Language of document : ECLI:EU:T:2023:567

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

20 septembre 2023 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la Belgique – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur et illégal et ordonnant la récupération de l’aide versée – Décision fiscale anticipée (tax ruling) – Bénéfices imposables – Exonération des bénéfices excédentaires – Avantage – Caractère sélectif – Récupération »

Dans les affaires T‑266/16, T‑324/16, T‑351/16, T‑363/16, T‑371/16 et T‑388/16,

Capsugel Belgium, établie à Bornem (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑266/16,

VF Europe BVBA, établie à Bornem,

partie requérante dans l’affaire T‑324/16,

Belgacom International Carrier Services, établie à Bruxelles (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑351/16,

Zoetis Belgium, établie à Ottignies-Louvain-la-Neuve (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑363/16,

Ineos Aromatics Ltd, anciennement BP Aromatics Ltd, établie à Geel (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑371/16,

Eval Europe NV, établie à Zwijndrecht (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑388/16,

représentées par Mes C. Borgers, B. Buytaert et H. Vanhulle, avocats,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P.-J. Loewenthal, B. Stromsky et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, M. S. Frimodt Nielsen, Mme V. Tomljenović (rapporteure), MM. R. Norkus et W. Valasidis, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la décision du 16 février 2018 de suspendre la procédure dans l’attente des décisions mettant fin à l’instance dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), et à l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741),

–        la décision du 26 avril 2022 de reprendre la procédure,

–        les questions écrites du Tribunal aux parties et leurs réponses à ces questions,

vu l’ordonnance de la présidente de la deuxième chambre élargie du 21 décembre 2022 portant jonction des affaires T‑266/16, T‑324/16, T‑351/16, T‑363/16, T‑371/16 et T‑388/16 aux fins de la phase orale de la procédure,

à la suite de l’audience du 15 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérantes, dans l’affaire T‑266/16, Capsugel Belgium, dans l’affaire T‑324/16, VF Europe BVBA, dans l’affaire T‑351/16, Belgacom International Carrier Services, dans l’affaire T‑363/16, Zoetis Belgium, dans l’affaire T‑371/16, Ineos Aromatics Ltd, et dans l’affaire T‑388/16, Eval Europe NV, demandent l’annulation de la décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61, ci-après la « décision attaquée »).

I.      Antécédents du litige

2        Les faits à l’origine du litige ainsi que le cadre juridique qui y est afférent ont été exposés par le Tribunal, aux points 1 à 28 de l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), ainsi que par la Cour, aux points 1 à 24 de l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2021:741). Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.

3        Moyennant une décision anticipée adoptée par le « service des décisions anticipées » du service public fédéral des finances belge, sur le fondement de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après le « CIR 92 »), lu conjointement avec l’article 20 de la loi du 24 décembre 2002 modifiant le régime des sociétés en matière d’impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale (Moniteur belge du 31 décembre 2002, p. 58817, ci-après la « loi du 24 décembre 2002 »), les sociétés résidentes belges faisant partie d’un groupe multinational et les établissements stables belges de sociétés résidentes étrangères faisant partie d’un groupe multinational pouvaient réduire leur base imposable en Belgique en déduisant les bénéfices, considérés comme « excédentaires », des bénéfices qu’ils avaient enregistrés. Par ce système, une partie des bénéfices réalisés par les entités belges bénéficiant d’une décision anticipée n’était pas imposée en Belgique Selon les autorités fiscales belges, ces bénéfices excédentaires découlaient des synergies, des économies d’échelle ou d’autres avantages résultant du fait de l’appartenance à un groupe multinational, et, partant, n’étaient pas imputables aux entités belges en question.

4        Il ressort de l’annexe de la décision attaquée ainsi que des pièces qui figurent dans les dossiers dans les présentes affaires que, entre le 15 décembre 2005 et le 20 novembre 2012, le service des décisions anticipées, au sein du ministère des Finances belge, a adopté des décisions anticipées relatives à l’exonération des bénéfices excédentaires à l’égard des requérantes. Celles-ci en avaient fait la demande à la suite de restructurations au sein de leurs groupes d’entreprises visant à effectuer des investissements ou à centraliser un certain nombre de fonctions et de services auprès des sociétés de ces groupes, établies en Belgique. Ces décisions anticipées avaient une validité de cinq ans ou, plus exceptionnellement, de quatre ans.

5        À la suite d’une procédure administrative qui a commencé le 19 décembre 2013, par une lettre par laquelle la Commission européenne a demandé au Royaume de Belgique de lui fournir des renseignements concernant le système des décisions fiscales anticipées, relatives aux bénéfices excédentaires, qui se fondaient sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, la Commission a adopté la décision attaquée le 11 janvier 2016.

6        Par la décision attaquée, la Commission a constaté que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, qui se fondait sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, en vertu duquel le Royaume de Belgique avait émis des décisions anticipées en faveur d’entités belges de groupes multinationaux d’entreprises, accordant auxdites entités une exonération pour une partie des bénéfices qu’elles réalisaient, constituait un régime d’aides d’État, accordant un avantage sélectif à ses bénéficiaires, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui était incompatible avec le marché intérieur.

7        Ainsi, la Commission a soutenu, à titre principal, que le régime en cause octroyait un avantage sélectif aux bénéficiaires des décisions anticipées, dans la mesure où l’exonération de leurs bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges dérogeait au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique. À titre subsidiaire, la Commission a considéré que l’exonération des bénéfices excédentaires pouvait procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires des décisions anticipées, dans la mesure où une telle exonération s’écartait du principe de pleine concurrence.

8        Ayant constaté que le régime en cause avait été mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès de leurs bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.

II.    Conclusions des parties

9        Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler les articles 2 à 4 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

11      Il convient de joindre les présentes affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les parties ayant été entendues.

12      À l’appui de leurs recours et sur la base de requêtes pratiquement identiques, les requérantes soulèvent quatre moyens, qu’il convient d’examiner successivement.

A.      Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté l’existence d’un régime d’aides

13      Dans le cadre du premier moyen, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a erronément qualifié le régime en cause de régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9). Selon les requérantes, la Commission a erronément apprécié les dispositions sur lesquelles se fondait le régime en cause, lesquelles ne reflèteraient pas les éléments essentiels dudit régime. En outre, la Commission aurait erronément considéré que les actes sur lesquels se fonde le prétendu régime d’aides ne nécessitaient pas de mesures d’application supplémentaires.

14      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen.

15      À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a indiqué que la décision attaquée avait établi l’existence d’un régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, ressortant d’une ligne systématique de conduite des autorités fiscales belges, et a ainsi rejeté comme non fondés les moyens invoqués par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, qui étaient tirés de la conclusion erronée relative à l’existence d’un régime d’aides en l’espèce.

16      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le premier moyen invoqué par les requérantes dans les présentes affaires, tiré de la prétendue erreur commise par la Commission dans la constatation de l’existence d’un régime d’aides, celui-ci étant en substance analogue à ceux du Royaume de Belgique et de Magnetrol International, écartés par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi.

B.      Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 107 TFUE, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté que le régime en cause constituait une mesure d’aide d’État

17      Le deuxième moyen invoqué par les requérantes se décline en trois branches, relatives à l’existence d’un avantage, à l’imputabilité au Royaume de Belgique du prétendu avantage et à la sélectivité du régime en cause.

18      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen.

1.      Sur la première branche, contestant la conclusion de la Commission relative à l’existence d’un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

19      Dans le cadre de la présente branche, les requérantes invoquent un défaut de motivation, une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a conclu à l’existence d’un avantage au sens l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elles reprochent, en substance, à la Commission de ne pas avoir examiné de manière distincte la question de savoir si le régime en cause impliquait l’octroi d’un avantage économique aux bénéficiaires concernés. En outre, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le régime en cause conférait un avantage économique aux bénéficiaires dans la mesure où ledit régime se serait écarté du principe de pleine concurrence.

20      D’emblée, il y a lieu de rappeler que la motivation d’un acte adopté par la Commission doit permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin, d’une part, de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d’autre part, de permettre au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle de légalité. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, EU:T:2005:221, points 62 à 63 ; du 16 octobre 2014, Eurallumina/Commission, T‑308/11, non publié, EU:T:2014:894, point 44, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 80).

