Language of document : ECLI:EU:T:2021:399

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

30 juin 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale REACCIONA – Usage sérieux de la marque – Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] – Existence d’une procédure juridictionnelle nationale – Absence de juste motif pour le non-usage »

Dans l’affaire T‑362/20,

Acciona SA, établie à Alcobendas (Espagne), représentée par Me J. Erdozain López, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Agencia Negociadora PB SL, établie à Las Rozas de Madrid (Espagne), représentée par Mes I. Temiño Ceniceros et F. Ortega Sánchez, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 2 avril 2020 (affaire R 652/2019-4) relative à une procédure de déchéance entre Agencia Negociadora PB et Acciona,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg (rapporteur) et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. E. Coulon ,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 11 juin 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 21 août 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 16 septembre 2020,

vu les mesures d’organisation de la procédure du 8 janvier 2021 et les réponses de la requérante et de l’intervenante déposées au greffe du Tribunal le 22 janvier 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 9 octobre 2009, la requérante, Acciona SA, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal REACCIONA.

3        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 37, 39, 40 et 42 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque a fait l’objet d’une publication au Bulletin des marques communautaires no 2009/444, du 16 novembre 2009.

5        L’intervenante, Agencia Negociadora PB SL, a formé opposition à la demande d’enregistrement pour l’ensemble des services visés par celle-ci, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001). Cette opposition était fondée sur la marque figurative espagnole, enregistrée sous le numéro M 2740313, reproduite ci-après:

Image not found

6        À l’issue de la procédure d’opposition, l’EUIPO a, par décision de la deuxième chambre de recours du 7 septembre 2011 (affaire R 400/2011-2), enregistré la marque concernée (ci-après la « marque contestée ») pour les services relevant des classes 39 et 40, correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 39 : « Transport ; emballage et entreposage de marchandises ; organisation de voyages » ;

–        classe 40 : « Traitement de matériaux ».

7        L’EUIPO a refusé partiellement l’enregistrement de la marque contestée, s’agissant des services visés compris dans les classes 37 et 42, au motif qu’il existait un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

8        Le 14 mars 2017, l’intervenante a introduit une demande de déchéance des droits relatifs à la marque contestée pour les services relevant des classes 39 et 40 pour lesquels cette dernière avait été enregistrée, au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], au motif que cette marque n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans précédant la date d’introduction de la demande en déchéance, soit du 14 mars 2012 au 13 mars 2017 (ci-après, la « période pertinente »).

9        La requérante a contesté cette demande en déchéance en invoquant un juste motif pour le non-usage, fondé sur l’existence d’une procédure en contrefaçon engagée par l’intervenante à l’égard de la marque contestée, qui avait été pendante devant les juridictions espagnoles de 2010 à 2016 et dans le cadre de laquelle la requérante aurait été soumise au risque d’être condamnée au versement d’une indemnité de 72 millions d’euros (ci-après, la « procédure juridictionnelle nationale »).

10      Par décision du 31 janvier 2019, la division d’annulation a accueilli la demande en déchéance dans son intégralité. Elle a considéré, en substance, que la procédure juridictionnelle nationale, dès lors qu’elle n’était pas une circonstance indépendante de la volonté de la titulaire de la marque contestée, ne constituait pas un juste motif pour le non-usage de cette dernière au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

11      La requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

12      Par décision du 2 avril 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours et a confirmé la décision de la division d’annulation.

