Language of document : ECLI:EU:T:2003:40

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 février 2003 (1)

«Règlement (CEE) n° 2377/90 - Médicaments vétérinaires - Demande d'inclusion de la ‘progestérone’ dans la liste des substances pour lesquelles il n'apparaît pas nécessaire de fixer une limite maximale de résidus - Avis du comité des médicaments vétérinaires (CMV) - Réexamen par le CMV - Omission de la Commission d'adopter un projet de mesures - Recours en carence - Prise de position mettant fin à la carence - Non-lieu à statuer - Recours en indemnité - Responsabilité de la Communauté - Lien de causalité - Arrêt interlocutoire»

Dans les affaires jointes T-344/00 et T-345/00,

CEVA Santé animale SA, établie à Libourne (France), représentée par Mes D. Waelbroeck et D. Brinckman, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante dans l'affaire T-344/00,

Pharmacia entreprises SA, anciennement Pharmacia & Upjohn SA, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes D. Waelbroek et D. Brinckman, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante dans l'affaire T-345/00,

soutenue par

Fédération européenne de la santé animale (Fedesa) , établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me A. Vandencasteele, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante dans l'affaire T-345/00,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. Christoforou et M. Shotter, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande visant à faire constater, conformément à l'article 232 CE, que, en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires pour inclure la substance progestérone dans l'annexe II du règlement (CEE) n° 2377/90 du Conseil, du 26 juin 1990, établissant une procédure communautaire pour la fixation des limites maximales de résidus de médicaments vétérinaires dans les aliments d'origine animale (JO L 224, p. 1), la Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire et, d'autre part, une demande visant à obtenir le paiement de dommages-intérêts, conformément aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 25 septembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    Le règlement (CEE) n° 2377/90 du Conseil, du 26 juin 1990, établissant une procédure communautaire pour la fixation des limites maximales de résidus de médicaments vétérinaires dans les aliments d'origine animale (JO L 224, p. 1, ci-après le «règlement de 1990»), comporte, notamment, les considérants suivants:

«[1] considérant que l'administration de médicaments vétérinaires à des animaux producteurs d'aliments peut entraîner la présence de résidus dans les denrées alimentaires obtenues à partir des animaux traités;

[...]

[3] considérant que, pour protéger la santé publique, les limites maximales de résidus doivent être fixées conformément aux principes généralement reconnus d'évaluation de la sécurité, compte tenu de toute autre évaluation scientifique de la sécurité des substances en question qui aurait été effectuée par des organisations internationales, en particulier dans le Codex alimentarius ou, lorsque ces substances sont utilisées à d'autres fins, par d'autres comités scientifiques institués dans la Communauté;

[...]

[5] considérant que la fixation de limites maximales de résidus différentes par les États membres peut entraver la libre circulation des denrées alimentaires et des médicaments vétérinaires eux-mêmes;

[6] considérant qu'il est donc nécessaire d'établir une procédure de fixation des limites maximales pour les résidus de médicaments vétérinaires au niveau communautaire, comportant une seule évaluation scientifique du meilleur niveau possible;

[...]

[10] considérant que, après évaluation scientifique par le comité de médicaments vétérinaires, les limites maximales de résidus doivent être adoptées selon une procédure rapide, garantissant une étroite coopération entre la Commission et les États membres [...]».

2.
    En application du règlement de 1990, la Commission fixe la limite maximale de résidus (ci-après la «LMR») conformément à la procédure prévue par celui-ci. Son article 1er, paragraphe 1, sous b), définit cette LMR comme étant la teneur maximale en résidus résultant de l'utilisation d'un médicament vétérinaire que la Communauté peut accepter comme légalement autorisée ou qui est reconnue comme acceptable dans ou sur des denrées alimentaires.

3.
    Le règlement de 1990 prévoit l'établissement de quatre annexes dans lesquelles une substance pharmacologiquement active, destinée à être utilisée dans des médicaments vétérinaires à administrer à des «animaux producteurs d'aliments», peut être incluse:

-    l'annexe I, réservée aux substances pour lesquelles une LMR peut être fixée après évaluation des risques que cette substance présente pour la santé humaine;

-    l'annexe II, réservée aux substances pour lesquelles il n'apparaît pas nécessaire, pour la protection de la santé publique, de fixer une LMR;

-    l'annexe III, réservée aux substances pour lesquelles il n'est pas possible de fixer définitivement une LMR, mais qui, sans compromettre la santé humaine, peuvent être assorties d'une LMR provisoire pour une durée déterminée liée au temps nécessaire pour compléter les études scientifiques appropriées, cette durée ne pouvant être prolongée qu'une seule fois;

-    l'annexe IV, réservée aux substances pour lesquelles aucune LMR ne peut être fixée, dès lors que ces substances constituent, nonobstant toute considération de nature quantitative, un risque pour la santé du consommateur.

4.
    L'article 7 du règlement de 1990 définit la procédure qui s'applique aux substances pharmacologiquement actives dont l'utilisation est autorisée dans les médicaments vétérinaires à la date d'entrée en vigueur de ce règlement.

5.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de ce règlement, après consultation du comité des médicaments vétérinaires (ci-après le «CMV»), la Commission publie un calendrier d'examen de ces substances, ainsi que les délais de soumission des informations qui sont requises aux fins de la fixation d'une LMR. Selon le second alinéa de cette disposition, les personnes responsables de la mise sur le marché des médicaments vétérinaires concernés veillent à ce que toute l'information nécessaire soit soumise à la Commission.

6.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 3, de ce règlement, après vérification dans un délai de 30 jours que l'information est présentée sous une forme correcte, la Commission la soumet immédiatement, pour examen, au CMV qui rend son avis dans un délai de 120 jours renouvelable.

7.
    En application de l'article 7, paragraphe 4, de ce règlement, la Commission prépare, au vu des observations formulées par les membres du CMV, un projet de mesures à prendre, dans un délai maximal de 30 jours.

8.
    Selon l'article 7, paragraphe 5, de ce règlement, ce projet est aussitôt communiqué par la Commission aux États membres ainsi qu'à la personne responsable de la mise sur le marché ayant soumis les informations à la Commission. Cette personne peut, à sa demande, fournir au CMV des explications écrites ou orales.

9.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 6, de ce règlement, la Commission soumet aussitôt les mesures proposées au comité pour l'adaptation au progrès technique des directives relatives aux médicaments vétérinaires (ci-après le «comité permanent») en vue de l'application de la procédure prévue à l'article 8.

10.
    En vertu de l'article 8, paragraphe 2, de ce règlement, ce comité émet son avis sur le projet de mesures dans un délai fixé par son président en fonction de l'urgence de la question.

11.
    L'article 8, paragraphe 3, de ce règlement, prévoit la procédure par laquelle la Commission ou, le cas échéant, le Conseil arrête les mesures envisagées, en tenant compte de l'avis exprimé par le comité permanent.

12.
    L'article 14 du règlement de 1990 énonce:

«À partir du 1er janvier 1997, l'administration de médicaments vétérinaires [contenant] des substances pharmacologiquement actives qui ne figurent pas aux annexes I, II ou III à des animaux destinés à la production d'aliments est interdite dans la Communauté [...]»

