Language of document : ECLI:EU:T:2021:75

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

10 février 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Gel des fonds – Liste des personnes, groupes et entités auxquelles s’appliquent le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑157/19,

Dalokay Şanli, demeurant à Rotterdam (Pays-Bas), représenté par Mes D. Gürses et J. M. Langenberg, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Van Overmeire et M. B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. Bulterman, MM. J. Langer et J. Hoogveld, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et visant à l’annulation de la décision (PESC) 2019/25 du Conseil, du 8 janvier 2019, portant modification et mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2018/1084 (JO 2019, L 6, p. 6), et du règlement d’exécution (UE) 2019/24 du Conseil, du 8 janvier 2019, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2018/1071 (JO 2019, L 6, p. 2), en ce qu’ils concernent le requérant et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que le requérant aurait prétendument subi à la suite de ces actes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, P. Nihoul (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 24 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 27 décembre 2001, le Conseil de l’Union européenne a adopté la position commune 2001/931/PESC, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), et le règlement (CE) no 2580/2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 70).

2        Ces deux instruments ont été mis à jour régulièrement, en application de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 et de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001.

3        Le 22 décembre 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/2384, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931, et modifiant la décision (PESC) 2016/1136 (JO 2016, L 352, p. 92), et le règlement d’exécution (UE) 2016/2373, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001, et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2016/1127 (JO 2016, L 352, p. 31), qui incluaient le requérant, M. Dalokay Şanli, dans les listes des personnes et entités dont les fonds étaient gelés.

4        Le requérant est demeuré inscrit sur les listes annexées aux actes ultérieurs.

5        Par courriel du 11 septembre 2018, le requérant a demandé à accéder au dossier du Conseil.

6        Par courrier du 4 octobre 2018, le Conseil a répondu à cette demande.

7        Par courrier du 25 octobre 2018, le Conseil a informé le requérant qu’il envisageait de maintenir son inscription et lui a transmis le projet d’exposé des motifs justifiant ce maintien. Le requérant a en outre été invité à présenter ses observations au Conseil, accompagnées de pièces justificatives, au plus tard le 21 novembre 2018.

8        Par lettre du 21 novembre 2018, le requérant a transmis ses observations au Conseil.

9        Le 8 janvier 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/25, portant modification et mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931, et abrogeant la décision (PESC) 2018/1084 (JO 2019, L 6, p. 6), et le règlement d’exécution (UE) 2019/24, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2018/1071 (JO 2019, L 6, p. 2) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »). Le nom du requérant était maintenu sur les listes annexées à ces actes (ci-après les « listes litigieuses »).

10      Dans sa réponse à une question du Tribunal, le Conseil a affirmé que l’exposé des motifs sur lequel se fondaient les actes attaqués ne différait pas du projet adressé au requérant le 25 octobre 2018.

11      De cet exposé des motifs, il résultait que :

–        pour inscrire le requérant sur les listes de gel de fonds, le Conseil s’était fondé sur la décision MinBuza-2016.629626, adoptée le 17 octobre 2016 par le ministre des Affaires étrangères néerlandais, en concertation avec le ministre de la Sécurité et de la Justice et le ministre des Finances, et publiée le 25 octobre 2016 (ci-après la « décision du ministre des Affaires étrangères néerlandais du 17 octobre 2016 »). Par cette décision, le requérant avait été soumis à l’arrêté no DJZ/BR/1222-07 du ministre des Affaires étrangères néerlandais, du 18 décembre 2007, pris en concertation avec le ministre des Finances, portant mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cet arrêté visait à la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations Unies, du 28 septembre 2001, par le gel des fonds des personnes et des entités désignées par le ministre des Affaires étrangères néerlandais (points 1 à 5 de l’exposé des motifs et points 1 à 3 de son annexe) ;

–        la décision du ministre des Affaires étrangères néerlandais du 17 octobre 2016 faisait suite à un rapport du service général du renseignement et de la sécurité néerlandais du 26 mai 2016 indiquant que le requérant occupait une fonction dirigeante au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Europe et qu’il gérait les activités de recrutement et de financement pour cette organisation en Europe (point 9 de l’exposé des motifs et points 3, 7 et 8 de son annexe) ;

–        le PKK avait été inscrit, le 2 avril 2004, sur la liste de l’Union européenne des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et faisant l’objet de mesures restrictives. Ces mesures étaient toujours en vigueur (points 6 à 8 de l’exposé des motifs) ;

–        lors du dernier examen semestriel des mesures de gel de fonds par les autorités néerlandaises, qui avait eu lieu le 31 mai 2018, il avait été constaté qu’il n’existait aucun élément plaidant en faveur de la radiation éventuelle du requérant de la liste (point 17 de l’annexe de l’exposé des motifs).

