Language of document : ECLI:EU:T:2001:32

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

31 janvier 2001 (1)

«Marque communautaire - Vocable DOUBLEMINT - Motif absolu de refus - Article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) n° 40/94»

Dans l'affaire T-193/99,

Wm. Wrigley Jr. Company, établie à Chicago, Illinois (États-Unis d'Amérique), représentée par Me M. Kinkeldey, avocat à Munich, Maximilianstraße 58, Munich (Allemagne),

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mmes V. Melgar, chef de service au département juridique, et S. Laitinen, membre du même département, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique de la Commission, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 16 juin 1999 (affaire R 216/1998-1), concernant l'enregistrement du vocable DOUBLEMINT comme marque communautaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. Potocki et A. W. H. Meij, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 1er septembre 1999,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 1999,

à la suite de la procédure orale du 14 septembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1.
    Le 29 mars 1996, la requérante a présenté, en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié, une demande de marque verbale communautaire à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l'«Office»).

2.
    La marque dont l'enregistrement a été demandé est le vocable DOUBLEMINT.

3.
    Les produits pour lesquels l'enregistrement a été demandé relèvent, notamment, des classes 3, 5 et 30 au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et plus précisément:

«produits cosmétiques; dentifrices y compris gommes à mâcher à usage cosmétique» (classe 3),

«produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques y compris gommes à mâcher à usage médical et gommes à mâcher avec des additifs médicinaux» (classe 5),

«café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés de café; farines et préparations faites de céréales, pain, biscuits, gâteaux, pâtisserie et confiserie, caramels, glaces comestibles; miel, sirop de mélasse, levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde, poivre; vinaigre, sauces (condiments); épices; glace à rafraîchir; confiserie et gommes à mâcher sans additifs médicinaux, confiserie y compris gommes à mâcher; gommes à mâcher contenant du sucre, gommes à mâcher ordinaires; confiserie non médicinale, chocolat, sucres, bonbons» (classe 30).

4.
    Par décision du 13 octobre 1998, l'examinateur a rejeté la demande au titre de l'article 38 du règlement n° 40/94 au motif que le vocable demandé était purement descriptif et tombait donc sous le coup de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94.

5.
    Le 8 décembre 1998, la requérante a formé un recours auprès de l'Office, au titre de l'article 59 du règlement n° 40/94, contre la décision de l'examinateur. Elle a soutenu que, considéré dans son ensemble, le vocable doit être conçu comme la création d'un mot nouveau. Le consommateur ne percevrait pas les mots «double» et «mint» comme ayant chacun une seule signification, mais devrait procéder à plusieurs opérations mentales pour parvenir à la compréhension finale de leur sens.

6.
    Le recours a été rejeté par décision du 16 juin 1999 (ci-après la «décision attaquée»). En substance, la chambre de recours a considéré que le vocable litigieux, une combinaison de deux mots anglais sans ajout d'élément de fantaisie ou imaginatif, était descriptif de certaines caractéristiques des produits en cause. Il ne pourrait donc pas être enregistré comme marque communautaire.

Conclusions des parties

7.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner l'Office aux dépens.

8.
    L'Office conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

9.
    Lors de l'audience, l'Office a déclaré, sans être contredit par la requérante sur ce point, que, selon ses recherches, chacun des produits visés par la demande d'enregistrement et énumérés au point 3 ci-dessus pouvait contenir de la menthe. La requérante a déclaré, pour sa part, que ses activités commerciales étaient actuellement centrées sur les gommes à mâcher. Néanmoins, sa demande d'enregistrement viserait tous les produits mentionnés audit point 3; en effet, il serait possible que ses activités fassent l'objet d'une diversification vers des produits autres que les gommes à mâcher.

En droit

10.
    À l'appui de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré d'une violation de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94.

Arguments des parties

11.
    La requérante estime que le vocable DOUBLEMINT ne tombe pas sous le coup de la disposition en cause. Cette dernière ne couvre que les marques qui sont composées «exclusivement» d'indications de nature descriptive. Dès qu'un effort mental, même minime, est nécessaire pour saisir clairement une signification possible de la marque, celle-ci a un caractère suggestif. Or, l'expression DOUBLEMINT comporte des éléments inventifs.

