Language of document : ECLI:EU:T:2016:460

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accord conclus entre un titulaire de brevets et une entreprise de génériques – Durée de l’enquête de la Commission – Droits de la défense – Amendes – Sécurité juridique – Principe de légalité des peines »

Dans l’affaire T‑471/13,

Xellia Pharmaceuticals ApS, établie à Copenhague (Danemark),

Alpharma LLC, anciennement Zoetis Products LLC, établie à Florham Park, New Jersey (États-Unis),

représentées par M. D. Hull, solicitor,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras et M. B. Mongin, en qualité d’agents, assistés de M. B. Rayment, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2013) 3803 final de la Commission, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Alpharma Inc. était une société de droit américain active à l’échelle mondiale dans le secteur pharmaceutique, notamment en ce qui concerne les médicaments génériques. Jusqu’en décembre 2008, elle était contrôlée par la société de droit norvégien, A.L. Industrier AS. Par la suite, elle a été achetée par une entreprise pharmaceutique du Royaume-Uni, qui, à son tour, a été achetée par une entreprise pharmaceutique des États-Unis. Dans le cadre de ces restructurations, Alpharma Inc. est devenue, d’abord, en avril 2010, Alpharma LLC, puis, le 15 avril 2013, Zoetis Products LLC (ci-après « Zoetis »), enfin, le 6 juillet 2015, à nouveau Alpharma LLC.

4        Alpharma Inc. contrôlait à 100 % Alpharma ApS, une société de droit danois, qui disposait de plusieurs filiales dans l’Espace économique européen (EEE) (ci-après, globalement, le « groupe Alpharma »). À la suite de plusieurs restructurations, le 31 mars 2008, Alpharma ApS est devenue Axellia Pharmaceuticals ApS, rebaptisée en 2010 Xellia Pharmaceuticals ApS (ci-après « Xellia »).

 Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

5        Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») dénommé citalopram.

6        En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

7        En ce qui concerne l’EEE, la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, ces brevets ont expiré en janvier 2002.

8        Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

9        Premièrement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites dans d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation (ci-après les « brevets sur la cristallisation ») dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni et le 11 février 2002 en ce qui concerne le Danemark. L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé (ci-après le « modèle d’utilité de Lundbeck »), soit un brevet valable six ans, concédé sans examen préalable.

10      Deuxièmement, le 12 mars 2001, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités du Royaume-Uni concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une distillation en film. Les autorités du Royaume-Uni ont concédé à Lundbeck un brevet portant sur ladite méthode de distillation en film le 3 octobre 2001 (ci-après le « brevet sur la distillation en film »). Cependant, ce brevet a été révoqué par défaut de nouveauté par rapport à un autre brevet de Lundbeck le 23 juin 2004.

11      Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur un IPA dénommé escitalopram (ou S-citalopram), pour le milieu de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

 Accord conclu par Lundbeck avec le groupe Alpharma et autres éléments du contexte

12      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec des entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont le groupe Alpharma.

13      L’accord pertinent en l’espèce (ci-après l’« accord litigieux ») a été conclu entre Lundbeck et Alpharma ApS le 22 février 2002, pour une période allant de cette date jusqu’au 30 juin 2003 (ci-après la « période pertinente »).

14      Avant la conclusion de cet accord, au mois de janvier 2002, le groupe Alpharma avait acheté auprès d’Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co. (ci-après « Tiefenbacher ») un stock de comprimés de citalopram générique, produits à partir de l’IPA de la société indienne Cipla, et elle en avait commandé d’autres.

15      À propos du préambule de l’accord litigieux (ci-après le « préambule »), il convient de relever, notamment, que :

–        le premier considérant rappelle que « Lundbeck est titulaire de droits de propriété intellectuelle qui incluent, en particulier, des brevets concernant la production […] de l’IPA ‘Citalopram’ [(écrit avec un ‘c’ majuscule dans l’ensemble du texte de l’accord)], qui incluent les brevets repris dans l’annexe A » de cet accord (ci-après l’« annexe A ») ;

–        le deuxième considérant indique que Lundbeck produit et vend des produits pharmaceutiques contenant du « Citalopram » dans tous les États membres ainsi qu’en Norvège et en Suisse, ces pays étant, dans leur ensemble, définis en tant que le « Territoire » ;

–        les troisième et quatrième considérants mentionnent le fait que le groupe Alpharma a produit ou acheté des produits pharmaceutiques contenant du « Citalopram » dans le « Territoire », et ce sans le consentement de Lundbeck ;

–        les cinquième et sixième considérants font état du fait que les produits du groupe Alpharma ont été soumis par Lundbeck à des tests de laboratoire dont les résultats ont donné à cette dernière des raisons substantielles de croire que les méthodes de production utilisées pour réaliser ces produits violaient ses droits de propriété intellectuelle ;

–        le septième considérant rappelle que, le 31 janvier 2002, Lundbeck a introduit une action auprès d’une juridiction du Royaume-Uni (ci-après l’« action en contrefaçon RU ») afin d’obtenir une injonction « contre les ventes par [le groupe] Alpharma de produits contenant du Citalopram pour violation des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck » ;

–        le huitième considérant indique que le groupe Alpharma reconnaît que les observations de Lundbeck sont correctes et s’engage à ne pas mettre sur le marché « de tels produits » ;

–        les neuvième et dixième considérants précisent que Lundbeck :

–        « convient de verser [au groupe] Alpharma une compensation afin de pouvoir éviter un litige en matière de brevets » dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue et qui serait coûteux et chronophage ;

–        « convient, à fin de résoudre le litige, d’acheter [au groupe] Alpharma son stock entier de produits contenant du Citalopram et à verser à [celui-ci] une compensation pour ces produits ».

16      En ce qui concerne le corps de l’accord litigieux, il convient de relever, notamment, que :

–        le point 1.1 (ci-après le « point 1.1 ») stipule que le groupe Alpharma , y compris ses « Filiales », « annule, arrête et s’abstient de toute importation, […] production […] ou vente de produits pharmaceutiques contenant du Citalopram dans le Territoire […] pendant la [période pertinente] » et que Lundbeck retire l’action en contrefaçon RU ;

–        ce même point précise qu’il ne s’applique pas à « tout produit contenant de l’escitalopram » ;

–        le point 1.2 prévoit que, « [e]n cas de toute violation de l’obligation établie [au point 1.1] ou à la demande de Lundbeck, [le groupe] Alpharma […] se soumettra volontairement à une injonction provisoire de la part de n’importe quelle juridiction compétente dans n’importe quel pays du Territoire » et que Lundbeck pourra obtenir une telle injonction sans fournir de dépôt de garantie ;

–        le point 1.3 précise que, à titre de compensation pour les obligations prévues dans cet accord et afin d’éviter les frais et la durée du contentieux, Lundbeck paie au groupe Alpharma la somme de 12 millions de dollars des États-Unis (USD), dont 11 millions pour les produits du groupe Alpharma contenant du « Citalopram », en trois tranches de 4 millions chacune, à verser respectivement le 31 mars 2002, le 31 décembre 2002 et le 30 juin 2003 ;

–        le point 2.2 établit que, au plus tard le 31 mars 2002, le groupe Alpharma livre à Lundbeck la totalité du stock de produits contenant du « Citalopram » dont il disposerait à cette date, à savoir les 9,4 millions de comprimés déjà en sa possession lors de la conclusion de l’accord litigieux et les 16 millions de comprimés qu’il avait commandés.

17      L’annexe A contient une liste de 28 demandes de droits de propriété intellectuelle introduites par Lundbeck avant la signature de l’accord litigieux, dont neuf avaient déjà abouti à ladite date. Ces droits de propriété intellectuelle concernaient les procédés pour produire l’IPA citalopram visés par les brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film.

18      Par ailleurs, il convient de préciser que, le 2 mai 2002, une juridiction du Royaume-Uni a rendu une ordonnance par consentement prévoyant que la procédure dans l’action en contrefaçon RU soit suspendue en raison de la conclusion d’un accord entre Lundbeck et, notamment, le groupe Alpharma, selon lequel ce dernier « annul[ait], arrêt[ait] et s’abst[enai]t de toute importation, […] production […] ou vente, dans les [États membres], en Norvège et en Suisse (‘les Territoires Pertinents’), de produits pharmaceutiques contenant du citalopram fabriqué par l’emploi des procédés revendiqués dans [les brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film octroyés par les autorités du Royaume-Uni] ou dans tout autre brevet équivalent obtenu ou demandé dans les Territoires Pertinents jusqu’au 30 juin 2003 » (ci-après l’« ordonnance par consentement du 2 mai 2002 »).

 Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

19      Au mois d’octobre 2003, la Commission des Communautés européennes a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

20      Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, des États membres autres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

21      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

22      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché des médicaments innovants et génériques à usage humain.

23      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait la version intégrale dudit rapport d’enquête, en tant qu’« annexe technique », sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

24      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé une procédure à l’égard de Lundbeck.

25      Au cours de l’année 2010 et de la première moitié de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux autres sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont le groupe Alpharma.

26      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard notamment des entreprises de génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

27      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

28      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

29      Le conseil-auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

30      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

31      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que l’accord litigieux, tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituait une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, commise par Lundbeck ainsi que par Alpharma ApS, Alpharma Inc. et A.L. Industrier (article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée).

32      Ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1087 de la décision attaquée, à cette fin, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion de l’accord litigieux, Lundbeck et le groupe Alpharma étaient des concurrents à tout le moins potentiels dans plusieurs pays de l’EEE ;

–        en vertu de cet accord, Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit du groupe Alpharma ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par le groupe Alpharma des limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement du groupe Alpharma de ne vendre aucun citalopram générique dans l’EEE pendant la période pertinente ;

–        ce transfert de valeur correspondait, en substance, aux profits que le groupe Alpharma aurait pu obtenir s’il était entré sur le marché avec succès ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations grâce à l’application des brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film (ci-après les « nouveaux brevets de Lundbeck »), étant donné que les obligations pesant sur le groupe Alpharma à la suite de l’accord litigieux allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        l’accord litigieux ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre le groupe Alpharma dans l’hypothèse où ce dernier serait entré sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration de l’accord litigieux.

33      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). Si, à l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par cette entreprise (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée), en revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 de celles-ci, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

34      Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont le groupe Alpharma, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférée en vertu des accords en cause, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée).

35      En ce qui concerne le groupe Alpharma, la Commission a considéré que les sommes que Lundbeck lui avait payées s’élevaient à 11,1 millions de USD, équivalant à 11,7 millions d’euros, selon le taux de change moyen de l’année 2002. Ce montant se composait, d’une part, de 10,1 millions de USD pour l’achat du stock de citalopram du groupe Alpharma, compte tenu d’une réduction de 900 000 USD appliquée à la tranche payée par Lundbeck le 31 décembre 2002 (voir point 16, quatrième tiret, ci-dessus) au motif que le nombre de comprimés reçus était inférieur au niveau convenu, et, d’autre part, de 1 million de USD en raison de frais de contentieux évités par le biais de la conclusion de l’accord litigieux (considérants 545, 547, 1071, 1374 et note en bas de page n° 1867 de la décision attaquée).

36      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

37      Enfin, la Commission a appliqué l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, selon lequel, pour chaque entreprise participant à une infraction, l’amende ne pouvait pas excéder 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, de manière séparée, à Xellia, à Zoetis et à A.L. Industrier, dans la mesure où ces sociétés ne faisaient plus partie de la même entreprise lors de l’adoption de la décision attaquée (considérant 1384 de la décision attaquée). S’agissant d’A.L. Industrier, la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires réalisé en 2011, et non celui de 2012, dans la mesure où elle a considéré que les données de 2012 ne concernaient pas une année d’activités économiques normales (considérants 1386 et 1387 de la décision attaquée).

38      Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 10 530 000 euros solidairement à Xellia et à Zoetis, alors que la responsabilité solidaire d’A.L. Industrier a été limitée à un montant de 43 216 euros (considérant 1396 et article 2, paragraphe 3, de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

39      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, Xellia et Zoetis (voir points 3 et 4 ci-dessus), ont introduit le présent recours.

40      La phase écrite de la procédure a été close le 18 juillet 2014.

41      Le 27 novembre 2014, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, les parties ont été invitées à formuler par écrit leurs observations concernant les éventuelles conséquences sur la présente affaire de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204).

42      Les parties ont répondu à cette question dans le délai imparti.

43      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, d’inviter les parties à répondre par écrit à certaines questions, ce qu’elles ont fait dans le délai imparti.

44      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 octobre 2015.

45      Les requérantes, Xellia et Alpharma LLC, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal, en substance :

–        à titre principal, annuler les articles 1er à 3 de la décision attaquée, en ce qu’ils les concernent ;

–        à titre subsidiaire, annuler partiellement l’article 1er de la décision attaquée, en ce qu’il les concerne, et réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée à l’article 2, paragraphe 3, de celle-ci ;

–        condamner la Commission aux dépens.

46      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

47      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent huit moyens, tirés, en substance, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation par la Commission de la portée de l’accord litigieux, le deuxième, d’erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel de Lundbeck, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification de l’accord litigieux de restriction de la concurrence par objet, le quatrième, d’une erreur de droit quant à la constatation de l’existence d’une telle restriction alors même que la portée de cet accord reflète le pouvoir d’exclusion inhérent aux brevets de Lundbeck, le cinquième, de la violation des droits de la défense, le sixième, de la violation du principe de non-discrimination du fait que Zoetis est destinataire de la décision attaquée, le septième, d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende qui leur a été infligée et, le huitième, d’une erreur manifeste d’appréciation ayant trait au plafonnement de la part du montant de l’amende dont A.L. Industrier est codébiteur.

48      Il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen, puis le premier et enfin les autres moyens, dans l’ordre choisi par les requérantes.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel

49      Le deuxième moyen des requérantes, relatif à la concurrence potentielle, se divise en deux branches, portant, la première, sur le critère juridique à appliquer et, la seconde, sur la question de savoir si la Commission a prouvé à suffisance de droit l’existence d’une telle concurrence en l’espèce.

50      Avant d’examiner en détail ces branches, il convient de rappeler brièvement l’analyse de la concurrence potentielle effectuée dans la décision attaquée, en particulier en ce qui concerne le groupe Alpharma, et de formuler des observations liminaires concernant la jurisprudence portant sur cette concurrence, sur la charge de la preuve ainsi que sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal.

 Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

51      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

52      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration prochaine du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM »), au sens de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

53      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises de génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première entreprise de génériques qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi les entreprises de génériques sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

54      Dans le cadre de ces phases de concurrence potentielle, les entreprises de génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

55      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises de génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Dès lors, la Commission n’a eu aucun doute sur le fait que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords en cause.

56      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise de génériques concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché.

57      Enfin, la Commission a observé que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché. Au considérant 635 de la décision attaquée, elle a identifié en l’espèce huit voies d’accès possibles au marché :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son intermédiaire, afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé de Lundbeck ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

58      En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et le groupe Alpharma au moment de la conclusion de l’accord litigieux, la Commission, aux considérants 1016 à 1039 de la décision attaquée, a relevé, notamment, que ledit groupe :

–        avait déjà conclu un accord avec Tiefenbacher, qui lui permettait d’acheter du citalopram générique produit par les sociétés indiennes Cipla ou Matrix et d’utiliser les AMM dont Tiefenbacher disposait déjà ;

–        avait obtenu des AMM aux Pays-Bas, en Finlande, au Danemark ainsi qu’en Suède et s’attendait à en recevoir rapidement une également au Royaume-Uni ;

–        avait en stock 9,4 millions de comprimés de citalopram générique, produits selon le procédé de Cipla, et en avait commandé encore 16 millions ;

–        avait publié une liste de prix au Royaume-Uni ;

–        s’apprêtait à entrer sur le marché dans plusieurs pays de l’EEE dans un délai de deux à six semaines ;

–        était parvenu à la conclusion que le procédé utilisé par Cipla pour produire du citalopram violait le brevet sur la cristallisation, mais considérait avoir des chances raisonnables de pouvoir éviter une injonction bloquant son entrée sur le marché et d’obtenir l’invalidation dudit brevet ;

–        disposait de la possibilité de passer au citalopram produit par Matrix, qui utilisait un procédé qui n’était pas considéré comme violant les nouveaux brevets de Lundbeck.

 Principes et jurisprudence applicables

–       Concurrence potentielle

59      Il convient de relever que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

60      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et des contextes économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 59 supra, EU:T:2012:332, point 85).

61      Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 59 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

62      Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 59 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

63      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 60 supra, EU:T:2011:181, point 169).

64      Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

65      S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 59 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

–       Charge de la preuve

66      Il ressort de l’article 2 du règlement n° 1/2003 ainsi que d’une jurisprudence constante que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

67      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

68      En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

69      En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

70      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

71      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

72      Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

73      Lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 66 supra, EU:T:2013:188, point 99 et jurisprudence citée).

–       Portée du contrôle exercé par le Tribunal

74      Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par les requérantes à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

75      Ces considérations constituent le cadre de référence pour l’examen des deux branches dont le présent moyen se compose.

 Sur la première branche

76      Par la première branche du deuxième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a appliqué un critère juridique erroné afin d’établir si le groupe Alpharma était un concurrent potentiel de Lundbeck. Dans ce contexte, elles font observer que la Commission s’est bornée à se poser la question de savoir si, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, l’entrée sur le marché représentait pour le groupe Alpharma une hypothèse vraisemblable, sur la base notamment de la perception subjective de Lundbeck, tandis qu’elle aurait dû fournir la preuve du fait qu’une telle entrée constituait une possibilité réelle et concrète, correspondant à une stratégie économique viable. Selon les requérantes, à cette fin, la Commission aurait dû effectuer une analyse détaillée des coûts dudit groupe, y compris les éventuels dommages-intérêts à payer en cas de contrefaçon, et de ses bénéfices.

77      La Commission ne conteste pas le fait qu’elle devait prouver que le groupe Alpharma disposait d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché et qu’il devait s’agir d’une stratégie économique viable, mais soutient que cela n’équivaut pas à lui imposer l’obligation de démontrer, à la suite d’une analyse notamment des coûts potentiels de cette entrée, que celle-ci serait assurément couronnée de succès.

78      Il convient de relever que les parties ne s’opposent pas véritablement sur la plupart des principes qui découlent de la jurisprudence rappelée aux points 59 à 65 ci-dessus.

79      Les questions litigieuses ont trait à l’importance de la perception du rôle du groupe Alpharma qu’avait Lundbeck et à la signification des expressions « possibilités réelles et concrètes » et « stratégie économiquement viable ».

80      S’agissant de la première question, il convient de confirmer l’avis de la Commission selon lequel ladite perception est importante, ce qui est conforme à la jurisprudence rappelée aux points 64 et 65 ci-dessus. Il ne s’agit cependant pas du seul élément à prendre en considération. De plus, cette perception doit être démontrée sur la base de preuves concrètes.

81      S’agissant de la seconde question, il convient d’observer que, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, les deux expressions en cause ont, en substance, la même signification. En outre, la Commission est également fondée à soutenir que, par l’emploi de ces expressions, la jurisprudence n’exige pas que, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée de concurrent potentiel, il soit nécessaire de démontrer que son entrée sur le marché, si elle avait lieu, serait assurément couronnée de succès. En effet, l’existence d’une part de risque et d’incertitude est inhérente au fait que la concurrence en cause soit potentielle. Cependant, la Commission est tenue de démontrer, encore une fois par des preuves concrètes, qu’il existe une possibilité réelle et concrète que l’entreprise en cause intègre le marché.

82      C’est donc à tort que les requérantes soutiennent que la Commission a appliqué un critère juridique erroné. La question de savoir si la décision attaquée est étayée par des preuves suffisantes à cet égard fait l’objet de la seconde branche du présent moyen.