13      Au point 26 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué, premièrement, ce qui suit :

« [L]’existence d’une procédure devant les juridictions nationales ne constitue pas un juste motif pour le non-usage d’une marque. Les seuls motifs justifiant le non-usage de la marque sont ceux qui ne proviennent pas de la sphère et de l’influence de la marque, comme les restrictions à l’importation ou autres prescriptions des pouvoirs publics, qui sont deux exemples de motifs valables pour le non-usage expressément mentionnés à l’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, de [l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), constituant l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech (Maroc) le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1)], obstacles qui ne sont pas présents en l’espèce. L’usage d’une marque susceptible de violer des droits antérieurs n’est pas indépendant du contrôle du titulaire de cette marque. »

14      La chambre de recours a considéré, deuxièmement, au point 27 de la décision attaquée, que le choix de maintenir la demande d’enregistrement de la marque contestée face à l’existence de la marque nationale de l’intervenante, qui était connue de la requérante au moins à partir du 7 février 2010, date d’introduction de la procédure d’opposition mentionnée au point 5 ci-dessus, relevait d’une simple décision commerciale de la requérante.

15      La chambre de recours a estimé, troisièmement, au point 28 de la décision attaquée, que, les services pour lesquels la marque contestée avait été enregistrée étant différents de ceux désignés par la marque nationale de l’intervenante invoquée dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale, l’allégation d’un risque en lien avec une éventuelle contrefaçon était dénuée de fondement, ainsi qu’il ressortait de la décision de l’EUIPO mentionnée au point 6 ci-dessus, et, quatrièmement, au point 29 de cette décision, que ce constat était confirmé par le fait que les demandes de mesures conservatoires à l’encontre de la titulaire de la marque contestée avaient été rejetées par les juridictions espagnoles.

16      La chambre de recours a également considéré, au point 31 de la décision attaquée, que le simple fait du montant de l’indemnité réclamée par l’intervenante dans son action en contrefaçon, tel qu’allégué par la requérante, ne constituait pas, en soi, un juste motif pour le non-usage, d’autant plus qu’une éventuelle indemnisation aurait été calculée sur la base de l’usage concret de la marque contestée, contrairement à ce qu’avançait la requérante.

17      Enfin, au point 35 de la décision attaquée, la chambre de recours a rappelé que la requérante n’avait pas invoqué de motif pour expliquer pourquoi elle n’avait pas utilisé la marque contestée dans d’autres États membres au cours la période pertinente ni pour aucun des services désignés par cette marque.

18      Il résulte des documents produits par la requérante et l’intervenante le 22 janvier 2021, par suite d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, que ces parties ont été ou sont encore opposées devant des juridictions espagnoles dans le cadre de deux litiges.

19      Un premier litige, invoqué par la requérante comme constituant un juste motif de non-usage de la marque contestée, a donné lieu à la saisine du Juzgado de lo Mercantil n° 10 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid, Espagne) dans le courant du mois de mars 2010 dans le cadre d’une action en contrefaçon de la marque espagnole figurative mentionnée au point 5 ci-dessus eu égard à une campagne publicitaire de la requérante fondée sur le signe RE_ACCIONA.

20      Dans le cadre de ce litige, l’intervenante, qui agissait comme partie demanderesse dans cette procédure, a demandé que la requérante soit condamnée à lui verser une indemnité correspondant à 1 % du chiffre d’affaires réalisé par cette dernière grâce aux produits et aux services désignés par la marque contestée. Après avoir rejeté la demande de mesures conservatoires introduite par l’intervenante, le Juzgado de lo Mercantil n° 10 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid) a, par jugement du 22 février 2016, rejeté sur le fond l’action en contrefaçon. À la suite de ce jugement, les parties ont conclu une convention extrajudiciaire, reconnue le 15 juillet 2016 par le Juzgado de lo Mercantil n° 10 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid). Dans cette convention, les parties se sont engagées d’une manière définitive à mettre fin au litige en renonçant totalement, inconditionnellement et irrévocablement à contester ou à formuler tout type d’appel contre le jugement susmentionné du 22 février 2016 ainsi qu’en renonçant aux frais de procédure et à tout autre paiement.