12.
    Selon la requérante, c'est à tort que la chambre de recours a souligné que DOUBLEMINT signifie «deux fois plus de menthe que la normale»; en effet, le consommateur ne peut pas savoir ce qu'est la «quantité normale de menthe» des produits en cause, étant donné qu'aucune définition n'existe à cet égard. Par conséquent, il n'existe pas de goût qui est «deux fois plus fort que la normale». Le terme DOUBLEMINT fournit donc non pas la description d'une caractéristique définissable des produits en cause, mais une impression très extravagante et diffuse quant à la qualité de ces produits. De telles marques sont les meilleures parce qu'elles restent figées dans l'esprit des consommateurs.

13.
    En tout état de cause, le vocable DOUBLEMINT doit être considéré dans son ensemble. Il s'agit d'une expression peu courante et de fantaisie. En outre, le fait que le mot DOUBLEMINT ne figure dans aucun dictionnaire constitue un indice important en faveur de son caractère inventif et de fantaisie.

14.
    L'Office souligne que les indications descriptives, au sens de la disposition en cause, ne sont pas aptes, de par leur nature, à remplir la fonction d'une marque. S'il s'agitde néologismes, qui ne figurent pas en tant que tels dans les dictionnaires, la pratique de l'Office consiste à se référer à la compréhension qu'en a un individu moyen. Dans l'hypothèse de marques verbales composées de plusieurs termes, il convient de se fonder, dans chaque cas d'espèce, sur la compréhension normale et spontanée d'un individu moyen.

15.
    Quant au cas d'espèce, l'Office rappelle que l'expression composée DOUBLEMINT consiste en deux termes communs de la langue anglaise. Un consommateur, qui voit cette expression sur un paquet de gommes à mâcher ou dans une publicité pour gommes à mâcher, a l'impression que le produit contient une grande quantité de menthe ou qu'on lui a adjoint une saveur de menthe. Le message étant limité à la description de caractéristiques immédiates, le vocable n'est pas enregistrable.

16.
    L'Office ajoute que la circonstance que le terme DOUBLEMINT a deux significations - à savoir «deux fois plus de menthe que la normale» et «ayant la saveur de deux sortes de menthe» - ne confère pas au vocable litigieux un caractère suggestif, étant donné que chacune des deux significations est purement descriptive.

Appréciation du Tribunal

17.
    Aux termes de l'article 4 du règlement n° 40/94, l'élément déterminant pour qu'un signe susceptible de représentation graphique puisse constituer une marque communautaire consiste dans son aptitude à distinguer les produits d'une entreprise de ceux d'une autre entreprise.

18.
    Il en découle, notamment, que les motifs absolus de refus énoncés à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 ne peuvent être appréciés que par rapport aux produits pour lesquels l'enregistrement du signe est demandé (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 1999, Procter & Gamble/OHMI, BABY-DRY, T-163/98, Rec. p. II-2383, points 20 et 21).

19.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 - seule disposition en cause en l'espèce -, sont refusées à l'enregistrement «les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit [...] ou d'autres caractéristiques de [celui]-ci».

20.
    Ainsi, le législateur a voulu que - sous réserve de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 - de tels signes soient, par leur nature purement descriptive, réputés inaptes à distinguer les produits d'une entreprise de ceux d'une autre entreprise. En revanche, les signes ou indications dont la signification dépasse lecaractère exclusivement descriptif sont susceptibles d'être enregistrés en tant que marques communautaires.

21.
    En l'espèce, il convient de rappeler que la chambre de recours constate, dans la décision attaquée, que le vocable DOUBLEMINT est une combinaison de deux mots anglais, à savoir le mot «double» - qui signifie «composé de deux membres, choses, couches, ensembles» et «d'au moins deux fois les taille, valeur, intensité normales» - ainsi que le mot «mint» - qui signifie, notamment, «toutes les différentes plantes aromatiques du genre Mentha dont les fleurs sont de couleurs lilas et qui comprend la menthe verte, la menthe poivrée et d'autres herbes culinaires» et «un bonbon ou un chocolat aromatisé avec un extrait d'une telle plante, en particulier la menthe poivrée». Selon la chambre de recours, ce vocable indique immédiatement aux consommateurs potentiels que les produits en cause comprennent «deux fois plus de menthe que la normale» ou qu'ils ont la «saveur de deux sortes de menthe».