21      En outre, il y a lieu de relever que, dans l’analyse des conditions énumérées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour qu’une mesure constitue une aide d’État, dont celle afférente à l’existence d’un avantage sélectif, la notion d’ « avantage » et la notion de « sélectivité » de celui-ci constituent deux critères distincts. Pour ce qui est de l’avantage, la Commission doit démontrer que la mesure améliore la situation financière du bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 33). En revanche, pour ce qui est de la sélectivité, la Commission doit démontrer que l’avantage ne bénéficie pas à d’autres entreprises dans une situation juridique et factuelle comparable à celle du bénéficiaire au regard de l’objectif du système de référence (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

22      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être clairement distinguée de la détection concomitante d’un avantage économique, en ce que, lorsque la Commission a décelé la présence d’un avantage, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée, elle est tenue d’établir, en outre, que cet avantage profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises (arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL, C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 59).

23      Il importe néanmoins de préciser qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces deux critères peuvent être examinés conjointement, en tant que « troisième condition », prévue par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, portant sur l’existence d’un « avantage sélectif » (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 32).

24      Dans la décision attaquée, le raisonnement de la Commission concernant l’avantage figure dans le cadre de l’analyse sur l’existence d’un avantage sélectif, à savoir le point 6.3, intitulé « Existence d’un avantage sélectif ». Dans ce point, la Commission a effectivement examiné le critère de l’avantage.

25      À titre préalable, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges n’était pas prévue par le système de l’impôt sur les sociétés belges. En outre, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue le fait que cette exonération aboutissait à une imposition sur la base d’un bénéfice hypothétique, et non sur la base des bénéfices totaux réellement enregistrés par l’entité belge. Au considérant 127 de la décision attaquée, elle a souligné que, bien que le système belge ait prévu des dispositions particulières applicables aux groupes, elles visaient plutôt à mettre sur un pied d’égalité les entités intégrées à des groupes multinationaux et les entités autonomes.

26      Dans ce cadre, au considérant 133 de la décision attaquée, la Commission a signalé que, en vertu du système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, les entités des sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique étaient imposées sur la base de leurs bénéfices réellement enregistrés, et non sur la base d’un niveau hypothétique de bénéfices, raison pour laquelle l’exonération des bénéfices excédentaires conférait un avantage aux entités belges d’un groupe bénéficiant du régime en cause.

27      Au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission a rappelé la jurisprudence selon laquelle un avantage économique peut être conféré en réduisant la charge fiscale d’une entreprise et, en particulier, en réduisant la base imposable ou le montant de l’impôt dû. Ainsi, la Commission a considéré que, en l’espèce, le régime en cause permettait aux sociétés bénéficiaires des décisions anticipées de réduire l’impôt dû en déduisant de leur bénéfice réellement enregistré un bénéfice dit « excédentaire ». Ce dernier était calculé en estimant le bénéfice moyen hypothétique d’entreprises autonomes comparables, de sorte que la différence entre le bénéfice réellement enregistré et ce bénéfice moyen hypothétique se traduisait en un pourcentage d’exonération qui fondait le calcul de la base imposable accordée pour les cinq années pendant lesquelles la décision anticipée était d’application. Dans la mesure où cette base imposable, ainsi calculée au titre des décisions anticipées accordées en vertu du régime en cause, était inférieure à la base imposable en l’absence desdites décisions, un avantage en aurait découlé.

28      Partant, il ressort des considérants de la décision attaquée mis en exergue aux points 25 à 27 ci-dessus que l’avantage retenu par la Commission consistait en la non-imposition des bénéfices excédentaires des sociétés bénéficiaires et en l’imposition des bénéfices de ces dernières calculés uniquement à partir d’un bénéfice moyen hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par ces sociétés et des ajustements légalement prévus, en vertu des décisions anticipées, au titre du régime en cause. Selon la Commission, une telle imposition représentait un allégement de la charge fiscale supportée par les bénéficiaires du régime, par rapport à celle qui aurait découlé de l’imposition normale au titre du système de l’impôt des sociétés en Belgique, laquelle aurait visé la totalité des bénéfices réellement enregistrés, après application des ajustements légalement prévus.

29      Ensuite, l’analyse proprement dite de la sélectivité de cet avantage se trouve, d’une part, aux considérants 136 à 141 de la décision attaquée, au sein du point 6.3.2.1 de cette décision, en ce qui concerne le raisonnement à titre principal de la Commission sur la sélectivité, fondé sur l’existence d’une dérogation au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique. D’autre part, la sélectivité de l’avantage, représenté par l’exonération des bénéfices excédentaires, est analysée également aux considérants 152 à 170 de la décision attaquée, au sein du point 6.3.2.2 de ladite décision, en ce qui concerne le raisonnement à titre subsidiaire de la Commission sur la sélectivité, fondé sur l’existence d’une dérogation au principe de pleine concurrence.

30      Il ressort de ce qui précède que les justifications avancées par la Commission pour étayer ses constatations quant à l’existence d’un avantage et au caractère sélectif de celui-ci satisfont aux exigences de l’obligation de motivation telles qu’énoncées au point 20 ci-dessus.

31      En outre, le fait que, d’un point de vue formel, l’analyse de l’avantage ait été insérée dans une section qui couvre également l’examen de la sélectivité ne révèle pas l’absence d’un examen au fond des deux notions, dans la mesure où l’existence d’un avantage, d’une part, et l’existence de son caractère sélectif, d’autre part, sont effectivement analysées (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 129). Partant, il y a lieu d’écarter les griefs des requérantes tirés d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation du fait d’une telle analyse conjointe.

32      En ce qui concerne les arguments des requérantes contestant l’appréciation de la Commission sur l’existence d’un avantage, découlant d’un écart par rapport au principe de pleine concurrence retenu par celle-ci, il convient de relever que ce n’est que dans le cadre de l’analyse de la sélectivité du régime en cause que la Commission a examiné, à titre subsidiaire, dans quelle mesure ce régime dérogeait au principe de pleine concurrence. Ces arguments sont, partant, dénués de pertinence dans le cadre de l’examen de l’appréciation par la Commission de l’existence d’un avantage.

33      Finalement, s’agissant des arguments d’Eval Europe et d’Ineos Aromatics, tirés en substance de ce que la décision attaquée ne s’appliquerait pas à leur situation individuelle, il y a lieu de rappeler que la légalité d’une décision relative à un régime d’aides d’État ne saurait être remise en cause du fait de la prétendue situation individuelle de ses bénéficiaires. En effet, ainsi que la Cour l’a relevé dans l’arrêt sur pourvoi, dans le cadre d’un régime d’aides, la Commission peut se limiter à étudier ses caractéristiques pour apprécier si ce régime octroie un avantage sélectif à ses bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à affecter les échanges entre États membres. Ainsi, dans une décision qui porte sur un tel régime, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime (arrêt sur pourvoi, point 77). Partant, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir pris en compte la situation individuelle d’Eval Europe et celle d’Ineos Aromatics.

34      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la présente branche relative au défaut de motivation, à l’erreur de droit et à l’erreur manifeste d’appréciation s’agissant de la conclusion de la Commission sur l’existence d’un avantage en l’espèce, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2.      Sur la deuxième branche, concernant l’imputabilité au Royaume de Belgique de l’avantage allégué

35      Les requérantes soutiennent, en substance, que, à supposer que le régime en cause ait conféré un avantage à ses prétendus bénéficiaires, la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en concluant que cet avantage était imputable au Royaume de Belgique. En effet, d’une part, l’octroi d’un avantage par un État membre ne saurait dépendre des actions d’autres États. D’autre part, les bénéfices excédentaires ne relèveraient pas de la compétence fiscale belge, étant donné que ces bénéfices ne seraient pas imputables au contribuable belge.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle la notion d’« aide » est plus générale que celle de « subvention », étant donné qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions d’État qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là même, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques à celles-ci. Ainsi, une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 71 et 72 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, au considérant 114 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que le régime en cause impliquait l’exonération des bénéfices excédentaires, ce qui constituait une réduction de l’impôt dû par les entreprises bénéficiant dudit régime et, partant, une perte de recettes fiscales dont le Royaume de Belgique aurait normalement disposé. Partant, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la conclusion de la Commission relative à l’existence d’un avantage ne dépendait pas des actions de tiers, mais uniquement de l’exonération des bénéfices excédentaires accordée par les autorités fiscales belges au titre du régime en cause.