21      Un second litige, portant sur la même marque espagnole de l’intervenante, a été porté par la requérante, dans le courant du mois de décembre 2016, devant le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid). L’action de la requérante visait à contester la validité de ladite marque en raison de son non-usage. Dans le cadre de cette procédure, l’intervenante a introduit une demande reconventionnelle par laquelle elle a contesté la validité, en raison du non-usage, de la marque espagnole verbale REACCIONA, enregistrée sous le no 2895363, dont la requérante est titulaire. Un recours a été introduit par la requérante devant la Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid) contre le jugement rendu dans cette affaire par le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid), lequel a fait droit à la demande reconventionnelle de l’intervenante.

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

23      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        confirmer la décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

25      À titre liminaire, il convient de constater que, compte tenu de la date d’introduction de la demande de déchéance en cause, en l’occurrence le 14 mars 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, le présent litige est régi par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2019, Deichmann/EUIPO, C‑223/18 P, non publié, EU:C:2019:471, point 2, et du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 3). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

26      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites aux articles au règlement 2017/1001 comme visant les articles correspondants du règlement no 207/2009.

27      La requérante invoque un moyen unique, tiré de l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée. Selon la requérante, la chambre de recours a interprété cette notion trop restrictivement au regard de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

28      Le Tribunal rappelle que, selon l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, « [s]i, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l’Union européenne est soumise aux sanctions prévues au[dit] règlement, sauf juste motif pour le non-usage ».

29      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du même règlement, « [l]e titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits […] si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ».

30      Concernant la charge de la preuve, il ressort des articles 15, 42, paragraphe 2, 51, paragraphe 1, et 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 que la preuve de l’usage sérieux ou de l’existence de justes motifs de non-usage incombe au titulaire de la marque concernée.

31      Ainsi, c’est à la requérante qu’il incombait de produire devant l’EUIPO des éléments suffisamment probants de l’existence de justes motifs pour le non-usage de la marque contestée [voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2018, C=Holdings/EUIPO – Trademarkers (C=commodore), T‑672/16, EU:T:2018:926, point 21].

32      En l’espèce, la chambre de recours a estimé que l’existence d’une procédure en contrefaçon devant les juridictions nationales ne constituait pas un juste motif pour le non-usage d’une marque et que les éléments avancés par la requérante ne démontraient pas l’existence d’un tel juste motif.

33      La requérante souligne qu’il a été établi devant l’EUIPO que, à partir de l’année 2010, un litige l’avait opposée à l’intervenante devant un Juzgado de lo Mercantil de Madrid (tribunal de commerce de Madrid), ayant pour objet une prétendue contrefaçon par la requérante de la marque espagnole figurative mentionnée au point 5 ci-dessus. Dans le cadre de ce litige, celle-ci, qui agissait comme partie demanderesse, aurait demandé que la requérante soit condamnée à verser une indemnité correspondant à 1 % du chiffre d’affaires réalisé par cette dernière grâce aux produits et aux services désignés par la marque contestée, ce qui correspondrait, selon la requérante, à un montant de 72 millions d’euros.

34      La requérante soutient que, afin d’apprécier si une procédure juridictionnelle constitue ou non un juste motif pour le non-usage d’une marque, il convient d’examiner si les circonstances spécifiques de l’espèce peuvent être considérées comme des raisons valables justifiant ce non-usage. Selon la requérante, une telle appréciation n’exige pas que l’obstacle invoqué rende l’usage de la marque impossible, mais il suffirait que son usage soit déraisonnable, c’est-à-dire qu’il existe un obstacle d’une nature telle qu’il compromette sérieusement un usage approprié de la marque.

35      Partant, selon la requérante, la décision attaquée, selon laquelle l’existence d’une telle procédure ne constituait pas un juste motif pour le non-usage d’une marque découle d’une interprétation trop restrictive de l’article 51 paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

36      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

37      À cet égard, le Tribunal relève que, selon la jurisprudence de la Cour, seuls des obstacles qui présentent une relation suffisamment directe avec une marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de cette marque peuvent être qualifiés de « justes motifs » pour le non-usage de celle-ci. Il convient d’apprécier au cas par cas si un changement de la stratégie d’entreprise pour contourner l’obstacle considéré rendrait déraisonnable l’usage de ladite marque (arrêts du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 54, et du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 96).