 Sur la seconde branche

83      Dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, les requérantes contestent la thèse retenue au considérant 1035 de la décision attaquée, selon laquelle, lors de la conclusion de l’accord litigieux, le groupe Alpharma disposait, notamment, de la possibilité d’entrer sur le marché avec les comprimés de citalopram qu’il avait déjà reçus ou commandés auprès de Tiefenbacher et de la possibilité de reporter de quelques mois son entrée sur le marché avec des comprimés produits avec l’IPA de Matrix.

84      La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Sur la possibilité pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché avec les comprimés qu’il avait déjà reçus ou commandés

85      Il convient d’observer que, au considérant 1027 de la décision attaquée, la Commission a repris le texte d’un courriel, du 19 février 2002, d’un directeur général du groupe Alpharma chargé du dossier pertinent (ci-après le « courriel du 19 février 2002 »), qui, trois jours avant la conclusion de l’accord litigieux :

–        rappelait l’intention dudit groupe d’entrer sur le marché dans plusieurs États membres avec du citalopram produit selon le procédé de Cipla ;

–        notait que ce procédé était désormais considéré comme contrefaisant les nouveaux brevets de Lundbeck ;

–        se référait à la préparation d’une stratégie de défense à cet égard, consistant en une demande d’invalidité de ces brevets, qui avait des chances raisonnables d’aboutir ;

–        évoquait les coûts liés à cette demande, tout en précisant que, si celle-ci était fondée, il aurait été possible d’en récupérer une partie substantielle auprès de Lundbeck, laquelle, cependant, aurait pu réclamer elle aussi des dommages-intérêts élevés si c’était elle qui obtenait gain de cause ;

–        mentionnait la possibilité d’avoir recours au citalopram produit selon le procédé de Matrix, qu’il considérait comme n’étant pas problématique eu égard aux nouveaux brevets de Lundbeck, tout en admettant qu’un tel changement de fournisseur d’IPA aurait retardé l’entrée sur le marché de trois à quatre mois et réduit ainsi de 2 millions de USD les profits liés à cette entrée, dont la valeur actuelle nette était estimée à 10 millions de USD ;

–        recommandait de chercher à conclure un accord avec Lundbeck s’il était possible de parvenir à un arrangement raisonnable, conforme aux intérêts juridiques et commerciaux du groupe Alpharma.

86      Au considérant 1035 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, selon le courriel du 19 février 2002, au lieu de conclure l’accord litigieux, le groupe Alpharma aurait pu entrer sur le marché avec les comprimés de citalopram qu’elle avait déjà reçus ou commandés, produits selon le procédé Cipla, et aurait pu invoquer l’invalidité du brevet sur la cristallisation, que ce procédé contrefaisait, selon les informations dont le groupe Alpharma et Lundbeck disposaient à l’époque.

87      Les requérantes font valoir qu’il ne s’agissait pas d’une stratégie économique viable.

88      À cet égard, il convient d’observer que les requérantes elles-mêmes admettent que le groupe Alpharma considérait qu’il disposait de chances raisonnables d’obtenir l’invalidation du brevet sur la cristallisation, ainsi que cela résulte notamment du courriel du 19 février 2002.

89      Par ailleurs, les parties sont, en substance, d’accord sur le fait que Lundbeck avait un point de vue analogue. Cela est conforme à plusieurs éléments de preuve figurant dans la décision attaquée dont il résulte que Lundbeck a reconnu que la probabilité que ce brevet fût invalidé était estimée entre 50 et 60 % (voir, notamment, considérants 157, 627, 669, 745 et note en bas de page n° 322 de la décision attaquée).

90      Il convient donc d’établir si, du point de vue du groupe Alpharma, le fait de disposer de telles chances raisonnables était suffisant pour l’inciter à poursuivre son projet, tel que présenté notamment dans le courriel du 19 février 2002, d’entrer sur le marché avec les comprimés de citalopram qu’il avait déjà reçus ou commandés.

91      À ce propos, il doit être relevé que, jusqu’à la conclusion de l’accord litigieux, le groupe Alpharma avait entrepris de nombreuses démarches et consenti des investissements importants afin d’entrer sur le marché.

92      En effet, ainsi que cela résulte notamment des considérants 476, 485, 490, 516 et 1017 de la décision attaquée, qui se réfèrent ou citent plusieurs documents du dossier de la Commission, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, le groupe Alpharma :

–        avait déjà conclu avec Tiefenbacher un contrat, daté du 25 juin 2001, de fourniture de citalopram produit selon les procédés de Cipla ou de Matrix ;

–        pouvait, en vertu de ce contrat et d’un contrat précédent entre les mêmes parties, du 31 juillet 2000, obtenir une AMM aux Pays-Bas, sur la base de celle que Tiefenbacher avait reçue le 31 août 2001 des autorités de cet État membre, et pouvait, en application de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83, obtenir des AMM dans d’autres pays de l’EEE ;

–        avait déjà en stock 9,4 millions de comprimés de citalopram et en avait commandé 16 millions de plus ;

–        avait déjà obtenu des AMM aux Pays-Bas, en Finlande, au Danemark et en Suède et avait reçu, le 9 janvier 2002, des assurances quant au fait qu’elle en obtiendrait une au Royaume-Uni dans un futur très proche ;

–        avait déjà publié une liste des prix pour son citalopram au Royaume-Uni.

93      Ces constatations ne sont pas remises en cause par les requérantes.

94      En premier lieu celles-ci font cependant valoir que la Commission n’a pas tenu compte des dommages-intérêts que le groupe Alpharma aurait dû payer à Lundbeck dans l’hypothèse où il aurait succombé dans le cadre d’un probable contentieux, des frais liés à ce contentieux et du risque qu’il dût indemniser ses clients en aval. Le montant découlant de la somme de ces facteurs dépasserait largement les bénéfices escomptés par le groupe Alpharma en cas d’entrée sur le marché.

95      À cet égard, premièrement, il convient d’observer que les requérantes fondent leur estimation concernant lesdits dommages-intérêts sur un document interne de 2003 et prétendent qu’il doit être tenu compte des montants maximaux figurant dans celui-ci, soit 21,7 millions de USD, et non des montants probables également présents dans ce document, puisque, si le groupe Alpharma était entré sur le marché en février 2002, il aurait été la première entreprise de génériques à le faire et aurait ainsi occasionné à Lundbeck un préjudice plus important que celui considéré comme probable en 2003.

96      Or, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, rien ne permet de supposer que les données apparaissant dans ledit document, qui concernent un lancement du citalopram générique en 2004, puissent être transposées à la situation qui prévalait en 2002. En outre, il n’est pas prouvé que le groupe Alpharma, en 2002, fût la seule entreprise de génériques en mesure d’entrer sur le marché. De même, ledit document précise que, dans cinq des sept pays concernés, le risque que le groupe Alpharma succombât au contentieux était faible, alors que, dans les deux autres pays concernés, il était moyen. Ainsi, les requérantes ne sont pas fondées à prendre en compte le montant de 21,7 millions de USD dans sa globalité ni même à appliquer à celui-ci un coefficient uniforme de 50 % en raison de la probabilité qu’elles ne succombent pas. Par ailleurs, s’il est vrai que Lundbeck, dans un document de 2003 invoqué par les requérantes, a estimé à un montant compris entre 20 et 55 millions d’euros les dommages-intérêts qu’elle aurait pu obtenir des entreprises de génériques si elle avait choisi la voie contentieuse, il doit être observé que ce montant concerne toutes les entreprises avec lesquelles Lundbeck aurait pu avoir un contentieux, et non uniquement le groupe Alpharma.

97      Dès lors, les documents en cause ne permettent pas de conclure que, en raison du risque de devoir payer des dommages-intérêts à Lundbeck, le groupe Alpharma ne disposait pas d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché avec les comprimés qu’il avait déjà reçus ou commandés.

98      Deuxièmement, les requérantes font valoir que les frais de procédure n’ont pas été suffisamment examinés dans la décision attaquée, la Commission ayant pris en considération seulement le montant de 1 million de USD mentionné à ce titre dans l’accord litigieux.

99      Sur ce point, il convient de relever que les requérantes n’ont pas fourni le moindre document permettant de considérer que, avant de conclure l’accord litigieux, le groupe Alpharma avait fait des estimations de ces frais qui l’auraient conduit à renoncer à son plan d’entrer sur le marché, en dépit du fait que, ainsi que cela résulte du courriel du 19 février 2002, à ce moment-là, l’existence de frais liés à un éventuel contentieux avec Lundbeck n’était pas considérée comme un élément rendant ladite option économiquement non viable.

100    En outre, puisque les parties à l’accord litigieux ont elles-mêmes chiffré à 1 million de USD les frais du contentieux qui aurait pu les opposer, la Commission n’était pas tenue d’enquêter davantage. À cet égard, il doit être observé que le libellé du point 1.3 de l’accord litigieux ne précise pas si ce montant était censé correspondre seulement aux frais liés à l’action en contrefaçon RU, qui était déjà pendante, ou également à d’autres contentieux possibles. En tout état de cause, il n’était pas indispensable pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché en parallèle dans plusieurs pays, mais il aurait pu concentrer ses efforts dans un nombre limité de pays, ce qui aurait ainsi permis de ne pas multiplier les contentieux. Au demeurant, le courriel interne cité au considérant 508 de la décision attaquée démontre que cette possibilité a été envisagée par le groupe Alpharma (à travers l’expression « nos efforts devraient se focaliser sur le Royaume-Uni et sur les pays nordiques »).

101    Par ailleurs, il doit être relevé que, selon un courriel interne du groupe Alpharma du 8 février 2002, figurant au dossier de la Commission et produit devant le Tribunal, celui-ci envisageait de partager avec Tiefenbacher les coûts afférant à l’éventuel contentieux avec Lundbeck. À cet égard, les requérantes n’ont pas étayé leur allégation selon laquelle Tiefenbacher aurait pu ne pas accepter un tel partage.

102    Partant, les présents arguments des requérantes ne sont pas de nature à démontrer que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la concurrence potentielle.

103    Troisièmement, les requérantes invoquent le fait que la Commission n’a pas dûment tenu compte du risque que le groupe Alpharma dût indemniser ses clients en aval, dans l’hypothèse où Lundbeck les aurait poursuivis. Ce risque aurait poussé ledit groupe à renoncer à l’entrée sur le marché.

104    À ce propos, il résulte des considérants 497 et 508 de la décision attaquée que Lundbeck avait effectivement menacé les grossistes et les pharmacies aux Pays-Bas. Toutefois, il ne ressort pas du courriel du groupe Alpharma du 23 janvier 2002, sur lequel les requérantes s’appuient, que ces menaces avaient définitivement convaincu le groupe Alpharma de reporter le lancement envisagé du citalopram générique sur le marché néerlandais. Au contraire, le courriel du 19 février 2002 inclut les Pays-Bas parmi les pays dans lesquels le groupe Alpharma avait planifié d’intégrer le marché dans les deux à six semaines à venir.

105    Cette même information figure dans un courriel interne du 14 février 2002 (ci-après le « courriel du 14 février 2002 »), cité au considérant 516 de la décision attaquée.

106    Par ailleurs, s’il résulte du courriel d’une personne non identifiée à une entreprise de génériques autre que le groupe Alpharma, produit par les requérantes, que les grossistes et les pharmaciens néerlandais demandaient une « protection » aux entreprises de génériques contre les éventuelles actions de Lundbeck, cela ne signifie pas que ce groupe fût persuadé qu’une telle requête de la part desdits grossistes et pharmaciens était fondée.

107    Par conséquent, cet argument des requérantes n’est pas non plus susceptible de démontrer que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la concurrence potentielle.

108    En tout état de cause, il résulte notamment des courriels du 14 et du 19 février 2002 que le groupe Alpharma, tout en ayant connaissance des risques que l’entrée sur le marché pouvait comporter, n’aurait pas nécessairement abandonné ses plans s’il n’avait pas pu conclure avec Lundbeck un accord suffisamment avantageux. Le fait que, jusqu’à la conclusion de l’accord litigieux, l’entrée sur le marché demeurait une possibilité réelle et concrète pour le groupe Alpharma est ultérieurement confirmé par un courriel du vice-président d’Alpharma Inc. daté du 19 février 2002 (ci-après le « courriel du vice-président »), figurant au dossier de la Commission et produit devant le Tribunal. En effet, l’auteur de celui-ci explique que, jusqu’au moment de la signature d’un accord avec Lundbeck, il ne convenait pas d’informer les conseillers externes du groupe Alpharma en matière de propriété intellectuelle des négociations en cours, puisque, dans l’hypothèse où ce dernier ferait face à une injonction, il était nécessaire qu’il fût prêt à réagir. Or, le fait de se préparer à l’éventualité d’être destinataire d’une injonction signifie que, pour le groupe Alpharma, l’entrée sur le marché était une possibilité réelle et concrète, à défaut de conclure un accord avec Lundbeck qui serait suffisamment avantageux.

109    Ce constat n’est pas remis en cause par la déclaration faite à la presse, le 29 mai 2002, par un collaborateur du groupe Alpharma (ci-après la « déclaration du 29 mai 2002 »), invoquée par les requérantes, selon laquelle ce dernier pensait que la situation juridique était incertaine et que le risque l’emportait sur tout profit potentiel.

110    En effet, cette déclaration fait état de la situation telle qu’elle était plusieurs mois après la conclusion de l’accord litigieux.

111    À cet égard, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains à la date à laquelle l’accord litigieux a été conclu (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée). En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les évènements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de cet accord. D’autre part, les parties à cet accord ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure l’accord litigieux.

112    C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission s’est placée au moment où cet accord avait été conclu pour évaluer la situation concurrentielle entre les requérantes et Lundbeck, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs pouvaient également être pris en compte pour autant qu’ils permettaient de mieux établir quelle était la position de ces entreprises à l’époque, de confirmer ou d’infirmer les thèses de celles-ci à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à l’accord litigieux.

113    Dès lors, la force probante de la déclaration invoquée par les requérantes est réduite.

114    Par ailleurs, cette force probante est encore davantage amoindrie, au motif que le groupe Alpharma, qui avait secrètement accepté les limitations de son autonomie commerciale découlant de l’accord litigieux en contrepartie des paiements qui y étaient prévus, devait justifier, ne serait-ce qu’auprès de ses clients potentiels, les changements dans les plans qu’il avait annoncés auparavant.

115    Il s’ensuit que les arguments des requérantes résumés au point 94 ci-dessus doivent être rejetés.

116    En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que, bien que le groupe Alpharma eût effectué des démarches et des investissements dans le but d’entrer sur le marché, sa perspective avait radicalement changé au cours de la période précédant immédiatement la conclusion de l’accord litigieux, en raison de la découverte d’éléments prétendument fondamentaux et ignorés auparavant ou intervenus juste avant cette conclusion. Il s’agirait du fait que le procédé de Cipla violait le modèle d’utilité de Lundbeck (voir point 9 ci-dessus), de l’obtention d’informations par Tiefenbacher, de la concession du brevet sur la cristallisation au Royaume-Uni et de la consultation de conseillers externes.

117    À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que, ainsi que cela résulte du considérant 477 de la décision attaquée, le 11 janvier 2001, Lundbeck a envoyé au groupe Alpharma une lettre d’avertissement afin de le prévenir du fait que les activités de celui-ci portant sur le citalopram pouvaient violer ses droits de propriété intellectuelle concernant les procédés pour obtenir cet IPA, dont son modèle d’utilité.

118    Dès lors, il ne saurait être considéré que l’existence de ce modèle d’utilité n’a été découverte par le groupe Alpharma qu’en 2002.

119    Deuxièmement, il doit certes être relevé que l’obtention par Lundbeck, le 30 janvier 2002, du brevet sur la cristallisation au Royaume-Uni a surpris le groupe Alpharma, dans la mesure où celui-ci s’attendait à ce que la demande que Lundbeck avait présentée à cette fin le 12 mars 2001 fût rejetée, ainsi que cela ressort d’une déclaration du directeur du groupe Alpharma responsable notamment de la propriété industrielle (ci-après le « directeur PI »), produite par les requérantes.

120    De même, s’il découle du courriel du 17 septembre 2001, partiellement cité au considérant 482 de la décision attaquée et produit en version intégrale devant le Tribunal, que Tiefenbacher avait rassuré le groupe Alpharma quant au fait que le procédé de Cipla ne violait pas les nouveaux brevets de Lundbeck, par la suite, ce groupe était parvenu à la conclusion que ce procédé violait le brevet sur la cristallisation, ainsi que cela résulte notamment du courriel du 19 février 2002.

121    Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas tort lorsqu’elles font valoir que, aux mois de janvier et de février 2002, le groupe Alpharma avait reçu de nouveaux éléments d’analyse, dont il ne disposait pas auparavant.

122    Il est également vrai que, pendant cette période, le groupe Alpharma a demandé l’avis d’au moins un conseiller externe. Il résulte du seul avis figurant au dossier, daté du 19 février 2002, que le procédé de Cipla était considéré comme contrefaisant le brevet sur la cristallisation. Néanmoins, ainsi que l’admettent les requérantes, ledit avis fait état, en substance, de chances raisonnables d’obtenir l’annulation de ce brevet et s’accorde donc avec le point de vue du directeur général du groupe Alpharma exprimé dans le courriel du 19 février 2002 ainsi qu’avec l’opinion exposée par le directeur PI dans son courriel du 26 janvier 2002, cité aux considérants 1026, 1031 et 1032 de la décision attaquée.

123    Par conséquent, bien que certains arguments des requérantes soient fondés, ceux-ci ne remettent pas en cause le fait que, même à la lumière des nouveaux éléments mentionnés aux points 119 à 121 ci-dessus et de l’avis mentionné au point 122 ci-dessus, le groupe Alpharma continuait à considérer que, nonobstant l’existence de certains risques, il disposait de chances raisonnables d’obtenir l’invalidation du brevet sur la cristallisation et que, au vu notamment des démarches et des investissements déjà effectués, l’entrée sur le marché demeurait donc une possibilité réelle et concrète, qui constituait une alternative à la conclusion d’un accord suffisamment avantageux avec Lundbeck.

124    À cet égard, il y a lieu de préciser que le fait que la conclusion de l’accord litigieux puisse avoir été pour les parties à celui-ci la solution économiquement la plus avantageuse est dépourvu de pertinence afin d’établir si l’option consistant à entrer sur le marché était pour le groupe Alpharma une possibilité réelle et concrète. En effet, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse s’avérer être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73, et Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220, point 211).

125    Dès lors, les présents arguments doivent être rejetés.

126    En troisième lieu, les requérantes font valoir que les paiements que le groupe Alpharma a obtenus de Lundbeck ne permettent pas de considérer que ces entreprises étaient des concurrents potentiels, mais s’expliquent par la réussite de son « coup de bluff » et par l’asymétrie des risques, qui plaçait Lundbeck dans une situation défavorable.

127    À cet égard, à titre liminaire, doit être mis en exergue le fait que l’existence des paiements en cause n’est pas le seul élément sur lequel la Commission s’est fondée afin d’apprécier la concurrence potentielle. En réalité, elle a pris en considération cet élément dans le cadre du contexte général constitué par les démarches et les investissements que le groupe Alpharma avait déjà accomplis et par les options que ce groupe envisageait, selon les documents de preuve dont la Commission disposait.

128    Ensuite, premièrement, il y a lieu de relever que les requérantes n’ont pas produit le moindre élément de preuve remettant en cause le fait que, ainsi que cela résulte notamment des courriels mentionnés au point 108 ci-dessus, quelques jours avant la conclusion de l’accord litigieux, le groupe Alpharma considérait encore que l’entrée sur le marché était une possibilité réelle et concrète, qui constituait une alternative à la conclusion d’un accord avec Lundbeck qui serait suffisamment avantageux. Dès lors qu’il s’agit de documents internes au groupe Alpharma, il ne saurait être soutenu qu’ils visaient à jouer un « coup de bluff » aux frais de Lundbeck.

