Language of document : ECLI:EU:T:2022:108

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

2 mars 2022 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un meuble – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 – Décision prise à la suite de l’annulation par le Tribunal d’une décision antérieure – Autorité de la chose jugée »

Dans l’affaire T‑1/21,

Fabryki Mebli “Forte” S.A., établie à Ostrów Mazowiecka (Pologne), représentée par Me H. Basiński, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Bog-Fran sp. z o.o. sp.k., établie à Varsovie (Pologne), représentée par Mes M. Mikosza et E. Guissart, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 28 octobre 2020 (affaire R 595/2020-3), relative à une procédure de nullité entre Bog-Fran et Fabryki Mebli “Forte”,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et Mme M. Brkan, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2021,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 9 mars 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 30 mars 2021,

à la suite de l’audience du 9 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 17 septembre 2013, la requérante, Fabryki Mebli “Forte” S.A., a présenté une demande d’enregistrement auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), d’un dessin ou modèle communautaire représenté comme suit (ci-après « le dessin ou modèle contesté ») :

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2        Les produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 6 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Meubles ».

3        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré le 17 septembre 2013 en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 001384002-0034 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 222/2013, du 21 novembre 2013.

4        Le 14 mars 2016, l’intervenante, Bog-Fran sp. z o.o. sp.k., a présenté une demande en nullité du dessin ou modèle contesté au titre de l’article 52 du règlement no 6/2002.

5        Le motif invoqué au soutien de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002.

6        L’intervenante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté n’était pas nouveau et qu’il était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 4 du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec les articles 5 et 6 du même règlement.

7        À l’appui de sa demande en nullité, l’intervenante a produit les documents suivants :

–        un extrait d’un catalogue intitulé « NABYTKU – Novinka 2008 – WHITE », contenant les représentations suivantes d’un meuble nommé « skrin 2D WH9 », auquel aurait été appliqué le dessin ou modèle antérieur :

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–        une facture datée du 14 août 2008 relative à l’impression du catalogue mentionné ci-dessus à 25 000 exemplaires, en tchèque ;

–        trois factures, respectivement datées du 14 août, du 4 novembre et du 28 novembre 2008, relatives à des ventes de meubles à A JE TO CZ, s.r.o., avec confirmation de la réception des marchandises mentionnées.

8        Par décision du 21 décembre 2017, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité, en considérant que le dessin ou modèle contesté ne présentait pas le caractère individuel requis par l’article 6 du règlement no 6/2002.

9        Le 6 février 2018, la requérante a formé un recours, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

10      Par décision du 14 janvier 2019, la troisième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours et a annulé la décision de la division d’annulation, au motif que le dessin ou modèle antérieur n’avait pas été divulgué au public conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mars 2019, l’intervenante a introduit un recours contre la décision du 14 janvier 2019, enregistré sous le numéro T‑159/19.

12      Par arrêt du 27 février 2020, Bog-Fran/EUIPO – Fabryki Mebli “Forte” (Meubles) (T‑159/19, non publié, ci-après l’« arrêt d’annulation », EU:T:2020:77), le Tribunal a annulé la décision de la troisième chambre de recours du 14 janvier 2019, au motif que cette dernière avait, à tort, considéré que l’intervenante, demanderesse en nullité, n’avait pas démontré la divulgation du dessin ou modèle antérieur au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. En effet, les éléments de preuve produits devant elle démontraient des faits constitutifs d’une divulgation dudit dessin ou modèle. Dès lors, au vu de ces éléments, il lui appartenait de présumer cette divulgation, avant, le cas échéant, d’examiner les arguments de la requérante, titulaire du dessin ou modèle contesté, tirés de l’absence de connaissance, par les milieux spécialisés du secteur concerné, des faits constitutifs de la divulgation en cause.

13      Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 avril 2020, la requérante a formé un pourvoi contre l’arrêt d’annulation, enregistré sous le numéro C‑183/20 P.

14      Par ordonnance du 16 juillet 2020, Fabryki Mebli “Forte”/Bog-Fran (C‑183/20 P, non publiée, EU:C:2020:562), la Cour n’a pas admis le pourvoi.