38      La Cour a précisé, quant à la notion d’usage déraisonnable d’une marque, que, si un obstacle est d’une nature telle qu’il compromette sérieusement un usage approprié de la marque, il ne peut pas être raisonnablement demandé au titulaire de celle-ci de l’utiliser malgré tout (arrêt du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 53).

39      Il ressort également de la jurisprudence que la notion de « justes motifs » se réfère plutôt à des circonstances externes au titulaire de la marque qu’aux circonstances liées à ses difficultés commerciales [voir arrêt du 18 mars 2015, Naazneen Investments/OHMI – Energy Brands (SMART WATER), T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, point 66 et jurisprudence citée].

40      Ainsi, pour être qualifiés de « justes motifs », des obstacles à l’usage d’une marque doivent remplir trois conditions cumulatives : ils doivent présenter une relation suffisamment directe avec ladite marque, rendre impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et être indépendants de la volonté du titulaire de cette marque.

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a commis des erreurs en concluant à l’absence de juste motif pour le non-usage de la marque contestée, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

 Sur l’existence d’une procédure devant les juridictions nationales comme circonstance externe au titulaire de la marque

42      S’agissant de la condition selon laquelle la notion de justes motifs se réfère à des circonstances externes au titulaire de la marque, il y a lieu de constater que, au point 26 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que « l’existence d’une procédure devant les juridictions nationales ne constitue pas un juste motif pour le non-usage d’une marque » et que « l’usage d’une marque susceptible de violer des droits antérieurs n’est pas indépendant du contrôle du titulaire de cette marque ».

43      Or, en l’espèce, la requérante invoque l’existence d’une action en contrefaçon introduite contre elle devant un Juzgado de lo Mercantil de Madrid (tribunal de commerce de Madrid), laquelle, comme l’EUIPO l’admet, constituait un acte indépendant de la volonté de celle-ci.

44      Pour autant que la chambre de recours a considéré qu’une action en justice ne constitue pas un acte indépendant du contrôle du titulaire d’une marque et que, par principe, elle ne peut donc pas constituer un juste motif de non-usage de ladite marque, elle a donc commis une erreur de droit.

45      Toutefois, selon une jurisprudence constante, si, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, une erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au résultat, l’argumentation fondée sur une telle erreur est inopérante et ne saurait donc suffire à justifier l’annulation de la décision qui est attaquée [voir arrêt du 7 septembre 2017, VM/EUIPO – DAT Vermögensmanagement (Vermögensmanufaktur), T‑374/15, EU:T:2017:589, point 143 (non publié) et jurisprudence citée]. Partant, il convient de rechercher si, en l’espèce, la procédure juridictionnelle nationale, invoquée par la requérante, était de nature à constituer un obstacle tel que l’usage de la marque contestée au cours de la période pertinente aurait été déraisonnable ou impossible, conformément à la jurisprudence relative à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, rappelée aux points 37 et 38 ci-dessus.

 Sur l’appréciation du caractère déraisonnable de l’usage de la marque contestée

46      Il convient de rappeler que la question de savoir si l’existence d’une procédure judiciaire peut constituer un juste motif pour le non-usage d’une marque doit être appréciée en tenant compte des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 54 ; du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 96, et du 13 décembre 2018, C=commodore, T‑672/16, EU:T:2018:926, point 56).

47      Le Tribunal a ainsi pu reconnaître qu’un litige ne relevant pas du cours normal des affaires, mais d’une stratégie frauduleuse et trompeuse, comportant plusieurs manœuvres de nature diverse, était susceptible de constituer un juste motif pour le non-usage d’une marque (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, C=commodore, T‑672/16, EU:T:2018:926, point 56).