13.
    Selon l'article 15, premier alinéa, du règlement de 1990, celui-ci ne préjuge en aucune manière l'application de la réglementation communautaire interdisant l'utilisation dans les élevages de certaines substances à effet hormonal.

14.
    Le règlement (CE) n° 434/97 du Conseil, du 3 mars 1997, modifiant le règlement de 1990 (JO L 67, p. 1), a reporté la date limite prévue à l'article 14 du règlement de 1990, en ce qui concerne les substances comme celle en cause dans le présent litige, au 1er janvier 2000.

15.
    Par règlement (CE) n° 1308/99 du Conseil, du 15 juin 1999, modifiant le règlement de 1990 avec effet au 26 juin 1999 (JO L 156, p. 1), les articles 6 et 7 du règlement de 1990 ont été remplacés par le texte suivant:

«Article 6

1. Afin d'obtenir l'inclusion dans les annexes I, II ou III d'une substance pharmacologiquement active destinée à être utilisée dans des médicaments vétérinaires à administrer à des animaux producteurs d'aliments, une demande d'établissement d'une [LMR] est soumise à l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments [(EMEA)] instituée par le règlement (CEE) n° 2309/93 [du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1)] [...]

[...]

Article 7

1. Le [CMV] visé à l'article 27 du règlement [...] n° 2309/93 [...] est chargé de formuler l'avis de l'[EMEA] sur la classification des substances figurant aux annexes I, II, III ou IV du présent règlement.

[...]

3. L'[EMEA] veille à ce que l'avis du [CMV] soit rendu dans un délai de 120 jours à compter de la réception d'une demande valide.

Si les informations présentées par le demandeur ne sont pas suffisantes pour permettre la préparation d'un tel avis, le [CMV] peut inviter le demandeur à fournir des informations complémentaires dans un délai déterminé. Le délai de présentation de l'avis est alors suspendu jusqu'à ce que les renseignements complémentaires aient été fournis.

4. L'[EMEA] envoie l'avis au demandeur. Dans les quinze jours de la réception de l'avis, le demandeur peut notifier par écrit à l'[EMEA] son intention de former un recours. Dans ce cas, il transmet les motifs détaillés de son recours à l'[EMEA] dans un délai de 60 jours à compter de la réception de l'avis. Dans les 60 jours de la réception des motifs du recours, le [CMV] examine si son avis doit être révisé et les conclusions rendues sur le recours sont annexées au rapport visé au paragraphe 5.

5. Dans les 30 jours suivant son adoption, l'[EMEA] envoie l'avis définitif du [CMV] à la Commission et au demandeur. L'avis est accompagné d'un rapport décrivant l'évaluation de la sécurité de la substance par le [CMV] et exposant les raisons qui motivent ses conclusions.

6. La Commission prépare un projet de mesures en tenant compte de la législation communautaire et engage la procédure prévue à l'article 8. Le comité visé à l'article 8 adapte son règlement intérieur afin de tenir compte des attributions qui lui sont conférées par le présent règlement.»

Faits à l'origine des litiges

16.
    La requérante dans l'affaire T-344/00, CEVA Santé animale SA (anciennement dénommée Sanofi Santé nutrition animale SA, ci-après «CEVA»), est une entreprise pharmaceutique qui commercialise un médicament vétérinaire sous la marque PRID, contenant comme substance active de la progestérone, une hormone qui appartient au groupe des hormones de gestation.

17.
    Le produit commercialisé par CEVA est destiné à être utilisé, principalement dans l'élevage des bovins, à des fins zootechniques, à savoir pour la synchronisation du cycle oestral, et pour le traitement thérapeutique de troubles affectant la fécondité.

18.
    La requérante dans l'affaire T-345/00, Pharmacia entreprises SA (ci-après «Pharmacia»), est également une entreprise pharmaceutique qui commercialise un médicament vétérinaire sous la marque CIDR, contenant comme substance active de la progestérone.

19.
    Le produit commercialisé par Pharmacia est destiné à être utilisé aux fins de contrôle de l'oestrus et de l'ovulation chez les vaches, les bufflonnes, les brebis et les chèvres. Il peut également être utilisé pour le traitement thérapeutique de troubles affectant la fertilité de ces animaux.

20.
    Le 14 septembre 1993, CEVA a, conformément à l'article 7 du règlement de 1990, présenté à la Commission une demande de fixation d'une LMR pour la progestérone destinée aux bovins et aux chevaux.

21.
    Par lettre du 18 novembre 1996, l'EMEA a informé CEVA que le CMV avait, lors de sa réunion des 22 et 23 octobre 1996, recommandé l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 et que l'avis du CMV serait transmis à la Commission en vue de son adoption par le comité permanent.

22.
    Le 22 avril 1997, la Commission a communiqué à l'AEEM de nouvelles informations scientifiques et a demandé au CMV de réévaluer le risque lié aux hormones oestradiol-17â et progestérone.

23.
    Par lettre du 24 octobre 1997, l'AEEM a informé CEVA:

«[...] la Commission a décidé d'arrêter la procédure d'adoption pour la progestérone du fait que de nouvelles données scientifiques sont récemment apparues en ce qui concerne l'oestradiol et sont également considérées comme pertinentes pour la progestérone. C'est pourquoi le CMV a été invité à procéder à un réexamen de l'évaluation en tenant compte de ces données supplémentaires. Vous serez tenus au courant de développements ultérieurs concernant la fixation de LMR pour la progestérone.»

24.
    Le 15 avril 1998, la Commission a de nouveau demandé au CMV de revoir son avis précédent en tenant compte des dernières données scientifiques disponibles émanant d'un certain nombre de sources, par exemple du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), un organe consultatif de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), du National Institute of Health des États-Unis, ainsi que des résultats de plusieurs études spécifiques commandées par la Commission.

25.
    En mai 1998, la Commission a été informée que le comité mixte d'experts FAO/OMS sur les additifs alimentaires (ci-après le «CMEAA»), le comité scientifique qui conseille le comité du Codex alimentarius sur les additifs alimentaires et les contaminants, avait également l'intention de réévaluer les trois hormones naturelles, dont la progestérone, en février 1999.

26.
    Par lettre du 19 novembre 1998, CEVA s'est informée auprès de la Commission quant à l'état de la procédure régissant l'adoption d'une LMR pour la progestérone.

27.
    Par lettre du 11 janvier 1999, le directeur général de la direction générale «Industrie» (DG III) a répondu:

«[M]es services savent parfaitement qu'un médicament vétérinaire contenant des substances énumérées dans la communication de l'[EMEA] sur l'évaluation de médicaments conformément à l'article 1er du règlement n° 434/97 [...] (substances dites interdites) doit être inclus dans l'annexe I, II ou III du règlement [...] n° 2377/90 [...] et publié au Journal officiel avant le 1er janvier 2000 pour qu'il puisse rester sur le marché. C'est pourquoi la progestérone sera présentée pour adoption au comité permanent des médicaments vétérinaires en 1999.»