12      Par courrier du 9 janvier 2019, le Conseil a répondu aux observations que le requérant lui avait transmises par courrier du 21 novembre 2018.

13      Par courriel du 22 mars 2019, le requérant a demandé au Conseil de revoir sa position et de lui donner accès à l’ensemble de son dossier.

14      Par courrier du 23 avril 2019, le Conseil a répondu à cette demande en renvoyant à ses courriers des 4 et 25 octobre 2018. Par le premier de ces courriers, le Conseil avait notamment transmis au requérant le rapport du service général du renseignement et de la sécurité néerlandais du 26 mai 2016, la décision du ministre des Affaires étrangères néerlandais du 17 octobre 2016 et l’arrêté no DJZ/BR/1222-07 du ministre des Affaires étrangères néerlandais, du 18 décembre 2007.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mars 2019, le requérant a introduit le présent recours.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 juin 2019, le Royaume des Pays-Bas a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par décision du 19 juillet 2019, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Royaume des Pays-Bas a déposé son mémoire en intervention et le Conseil a déposé ses observations sur celui-ci dans le délai imparti.

17      Par décision du Tribunal du 4 octobre 2019 prise en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, la présente affaire a été attribuée à la quatrième chambre.

18      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité le Conseil à déposer certains documents. Le Conseil a répondu à cette demande dans le délai qui lui avait été imparti.

19      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Dans la réplique, le requérant demande en outre la condamnation du Conseil à réparer le préjudice qu’il aurait subi du fait des illégalités qui entacheraient les actes attaqués.

21      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant manifestement non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

22      Le Royaume des Pays-Bas conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant manifestement non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la demande en annulation

 Sur la recevabilité de la demande en annulation

23      Le Conseil estime que la demande en annulation est irrecevable au motif que les moyens soulevés dans la requête ne satisfont pas aux conditions imposées par l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et par l’article 76, sous d), du règlement de procédure. Selon le Conseil, le requérant s’est généralement contenté d’énoncer dans la requête les moyens de manière abstraite sans exposer les arguments qui les sous-tendent.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, indépendamment de toute question de terminologie, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Il faut, en effet, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice. Par ailleurs, la partie requérante doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé. Dès lors, la seule énonciation abstraite du moyen ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (voir arrêt du 9 mars 2018, Portugal/Commission, T‑462/16, non publié, EU:T:2018:127, point 45 et jurisprudence citée).

25      Compte tenu de ce que les mesures restrictives adoptées en application de la position commune 2001/931 ont des conséquences négatives considérables et une incidence importante sur les droits et libertés des personnes visées (voir, par analogie, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 70), il convient, dans ce contexte, d’interpréter ces règles avec souplesse.

26      En l’espèce, il est exact que, dans la requête, plusieurs moyens sont exposés de manière succincte. Il n’empêche que, pour certains d’entre eux, notamment le moyen tiré de ce que le PKK ne serait pas une entité terroriste, lequel est longuement développé aux points 7 à 39 de la requête, le contenu de cette dernière est suffisant pour que le Tribunal puisse en saisir la teneur. Tel a d’ailleurs également été le cas du Conseil, qui a répondu à la plupart d’entre eux.

27      Le Tribunal estime dès lors que la demande en annulation ne peut être considérée comme irrecevable dans son ensemble et qu’il y a lieu d’examiner la recevabilité de chaque moyen pris individuellement.