22.
    La chambre de recours n'attache aucune pertinence à la circonstance que tant le mot «double» que le mot «mint» ont des significations alternatives, au motif que le consommateur, confronté au vocable litigieux, estime, de l'avis de la chambre de recours, que le produit en cause contient une «grande quantité de menthe» ou a «la saveur de la menthe». Elle conclut que le vocable en cause est purement descriptif et ne peut donc pas être enregistré en tant que marque communautaire.

23.
    C'est à tort que la chambre de recours a considéré le vocable DOUBLEMINT comme exclusivement descriptif.

24.
    Tout d'abord, employé comme terme élogieux visant à qualifier un produit donné, l'adjectif «double» a un caractère inaccoutumé par rapport à des termes laudatifs plus directs et banals tels que «much», «strong», «extra», «best» ou «finest» (beaucoup, fort, extra, meilleur ou plus fin), d'autant plus que, en l'espèce, cet adjectif ne fait aucune allusion comparative à l'état «simple» du même produit ou d'un produit concurrent.

25.
    Ensuite, la chambre de recours a elle-même constaté que le terme «double», combiné plus particulièrement avec le mot «mint», a deux significations distinctes pour le consommateur potentiel: «deux fois plus de menthe que la normale» ou «ayant la saveur de deux sortes de menthe».

26.
    Or, sur la base de cette constatation, il n'est pas possible de déduire du seul vocable DOUBLEMINT si le produit visé contient deux fois plus de menthe, par exemple de menthe poivrée, ou s'il a une saveur de deux différentes sortes de menthe, par exemple menthe poivrée et menthe verte.

27.
    Enfin, quant à la seule hypothèse d'une combinaison de deux sortes de menthe, il se peut, en outre, que la saveur de menthe verte ou celle d'une autre herbe culinaire soit beaucoup plus intense que celle de menthe poivrée, si bien que leconsommateur doit s'attendre à ce qu'un produit contenant deux sortes de menthe ait un goût très éloigné de celui d'un produit contenant la seule sorte de menthe poivrée en double quantité.

28.
    Toujours au regard d'une combinaison de deux sortes de menthe, il importe de rappeler, enfin, que «mint» est un terme générique qui inclut, selon les constatations de la chambre de recours, la menthe verte, la menthe poivrée et d'autres herbes culinaires. Par conséquent, il y a plusieurs possibilités de combiner deux sortes de menthe, et cela, en plus, à des intensités de saveur variées pour chaque combinaison.

29.
    Dès lors, les nombreuses significations que comporte le vocable composé DOUBLEMINT - dont chaque composante est un mot courant de la langue anglaise - s'imposent d'elles-mêmes, au moins de manière associative ou allusive, pour un consommateur moyen d'expression anglaise et privent ainsi ce signe de toute fonction descriptive, au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, alors que, pour un consommateur qui ne maîtrise pas suffisamment la langue anglaise, le vocable litigieux aura, par nature, une signification vague et de fantaisie.

30.
    De l'ensemble des considérations précédentes il résulte que le vocable DOUBLEMINT, rapporté aux produits visés par la demande d'enregistrement, a un sens équivoque et suggestif qui est ouvert à des interprétations diverses. La multiplicité des combinaisons sémantiques possibles exclut donc que le consommateur en retienne une en particulier. Dès lors, le vocable litigieux ne permet pas au public concerné de déceler immédiatement et sans autre réflexion la description d'une caractéristique des produits en cause.

31.
    Par conséquent, ce vocable ne saurait être qualifié d'exclusivement descriptif.

32.
    Il s'ensuit que la décision attaquée doit être annulée.

Sur les dépens

33.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

34.
    En l'espèce, l'Office a succombé. En conséquence, il y a lieu, au vu des conclusions de la requérante, de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la première chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 16 juin 1999 (affaire R 216/1998-1) est annulée.

2)    La partie défenderesse supportera les dépens.

Pirrung
Potocki
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 janvier 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: l'anglais.