28.
    Le 26 février 1999, la Commission a publié au Journal officiel un «appel en vue de la mise à disposition de la documentation scientifique nécessaire à l'évaluation des risques liés à l'utilisation de l'oestradiol-17â, de la progestérone, de la testostérone, du zéranol, de l'acétate de trenbolone et l'acétate de mélengestrol comme promoteurs de la croissance animale».

29.
    Vers avril 1999, la réévaluation du CMEAA a été communiquée.

30.
    Le 23 avril 1999, la Commission a demandé à l'EMEA de lui communiquer «la mise à jour de l'évaluation» qu'elle avait demandée en 1997 sur les hormones oestradiol-17â et progestérone, «dans les meilleurs délais, en vue de l'adoption et de la publication des résultats de cette évaluation avant le 1er janvier 2000».

31.
    Cette lettre a été suivie, le 25 mai 1999, d'une autre lettre de la Commission, qui contenait à l'attention de l'EMEA l'avis du 30 avril 1999 du comité scientifique des mesures vétérinaires en rapport avec la santé publique.

32.
    Par lettre du 20 décembre 1999, l'EMEA a informé CEVA que le CMV avait, lors de sa réunion des 7, 8 et 9 décembre 1999, confirmé son avis antérieur portant sur l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement. L'avis du CMV ainsi que son rapport sommaire étaient annexés à cette lettre.

33.
    Dans son avis, le CMV a exposé:

«Le comité, après avoir évalué la teneur des demandes, a recommandé en octobre 1996 d'inclure la progestérone dans l'annexe II du règlement [...] n° 2377/90 [...]. Cet avis n'a toutefois pas été suivi par la Commission européenne.

En 1997 et 1999, la Commission européenne a soumis à l'attention du comité de nouvelles données concernant les hormones sexuelles stéroïdes, en demandant une réévaluation de la substance en question à la lumière des nouvelles données.

Le comité, après avoir examiné les demandes et les données nouvelles exposées dans le rapport sommaire annexé, a confirmé son avis antérieur et recommandé d'inclure la substance susmentionnée dans l'annexe II du règlement [...] n° 2377/90 [...]»

34.
    Dans le rapport sommaire, il est exposé:

«Entre 1997 et 1999, de nouvelles données sont devenues disponibles en ce qui concerne la génotoxicité et la carcinogénicité des hormones stéroïdes, quoi que n'incluant pas la progestérone (à part quelques données en matière de carcinogénicité). Ces données ont également été examinées et discutées par le [...] CMEAA en 1999, par le comité scientifique des mesures vétérinaires en rapport avec la santé publique [...] de la Commission européenne en 1999 et par le [...] CIRC en 1999. Après avoir évalué ces données, qui concernaient principalement l'oestradiol-17â, le CMV a conclu que les hormones stéroïdes sont dépourvues d'activité génotoxique in vivo et que ces composés n'exercent leur action cancérogène qu'après une exposition prolongée et à des niveaux considérablement plus élevés que ceux qui déclenchent une réaction physiologique (hormonale). En conséquence, les conclusions antérieures concernant la génotoxicité et la carcinogénicité peuvent être maintenues.

[...]

Compte tenu des critères fixés par le comité pour l'inclusion de substances dans l'annexe II du règlement [...] n° 2377/90 [...], et en particulier de ce que:

-    la progestérone est d'origine endogène; elle est un constituant naturel des aliments d'origine animale,

    

-    la disponibilité biologique de la progestérone donnée par voie orale est inférieure à 10 %,

-    il est improbable que les animaux soient envoyés à l'abattage pendant le traitement ou aussitôt après,

-    les niveaux du lait, des tissus et du plasma après un traitement à la progestérone se sont révélés correspondre aux limites physiologiques ou se situer à l'intérieur de celles-ci,

le Comité estime qu'il n'est pas nécessaire de fixer une LMR pour la progestérone et recommande son inclusion dans l'annexe II du règlement [...] n° 2377/90 [...]»

35.
    Le comité scientifique des mesures vétérinaires en rapport avec la santé publique a, le 3 mai 2000, adopté une réévaluation de son avis du 30 avril 1999.

36.
    Le 12 juillet 2000, par l'intermédiaire de leurs conseils, les requérantes ont adressé des lettres recommandées à la Commission dans lesquelles elles l'ont mise en demeure de prendre les mesures nécessaires pour que la progestérone soit incluse dans l'annexe II du règlement de 1990 dans les meilleurs délais, et d'effectuer toutes les démarches nécessaires à cet effet. Les requérantes faisaient en outre connaître leurs intentions de former un recours en carence au titre de l'article 232 CE si les mesures demandées n'étaient pas adoptées dans un délai de deux mois et d'introduire un recours en indemnité.

37.
    Le 7 août 2000, la Commission a répondu à ces lettres dans les termes suivants:

«M. Romano Prodi, président de la Commission, m'a prié de répondre à la lettre du 12 juillet que vous lui avez envoyée au nom de la société [CEVA/Pharmacia]. Dans cette lettre, vous invitez la Commission à prendre les mesures nécessaires pour inclure dès que possible la substance progestérone dans l'annexe II du règlement [...] n° 2377/90.

Nous comprenons les préoccupations de [CEVA/Pharmacia] concernant tout retard dans l'inclusion de la progestérone dans les annexes du règlement [...] n° 2377/90 ainsi que les conséquences d'ordre économique qui pourraient en résulter. Toutefois, il y a lieu de souligner le fait que la demande d'inclure la progestérone en particulier et, plus généralement, des hormones dans les annexes du règlement [...] n° 2377/90 soulève des questions complexes de nature scientifique liées à la santé publique et à la protection des consommateurs.

Le dossier susmentionné est encore en examen au sein des services de la Commission. Bien que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller à ce que cet examen soit effectué le plus promptement possible, il ne nous est malheureusement pas possible de vous communiquer, à ce stade, un calendrier pour la publication au Journal officiel du règlement incluant la progestérone.»

38.
    Le 25 juillet 2001, après l'introduction des présents recours, la Commission a adopté une proposition de règlement dans lequel elle envisage de classer la progestérone à l'annexe I du règlement de 1990. Cette proposition a été transmise, le 1er août 2001, au comité permanent, conformément à la procédure prévue à l'article 8 du règlement de 1990. Le comité permanent n'ayant pas donné un avis favorable, la Commission a, le 26 octobre 2001, soumis une proposition au Conseil. Lors du Conseil «agriculture» des 21 et 22 janvier 2002, cette dernière proposition n'a pas été adoptée.

Procédure

39.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 13 novembre 2000, les requérantes ont introduit les présents recours.

40.
    Par ordonnance du 23 juillet 2001, la Fédération européenne de la santé animale (Fedesa) a été admise à intervenir au soutien des conclusions de Pharmacia dans son recours en carence.

41.
    La Fedesa a déposé son mémoire en intervention le 3 septembre 2001.

42.
    La Commission a présenté ses observations sur le mémoire en intervention le 24 octobre 2001.

43.
    Après le dépôt des mémoires en duplique, la Commission a déposé dans les deux affaires, le 13 novembre 2001, des documents intitulés «mesures d'organisation de la procédure».