15      Par décision du 28 octobre 2020 (ci-après « la décision attaquée »), la troisième chambre de recours, à laquelle l’affaire avait été renvoyée, a rejeté le recours contre la décision de la division d’annulation. En particulier, s’agissant de la divulgation au public du dessin ou modèle antérieur au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, après avoir rappelé les considérations énoncées par le Tribunal afférentes à la présomption de divulgation du dessin ou modèle antérieur, elle a estimé que la requérante n’avait pas établi à suffisance de droit que les milieux spécialisés du secteur concerné n’avaient raisonnablement pu avoir connaissance des faits constitutifs de la divulgation et a conclu que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au public. S’agissant, ensuite, du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la chambre de recours a conclu qu’il faisait défaut. À cet égard, premièrement, elle a rappelé que les dessins ou modèles en conflit représentaient des armoires et que, en la matière, le degré de liberté du créateur n’était pas limité. Deuxièmement, elle a défini  l’utilisateur averti et estimé que celui-ci faisait preuve, en raison de son intérêt pour les meubles, d’un degré d’attention relativement élevé. Troisièmement, après avoir examiné les ressemblances et les différences entre les dessins et modèles en conflit, elle a estimé que ceux-ci présentaient des différences mineures qui ne sauraient suffire à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti.

 Conclusions des parties

16      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens afférents aux procédures devant le Tribunal et devant la chambre de recours.

17      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

18      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours et faire droit à la demande de nullité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      Au soutien de son recours, la requérante soulève deux moyens tirés, le premier, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, en ce que la chambre de recours aurait, à tort, considéré que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au sens de cette disposition et, le second, d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du même règlement, en ce que ladite chambre aurait, à tort, conclu à l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002

20      À l’appui de son premier moyen, la requérante soulève trois griefs, par lesquels elle reproche à la chambre de recours d’avoir violé l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, en ayant, premièrement, considéré à tort que l’intervenante avait établi des faits constitutifs d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, deuxièmement, réparti de manière erronée la charge de la preuve de la connaissance de cette divulgation par les milieux spécialisés du secteur concerné et, troisièmement, considéré que lesdits milieux avaient raisonnablement pu avoir connaissance de la divulgation du dessin ou modèle antérieur.

21      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, prévoit que, aux fins de l’application des articles 5 et 6 dudit règlement, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.

 Sur les faits constitutifs d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur

22      Par un premier grief, la requérante soutient que la chambre de recours a considéré à tort que l’intervenante avait prouvé la matérialité de faits constitutifs de la divulgation du dessin ou modèle antérieur. À cet égard, elle conteste la fiabilité et l’authenticité des éléments de preuve produits par l’intervenante au soutien de sa demande en nullité, décrits au point 7 ci-dessus. Elle rappelle avoir allégué au cours de la procédure devant l’EUIPO qu’il s’agissait de copies et non de documents originaux et fait valoir qu’ils émanaient uniquement de l’intervenante et non d’une « source impartiale et objective ». Elle soutient également que la manière dont ces documents ont été établis n’est pas démontrée et qu’aucune indication n’a été fournie quant au destinataire du catalogue en cause, ni quant à la date de réalisation dudit catalogue, ni quant aux personnes auxquelles celui-ci a été présenté. Elle ajoute que les factures confirmant la réception des marchandises ne comportent pas de signature lisible et que la circonstance que le destinataire de ces factures soit présenté comme étant un grossiste de l’intervenante fait douter du fait que les ventes de produits attestées par ces factures caractérisent une opération commerciale ayant eu pour effet de divulguer le dessin ou modèle antérieur.

23      En outre, par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 novembre 2021, la requérante a contesté l’authenticité de la facture datée du 14 août 2008 relative à l’impression du catalogue mentionné au point 7 ci-dessus, au motif que la mention du lieu d’établissement de l’imprimeur était erronée. En effet, la facture en cause porterait mention d’une adresse qui ne serait celle du lieu d’établissement de l’imprimeur que depuis 2010 et qui, partant, n’aurait pas pu être valablement inscrite sur une facture, voire connue, dès 2008. Lors de l’audience du 9 novembre 2021, la requérante a invité le Tribunal, sur le fondement de ces allégations, à infirmer les constatations relatives à l’authenticité de la preuve litigieuse, figurant dans l’arrêt d’annulation.