 Sur le fond

28      Le requérant invoque neuf moyens.

29      Le premier est tiré de ce que le PKK ne serait pas une organisation terroriste, le deuxième de l’absence de condamnation du requérant pour des infractions terroristes, le troisième de l’absence de preuve, le quatrième de la violation des droits de la défense par le Conseil, le cinquième de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective par les instances nationales, le sixième de l’insuffisance de la motivation des actes attaqués, le septième de la violation de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, le huitième de la violation de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et le neuvième de la violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

30      Il convient d’examiner en premier lieu le sixième moyen, tiré de l’insuffisance de la motivation des actes attaqués.

31      Dans le cadre de ce moyen, le requérant fait valoir que les actes attaqués sont insuffisamment motivés parce que le Conseil n’a pas fait état, dans l’exposé des motifs qui y est afférent, des preuves dont il disposait quant à l’allégation selon laquelle il aurait participé à des activités de recrutement et de financement au sein du PKK.

32      Dans la réplique, le requérant reproche en outre au Conseil de ne pas avoir indiqué dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, premièrement, les raisons pour lesquelles il estimait qu’une mesure de gel de fonds devait être prise à son égard, deuxièmement, les raisons factuelles et spécifiques pour lesquelles il estimait, après un nouvel examen, que le gel de ses avoirs demeurait justifié, troisièmement, des informations précises ou des éléments de dossier qui montraient qu’une décision avait été prise par une autorité compétente à son égard et, quatrièmement, en quoi le gel de ses avoirs pouvait contribuer concrètement à la lutte contre le terrorisme.

33      Le Conseil, soutenu par le Royaume des Pays-Bas, conteste cette argumentation.

34      À cet égard, il importe tout d’abord de rappeler que le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation d’un acte de l’Union constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union et qui, par conséquent, peut être invoqué par les parties à tout stade de la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Pshonka/Conseil, T‑285/18, non publié, EU:T:2019:512, point 55 et jurisprudence citée).

35      Les griefs invoqués dans la réplique quant au non-respect de l’obligation de motivation doivent donc être examinés.

36      Ensuite, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense et a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 29 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 66 et jurisprudence citée).

37      La motivation d’un tel acte doit ainsi, en tout état de cause, exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 30 et jurisprudence citée).

38      Ainsi, selon une jurisprudence bien établie, tant la motivation d’une décision initiale de gel des fonds que la motivation des décisions subséquentes doivent porter non seulement sur les conditions légales d’application de la position commune 2001/931 et du règlement no 2580/2001, mais également sur les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une mesure de gel des fonds (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 52 ; du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil, T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885, point 162, et du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 55).

39      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi énoncer les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 144).

40      Par ailleurs, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 141 ; voir, également, arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil, T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885, point 159 et jurisprudence citée). Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 82).

41      S’agissant des trois premiers griefs invoqués par le requérant dans la réplique, selon lesquels le Conseil n’aurait pas mentionné dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, premièrement, les raisons pour lesquelles il estimait qu’une mesure de gel de fonds devait être prise à son égard, deuxièmement, les raisons factuelles et spécifiques pour lesquelles il considérait, après un nouvel examen, que le gel de ses avoirs demeurait justifié et, troisièmement, les informations précises qui montraient qu’une décision avait été prise à son égard par une autorité compétente, il y a lieu de rappeler que les conditions de l’inscription d’une personne, d’un groupe ou d’une entité sur une liste de gel de fonds sont distinctes de celles de sa réinscription.

42      En ce qui concerne l’inscription des personnes et entités sur les listes de gel de fonds, l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 prévoit ce qui suit :

« La liste à l’annexe est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. Les personnes, groupes et entités identifiés par le Conseil de sécurité des Nations unies comme liées au terrorisme et à l’encontre desquelles il a ordonné des sanctions peuvent être incluses dans la liste.