44.
    Les requérantes et la Fedesa ont présenté leurs observations à l'égard des documents de la Commission le 17 décembre 2001.

45.
    Le Tribunal a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à des questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes.

46.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

47.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries, en leurs réponses aux questions du Tribunal et en leurs observations sur une jonction éventuelle des affaires T-344/00 et T-345/00 aux fins de l'arrêt, lors de l'audience qui s'est déroulée le 25 septembre 2002.

48.
    Les affaires sont jointes aux fins de l'arrêt, conformément à l'article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

Conclusions des parties

49.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer conformément à l'article 232 CE que la Commission a omis de respecter ses obligations prévues par le droit communautaire en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires pour l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 à la suite de l'avis positif émis par le CMV et en particulier d'établir une proposition de règlement incluant la progestérone dans l'annexe II et de le soumettre pour approbation au comité permanent;

-    condamner la Communauté, représentée en l'espèce par la Commission, à réparer le préjudice subi par les requérantes à la suite de la carence illégale de la défenderesse, et fixer le montant de cette réparation, dans l'affaire T-344/00, à 258 453 euros et, dans l'affaire T-345/00, à 271 170 euros, ou fixer tout autre montant correspondant au préjudice subi par les requérantes, tel que celles-ci l'établiront le cas échéant au cours de la présente procédure, en particulier pour prendre dûment en compte tout préjudice futur;

-    subsidiairement, ordonner aux parties de présenter au Tribunal, dans un délai raisonnable à compter de la date de l'arrêt, le montant chiffré de l'indemnisation déterminée par voie d'accord entre les parties ou, en l'absence d'accord, ordonner aux parties de présenter au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions accompagnées de chiffres détaillés;

-    ordonner qu'un intérêt au taux annuel de 8 %, ou tout autre taux approprié à déterminer par le Tribunal, est à payer sur le montant exigible, à compter de la date de l'arrêt du Tribunal et jusqu'au paiement effectif du principal dû;

-    condamner la Commission aux dépens de la présente instance.

50.
    La Fedesa soutient le premier chef de conclusions de Pharmacia.

51.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter les recours comme irrecevables et/ou dénués de fondement;

-    condamner les requérantes et la partie intervenante aux dépens.

Sur les recours en carence

52.
    Le Tribunal estime opportun - au vu notamment du fait que les arguments des parties relatifs au recours en carence sont également pertinents dans le cadre des recours en indemnité - d'exposer, d'abord, l'ensemble des arguments des parties, relatifs à la recevabilité et au fond des recours en carence, avant de statuer sur les recours en carence.

Arguments des parties

Sur la recevabilité

53.
    La Commission conteste, à titre liminaire, la recevabilité des recours en carence. Elle rappelle que, aux termes de l'article 232 CE, un recours tendant à faire constater qu'une institution de la Communauté s'est abstenue de statuer ne peut être formé que si, «à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de [l'invitation à agir], l'institution n'a pas pris position». En l'espèce, il apparaîtrait clairement que la lettre du 7 août 2000 constitue une «prise de position» au sens dudit article, dès lors que la Commission y a indiqué les raisons pour lesquelles le dossier en cause était toujours sous examen au sein de ses services et qu'elle y a précisé les mesures procédurales ultérieures qu'elle était sur le point de prendre pour répondre à la demande de CEVA.

54.
    Selon les requérantes, la lettre du 7 août 2000 se borne à énoncer que le dossier est toujours sous examen et ne constitue pas une prise de position de la Commission l'exonérant de la responsabilité résultant de son inaction. Elles se réfèrent à cet égard à l'arrêt de la Cour du 22 mars 1961, SNUPAT/Haute Autorité (42/59 et 49/59, Rec. p. 99), et à l'ordonnance du Tribunal du 16 juillet 1998, Ca' Pasta/Commission (T-274/97, Rec. p. II-2925, points 26 à 28).

55.
    Dans ses dupliques, la Commission invoque des arguments supplémentaires pour soutenir sa thèse selon laquelle les recours en carence sont irrecevables. Elle fait valoir que la demande de CEVA de fixer une LMR pour la progestérone peut éventuellement lui conférer des droits procéduraux particuliers au cours de l'examen effectué par le CMV, mais pas aux stades ultérieurs de la procédure prévus par le règlement de 1990. Selon la Commission, toute mesure concernant les LMR pour la progestérone constituerait un acte législatif d'application générale visant une catégorie ouverte de personnes objectivement définie et, face à un tel acte, les requérantes ne se trouveraient pas dans une position différente de celle de toute autre personne faisant partie de la catégorie ouverte. Dès lors, les requérantes ne seraient pas concernées individuellement par le refus d'adopter un tel acte.

56.
    Dans l'affaire T-345/00, la Commission ajoute encore que Pharmacia n'a jamais introduit de demande au titre du règlement de 1990 en vue de fixer une LMR pour la progestérone et qu'elle n'a pas démontré que la Commission était tenue de lui adresser un acte la concernant directement et individuellement.

57.
    La Fedesa se rallie, en substance, aux arguments de Pharmacia.

Sur le fond

58.
    Les requérantes soulèvent quatre moyens dans le cadre de leurs recours en carence. Le premier est tiré d'une violation des obligations qu'impose le règlement de 1990 à la Commission, le deuxième d'une violation des principes généraux de confiance légitime et de bonne administration, le troisième de l'incompatibilité de la carence de la Commission avec l'autorisation d'utiliser la progestérone à des fins thérapeutiques et zootechniques et d'un détournement de pouvoir, et enfin le quatrième d'une violation du droit fondamental des requérantes à exercer leur activité économique et d'une violation du principe de proportionnalité.

59.
    La Fedesa se rallie, en substance, aux moyens et arguments de Pharmacia.

- Sur le premier moyen, tiré d'une violation des obligations qu'impose le règlement de 1990 à la Commission

60.
    Selon les requérantes, le CMV est, dans le cadre juridique institué par le règlement de 1990, le seul comité compétent, au sein de la Communauté, habilité à rendre un avis scientifique sur toutes les questions relatives aux médicaments vétérinaires et, plus particulièrement, en matière d'évaluation scientifique de dossiers pour l'établissement de LMR. Le règlement désignerait spécifiquement le CMV comme le seul organisme compétent pour formuler des avis scientifiques sur la sécurité d'un produit.

61.
    Par ailleurs, une fois que le CMV a donné son avis scientifique sur le classement d'une substance dans l'une des annexes du règlement de 1990, l'administration de la Communauté aurait l'obligation d'adopter les LMR selon une procédure rapide. Cette obligation découlerait de l'article 7, paragraphes 5 et 6, du règlement et aurait été confirmée par le Tribunal dans ses arrêts du 25 juin 1998, Lilly Industries/Commission (T-120/96, Rec. p. II-2571, point 83), et du 22 avril 1999, Monsanto/Commission (T-112/97, Rec. p. II-1277), de même que par les conclusions de l'avocat général M. Mischo sous l'arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Pharos/Commission (C-151/98 P, Rec. p. I-8157, I-8159).

