Language of document : ECLI:EU:T:2001:43

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

7 février 2001 (1)

«Recours en annulation - Décision 98/653/CE de la Commission - Mesures d'urgence motivées par les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparus au Portugal - Personnes physiques ou morales - Acte les concernant directement et individuellement - Recevabilité»

Dans les affaires T-38/99 à T-50/99,

Sociedade Agrícola dos Arinhos, Ld.², établie à Lisbonne (Portugal),

Sociedade Agrícola do Monte da Aldeia, Ld.², établie à Lisbonne,

António José da Veiga Teixeira, demeurant à Coruche (Portugal),

Sociedade Agrícola Monte da Senhora do Carmo SA, établie à Almeirim (Portugal),

Sociedade Agrícola de Perescuma SA, établie à Almeirim,

Sociedade Agrícola Couto de Fornilhos SA, établie à Moura (Portugal),

Casa Agrícola da Raposeira, Ld.² , établie à Coruche,

José de Barahona Núncio, demeurant à Évora (Portugal),

Prestase - Prestação de Serviços e Contabilidade, Ld.², établie à Lisbonne,

Sociedade Agro-Pecuária da Herdade do Zambujal, Ld.², établie à Palmela (Portugal),

Francisco Luís Pinheiro Caldeira, demeurant à Campo Maior (Portugal),

Sociedade Agrícola Cabral de Ascensão, Ld.², établie à Horta dos Arcos, Serpa (Portugal),

Joaquim Inácio Passanha Braancamp Sobral, demeurant à Lisbonne,

représentés par Mes C. Botelho Moniz et J. Rôla Roque, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

soutenues par

République portugaise, représentée par MM. L. Fernandes, A.C. de Seiça Neves et Mme A.M. Gonçalves Monteiro, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme A. M. Alves Vieira et M. G. Berscheid, en qualité d'agents, assistés de Me V. Airão, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de l'article 2, sous a), de la décision 98/653/CE de la Commission, du 18 novembre 1998, concernant certaines mesures d'urgence rendues nécessaires par les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparus au Portugal (JO L 311, p. 23), en ce qu'il interdit d'expédier, à partir duPortugal et vers l'Espagne et la France, des taureaux de combat destinés à des manifestations culturelles ou sportives,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 20 septembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits et cadre juridique

1.
    Les treize requérantes sont des éleveurs portugais de taureaux de combat. Ces taureaux sont destinés à des manifestations culturelles ou sportives qui, dans les pays de l'Union européenne, ne sont organisées qu'au Portugal, en Espagne et en France. Cette race de taureaux n'est élevée que dans ces trois États membres.

2.
    Le 10 novembre 1998, après avoir appris l'imminence de l'adoption d'une décision communautaire relative à l'exportation des bovins portugais, l'association portugaise des éleveurs de taureaux de combat a adressé une télécopie au président de la Commission contenant un exposé destiné à attirer son attention sur la spécificité de la situation des taureaux de combat portugais.

3.
    Le 18 novembre 1998, la Commission a adopté la décision 98/653/CE concernant certaines mesures d'urgence rendues nécessaires par les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparus au Portugal (JO L 311, p. 23, ci-après la «décision attaquée»). Cette décision est fondée sur le traité CE, sur la directive 90/425/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29), modifiée en dernier lieu par la directive 92/118/CEE (JO L 62, p. 49), et notamment sur son article 10, paragraphe 4, ainsi que sur la directive 89/662/CEE du Conseil, du 11 décembre 1989, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation dumarché intérieur (JO L 395, p. 13), modifiée en dernier lieu par la directive 92/118, et notamment sur son article 9, paragraphe 4.

4.
    Au point 3 des considérants de la décision attaquée, la Commission indique que plusieurs missions concernant des problèmes liés à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après l'«ESB») ont été effectuées au Portugal en 1996, desquelles il ressortait que la gestion de tous les facteurs de risque n'était pas encore adéquate. En outre, une mission de suivi, effectuée par l'office alimentaire et vétérinaire de la Commission entre le 28 septembre et le 2 octobre 1998, avait confirmé la persistance de certaines carences dans la mise en oeuvre des mesures de lutte contre les facteurs de risque.

