moyens, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.


Sur les dépens

55
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le pourvoi est rejeté.

2)
British Sugar plc est condamnée aux dépens.

Jann

Timmermans

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: l'anglais.