38      En outre, en vertu de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, le montant total des bénéfices enregistrés des sociétés résidentes est imposable en Belgique. Partant, ces bénéfices doivent être considérés comme relevant de la compétence fiscale du Royaume de Belgique même s’ils peuvent faire l’objet d’ajustements, précisément en vertu des règles fiscales belges applicables, telles que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92.

39      Par ailleurs, pour autant que, en l’espèce, il s’agit de réductions de charges fiscales qui étaient accordées par le service des décisions anticipées à la suite d’une demande effectuée par le bénéficiaire concerné, il ne saurait être soutenu que les bénéfices exonérés étaient, à la base, des bénéfices non imposables en Belgique. En effet, en l’absence d’une demande à cet égard, ces bénéfices auraient été imposés en Belgique. Partant, les requérantes ne sauraient soutenir que l’avantage octroyé du fait de l’exonération des bénéfices excédentaires, accordée par les autorités fiscales belges au titre du régime en cause, ne saurait être imputable à l’État belge.

40      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la présente branche, relative à l’imputabilité au Royaume de Belgique de l’avantage octroyé par le régime en cause.

3.      Sur la troisième branche, concernant la sélectivité du régime en cause

41      Dans le cadre de la présente branche, en substance, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en concluant que le régime en cause était sélectif. Cette branche est divisée en trois sous-branches, relatives, la première, à l’identification erronée du système de référence, la deuxième, à la constatation portant sur l’existence d’une dérogation audit système et, la troisième, à la non prise en considération de la justification avancée pour une telle dérogation, à supposer qu’elle ait existé.

a)      Sur l’identification du système de référence

42      Les requérantes soutiennent, à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour, que la Commission n’est pas compétente pour définir de façon autonome l’imposition dite « normale » dans un État membre aux fins de la détermination du système de référence et que, en revanche, c’est la traduction normative de l’intention du législateur dans chaque État qui détermine les contours du système de référence.

43      Plus particulièrement, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation, dans la mesure où elle a considéré que l’exonération des bénéfices excédentaires ne faisait pas partie intégrante du système de référence, alors qu’elle aurait reconnu que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 constituait la base légale dudit régime. En outre, contrairement à ce que soutiendrait la Commission, les sociétés seraient soumises à l’imposition en Belgique sur leurs bénéfices imposables et non sur leurs bénéfices comptables, dans la mesure où des ajustements seraient prévus, notamment afin de prévenir la double imposition. Par ailleurs, la Commission aurait ignoré que le régime en cause visait à mettre sur un pied d’égalité les groupes multinationaux avec les entités autonomes.

1)      Observations liminaires

44      À titre liminaire, il importe de rappeler que la détermination du système de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ». Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 69 et jurisprudence citée).

45      Dans ce contexte, il a été jugé que la détermination du système de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (voir arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 62 et jurisprudence citée).

46      En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que, si les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, il n’en demeure pas moins que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité. Il en va notamment ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt et de son fait générateur (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 65 et 73 et jurisprudence citée).

47      Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe, cette identification étant elle‑même un préalable indispensable, en vue d’apprécier non seulement l’existence d’un avantage, mais aussi la question de savoir si celui-ci revêt un caractère sélectif.

48      Par ailleurs, afin de déterminer si une mesure fiscale a fait bénéficier une entreprise d’un avantage sélectif, il incombe à la Commission de procéder à une comparaison avec le système d’imposition normalement applicable dans l’État membre concerné, au terme d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État. Ne sauraient donc être pris en compte, dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 92 et 96).

49      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu d’examiner les arguments des requérantes contestant l’identification du système de référence par la Commission, tels qu’indiqués au point 42 ci-dessus.

2)      Sur la prise en compte du droit national aux fins de la détermination de l’imposition normale applicable en Belgique

50      En l’espèce, aux considérants 121 à 129 de la décision attaquée, la Commission a exposé sa position concernant le système de référence.

51      Ainsi, aux considérants 121 et 122 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le système de référence était le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés, prévu par le régime de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, dont l’objectif était l’imposition des bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Belgique. En renvoyant à l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, la Commission a relevé que le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique s’appliquait aux sociétés résidentes en Belgique ainsi qu’aux succursales belges de sociétés non résidentes. En vertu de cette disposition, les sociétés résidentes en Belgique étaient tenues de payer l’impôt sur le revenu des sociétés sur le montant total des bénéfices qu’elles réalisaient, sauf lorsqu’une convention contre les doubles impositions s’appliquait. En outre, en vertu des articles 227 et 229 du CIR 92, les sociétés non résidentes n’étaient soumises à l’impôt sur le revenu des sociétés que pour certains types de revenus spécifiques de source belge. Par ailleurs, la Commission a souligné que, dans les deux cas, l’impôt belge sur les sociétés était dû sur le bénéfice total imposable en vertu du système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, au titre de l’article 24 du CIR 92. En vertu de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, lu en liaison avec les articles 1er, 24, 183, 227 et 229 du CIR 92, le bénéfice total imposable correspondait aux revenus des sociétés, dont étaient soustraites les dépenses déductibles, qui étaient généralement enregistrées dans la comptabilité. À ce bénéfice s’appliquait ensuite une série d’ajustements positifs et négatifs, prévus par le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, notamment par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92.

52      Aux considérants 123 à 128 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires appliqué par les autorités fiscales belges ne faisait pas partie intégrante du système de référence.

53      Plus précisément, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’une telle exonération n’était prescrite par aucune disposition du CIR 92. En effet, l’article 185, paragraphe 2, sous a), du CIR 92 permettait à l’administration fiscale belge de procéder à un ajustement unilatéral primaire des bénéfices d’une société, pour le cas où des transactions ou des arrangements avec des sociétés liées étaient effectués dans des conditions qui s’écartaient de celles de pleine concurrence. En revanche, l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 prévoyait la possibilité d’effectuer des ajustements négatifs des bénéfices d’une société, générés par une transaction ou un arrangement intragroupe, à la condition supplémentaire que le bénéfice à ajuster eût été inclus dans le bénéfice de la contrepartie étrangère à cette transaction ou à cet arrangement.

54      En outre, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique visait à imposer les entreprises soumises à l’impôt, sur leurs bénéfices réels, indépendamment de leur forme juridique, de leur taille ou de leur appartenance ou non à un groupe multinational d’entreprises.

55      Par ailleurs, au considérant 127 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, aux fins du calcul des bénéfices imposables, les sociétés intégrées d’un groupe multinational étaient tenues de fixer les prix à appliquer à leurs transactions intragroupes au lieu d’utiliser des prix dictés directement par le marché, raison pour laquelle la législation fiscale belge prévoyait des dispositions particulières applicables aux groupes, qui visaient généralement à mettre sur un pied d’égalité les sociétés non intégrées et les entités économiques structurées sous la forme de groupes.

56      Au considérant 129 de la décision attaquée, la Commission a conclu que le système de référence à prendre en considération était le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, dont l’objectif était d’imposer de la même manière les bénéfices de toutes les sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique. Ce système comprenait les ajustements applicables, conformément au système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, qui déterminaient le bénéfice imposable de la société aux fins de la perception de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

57      D’emblée, il convient de relever que les requérantes ne contestent pas, en tant que telle, la conclusion générale figurant au considérant 129 de la décision attaquée, selon laquelle le système de référence est le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, dont l’objectif est d’imposer de la même manière les bénéfices de toutes les sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique.

58      En revanche, contrairement aux arguments des requérantes, il ressort de ce qui précède que, dans le cadre de l’identification du système de référence, aux fins d’établir quel est le régime fiscal commun ou « normal » applicable en Belgique, la Commission s’est fondée sur les dispositions légales applicables, à savoir notamment le CIR 92. En effet, sur la base des informations transmises par le Royaume de Belgique dans le cadre de la procédure administrative, la Commission a décrit le cadre législatif applicable et a exposé, notamment aux considérants 23 à 28 de la décision attaquée, le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, tel que prévu par le CIR 92. Plus particulièrement, ainsi qu’il a été relevé au point 51 ci-dessus, la Commission s’est référée explicitement aux articles 1er, 24, 183 et 185 du CIR 92. Aux fins de l’identification du système de référence, la Commission s’est appuyée sur ces dispositions par des références croisées à ces considérants.