129    Deuxièmement, Lundbeck, qui était une entreprise expérimentée et qui avait suivi depuis longtemps les démarches des entreprises de génériques concernant le citalopram, ainsi que le démontrent, notamment, la lettre d’avertissement du 11 janvier 2001, la lettre citée au considérant 496 de la décision attaquée et la réponse apportée par celle-ci à une demande de renseignements de la Commission, produite par les requérantes en annexe de la requête, s’attendait à ce que le groupe Alpharma entrât sur le marché, à tout le moins au Royaume-Uni.

130    De plus, même à la suite de la signature de l’accord litigieux, Lundbeck ne s’est jamais plainte d’avoir été victime d’une ruse, mais, comme cela résulte du considérant 206 de la décision attaquée, s’est réjouie, au mois de décembre 2002, d’avoir obtenu le report du lancement du citalopram générique, attendu pour le premier trimestre de 2002, ce qui créait des conditions positives pour le développement des ventes de son nouveau médicament, le Cipralex (voir point 11 ci-dessus). À cet égard, il résulte des preuves produites par la Commission, et notamment du témoignage d’un collaborateur de Lundbeck formulé dans le cadre de la procédure entre celle-ci et l’entreprise de générique Lagap Pharmaceuticals Ltd, que, au cours de l’année 2002, Lundbeck voulait éviter que le prix du Cipramil ne chute en raison de l’arrivée du citalopram générique sur le marché, dès lors que le niveau de ce prix serait déterminant lors de la fixation de celui du Cipralex.

131    Dès lors, en l’absence de toute preuve apportée au soutien de cette affirmation, il n’est pas crédible que le groupe Alpharma ait pu leurrer Lundbeck pendant une aussi longue période.

132    Par ailleurs, la circonstance, invoquée par les requérantes, selon laquelle, au point 1.3 de l’accord litigieux, Lundbeck a exigé du groupe Alpharma la production de son AMM pour le Royaume-Uni, en tant que condition pour procéder à la deuxième tranche des paiements prévus, démontre seulement que Lundbeck n’avait pas la certitude absolue que le groupe Alpharma réunissait toutes les conditions nécessaires pour entrer sur le marché, mais ne contredit nullement le fait que, également aux yeux de Lundbeck, ce groupe disposait d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.

133    Troisièmement, en ce qui concerne l’asymétrie des risques, il convient d’observer, tout d’abord, que, par la conclusion de l’accord litigieux, les parties à celui-ci ont toutes les deux pu échanger des incertitudes contre des certitudes. En effet, le groupe Alpharma ne savait pas si son entrée sur le marché serait couronnée de succès et Lundbeck ne savait pas si elle obtiendrait gain de cause au contentieux ni ce que la présence de génériques sur le marché lui ferait perdre. En revanche, d’une part, les paiements prévus dans ledit accord constituaient un gain certain pour le groupe Alpharma et, d’autre part, Lundbeck obtenait la certitude que ce groupe respecterait les obligations découlant de cet accord. Il s’ensuit qu’il existait des risques et des avantages pour les deux parties.

134    Pour autant que la thèse des requérantes signifie que le groupe Alpharma avait peu à perdre au regard de son entrée sur le marché alors que les conséquences de celle-ci pour Lundbeck auraient été calamiteuses, il doit être relevé qu’un tel argument amène plutôt à considérer que ledit groupe était un concurrent potentiel, dès lors qu’il était prêt à entrer sur le marché, sans risquer grand-chose, à défaut d’être payé pour ne pas le faire. Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 63 à 65 ci-dessus, ce groupe exerçait donc une pression concurrentielle sur Lundbeck.

135    Enfin, l’asymétrie des risques peut certes inciter le titulaire d’un brevet à effectuer un transfert de valeur en faveur d’entreprises de génériques susceptibles de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé »), afin d’éviter tout risque, même minime, que ces entreprises puissent entrer sur le marché, surtout lorsque le produit breveté, comme le Cipramil en l’espèce, constitue son produit phare, représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires (voir considérants 26 et 120 de la décision attaquée). Cependant, le fait qu’un comportement puisse être rationnel d’un point de vue économique ou commercial n’immunise pas celui-ci de l’application des dispositions du traité sur la libre concurrence, lorsqu’il vise à limiter l’accès au marché voire à exclure de ce marché des concurrents réels ou potentiels et à partager les bénéfices résultant de cette exclusion ou limitation, au détriment des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce (voir point 124 ci-dessus). En tout état de cause, il résulte du dossier que les risques n’étaient pas aussi asymétriques que le soutiennent les requérantes. En effet, ainsi que cela a été relevé au point 89 ci-dessus, Lundbeck a admis qu’il existait entre 50 et 60 % de probabilités que le brevet sur la cristallisation pût être déclaré invalide. En outre, si le Cipramil était le produit phare de Lundbeck, le groupe Alpharma avait effectué des investissements importants, à son échelle, pour préparer son entrée sur le marché et cherchait à réaliser un retour sur ces investissements.

136    À la lumière de tout ce qui précède, il peut être conclu que le fait que le procédé de Cipla violât probablement le brevet sur la cristallisation ne constituait pas pour le groupe Alpharma une barrière à l’entrée sur le marché d’une envergure telle qu’il n’était pas un concurrent potentiel de Lundbeck (voir, en ce sens et par analogie, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 59 supra, EU:T:2012:332, point 123).

–       Sur la possibilité pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché avec le citalopram produit selon le procédé de Matrix

137    Au considérant 1035 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, selon le courriel du 19 février 2002, au lieu de conclure l’accord litigieux, le groupe Alpharma aurait pu reporter son entrée sur le marché jusqu’au printemps ou à l’été de la même année afin de passer au citalopram produit selon le procédé de Matrix, qui était considéré comme n’étant pas problématique au regard du brevet sur la cristallisation.

138    Les requérantes font valoir que le passage au citalopram produit selon le procédé de Matrix présentait de sérieux problèmes, dont la nécessité d’accomplir une nouvelle série de démarches administratives.

139    Sur ce point, premièrement, il y a lieu de rappeler que le contrat conclu entre Tiefenbacher et le groupe Alpharma permettait à ce dernier d’obtenir du citalopram produit selon les procédés tant de Cipla que de Matrix (voir point 92 ci-dessus). Cela est confirmé par un courriel de Tiefenbacher produit par les requérantes devant le Tribunal.

140    Deuxièmement, il est certes vrai que le courriel du 19 février 2002 précise que le passage au citalopram produit selon le procédé de Matrix entraînerait un report de l’entrée sur le marché, ce qui réduirait les bénéfices escomptés. Toutefois, ce désavantage doit être mis en balance avec l’avantage constitué par le fait de réduire le risque de contrefaire le brevet sur la cristallisation. En tout état de cause, ledit courriel n’affirme aucunement que, motif pris dudit report et de ses conséquences, ledit passage n’était pas une option économiquement viable. Il s’agissait simplement d’un facteur rendant financièrement préférable de conclure un accord avantageux avec Lundbeck.

141    Or, comme il a déjà été observé aux points 124 et 135 ci-dessus, cette question est dépourvue de pertinence pour apprécier s’il existait une possibilité réelle et concrète que le groupe Alpharma entrât sur le marché.

142    Troisièmement, il convient d’observer que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la déclaration du 29 mai 2002 ne remet pas en cause les constats qui viennent d’être effectués au motif qu’elle permettrait de conclure que le groupe Alpharma nourrissait des doutes quant au fait que le procédé de Matrix violât le brevet sur la cristallisation. À cet égard, il convient de renvoyer aux considérations exposées aux points 109 à 114 ci-dessus. Par ailleurs, à supposer qu’une telle preuve constituée a posteriori soit pertinente alors même qu’elle n’éclaire pas la position du groupe Alpharma avant la conclusion de l’accord litigieux, il doit être noté que ladite déclaration est en contradiction avec l’analyse interne du groupe Alpharma de 2003 concernant les montants des dommages-intérêts pour violation de brevet (voir point 95 ci-dessus), qui démontre que, à ce moment-là, l’option du lancement du citalopram produit selon le procédé de Matrix restait viable, à tout le moins dans certains pays de l’EEE.

143    Quatrièmement, la circonstance, invoquée par les requérantes, selon laquelle, à une date postérieure à celle de la conclusion de l’accord litigieux, Matrix a modifié son procédé, ainsi que cela résulte de la note en bas de page n° 155 de la décision attaquée, ne démontre pas que le procédé disponible auparavant violait le brevet sur la cristallisation, mais témoigne seulement des efforts de Matrix de se mettre ultérieurement à l’abri de tout risque de contrefaçon. Par ailleurs, cette modification a eu lieu pendant la période pertinente, si bien que le groupe Alpharma aurait pu utiliser le citalopram produit selon le nouveau procédé de Matrix. En tout état de cause, le 19 février 2002, le groupe Alpharma estimait que le procédé que Matrix utilisait à l’époque pouvait lui permettre d’entrer sur le marché sans contrefaire le brevet sur la cristallisation.

144    Cinquièmement, quant aux difficultés pratiques, invoquées par les requérantes, que le passage au citalopram produit selon le procédé de Matrix aurait comportées en ce qui concerne la modification des AMM, les livraisons des comprimés et les approbations relatives à la détermination des prix et au remboursement de ce produit par les caisses de maladie, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que les requérantes n’ont aucunement prouvé qu’il n’aurait pas été possible pour le groupe Alpharma de réagir à ces difficultés de manière à entrer sur le marché pendant la période pertinente. D’ailleurs, le courriel du 19 février 2002 n’évoquait qu’un report jusqu’au printemps ou à l’été de la même année.

145    En tout état de cause, il convient de se référer aux développements sur la concurrence potentielle figurant dans la décision attaquée et résumés aux points 51 à 57 ci-dessus, dont il résulte que la concurrence potentielle démarre bien avant le moment où une entreprise de générique est prête à entrer sur le marché.

146    En effet, il y a lieu de constater que les démarches nécessaires pour obtenir les AMM et pour préparer l’entrée sur le marché relèvent de la concurrence potentielle, lorsqu’elles sont accomplies par des entreprises de génériques ayant effectué des investissements importants en termes de ressources humaines et économiques dans le but de lancer leur médicament générique.

147    Cette concurrence potentielle est protégée par l’article 101 TFUE. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir les démarches indispensables pour préparer le lancement d’un médicament générique, dont l’obtention d’une AMM, et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin, pour arrêter ou simplement ralentir ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu ou subirait des retards significatifs, et ce aux frais des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce.

148    Cette approche est conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770, point 108). En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP (voir point 7 ci-dessus) lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a, en substance, considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des requérantes étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle démarre avant l’expiration des brevets est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

149    Dans ces circonstances, il y a lieu d’observer que toutes les démarches que les requérantes auraient pu entreprendre pour préparer leur entrée sur le marché avec le citalopram produit selon le procédé de Matrix relèvent de la concurrence potentielle, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre au considérant 1035 de la décision attaquée.

150    Sixièmement, quant au fait, invoqué par les requérantes, que le groupe Alpharma n’est pas entré sur le marché avec le citalopram produit par Matrix dès l’expiration de l’accord litigieux, il y a lieu d’observer qu’un tel argument confond les notions de concurrence potentielle et de concurrence effective, si bien qu’il est inopérant, en vertu des considérations exposées aux points 145 à 149 ci-dessus.

151    En tout état de cause, il convient de relever que l’accord litigieux a significativement réduit l’intérêt du groupe Alpharma à effectuer rapidement les démarches nécessaires pour pouvoir se préparer à entrer sur le marché afin de réaliser des profits par des ventes, dès lors qu’il a reçu les montants importants que Lundbeck lui a versés.

152    De plus, les requérantes ne contredisent pas l’argument de la Commission figurant au considérant 548 et dans la note en bas de page n° 999 de la décision attaquée, invoqué également devant le Tribunal, selon lequel Tiefenbacher a refusé de coopérer avec le groupe Alpharma, après que celui-ci eut admis que le citalopram produit selon le procédé de Cipla violait les nouveaux brevets de Lundbeck. Puisque, pour se procurer le citalopram produit selon le nouveau procédé de Matrix, avec lequel il est finalement entré sur le marché, le groupe Alpharma avait besoin de passer par Tiefenbacher, qui était le distributeur de Matrix, l’argument de la Commission apparaît fondé.

153    Il s’ensuit que la circonstance selon laquelle le groupe Alpharma n’est pas entré sur le marché immédiatement après la période pertinente n’affecte pas l’appréciation portant sur la concurrence potentielle au moment de la conclusion de l’accord litigieux.

154    Dans ces circonstances il y a lieu de conclure que, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, même le passage au citalopram produit selon le procédé de Matrix, qui représentait la seconde hypothèse prise en compte au considérant 1035 de la décision attaquée, était pour le groupe Alpharma une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.

155    Puisque les considérations exposées aux points 85 à 154 ci-dessus permettent de considérer que le groupe Alpharma disposait d’au moins deux possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché et que ces possibilités faisaient en sorte qu’il exerçât une pression concurrentielle sur Lundbeck, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, dans la décision attaquée, la Commission a suffisamment examiné si le groupe Alpharma disposait également d’autres possibilités pour entrer sur le marché parmi les huit options envisagées au considérant 635 de la décision attaquée, ce que les requérantes contestent.

156    À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation par la Commission de la portée de l’accord litigieux

157    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que, par l’accord litigieux, le groupe Alpharma s’était engagé à ne vendre aucun citalopram générique pendant la période pertinente. La Commission n’aurait pas disposé d’éléments de preuve établissant que cet accord, au lieu de prévoir simplement que ledit groupe s’abstînt de vendre du citalopram générique produit en violation des brevets de Lundbeck, dont ceux repris dans l’annexe A, empêchait ce groupe de vendre également du citalopram ne contrefaisant aucun brevet de Lundbeck.

158    Selon les requérantes, si le libellé du point 1.1 (voir point 16, premier tiret, ci-dessus) n’est certes pas clair, ainsi que l’aurait admis la Commission pendant la procédure administrative, le contexte et les éléments de preuve disponibles permettent de conclure que le terme « Citalopram » qui y figure doit être interprété en ce sens qu’il ne vise que le citalopram contrefaisant les brevets de Lundbeck.

159    La Commission conteste les arguments des requérantes.

160    Avant d’examiner en détail les arguments des requérantes, il convient d’observer que les principes concernant la charge de la preuve ont été rappelés aux points 66 à 73 ci-dessus.

161    C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’établir si les requérantes ont présenté des éléments suffisants pour remettre en cause l’interprétation de l’accord litigieux retenue par la Commission, sur la base de preuves ayant trait au libellé de ses dispositions, à son préambule ainsi qu’au contexte dans lequel il est intervenu.

 Sur l’interprétation de l’accord litigieux

162    Notamment aux considérants 1042, 1059 et 1061 de la décision attaquée, la Commission a interprété le point 1.1 en ce sens que, par celui-ci, le groupe Alpharma s’était engagé à ne vendre aucun citalopram pendant la période pertinente ou, à tout le moins, avait accepté des limitations à ses possibilités de vendre du citalopram, qui dépassaient largement celles que Lundbeck aurait pu obtenir par la voie contentieuse sur la base de ses nouveaux brevets.

163    Afin d’étayer leur thèse selon laquelle les limitations apportées à leur comportement, que le groupe Alpharma a assumées en vertu du point 1.1, ne dépassaient pas celles inhérentes à l’obligation de respecter les brevets de Lundbeck, dont ceux listés à l’annexe A, les requérantes invoquent, notamment, en premier lieu, le libellé du point 1.1, en deuxième lieu, certains considérants du préambule, en troisième lieu, des circonstances relatives à la conclusion de l’accord litigieux, en quatrième lieu, l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002, en cinquième lieu, certains documents dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte et, en sixième lieu, la date de leur entrée sur le marché.

–       Sur le libellé du point 1.1

164    Il convient de rappeler que le point 1.1 stipule que le groupe Alpharma, y compris ses « [f]iliales », « annule, arrête et s’abstient de toute importation, […] production […] ou vente de produits pharmaceutiques contenant du Citalopram dans le Territoire […] pendant la [période pertinente] » et que Lundbeck retire l’action en contrefaçon RU. Il est y également précisé que ce point ne s’applique pas à « tout produit contenant de l’escitalopram ».

165    Selon les requérantes, tout d’abord, le fait que, dans ledit accord, en particulier au point 1.1, le mot « Citalopram » a été écrit avec un « c » majuscule signifie que les parties à cet accord ont voulu prendre une convention d’écriture, pour ne se référer qu’au citalopram contrefaisant les brevets de Lundbeck. Ensuite, elles soutiennent que l’existence d’une telle convention d’écriture est confirmée, a contrario, par le fait que, audit point, le mot « escitalopram » ne comporte pas d’« e » majuscule (voir point 16, deuxième tiret, ci-dessus). Enfin, elles font remarquer que, au sein du point 1.1, les termes « tout/toute » (« any » dans le texte original en anglais de l’accord litigieux) ne sont pas associés à « Citalopram », mais à l’importation, à la production et à la vente de « Citalopram ».

166    La Commission conteste les arguments des requérantes.

167    Il doit certes être admis que, comme le font observer les requérantes, l’accord litigieux, y compris au point 1.1, contient toujours le mot « Citalopram » écrit avec un « c » majuscule. De même, il est vrai que cet accord utilise des mots écrits avec la première lettre en majuscule lorsqu’il fait usage de conventions d’écriture, comme c’est le cas des mots « Territoire », au deuxième considérant du préambule, et « Filiales », au point 1.1. Cependant, ces conventions d’écriture sont prises de manière explicite, avec la définition précise de leur portée, fournie à l’endroit où elles apparaissent pour la première fois. Ainsi, il est clair que « Territoire » est un terme utilisé pour se référer à l’ensemble formé par les États membres, la Norvège et la Suisse, alors que le terme « Filiales » se réfère à toute société qui, directement ou indirectement, contrôle, est contrôlée ou se trouve sous contrôle commun avec Alpharma ApS.

168    En revanche, l’accord litigieux ne comporte aucune définition du terme « Citalopram » qui permettrait de lui attribuer une signification plus restreinte que celle propre à la dénomination commune internationale du citalopram, en tant qu’IPA, reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que le fait valoir la Commission.

169    Par ailleurs, comme l’a remarqué à juste titre la Commission au considérant 1050 de la décision attaquée et comme elle le fait valoir devant le Tribunal, déf 77 le fait que le point 1.1 prévoit, tout à la fin, qu’il ne s’applique pas à l’escitalopram confirme le fait que, lorsque les parties à cet accord ont voulu limiter la portée des obligations résultant dudit point, elles l’ont fait de manière explicite.

170    À cet égard, si l’absence, mise en avant par les requérantes, d’un « e » majuscule en ce qui concerne le mot « escitalopram » révèle une incohérence dans l’orthographe des mots utilisés dans l’accord litigieux pour se référer à des IPA, cependant, il y a lieu d’observer que cette circonstance ne suffit pas pour considérer que les parties à celui-ci aient voulu limiter la portée du mot « Citalopram ».

171    De même, si la remarque des requérantes concernant la position des mots « tout/toute » au sein du point 1.1 est certes correcte, il n’en reste pas moins que l’expression « produits pharmaceutiques contenant du Citalopram », bien qu’elle ne contienne pas le mot « tout » en association avec « Citalopram », a néanmoins une portée tellement générale qu’elle peut être interprétée en ce sens qu’elle ne vise pas seulement du citalopram produit selon des procédés dont il était reconnu qu’ils contrefaisaient les nouveaux brevets de Lundbeck.

172    Dès lors, les arguments des requérantes relatifs au libellé du point 1.1 doivent être rejetés.

–       Sur le préambule

173    Afin d’apprécier les arguments des requérantes relatifs au préambule, il convient de rappeler le contenu des premier, septième et huitième considérants de celui-ci.

174    Selon le premier considérant du préambule, « Lundbeck est titulaire de droits de propriété intellectuelle qui incluent, en particulier, des brevets concernant la production de l’IPA Citalopram, qui incluent les brevets repris dans l’annexe A ».