48      S’agissant de l’incidence d’une procédure en déchéance sur l’usage d’une marque, le juge de l’Union a estimé, ainsi que le fait valoir l’intervenante, que l’existence d’une telle procédure ne saurait, en tant que telle, suffire pour constater l’existence de justes motifs de non-usage au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. Le fait qu’une procédure en déchéance soit engagée contre le titulaire d’une marque de l’Union européenne n’empêche pas celui-ci de l’utiliser et, s’il est toujours possible, dans l’hypothèse où une telle procédure aboutisse à la déchéance de ladite marque, qu’un recours en indemnité soit intenté, la condamnation à verser une telle indemnité n’est pas une conséquence directe de la procédure en déchéance (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2015, SMART WATER T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, points 71 et 72). En outre, il appartient au titulaire d’une marque, dans une procédure en déchéance, de procéder à une évaluation adéquate de ses chances de l’emporter et de tirer de cette évaluation les conclusions qui s’imposent quant à la question de savoir s’il doit continuer ou non à faire usage de sa marque (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2015, SMART WATER, T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, point 73). Cette conclusion s’applique, mutatis mutandis, également aux procédures juridictionnelles engagées devant les juridictions nationales et visant à l’interdiction d’utiliser une marque.

49      La question se pose donc de savoir si, en l’espèce, la procédure juridictionnelle nationale constituait un obstacle pouvant rendre déraisonnable ou impossible l’usage de la marque contestée, mais que la requérante aurait pu éviter par un changement de stratégie d’entreprise en vue de contourner l’obstacle pouvant rendre déraisonnable ou impossible l’usage de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêts du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 96, et du 29 juin 2017, Martín Osete/EUIPO – Rey (AN IDEAL WIFE e.a.), T‑427/16 à T‑429/16, non publié, EU:T:2017:455, point 50 ; voir également, par analogie, arrêt du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 54], ou si, ainsi que le fait valoir la requérante, tel n’était pas le cas.

50      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’exigence de preuve requise à cet égard dans le cas d’espèce n’est pas nécessairement celui d’un usage « impossible » de la marque contestée, mais plutôt d’un usage « déraisonnable » de celle-ci.

51      À cet égard, la chambre de recours a, au point 27 de la décision attaquée, d’abord estimé que, à tout le moins depuis l’introduction par l’intervenante de la procédure d’opposition à l’enregistrement de la marque contestée, la requérante ne pouvait raisonnablement ignorer l’existence d’un risque de conflit entre cette marque et la marque nationale antérieure invoquée par l’intervenante. La chambre de recours en a déduit, en substance, qu’un possible conflit entre ces marques était prévisible et constituait un risque commercial normal, et que le non-usage de la marque contestée au cours de la période pertinente était un choix commercial de la titulaire de cette marque.

52      Ensuite, la chambre de recours a considéré, au point 29 de la décision attaquée, que le risque de condamnation pour contrefaçon dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale n’était pas aussi élevé que le prétendait la requérante, après avoir relevé que des demandes de mesures conservatoires avaient été rejetées à deux reprises.

53      De plus, la chambre de recours a, au point 31 de la décision attaquée, constaté que le montant allégué par la requérante concernant une possible condamnation au paiement d’une indemnité, à savoir 72 millions d’euros, n’était pas réaliste, car ce montant n’avait manifestement pas été calculé sur la base du chiffre d’affaires généré par la commercialisation de produits et de services liés à la marque contestée, comme le postulait l’intervenante.

54      Enfin, la chambre de recours a notamment considéré, au point 33 de la décision attaquée, qu’il revenait à la requérante de procéder à une analyse des éventuels risques d’atteinte à des marques antérieures avant de commercialiser des produits ou des services sous la marque contestée.

55      Les arguments avancés par la requérante pour critiquer ces considérations ne sauraient prospérer.

56      Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait procédé à une analyse erronée du risque qu’elle encourait en poursuivant l’usage de la marque contestée, il y a lieu de constater que la chambre de recours n’a pas exigé que l’obstacle allégué par la requérante ait rendu l’usage de la marque contestée « impossible » au cours de la période pertinente. Au contraire, il ressort notamment du point 33 de la décision attaquée que la chambre de recours s’est attachée à apprécier si une entreprise semblable à la requérante, enregistrant un chiffre d’affaires comparable et placée dans une situation identique, aurait raisonnablement poursuivi l’usage de la marque contestée au cours de la période pertinente.