24      L’EUIPO et l’intervenante contestent, outre le bien-fondé du premier grief, la recevabilité de celui-ci, au motif que le Tribunal s’est déjà prononcé dans l’arrêt d’annulation sur la valeur probante des éléments de preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur, et que l’existence de faits de divulgation dudit dessin ou modèle relève de l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt. Ils contestent également la recevabilité des arguments de la requérante développés en cours d’instance, au motif de leur tardiveté.

25      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’arrêt d’annulation a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, lequel, par ordonnance du 16 juillet 2020, Fabryki Mebli “Forte”/Bog-Fran (C‑183/20 P, non publiée, EU:C:2020:562), n’a pas été admis, de sorte, que, à compter de cette date, l’arrêt d’annulation était devenu définitif.

26      Il convient de rappeler qu’il a été jugé, d’une part, que l’autorité de la chose jugée ne s’attachait qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause et, d’autre part, que cette autorité ne s’attachait pas qu’au dispositif de cette décision, mais s’étendait aux motifs de celle-ci qui constituaient le soutien nécessaire de son dispositif et en étaient, de ce fait, indissociables [voir arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 87 et jurisprudence citée ; arrêt du 4 mai 2017, Haw Par/EUIPO – Cosmowell (GELENKGOLD), T‑25/16, non publié, EU:T:2017:303, point 34].

27      De plus, un arrêt d’annulation n’a pas qu’une autorité relative de chose jugée, faisant uniquement obstacle à l’introduction de nouveaux recours ayant le même objet, opposant les mêmes parties et étant fondés sur la même cause. Un tel arrêt est revêtu de l’autorité absolue de la chose jugée et fait, par conséquent, obstacle à ce que les questions de droit qu’il avait réglées soient à nouveau soumises au Tribunal et examinées par celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 41].

28      Il convient de rappeler que, pour établir des faits constitutifs d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, l’intervenante avait produit, à l’appui de sa demande en nullité du dessin ou modèle contesté, les éléments de preuve décrits au point 7 ci-dessus.

29      Il est constant que, dans la décision du 14 janvier 2019, la troisième chambre de recours avait considéré que l’intervenante n’avait pas établi que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au public conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

30      Dans l’arrêt d’annulation, le Tribunal a accueilli le moyen unique du recours, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, et, par le point 1 du dispositif de cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision de la troisième chambre de recours du 14 janvier 2019. D’une part, s’agissant de l’authenticité des éléments de preuve produits par l’intervenante, le Tribunal a considéré que les allégations non étayées de la requérante à cet égard n’étaient pas de nature à faire douter de l’authenticité de l’extrait du catalogue et des factures en cause et que, partant, l’existence dudit catalogue, de l’impression en 2008 de 25 000 exemplaires du même catalogue ainsi que de la vente de meubles, datant du 14 août 2008, auxquels le dessin ou modèle antérieur avait été appliqué, avait été établie à suffisance de droit par l’intervenante. D’autre part, s’agissant de la valeur probante de ces éléments, le Tribunal a considéré qu’ils établissaient la matérialité de faits constitutifs de la divulgation du dessin ou modèle antérieur. Il a ensuite estimé que, en raison de cette démonstration, il appartenait à la chambre de recours de présumer la divulgation du dessin ou modèle antérieur, avant, le cas échéant, d’examiner les arguments de l’intervenante tirés de l’absence de connaissance, par les milieux spécialisés du secteur concerné, des faits constitutifs de la divulgation en cause.