5.
    L'article 2 de la décision attaquée dispose:

«Le Portugal veille à ce que ne soient pas expédiés à partir de son territoire vers les autres États membres ou des pays tiers:

a)    des animaux vivants de l'espèce bovine et des embryons d'animaux de l'espèce bovine;

    [...]»

6.
    Aux termes de l'article 4 de cette décision, le Portugal veille à ce que ne soient expédiés jusqu'au 1er août 1999 à partir de son territoire vers les autres États membres ou vers les États tiers la viande, les produits ou le matériel provenant de bovins ayant été abattus au Portugal.

7.
    L'article 16, paragraphe 1, de la décision attaquée prévoyait:

«La présente décision est révisée au plus tard 18 mois [après] son adoption, dans l'attente d'un examen de l'ensemble de la situation, notamment en fonction de l'évolution de l'incidence de la maladie et de la mise en oeuvre effective de toutes les mesures pertinentes, et à la lumière des nouvelles informations scientifiques disponibles.»

8.
    Selon l'article 18 de cette décision, les États membres sont destinataires de celle-ci.

9.
    L'interdiction d'expédition hors du Portugal établie dans la décision attaquée a été ultérieurement prolongée jusqu'au 1er février 2000 par la décision 1999/517/CE de la Commission, du 28 juillet 1999 (JO L 197, p. 45), qui a, en outre, introduit certaines modifications à la décision attaquée.

10.
    La décision attaquée a été également modifiée par la décision 1999/713/CE de la Commission, du 21 octobre 1999 (JO L 281, p. 90). Cette décision, qui introduit quelques exceptions à l'interdiction d'expédition établie par la décision attaquée, admet, notamment, la possibilité d'expédier des taureaux de combat à partir du territoire portugais vers d'autres États membres, sous certaines conditions.

11.
    La décision attaquée a été encore modifiée par la décision 2000/104/CE de la Commission, du 31 janvier 2000 (JO L 29, p. 36). La limitation temporelle de l'interdiction d'expédition prévue à l'article 4 de la décision attaquée a été supprimée. En outre, son article 16 a été modifié afin de prévoir la révision de la décision attaquée, telle que modifiée, «le 18 mai 2000 au plus tard, dans l'attente d'un examen de l'ensemble de la situation».

12.
    Par les décisions 2000/371/CE et 2000/372/CE, du 6 juin 2000 (JO L 134, p. 34 et 35), la Commission a fait usage de la faculté prévue à l'article 3, paragraphe 7, de la décision attaquée, tel qu'introduit par la décision 99/713, et a fixé au 7 juin 2000 la date à laquelle peut commencer l'expédition des taureaux de combat du Portugal vers la France et l'Espagne, respectivement.

Procédure et conclusions des parties

13.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 12 février 1999, les requérantes ont introduit des recours en annulation de l'article 2, sous a), de la décision attaquée, en ce qu'il interdit l'expédition, à partir du Portugal, de taureaux de combat, qui ont été regroupés lors de leur inscription au registre, constituant donc une seule affaire.

14.
    Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 avril 1999, sept des requérantes au principal ont introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CE (devenus articles 242 CE et 243 CE) et des articles 104 et suivants du règlement de procédure, une demande de mesures provisoires. Elles ont demandé au juge des référés le sursis à l'exécution de l'article 2, sous a), de la décision attaquée, en ce qu'il interdit d'expédier, à partir du Portugal, des taureaux de combat et l'adoption de toute autre mesure provisoire que le juge des référés jugerait appropriée.

15.
    Par ordonnance du 9 août 1999, le président du Tribunal a rejeté la demande de mesures provisoires.

16.
    Par ordonnance du 14 octobre 1999, le président de la quatrième chambre du Tribunal a accepté la demande d'intervention du gouvernement portugais à l'appui des conclusions des requérantes.

17.
    Les parties aux présents recours ont été expressément invitées par le Tribunal à se prononcer sur la modification de la décision attaquée introduite par la décision 99/713 et sur l'incidence de cette modification sur la présente affaire. Les parties requérantes ont maintenu leurs recours sans y apporter de modifications.

18.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale.

19.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 20 septembre 2000.