59      Par ailleurs, la Commission a précisément pris en compte la volonté du législateur, lorsqu’elle a analysé la portée de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92. En effet, la Commission a fondé son analyse sur la base du libellé de cette disposition et sur les textes accompagnant son entrée en vigueur. Ainsi, aux considérants 29 à 38 de la décision attaquée, la Commission a décrit de manière détaillée, premièrement, le texte de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, introduit par la loi du 21 juin 2004, modifiant le CIR 92 et la loi du 24 décembre 2002 (Moniteur belge du 9 juillet 2004, p. 54623, ci-après la « loi du 21 juin 2004 »), deuxièmement, l’exposé des motifs figurant dans le projet de ladite loi, présenté le 30 avril 2004 par le gouvernement belge à la Chambre des représentants de Belgique (ci-après l’« exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 ») et, troisièmement, la circulaire du 4 juillet 2006, concernant l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92 (ci-après la « circulaire administrative du 4 juillet 2006 »).

60      Il en va différemment pour les réponses du ministre des Finances à des questions parlementaires sur l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 du 13 avril 2005, du 11 avril 2007 et du 6 janvier 2015, décrites aux considérants 39 à 42 de la décision attaquée, lesquelles constituent des orientations sur l’application par les autorités fiscales belges du système d’exonération des bénéfices excédentaires, ainsi que les requérantes elles-mêmes le reconnaissent. Contrairement à ce que font valoir les requérantes, ces réponses ne sauraient être présentées comme issues de la volonté du législateur belge, mais présentent plutôt la pratique des autorités fiscales belges, qui constitue précisément la mesure étatique en cause par la Commission.

61      Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas défini de manière autonome quel était le système du régime fiscal commun ou « normal », applicable en Belgique, mais s’est limitée aux dispositions légales applicables telles que communiquées par le Royaume de Belgique dans le cadre de la procédure administrative.

3)      Sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

62      Il convient de rappeler que la Commission n’a pas exclu l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 du système de référence. En revanche, elle a considéré que le régime des bénéfices excédentaires, appliqué par les autorités fiscales belges, ne faisait pas partie dudit système, ce que les requérantes contestent.

63      Ainsi, afin de déterminer si la Commission a correctement conclu que le régime des bénéfices excédentaires n’était pas prévu par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, il convient d’examiner, d’une part, la portée de cette disposition et, d’autre part, le régime des bénéfices excédentaires, tel qu’il est appliqué par les autorités fiscales belges.

i)      Sur la portée de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92

64      Ainsi qu’il a été indiqué au point 59 ci-dessus, la Commission a fondé son analyse sur la base du libellé de cette disposition et des textes accompagnant son entrée en vigueur, à savoir l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 et la circulaire administrative du 4 juillet 2006.

65      Tout d’abord, dans sa version applicable en l’espèce, l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, auquel fait référence le considérant 29 de la décision attaquée, est libellé comme suit :

« Sans préjudice de l’alinéa 2, pour deux sociétés faisant partie d’un groupe multinational de sociétés liées et en ce qui concerne leurs relations transfrontalières réciproques :

[…]

b)       lorsque, dans les bénéfices d’une société sont repris des bénéfices qui sont également repris dans les bénéfices d’une autre société, et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes, les bénéfices de la première société sont ajustés d’une manière appropriée.

L’alinéa 1er s’applique par décision anticipée sans préjudice de l’application de la Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de corrections des bénéfices des entreprises associées (90/436) du 23 juillet 1990 et des conventions internationales préventives de la double imposition. »

66      Ensuite, l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, auquel fait référence le considérant 34 de la décision attaquée, indique que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 prévoit un ajustement corrélatif approprié afin d’éviter ou de supprimer une double imposition (possible) et qu’il ne faut procéder à un ajustement corrélatif que si l’administration fiscale ou le service des décisions anticipées estime que l’ajustement primaire est justifié en ce qui concerne son principe et son montant.

67      Par ailleurs, l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 précise que ladite disposition ne s’applique pas si le bénéfice réalisé dans l’État partenaire est majoré de telle façon qu’il est supérieur à celui qui serait obtenu en cas d’application du principe de pleine concurrence, les autorités fiscales belges n’étant pas contraintes d’accepter les conséquences d’un ajustement arbitraire ou unilatéral dans l’État partenaire.

68      Enfin, la circulaire administrative du 4 juillet 2006, à laquelle fait référence le considérant 38 de la décision attaquée, réitère le constat suivant lequel un tel ajustement négatif ne s’applique pas lorsque l’ajustement positif primaire opéré par une autre juridiction est excessif. Par ailleurs, ladite circulaire reprend largement le texte de l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, en ce qu’elle rappelle que l’ajustement négatif corrélatif trouve son sens dans le principe de pleine concurrence, qu’il a pour objectif d’éviter ou de supprimer une double imposition (possible) et qu’il doit s’effectuer de manière appropriée, à savoir que les autorités fiscales belges ne peuvent procéder à cet ajustement que si ce dernier est justifié en son principe et en son montant.

69      Partant, il ressort du libellé de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 que l’ajustement négatif est prévu dans le cadre des relations transfrontalières entre deux sociétés liées et qu’il doit être corrélatif, en ce sens qu’il n’est applicable qu’à la condition que les bénéfices faisant l’objet de l’ajustement soient également repris dans les bénéfices de l’autre société et que ces bénéfices ainsi inclus soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre sociétés indépendantes.

70      Cette constatation est confirmée tant par l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 que par la circulaire administrative du 4 juillet 2006, qui soulignent que l’ajustement corrélatif doit être approprié en son principe et en son montant et qu’il n’est pas procédé à cet ajustement si les bénéfices réalisés dans un autre État sont majorés de façon à ce qu’ils deviennent supérieurs à ceux qui auraient été obtenus en application du principe de pleine concurrence. En effet, ces textes indiquent que l’ajustement négatif, prévu par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, requiert une corrélation entre les bénéfices ajustés à la baisse en Belgique et des bénéfices repris dans une autre société du groupe établie dans un autre État.

ii)    Sur le régime des bénéfices excédentaires

71      Le régime des bénéfices excédentaires, tel qu’appliqué par les autorités fiscales belges, est décrit par la Commission, aux considérants 13 à 22 de la décision attaquée. En outre, aux considérants 39 à 42 de la décision attaquée, la Commission a pris en compte les réponses du ministre des Finances belge à des questions parlementaires sur l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 du 13 avril 2005, du 11 avril 2007 et du 6 janvier 2015. Ces réponses expliquent la pratique administrative des autorités fiscales belges relative aux bénéfices excédentaires.

72      Il ressort des réponses indiquées au point 60 ci-dessus que, dans le cadre du régime des bénéfices excédentaires appliqué par les autorités fiscales belges, l’ajustement négatif des bénéfices permettant de déduire de la base imposable lesdits bénéfices excédentaires n’était pas conditionné par le fait que les bénéfices exonérés aient été repris dans les bénéfices d’une autre société et que ces bénéfices soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre elles avaient été celles qui auraient été convenues entre sociétés indépendantes.

73      En outre, il ressort des explications fournies par le Royaume de Belgique, telles qu’elles sont reprises notamment aux considérants 15 à 20 de la décision attaquée, que l’exonération appliquée par les autorités fiscales belges, au titre du régime en cause, était fondée sur un pourcentage d’exonération, calculé sur la base d’un bénéfice moyen hypothétique pour l’entité belge, obtenu à partir d’un indicateur du niveau de bénéfice résultant d’une comparaison avec les bénéfices des entreprises autonomes comparables et fixé comme une valeur située dans la fourchette interquartile dudit indicateur du niveau de bénéfice, choisi pour un ensemble d’entreprises comparable. Ce pourcentage d’exonération aurait été applicable pendant plusieurs années, à savoir pendant la durée de validité de la décision anticipée. Ainsi, l’imposition des entités belges qui en résultait ne prenait pas comme point de départ la totalité des bénéfices réellement enregistrés, au sens des articles 1er, 24, 183 et 185, paragraphe 1, du CIR 92, auxquels auraient été appliqués les ajustements légalement prévus dans le cas des groupes d’entreprises, au titre de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, mais plutôt un bénéfice moyen hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par l’entité belge en question et des ajustements légalement prévus.

iii) Conclusion sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

74      Il ressort de ce qui précède que, alors que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 requiert, aux fins d’un ajustement négatif, que les bénéfices à ajuster aient été également repris dans les bénéfices d’une autre société et qu’ils soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes, le régime des bénéfices excédentaires était appliqué par les autorités belges sans prendre en considération ces conditions.