175    Il résulte du septième considérant du préambule que Lundbeck avait introduit l’action en contrefaçon RU « en cherchant à obtenir une injonction contre les ventes par [le groupe] Alpharma de produits contenant du Citalopram pour violation des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck ».

176    Enfin, il découle du huitième considérant du préambule que le groupe Alpharma reconnaît que les observations de Lundbeck relatives à l’infraction commise au détriment de ses brevets sont correctes et s’engage à ne pas mettre sur le marché « de tels produits ».

177    En premier lieu, les requérantes font valoir que, au premier considérant du préambule, le terme « Citalopram » est utilisé pour se référer au citalopram produit selon les procédés protégés par les brevets de Lundbeck dont la liste figure à l’annexe A.

178    La Commission conteste les arguments des requérantes.

179    Il doit être observé que, ainsi que l’a, en substance, relevé la Commission au considérant 1047 de la décision attaquée, la simple référence, au premier considérant du préambule, au fait que Lundbeck détient des brevets concernant le « Citalopram », dont ceux dont la liste figure à l’annexe A, ne permet pas de conclure que les parties à l’accord litigieux aient voulu, ne serait-ce que de manière implicite, y introduire une définition du mot « Citalopram » qui ne coïnciderait pas avec celle normalement attribuable au citalopram, sans « c » majuscule, c’est-à-dire un IPA, quel que soit le procédé utilisé pour le produire.

180    En second lieu, les requérantes essayent de se prévaloir des septième et huitième considérants du préambule, qui, lus conjointement, permettraient de conclure que le groupe Alpharma s’engageait à ne pas vendre le citalopram produit selon des procédés par rapport auxquels, d’une part, Lundbeck, dans le cadre de l’action en contrefaçon RU, avait invoqué le fait qu’ils violaient ses nouveaux brevets et, d’autre part, le groupe Alpharma avait reconnu le bien-fondé de la position de Lundbeck.

181    La Commission conteste les arguments des requérantes.

182    À cet égard, ainsi que l’a, en substance, fait remarquer la Commission aux considérants 1047 à 1049 de la décision attaquée et qu’elle le fait valoir devant le Tribunal, les septième et huitième considérants du préambule rappellent, certes, le contexte dans lequel l’accord litigieux est intervenu, mais ne sont pas déterminants afin de pouvoir attribuer au mot « Citalopram » une signification restreinte. En effet, d’une part, le septième considérant n’est pas libellé dans des termes définissant ledit mot, mais se réfère à la demande d’interdiction de vente de produits contenant du « Citalopram » en raison de la violation de brevets appartenant à Lundbeck. D’autre part, à supposer même que, au huitième considérant, l’expression « de tels produits » désigne uniquement les produits contenant le citalopram synthétisé suivant des procédés qui étaient visés par ladite demande et dont le groupe Alpharma admettait le caractère de produit contrefaisant les brevets de Lundbeck, cette circonstance ne permet pas de conclure que, au sein de l’accord litigieux entier, y compris le point 1.1, le mot « Citalopram » n’inclut que ces produits.

183    En l’absence de limitations claires de la signification du terme « Citalopram » découlant du préambule, il n’est pas possible de considérer que, par de simples références à des rappels des antécédents de la conclusion de l’accord litigieux, les parties à celui-ci aient voulu limiter la portée des obligations assumées par le groupe Alpharma au seul citalopram dont il était admis qu’il avait été produit en violation des nouveaux brevets de Lundbeck.

184    Les présents arguments des requérantes doivent donc être rejetés.

–        Sur certaines circonstances relatives à la conclusion de l’accord litigieux

185    Les requérantes soutiennent que l’accord litigieux a été, en substance, rédigé par Lundbeck et que, selon le droit danois, qui régit cet accord, les clauses ambiguës doivent être interprétées au détriment du rédacteur. Or, il serait évident que seule Lundbeck avait intérêt à ce que le groupe Alpharma assumât l’obligation contractuelle de ne vendre aucun citalopram pendant la période pertinente. Au demeurant, selon les requérantes, même cet intérêt de Lundbeck doit être nuancé, dès lors qu’il n’aurait pas été logique que celle-ci paye le groupe Alpharma pour s’abstenir de vendre du citalopram ne contrefaisant pas ses brevets alors que ce citalopram, à supposer qu’il existât, aurait en tout état de cause pu être mis sur le marché par d’autres entreprises de génériques.

186    La Commission conteste les arguments des requérantes.

187    À ce propos, il convient de constater qu’il résulte du dossier, notamment de plusieurs courriels internes du groupe Alpharma du 20 février 2002, figurant au dossier administratif et produits devant le Tribunal, que ce groupe a activement contribué à la rédaction de l’accord litigieux. En effet, ces courriels font état d’une version de l’accord litigieux retravaillée à la suite des commentaires de collaborateurs du groupe Alpharma et d’un conseiller externe de celui-ci. Il y a également été précisé que, puisque le texte modifié pouvait être différent de celui auquel Lundbeck s’attendait, au moment de le lui envoyer, il convenait de la prévenir du fait que des changements avaient été apportés.

188    Il s’ensuit que le présent argument des requérantes manque en fait, quels que soient le droit applicable et les conséquences pouvant en découler.

189    En tout état de cause, il doit être observé que non seulement Lundbeck, mais également le groupe Alpharma étaient des opérateurs économiques avertis et expérimentés dans le secteur pharmaceutique et avaient chargé du personnel et des conseillers qualifiés de la négociation de l’accord litigieux. Dès lors, il ne peut pas être présumé que les dispositions de celui-ci aient été rédigées de manière vague, et encore moins que d’éventuelles ambiguïtés dans ces dispositions aient poursuivi l’intérêt d’une seule partie. Le fait, également avancé par les requérantes, que la Commission, au cours de la procédure administrative, a demandé les observations de ces entreprises sur la portée de l’accord litigieux démontre que celle-ci a respecté le principe du contradictoire, mais n’a pas d’incidence sur le bien-fondé de l’interprétation du point 1.1 qu’elle a retenue dans la décision attaquée.

190    Enfin, quant au fait, invoqué par les requérantes, que d’autres entreprises de génériques aient pu écouler sur le marché des sortes de citalopram générique qui, selon elles, n’étaient pas couvertes par le point 1.1, il convient de relever que, tout en sachant qu’elle n’aurait pas pu éviter à jamais l’entrée de tout citalopram générique sur le marché, Lundbeck cherchait à retarder cette entrée. L’exclusion du groupe Alpharma, qui avait effectué de nombreuses démarches dans le but d’entrer sur le marché, faisait partie de cette stratégie.

191    Il s’ensuit que la portée de l’accord litigieux a été définie par les deux parties à celui-ci, lesquelles partageaient le but de parvenir à un accord mutuellement satisfaisant, ainsi que la Commission l’a, en substance, relevé aux considérants 1076 à 1079 de la décision attaquée.

192    Par conséquent, il y a lieu de rejeter les arguments des requérantes.

–       Sur l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002

193    Les requérantes invoquent l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002 (voir point 18 ci-dessus), dont le contenu serait pertinent pour interpréter le point 1.1, dans la mesure où cette ordonnance aurait été établie pour mettre fin à l’action en contrefaçon RU à la suite de la conclusion de l’accord litigieux. À ce propos, les requérantes soulignent que cette ordonnance, tout en prévoyant pour le groupe Alpharma des restrictions coïncidant, y compris du point de vue territorial, avec celle découlant dudit point, précise que la portée de ces restrictions est limitée aux « produits pharmaceutiques contenant du citalopram fait en utilisant tout procédé couvert par [les nouveaux brevets de Lundbeck] ». Par ailleurs, les requérantes critiquent la thèse, retenue dans la décision attaquée, selon laquelle l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002 a été rédigée dans des termes moins restrictifs que ceux du point 1.1 au motif que, autrement, il aurait été difficile qu’un juge l’approuve.

194    La Commission conteste les arguments des requérantes.

195    À cet égard, il est certes vrai que l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002 est libellée dans les termes rappelés par les requérantes, qui comportent clairement des limitations du comportement du groupe Alpharma moins étendues que celles découlant du point 1.1, tel qu’interprété par la Commission dans la décision attaquée.

196    Il est également vrai qu’il existe un lien entre cette ordonnance et l’accord litigieux. En effet, celle-ci a été adoptée pour suspendre l’action en contrefaçon RU, précisément au motif que ledit accord avait été conclu.

197    Néanmoins, ces éléments ne suffisent pas pour retenir une interprétation du point 1.1 qui coïnciderait avec la portée de ladite ordonnance.

198    En effet, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 1054 de la décision attaquée, il s’agit de deux instruments juridiques séparés. Ce qui compte, pour que l’accord litigieux ait pu constituer la raison d’être de l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002, est que les obligations acceptées par le groupe Alpharma en vertu de l’accord litigieux suffisent pour que, pendant la durée de celui-ci, Lundbeck n’ait plus eu d’intérêt à poursuivre l’action en contrefaçon RU, qui était limitée à la question de savoir si le groupe Alpharma était déjà en train de violer les nouveaux brevets de Lundbeck. Or, cette condition est remplie même si la portée de l’accord litigieux dépasse celle de ladite ordonnance.

199    Par ailleurs, dès lors qu’il n’était pas nécessaire de dévoiler à la juridiction nationale ayant adopté l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002 quelle était la portée exacte de l’accord litigieux, il est tout à fait raisonnable que Lundbeck et le groupe Alpharma se soient limités à reprendre, dans le texte de l’ordonnance qu’ils lui avaient soumis, seulement les obligations découlant de cet accord qui étaient pertinentes aux fins de la procédure sur l’action en contrefaçon RU. Du reste, l’absence de correspondance directe entre l’accord litigieux et l’ordonnance du 2 mai 2002 est confirmée par le fait que cette dernière ne fait aucune mention du fait que cet accord prévoyait un paiement en faveur du groupe Alpharma, alors qu’il s’agissait d’un élément fondamental pour la conclusion de celui-ci.

200    Il s’ensuit que l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002 ne permet pas d’interpréter le point 1.1 dans le sens préconisé par les requérantes.

201    Les présents arguments des requérantes ne sauraient donc prospérer.

–       Sur certains documents dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte

202    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir dûment tenu compte de plusieurs documents, rédigés juste avant ou à la suite de la conclusion de l’accord litigieux, qui étayeraient l’interprétation du point 1.1 qu’elles avancent.

203    En premier lieu, les requérantes citent le courriel du 19 février 2002 (voir point 85 ci-dessus). Elles font valoir que le directeur général du groupe Alpharma chargé du dossier pertinent y a mentionné non seulement la possibilité de conclure un accord avec Lundbeck, mais aussi celle d’entrer sur le marché, dans un délai de trois à quatre mois, avec des comprimés de citalopram que Tiefenbacher pouvait fournir au groupe Alpharma à partir de l’IPA de Matrix. Selon les requérantes, il ne s’agirait pas nécessairement d’options de remplacement, comme l’a estimé la Commission dans la décision attaquée, mais d’options cumulatives, pourvu que le groupe Alpharma puisse effectivement obtenir cet IPA.

204    La Commission conteste les arguments des requérantes.

205    À cet égard, il découle du texte même du courriel du 19 février 2002 que l’auteur de celui-ci présentait la négociation avec Lundbeck et l’entrée sur le marché, y compris avec l’IPA de Matrix, comme étant des options exclusives, et non comme des options cumulatives.

206    Cette conclusion est corroborée par le fait que, ainsi que le fait observer la Commission, l’auteur du courriel du 19 février 2002, dans le courriel du 14 février 2002 (voir point 105 ci-dessus), avait expliqué à une de ses collègues que, à ce moment-là, le groupe Alpharma jouait une stratégie double, comme en témoigne l’expression « we are riding two horses » (nous courons deux lièvres à la fois), consistant, d’une part, à préparer le lancement du citalopram dans plusieurs pays de l’EEE et, d’autre part, à négocier avec Lundbeck, et que, la semaine suivante, il serait probablement nécessaire de prendre une décision. À ce propos, il précisait que, pour prendre la meilleure décision possible, il avait besoin de recevoir une description de la situation du point de vue juridique dans lesdits pays et des risques auxquels le groupe Alpharma était exposé.

207    Par conséquent, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le courriel du 19 février 2002 permet de conclure que l’accord litigieux a été rédigé dans des termes laissant ouverte la possibilité d’entrer sur le marché avec du citalopram considéré comme ne contrefaisant pas les nouveaux brevets de Lundbeck.

208    En deuxième lieu, les requérantes se prévalent d’une déclaration que le directeur général du groupe Alpharma ayant rédigé le courriel du 19 février 2002 a faite à la presse le 28 février 2002 (ci-après la « déclaration du 28 février 2002 »). Cette déclaration mentionnerait le fait que le lancement du citalopram générique était reporté, mais qu’il n’était pas exclu qu’il puisse avoir lieu à la fin des congés d’été, si les difficultés découlant des nouveaux brevets de Lundbeck étaient entre-temps résolues. Dès lors que la période pertinente s’est étendue bien au-delà desdits congés, cette déclaration confirmerait que le point 1.1 n’empêchait pas le groupe Alpharma de vendre tout citalopram pendant cette période.

209    La Commission conteste les arguments des requérantes.

210    Il convient d’observer que, par la déclaration du 28 février 2002, en substance, le groupe Alpharma a annoncé à la presse qu’il reportait les ventes du citalopram à tout le moins jusqu’à la fin de la période des congés d’été et qu’il pourrait, le cas échéant, abandonner le projet concernant ces ventes, au motif que son stock posait problème au regard des brevets de Lundbeck. Il a ajouté qu’il devait chercher un autre producteur d’IPA et obtenir les autorisations nécessaires.

211    Il doit être noté que, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 1055 de la décision attaquée, cette déclaration, qui est postérieure à la conclusion de l’accord litigieux, fait apparaître la modification des plans du groupe Alpharma comme étant la conséquence d’une décision unilatérale de sa part, indépendante des paiements prévus dans l’accord litigieux. Dès lors, les considérations exposées aux points 110 à 114 ci-dessus au sujet de la déclaration du 29 mai 2002 sont applicables par analogie. Il en découle que la déclaration du 28 février 2002 n’est pas un élément de contexte important afin d’interpréter la portée de l’accord litigieux.

212    En tout état de cause, il doit être observé que, si le groupe Alpharma a mentionné l’éventualité d’entrer sur le marché après l’été, il a également évoqué la possibilité de renoncer au projet, possibilité qui est conforme à l’interprétation de l’accord litigieux retenue par la Commission.

213    Dans ces circonstances, cette déclaration ne permet pas de conclure que le point 1.1 ne concernait que le citalopram produit selon des procédés dont le caractère de contrefaçon était admis.

214    En troisième lieu, les requérantes se réfèrent à un courriel du 12 mars 2002 d’un cadre de Lundbeck impliqué dans le dossier pertinent (ci-après le « courriel du 12 mars 2002 »), cité au considérant 1056 de la décision attaquée. Ce cadre y a affirmé que, bien qu’il existât de nombreuses incertitudes, il ne pensait pas que le groupe Alpharma entrerait sur le marché du Royaume-Uni avec du citalopram générique dans un avenir prévisible. Selon les requérantes, n’étant pas envisageable que le groupe Alpharma viole l’accord litigieux, aucune incertitude n’aurait existé si le point 1.1 avait la portée que la Commission lui attribue. À leur avis, ces incertitudes avaient trait à la possibilité que le groupe Alpharma se procurât du citalopram ne contrefaisant pas les nouveaux brevets de Lundbeck.

215    La Commission conteste les arguments des requérantes.

216    Ainsi que le fait observer la Commission, ledit courriel constitue la réponse à un autre courriel faisant état d’une liste de prix de la part du groupe Alpharma au sujet du citalopram et demandant au destinataire de ce courriel de vérifier auprès de ce groupe ce qu’il en était. Selon la Commission, puisque, dans sa réponse à cette demande, l’auteur du courriel du 12 mars 2002 indique qu’il s’agissait probablement d’une vieille liste de prix et précise ne pas avoir contacté le groupe Alpharma sur cette question, rien dans ce courriel ne remet en cause l’interprétation de la portée de l’accord litigieux retenue dans la décision attaquée.

217    Or, si l’accord litigieux avait une portée limitée au citalopram produit selon le procédé de Cipla, que le groupe Alpharma avait déjà reçu ou commandé, Lundbeck aurait dû s’inquiéter de ladite liste de prix, si bien que l’auteur du courriel du 12 mars 2002 aurait probablement pris des initiatives pour établir si ce groupe avait déjà pu se procurer du citalopram produit selon d’autres procédés, qui n’aurait pas été couvert par les obligations découlant de l’accord litigieux ainsi interprété. Dès lors, le fait que l’auteur dudit courriel n’ait pas donné de suite à la demande qu’il avait reçue de son collègue tout en affirmant qu’il ne pensait pas que le groupe Alpharma entrerait sur le marché dans un avenir prévisible conduit à considérer qu’il estimait que l’accord litigieux ne concernait pas que le citalopram produit selon le procédé de Cipla.

218    Cependant, dès lors qu’il ne s’agit que d’hypothèses, il convient de relever que le courriel du 12 mars 2002 ne permet pas de tirer de véritables conclusions sur la portée de l’accord litigieux. À cet égard, il doit être noté que la Commission ne s’est pas fondée sur ce courriel pour étayer son interprétation, mais l’a seulement mentionné dans la décision attaquée pour rejeter un argument que les requérantes cherchaient à tirer dudit courriel au soutien de leur interprétation de l’accord litigieux.

219    En quatrième lieu, les requérantes contestent le fait que l’interprétation du point 1.1 retenue par la Commission soit confirmée par le courriel d’un collaborateur du groupe Alpharma du 20 février 2002 (ci-après le « courriel du 20 février 2002 »), selon lequel il manquait dans l’accord litigieux une clause précisant que Lundbeck ne s’opposerait pas à l’entrée dudit groupe sur le marché après l’expiration de cet accord. En effet, cette affirmation ne signifierait pas que, jusqu’à cette expiration, le groupe Alpharma devait rester en dehors du marché. Elles font observer que ce collaborateur était en congé lors de la conclusion de l’accord litigieux et qu’il s’est exprimé sur une ébauche non connue de cet accord.

220    La Commission conteste les arguments des requérantes.

221    Il y a lieu de rappeler que, selon l’extrait du courriel du 20 février 2002 repris au considérant 1051 de la décision attaquée, le directeur PI (voir point 119 ci-dessus) s’est exprimé sur la version du projet de l’accord litigieux qui lui avait été soumise en faisant remarquer ce qui suit :

« Il manque quelque chose stipulant que Lundbeck ne continuera pas à invoquer le même argument après juin 2003. Si nous décidons par exemple d’acheter l’IPA de Matrix et si nous sommes libérés du brevet de Lundbeck, je ne veux pas être entraîné une fois de plus dans le même cirque. »

222    Le texte intégral de ce courriel, qui figure au dossier de la Commission et qui a été produit devant le Tribunal, démontre que le directeur PI en cause a proposé d’ajouter au préambule le considérant suivant :

« Considérant que Lundbeck a accepté de ne pas demander d’injonction ou de poursuivre [le groupe] Alpharma pour la production, l’importation, la vente, etc. de produit[s] contenant du Citalopram après la terminaison de ce contrat. »

223    S’il est vrai qu’un considérant tel que mentionné au point 222 ci-dessus ne figure pas dans l’accord litigieux, il n’en reste pas moins que le directeur PI estimait que la version de l’accord litigieux sur laquelle il se prononçait comportait l’obligation pour le groupe Alpharma de rester en dehors du marché, pendant la période pertinente, non seulement avec le citalopram produit selon le procédé de Cipla, qu’il avait déjà reçu ou commandé, mais également avec du citalopram produit selon d’autres procédés, dont celui de Matrix, qui était considéré comme n’étant pas problématique à l’égard des nouveaux brevets de Lundbeck (voir point 85, cinquième tiret, ci-dessus).