31      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort des points 42 et 43 de l’arrêt d’annulation que ces constatations, figurant aux points 29 et 34 à 39 de cet arrêt, constituent le motif pour lequel le moyen tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 a été accueillie et, par conséquent, le motif pour lequel la décision de la troisième chambre de recours du 14 janvier 2019 a été annulé. Ce motif constitue ainsi le soutien nécessaire du point 1 du dispositif dudit arrêt annulant cette décision de la troisième chambre de recours. Dès lors, ces constatations sont couvertes par l’autorité de la chose jugée s’attachant à cet arrêt.

32      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a fait sien le raisonnement suivi par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation en estimant, au point 21 de la décision attaquée, que la divulgation du dessin ou modèle antérieur devait être considérée comme étant prouvée à la suite de cet arrêt et que, dès lors, elle était appelée, d’une part, à prendre position sur les arguments de la requérante relatifs à la question de savoir si les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires et, d’autre part, à comparer les dessins ou modèles en conflit afin d’apprécier la nouveauté et le caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

33      Dès lors, par l’adoption de la décision attaquée, la chambre de recours a respecté l’autorité de la chose jugée dont est revêtu le motif évoqué au point 31 ci-dessus de l’arrêt d’annulation.

34      Or, il convient de relever que la requérante, par les arguments visés aux points 22 et 23 ci-dessus, conteste de nouveau le caractère probant des documents produits par l’intervenante au soutien de sa demande en nullité. Or le caractère probant de ces documents a déjà été examiné et reconnu dans le motif de l’arrêt d’annulation évoqué au point 32 ci-dessus, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée. Dès lors, la requérante demande, en réalité, au Tribunal d’ignorer ses propres constatations, pourtant couvertes par l’autorité de la chose jugée s’attachant à cet arrêt.

35      Par ailleurs, la requérante n’ayant pas introduit une demande en révision de l’arrêt d’annulation au titre de l’article 169 du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal est, en tout état de cause, lié par lesdites constatations.

36      Au demeurant, il convient de relever que les allégations de la requérante mentionnées au point 23 ci-dessus s’appuient sur des éléments de preuve produits pour la première fois devant le Tribunal.

37      Or, l’admission de ces preuves serait contraire à l’article 188 du règlement de procédure, selon lequel les mémoires déposés par les parties dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ne peuvent pas modifier l’objet du litige devant la chambre de recours [voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2013, Viejo Valle/OHMI – Établissements Coquet (Tasse et sous-tasse avec des stries et assiette creuse avec des stries), T‑566/11 et T‑567/11, EU:T:2013:549, point 63]. Il convient donc d’écarter les pièces produites pour la première fois devant le Tribunal, sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 24].

38      Il résulte de ce qui précède que, en raison de l’autorité absolue de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt d’annulation et, en particulier, ses points 29 et 34 à 39, le premier grief doit être déclaré irrecevable.

 Sur la répartition erronée de la charge de la preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur

39      Par un deuxième grief, la requérante reproche à la chambre de recours de n’avoir, en considérant que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, pas correctement réparti entre elle et l’intervenante la charge de la preuve de la divulgation de ce dessin ou modèle. À cet égard, elle soutient, d’une part, avoir présenté des arguments démontrant que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que les faits de divulgation de ce dessin ou modèle soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires et, d’autre part, que l’intervenante n’a produit aucun élément établissant l’étendue de la production et des ventes des meubles auxquels le dessin ou modèle antérieur a été appliqué, ainsi que le lieu, le moment et les personnes auxquels lesdits meubles ont été exposés. En conséquence, la chambre de recours n’aurait pas dû se considérer en mesure de statuer sur la question de savoir si les milieux spécialisés du secteur concerné avaient pu, dans la pratique normale des affaires, avoir connaissance des faits de divulgation du dessin ou modèle antérieur.

40      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

41      Selon la jurisprudence, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe, en revanche, à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26].

42      Dès lors, aux fins d’établir la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il convient ainsi de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte [arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24].

43      En l’espèce, ainsi qu’il est rappelé au point 32 ci-dessus, la chambre de recours a considéré que, eu égard à l’existence avérée de faits constitutifs d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, il incombait à la requérante d’établir que les circonstances de l’espèce empêchaient que de tels faits soient raisonnablement connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, tel qu’interprété par la jurisprudence rappelée aux points 41 et 42 ci-dessus.