57      Il ressort par ailleurs du point 33 de la décision attaquée que le titulaire d’une marque est tenu de procéder à une évaluation adéquate de ses chances de l’emporter dans une procédure juridictionnelle et de tirer de cette évaluation les conclusions qui s’imposent quant à la question de savoir s’il doit continuer ou non à faire usage de sa marque, conformément à la jurisprudence précitée au point 48 ci-dessus.

58      Dès lors, contrairement à ce que la requérante soutient, la chambre de recours n’a pas appliqué dans le cas d’espèce une exigence de preuve telle que le non-usage de la marque contestée aurait dû être impossible.

59      Deuxièmement, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel la décision de l’EUIPO dans le cadre de la procédure d’opposition, concluant à l’absence de risque de confusion, et l’enregistrement de la marque contestée rendaient peu prévisible l’existence d’un litige entre elle et l’intervenante, de sorte que l’introduction de la procédure juridictionnelle nationale serait susceptible de constituer un juste motif pour le non-usage de la marque contestée.

60      En effet, la décision de l’EUIPO mentionnée au point 6 ci-dessus avait été rendue dans le cadre d’une procédure d’opposition sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et n’excluait pas la survenance d’un litige entre les mêmes parties sur la base d’un autre fondement juridique.

61      En outre, il convient de relever que l’affirmation de la requérante selon laquelle « l’utilisation des deux signes par les deux parties n’entraînait pas de risque commercial normal » n’est étayée par aucun élément de fait concret.

62      Troisièmement, il y a lieu de constater que, ainsi que le font valoir l’EUIPO et l’intervenante, il ressort de l’article 43, paragraphe 5, de la Ley de Marcas (loi espagnole sur les marques) que le montant de l’indemnisation dans le cadre d’une procédure en contrefaçon se calcule sur la base du chiffre d’affaires « réalisé par le contrevenant avec les produits ou services portant la marque illicite ».

63      Or, la somme de 72 millions d’euros avancée par la requérante en relation avec l’indemnité à laquelle elle aurait pu être condamnée dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale est susceptible de porter sur l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé par la requérante, par ailleurs titulaire de quatorze marques de l’Union européenne, déposées depuis 1997 et relatives au signe ACCIONA, et non sur le chiffre d’affaires réalisé au moyen de produits ou de services commercialisés sous la marque contestée.

64      L’intervenante rappelle également que, dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale, c’est une somme de 60 000 euros qui avait été réclamée à la requérante à titre des dommages et intérêts.

65      À cet égard, force est de constater que l’affirmation de la requérante relative à une possible condamnation au paiement d’une indemnité de 72 millions d’euros ne repose sur aucune base factuelle et n’est étayée par aucun élément de preuve. En effet, la requérante se borne à affirmer que ce montant résulte d’un calcul réaliste et que la condamnation au versement d’un tel montant constituait une probabilité raisonnable.

66      Il s’ensuit que l’argument de la requérante tiré de ce que le montant exceptionnellement élevé de l’indemnité à laquelle elle aurait pu être condamnée dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale aurait rendu déraisonnable l’usage de la marque contestée au cours de la période pertinente, ne repose pas sur une base factuelle établie et doit ainsi être écarté.

67      Quatrièmement, s’agissant du risque réel de condamnation dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale qu’allègue la requérante, il convient de constater que, ainsi que celle-ci le fait valoir et que le reconnaît l’intervenante, le rejet de demandes de mesures provisoires par un tribunal national ne préjuge pas du fond de l’affaire.