224    Certes, les requérantes font observer à juste titre que ni la Commission ni le Tribunal ne disposent de la version de l’accord litigieux sur laquelle le directeur PI s’est prononcé.

225    Ainsi, il n’est pas possible d’établir si le point 1.1 figurant dans ladite version correspondait à celui figurant dans l’accord litigieux dans sa version définitive.

226    Toutefois, il y a lieu de relever que, au vu de la préoccupation exprimée dans le courriel du 20 février 2002, il est évident que le terme « Citalopram » a été utilisé par le directeur PI pour viser également le citalopram produit selon le procédé de Matrix. Par ailleurs, la collaboratrice du groupe Alpharma qui était destinataire de ce courriel a répondu que l’accord litigieux était en cours de révision et qu’elle en attendait une nouvelle version.

227    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que, si les parties à cet accord avaient voulu, lors des dernières révisions de celui-ci, attribuer au terme « Citalopram » une signification restreinte, elles l’auraient fait explicitement, alors que tel n’a pas été le cas.

228    Quant à l’argument des requérantes selon lequel le directeur PI auteur du courriel du 20 février 2002 était en congé pendant la négociation de l’accord litigieux, il doit être observé qu’il ressort du dossier qu’il n’était pas en congé le 18 février 2002, lorsqu’il a répondu à un courriel qui lui avait été adressé le 13 février 2002. Dès lors, c’est en pleine connaissance de cause qu’il a rédigé le courriel du 20 février 2002. Par ailleurs, il y a lieu de tenir compte du fait que, ainsi que la Commission le soutient en s’appuyant sur deux courriels du groupe Alpharma des 23 et 24 janvier 2002 figurant au dossier de la Commission et produits devant le Tribunal, ledit directeur était l’expert d’Alpharma en matière de brevets. Dès lors, il n’est pas envisageable qu’il ait été tenu à l’écart de cette négociation.

229    Par conséquent, il convient de confirmer la conclusion, ressortant du considérant 1051 de la décision attaquée, selon laquelle le courriel du 20 février 2002 est un élément important permettant de considérer que l’accord litigieux doit être interprété en ce sens que les obligations assumées par le groupe Alpharma au point 1.1 n’étaient pas limitées au citalopram produit selon des procédés dont il était admis qu’ils contrefaisaient les nouveaux brevets de Lundbeck.

230    Les présents arguments des requérantes doivent donc être rejetés.

231    En cinquième lieu, selon les requérantes, l’interprétation du point 1.1 n’est pas influencée par le fait que, dans un courriel du 6 novembre 2002 adressé à un employé du groupe Alpharma (ci-après le « courriel du 6 novembre 2002 »), un employé de Lundbeck a déclaré partir du principe que les comprimés qui, conformément au point 2.2 de cet accord (voir point 16, dernier tiret, ci-dessus), devaient être livrés à Lundbeck avaient été produits par Tiefenbacher avec l’IPA provenant de Matrix, et non de Cipla. En effet, compte tenu du fort retard avec lequel le groupe Alpharma s’apprêtait à livrer à Lundbeck la dernière partie du stock qu’il avait commandé auprès de Tiefenbacher, il aurait été normal que Lundbeck pose la question de savoir si Tiefenbacher avait changé de producteur d’IPA.

232    La Commission conteste les arguments des requérantes.

233    À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi que la Commission l’a reconnu lors de l’audience, le courriel du 6 novembre 2002 est le même document que celui qui est mentionné aux considérants 543 et 1051 de la décision attaquée, avec la date erronée du 7 novembre 2002.

234    En outre, il doit être rappelé que, selon le point 2.2 de l’accord litigieux, au plus tard le 31 mars 2002, le groupe Alpharma devait livrer à Lundbeck l’entièreté du stock de produits contenant du « Citalopram » dont elle aurait disposé à cette date.

235    Il résulte du dossier que cette livraison a pris du retard, si bien que, en novembre 2002, cette obligation n’avait pas encore été entièrement exécutée.

236    C’est dans ce contexte que, en réaction à un courriel du groupe Alpharma annonçant une livraison pour la fin du mois, Lundbeck, dans le courriel du 6 novembre 2002, a affirmé partir du principe que cette livraison concernerait des comprimés contenant du citalopram produit selon le nouveau procédé de Matrix.

237    Puisque, par cette livraison, il s’agissait d’exécuter, en retard, l’obligation inscrite au point 2.2 de l’accord litigieux, qui contient le même terme « Citalopram » que celui utilisé au point 1.1, la Commission pouvait logiquement en tirer la conclusion que le courriel du 6 novembre 2002 étayait son interprétation de la portée de cette dernière clause, qui ne se limitait donc pas au citalopram produit selon le procédé de Cipla, dont le caractère contrefaisant était admis par les parties à cet accord.

238    À cet égard, il convient d’admettre que, du point de vue quantitatif, il s’agissait des comprimés que le groupe Alpharma avait déjà commandés auprès de Tiefenbacher avant de conclure l’accord litigieux. Cependant, du point de vue qualitatif, il est évident que, si cet accord avait eu la portée que les requérantes invoquent, il n’aurait pas pu constituer le fondement de cette livraison. En effet, si le but de l’accord litigieux avait été limité à ce que le groupe Alpharma livre à Lundbeck des comprimés de citalopram dont les parties admettaient qu’il contrefaisait les nouveaux brevets de Lundbeck, cet accord n’aurait pas pu justifier la livraison de comprimés de citalopram produit selon un procédé, celui de Matrix, que les parties ne considéraient pas comme contrefaisant ces brevets.

239    Il s’ensuit que le courriel du 6 novembre 2002 s’oppose à l’interprétation du point 1.1 préconisée par les requérantes, ainsi que l’a, en substance, relevé la Commission au considérant 1051 de la décision attaquée.

240    Au vu de toutes les observations qui précèdent concernant les documents invoqués par les requérantes, il y a lieu de conclure qu’aucun de ceux-ci n’étaye l’interprétation restreinte des obligations contenues au point 1.1 invoquée par celles-ci.

–       Sur la date à laquelle le groupe Alpharma est entré sur le marché

241    Les requérantes font remarquer que le groupe Alpharma n’est pas entré sur le marché dès l’expiration de l’accord litigieux, le 30 juin 2003, mais seulement à partir d’août 2003, ce qui signifierait que ce n’étaient pas les obligations assumées au point 1.1 qui l’avaient empêché de le faire plus tôt. Selon elles, même à l’issue de la période pertinente, il existait des doutes quant à la possibilité de vendre du citalopram générique sans contrefaire les nouveaux brevets de Lundbeck. En particulier, il n’aurait pas été certain que le procédé de Matrix eût respecté ces brevets.

242    La Commission conteste les arguments des requérantes.

243    À cet égard, il convient de noter que les considérations exposées aux points 151 à 153 ci-dessus permettent de conclure que la circonstance selon laquelle le groupe Alpharma n’est pas entré sur le marché immédiatement après la période pertinente n’affecte pas l’interprétation à donner au point 1.1. En effet, d’autres raisons que les doutes invoqués par les requérantes expliquent que cette entrée ait connu un retard ultérieur. Par ailleurs, l’existence éventuelle d’incertitudes quant au caractère contrefaisant du procédé de Matrix ne remet pas en cause le fait que l’accord litigieux a permis à Lundbeck d’obtenir la certitude que les requérantes n’entreraient pas sur le marché, pendant la période pertinente, avec le citalopram produit selon le procédé de Matrix.

 Conclusions sur la portée des obligations assumées par le groupe Alpharma

244    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de retenir que la Commission a prouvé à suffisance de droit que l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’accord litigieux permettait de conclure que les obligations assumées par le groupe Alpharma en vertu du point 1.1 n’étaient pas limitées au citalopram produit selon des procédés dont ce groupe et Lundbeck avaient admis le caractère de contrefaçon des nouveaux brevets de cette dernière. En effet, ces obligations concernaient non seulement le citalopram que le groupe Alpharma avait déjà en stock, produit selon le procédé de Cipla, mais également le citalopram qu’il avait commandé ou aurait commandé auprès de Tiefenbacher, indépendamment du procédé utilisé par le producteur d’IPA approvisionnant cette dernière.

245    Cette interprétation du point 1.1 suffit pour considérer que les obligations qui y sont assumées par le groupe Alpharma dépassent celles que Lundbeck aurait pu obtenir en application de ses nouveaux brevets.

246    Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner si, ainsi que l’a soutenu la Commission aux considérants 1062 à 1064 de la décision attaquée et ainsi qu’elle le fait valoir devant le Tribunal, le fait que le point 1.2 de l’accord litigieux (voir point 16, troisième tiret, ci-dessus) stipule que le groupe Alpharma accepte de se soumettre volontairement à une injonction provisoire non seulement « [e]n cas de toute violation de l’obligation établie [au point 1.1] », mais aussi « à la demande de Lundbeck » permet de conclure que cette dernière disposait d’un droit de véto sur toute vente de citalopram générique de la part de ce groupe pendant la période pertinente.

247    Dès lors que les requérantes n’ont pas réussi à réfuter les éléments ayant permis à la Commission de prouver que l’accord litigieux comportait pour le groupe Alpharma des restrictions dépassant celles que Lundbeck aurait pu obtenir en s’appuyant sur ses nouveaux brevets et en obtenant gain de cause en cas de contentieux à cet égard, le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification de l’accord litigieux de restriction de la concurrence par objet

248    Les requérantes font valoir que l’accord litigieux ne rentre pas dans la notion de restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE, laquelle serait d’interprétation restrictive, ainsi que cela résulterait de l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204).

249    La Commission conteste les arguments des requérantes.

250    Avant d’examiner plus en détail les arguments des requérantes, il y a lieu de formuler des observations liminaires relatives, notamment, à l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), et de rappeler brièvement l’analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet effectuée dans la décision attaquée.

 Observations liminaires

251    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit ce qui suit :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

252    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359 et 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

253    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 252 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

254    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

255    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 252 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

256    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 252 supra, EU:C:2013:160, point 36, et CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 53).

257    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 252 supra, EU:C:2013:160, point 37, et CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 54).

 Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

258    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords en cause constituaient des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords.

259    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords en cause avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires avaient expiré avant la conclusion de ces accords, mais que Lundbeck avait entre-temps obtenu ou demandé plusieurs brevets de procédé, dont ceux sur la cristallisation. La Commission a observé, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties à un accord en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci à son titulaire (considérant 638 de la décision attaquée).

260    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords amiables en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un paiement inversé (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

261    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords en cause entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché du citalopram générique produit par un procédé jugé par les parties à ceux-ci comme contrefaisant potentiellement ces brevets, sans viser tout citalopram générique, ces accords seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

262    En d’autres termes, selon la Commission, les accords en cause avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties à ces accords, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé prévu qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

263    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de cette disposition, en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

264    En ce qui concerne plus spécifiquement la qualification de l’accord litigieux, les principaux éléments sur lesquels la Commission s’est fondée sont ceux mentionnés au point 32 ci-dessus.

265    C’est à la lumière des principes et des considérations qui viennent d’être exposés qu’il y a lieu d’examiner si, comme le font valoir les requérantes, la Commission a commis des erreurs en concluant que l’accord litigieux était une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

 Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

266    Il convient de rappeler qu’il résulte de l’examen des premier et deuxième moyens que, d’une part, par l’accord litigieux, le groupe Alpharma s’est engagé à ne pas entrer sur le marché pendant la période pertinente, aux conditions visées au point 244 ci-dessus, et ce en contrepartie des montants que Lundbeck lui a payés, et, d’autre part, le groupe Alpharma était un concurrent potentiel de Lundbeck.

267    Or, ainsi que la Commission l’a pertinemment mis en exergue aux considérants 1300, 1331, 1332, 1338, 1361 et 1362 de la décision attaquée, il s’agit là, en substance, d’un accord d’exclusion du marché. Un tel accord se rapproche largement de deux exemples d’accords particulièrement restrictifs visés par la liste non exhaustive contenue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, c’est-à-dire ceux y figurant sous b) et c) (voir point 251 ci-dessus), puisqu’une exclusion du marché est une forme extrême de la volonté de se répartir un marché et de limiter la production.

268    Par ailleurs, à supposer même que, comme le prétendent les requérantes, la portée de l’accord litigieux coïncidât avec celle des nouveaux brevets de Lundbeck, cette circonstance serait sans incidence sur la possibilité, visée au considérant 1035 de la décision attaquée, que le groupe Alpharma entrât sur le marché avec les comprimés qu’il avait déjà reçus ou commandés (voir point 83 ci-dessus), si bien que la Commission aurait en tout état de cause été fondée à considérer que l’accord litigieux était une restriction de la concurrence par objet. En effet, même si cette hypothèse était retenue, il devrait être conclu que le groupe Alpharma avait renoncé, en contrepartie d’un paiement inversé, à la possibilité d’intégrer le marché avec le citalopram produit selon le procédé de Cipla, qui était censé contrefaire un brevet à l’égard duquel il existait des chances raisonnables qu’il pût être déclaré invalide. Or, cette possibilité était réelle et concrète pour le groupe Alpharma, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen, si bien que le paiement a été déterminant dans son choix de renoncer à celle-ci.

269    Dès lors, la Commission, qui supporte la charge de la preuve selon la jurisprudence rappelée aux points 66 à 73 ci-dessus, disposait d’éléments suffisants pour qualifier l’accord litigieux de restriction par objet, à moins que d’autres éléments ayant trait à ses objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, ne lui eussent permis d’exclure que celui-ci fût suffisamment nocif pour la concurrence.

270    Il est certes vrai que, comme l’avancent les requérantes, à cette fin, dans la décision attaquée, la Commission s’est référée à l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), qui avait à tort conclu que la notion de restriction par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive.

271    Néanmoins, la Commission s’est également appuyée sur la jurisprudence précédente, que l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), n’a pas remise en cause.

272    Certes, dans l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a rejeté l’analyse du Tribunal effectuée dans l’arrêt CB/Commission, point 270 supra (EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. En effet, elle a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 58).

273    Cependant, il n’en découle pas que la Commission était obligée d’examiner les effets de l’accord litigieux si elle était en mesure d’établir, à suffisance de droit, que celui-ci pouvait être considéré de par son contenu, la portée de ses dispositions et ses objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme suffisamment nocif pour la concurrence (voir points 254 à 256 ci-dessus).

274    Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner si, comme le soutiennent les requérantes, les conclusions auxquelles la Commission est parvenue en ce qui concerne le contexte dans lequel l’accord litigieux était intervenu remettent en cause la qualification de celui-ci retenue dans la décision attaquée.

–       Sur la qualification de l’accord litigieux de règlement amiable

275    Les requérantes affirment que l’accord litigieux avait pour finalité objective de résoudre un véritable litige, celui concernant l’action en contrefaçon RU et portant notamment sur ce qu’il convenait de faire avec les comprimés de citalopram que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés.

276    La Commission conteste les arguments des requérantes.

277    À titre liminaire, il convient d’observer qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 254 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée). De même, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15).

278    Ensuite, il doit être rappelé que l’examen du premier moyen a permis d’établir que l’accord litigieux avait une portée plus étendue que celle de l’action en contrefaçon RU, qui concernait spécifiquement les comprimés que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés.

279    En tout état de cause, cette action a simplement été suspendue pendant la période pertinente, sans aucune garantie qu’elle soit retirée à l’issue de celle-ci. En effet, l’accord litigieux ne prévoit aucunement que Lundbeck s’abstienne de poursuivre le groupe Alpharma pour contrefaçon de ses nouveaux brevets par la suite. De plus, il résulte de la déclaration de Lundbeck reprise au considérant 80 de la décision attaquée que celle-ci ne considérait pas que les accords en cause, dont l’accord litigieux, mettaient fin à un litige.

280    Par ailleurs, il convient de rappeler que la Commission n’a pas constaté que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant semblait correspondre aux bénéfices escomptés par l’entreprise de génériques, suffisait pour établir une violation des règles du traité sur la libre concurrence en l’espèce. Au contraire, la Commission a estimé que des accords amiables contenant certains paiements, même inversés, n’étaient pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, tant que de tels paiements étaient liés à la force du brevet concerné, telle que perçue par chacune des parties, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab Ltd, avec laquelle Lundbeck avait conclu un accord amiable, qui n’avait pas été considéré comme problématique, alors même qu’il impliquait un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab avait eu lieu en échange d’un engagement de la part de celle-ci à ne pas demander de dommages-intérêts devant les juridictions compétentes et en échange du fait que Lundbeck avait renoncé à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, le paiement inversé avait effectivement eu pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

281    S’il est vrai que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les mêmes parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une entreprise de génériques, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné à ce que Lundbeck versât des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck eut finalement décidé de régler son litige avec Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à obtenir des dommages-intérêts, ce qui avait nécessité d’obtenir au préalable l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck avait préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement à l’accord litigieux, le paiement inversé effectué par Lundbeck ne constituait pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement à ne pas entraver l’entrée sur le marché des génériques.

282    Or, rien de tel ne s’est produit en l’espèce. Partant, la Commission pouvait sanctionner l’accord litigieux sans que cela revînt à exclure toute possibilité que des litiges en matière de brevet fussent réglés à l’amiable, de manière compatible avec le droit de la concurrence.

283    Dès lors, les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

–       Sur l’absence de certitude en ce qui concerne l’issue d’un éventuel contentieux en matière de brevets

284    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir établi avec certitude que le groupe Alpharma l’emporterait dans un éventuel contentieux avec Lundbeck en matière de brevets.

285    La Commission conteste les arguments des requérantes.

286    À cet égard, il suffit d’observer qu’un accord peut avoir un objet restrictif alors même qu’il ne restreint que la concurrence potentielle.

287    Or, il a été retenu dans le cadre de l’examen du deuxième moyen que le groupe Alpharma disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché au lieu de conclure l’accord litigieux, si bien qu’il était un concurrent potentiel de Lundbeck. Dès lors, il n’était aucunement nécessaire que la Commission établît avec certitude que le groupe Alpharma l’aurait emporté s’il avait choisi la voie contentieuse.

288    En réalité, cet argument vise à remettre en cause la distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle, dans la mesure où, selon les requérantes, aucune concurrence potentielle ne saurait exister tant qu’il ne serait pas démontré de manière absolument certaine que, en l’absence de l’accord litigieux, le groupe Alpharma serait effectivement entré sur le marché avec son citalopram générique, le cas échéant, après avoir obtenu gain de cause dans le cadre des litiges qui auraient pu survenir entre celui-ci et Lundbeck. Or, un tel argument a déjà été rejeté dans le cadre de l’examen du deuxième moyen.

289    Partant, le présent argument des requérantes est dépourvu de fondement.

–       Sur les montants des paiements effectués par Lundbeck

290    Selon les requérantes, la somme que le groupe Alpharma a reçue de Lundbeck en vertu de l’accord litigieux était bien inférieure au bénéfice que celui-ci espérait réaliser par la vente des comprimés de citalopram qu’il avait déjà reçus ou commandés. En effet, la Commission aurait omis de tenir compte des prix de vente publiés par le groupe Alpharma, en application desquels il aurait pu obtenir 17,1 millions de USD. En tout état de cause, même si le bénéfice que le groupe Alpharma aurait pu obtenir en entrant sur le marché pouvait être estimé à 10 millions de USD, comme le prétend la Commission sur la base du courriel du 19 février 2002, l’accord litigieux aurait donné lieu à un bénéfice inférieur, dès lors qu’il faudrait soustraire au montant payé par Lundbeck les coûts déjà exposés par le groupe Alpharma, qui, au demeurant, seraient difficiles à estimer en raison de la longueur de l’enquête de la Commission, mais qui réduiraient le bénéfice découlant dudit accord à 7,7 millions de USD tout au plus.

291    Le fait que le bénéfice réalisé en vertu de l’accord litigieux ait été inférieur au bénéfice attendu par l’entrée du groupe Alpharma sur le marché démontrerait que celui-ci était très préoccupé par le risque de violer les nouveaux brevets de Lundbeck, si bien que les raisons de la conclusion de l’accord litigieux résideraient, en grand partie, dans la force des brevets de cette dernière, et non dans les paiements reçus par ce groupe.