44      Dès lors, c’est à tort que la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir méconnu la répartition de la charge de la preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur, de sorte que le deuxième grief doit être écarté.

 Sur la connaissance des faits de divulgation du dessin ou modèle antérieur par les milieux spécialisés du secteur concerné

45      Par un troisième grief, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir, à tort, considéré qu’elle n’avait pas établi que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que les faits de divulgation du dessin ou modèle antérieur établis par l’intervenante soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. À cet égard, elle lui reproche d’avoir dénaturé, omis de prendre en compte, présenté ou apprécié de manière erronée certains éléments de preuve produits devant elle.

46      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

47      Il convient de rappeler que, pour réfuter la présomption selon laquelle un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation, il incombe à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires (arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26).

48      À cet égard, il convient d’examiner la question de savoir si, sur la base des éléments factuels qui doivent être fournis par la partie qui conteste la divulgation, il y a lieu de considérer que les milieux spécialisés du secteur concerné n’avaient réellement pas la possibilité de prendre connaissance des faits constitutifs de la divulgation, tout en tenant compte de ce qui peut raisonnablement être exigé de la part de ces milieux pour connaître l’état de l’art antérieur. Ces éléments factuels peuvent, à titre d’exemple, porter sur la composition desdits milieux, leurs qualifications, coutumes et comportements, l’étendue de leurs activités, leur présence aux évènements lors desquels des dessins ou modèles sont présentés, les caractéristiques du dessin ou modèle en cause, telles que leur interdépendance avec d’autres produits ou secteurs, et les caractéristiques des produits dans lesquels le dessin ou modèle en cause a été intégré, notamment le degré de technicité du produit concerné. En tout état de cause, un dessin ou modèle ne peut pas être réputé être connu dans la pratique normale des affaires si les milieux en question ne pourraient le découvrir que par hasard (arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 29).

49      En outre, un dessin ou modèle non enregistré peut, dans la pratique normale des affaires, être raisonnablement connu des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, dès lors que des représentations dudit dessin ou modèle avaient été diffusées auprès de commerçants opérant dans ce secteur [voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, point 30, et du 17 mai 2018, Basil/EUIPO – Artex (Paniers spéciaux pour cycles), T‑760/16, EU:T:2018:277, point 64]. La divulgation à une seule entité commerciale ou de négociants d’un dessin ou modèle antérieur peut ainsi, dans certaines circonstances, être considérée comme une divulgation pertinente au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002 (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, point 35).

50      Par ailleurs, l’article 7, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 6/2002 fait uniquement dépendre l’existence d’une divulgation au public des modalités factuelles de cette divulgation et non pas du produit dans lequel ce dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué (arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles, C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720, point 99).

51      La chambre de recours a considéré que la requérante n’avait produit aucun élément factuel ni avancé aucun argument, qui ne soit pas une simple allégation ou insinuation, visant à établir que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que la divulgation en cause soit connue des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. À cet égard, elle a reproduit des déclarations de la requérante qu’elle estime être de simples allégations ou insinuations.

52      En l’espèce, la requérante fonde son argumentation sur, d’une part, une notice de montage du meuble portant la référence « WHITE WH9 », auquel le dessin ou modèle antérieur a été appliqué et, d’autre part, une déclaration écrite datée du 18 octobre 2016 d’un employé de la requérante revendiquant avoir conçu une série de meubles à laquelle appartiendrait le meuble auquel le dessin ou modèle contesté a été appliqué. S’agissant de ladite notice de montage, la requérante en déduit que ce meuble est vendu, transporté et livré démonté, c’est-à-dire sous une apparence qui n’est pas celle du dessin ou modèle antérieur. Dans ces conditions, un tel meuble n’aurait pas l’apparence du dessin ou modèle antérieur et ne produirait pas, en particulier sur les personnes qui chargent et déchargent les paquets comprenant les différentes pièces à assembler de ce meuble, une impression d’ensemble semblable à celle produite par le dessin ou modèle contesté. Elle ajoute que l’intervenante n’a pas démontré que ledit meuble ait jamais été assemblé et exposé.