20.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler l'article 2, sous a), de la décision attaquée, en ce qu'il interdit d'expédier, à partir du Portugal et vers l'Espagne et la France, des taureaux de combat destinés à combattre lors de manifestations culturelles ou sportives qui ont lieu dans ces États membres;

-    condamner la Commission à l'intégralité des dépens.

21.
    La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer les recours fondés et, par conséquent, annuler la décision attaquée conformément à ce que les requérantes ont demandé;

-    condamner la Commission aux dépens.

22.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter les recours comme irrecevables ou, subsidiairement, comme non fondés;

-    condamner les requérantes aux dépens.

En droit

23.
    Les requérantes invoquent en substance deux moyens. Le premier est tiré d'une erreur sur les prémisses de la décision et d'un défaut de motivation; le second est tiré de la violation des articles 30, 34 et 36 du traité CE (devenus, après modification, les articles 28 CE, 29 CE et 30 CE) et du principe de proportionnalité. La Commission conteste les moyens des requérantes et excipe de l'irrecevabilité des recours.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

24.
    La Commission soutient qu'aucune des requérantes est individuellement concernée par la décision attaquée, puisque leur situation de fait ne présenterait pas de caractéristiques spécifiques les individualisant d'une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision le serait.

25.
    À cet égard, la Commission considère que la situation des requérantes ne doit pas être distinguée de celle des éleveurs portugais d'autres bovins. Elle fait valoir, notamment, que le fait que les taureaux de combat ne sont élevés que pour participer à des événements sportifs ou tauromachiques n'empêcherait pas que,après avoir été tué dans l'arène, l'animal puisse entrer dans la chaîne alimentaire, sa viande pouvant, notamment, être consommée dans des restaurants spécialisés.

26.
    À l'audience, la défenderesse a encore souligné que la télécopie adressée par les requérantes au président de la Commission, et contenant un exposé de leur position, a été envoyée seulement dix jours avant l'adoption formelle de la décision attaquée. À cette date, le projet de cette décision avait déjà été établi en fonction d'un avis du comité vétérinaire, adopté le mois d'octobre 1998, conformément à la législation applicable.

27.
    Les requérantes soutiennent qu'elles remplissent les conditions tenant à la qualité pour agir, consacrées à l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu article 230, quatrième alinéa, CE), la décision attaquée les concernant de manière directe et individuelle.

28.
    Elles font valoir l'existence de circonstances de fait qui les caractérisent par rapport aux autres éleveurs et commerçants de bovins vivants, auxquels, dans l'abstrait, s'applique l'interdiction mentionnée.

29.
    En premier lieu, les requérantes élèvent une race unique de bovins destinés à combattre lors d'événements culturels ou sportifs qui ne se déroulent qu'au Portugal, en Espagne et en France. Ces taureaux de combat se distingueraient de tous les autres bovins; il serait logique de les exporter, même si, en raison de la protection de la santé publique, ils doivent être détruits après le combat.

30.
    En deuxième lieu, elles sont inscrites dans le livre généalogique portugais des taureaux de combat et dans le livre généalogique espagnol de la race des taureaux de combat. L'inscription dans ce dernier est autonome de celle dans le premier, étant soumise aux exigences propres de la réglementation espagnole.

31.
    En troisième lieu, pour l'expédition et le transport de leurs taureaux vers l'Espagne ou vers la France, les requérantes seraient soumises aux règles spécifiquement applicables aux taureaux de combat (qui ne sont pas applicables aux autres bovins) et qui garantissent un contrôle rigoureux de tous les animaux transportés. Ces règles seraient un élément fondamental de l'ensemble des garanties relatives à la traçabilité des animaux.

32.
    En quatrième lieu, avant même l'adoption de la décision attaquée et par l'intermédiaire de l'association dont elles sont membres (l'association portugaise des éleveurs de taureaux de combat), les requérantes auraient attiré l'attention de la Commission sur les caractéristiques spécifiques des taureaux de combat et de la réglementation qui leur est applicable et lui auraient demandé de tenir compte de ces caractéristiques. Cette association n'a pas d'activité économique et commerciale propre ni d'activité autonome par rapport à celle de ses membres.