292    La Commission conteste les arguments des requérantes.

293    En premier lieu, il convient de relever que, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, les requérantes ne sont pas fondées à invoquer des bénéfices attendus s’élevant à 17,1 millions de USD. En effet, tout d’abord, il doit être noté que le montant envisagé par les requérantes est un chiffre d’affaire, et non un bénéfice. Ensuite, le nouveau calcul des requérantes se fonde sur des prix au détail se rapportant uniquement au Royaume-Uni et concernant seulement un mois, ce qui n’est pas une base fiable. Enfin, et surtout, la thèse proposée à présent par les requérantes contredit le courriel du 19 février 2002, où il est affirmé que le bénéfice net attendu de l’entrée sur le marché était de 10 millions de USD. Ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission dans la note en bas de page n° 1865 de la décision attaquée, il doit être considéré que l’appréciation formulée par le directeur général du groupe Alpharma auteur de ce courriel, trois jours avant la conclusion de l’accord litigieux, constitue clairement l’indication la plus fiable à cet égard, rédigée in tempore non suspecto.

294    En deuxième lieu, il convient d’observer que la somme des paiements effectués par Lundbeck au profit du groupe Alpharma en vertu du point 1.3 de l’accord litigieux, soit 12 millions de USD, dont 11 millions comme « compensation » du fait que ce dernier acceptait de livrer à Lundbeck les comprimés de citalopram qu’il avait déjà reçus ou commandés, correspond, en substance, au bénéfice estimé dans le courriel du 19 février 2002.

295    À cet égard, il doit être rappelé que, ainsi que cela résulte du courriel interne du groupe Alpharma cité au considérant 1077 de la décision attaquée, le 21 janvier 2002, celui-ci envisageait de conclure un accord avec Lundbeck notamment dans l’hypothèse où celle-ci aurait accepté de payer une somme comprise entre 18 et 20 millions de USD. Le fait que, un mois plus tard, le groupe Alpharma a signé un accord comportant un paiement moins élevé montre que, probablement en raison des informations obtenues entre-temps quant aux risques de contrefaçon et aux chances d’obtenir l’invalidité du brevet sur la cristallisation, il avait revu ses conditions à la baisse, tout en gardant un bénéfice important.

296    En troisième lieu, il doit être relevé que, ainsi que cela résulte des explications que Lundbeck a fournies à la Commission, telles que reprises au considérant 526 de la décision attaquée, la somme de 12 millions de USD prévue dans l’accord litigieux était payée « à la place des dommage-intérêts que [le groupe] Alpharma aurait pu obtenir dans l’hypothèse où ses produits contenant du citalopram auraient été non infractionnels ». Au considérant 1071 de la décision attaquée, la Commission a remarqué à juste titre que cette référence aux dommages-intérêts impliquait que le montant du paiement effectué par Lundbeck était lié aux profits attendus par le groupe Alpharma. En effet, l’importance de ces dommages-intérêts dépendait nécessairement de celle des profits que ledit groupe aurait pu réaliser par ses ventes de citalopram générique.

297    En quatrième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel il faudrait soustraire à la somme payée par Lundbeck les coûts que le groupe Alpharma avait encourus, dont en particulier ceux de 3,9 millions de USD, équivalant à 3,7 millions d’euros, pour acheter ou commander du citalopram, il doit être relevé, tout d’abord, que ces coûts n’ont pas été exposés aux fins de la conclusion de l’accord litigieux, si bien qu’ils ne doivent pas être déduits du bénéfice que celui-ci a engendré pour ce groupe.

298    Ensuite, à supposer qu’il faille déduire ces coûts dudit bénéfice, le groupe Alpharma aurait certes reçu une somme « nette » inférieure au bénéfice mentionné dans le courriel du 19 février 2002. Cependant, cette somme constituait un bénéfice certain pour le groupe Alpharma, alors que le bénéfice pouvant découler de l’entrée sur le marché était soumis à des aléas.

299    Enfin, pour autant que les requérantes invoquent l’asymétrie des risques, un argument analogue a été écarté dans le cadre de l’appréciation de la seconde branche du deuxième moyen (voir points 133 à 135 ci-dessus).

300    Dès lors, les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

–       Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

301    Les requérantes contestent le fait que les circonstances de l’espèce puissent être assimilées, comme l’a fait la Commission dans la décision attaquée, à celles qui caractérisaient l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 254 supra (EU:C:2008:643) (ci-après l’« affaire BIDS »). En effet, l’existence en l’espèce de brevets constituerait une différence essentielle entre l’accord dont il s’agissait dans ladite affaire et l’accord litigieux.

302    La Commission conteste les arguments des requérantes.

303    Il convient de rappeler que, aux considérants 657 et 658 de la décision attaquée, la Commission a constaté une analogie entre les accords dont il s’agissait dans l’affaire BIDS et les accords en cause, dont l’accord litigieux.

304    Cette constatation de la Commission doit être approuvée.

305    En effet, ainsi que cela résulte notamment du point 8 de l’arrêt BIDS, point 254 supra (EU:C:2008:643), les entreprises actives sur le marché de la transformation de la viande bovine en Irlande avaient créé un mécanisme en vertu duquel certaines entreprises s’engageaient à rester en dehors dudit marché pendant deux ans en contrepartie de paiements de la part des entreprises qui restaient sur ce marché. Une dynamique similaire s’est produite en l’espèce par la conclusion de l’accord litigieux, en vertu duquel la principale, voire la seule, entreprise présente sur le marché avec du citalopram dans les pays concernés par cet accord a payé les requérantes, qui étaient des concurrents potentiels, afin que celles-ci restassent en dehors du marché pendant une période donnée.

306    Il s’ensuit que, tant dans l’affaire BIDS que dans la présente affaire, il s’agit d’accords qui ont limité la faculté d’opérateurs économiques qui se trouvaient dans une situation de concurrence de déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 254 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

307    Certes, à la différence des circonstances qui prévalaient dans l’affaire BIDS, l’accord litigieux a été conclu dans un contexte où Lundbeck possédait des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits les contrefaisant. Il y a lieu de rappeler, néanmoins, que, en l’espèce, l’existence des brevets de Lundbeck, notamment celui sur la cristallisation, ne s’opposait pas à ce que les requérantes pussent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen. De même, il est vrai que, dans l’affaire BIDS, les entreprises en cause étaient des concurrents actuels, dans la mesure où il s’agissait de faire sortir du marché concerné des entreprises qui y étaient déjà présentes, alors que, en l’espèce, Lundbeck et les requérantes étaient des concurrents potentiels. Toutefois, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle.

308    En outre, il convient de rappeler que, aux points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a, en substance, mis en exergue le fait que les accords visés par l’affaire BIDS modifiaient la structure du marché et présentaient un degré de nocivité tel qu’ils pouvaient être qualifiés de restriction par objet, alors que tel n’était pas le cas du comportement dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, qui consistait dans l’obligation faite à des banques de payer une redevance ou de limiter leurs activités d’émission de cartes bancaires.

309    À cet égard, il doit être relevé que, à supposer même que lesdits points de l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), puissent être lus en ce sens que la modification de la structure du marché est une condition sine qua non pour constater l’existence d’une restriction par objet, l’accord litigieux a affecté la structure du marché concerné, dès lors qu’il visait à retarder l’entrée des requérantes sur celui-ci, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions favorables pour lancer le Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil dans le traitement de nombreux patients (voir points 11 et 130 ci-dessus).

310    Par conséquent, c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué par analogie la jurisprudence issue de l’arrêt BIDS, point 254 supra (EU:C:2008:643), si bien que le présent argument des requérantes doit être rejeté.

–       Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

311    Les requérantes font valoir que la décision attaquée représente le premier cas dans lequel la Commission s’est occupée d’accords prévoyant des paiements inversés.

312    Dans ce contexte, elles invoquent un communiqué de presse du KFST, du 28 janvier 2004 (ci-après le « communiqué de presse du KFST »), dont il résulterait que la Commission considérait que les accords en cause se situaient dans une zone grise, ce qui serait incompatible avec les caractéristiques propres à toute restriction par objet.

313    La Commission conteste les arguments des requérantes.

314    Il convient de relever que, bien avant la date de la conclusion de l’accord litigieux, la jurisprudence s’était prononcée sur l’application du droit de la concurrence dans des domaines caractérisés par la présence de droits de propriété intellectuelle.

315    À cet égard, la Cour a certes reconnu que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, Rec, EU:C:1974:114, point 9). Cependant, elle a également établi que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par les dispositions de l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (voir, en ce sens, arrêt Centrafarm et de Peijper, précité, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

316    De même, la Cour a établi que, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, EU:C:1986:75, point 26). Par la même occasion, la Cour a précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité de celui-ci (arrêt Windsurfing International/Commission, précité, EU:C:1986:75, point 92).

317    Enfin, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir point 277 ci-dessus).

318    Au demeurant, il convient de relever que tant Lundbeck que le groupe Alpharma étaient conscients du fait que leur conduite était à tout le moins susceptible de poser des problèmes du point de vue du droit de la concurrence. En effet, s’agissant de Lundbeck, il découle notamment du courriel cité au considérant 188 de la décision attaquée que la conclusion d’accords avec les entreprises de génériques était considérée comme « difficile » du point de vue du droit de la concurrence. S’agissant du groupe Alpharma, il résulte du courriel du vice-président (voir point 108 ci-dessus) qu’une ébauche de l’accord litigieux avait été soumise à un conseiller expert en concurrence, ce qui confirme que ledit groupe s’était posé la question de savoir si son comportement était compatible avec le droit de la concurrence.

319    Par ailleurs, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 41 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 41 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

320    En ce qui concerne plus spécifiquement le communiqué de presse du KFST, invoqué par les requérantes, s’il est vrai que ce document fait référence à l’opinion de la Commission quant au caractère anticoncurrentiel des accords en cause, dont l’accord litigieux, il convient de constater qu’il ne s’agit pas d’un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services, mais d’un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence.

321    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les autorités nationales de la concurrence ne peuvent pas faire naître auprès des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreint pas l’article 101 TFUE, dès lors que celles-ci ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence de violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 42 et jurisprudence citée).

322    En outre, ce document précise clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des entreprises de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique.

323    Or, c’est précisément à l’issue de cette enquête, qui lui a permis de se faire une idée plus précise du fonctionnement des accords amiables dans le domaine pharmaceutique, que la Commission a ouvert une procédure sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’encontre de Lundbeck et des entreprises de génériques telles que les requérantes.

324    Enfin et en tout état de cause, il ressort également du communiqué de presse du KFST que tous les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels.

325    Les requérantes ne sauraient donc prétendre que la Commission aurait changé d’avis et que cela l’empêcherait d’appliquer la notion de restriction par objet à l’accord litigieux, dans la mesure où c’est précisément à l’issue d’une enquête approfondie du secteur pharmaceutique que la Commission a pu peaufiner son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent un paiement inversé important.

326    Il s’ensuit que, déjà à l’époque de la conclusion de l’accord litigieux, il était établi que le titulaire d’un brevet n’était pas en droit de payer un concurrent potentiel pour que celui-ci renonçât à plusieurs voire à toutes possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché en contrepartie d’un montant payé par ledit titulaire et fixé en tenant compte des profits escomptés par ce concurrent en cas d’entrée sur le marché. A fortiori, au moment de l’édiction de la décision attaquée, la Commission pouvait considérer qu’il résultait de l’expérience que des accords tels que ceux en cause pouvaient être des restrictions par objet, pourvu que l’examen de sa part du contexte juridique et économique dans lesquels ils avaient été conclus ne s’opposât pas à une telle constatation.

327    Les présents arguments des requérantes doivent donc être rejetés.

–       Sur la jurisprudence américaine

328    Les requérantes se réfèrent à l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis d’Amérique) du 17 juin 2013 [affaire Federal Trade Commission v. Actavis, 570 U. S. (2013)] (ci-après l’« arrêt Actavis »), dans lequel cette juridiction aurait refusé de considérer qu’un accord comparable à l’accord litigieux pût être qualifié de violation « per se » au sens du droit de la concurrence des États-Unis, qui correspondrait au concept de restriction par objet en droit de l’Union, et aurait établi la nécessité d’évaluer cet accord en appliquant une « règle de raison » (rule of reason), ce qui correspondrait à une analyse de ses effets anticoncurrentiels.

329    La Commission conteste les arguments des requérantes.

330    Ces arguments doivent être rejetés.

331    En effet, à supposer même que la lecture de l’arrêt Actavis, point 328 supra, effectuée par les requérantes soit fondée et que l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée ne corresponde pas à celle adoptée par les autorités américaines, il a déjà été jugé qu’une position adoptée par le droit américain ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union et qu’une violation du droit américain ne constitue pas, en tant que telle, un vice susceptible d’entraîner l’illégalité d’une décision adoptée sur le fondement du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, point 1407).

332    En tout état de cause, l’arrêt contenant l’avis majoritaire de la Supreme Court of the United States dans l’affaire Actavis (arrêt Actavis, point 328 supra) – et non l’opinion dissidente du juge Roberts – établit clairement que le fait qu’un accord relève du champ d’application d’un brevet n’exclut pas que cet accord puisse faire l’objet d’une action « antitrust ». La notion de restriction par objet n’existant pas en droit américain et n’étant pas comparable à la règle « per se » en raison de la possibilité de justifier une telle restriction sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, il n’est pas exact d’assimiler la « rule of reason » en droit américain à l’examen des effets en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, comme le propose les requérantes. Par ailleurs, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, la décision attaquée ne s’appuie pas sur des présomptions, mais sur une analyse des accords, de leur contenu et de leur contexte, avant de conclure qu’ils restreignent la concurrence par leur objet même.

333    À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, le présent moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit quant à la constatation de l’existence d’une restriction par objet alors même que la portée de l’accord litigieux reflète le pouvoir d’exclusion inhérent aux brevets de Lundbeck

334    Les requérantes soutiennent que l’accord litigieux ne pouvait pas restreindre la concurrence, même potentielle, étant donné que sa portée était limitée au citalopram contrefaisant les nouveaux brevets de Lundbeck, ainsi que cela résulterait de leur premier moyen, et coïncidait donc avec le pouvoir d’exclusion inhérent aux nouveaux brevets de Lundbeck. À cet égard, elles précisent que tout brevet, y compris ceux concernant des procédés, bénéficie d’une présomption de validité que la Commission aurait ignorée ou renversée.

335    La Commission conteste les arguments des requérantes.

336    Premièrement, il convient de rappeler que, à la suite de l’examen du premier moyen, il a été conclu que la portée de l’accord litigieux était celle synthétisée au point 244 ci-dessus.

337    Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les conséquences de cet accord coïncident avec celles découlant des nouveaux brevets de Lundbeck. En particulier, les parties à celui-ci estimaient que le procédé de Matrix ne violait pas ces brevets.

338    Deuxièmement, il doit être relevé que, en tout état de cause, par l’accord litigieux, Lundbeck a obtenu la certitude que le groupe Alpharma ne chercherait pas à entrer sur le marché avec du citalopram susceptible de violer ses nouveaux brevets, alors que, si Lundbeck avait choisi de bloquer la voie audit groupe par des actions fondées sur ses nouveaux brevets, elle n’aurait pas eu la certitude d’obtenir gain de cause.

339    À cet égard, à la lumière des principes résultant de la jurisprudence reprise aux points 315 et 316 ci-dessus, il y a lieu d’observer que la présomption de validité dont bénéficie tout brevet ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité de tous les produits mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, comme le rappelle la Commission, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée « à risque » de la part d’une entreprise de génériques n’étant pas illégale en soi. De plus, dans le cadre d’un tel contentieux, il eût été possible au défendeur de contester la validité du brevet dont Lundbeck se serait prévalue, par le biais d’une demande reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé invoqué, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 76 de la décision attaquée.

340    En l’espèce, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen, une telle stratégie était précisément l’une des possibilités réelles et concrètes dont le groupe Alpharma disposait au lieu de conclure l’accord litigieux.

341    S’agissant de la référence faite par les requérantes aux lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2), il y a lieu de noter, à l’instar de la Commission au considérant 677 de la décision attaquée, que celles-ci ne sont pas applicables en l’espèce, étant donné que Lundbeck n’a transféré aucune technologie aux entreprises de génériques au moyen de l’accord litigieux.

342    En tout état de cause, selon leur paragraphe 32, les lignes directrices relatives à l’application de l’article 101 TFUE aux accords de transfert de technologie font référence à la possibilité d’autoriser un accord si une situation de blocage existe effectivement, sur la base d’éléments objectifs que les parties à un accord de transfert de technologie doivent produire, et non sur la base d’une présomption. Or, une telle situation de blocage n’existait pas en l’espèce, le groupe Alpharma disposant de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché.

343    Enfin, en ce qui concerne l’argument que les requérantes cherchent à tirer de l’arrêt du 16 décembre 1999, Micro Leader/Commission (T‑198/98, Rec, EU:T:1999:341), il y a lieu de relever que celui-ci est intervenu dans un contexte très différent de celui de l’espèce. En effet, le Tribunal était appelé à vérifier si c’était à bon droit que la Commission avait rejeté la plainte de la requérante dénonçant comme contraires aux dispositions des articles 101 TFUE et 102 TFUE les agissements des sociétés Microsoft France et Microsoft Corporation visant à empêcher l’importation en France de logiciels de marque Microsoft commercialisés au Canada. Dès lors, le Tribunal devait établir si la Commission avait examiné avec suffisamment d’attention les éléments de fait et de droit avancés par la requérante, en vue d’apprécier si ceux-ci faisaient apparaître un comportement anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêt Micro Leader/Commission, précité, EU:T:1999:341, points 1, 7 et 27).

344    C’est dans ce contexte que le Tribunal a considéré que les éléments exposés par la requérante ne permettaient pas de déduire que la décision de Microsoft Corporation d’interdire l’importation et la revente en France de logiciels édités en langue française, commercialisés au Canada, avait été arrêtée dans le cadre d’un accord ou d’une pratique concertée avec ses distributeurs au Canada ayant pour objet le cloisonnement des marchés (voir, en ce sens, arrêt Micro Leader/Commission, point 343 supra, EU:T:1999:341, point 33).

345    De même, le Tribunal a relevé que, à supposer même que Microsoft Corporation eût effectivement restreint de la sorte la possibilité pour les distributeurs canadiens de revendre ses produits en dehors du Canada, celle-ci aurait seulement exercé les droits d’auteur qu’elle détenait sur ses produits, en vertu de l’article 4, sous c), de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42), dès lors que la commercialisation au Canada des copies de ses logiciels n’épuisait pas les droits d’auteur de Microsoft Corporation (voir, en ce sens, arrêt Micro Leader/Commission, point 343 supra, EU:T:1999:341, point 34).

346    Il résulte de ce résumé que, au vu des circonstances propres à l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, le Tribunal n’a pas eu à se prononcer sur la question de savoir s’il y avait une incertitude quant au fait que le droit de propriété intellectuelle en cause permettait à son titulaire d’obtenir, par la voie contentieuse, le même résultat que celui obtenu par le comportement qui lui était reproché ni sur les conséquences que cette incertitude aurait pu avoir sur l’existence d’une violation du droit de la concurrence. En revanche, ainsi que cela résulte notamment des points 336 à 340 ci-dessus, le groupe Alpharma et Lundbeck faisaient face à de telles incertitudes, qu’ils ont préféré échanger contre des certitudes, en concluant l’accord litigieux.