53      Premièrement, force est de constater que, d’une part, la chambre de recours ne s’est pas expressément référée aux éléments de preuve décrits au point 52 ci-dessus et, d’autre part, les allégations de dénaturation et de présentation erronée de ces éléments de preuve par la chambre de recours ne sont aucunement étayées, de sorte qu’elles doivent être écartées.

54      Deuxièmement, l’absence de référence expresse aux éléments évoqués au point 52 ci-dessus ne permet pas à elle seule de considérer que la chambre de recours a omis de les prendre en considération. Au contraire, en considérant que la requérante « n’avait produit aucun élément factuel ni avancé aucun argument, qui ne soit pas une simple allégation ou insinuation, visant à établir que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que la divulgation en cause soit connue des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires », elle a implicitement mais nécessairement considéré que les éléments de preuve en cause n’établissaient pas l’existence d’un obstacle à la connaissance par les milieux spécialisés en cause de la divulgation du dessin ou modèle antérieur.

55      Au demeurant, s’agissant, d’une part, de la circonstance que le meuble auquel le dessin ou modèle antérieur a été appliqué soit vendu démonté, il suffit de relever que, eu égard au principe rappelé au point 50 ci-dessus, elle est sans influence sur la divulgation de ce dessin ou modèle au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Dès lors, cette circonstance n’est pas de nature à avoir fait raisonnablement obstacle à ce que la divulgation du dessin ou modèle antérieur soit connue des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires.

56      S’agissant, d’autre part, de la déclaration écrite de l’employé de la requérante revendiquant avoir conçu une série de meubles à laquelle appartiendrait le meuble auquel le dessin ou modèle contesté a été appliqué, il convient de rappeler que, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. Il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, ainsi que se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 17 mai 2018, Paniers spéciaux pour cycles, T‑760/16, EU:T:2018:277, point 42 et jurisprudence citée).

57      À cet égard, les énonciations d’une déclaration écrite par une personne liée, de quelque manière que ce soit, à la société qui l’invoque doivent, en tout état de cause, être corroborées par d’autres éléments de preuve [voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2015, Liu/OHMI – DSN Marketing (Étui d’ordinateur portable), T‑813/14, non publié, EU:T:2015:868, point 29 et jurisprudence citée].

58      Or, la requérante n’a pas produit d’autres éléments de nature à établir que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. Dès lors, en l’absence d’éléments de preuve la corroborant, la déclaration écrite de l’un de ses employés ne saurait suffire à établir de telles circonstances.

59      Par conséquent, c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

60      Il s’ensuit que le troisième grief doit être écarté et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002

61      Par son second moyen, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir violé l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, en ayant, à tort, considéré que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.

62      À cet égard, la requérante soutient, d’une part, que toute comparaison des dessins ou modèles en conflit était impossible en raison de la mauvaise qualité, du manque de netteté et du caractère incomplet des représentations du dessin ou modèle antérieur contenues dans l’extrait de catalogue produit par l’intervenante, ce qui aurait empêché de discerner suffisamment toutes les caractéristiques de ce dessin ou modèle. Elle fait en particulier valoir que la partie supérieure de ce dessin ou modèle n’est pas visible. Elle ajoute douter que les deux vues du dessin ou modèle antérieur représentent le même meuble. D’autre part, elle soutient que les dessins ou modèles en conflit produisent des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti et conteste avoir affirmé le contraire au cours de la procédure devant l’EUIPO.

63      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

64      Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

65      L’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 précise en outre que, pour apprécier ce caractère individuel, il doit être tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

66      Il ressort, par ailleurs, du considérant 14 du règlement no 6/2002 que, lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, il convient de tenir compte de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont il relève et du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

67      L’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède donc, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué ; deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles ; troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse ; et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée).

68      Ainsi, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

69      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a correctement conclu que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel, dans la mesure où il produisait la même impression globale que le dessin ou modèle antérieur sur l’utilisateur averti.