62.
    Les requérantes concluent que, malgré ces obligations découlant du règlement de 1990 et l'interprétation qui en a été donnée par le Tribunal, la Commission a omis de prendre en l'espèce les mesures nécessaires, en dépit de l'adoption de l'avis positif du CMV en 1996 et du nouvel avis positif de décembre 1999 qui confirmait la sécurité présentée par la progestérone, compte tenu de toutes les informations scientifiques disponibles. En conséquence, la Commission se serait manifestement abstenue d'agir.

63.
    La Commission conteste, premièrement, l'argument des requérantes, selon lequel le CMV est le seul comité compétent au sein de la Communauté, selon le cadre juridique en vigueur, habilité à rendre un avis scientifique sur toutes les questions relatives aux médicaments vétérinaires. La Commission ne nie pas le rôle consultatif du CMV, mais elle souligne que, dans un domaine du droit communautaire visant la protection de la santé publique, il serait illogique de suggérer que la Commission, en évaluant la mesure de gestion du risque à adopter, est tenue de suivre uniquement l'avis du CMV et d'ignorer les informations scientifiques émanant de toute autre source fiable. L'ancienne version des articles 6, paragraphes 3 et 5, et 7, paragraphes 4 et 6, et la version actuelle de l'article 7, paragraphe 6, du règlement de 1990 excluraient une telle interprétation restrictive.

64.
    Deuxièmement, la Commission estime que le vice principal du raisonnement proposé par les requérantes réside dans le fait que, selon elles, l'avis du CMV ne laisse aucune marge d'appréciation à la Commission en ce qui concerne le choix des mesures réglementaires appropriées et qu'il impose à la Commission l'obligation de proposer sans retard une proposition de règlement visant, en l'occurrence, à inclure la substance en question dans l'annexe II du règlement de 1990 et de le soumettre au comité permanent. Selon la Commission, le règlement lui laisse une marge d'appréciation, dans le cadre de l'autorité qu'elle assume dans la Communauté en matière de gestion du risque, lui permettant de s'écarter dans certaines circonstances de l'avis du CMV.

65.
    Troisièmement, la Commission se réfère aux arrêts Lilly Industries/Commission et Pharos/Commission, précités, pour soutenir que le pouvoir d'appréciation dont elle dispose doit être évalué au cas par cas en tenant compte de la complexité et de la sensibilité du dossier concerné. La Commission fait encore valoir que cette conclusion est confirmée par une interprétation systématique des dispositions pertinentes du règlement de 1990 et d'autres actes et règlements dans ce domaine du droit communautaire, qui montrent que l'avis du CMV est de nature purement consultative pour la Commission.

66.
    Quatrièmement, la Commission fait observer que l'assurance d'un niveau élevé de protection de la santé humaine ne peut être garantie que si l'évaluation effectuée par des comités comme le CMV est pondérée par les institutions compétentes à la lumière de toutes les informations scientifiques disponibles, en tenant compte de l'incertitude scientifique, des préoccupations des consommateurs, de considérations éthiques ou morales ou d'autres facteurs légitimes et du principe de précaution. Selon la Commission, la Cour et le Tribunal ont explicitement confirmé ce droit à la pondération dans plusieurs affaires ayant données lieu à l'ordonnance de la Cour du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission (C-180/96 R, Rec. p. I-3903), à l'arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission (C-180/96, Rec. p. I-2265) et à l'arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission (T-199/96, Rec. p. II-2805).

67.
    La Commission conclut que les requérantes n'ont pas démontré que l'action de la Commission dans cette affaire est manifestement inappropriée eu égard à l'objectif supérieur qu'elle poursuit, à savoir la protection de la santé publique.

- Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des principes généraux de confiance légitime et de bonne administration

68.
    Les requérantes font valoir que, en l'espèce, la Commission savait parfaitement qu'une LMR devait être adoptée et publiée au Journal officiel avant le 1er janvier 2000, étant donné que l'article 14 du règlement de 1990 (tel que modifié par le règlement n° 434/97) prévoit explicitement que, à partir du 1er janvier 2000, l'administration de médicaments vétérinaires contenant des substances pharmacologiquement actives qui ne figurent pas aux annexes I, II ou III à des animaux destinés à la production d'aliments est interdite dans la Communauté, sauf dans le cas d'essais cliniques. CEVA rappelle que le directeur général de la DG III a, dans sa lettre du 11 janvier 1999, écrit: «[M]es services savent parfaitement qu'un médicament vétérinaire contenant des substances énumérées dans la communication de l'EMEA sur l'évaluation de médicaments conformément à l'article 1er du règlement n° 434/97 [...] (substances dites interdites) doit être inclus dans l'annexe I, II ou III du règlement [...] n° 2377/90 [...] et publié au Journal officiel avant le 1er janvier 2000 pour qu'il puisse rester sur le marché. C'est pourquoi la progestérone sera présentée pour adoption au comité permanent des médicaments vétérinaires en 1999.» Selon les requérantes, elles pouvaient dès lors s'attendre légitimement à ce que des mesures soient prises avant le 1er janvier 2000 pour inclure la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 et la carence de la Commission enfreint non seulement le respect des obligations qui s'imposent à elle en vertu du règlement de 1990 et de la jurisprudence du Tribunal, mais aussi les principes généraux de confiance légitime et de bonne administration.

69.
    La Commission soutient qu'il ne peut être légitimement attendu qu'une substance soit incluse dans l'une des annexes du règlement de 1990 avant le 1er janvier 2000 si des raisons valables et objectives amènent la Commission à poursuivre l'examen de la substance en cause. Les complexités techniques et scientifiques exceptionnelles que présente la progestérone, comme les autres hormones naturelles, justifieraient son approche prudente dans cette affaire.

- Sur le troisième moyen, tiré de l'incompatibilité de la carence de la Commission avec l'autorisation d'utiliser la progestérone à des fins thérapeutiques et zootechniques et d'un détournement de pouvoir

70.
    Les requérantes soulignent que l'utilisation d'hormones à des fins thérapeutiques et zootechniques est explicitement exclue de l'interdiction imposée par la directive 96/22/CE du Conseil, du 29 avril 1996, concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances ß-agonistes dans les spéculations animales et abrogeant les directives 81/602/CEE, 88/146/CEE et 88/299/CEE (JO L 125, p. 3), et que, dans sa proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/22, adoptée le 24 mai 2000 [COM (2000) 320 final] (JO 2000, C 337 E p. 163), la Commission déclare explicitement que, à la suite de l'examen des conclusions scientifiques, l'utilisation de la testostérone, de la progestérone, de l'acétate de trenbolone, du zéranol et de l'acétate de mélengestrol «à des fins thérapeutiques ou en vue d'un traitement zootechnique peut continuer à être autorisée dans les strictes conditions prévues par la directive 96/22». Il existerait en conséquence une contradiction manifeste et incompréhensible entre la directive 96/22 du Conseil autorisant explicitement l'utilisation de la progestérone à des fins zootechniques et thérapeutiques - ce que confirme la proposition de la Commission du 24 mai 2000 -, d'une part, et l'omission par la Commission d'inclure la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990, d'autre part. Les requérantes rappellent que l'inclusion d'une substance active dans l'annexe I, II ou III du règlement de 1990 est requise pour obtenir, ou être à même de conserver, l'autorisation de commercialiser les médicaments contenant ces substances actives.