75      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, c’est à juste titre que la Commission a considéré que l’exonération des bénéfices excédentaires, telle qu’appliquée par les autorités fiscales belges au titre du régime en cause, ne faisait pas partie du système de référence.

4)      Sur la possibilité d’effectuer des ajustements sur les bénéfices enregistrés par les sociétés imposables

76      S’agissant des arguments des requérantes faisant valoir que la Commission n’aurait pas pris en considération la possibilité d’effectuer des ajustements sur les bénéfices enregistrés par les sociétés imposables, il y a lieu de relever qu’il ressort des précisions apportées par la Commission, au considérant 123 de la décision attaquée, qu’elle a pris en considération le fait que la base pour le calcul du bénéfice imposable était constituée par le bénéfice total enregistré de l’entité en question, sur lequel étaient effectués les ajustements, négatifs et positifs, prévus par le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

77      Plus spécifiquement, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les ajustements positifs et négatifs, prévus à l’article 185, paragraphe 2, sous a) et b), du CIR 92, constituaient des dispositions fiscales particulières applicables à des situations dans lesquelles les conditions fixées pour une transaction ou un arrangement s’écartaient de celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes.

78      Partant, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission a pris en compte le fait que, dans le régime fiscal applicable en Belgique, spécifiquement en ce qui concerne la base imposable pour l’impôt sur les bénéfices des sociétés, il existait la possibilité d’effectuer des ajustements positifs et négatifs sur les bénéfices enregistrés. Pour ces mêmes raisons, les griefs des requérantes, tirés d’une prétendue méconnaissance par la Commission de l’existence, dans le régime fiscal belge, d’une différence entre le bénéfice comptable et le bénéfice imposable, ne sauraient prospérer.

5)      Sur la prise en compte de ce que le régime en cause visait à mettre sur un pied d’égalité les groupes multinationaux avec les entités autonomes

79      Ainsi qu’il a été relevé aux points 53 à 55 ci-dessus, il convient de rappeler que, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges n’était pas prévue par le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique. En outre, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue le fait que cette exonération était calculée en faisant abstraction des bénéfices totaux réellement enregistrés par l’entité belge et des ajustements légalement prévus. Au considérant 127 de la décision attaquée, elle a souligné que, bien que le système belge ait prévu des dispositions particulières applicables aux groupes, celles-ci visaient plutôt à mettre sur un pied d’égalité les entités intégrées à des groupes multinationaux et les entités autonomes.

80      Dans ce cadre, au considérant 133 de la décision attaquée, la Commission a signalé que, en vertu du système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, les entités de sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique étaient imposées sur la base de leurs bénéfices réellement enregistrés, et non sur la base d’un niveau hypothétique de bénéfices, raison pour laquelle l’exonération des bénéfices excédentaires conférait un avantage aux entités belges d’un groupe bénéficiant du régime en cause.

81      Au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission a rappelé la jurisprudence selon laquelle un avantage économique peut être conféré en réduisant la charge fiscale d’une entreprise et, en particulier, en réduisant la base imposable ou le montant de l’impôt dû. Ainsi, elle a considéré que, en l’espèce, le régime en cause permettait aux sociétés bénéficiaires des décisions anticipées de réduire l’impôt dû, en déduisant de leur bénéfice réellement enregistré un bénéfice dit « excédentaire ». Ce dernier était calculé en estimant le bénéfice moyen hypothétique d’entreprises autonomes comparables, de sorte que la différence entre le bénéfice réellement enregistré et ce bénéfice moyen hypothétique se traduisait en un pourcentage d’exonération qui fondait le calcul de la base imposable accordée pour les cinq années pendant lesquelles la décision anticipée était d’application.

82      Partant, contrairement aux arguments des requérantes, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a pris en compte le fait que, au sein du système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Belgique, il existait des règles visant à mettre sur un pied d’égalité les entités intégrées à des groupes multinationaux et les entités autonomes.

83      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter l’ensemble des arguments des requérantes contestant l’identification du système de référence effectuée par la Commission dans la décision attaquée.

b)      Sur l’existence d’une dérogation au système de référence conduisant à un traitement différencié des bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable

84      Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en constatant que le régime en cause constituait une dérogation sélective par rapport au système de référence qui aurait conduit à un traitement différencié des bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable.

85      Ainsi, à l’encontre du raisonnement de la Commission à titre principal sur l’existence d’un avantage sélectif, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a décidé, à tort, que les sociétés imposées en Belgique le seraient sur leur bénéfice réellement enregistré. En outre, elles estiment, en substance, que la Commission a erronément considéré que le régime en cause procurait un avantage sélectif aux entités belges, dans la mesure où ledit régime n’était pas accessible à toutes les entités se trouvant dans une situation juridique et factuelle similaire. Finalement, les requérantes relèvent, en substance, que le régime en cause ne saurait être considéré comme sélectif, étant donné qu’il ne serait pas possible d’identifier une catégorie particulière d’entreprises qui pourrait être distinguée par des propriétés spécifiques.

1)      Sur l’imposition des sociétés sur leurs bénéfices réellement enregistrés

86      Il y a lieu de relever que, au considérant 122 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le bénéfice total était fixé selon les règles relatives aux bénéfices énoncées dans les dispositions relatives au calcul des bénéfices imposables, tels que définis à l’article 24 du CIR 92.

87      L’article 24 du CIR 92 prévoit que les revenus imposables des entreprises industrielles, commerciales et agricoles englobent tous les revenus découlant d’activités entrepreneuriales, tels que les bénéfices provenant de « toutes les opérations traitées par les établissements de ces entreprises ou par l’intermédiaire de ceux-ci » et de « tout accroissement de la valeur des éléments d’actif […] et de tout amoindrissement de la valeur des éléments de passif […] lorsque ces plus-values ou moins-values ont été réalisées ou exprimées dans la comptabilité ou les comptes annuels ».

88      En outre, le considérant 122 de la décision attaquée renvoie à l’article 183 et à l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92. En vertu de l’article 183 du CIR 92, les revenus soumis à l’impôt des sociétés sont les mêmes que ceux qui sont envisagés en matière d’impôt des personnes physiques, dont le calcul repose sur le principe selon lequel le revenu imposable est constitué de l’ensemble des revenus nets, y compris les bénéfices, diminué des dépenses déductibles. Par ailleurs, en vertu de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, les sociétés sont imposables sur le montant total des bénéfices.

89      Il en découle que les bénéfices imposables, aux fins du CIR 92, sont constitués, à la base, par tous les bénéfices enregistrés par les entreprises assujetties à l’impôt en Belgique, dans la mesure où ils constituent le point de départ du calcul dudit impôt en Belgique, sur lesquels sont applicables les déductions légalement prévues.

90      Par ailleurs, ainsi qu’il a été indiqué aux points 76 à 78 ci-dessus, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas fait abstraction du fait que, s’agissant des bénéfices issus de transactions entre sociétés liées, des ajustements devaient être effectués aux fins de la détermination des bénéfices imposables de la société assujettie à l’impôt en Belgique.

91      Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la position prise par la Commission dans la décision attaquée n’implique pas que tout bénéfice enregistré par les sociétés soumises à l’impôt en Belgique doive être imposé par les autorités fiscales belges sans que des ajustements puissent être appliqués aux bénéfices enregistrés dans la comptabilité de ces sociétés. En effet, la Commission elle-même prend en compte le fait que le bénéfice total enregistré constitue la base du calcul sur laquelle des ajustements sont prévus par le système commun de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

92      De plus, ce que la Commission reproche aux autorités fiscales belges est leur pratique consistant à imposer uniquement un bénéfice hypothétique, faisant abstraction du bénéfice total réalisé par l’entité belge en question et des ajustements légalement prévus.

93      Dans ces circonstances, il y a lieu d’écarter les arguments des requérantes visant à contester la constatation effectuée par la Commission, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, selon laquelle le régime d’exonération des bénéfices excédentaires dérogeait au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique.