Aux fins du présent paragraphe, on entend par “autorité compétente”, une autorité judiciaire, ou, si les autorités judiciaires n’ont aucune compétence dans le domaine couvert par le présent paragraphe, une autorité compétente équivalente dans ce domaine […] »

43      La Cour a jugé que le libellé de cette disposition faisait référence à la décision prise par une autorité nationale, en exigeant des informations précises ou des éléments de dossier qui montraient qu’une telle décision avait été prise. Cette exigence vise à assurer que, en l’absence de moyens de l’Union pour mener elle-même des investigations concernant l’implication d’une personne ou d’une entité dans des actes terroristes, la décision du Conseil relative à l’inscription initiale de l’une ou de l’autre sur la liste en cause soit prise sur une base factuelle suffisante, permettant à ce dernier de conclure à l’existence d’un danger que, en l’absence de la prise de mesures inhibitives, la personne ou l’entité concernée poursuive son implication dans des activités terroristes (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/Hamas, C‑79/15 P, EU:C:2017:584, point 24 et jurisprudence citée).

44      Quant à la réinscription de ces personnes et entités sur les listes de gel de fonds, l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 dispose ce qui suit :

« Les noms des personnes et entités reprises sur la liste figurant à l’annexe feront l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié. »

45      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la question qui importe lors d’un réexamen au titre de cette disposition est de savoir si le risque de l’implication de la personne ou de l’entité inscrite dans des activités terroristes qui a justifié son inscription initiale persiste. En ce sens, le maintien d’une personne ou d’une entité sur la liste en cause constitue le prolongement de l’inscription initiale (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/Hamas, C‑79/15 P, EU:C:2017:584, points 25 et 29).

46      Dans le cadre de la vérification de la persistance du risque d’implication de la personne ou de l’entité concernée dans des activités terroristes, le sort ultérieurement réservé à la décision nationale ayant servi de fondement à l’inscription initiale de cette personne ou de cette entité sur la liste en cause doit dûment être pris en considération, en particulier l’abrogation ou le retrait de cette décision nationale en raison de faits ou d’éléments nouveaux ou d’une modification de l’appréciation de l’autorité nationale compétente (arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/Hamas, C‑79/15 P, EU:C:2017:584, point 30).

47      Cependant, si, à la lumière du temps écoulé et en fonction de l’évolution des circonstances de l’espèce, le seul fait que la décision nationale ayant servi de fondement à l’inscription initiale demeure en vigueur ne permet plus de conclure à la persistance du risque d’implication de la personne ou de l’entité concernée dans des activités terroristes, le Conseil est tenu de fonder le maintien de cette personne ou de cette entité sur ladite liste sur une appréciation actualisée de la situation, tenant compte d’éléments factuels plus récents, démontrant que ledit risque subsiste (arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/Hamas, C‑79/15 P, EU:C:2017:584, point 32).

48      Ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour, impliquent que, dans l’exposé des motifs relatif aux actes par lesquels il maintient l’inscription d’une personne ou d’un groupe terroriste sur une liste de gel de fonds, le Conseil rappelle la décision de l’autorité compétente sur laquelle il s’est fondé pour inscrire cette personne ou ce groupe sur ladite liste et indique si cette décision a été maintenue ainsi que, le cas échéant, les éléments factuels plus récents qui démontrent la persistance du risque d’implication de la personne ou du groupe concernés dans des actes terroristes.

49      En l’espèce, aux points 1 à 3 et 5 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués et aux points 1 à 3 de son annexe, le Conseil a exposé que, pour inscrire le requérant sur les listes de gel de fonds, il s’était fondé sur la décision du ministre des Affaires étrangères néerlandais du 17 octobre 2016, lequel constituait une autorité nationale compétente au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931. Au point 4 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, le Conseil a ajouté que les motifs sur la base desquels cette décision avait été adoptée relevaient des définitions des notions d’« acte de terrorisme » et de « personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme » figurant dans la position commune 2001/931.

50      Au point 9 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués ainsi qu’aux points 7 et 8 de son annexe, le Conseil a également indiqué que, pour adopter sa décision du 17 octobre 2016, le ministre des Affaires étrangères néerlandais s’était lui-même fondé sur un rapport du service général du renseignement et de la sécurité néerlandais du 26 mai 2016, indiquant que le requérant occupait une fonction dirigeante au sein du PKK en Europe et qu’il gérait des activités de recrutement et de financement pour le PKK en Europe. Ce rapport était corroboré par d’autres rapports antérieurs du même service, selon lesquels le PKK avait recours à des entités socioculturelles au sein des communautés turques en Europe pour récolter des fonds et qu’il y recrutait de jeunes Kurdes pour soutenir ses activités en Turquie.