71.
    Les requérantes soutiennent que ce manque de transparence et de cohérence dans l'approche de la Commission en l'espèce démontre que, par sa carence, celle-ci commet en réalité un détournement de pouvoir. Dès lors, en dépit du fait que le CMV a émis un avis favorable en 1996, confirmé en décembre 1999 sur la base de tous les éléments probants d'ordre scientifique, la Commission aurait omis d'arrêter les mesures nécessaires pour inscrire la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 et aurait en réalité bloqué l'adoption d'une LMR pour la progestérone pour toutes sortes de raisons qu'elle juge valables. Ce faisant, la Commission exercerait manifestement ses pouvoirs en poursuivant des objectifs autres que la protection de la santé publique. Dans la mesure où la Commission poursuit des objectifs qui n'ont manifestement rien à voir avec la protection de la santé publique, le défaut d'agir de la Commission non seulement serait en contradiction avec l'autorisation d'utiliser dans la Communauté la progestérone à des fins thérapeutiques et zootechniques et avec les récentes initiatives de la Commission elle-même confirmant que l'utilisation de substances hormonales auxdites fins devait être maintenue, mais constituerait en outre un détournement de pouvoir.

72.
    Selon la Commission, il n'existe pas de contradiction entre sa proposition de directive du 24 mai 2000, qui prévoit que la progestérone peut continuer à être autorisée pour un traitement thérapeutique ou zootechnique dans le respect des strictes conditions fixées par la directive 96/22, et son approche dans l'établissement d'une LMR pour la progestérone. Elle précise que le niveau de production endogène de progestérone varie d'un animal à l'autre en raison d'un certain nombre de facteurs et qu'il est, par conséquent, extrêmement difficile de fixer une LMR. Cette difficulté technique semblerait également avoir motivé les avis du CMV de novembre 1996 et de décembre 1999, qui proposaient d'inclure la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990. Lorsqu'il est proposé de classer une substance à l'annexe II, il faudrait que les résidus de cette substance dans le tissu animal consommable ne soient pas considérés comme dangereux pour la santé humaine. À l'inverse, si aucune LMR n'est fixée, comme le CMV le propose, aucun contrôle des résidus n'aurait lieu. Cela risquerait de saper les efforts de la Commission et de la Communauté visant à protéger la santé humaine et c'est justement sur cet aspect que les services de la Commission concentreraient leurs efforts, notamment après la proposition du 24 mai 2000 de modification de la directive 96/22.

73.
    Selon la Commission, elle a expliqué dans ses lettres adressées aux requérantes que ses services continuaient d'examiner la question relative à la progestérone et à toutes les autres substances hormonales ayant fait l'objet d'une demande au titre du règlement de 1990, afin de résoudre les questions complexes qui sont ainsi posées du point de vue scientifique et technique. L'affirmation selon laquelle la Commission poursuit des objectifs qui n'ont rien à voir avec la protection de la santé humaine serait donc dénuée de fondement.

- Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation du droit fondamental des requérantes à exercer leur activité économique et d'une violation du principe de proportionnalité

74.
    Selon les requérantes, l'omission de la Commission de prendre les mesures nécessaires pour l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 les prive de leurs autorisations de mise sur le marché, dont elles bénéficient en vertu des législations nationales, et empiète de ce fait sur la substance même de leur droit de propriété et de leur droit fondamental à exercer des activités économiques.

75.
    Aucune justification de cet empiétement n'aurait été donnée par la Commission. Par ailleurs, et en tout état de cause, la Commission ne pourrait se prévaloir de motifs liés à la santé publique à présent que le CMV a réexaminé à la demande de celle-ci son évaluation, en tenant compte de toutes les données scientifiques disponibles, et a confirmé que l'utilisation de progestérone dans des médicaments vétérinaires est sûre, puisque les résidus ne présentent aucun risque ou danger pour la santé des personnes. Le défaut d'agir de la Commission ne serait donc manifestement pas nécessaire pour protéger la santé publique et constituerait une mesure disproportionnée.

76.
    La Commission soutient, tout en reconnaissant le droit légitime des requérantes à exercer leurs activités, qu'elle n'a commis aucun abus ni aucun acte disproportionné propre à enfreindre ce droit. Selon la Commission, la Cour a estimée dans plusieurs affaires que la Commission, lorsqu'elle examine les droits en cause, doit tenir compte du principe selon lequel les exigences liées à la protection de la santé publique doivent se voir accorder une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques. Par ailleurs, il serait de jurisprudence constante que le droit fondamental invoqué par les requérantes n'est pas une prérogative absolue. Des restrictions pourraient être apportées à ce droit, notamment dans le contexte d'une organisation commune de marché, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis.

- Sur l'incidence des faits, communiqués par la Commission dans ses documents intitulés «mesures d'organisation de la procédure», sur les recours en carence

77.
    Selon les requérantes, l'adoption par la Commission d'une proposition de règlement visant à l'inclusion de la progestérone dans l'annexe I du règlement de 1990 ne saurait mettre fin à la carence. Elles soutiennent que la Commission n'a pas, dans cette proposition, suivi l'avis du CMV - qui recommandait une inclusion dans l'annexe II du règlement de 1990, réservée aux substances qui ne sont pas soumises à une LMR - en proposant une inclusion dans l'annexe I du règlement et en proposant des LMR indicatives pour permettre le contrôle d'une possible utilisation illégale de la progestérone. Selon les requérantes, la tentative de la Commission d'instaurer des mesures de contrôle supplémentaires par le biais de la procédure de fixation de LMR est contraire au règlement de 1990. À cet égard, elles citent l'arrêt Lilly Industries/Commission, précité, et l'arrêt du Tribunal du 1er décembre 1999, Boehringer/Conseil et Commission (T-125/96 et T-152/96, Rec. p. II-3427).

Appréciation du Tribunal

78.
    Il convient, en premier lieu, d'examiner si la lettre de la Commission du 7 août 2000 constitue une prise de position au sens de l'article 232 CE, qui a mis fin à la carence.

79.
    À cet égard, force est de constater que la lettre se limite à énoncer que la demande visant à inclure la progestérone en particulier et, plus généralement, les hormones dans les annexes du règlement de 1990 soulève des questions complexes de nature scientifique liées à la santé publique et à la protection des consommateurs et que le dossier est encore sous examen au sein des services de la Commission.

    

80.
    Or, une lettre émanant d'une institution, aux termes de laquelle l'analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise de position mettant fin à une carence (arrêts SNUPAT/Haute Autorité, précité, Rec. p. 143, et du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, 13/83, Rec. p. 1513, point 25; arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T-95/96, Rec. p. II-3407, point 88, et du 7 mars 2002, Intervet/Commission, T-212/99, Rec. p. II-1445, point 61).