347    Ainsi, les requérantes ne peuvent tirer aucun argument utile de l’arrêt qu’elles invoquent.

348    À la lumière de toutes ces considérations, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

349    Les requérantes soutiennent que la Commission a irrémédiablement compromis leurs droits de la défense en omettant de les informer, dans un délai raisonnable, de l’existence d’une enquête les concernant et des griefs qu’elle retenait à leur égard. En effet, tout en ayant eu connaissance de l’accord litigieux en 2003, la Commission aurait contacté à cet égard Zoetis seulement le 19 mars 2010 et Xellia le 14 mars 2011. Quant à la communication des griefs, elle ne date que du 24 juillet 2012.

350    En raison du trop long laps de temps écoulé, les requérantes ne disposeraient plus d’éléments de preuve à décharge, tels que des versions provisoires de l’accord litigieux, assorties de commentaires afférents à ces versions, des plans d’activités concernant le citalopram, des explications et des témoignages de leur personnel de l’époque qui était impliqué dans ce dossier, des échanges avec leur conseiller externe, qui aurait détruit le dossier les concernant en 2007, conformément à la réglementation du barreau danois. Il ne s’agirait pas simplement de quelques documents égarés, mais de presque tous les documents essentiels pour la défense des requérantes.

351    Par ailleurs, celles-ci précisent qu’aucune obligation renforcée de conserver les documents pertinents ne pesait sur elles, puisqu’elles ignoraient qu’elles faisaient l’objet d’une enquête.

352    La Commission conteste les arguments des requérantes.

353    Il y a lieu de rappeler que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite de la procédure administrative en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont les juridictions de l’Union assurent le respect (voir arrêt du 19 décembre 2012, Bavaria/Commission, C‑445/11 P, EU:C:2012:828, point 77 et jurisprudence citée).

354    Il est également de jurisprudence constante que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte dans lequel elle s’inscrit, des différentes étapes procédurales qui ont été suivies, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec, EU:C:2002:582, point 187, et du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec, EU:T:2003:249, point 230).

355    En outre, il y a lieu de rappeler que le dépassement d’un délai raisonnable, à le supposer établi, ne justifierait pas nécessairement l’annulation de la décision attaquée. En effet, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation que, dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement n° 1/2003 (voir arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec, EU:T:2008:211, point 227 et jurisprudence citée).

356    Il convient de relever également que, selon la jurisprudence, aux fins de l’application du principe du délai raisonnable, une distinction doit être opérée entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs (ci-après la « première phase ») et celle correspondant au reste de la procédure administrative (ci-après la « seconde phase »), chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre. La première phase, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde phase, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec, EU:C:2006:593, points 42 et 43).

357    À cet égard, il a été jugé que la durée excessive de la première phase peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci sont invoqués dans la seconde phase, en raison de l’écoulement du temps et de la difficulté qui en résulte de recueillir des éléments à décharge. Il importe, toutefois, dans un tel cas, que les entreprises concernées démontrent de manière suffisamment précise qu’elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission en précisant quels sont les documents ou les témoignages qu’elles ne pourraient plus solliciter et les raisons pour lesquelles cela serait de nature à compromettre leur défense (voir, en ce sens, arrêts Technische Unie/Commission, point 356 supra, EU:C:2006:593, points 54 et 60 à 71, et du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec, EU:C:2011:190, point 118).

358    De même, selon la jurisprudence, ces entreprises doivent indiquer de manière circonstanciée, sinon les éléments de preuve spécifiques disparus, à tout le moins les incidents, évènements ou circonstances qui les ont empêchées, pendant la période considérée, de se conformer à leur obligation de diligence et qui ont entraîné la prétendue disparition des éléments de preuve auxquels elles font allusion. En effet, ce n’est qu’en examinant de telles indications spécifiques que le juge de l’Union peut apprécier si une entreprise a démontré à suffisance de droit qu’elle a éprouvé les difficultés invoquées pour se défendre contre les allégations de la Commission en raison d’une durée excessive de la procédure administrative ou si, au contraire, lesdites difficultés résultent d’une méconnaissance de ses obligations de diligence (arrêt ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., point 357 supra, EU:C:2011:190, points 120 à 122).

359    Pour appliquer ces principes au cas d’espèce, il convient de commencer par rappeler ci-après la séquence des principaux évènements ayant mené, le 19 juin 2013, à l’adoption de la décision attaquée, tels qu’ils résultent notamment du point 2.1 de celle-ci :

–        en octobre 2003, la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords en cause, par le biais d’informations communiquées par le KFST ;

–        en janvier 2005, la Commission a procédé à des inspections au Danemark, en Italie et en Hongrie, dans les locaux de Lundbeck principalement ;

–        en 2006, des demandes de renseignements ont été adressées aux autorités de concurrence de l’ensemble des États membres ainsi qu’à Lundbeck et à une entreprise de génériques ;

–        en 2007, la Commission a examiné les réponses à ces demandes et a établi une position préliminaire sur les pratiques de Lundbeck et des autres entreprises impliquées ;

–        en janvier 2008, la Commission a décidé de commencer une enquête sectorielle dans le domaine pharmaceutique, qui s’est close par l’adoption d’un rapport final le 8 juillet 2009 (voir points 22 et 23 ci-dessus) ;

–        en décembre 2009, la Commission a effectué de nouvelles inspections dans les locaux de Lundbeck Italia SpA et d’entreprises italiennes de génériques ;

–        le 7 janvier 2010, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre de Lundbeck ;

–        le 19 mars 2010, la Commission a communiqué à Alpharma Inc. (voir point 3 ci-dessus) l’existence de l’enquête ;

–        le 14 mars 2011, elle a accompli cette même démarche à l’égard de Xellia ;

–        le 24 juillet 2012, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre notamment des requérantes et a envoyé la communication des griefs à celles-ci et à Lundbeck.

360    S’agissant de la seconde phase, il suffit de constater que celle-ci a duré moins d’un an à l’égard des requérantes, ce qui ne saurait être considéré comme excessif.

361    S’agissant de la première phase, il convient d’observer que celle-ci a débuté à l’égard de Zoetis le 19 mars 2010 et à l’égard de Xellia le 14 mars 2011, dates auxquelles la Commission a pris les premières mesures impliquant le reproche qu’elles aient commis une infraction, et qu’elle s’est clôturée le 24 juillet 2012, date de la communication des griefs. Or, de telles durées ne sont pas déraisonnables.

362    Premièrement, dans la mesure où les requérantes fondent leur moyen sur la date à laquelle la Commission a eu connaissance pour la première fois de l’accord litigieux pour établir que celle-ci a méconnu son obligation d’adopter une décision dans un délai raisonnable et a ainsi violé leurs droits de la défense, il importe de souligner qu’une telle approche n’est nullement suivie par la jurisprudence, qui prend comme point de départ la date des premières mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 356 supra, EU:C:2006:593, point 43).

363    Par ailleurs, il convient de noter que, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, la prescription court, pour les infractions continues, comme en l’espèce, à compter du jour où l’infraction a pris fin. La prescription est toutefois susceptible d’être interrompue, en application de l’article 25, paragraphes 3 et 4 dudit règlement. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption en étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte, de sorte que la Commission ne saurait, sous peine que la prescription ne soit acquise, retarder indéfiniment sa décision quant aux amendes.

364    Or, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais de prescription dans le respect desquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec, EU:T:2003:76, point 324 et jurisprudence citée).

365    Deuxièmement, il convient de noter que la durée de la première phase, à supposer qu’elle puisse être calculée à compter de la fin de l’infraction comme le proposent les requérantes, serait de presque sept ans à l’égard de Zoetis et de presque huit ans à l’égard de Xellia. Or, de telles durées peuvent être justifiées par les circonstances particulières de l’espèce, dont il ressort que, en plus des nombreuses demandes de renseignements, la Commission a estimé nécessaire d’effectuer une enquête sectorielle afin d’analyser l’ensemble des pratiques concernant les règlements amiables dans le domaine pharmaceutique et d’obtenir une vue détaillée du paysage concurrentiel dans ce secteur. Ainsi, l’ensemble de la procédure concernant spécifiquement les accords en cause n’a été caractérisée par aucune période d’inactivité prolongée qui ne trouve sa justification dans les besoins de la Commission d’effectuer une enquête plus générale dans le secteur concerné.

366    Troisièmement, s’agissant du communiqué de presse du KFST, qui aurait laissé penser, selon les requérantes, que la Commission n’entamerait aucune poursuite à l’encontre du groupe Alpharma, il y a lieu d’observer que, au vu des considérations exposées aux points 320 à 325 ci-dessus à cet égard, les requérantes ne sauraient valablement prétendre qu’un tel communiqué aurait incité ledit groupe à ne pas prendre de mesures pour assurer sa défense, et encore moins qu’une telle incitation, à la supposer établie, serait imputable à la Commission et à la durée excessive de la procédure administrative devant elle.

367    Quatrièmement, il convient de relever que les requérantes se limitent à invoquer la perte de trois catégories de documents, à savoir les projets et commentaires relatifs à l’accord litigieux, par exemple le projet mentionné dans le courriel du 20 février 2002, les plans d’activité relatifs au citalopram et les documents de leur conseiller externe.

368    À cet égard, à supposer que, par leurs allégations, les requérantes aient réuni les conditions de précision et de spécificité requises par la jurisprudence rappelée au point 357 ci-dessus, il y a lieu de constater que, au vu du communiqué de presse du KFST et de l’enquête sectorielle que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union (voir point 363 ci-dessus).

369    Or, la diligence relève des conditions requises par la jurisprudence (voir point 358 ci-dessus) afin qu’une partie puisse utilement invoquer la violation de ses droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure.

370    À défaut d’explications par les requérantes de la survenance d’événements particuliers et autres que le simple écoulement du temps pour justifier l’égarement des documents en question, leur argument ne saurait être accueilli.

371    En ce qui concerne plus particulièrement les documents du conseiller externe du groupe Alpharma, que celui-ci aurait détruits en 2007 en conformité avec la réglementation du barreau danois, il doit être remarqué que les requérantes n’ont pas donné davantage de précisions quant à cette réglementation et que, en tout état de cause, si elles avaient été diligentes, elles auraient pu garder elles-mêmes des copies de ces documents.

372    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le présent moyen, en ce qu’il vise à l’annulation de la décision attaquée.

373    Par ailleurs, à supposer que le présent moyen puisse être interprété comme visant également à obtenir du Tribunal qu’il réduise le montant de l’amende infligée aux requérantes indépendamment de l’existence d’une illégalité justifiant l’annulation de la décision attaquée, il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, Rec, EU:T:2014:92, point 156).

374    Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause (arrêts InnoLux/Commission, point 373 supra, EU:T:2014:92, point 157, et du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, Rec, EU:T:2014:1049, point 352).

375    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, Rec, EU:C:2011:816, point 131).

376    En l’espèce, quand bien même il serait considéré que la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, EU:C:2014:301, points 106 et 107) puisse être interprétée comme ne s’opposant pas à la possibilité même de réformer à la baisse le montant d’une amende, dans l’exercice de la compétence de pleine juridiction, pour sanctionner uniquement une violation des droits de la défense, il convient de noter que la Commission a déjà tenu compte de la durée de la procédure administrative et a ainsi octroyé une réduction de 10 % des montants des amendes à infliger aux requérantes et aux autres destinataires de la décision attaquée (voir point 36 ci-dessus). Dès lors, le Tribunal estime, en exerçant sa compétence de pleine juridiction, qu’il n’est en tout état de cause pas opportun de réduire ultérieurement le montant de l’amende dont les requérantes sont redevables.

377    À la lumière des considérations qui précèdent, le présent moyen doit être rejeté également en ce qui concerne l’exercice de la compétence de pleine juridiction.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de non-discrimination du fait que Zoetis est destinataire de la décision attaquée

378    Les requérantes soutiennent que la Commission a violé le principe de non-discrimination, dès lors que, s’agissant de l’infraction commise par le groupe Alpharma, elle a considéré qu’en étaient responsables tant Zoetis, en sa qualité de société mère intermédiaire de la société ayant signé l’accord litigieux, qu’A.L. Industrier, en sa qualité de société à la tête de l’entreprise concernée, tandis que, s’agissant d’un autre accord en cause, à savoir celui conclu entre Lundbeck et Generics UK Ltd, relevant du groupe Merck, seule la société à la tête dudit groupe, Merck KGaA, a été visée, et non également la société mère intermédiaire Merck Generics Holding GmbH.

379    La Commission rétorque que, à supposer que le principe de non-discrimination soit applicable lorsqu’il s’agit de l’imputation d’une infraction à des sociétés mères intermédiaires, en l’espèce, le traitement différent de Zoetis et de Merck Generics Holding était justifié. En effet, lors de l’adoption de la décision attaquée, Merck contrôlait encore Merck Generics Holding, tandis qu’A.L. Industrier ne contrôlait plus Zoetis.

380    À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, ne saurait être opérée, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une même infraction à l’article 101 TFUE (voir arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, Rec, EU:C:2014:2363, point 62 et jurisprudence citée).

381    De même, lorsque la Commission adopte, pour une entente et à l’intérieur du cadre fixé par la jurisprudence, une méthode spécifique pour la détermination de la responsabilité des sociétés mères visées pour les infractions de leurs filiales, ne saurait être opérée, par l’application d’une autre méthode pour déterminer une telle responsabilité à l’égard de l’une ou de plusieurs de ces sociétés mères, une discrimination entre les sociétés mères dont les filiales ont participé à ladite entente (voir arrêt Bolloré/Commission, point 376 supra, EU:C:2014:301, point 93 et jurisprudence citée).

382    Il est vrai que, dans l’arrêt du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission (T‑144/07, T‑147/07 à T‑150/07 et T‑154/07, Rec, EU:T:2011:364, point 119), invoqué par la Commission, il a été jugé que la possibilité d’infliger une sanction pour le comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ultime ne s’oppose pas à ce qu’une société holding intermédiaire ou que la filiale elle-même soit sanctionnée, pour autant que la Commission ait pu considérer que lesdites sociétés constituaient une seule entreprise. Ainsi, en pareille hypothèse, la Commission a le choix, si les conditions de l’imputabilité sont réunies, de sanctionner la filiale ayant participé à l’infraction, la société mère intermédiaire qui l’a contrôlée pendant cette période et la société mère ultime du groupe.

383    Toutefois, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 382 supra (EU:T:2011:364), le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le principe de non-discrimination s’appliquait lorsque la Commission choisissait d’infliger une amende non seulement aux sociétés ayant participé aux infractions qu’elle constatait et à leurs sociétés mères ultimes, mais également aux sociétés qui se situaient entre celles-ci dans la structure de chaque entreprise concernée.

384    Dès lors, le fait d’appliquer ledit principe en l’espèce n’est pas en contradiction avec l’arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 382 supra (EU:T:2011:364).

385    Par conséquent, il y a lieu d’établir si la Commission a violé le principe de non-discrimination en adressant la décision attaquée non seulement à A.L. Industrier et à Xellia, mais également à Zoetis, alors qu’elle ne l’a pas adressée à Merck Generics Holding.

386    À cette fin, en premier lieu, il convient de rappeler que ledit principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, Rec, EU:C:2010:512, point 55 et jurisprudence citée).

387    En second lieu, il doit être relevé que, pendant la période pertinente, Alpharma ApS, Alpharma Inc. et A.L. Industrier formaient une entreprise unique, alors que tel n’était plus le cas lors de l’adoption de la décision attaquée. En effet, à ce moment-là, Xellia, qui a succédé à Alpharma ApS, Zoetis, qui a succédé à Alpharma Inc., et A.L. Industrier relevaient chacune d’entreprises différentes, ainsi que cela ressort des considérants 50 à 52 et 1269 à 1275 de la décision attaquée.

388    À cet égard, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il importe peu que, au considérant 1272 de la décision attaquée, la Commission ait défini Alpharma Inc. en tant que « société mère » (parent company) d’Alpharma ApS, et non en tant que société mère intermédiaire.

389    En effet, il résulte clairement de la décision attaquée, notamment des considérants 43, 1275, 1284 et 1286, que la Commission a retenu qu’A.L. Industrier, qui contrôlait Alpharma Inc., formait avec celle-ci une entreprise unique, incluant également Alpharma ApS. Du reste, les requérantes ne contestent pas que ces trois sociétés formaient une entreprise unique lors de la conclusion de l’accord litigieux.

390    S’agissant du groupe Merck, il résulte de la décision attaquée (note en bas de page n° 31) que Generics UK, qui était la société ayant signé avec Lundbeck deux accords en cause, était, pendant la période couverte par ceux-ci, contrôlée par Merck Generics Holding, laquelle était à son tour contrôlée par Merck. De même, la décision attaquée expose que, en 2007, Generics UK a été vendue à une autre entreprise, si bien qu’elle est sortie du groupe Merck (considérant 33).

391    En revanche, il résulte de la réponse de la Commission à une question du Tribunal et d’un document que celle-ci a produit à cette occasion que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, Merck et Merck Generics Holding faisaient encore partie de la même entreprise. Bien que, comme le font valoir les requérantes, cette circonstance n’ait pas été mentionnée dans la décision attaquée, il y a lieu de constater que ledit document fait partie du dossier administratif de la Commission, de sorte que celle-ci en disposait lorsqu’elle a adopté cette décision.

392    Par ailleurs, il convient d’observer que, au vu de la situation financière d’A.L. Industrier, il était tout à fait justifié que la Commission tînt Zoetis pour solidairement responsable de l’infraction commise par Xellia, dès lors que, autrement, seule cette dernière aurait été redevable de la presque totalité de l’amende liée à l’infraction commise par le groupe Alpharma, ce qui aurait rendu moins certain le paiement de cette amende. En revanche, tant que Merck contrôle Merck Generics Holding, les ressources financières de cette dernière peuvent être utilisées pour payer l’amende infligée au groupe Merck, sans qu’il soit indispensable à cette fin de la viser dans le dispositif de la décision attaquée.

393    Enfin, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’a pas de compétence en ce qui concerne les relations de solidarité dite « interne » entre des codébiteurs, celui-ci est certes conforme à la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, Rec, EU:C:2014:257, points 152 et 158), mais il est inopérant, dès lors qu’il n’est pas susceptible de remettre en cause les considérations formulées aux points 387 à 392 ci-dessus.

394    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le présent moyen, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir s’il est recevable en dépit du fait qu’il va à l’encontre des intérêts de Xellia.

 Sur le septième moyen, tiré d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende infligée aux requérantes

395    Les requérantes font valoir que la Commission a commis six erreurs affectant le calcul du montant de l’amende qu’elle leur a infligée.

 Sur la gravité de l’infraction reprochée aux requérantes

396    Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte de la gravité prétendument limitée de l’infraction constatée dans la décision attaquée à leur égard, qui aurait été qualifiée de grave, et non de très grave, comme dans la communication des griefs. Ce changement ne se serait pas répercuté sur le montant de base de l’amende.

397    La Commission conteste les arguments des requérantes.

398    Il convient de rappeler que, ainsi que cela résulte de l’examen des deuxième et troisième moyens, l’accord litigieux est une restriction de la concurrence par objet, étant donné que Lundbeck a payé le groupe Alpharma, qui était un concurrent potentiel, pour que celui-ci accepte des limitations à son comportement sur le marché pendant la période pertinente. Ainsi, la Commission n’avait aucune raison de considérer que la gravité de l’infraction commise par Lundbeck et ledit groupe était limitée.

399    En ce qui concerne la référence des requérantes à la communication des griefs, il suffit de noter, comme l’expose la Commission, que celles-ci ont tort lorsqu’elles indiquent que, à cette occasion, le montant de base de l’amende avait été fixé à 11,7 millions d’euros. En effet, dans la communication des griefs, la Commission n’avait ni mentionné ni fixé de montant de base à l’égard du groupe Alpharma, mais s’était limitée à énoncer les éléments dont elle entendait tenir compte en fixant les amendes pour les entreprises de génériques concernées, ainsi que cela résulte du considérant 856 de cette communication. Les montants des paiements effectués par Lundbeck en faveur de ces entreprises étaient simplement évoqués dans le contexte de la nécessité d’assurer le caractère dissuasif des amendes et, le cas échéant, d’en augmenter le niveau afin de dépasser les montants des paiements effectués par Lundbeck.