2)      Sur l’existence d’un traitement différencié des bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable

94      S’agissant de la question de savoir si le régime en cause a conduit à un traitement différencié de ses bénéficiaires par rapport à d’autres opérateurs se trouvant dans une situation comparable, il convient de relever que la Commission a avancé, aux considérants 138 à 140 de la décision attaquée, trois motifs alternatifs pour étayer sa conclusion, qu’il convient d’examiner successivement aux fins d’exhaustivité.

i)      Sur le traitement différencié des bénéficiaires intégrés à un groupe multinational d’entreprises

95      Au considérant 138 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que le régime était sélectif parce qu’il était ouvert uniquement aux entités faisant partie d’un groupe multinational d’entreprises.

96      En l’occurrence, il est constant que le régime en cause, permettant de faire valoir la non-imposition des bénéfices considérés comme étant excédentaires, est ouvert uniquement aux entités faisant partie d’un groupe multinational d’entreprises.

97      Certes, l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 a vocation à s’appliquer à des sociétés intégrées à un groupe multinational. Toutefois, ainsi qu’il ressort des textes accompagnant l’entrée en vigueur de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, présentés par le Royaume de Belgique, la finalité de cette disposition vise précisément à placer sur un pied d’égalité les entreprises liées et les entreprises non liées.

98      À cet égard, ainsi qu’il a été indiqué aux points 56 et 57 ci-dessus, il importe de rappeler que l’objectif du système de droit commun de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, tel qu’il ressort du considérant 129 de la décision attaquée, est d’imposer tous les bénéfices imposables des entités soumises à l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, qu’elles soient autonomes ou intégrées dans un groupe multinational d’entreprises. En outre, ainsi qu’il a été indiqué au point 89 ci-dessus, selon les règles normales d’imposition en Belgique, les bénéfices imposables des entreprises sont, à la base, tous les bénéfices qui ont été réalisés ou exprimés dans la comptabilité ou les comptes annuels de celles-ci.

99      En revanche, l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges, en ce qu’elle déroge à l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, octroyait un allégement fiscal aux bénéficiaires concernés, au motif qu’ils faisaient partie d’un groupe multinational d’entreprises, en leur permettant de déduire de leur assiette imposable une partie de leurs bénéfices enregistrés, sans que ces bénéfices exonérés n’aient été repris dans les bénéfices d’une autre société du groupe.

100    Il existerait, partant, un traitement différencié, entre les entités intégrées à un groupe multinational, ayant bénéficié, en vertu du régime en cause, de l’exonération des bénéfices excédentaires, à hauteur d’un pourcentage d’exonération calculé sur la base d’un bénéfice moyen hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par ces sociétés et des ajustements légalement prévus, et d’autres entités, autonomes ou intégrées au sein d’un groupe d’entreprises, qui auraient été imposées conformément aux règles normales d’imposition des sociétés en Belgique sur la totalité de leurs bénéfices réellement enregistrés, le cas échéant, s’agissant des entités intégrées, après application de l’ajustement au titre de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, suivant les conditions qui y sont prévues.

101    Ainsi, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir soutenu que les entités faisant partie d’un groupe multinational ayant bénéficié de l’exonération des bénéfices excédentaires, au titre du régime en cause, qui constitue un ajustement qui n’est pas en tant que tel prévu par la loi, auraient reçu un traitement différencié par rapport à d’autres entités en Belgique n’en ayant pas bénéficié, alors que ces entités se trouvaient dans une situation factuelle et juridique comparable, au regard de l’objectif du système de droit commun de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, à savoir imposer tous les bénéfices imposables de toutes les sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique.

ii)    Sur le traitement différencié par rapport aux entreprises n’ayant pas procédé à des investissements, à la création d’emplois ou à la centralisation d’activités en Belgique

102    Au considérant 139 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que le régime en cause était sélectif dans la mesure où il n’était pas ouvert à des sociétés qui auraient décidé de ne pas effectuer des investissements, de ne pas créer des emplois ou de ne pas centraliser des activités en Belgique. La Commission a relevé que l’article 20 de la loi du 24 décembre 2002 subordonnait l’adoption des décisions anticipées à l’existence d’une situation ou d’une opération n’ayant pas produit d’effets sur le plan fiscal et qu’une décision anticipée était nécessaire pour bénéficier de l’exonération des bénéfices excédentaires.

103    La Commission a également relevé que, dans l’échantillon des décisions anticipées accordant une exonération des bénéfices excédentaires qu’elle a analysé, chaque décision anticipée mentionnait des investissements importants, la centralisation d’activités ou la création d’emplois en Belgique. De ce fait, elle a considéré que l’obligation relative à la « situation nouvelle », à laquelle étaient soumises les demandes de décisions anticipées afin de bénéficier de l’exonération des bénéfices excédentaires, donnait lieu à un traitement différencié des groupes multinationaux qui modifiaient leur modèle d’entreprise en mettant en place de nouvelles activités en Belgique par rapport à tous les autres opérateurs économiques, y compris les groupes multinationaux, qui continuaient de suivre leur modèle d’entreprise existant en Belgique.

104    À cet égard, il convient de rappeler que, aux points 142 à 144 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a confirmé que le choix d’un échantillon constitué de 22 décisions anticipées, adoptées au cours des années 2005, 2007, 2010 et 2013, était approprié et suffisamment représentatif.

105    En outre, il convient de relever que l’article 20 de la loi du 24 décembre 2002 définit la décision anticipée comme étant l’acte juridique par lequel le service public fédéral des finances détermine, conformément aux dispositions en vigueur, comment la loi s’appliquera à une situation ou à une opération particulière qui n’a pas encore produit d’effets sur le plan fiscal. Par ailleurs, l’article 22 de cette même loi précise qu’une décision anticipée ne peut être adoptée, notamment, lorsque la demande a trait à des situations ou à des opérations identiques à celles ayant déjà produit des effets sur le plan fiscal à l’égard du demandeur.

106    Certes, de la lecture des dispositions indiquées au point 105 ci-dessus, il ne saurait être déduit que la réalisation d’investissements, la création d’emplois ou la centralisation d’activités en Belgique constituent des conditions explicitement exigées pour l’obtention d’une décision anticipée.

107    Toutefois, il ressort de l’échantillon des décisions anticipées, analysé par la Commission dans la décision attaquée, que ces décisions ont effectivement été accordées à la suite de propositions des demandeurs de réaliser des investissements en Belgique, d’y relocaliser certaines fonctions ou d’y créer un certain nombre d’emplois. En effet, les trois exemples décrits dans la note en bas de page no 80 de la décision attaquée, dans lesquels les demandeurs des décisions anticipées en question ont décrit leurs plans d’investissements et de recentralisation d’activités en Belgique, révèlent que, dans la pratique, la condition pour l’adoption d’une décision anticipée, relative à l’existence d’une situation n’ayant pas produit des effets fiscaux, a été remplie par des investissements, par la centralisation d’activités ou par la création d’emplois en Belgique.

108    À cet égard, il convient de rappeler que, en l’espèce, c’est précisément la pratique administrative des autorités fiscales belges, consistant à exonérer des bénéfices par des décisions anticipées, qui a été considérée comme étant dérogatoire à ce qui est prévu à l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92. Or, en vertu desdites décisions anticipées, leurs bénéficiaires ont obtenu un avantage consistant en l’allégement de leur assiette imposable, du fait de l’exonération des bénéfices dits « excédentaires ». En revanche, les entités n’ayant pas procédé à une modification de leur modèle d’entreprise, afin de créer des situations fiscales nouvelles qui, au regard d’une telle pratique, consistaient systématiquement en des investissements, en la centralisation d’activités ou en la création d’emplois en Belgique, et, partant, n’ayant pas demandé de décision anticipée ont été imposées sur l’ensemble de leurs bénéfices imposables. Partant, le régime en cause a donné lieu à un traitement différencié de sociétés se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable, au regard de l’objectif du système de droit commun de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

109    Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir soutenu, au considérant 139 de la décision attaquée, que le système en cause était sélectif parce qu’il n’était pas ouvert à des sociétés qui avaient décidé de ne pas effectuer des investissements en Belgique, de ne pas y centraliser des activités et de ne pas y créer des emplois.

iii) Sur le traitement différencié par rapport aux entreprises faisant partie d’un groupe de petite taille

110    En l’espèce, la Commission a soutenu, au considérant 140 de la décision attaquée, que le régime en cause était sélectif dans la mesure où seules les entités belges, faisant partie d’un groupe multinational de grande taille ou de taille moyenne, pouvaient effectivement bénéficier de l’exonération des bénéfices excédentaires.