33.
    À ce propos, les requérantes rappellent qu'elles ont présenté, conjointement avec les autres membres de l'association portugaise des éleveurs de taureaux de combat, une plainte devant la Commission, le 20 juillet 1998, lui demandant d'intervenir à propos des difficultés causées par les autorités espagnoles concernant l'exportation des taureaux de combat inscrits dans le livre généalogique portugais. Dans cette plainte, elles auraient communiqué à la Commission des informations lui permettant de comprendre la spécificité de la réglementation applicable aux taureaux de combat par rapport à celle applicable aux autres bovins.

34.
    En outre, le 10 novembre 1998, à la suite d'informations concernant l'adoption imminente d'une décision d'interdiction totale d'exportation des bovins, les requérantes auraient envoyé par télécopie au président de la Commission un exposé destiné à attirer son attention sur la situation spécifique des taureaux de combat portugais. Dans cet exposé, les requérantes insisteraient sur le fait qu'il serait possible d'adopter d'autres mesures (telle que l'obligation d'incinération des taureaux après le spectacle) qui, tout en étant également protectrices de la santé publique, auraient des répercussions moins restrictives sur le commerce intracommunautaire.

35.
    Finalement, les requérantes ajoutent encore que la plupart d'entre elles avaient conclu, avec des opérateurs espagnols et français, des contrats ayant pour objet la vente de taureaux de combat destinés aux arènes espagnoles et/ou françaises au cours de la saison de tauromachie 1999. L'exécution de ces contrats aurait été rendue impossible par la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

36.
    En vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

37.
    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision peuvent prétendre être individuellement concernés au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité si cette décision les atteint dans leur position juridique en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et les individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 20, et du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435/93, Rec. p. II-1281, point 62). En effet, l'objectif de l'article 173, quatrième alinéa, du traité est d'assurer également une protection juridique à celui qui, sans être le destinataire de l'acte litigieux, est en fait concerné par celui-ci d'une manière analogue à celle dont le destinataire leserait (arrêt de la Cour du 11 juillet 1984, Commune de Differdange e.a./Commission, 222/83, Rec. p. 2889, point 9).

38.
    Dès lors, à la lumière de cette jurisprudence, il y a lieu de vérifier si les requérantes sont concernées par la décision attaquée en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou s'il existe une situation de fait qui les caractérise, au regard de cette décision, par rapport à tous les autres opérateurs auxquels elle a vocation à s'appliquer.

39.
    En l'espèce, la décision attaquée adopte des mesures d'urgence rendues nécessaires par les cas d'ESB apparus au Portugal. Elle établit une interdiction d'expédition des animaux vivants d'espèce bovine, de la viande et d'autres produits obtenus à partir de bovins abattus au Portugal. Cette interdiction est motivée par des raisons de protection de la santé publique. Dès le début, cette interdiction était censée être temporaire, la décision devant être révisée au plus tard 18 mois après son adoption, dans l'attente d'un examen de l'ensemble de la situation.

40.
    Les requérantes font valoir, tout d'abord, que les taureaux qu'elles élèvent sont destinés à combattre lors d'événements culturels ou sportifs et que, dès lors, il subsiste un intérêt à les exporter, même si, après le combat, ils doivent être détruits. En outre, elles allèguent qu'elles sont inscrites dans les livres généalogiques portugais et espagnol des taureaux de combat et que l'exportation et le transport de ces animaux pour l'Espagne et la France sont soumis à des règles spécifiques qui garantissent un contrôle rigoureux de tous les animaux exportés.

41.
    Il y a lieu de considérer que ces éléments ne sont pas constitutifs d'une situation particulière caractérisant les requérantes, au regard de la décision attaquée, par rapport à tout autre éleveur ou exportateur de bovins affecté par l'interdiction d'expédition établie par cette décision.

42.
    La circonstance que les taureaux exportés par les requérantes aient des caractéristiques différentes et soient soumis à des conditions d'élevage et à un ensemble de contrôles spécifiques par rapport aux autres bovins ne concerne pas la manière dont la décision en question affecte les requérantes.