51      Enfin, au point 17 de l’annexe de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, le Conseil a mentionné que, lors du dernier examen semestriel, qui avait eu lieu le 31 mai 2018, le comité chargé de ce réexamen avait constaté qu’il n’existait aucun élément plaidant en faveur de la radiation éventuelle du requérant de « la liste de l’Union ».

52      Concernant le PKK, le Conseil a précisé, aux points 6 et 7 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, qu’il avait été inscrit, le 2 avril 2004, sur la liste de l’Union des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et faisant l’objet de mesures restrictives sur la base de décisions d’autorités compétentes au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 pour des actes qu’il a qualifiés au regard de l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931.

53      En revanche, le Conseil n’a pas indiqué, dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, l’intitulé exact des actes par lesquels il avait inscrit le PKK le 2 avril 2004 sur les listes de gel de fonds, ni la ou les décisions des autorités nationales compétentes sur lesquelles il s’était fondé pour procéder à cette inscription.

54      En outre, si le Conseil a indiqué, au point 6 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, que les mesures restrictives concernant le PKK étaient toujours en vigueur dans l’Union, il n’a pas précisé par quels actes ces mesures avaient été maintenues.

55      Enfin, le Conseil n’a pas fait état du maintien de la ou des décisions des autorités compétentes qui avaient servi de base à l’inscription du PKK sur les listes de gel de fonds ni des éléments factuels sur lesquels il s’était fondé pour considérer que le risque d’implication de cette organisation dans des actes terroristes avait persisté.

56      Compte tenu de ce que la première inscription du PKK datait de quinze ans, ces éléments étaient indispensables pour comprendre les raisons du maintien de l’inscription de cette organisation sur les listes de gel de fonds. Ils ne pouvaient être supposés connus du requérant qui, n’ayant pas reçu l’exposé des motifs justifiant l’inscription du PKK sur les listes de gel de fonds, n’était pas informé des raisons spécifiques qui justifiaient l’inscription de cette organisation sur ces listes.

57      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, dans ses observations du 21 novembre 2018, le requérant a contesté le fait que le PKK constituât une organisation terroriste, en s’appuyant sur une décision de la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) du 14 septembre 2017 et sur l’arrêt du 15 novembre 2018, PKK/Conseil (T‑316/14, sous pourvoi, EU:T:2018:788). Dans cet arrêt, le Tribunal a annulé, pour insuffisance de motivation, les actes adoptés entre 2014 et 2017, par lesquels l’inscription du PKK avait été maintenue sur les listes de gel de fonds. Ainsi qu’il résulte des points 118 et 119 dudit arrêt et des actes attaqués, l’inscription du PKK a été maintenue par le règlement d’exécution (UE) 2018/468 du Conseil, du 21 mars 2018, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1420 (JO 2018, L 79, p. 7), et la décision (PESC) 2018/475 du Conseil, du 21 mars 2008, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931, et abrogeant la décision (PESC) 2017/1426 (JO 2018, L 79, p. 26), ainsi que par les actes attaqués.

58      Concernant la qualification du PKK comme un groupe ou une entité ayant commis des actes terroristes, le Conseil s’est borné à énoncer au point 7 de l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués ce qui suit :

« Le PKK est désigné conformément à l’article 1er, paragraphe 3, i) et ii), de la position commune [2001/931] pour des actes considérés comme des actes de terrorisme au titre de l’article 1er, paragraphe 3, iii), [sous] a), b), c), d), e), f), g), h) et i), de la position commune 2001/931/PESC. »

59      Il ne peut être reproché au Conseil de ne pas avoir répondu, dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, à l’argument tiré de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 14 septembre 2017, dès lors que, dans son courrier du 21 novembre 2018, le requérant n’avait pas indiqué la référence à cette décision de manière complète et qu’il ne ressort pas du dossier qu’il l’avait communiquée au Conseil.

60      Il en va toutefois différemment de l’argument du requérant tiré de l’arrêt du 15 novembre 2018, PKK/Conseil (T‑316/14, sous pourvoi, EU:T:2018:788). Étant donné que le maintien de l’inscription du requérant sur les listes litigieuses dépendait de la qualification du PKK comme un groupe ou une entité ayant commis des actes terroristes, le Conseil devait mentionner, dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, les raisons pour lesquelles il estimait que cet argument devait être rejeté.