111    En effet, au considérant 140 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que seules les entités appartenant à un groupe multinational suffisamment grand étaient incitées à obtenir une décision anticipée, étant donné que c’était uniquement au sein de grands groupes d’entreprises qu’étaient susceptibles d’être générés des bénéfices tirés de synergies, d’économies d’échelle et d’autres avantages, d’une hauteur significative justifiant la demande de décision anticipée. En outre, la Commission a relevé que le processus d’obtention d’une telle décision nécessitait une demande détaillée présentant la situation nouvelle qui justifiait l’exonération ainsi que des études sur les bénéfices excédentaires, ce qui aurait été plus contraignant pour les petits groupes de sociétés que pour les grands.

112    À cet égard, il n’est pas contesté que, au sein de l’échantillon de 22 décisions anticipées au titre du régime en cause examiné par la Commission, tel qu’il a été décrit au considérant 65 de la décision attaquée et qui a été qualifié comme étant approprié et représentatif, aux points 142 à 144 de l’arrêt sur pourvoi, aucune de ces décisions ne concernait des entités appartenant à des groupes d’entreprises de petite taille.

113    En outre, ainsi qu’il est indiqué au considérant 66 de la décision attaquée, il n’est pas contesté que, au cours de la procédure administrative, à la suite d’un tel constat par la Commission sur la base de l’échantillon de 22 décisions anticipées et en réponse à une demande formulée par celle-ci à cet égard, le Royaume de Belgique n’est pas parvenu à étayer son allégation selon laquelle l’exonération avait été accordée aussi à des entreprises appartenant à des groupes d’entreprises de petite taille.

114    Partant, au regard de la pratique administrative visée par la Commission, ce sont des entreprises faisant partie de groupes de grande et de moyenne taille qui se sont prévalues du régime d’exonération des bénéfices excédentaires, à l’exclusion des entreprises faisant partie d’un groupe d’entreprises de petite taille.

115    Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir soutenu, au considérant 140 de la décision attaquée, que le système en cause était sélectif parce qu’il n’était pas ouvert aux entreprises faisant partie d’un groupe de petite taille.

116    En tout état de cause, à supposer même que la Commission ait retenu à tort un tel motif relatif au traitement différencié par rapport aux entreprises faisant partie d’un groupe de petite taille, cela n’affecterait pas la validité des deux autres motifs avancés par la Commission et examinés, respectivement, aux points 95 à 101 et 102 à 109 ci-dessus.

3)      Sur le grief concernant la non-identification d’une catégorie particulière d’entreprises qui pourrait être distinguée par des propriétés spécifiques

117    À l’égard du grief invoqué par les requérantes, tiré de ce que la Commission n’aurait pas identifié une catégorie particulière d’entreprises susceptibles de bénéficier du régime en cause, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il n’est pas exigé de la Commission qu’elle détermine une catégorie donnée d’entreprises favorisées par une mesure fiscale afin de pouvoir constater sa sélectivité (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 93). Partant ce grief doit être écarté.

4)      Conclusion sur le raisonnement à titre principal de la Commission

118    Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas erronément constaté, à l’issue de son raisonnement à titre principal, d’une part, que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires dérogeait au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique. D’autre part, la Commission n’a pas erronément considéré que le régime en question n’était pas accessible à toutes les entités se trouvant dans une situation juridique et factuelle similaire, au vu de l’objectif du système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique qui était d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Belgique.

119    Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé des arguments des requérantes soulevés à l’encontre du raisonnement subsidiaire sur la sélectivité, développé par la Commission au point 6.3.2.2 de la décision attaquée.

c)      Sur l’existence d’une justification fondée sur la nature et l’économie générale du système fiscal

120    Les requérantes soutiennent, en substance, que, même si le régime en cause avait dérogé de manière sélective au système de référence, quod non, il serait justifié par la nature et l’économie générale du système fiscal belge, en ce qu’il viserait à la prévention d’une double imposition.

121    À cet égard, il y a lieu de relever que, aux considérants 173 à 181 de la décision attaquée, la Commission a conclu, en substance, que le Royaume de Belgique n’était pas parvenu à établir que les mesures en cause poursuivaient réellement l’objectif d’éviter la double imposition. Selon la Commission, dans la mesure où l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 prévoyait un ajustement négatif des bénéfices d’une société si ceux-ci avaient été repris dans les bénéfices d’une autre société, l’exonération appliquée par les autorités fiscales belges, sans qu’il fût nécessaire de prouver que les bénéfices excédentaires à exonérer auraient été inclus dans la base imposable d’une autre société, ne pouvait se justifier par l’économie générale du système. Ainsi, la Commission en a conclu que l’exonération unilatérale en cause ne répondait pas de façon nécessaire et proportionnée à des situations de double imposition.

122    Il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence, une mesure constituant une exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée si l’État membre concerné parvient à démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal. À cet égard, il serait nécessaire de distinguer entre, d’une part, les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs. Ainsi, des exonérations fiscales qui résulteraient d’un objectif étranger au système d’imposition dans lequel elles s’inscrivent ne sauraient échapper aux exigences découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 64, 65, 69 et 70).

123    En l’espèce, il a été constaté, aux points 72 et 73 ci-dessus, que l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges n’était pas soumise à la condition de prouver que ceux-ci avaient été inclus dans les bénéfices d’une autre société. Il n’était pas non plus requis que ces bénéfices excédentaires aient effectivement fait l’objet d’une imposition dans un autre État. Ainsi, force est de constater que les mesures en cause n’étaient pas conditionnées à l’existence de situations de double imposition fiscale possible ou réelle. En effet, c’est précisément lorsque les bénéfices d’une entité belge sont également repris dans les bénéfices d’une autre société, établie dans un autre État, que la possibilité d’une double imposition peut exister.

124    Dans ces circonstances, il ne saurait être soutenu que l’exonération des bénéfices excédentaires, telle qu’appliquée par les autorités fiscales belges, visait à éviter la double imposition, réelle ou possible. Partant, c’est à juste titre que la Commission a conclu qu’une telle exonération ne répondait pas de façon nécessaire et proportionnée à des situations de double imposition.

125    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter les arguments des requérantes tirés de la prétendue appréciation erronée de la Commission sur l’inexistence d’une justification fondée sur la nature et l’économie générale du système fiscal belge.

d)      Conclusion sur le moyen tiré de la violation de l’article 107 TFUE, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté que le régime en cause constituait une mesure d’aide d’État

126    Il ressort des constatations effectuées aux points 34, 40, 83, 118 et 125 ci-dessus que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas erronément conclu que le régime en cause accordait un avantage à ses bénéficiaires, lequel était imputable au Royaume de Belgique, et qu’il était sélectif, en ce que ledit régime constituait une dérogation au système de référence conduisant à un traitement différencié de ses bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable, qui, par ailleurs, n’était pas justifié par la nature du système fiscal, pour autant qu’il ne visait pas à éviter la double imposition.

127    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen invoqué par les requérantes dans les présentes affaires, tiré de la violation de l’article 107 TFUE, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté que le régime en cause constituait une mesure d’aide d’État.

C.      Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 et des principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, du fait de la récupération des aides ordonnée par la Commission

128    Les requérantes soutiennent, en substance, que, sur la base d’une pratique décisionnelle constante de la Commission, qui ne remettait pas en cause l’application du principe de pleine concurrence internationalement reconnu, la Commission, en ordonnant la récupération de la prétendue aide dans les présentes affaires, a violé l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 ainsi que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

129    La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen.

130    En vertu de l’article 16 du règlement 2015/1589, lorsque la Commission constate l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et illégale, elle décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire, à moins que, ce faisant, elle aille à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.

131    Selon une jurisprudence constante, la conséquence logique de la constatation de l’illégalité d’une aide est sa suppression par voie de récupération afin de rétablir la situation antérieure. En effet, le principal objectif visé par la récupération d’une aide d’État versée illégalement est d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par une telle aide. Or, par le remboursement de l’aide, le bénéficiaire perd l’avantage dont il disposait sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 131 et jurisprudence citée).

132    S’agissant de l’allégation tirée d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, en vertu d’une jurisprudence constante, ce principe s’inscrit parmi les principes fondamentaux de l’Union et la possibilité de s’en prévaloir est ouverte à tout opérateur économique chez lequel une institution, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (voir arrêt du 24 octobre 2013, Kone e.a./Commission, C‑510/11 P, non publié, EU:C:2013:696, point 76 et jurisprudence citée).