43.
    En effet, cette décision, dans la mesure où elle interdit l'expédition des animaux de l'espèce bovine, n'atteint pas les requérantes en raison de certaines qualités qui leur seraient particulières ou d'une situation de fait qui les caractériserait par rapport à tout autre opérateur. Elle ne les concerne qu'en raison de leur qualité objective d'exportateurs de bovins, au même titre que tout autre opérateur exerçant la même activité d'expédition à partir du territoire portugais. De cette manière, la décision attaquée s'adresse, en termes abstraits et généraux, à des catégories de personnes indéterminées et s'applique à des situations déterminées objectivement.

44.
    Ces arguments doivent donc être rejetés.

45.
    Les requérantes allèguent également que, avant l'adoption de la décision attaquée et, notamment, par l'intermédiaire de l'association portugaise des éleveurs de taureaux de combat, dont elles sont membres, elles ont attiré l'attention de la Commission sur les caractéristiques spécifiques des taureaux de combat et de la réglementation qui leur est applicable et qu'elles lui ont demandé de tenir compte de ces caractéristiques.

46.
    Il échet de rappeler que, même à supposer que toutes les lettres et tous les contacts cités par les requérantes aient pu avoir un rapport pertinent avec l'objet de la décision attaquée, il ressort de la jurisprudence que le fait qu'une personne intervienne d'une manière ou d'une autre dans le processus menant à l'adoption d'un acte communautaire n'est de nature à individualiser cette personne par rapport à l'acte en question que lorsque la réglementation communautaire applicable lui accorde certaines garanties de procédure (ordonnance du Tribunal du 9 août 1995, Greenpeace e.a./Commission, T-585/93, Rec. p. II-2205, points 56 et 63, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, points 55 et 59).

47.
    En l'espèce, l'argument des requérantes doit être analysé dans le cadre de la réglementation communautaire applicable en l'occurrence et, en particulier, au regard des directives 89/662 et 90/425, en ce qu'elles concernent l'établissement des mesures d'urgence qui s'imposent pour prévenir tout danger lors de la constatation d'une maladie épizootique, de toute nouvelle maladie grave et contagieuse, ou de toute autre cause susceptible de constituer un danger pour les animaux ou la santé humaine.

48.
    Il y a lieu d'observer à cet égard qu'aucune des dispositions de cette réglementation n'impose à la Commission, en vue d'établir de telles mesures d'urgence, de suivre une procédure dans le cadre de laquelle les requérantes auraient le droit, par elles-mêmes ou par le biais de leurs représentants, d'être entendues. Dès lors, les interventions citées par les requérantes ne sauraient conférer à celles-ci la qualité pour agir au titre de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

49.
    Finalement, les requérantes font valoir qu'elles ont conclu des contrats de vente de taureaux de combat destinés à combattre en Espagne et en France au cours de la saison de tauromachie de 1999, dont l'exécution a été rendue impossible par la décision.

50.
    Il est vrai que la Cour et le Tribunal ont déclaré recevables des recours en annulation introduits contre des actes de caractère normatif dans la mesure où il existait une disposition de droit supérieur imposant à leur auteur de tenir compte de la situation particulière de la partie requérante (voir arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T-480/93 et T-483/93, Rec. p. II-2305, points 67 à 78, et du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T-135/96, Rec. p. II-2335, point 90), l'existence de contrats conclus par un requérant et affectés par l'acte litigieux pouvant, en certains cas, caractériser une telle situationparticulière (arrêts de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, points 28 à 31, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, points 11 à 13).

51.
    Toutefois, la présente espèce se distingue de celles ayant donné lieu aux arrêts mentionnés, en ce qu'une telle obligation n'existe pas en l'occurrence. Dès lors, cet argument ne peut pas être accueilli.

52.
    Dans ces circonstances, la condition de recevabilité exigeant que les requérantes soient individuellement concernées par l'acte litigieux n'est pas remplie en l'espèce.

53.
    Par conséquent, leurs recours doivent être rejetés comme irrecevables.

Sur les dépens

54.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, y compris ceux concernant la procédure en référé, conformément aux conclusions de la défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les recours sont rejetés comme irrecevables.

2)    Les requérantes sont condamnées aux dépens, y compris ceux concernant la procédure en référé.

3)    La partie intervenante supportera ses propres dépens.

Tiili Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 février 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: le portugais.