70      Il convient de relever que la requérante ne conteste pas les appréciations de la chambre de recours relatives au secteur des produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou à être appliqué, de l’utilisateur averti de tels produits ainsi que du degré de liberté du créateur de tels produits, ni la description des caractéristiques des dessins ou modèles en conflit. En revanche, elle conteste la conclusion relative à l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

71      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que les dessins ou modèles en conflit représentaient des armoires. Elle a ajouté que l’utilisateur averti d’une armoire pouvait être toute personne qui achète un tel produit, l’utilise conformément à sa destination et s’est informée sur le sujet en consultant des catalogues de meubles, ou des catalogues dans lesquels figurent des meubles, en visitant des magasins pertinents ou en téléchargeant des informations sur Internet et dispose, en raison de son intérêt pour les produits concernés, d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise. Elle a également relevé que la liberté du créateur d’armoires n’était pas limitée, notamment en ce qui concerne le choix de la taille, du matériau, des éléments de support, de la couleur et des motifs décoratifs.

72      Par ailleurs, la chambre de recours a considéré que les représentations du dessin ou modèle antérieur étaient d’une qualité suffisante pour comparer les impressions globales produites sur l’utilisateur averti par les dessins ou modèles en conflit. Dans le cadre de cette comparaison, elle a relevé que les dessins ou modèles en conflit coïncidaient par leur forme rectangulaire de couleur blanche, leur cadre large, leurs portes divisées en petites sections par plusieurs lignes fines horizontales parallèles et une ligne fine verticale plus longue, ainsi que par leurs pieds de même taille et de même forme. Elle a également relevé que lesdits meubles différaient par le nombre de lignes horizontales et, partant, de sections sur leurs portes, ainsi que par la forme exacte de ces sections, qui sont rectangulaires dans le dessin ou modèle contesté et carrées dans le dessin ou modèle antérieur, et enfin, par la position exacte des poignées de leurs portes. Ces constatations ne sont pas contestées par la requérante.

73      En outre, la chambre de recours a estimé que la caractéristique qui attirait en premier l’attention de l’utilisateur averti était la division de la partie avant de l’armoire en deux portes aux proportions similaires, elles-mêmes divisées en plusieurs sections par de fines lignes horizontales. Elle a ajouté que les dessins ou modèles en conflit seraient tous deux perçus comme représentant une armoire avec deux portes contenant de petites sections qui ne diffèrent que par des détails mineurs, à savoir la forme exacte des sections, leur nombre et la position des poignées. Elle en a déduit que, compte tenu, d’une part, de la liberté du créateur, non limitée par des contraintes légales ou techniques, et, d’autre part, des similitudes entre les dessins ou modèles en conflit, ces faibles différences ne seraient perçues que comme des variations mineures d’un seul et même dessin ou modèle et, par conséquent, ne sauraient suffire à produire une impression globale différente.

74      S’agissant, en premier lieu, des arguments de la requérante relatifs à la qualité des représentations du dessin ou modèle antérieur, ainsi que du fait que certaines parties du meuble en cause ne soient pas visibles en raison du cadrage desdites représentations, force est de constater que lesdites représentations ont permis à la chambre de recours de constater les similitudes et des différences entre les dessins ou modèles en conflit énoncées aux points 72 ci-dessus, non contestées par la requérante.

75      En outre, la jurisprudence a déjà considéré qu’une partie du produit représenté par un dessin ou modèle qui est en dehors du champ de vision immédiat de l’utilisateur n’aura pas d’impact majeur sur la perception qu’a celui-ci du dessin ou modèle en cause [arrêt du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems (Équipement de communication), T‑153/08, EU:T:2010:248, point 65].

76      De surcroît, l’impression globale que produit un dessin ou modèle doit nécessairement être déterminée au regard de la manière dont le produit en cause est utilisé, en particulier en fonction des manipulations qu’il subit normalement à cette occasion (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2010, Équipement de communication, T‑153/08, EU:T:2010:248, point 66).