81.
    La lettre de la Commission du 7 août 2000 ne saurait donc être qualifiée de «prise de position» au titre de l'article 232, deuxième alinéa, CE.

82.
    En second lieu, il convient d'examiner si la proposition de règlement, adoptée par la Commission le 25 juillet 2001 et soumise le 1er août 2001 au comité permanent, constitue une prise de position au sens de l'article 232 CE, qui a mis fin à la carence.

83.
    À cet égard, il y a lieu de constater que la proposition de règlement dévie de la demande de CEVA et des deux avis du CMV en ce qu'elle propose l'inclusion de la substance progestérone dans l'annexe I du règlement de 1990, au lieu de l'annexe II, et en ce qu'elle propose des LMR «indicatives». Or, selon une jurisprudence constante, l'article 232 CE vise la carence par l'abstention de statuer ou de prendre position et non l'adoption d'un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire et la circonstance qu'une prise de position ne donne pas satisfaction à la requérante est indifférente à cet égard (arrêts de la Cour du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/ Commission, 8/71, Rec. p. 705, point 2; du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15/91 et C-108/91, Rec. p. I-6061, points 16 et 17; ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, Sodima/Commission, C-44/00 P, Rec. p. I-11231, point 83, et arrêt du Tribunal du 10 juillet 1997, Guérin automobiles/Commission, T-38/96, Rec. p. II-1223, point 24).

84.
    En l'espèce, la proposition de règlement porte sur l'objet des demandes des requérantes. En adoptant, le 25 juillet 2001, cette proposition et en la soumettant, d'abord, au comité permanent et, ensuite, au Conseil, la Commission a pris position par rapport à l'invitation à agir.

85.
    Selon une jurisprudence constante, lorsqu'une telle prise de position intervient postérieurement à l'introduction d'un recours en carence, elle met fin à l'inaction de la Commission et prive de son objet ce recours (arrêt de la Cour du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282/95 P, Rec. p. I-1503, point 31; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28/90, Rec. p. II-2285, points 34, 35 et 36, et Intervet/Commission, précité, point 67).

86.
    Il s'ensuit qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions en carence.

Sur les recours en indemnité

Arguments des parties

87.
    Les requérantes font valoir, en s'appuyant également sur leurs arguments avancés dans le cadre de leurs recours en carence, que le défaut d'agir de la Commission constitue une illégalité qui engendre une responsabilité dans le chef de la Communauté. Elles précisent que les mesures que la Commission est tenue d'arrêter de manière à permettre l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990 relèvent d'une pure activité administrative. Même si le régime normatif dont relève l'activité législative illégale était applicable en l'espèce, il resterait évident que la carence de la Commission est nette, manifeste et grave et enfreint des règles supérieures de droit assurant la protection des particuliers.

88.
    Elles soutiennent qu'elles subissent et continuent de subir un préjudice spécifique et quantifiable à la suite de l'omission de la Commission d'arrêter les mesures visant à l'inclusion de la progestérone dans l'annexe II du règlement de 1990. Selon les requérantes, elles ne peuvent plus commercialiser leurs produits en vue de l'administration à des animaux producteurs d'aliments à partir du 1er janvier 2000 et plusieurs autorités compétentes nationales, notamment les autorités autrichiennes, ont retiré les autorisations de mise sur le marché de leurs produits ou n'ont pas prolongé la validité de ces autorisations. CEVA évalue le préjudice qu'elle a subi jusqu'au moment du dépôt de sa requête à 258 453 euros, Pharmacia à 271 170 euros. Leur préjudice aurait sa cause directe et exclusive dans la carence de la Commission. L'adoption par la Commission d'une proposition de règlement visant à l'inclusion de la progestérone à l'annexe I du règlement de 1990 n'aurait pas fait disparaître le préjudice subi.

89.
    Les trois conditions pour établir la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (un comportement illégal, un dommage réel, un lien de causalité entre le comportement illégal et le dommage) seraient donc remplies en espèce.

90.
    Selon la Commission, il s'agit dans cette affaire d'un domaine de droit communautaire dans lequel elle jouit d'une certaine marge d'appréciation quant aux projets de mesure qu'elle doit proposer au titre de l'article 7, paragraphe 6, du règlement de 1990 et non pas d'un domaine d'action purement administrative, comme le prétendent les requérantes.

91.
    La Commission soutient que son action est motivée exclusivement par son devoir de garantir un niveau élevé de protection de la santé publique et qu'aucun des arguments exposés par la requérante n'a établi une violation manifeste et sérieuse d'une règle de droit supérieure.

92.
    De plus, la Commission fait valoir que les requérantes n'ont pas démontré qu'elles ont effectivement subi un préjudice, a fortiori un préjudice réel et certain, étant donné qu'elles n'indiquent pas, hormis une référence à l'Autriche, où et pourquoi les ventes de leurs produits ont chuté. La Commission conteste également les calculs présentés par les requérantes.

93.
    Enfin, la Commission allègue que les requérantes n'ont pas non plus réussi à établir avec une précision suffisante l'existence d'un lien de causalité directe entre le préjudice allégué et la prétendue violation par la Commission de ses obligations en vertu du droit communautaire au motif qu'elles ne tiennent pas suffisamment compte du fait que, pour le retrait d'une autorisation de commercialisation en vigueur et visant leur produit, les autorités nationales compétentes des États membres doivent prendre des décisions distinctes.

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

94.
    L'article 288, deuxième alinéa, CE dispose que, en matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.

95.
    Selon une jurisprudence bien établie, la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait être engagée que si un ensemble de conditions, en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué, est réuni (voir, notamment, arrêts de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18, et du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 80).

96.
    Dans le cadre de la première condition, relative à l'existence d'un comportement illégal, la jurisprudence a précisé que la responsabilité de la Communauté pour des actes normatifs ne saurait être engagée qu'en présence d'une violation d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers. Si l'institution a adopté l'acte dans l'exercice d'un large pouvoir d'appréciation, l'engagement de la responsabilité de la Communauté exige, en outre, que la violation soit caractérisée, c'est à dire qu'elle revête un caractère manifeste et grave (arrêts de la Cour du 2 décembre 1971, Aktien-Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, point 11; du 25 mai 1978, Bayerische HNL e.a./Conseil et Commission, 83/76 et 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 6, et du 30 mai 1989, Roquette Frères/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, point 23).

97.
    L'abstention des institutions communautaires d'adopter un acte législatif doit être évaluée selon les mêmes critères (arrêt de la Cour du 8 décembre 1987, Grands moulins de Paris/CEE, 50/86, Rec. p. 4833, point 9).

98.
    En l'espèce, le Tribunal est appelé à examiner l'inaction de la Commission entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2001. En effet, les requérantes ne prétendent pas qu'elles ont subi un préjudice à cause de l'inaction de la Commission avant la date limite prévue à l'article 14 du règlement de 1990, tandis que, comme il a été considéré dans le cadre de l'appréciation des recours en carence, l'inaction de la Commission a pris fin à partir du 25 juillet 2001.