68      Néanmoins, la constatation de l’EUIPO selon laquelle les marques en conflit pouvaient coexister, sans risque de confusion, pour les produits relevant de certaines classes, par suite de la décision statuant sur l’opposition de l’intervenante, mentionnée au point 6 ci-dessus, et du double rejet des mesures conservatoires demandées par cette dernière dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale, repose sur des faits susceptibles, en l’espèce, de constituer des indices pertinents pour prévoir l’issue du litige devant les juridictions espagnoles et, par conséquent, pour évaluer le risque réel auquel s’exposait la requérante en cas d’usage de la marque contestée.

69      Il ressort à cet égard du point 29 de la décision attaquée que la chambre de recours a estimé, en substance, que le rejet des mesures conservatoires demandées par l’intervenante dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale confirmait que le risque de constatation d’une contrefaçon, et de condamnation consécutive, n’était pas aussi grave et que l’éventuelle indemnisation à laquelle cette procédure aurait pu aboutir n’était pas aussi élevée que la requérante ne le prétendait.

70      Ainsi, contrairement à ce qu’avance la requérante, la chambre de recours n’a pas considéré que le rejet des demandes de mesures conservatoires signifiait que le risque de condamnation de la requérante à une indemnité n’était pas un risque « grave ou possible ». En effet, il ne s’agissait que d’un élément factuel pris en compte par la chambre de recours dans le cadre de son analyse du risque réel de condamnation auquel était exposée la requérante dans la procédure juridictionnelle nationale, dont l’existence était invoquée par celle-ci comme juste motif de non-usage de la marque contestée.

71      Cinquièmement, il convient de constater que le litige allégué par la requérante constituait un litige pendant devant les juridictions espagnoles, ayant pour objet la violation d’une marque espagnole, et non d’une marque de l’Union européenne. Par conséquent, c’est à juste titre que l’intervenante fait valoir que les répercussions de ce litige étaient limitées au territoire espagnol et que la requérante demeurait libre de commercialiser ses services sous la marque contestée dans d’autres parties du territoire de l’Union.

72      En outre, ainsi que le fait valoir l’intervenante, la requérante n’a pas avancé de raison expliquant le fait qu’elle n’avait pas repris la commercialisation de ses services sous la marque contestée après la conclusion de l’accord transactionnel conclu avec l’intervenante en date du 15 juillet 2016, qui a mis fin à la procédure juridictionnelle nationale.

73      De même, la requérante n’a pas été en mesure de démontrer au moins l’existence d’actes préparatoires à l’exploitation commerciale de la marque contestée, ce qui lui aurait permis d’interrompre le délai de cinq ans visé à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

74      Enfin, sixièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel un commerçant avisé, placé dans les mêmes circonstances, n’aurait pas fait usage de la marque contestée dans le cadre de sa stratégie de marques et de la gestion de son portefeuille de droits de propriété intellectuelle, il y a lieu de constater que, contrairement à ce qu’avance la requérante, il ne ressort pas du point 33 de la décision attaquée que la chambre de recours aurait imposé, en tant que telle, une obligation de diligence dans le cadre de l’application de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. À cet égard, la requérante a procédé à une lecture erronée de la décision attaquée.

75      De plus, l’affirmation de la requérante selon laquelle aucun commerçant raisonnable n’aurait poursuivi l’usage de la marque contestée compte tenu du risque lié à la marque espagnole invoquée dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale n’est étayée ni corroborée par aucun élément du dossier. La requérante se borne en effet à affirmer que « les conséquences éventuelles auraient pu être, quel que soit le point de vue adopté, extrêmement contraignantes », sans présenter aucun élément factuel susceptible de conforter cette affirmation.

76      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas rapporté la preuve, conformément aux exigences de preuve requises, de circonstances particulières démontrant que l’existence de la procédure juridictionnelle nationale rendait déraisonnable l’usage de la marque contestée au cours de la période pertinente.

77      La requérante n’ayant pas démontré l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

78      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

79      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Acciona SA supportera ses propres dépens ainsi que ceux de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et d’Agencia Negociadora PB SL.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.