133    Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle elles sont communiquées, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises qui lui auraient été fournies par l’administration (voir arrêt du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, EU:T:2006:47, point 88 et jurisprudence citée).

134    En l’espèce, les requérantes se limitent à affirmer qu’elles ne pouvaient pas s’attendre à ce que les décisions anticipées constituent des aides d’État du fait d’une prétendue pratique antérieure de la Commission concernant le principe de pleine concurrence. Elles n’avancent aucun argument, qui serait étayé par des éléments de preuve, pour établir qu’elles auraient reçu des assurances précises de la part de la Commission, au sens de la jurisprudence citée au point 132 ci-dessus, de nature à faire naître des espérances fondées sur le fait qu’elle ne considérerait pas comme des aides d’État illégales et incompatibles des exonérations accordées par des décisions anticipées s’écartant du système général d’imposition des sociétés en Belgique, et notamment de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92.

135    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, à supposer qu’il existe une pratique antérieure de la Commission qui diffèrerait de l’approche adoptée en l’espèce, une telle pratique ne saurait lier la Commission, qui est censée fonder son appréciation sur les seules dispositions juridiques applicables du traité FUE et du droit dérivé. En effet, c’est dans le seul cadre de l’article 107 TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission constatant qu’une mesure constitue une aide, et non à l’aune d’une prétendue pratique antérieure.

136    En tout état de cause, la Commission ayant conclu, à bon droit, au titre de son raisonnement principal, que le régime en cause avait accordé à ses bénéficiaires un avantage sélectif au sens de l’article 107 TFUE (point 118 ci-dessus), les arguments des requérantes faisant valoir la violation du principe de protection de la confiance légitime par la Commission dans le cadre de son raisonnement subsidiaire sont inopérants.

137    S’agissant de la prétendue violation du principe de sécurité juridique, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit certaine et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêt du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑194/09 P, EU:C:2011:497, point 71 et jurisprudence citée).

138    Ainsi, pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 134 à 136 ci-dessus, la qualification en tant qu’aide d’État incompatible et illégale du régime d’exonération des bénéfices excédentaires, appliqué par les autorités fiscales belges, en ce qu’il était susceptible d’alléger les charges grevant le budget des bénéficiaires dudit régime, ne saurait être considérée comme imprévisible pour lesdits bénéficiaires aux termes de la jurisprudence rappelée au point 137 ci-dessus et donc comme contraire au principe de sécurité juridique.

139    Dans ces circonstances, il y a lieu d’écarter le troisième moyen invoqué par les requérantes dans les présentes affaires, tiré de la violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 et des principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime du fait de la récupération des aides ordonnée par la Commission.

D.      Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 6, TFUE et de l’abus de pouvoir en raison de l’ingérence de la Commission dans la compétence fiscale du Royaume de Belgique

140    Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission aurait utilisé le droit de l’Union en matière d’aides d’État afin d’harmoniser la législation fiscale de l’Union en définissant unilatéralement des notions relevant de la compétence fiscale du Royaume de Belgique. En effet, l’objectif d’une harmonisation positive par l’Union dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale ne saurait être légitimement mis en œuvre que par la voie législative prévue à l’article 115 TFUE et non par l’utilisation par la Commission de ses pouvoirs, en vertu des règles relatives aux aides d’État. Partant, la Commission aurait violé la répartition des compétences et l’équilibre institutionnel consacrés par les traités.

141    La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen.

142    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà écarté une telle argumentation à l’encontre de la décision attaquée, en considérant notamment qu’il ne pouvait pas être reproché à la Commission d’avoir outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné les mesures constituant le régime en cause et vérifié si ces mesures constituaient des aides d’État et si, dans l’affirmative, elles étaient compatibles avec le marché intérieur (arrêt sur pourvoi, point 163). En effet, en exerçant leur compétence en matière fiscale et en adoptant des mesures nécessaires pour éviter les situations de double imposition, les États membres doivent s’abstenir d’adopter des mesures susceptibles de constituer des aides d’État, dont le contrôle relève de la compétence de la Commission (arrêt sur pourvoi, point 166).

143    Il s’ensuit que la Commission n’a pas outrepassé ses compétences et partant, n’a pas abusé de son pouvoir, lorsqu’elle a décidé d’examiner la compatibilité des décisions anticipées accordées par les autorités fiscales belges en vertu du régime en cause avec les règles en matière d’aides d’État.

144    En outre, pour autant que les requérantes répètent dans une large mesure les arguments qu’elles ont soulevés dans le cadre des autres moyens invoqués dans les présents recours, par lesquels elles ont contesté les appréciations de la Commission, formulées dans la décision attaquée et relatives à la constatation selon laquelle le régime en cause avait octroyé un avantage sélectif à ses bénéficiaires, il convient de rappeler que ces arguments ont été rejetés comme étant non fondés ou inopérants.

145    Dans ces circonstances et eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’écarter le quatrième moyen invoqué par les requérantes dans les présentes affaires, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 6, TFUE, et de l’abus de pouvoir en raison de l’ingérence de la Commission dans la compétence fiscale du Royaume de Belgique.

146    Aucun des moyens soulevés par les requérantes n’étant fondé, il y a donc lieu de rejeter les recours dans leur ensemble.

IV.    Sur les dépens

147    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes dans les présentes affaires ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens afférents à ces affaires, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T266/16, T324/16, T351/16, T363/16, T371/16 et T388/16 sont jointes aux fins du présent arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      Capsugel Belgium supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, dans l’affaire T266/16.

4)      VF Europe BVBA supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, dans l’affaire T324/16.

5)      Belgacom International Carrier Services supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, dans l’affaire T351/16.

6)      Zoetis Belgium supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, dans l’affaire T363/16.

7)      Ineos Aromatics Ltd supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, dans l’affaire T371/16.

8)      Eval Europe NV supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, dans l’affaire T388/16.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Tomljenović

Norkus

 

      Valasidis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2023.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté l’existence d’un régime d’aides

B. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 107 TFUE, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté que le régime en cause constituait une mesure d’aide d’État

1. Sur la première branche, contestant la conclusion de la Commission relative à l’existence d’un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

2. Sur la deuxième branche, concernant l’imputabilité au Royaume de Belgique de l’avantage allégué

3. Sur la troisième branche, concernant la sélectivité du régime en cause

a) Sur l’identification du système de référence

1) Observations liminaires

2) Sur la prise en compte du droit national aux fins de la détermination de l’imposition normale applicable en Belgique

3) Sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

i) Sur la portée de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92

ii) Sur le régime des bénéfices excédentaires

iii) Conclusion sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

4) Sur la possibilité d’effectuer des ajustements sur les bénéfices enregistrés par les sociétés imposables

5) Sur la prise en compte de ce que le régime en cause visait à mettre sur un pied d’égalité les groupes multinationaux avec les entités autonomes

b) Sur l’existence d’une dérogation au système de référence conduisant à un traitement différencié des bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable

1) Sur l’imposition des sociétés sur leurs bénéfices réellement enregistrés

2) Sur l’existence d’un traitement différencié des bénéficiaires par rapport à des opérateurs économiques se trouvant dans une situation comparable

i) Sur le traitement différencié des bénéficiaires intégrés à un groupe multinational d’entreprises

ii) Sur le traitement différencié par rapport aux entreprises n’ayant pas procédé à des investissements, à la création d’emplois ou à la centralisation d’activités en Belgique

iii) Sur le traitement différencié par rapport aux entreprises faisant partie d’un groupe de petite taille

3) Sur le grief concernant la non-identification d’une catégorie particulière d’entreprises qui pourrait être distinguée par des propriétés spécifiques

4) Conclusion sur le raisonnement à titre principal de la Commission

c) Sur l’existence d’une justification fondée sur la nature et l’économie générale du système fiscal

d) Conclusion sur le moyen tiré de la violation de l’article 107 TFUE, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a constaté que le régime en cause constituait une mesure d’aide d’État

C. Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 et des principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, du fait de la récupération des aides ordonnée par la Commission

D. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 6, TFUE et de l’abus de pouvoir en raison de l’ingérence de la Commission dans la compétence fiscale du Royaume de Belgique

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.