- Sur l'existence d'un comportement illégal

99.
    En premier lieu, il convient de relever que, au vu de ses sixième et dixième considérants et de ses articles 7 et 8, le règlement de 1990, avant et après sa modification par le règlement n° 1308/99, prévoit une procédure de fixation des LMR relativement expéditive, dans laquelle l'avis du CMV occupe une place centrale. Dans l'arrêt Pharos/ Commission, précité (point 26), la Cour a cependant reconnu, dans les circonstances de l'espèce, le droit de la Commission à solliciter un deuxième avis du CMV, lorsqu'elle est confrontée à un dossier scientifiquement et politiquement complexe et sensible, nonobstant le silence du règlement de 1990 sur ce point.

100.
    En second lieu, il convient de reconnaître que le dossier de la progestérone constitue, certes, un dossier scientifiquement et politiquement complexe, notamment à cause du fait que la progestérone est une substance endogène et qu'il manque, à l'heure actuelle, des méthodes d'analyse fiables pour contrôler l'utilisation abusive de cette substance. La complexité du dossier est d'ailleurs confirmée par le sort de la proposition de règlement, adoptée par la Commission et soumise au comité permanent et au Conseil.

101.
    Cette complexité ne saurait cependant justifier l'inaction de la Commission après le 1er janvier 2000. Au vu du fait que le CMV avait entièrement confirmé son premier avis, tout en prenant en considération les nouvelles données scientifiques qui lui étaient présentées par la Commission, et du fait que la Commission a elle-même toujours considéré que l'utilisation de la progestérone doit continuer à être autorisée pour des traitements thérapeutiques et zootechniques, la Commission a méconnu les intérêts légitimes des requérantes, dont elle avait clairement conscience, d'une manière manifeste et grave en s'abstenant de prendre des mesures pour permettre son utilisation, à des fins thérapeutiques et zootechniques, après le 1er janvier 2000, date à partir de laquelle, en vertu de l'article 14 du règlement de 1990, l'administration de médicaments vétérinaires contenant des substances pharmacologiquement actives qui ne figurent pas aux annexes I, II ou III du règlement de 1990 à des animaux destinés à la production d'aliments est interdite dans la Communauté. Dans ce cadre, il importe de relever encore que la demande de fixation d'une LMR pour la substance en cause a été faite déjà en septembre 1993.

102.
    Même si les difficultés scientifiques et politiques du dossier ont pu empêcher la Commission d'adopter, dans un bref délai après le deuxième avis du CMV, un projet de règlement conforme à l'avis du CMV, la Commission aurait du se soucier des intérêts des requérantes, par exemple en adoptant un projet de mesures fixant une LMR provisoire sur la base de l'article 4 du règlement de 1990 ou en reportant une deuxième fois la date limite prévue par l'article 14 du règlement de 1990.

103.
    Dans ces conditions, l'inaction de la Commission entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2001 constitue une violation manifeste et grave du principe de bonne administration qui engendre, en principe, la responsabilité de la Communauté. Partant, il n'y a pas lieu, dans le cas de l'espèce, de déterminer si l'inaction de la Commission s'inscrit dans un domaine administratif ou législatif, ni de déterminer l'ampleur précise du pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission en matière de fixation des LMR.

- Sur le préjudice et le lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice

104.
    Selon les requêtes, les requérantes ne peuvent plus commercialiser, après le 1er janvier 2000, leurs produits dans les États membres de la Communauté en l'absence d'une LMR pour la progestérone et le préjudice, subi jusqu'au moment de l'introduction de la requête, est évalué, par CEVA, à 258 453 euros et, par Pharmacia, à 271 170 euros.

105.
    Selon la réponse écrite de CEVA à une question du Tribunal, il apparaît que la situation réglementaire de son produit dans l'ensemble de la Communauté n'a pas été affectée par l'inaction de la Commission, sauf en ce qui concerne la suspension de l'autorisation de mise sur le marché en Autriche entre le 26 juillet 2000 et le 31 mai 2001. Bien que le préjudice réellement subi puisse dès lors être d'un ordre différent de celui indiqué dans la requête, il y a lieu de considérer qu'il est suffisamment établi que CEVA a pu subir un préjudice.

106.
    Selon la réponse écrite de Pharmacia à une question du Tribunal, il apparaît que la situation réglementaire de son produit CIDR en France, en Finlande, en Irlande et au Royaume-Uni n'a pas été affectée par l'inaction de la Commission, tandis que, en Autriche, l'autorisation de mise sur le marché a été suspendue entre le 26 juillet 2000 et le 18 juillet 2001. De plus, Pharmacia fait valoir que la procédure d'autorisation de mise sur le marché de son produit CIDR en Belgique, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas est gelée, en raison de l'absence d'une LMR pour la progestérone, de même que la procédure d'autorisation de mise sur le marché pour le produit CIDR 1900 Plus en France. Bien que le montant du préjudice ne soit pas encore déterminé, le Tribunal estime qu'il est suffisamment établi que Pharmacia a pu subir un préjudice.

107.
    L'argument de la Commission selon lequel il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice et son inaction, parce qu'il incombe aux autorités nationales compétentes de prendre des décisions relatives aux autorisations de mise sur le marché, ne peut être accueilli. En effet, s'il est établi que les autorités nationales ont retiré ou suspendu des autorisations de mise sur le marché ou suspendu des procédures d'autorisation de mise sur le marché en raison de l'absence d'une LMR pour la progestérone, elles n'ont fait que respecter et mettre en oeuvre l'interdiction découlant de l'article 14 du règlement de 1990 et de l'article 4, paragraphe 2, de la directive 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1) (devenu l'article 6 de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires, JO L 311, p. 1). Dans ces conditions, le préjudice est imputable à l'inaction de la Commission. Pour ce qui est des décisions de suspension des autorités autrichiennes, il découle de ces décisions qu'elles étaient prises en raison de l'absence d'une LMR pour la progestérone.

108.
    La question du montant du préjudice ne pouvant pas encore être tranchée, il est approprié, pour des considérations tenant à l'économie de la procédure, de statuer, dans une première phase de la procédure, par arrêt interlocutoire sur la responsabilité de la Communauté. L'examen de la question de l'évaluation du préjudice résultant de l'inaction de la Commission entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2001 est réservé à une phase ultérieure (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 37, et du Tribunal du 31 janvier 2001, Jansma/Conseil et Commission, T-76/94, Rec. p. II-243, point 102).

109.
    Il s'ensuit que les conclusions subsidiaires des requérantes peuvent être accueillies.

Sur les dépens

110.
    La décision sur les dépens est réservée.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

statuant avant dire droit, déclare et arrête:

1)    Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions en carence.

2)    L'inaction de la Commission entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2001 est de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

3)    Les parties transmettront au Tribunal, dans un délai de six mois après le prononcé du présent arrêt, le montant chiffré de l'indemnisation établi d'un commun accord.

4)    À défaut d'accord, les parties feront parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées sur le préjudice résultant de l'inaction de la Commission entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2001.

5)    Les dépens sont réservés.

Moura Ramos
Pirrung
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'anglais.