400    Il s’ensuit que les présents arguments ne peuvent pas prospérer.

 Sur l’insécurité juridique

401    Les requérantes font valoir que la Commission a omis de prendre en considération la situation d’insécurité juridique qui existait au sujet de l’évaluation des accords en cause à l’aune du droit de la concurrence.

402    La Commission conteste les arguments des requérantes.

403    Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, les principes de légalité des peines et de sécurité juridique ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 74 supra, EU:C:2014:2062, points 147 et 148 et jurisprudence citée).

404    À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires et que la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 219).

405    Par ailleurs, s’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt Schenker & Co. e.a., point 321 supra, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée).

406    En l’espèce, il résulte de l’examen du troisième moyen (voir notamment points 314 à 318 ci-dessus) qu’il n’existait pas d’insécurité juridique quant à la possibilité de qualifier de restriction par objet un accord ayant les caractéristiques de l’accord litigieux et étant intervenu dans le contexte de celui-ci.

407    Dès lors que le groupe Alpharma n’ignorait pas que la conclusion de l’accord litigieux pouvait être problématique au regard du droit de la concurrence, les présents arguments doivent être rejetés.

 Sur la portée géographique de l’infraction reprochée aux requérantes

408    Selon les requérantes, la Commission n’a pas prouvé que la portée géographique de l’infraction en cause s’étendait à l’EEE tout entier.

409    La Commission conteste les arguments des requérantes

410    Il y a lieu d’observer que, ainsi que cela résulte du courriel du 19 février 2002, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, le groupe Alpharma se préparait à entrer sur le marché dans de nombreux pays, mais pas dans tous ceux visés par la définition de « Territoire » énoncée au deuxième considérant du préambule (voir point 15, deuxième tiret, ci-dessus).

411    Toutefois, les obligations que ce groupe a acceptées en contrepartie des paiements de Lundbeck concernaient le « Territoire » dont la définition était énoncée au deuxième considérant du préambule, si bien que la portée géographique de la restriction par objet condamnée par la décision attaquée s’étend à celui-ci dans son ensemble.

412    À cet égard, ainsi que la Commission l’a observé, à bon droit, au considérant 1365 de la décision attaquée, puisqu’il s’agit d’une restriction de la concurrence par objet, il importe peu de savoir dans quels pays l’accord litigieux a produit des effets aux fins d’établir la gravité de cette restriction.

413    Dès lors, il y a lieu de rejeter les présents arguments.

 Sur la fixation du montant de base

414    Les requérantes critiquent le fait que le montant de base de leur amende correspond à 100 % de la valeur des paiements que Lundbeck a versés au groupe Alpharma, considérés comme correspondant à la valeur de ventes prévisionnelles de son citalopram générique, alors que, s’agissant de Lundbeck, seule une faible fraction, entre 10 et 11 % de la valeur de ses ventes de citalopram, a été retenue.

415    Dans ce contexte, d’une part, elles soulignent que le groupe Alpharma a exposé des coûts, dont une partie ne pourrait plus être démontrée en raison de la durée déraisonnable de l’enquête de la Commission. D’autre part, elles soutiennent que les seuls gains illicites découlant de l’accord litigieux sont ceux qui excèdent les bénéfices que le groupe Alpharma aurait réalisés en cas d’entrée sur le marché.

416    La Commission conteste les arguments des requérantes.

417    Il convient de rappeler que, ainsi que cela a été observé au point 33 ci-dessus, la Commission a utilisé deux méthodes différentes pour calculer, d’une part, le montant de l’amende à infliger à Lundbeck et, d’autre part, le montant des amendes à infliger aux entreprises de génériques concernées, dont le groupe Alpharma.

418    En effet, s’agissant de Lundbeck, la Commission a utilisé la méthode générale prévue dans les lignes directrices de 2006 et a ainsi calculé le montant de base à partir d’une proportion de la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par celle-ci, liées directement ou indirectement aux infractions commises, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE (paragraphes 13 et 19 desdites lignes directrices). La proposition retenue a été de 10 ou 11 %, selon la portée géographique des accords en cause.

419    S’agissant du groupe Alpharma, comme, du reste, des autres entreprises de génériques concernées, la Commission a relevé que, en raison de l’accord litigieux, celui-ci n’avait pratiquement pas vendu de citalopram pendant la période pertinente et a donc considéré qu’il était nécessaire d’avoir recours au paragraphe 37 des lignes directrices de 2006, selon lequel les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière pouvaient justifier qu’elle s’écartât de la méthodologie générale.

420    La méthode appliquée au groupe Alpharma a donc consisté à utiliser en tant que montant de base la valeur des paiements que celui-ci avait reçus de Lundbeck, soit 11,7 millions d’euros.

421    Il ne peut pas être sérieusement contesté que, eu égard à l’absence de ventes sur le marché réalisées par le groupe Alpharma, la Commission devait s’écarter de la méthode générale. D’ailleurs, les requérantes ne reprochent pas à la Commission de ne pas s’être fondée sur la valeur des ventes de citalopram par ledit groupe.

422    En revanche, premièrement, elles critiquent le fait que la Commission a pris comme montant de base la valeur entière desdits paiements, et non une proportion de ceux-ci, comme elle l’a fait, en application de la méthode générale, en ce qui concerne la valeur des ventes de Lundbeck.

423    À cet égard, il convient de relever qu’il existe des différences fondamentales entre la méthode générale et celle que la Commission a appliquée aux entreprises de génériques.

424    En effet, dans le cadre de la méthode générale, la prise en compte de la valeur des ventes au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2015, LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, Rec, EU:C:2015:258, point 53 et jurisprudence citée). Après, en application des paragraphes 19 et 21 de ces lignes directrices, la Commission, selon la gravité de l’infraction, fixe la proportion de cette valeur des ventes à retenir aux fins de la détermination du montant de base. Cette proportion peut en principe aller jusqu’à 30 % et doit être multipliée par un coefficient en fonction de la durée de l’entente, conformément au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006. Ensuite, en application du paragraphe 25 de celles-ci, indépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à une infraction, la Commission inclut dans le montant de base une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, ou même à d’autres infractions.

425    En revanche, la méthode retenue à l’égard notamment du groupe Alpharma ne prévoit pas toutes ces étapes, étant donné que la Commission a utilisé directement comme montant de base la valeur des paiements effectués par Lundbeck.

426    Il est vrai que, notamment aux considérants 528 et 1071 de la décision attaquée, la Commission a relevé que ces paiements correspondaient approximativement à la valeur de revente des comprimés que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés lors de la conclusion de l’accord litigieux. Cela ne signifie pas pour autant que la Commission fût tenue d’utiliser la valeur de ces paiements en tant qu’estimation de la valeur des ventes au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 à l’égard dudit groupe et d’appliquer ensuite à cette valeur les différentes étapes prévues par la méthode générale.

427    Par ailleurs, il y a lieu de relever que la Commission a appliqué la même méthode à toutes les entreprises de génériques destinataires de la décision attaquée, si bien qu’elle a respecté le principe d’égalité de traitement.

428    Deuxièmement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir pris en compte le montant global de paiement de Lundbeck au groupe Alpharma, sans en retirer les coûts que celui-ci avait exposés pour préparer son entrée sur le marché, ou à tout le moins le prix d’achat des comprimés de citalopram qu’il avait reçus ou commandés, soit 3,7 millions d’euros.

429    Sur ce point, il y a lieu de relever que le but d’une amende n’est pas simplement d’éliminer les bénéfices qu’une entreprise a tirés de son comportement anticoncurrentiel, mais également celui de dissuader cette entreprise et d’autres entreprises de s’adonner à de tels comportements. Ainsi, à supposer même que, en ne soustrayant pas les coûts en cause du montant de 11,7 millions d’euros, la Commission eût infligé une amende dépassant le bénéfice net de l’accord litigieux pour le groupe Alpharma, cette amende n’en serait pas pour autant disproportionnée. De plus, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 1371 de la décision attaquée, les coûts que ce groupe avait encourus concernaient l’entrée sur le marché, et non la conclusion de l’accord litigieux, si bien qu’il n’y avait pas un lien direct entre ces coûts et le montant des paiements effectués par Lundbeck (voir point 297 ci-dessus).

430    Enfin, et en tout état de cause, il convient d’observer que, le cinquième moyen ayant été rejeté, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la durée de la procédure ne leur a pas permis de chiffrer les autres coûts exposés par le groupe Alpharma.

431    Troisièmement, les requérantes font valoir que la Commission aurait dû retirer du montant de 11,7 millions d’euros les profits que le groupe Alpharma aurait pu réaliser si elle était entrée sur le marché.

432    À cet égard, il convient de renvoyer aux considérations exposées au point 429 ci-dessus. Par ailleurs, il y a lieu de garder à l’esprit que les paiements découlant de l’accord litigieux avaient un caractère certain, alors que les gains pouvant résulter de l’entrée sur le marché étaient soumis aux aléas d’une telle opération commerciale.

433    Au vu des observations qui précèdent, les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

 Sur la possibilité de réduire le montant de l’amende en raison de l’existence des nouveaux brevets de Lundbeck

434    Les requérantes avancent que, dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait que l’accord litigieux est une restriction par objet seulement dans la mesure où sa portée dépasse celle des restrictions inhérentes aux nouveaux brevets de Lundbeck, leur amende devrait être réduite en excluant du montant de base les 11 millions de USD correspondant à l’achat par Lundbeck des comprimés de citalopram contrefaisant ces nouveaux brevets, reçus ou commandés par le groupe Alpharma.

435    La Commission conteste les arguments des requérantes.

436    Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de l’examen des troisième et quatrième moyens, il a été établi, d’une part, que les nouveaux brevets de Lundbeck n’empêchaient pas de qualifier le groupe Alpharma de concurrent potentiel de celle-ci et, d’autre part, que l’accord litigieux est une restriction par objet indépendamment de l’existence desdits brevets et de la question de savoir si la portée de cet accord dépassait ou non celle de ces brevets (voir, notamment, points 338 et 339 ci-dessus).

437    Dès lors, la prémisse des présents arguments des requérantes n’est pas fondée. Par ailleurs, il doit être observé que Lundbeck a payé les comprimés que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés de Tiefenbacher non pas au prix d’achat, mais à un prix bien plus élevé.

438    Dans ces circonstances, les présents arguments ne sauraient prospérer.

 Sur le taux d’échange utilisé par la Commission

439    Selon les requérantes, pour éviter qu’elles ne soient inutilement pénalisées, la Commission aurait dû appliquer le taux de change dollar-euro actuel, étant donné que l’euro s’était fortement apprécié pendant l’enquête, dont la durée serait déraisonnable.

440    La Commission conteste les arguments des requérantes.

441    Il doit être noté que, ainsi que le rappelle à juste titre la Commission, le taux de change en vigueur à l’époque des événements concernés est celui qui reflète le mieux la valeur des montants payés par Lundbeck à ladite époque.

442    La durée de la procédure, qui, par ailleurs, n’est pas déraisonnable, ainsi que cela résulte du rejet du cinquième moyen, ne remet pas en cause cette considération.

443    Dès lors, il y a lieu de rejeter également le présent argument et, par conséquent, le septième moyen dans son ensemble.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation ayant trait au plafonnement de l’amende dont A.L. Industrier est codébiteur

444    Les requérantes font valoir que, lors de l’application à A.L. Industrier du plafond prévu à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 (voir points 37 et 38 ci-dessus), la Commission a commis une erreur en utilisant le chiffre d’affaire réalisé par cette société au cours de l’année 2011, au lieu de celui, bien plus élevé, de l’année 2012, laquelle devrait être considérée comme étant une année complète d’activité économique normale aux fins de faire application de cette disposition.

445    Selon les requérantes, cette erreur les a pénalisées, dès lors qu’il en résulte qu’A.L. Industrier est codébiteur de seulement une quote-part très réduite de l’amende que la Commission a infligée en raison de l’infraction commise par le groupe Alpharma et que la presque totalité de cette amende doit être payée uniquement par elles.

446    La Commission conteste les arguments des requérantes.

447    En premier lieu, il convient de rappeler que, selon l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 :

« Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l'exercice social précédent. »

448    En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence que, si plusieurs destinataires d’une décision de la Commission infligeant une amende en raison d’une infraction au droit de la concurrence constituaient l’entreprise ayant commis cette infraction à la date d’adoption de cette décision, le plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (ci-après le « plafond ») peut être calculé sur la base du chiffre d’affaires global de cette entreprise. En revanche, si, comme en l’espèce, cette entité économique s’est scindée pour constituer plusieurs entités distinctes au moment de l’adoption de ladite décision, chaque destinataire de celle-ci est en droit de se voir individuellement appliquer le plafond (arrêt du 24 mars 2011, Comap/Commission, T‑377/06, Rec, EU:T:2011:108, point 111 ; voir également, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission, C‑408/12 P, Rec, EU:C:2014:2153, point 59, et du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, EU:T:2005:220, point 390).

449    En troisième lieu, la jurisprudence a également précisé que, aux fins du calcul du plafond, la Commission doit, en principe, prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée lors du dernier exercice complet à la date de l’adoption de la décision infligeant l’amende. Il résulte toutefois du contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation en cause que, lorsque le chiffre d’affaires de l’exercice social qui précède l’adoption de la décision de la Commission ne représente pas un exercice complet d’activités économiques normales pendant une période de douze mois et, ainsi, ne donne aucune indication utile sur la situation économique réelle de l’entreprise concernée et le niveau approprié de l’amende à lui infliger, ledit chiffre d’affaires ne peut pas être pris en considération aux fins de la détermination du plafond. Dans cette dernière hypothèse, qui ne se produira que dans des circonstances exceptionnelles, la Commission est obligée de se référer, aux fins du calcul du plafond, au dernier exercice social complet reflétant une année complète d’activités économiques normales (voir arrêt du 12 décembre 2012, 1. garantovaná/Commission, T‑392/09, EU:T:2012:674, point 86 et jurisprudence citée).

450    En l’espèce, ces principes ne sont pas contestés, mais les parties s’opposent sur la question de savoir si l’année 2012 était une année d’activités économiques normales pour A.L. Industrier.

451    À cet égard, il convient de rappeler que, aux considérants 1386 et 1387 de la décision attaquée, la Commission a observé, en se référant au rapport annuel d’A.L. Industrier pour l’année 2012, que, au cours de ladite année, celle-ci était en train de liquider ses actifs, ce qui devait conduire à une diminution de son chiffre d’affaire jusqu’à zéro. La Commission en a tiré la conclusion que 2012 n’était pas une année d’activité économique normale.

452    Il doit être noté que, comme l’a fait observer la Commission dans sa réponse écrite à une question du Tribunal, la liquidation des actifs d’une société, bien qu’elle puisse entraîner une augmentation de ses revenus, ne constitue pas une activité économique normale, mais vise à transformer lesdits actifs en argent liquide, dans la perspective de le distribuer aux actionnaires (voir, en ce sens, arrêt 1. garantovaná/Commission, point 449 supra, EU:T:2012:674, points 99 et 105).

453    Il est certes vrai que, ainsi que le font valoir les requérantes en se fondant sur le rapport annuel mentionné au point 451 ci-dessus, la vente des actifs d’A.L. Industrier n’a pas été complétée en 2012 et que l’argent réalisé par cette vente n’a pas été immédiatement distribué aux actionnaires en raison de l’incertitude créée par la communication des griefs, dont cette société était elle aussi destinataire.

454    Cependant, ces circonstances ne remettent pas en cause le fait que, au cours de l’année 2012, A.L. Industrier avait vendu son actif principal, A.L. Eiendomsutvikling AS, ce qui ne correspondait pas à des activités économiques normales.

455    Quant à la circonstance selon laquelle les profits découlant de cette vente n’ont pas été immédiatement distribués aux actionnaires, celle-ci démontre une certaine prudence de la part du conseil d’administration d’A.L. Industrier, mais ne suffit pas pour autant à faire de 2012 une année d’activités économiques normales.

456    Dès lors, la Commission était fondée à ne pas calculer le plafond applicable à A.L. Industrier sur la base de son chiffre d’affaire de 2012.

457    Dans leur réponse écrite à une question du Tribunal, les requérantes ont fait valoir que la Commission aurait dû se fonder sur le chiffre d’affaires qu’A.L. Industrier a réalisé en 2005, dès lors que, par la suite, cette dernière ne contrôlait plus le groupe Alpharma et n’était plus active dans le secteur pharmaceutique, ce qui a réduit drastiquement son chiffre d’affaires.

458    À cet égard, il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’objectif visé par l’établissement, à l’article 23, paragraphe 2, d’une limite égale à 10 % du chiffre d’affaires de chaque entreprise ayant participé à une infraction est notamment d’éviter que l’infliction d’une amende d’un montant supérieur à cette limite ne dépasse la capacité de paiement de l’entreprise à la date où elle est reconnue responsable de l’infraction et où une sanction pécuniaire lui est infligée par la Commission (arrêt YKK e.a./Commission, point 448 supra, EU:C:2014:2153, point 63 ; voir également, en ce sens, arrêts Tokai Carbon e.a./Commission, point 448 supra, EU:T:2005:220, point 389, et du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission, T‑54/06, EU:T:2011:667, point 91).

459    Par conséquent, la Commission, après avoir exclu que le plafond applicable à A.L. Industrier puisse être fixé en tenant compte de l’année 2012, c’est-à-dire de l’année précédant immédiatement celle de l’adoption de la décision attaquée, ne pouvait remonter jusqu’à 2005, mais devait utiliser le chiffre d’affaire de la dernière année, antérieure à 2012, au cours de laquelle les activités économiques d’A.L. Industrier avaient été normales, indépendamment des secteurs d’activités de celle-ci.

460    Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé et l’examen de leurs arguments au soutien de leur demande de réformation de celle-ci n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de l’amende effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

461    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC sont condamnées aux dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Sociétés en cause dans la présente affaire

Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

Accord conclu par Lundbeck avec le groupe Alpharma et autres éléments du contexte

Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel

Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

Principes et jurisprudence applicables

– Concurrence potentielle

– Charge de la preuve

– Portée du contrôle exercé par le Tribunal

Sur la première branche

Sur la seconde branche

– Sur la possibilité pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché avec les comprimés qu’il avait déjà reçus ou commandés

– Sur la possibilité pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché avec le citalopram produit selon le procédé de Matrix

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation par la Commission de la portée de l’accord litigieux

Sur l’interprétation de l’accord litigieux

– Sur le libellé du point 1.1

– Sur le préambule

– Sur certaines circonstances relatives à la conclusion de l’accord litigieux

– Sur l’ordonnance par consentement du 2 mai 2002

– Sur certains documents dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte

– Sur la date à laquelle le groupe Alpharma est entré sur le marché

Conclusions sur la portée des obligations assumées par le groupe Alpharma

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification de l’accord litigieux de restriction de la concurrence par objet

Observations liminaires

Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

– Sur la qualification de l’accord litigieux de règlement amiable

– Sur l’absence de certitude en ce qui concerne l’issue d’un éventuel contentieux en matière de brevets

– Sur les montants des paiements effectués par Lundbeck

– Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

– Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

– Sur la jurisprudence américaine

Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit quant à la constatation de l’existence d’une restriction par objet alors même que la portée de l’accord litigieux reflète le pouvoir d’exclusion inhérent aux brevets de Lundbeck

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de non-discrimination du fait que Zoetis est destinataire de la décision attaquée

Sur le septième moyen, tiré d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende infligée aux requérantes

Sur la gravité de l’infraction reprochée aux requérantes

Sur l’insécurité juridique

Sur la portée géographique de l’infraction reprochée aux requérantes

Sur la fixation du montant de base

Sur la possibilité de réduire le montant de l’amende en raison de l’existence des nouveaux brevets de Lundbeck

Sur le taux d’échange utilisé par la Commission

Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation ayant trait au plafonnement de l’amende dont A.L. Industrier est codébiteur

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.