61      Certes, dans son courrier du 9 janvier 2019, le Conseil a indiqué ce qui suit :

« Pour ce qui concerne la décision du Tribunal dans l’affaire PKK/Conseil (T‑316/14), le Conseil relève que les décisions du Conseil de 2018 maintenant le PKK sur la liste de l’Union en matière de terrorisme ne faisaient pas l’objet de la demande dans l’affaire T‑316/14 et que le Conseil a encore la possibilité de former un pourvoi dans cette affaire. »

62      Cependant, compte tenu de l’importance que revêtait la qualification du PKK comme un groupe ou une entité ayant commis des actes terroristes pour l’inscription ou la réinscription du requérant sur les listes litigieuses, c’est dans l’exposé des motifs relatif aux actes attaqués, et non dans le courrier du 9 janvier 2019, que cette justification aurait dû figurer.

63      De plus, cette motivation est insuffisante. Dès lors que, en vertu de l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi n’a pas d’effet suspensif, le Conseil devait expliquer, de manière concrète, les raisons pour lesquelles, malgré l’annulation des actes adoptés entre 2014 et 2017, intervenue le 15 novembre 2018, il avait maintenu, le 8 janvier 2019, le requérant sur les listes litigieuses.

64      Dans ces conditions, force est de constater que le requérant était dans l’impossibilité, à la lecture de l’exposé des motifs qui lui a été adressé, de comprendre, d’une part, les raisons pour lesquelles, depuis 2004, le Conseil avait inscrit, puis réinscrit le PKK sur les listes de gel de fonds, alors même que sa réinscription sur les listes litigieuses était fondée sur un lien étroit qui l’aurait uni à cette organisation, et, d’autre part, les raisons pour lesquelles il avait été maintenu sur ces listes, alors que les actes par lesquels le Conseil avait réinscrit le PKK entre 2014 et 2017 sur les listes de gel de fonds avaient été annulés par le Tribunal.

65      En conséquence, il y a lieu d’annuler les actes attaqués pour violation de l’article 296 TFUE, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs du présent moyen et les autres moyens invoqués par le requérant.

 Sur la demande indemnitaire

66      Dans la réplique, le requérant demande, sur la base de l’article 235 et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, la condamnation du Conseil à lui payer des dommages et intérêts pour le préjudice découlant de la « décision illégale » et illicite et de tous les actes similaires du Conseil.

67      Le requérant réclame en outre des intérêts compensatoires à compter de la publication de la première décision l’ayant inscrit sur la liste le 22 décembre 2016 ainsi que des intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement.

68      Le Conseil estime qu’il s’agit d’un moyen nouveau au sens de l’article 84 du règlement de procédure, et donc irrecevable, dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments nouveaux révélés en cours de procédure.

69      À cet égard, en premier lieu, il importe de relever que les dispositions citées sont inexactes et que la demande indemnitaire doit être considérée comme fondée sur les articles 268 et 340 TFUE.

70      En second lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et les conclusions du requérant.

71      Il découle de cette disposition que la demande en indemnité doit figurer dans la requête et que le requérant n’était pas autorisé à saisir le Tribunal de conclusions nouvelles dans la réplique, et à modifier ainsi l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2019, L/Parlement, T‑91/17, non publié, EU:T:2019:93, point 69).

72      Cette exigence n’ayant pas été respectée en l’espèce, il y a lieu de rejeter cette demande comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

74      Le Conseil ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux du requérant, conformément aux conclusions de celui-ci.

75      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume des Pays-Bas supportera dès lors ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2019/25 du Conseil, du 8 janvier 2019, portant modification et mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2018/1084, et le règlement d’exécution (UE) 2019/24 du Conseil, du 8 janvier 2019, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2018/1071, sont annulés, en ce qu’ils concernent M. Dalokay Şanli.

2)      Le recours est rejeté sur le surplus.


3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux de M. Şanli.

4)      Le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Gervasoni

Nihoul

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 février 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.