77      En l’espèce, il est constant que les dessins ou modèles en conflit représentent des armoires, lesquelles sont, le plus souvent, manipulées en ouvrant leurs portes et sont destinées à être placées sur le sol et contre un mur. Dès lors, leurs faces arrière, inférieure et supérieure seront, à tout le moins, peu visibles, et sont susceptibles d’avoir une faible influence sur l’impression globale produite sur l’utilisateur averti.

78      Enfin, l’allégation de la requérante selon laquelle il n’est pas certain que les deux vues du dessin ou modèle antérieur représentent le même meuble et, partant, le même dessin ou modèle, doit être écartée, faute de tout élément propre à l’étayer.

79      Par conséquent, c’est à juste titre que la chambre de recours a comparé les dessins ou modèles en conflit sur la base des représentations du dessin ou modèle antérieur produites par l’intervenante au soutien de sa demande en nullité.

80      S’agissant, en second lieu, des arguments par lesquels la requérante considère que les dessins ou modèles en conflit produisent, en raison de leurs différences, des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti, il convient de rappeler que des différences seront insignifiantes dans l’impression d’ensemble produite par les dessins ou modèles en conflit lorsqu’elles ne sont pas suffisamment marquées pour distinguer les produits en cause dans la perception de l’utilisateur averti ou contrebalancer les similitudes constatées entre les dessins ou modèles [voir arrêt du 21 avril 2021, Bibita Group/EUIPO – Benkomers (Bouteille pour boissons), T‑326/20, EU:T:2021:208, point 63 et jurisprudence citée].

81      À cet égard, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. Ainsi, un degré élevé de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles ne présentant pas de différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti [voir arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 57 (non publié) et jurisprudence citée].

82      En l’espèce, il convient de constater, premièrement, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours, que les dessins ou modèles en conflit coïncident par leur forme rectangulaire et leur couleur blanche. À cet égard, l’allégation de la requérante selon laquelle le meuble auquel le dessin ou modèle antérieur a été appliqué serait de couleur blanche sur l’une des représentations dudit dessin ou modèle et « grisâtre » sur l’autre ne saurait prospérer. En effet, outre que cette différence de couleur pourrait résulter des conditions d’éclairage de l’armoire représentée, il convient de considérer que, même à supposer avérée cette allégation, cette différence est suffisamment faible pour n’être pas susceptible d’influencer de façon déterminante l’impression globale produite par ce dessin ou modèle.

83      Deuxièmement, la requérante se borne à s’appuyer, sans avancer d’autres arguments, sur l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle l’utilisateur averti ne négligera pas les différences constatées entre les dessin ou modèles en conflit, afin d’en déduire que lesdits dessins ou modèles produisent sur cet utilisateur des impressions globales différentes.

84      Or, comme l’a relevé la chambre de recours, l’utilisateur averti percevra les différences, rappelées au point 72 ci-dessus, existant entre les dessins ou modèles en conflit, comme mineures. Dès lors, eu égard au degré de liberté élevé du créateur d’armoires, elles ne sauraient conduire à ce que ces dessins ou modèles produisent sur cet utilisateur des impressions globales différentes.

85      L’allégation par laquelle la requérante conteste avoir admis au cours de la procédure devant l’EUIPO que les dessins ou modèles en conflit produisent sur l’utilisateur averti une impression globale identique est sans influence sur cette conclusion.

86      Dès lors, compte tenu de ce qui précède, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a conclu à l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

87      Il en résulte que le second moyen doit être écarté et, partant, le recours rejeté dans son intégralité.

88      Eu égard au rejet du recours dirigé contre la décision attaquée, le point 1 du dispositif de cette dernière, qui rejette le recours contre la décision de la division d’annulation du 21 décembre 2017 ayant fait droit à la demande de nullité du dessin ou modèle contesté s’applique, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le chef de conclusions de l’intervenante tendant à ce que le Tribunal fasse droit à ladite demande [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Crocs/EUIPO – Gifi Diffusion (Chaussures), T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 76].

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Fabryki Mebli “Forte” S.A. est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et parBog-Fran sp. z o.o. sp.k.

Spielmann

Öberg

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.