Language of document : ECLI:EU:T:1999:125

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

15 juin 1999 (1)

«Recours en annulation - Décision de la Commission - Aides d'État -

Recours introduit par une entité infra-étatique - Recevabilité»

Dans l'affaire T-288/97,

Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia, représentée par Mes Renato Fusco, avocat au barreau de Trieste, et Maurizio Maresca, avocat au barreau de Gênes, ayant élu domicile à Luxembourg, 36, rue Wiltz,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Paul Nemitz et Paolo Stancanelli, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Me Massimo Moretto, avocat au barreau de Venise, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 98/182/CE de la Commission, du 30 juillet 1997, concernant les aides octroyées par la région Frioul-Vénétie Julienne (Italie) aux entreprises de transport routier de marchandises de la région (JO 1998, L 66, p. 18),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. W. Bellamy, R. M. Moura Ramos, J. Pirrung et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 6 octobre 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1.
    La loi n° 4/1985 de la région Frioul-Vénétie Julienne, du 7 janvier 1985, prévoit plusieurs mesures d'aide au transport routier de marchandises pour le compte d'autrui, qui prennent la forme, notamment, d'un financement des intérêts sur des opérations de prêt et d'une prise en charge des coûts d'investissement. Ces mesures n'ont pas été notifiées à la Commission.

2.
    Par lettres des 29 septembre 1995 et 30 mai 1996, la Commission a demandé à la République italienne des informations sur cette loi. A la suite des réponses données par les autorités italiennes, celles-ci ont été informées, par lettre du 14 février 1997, de la communication de la Commission en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité, adressée aux autres États membres et autres intéressés, concernant des aides d'État accordées aux entreprises de transport de la région Frioul-Vénétie Julienne (JO 1997, C 98, p. 16), par laquelle la Commission avait décidé d'ouvrir la procédure prévue à cet article du traité, à l'encontre du régime prévu par la loi n° 4/1985, précitée.

3.
    Par lettre du 27 mars 1997, les autorités italiennes ont présenté leurs observations.

4.
    Par lettre du 18 août 1997, adressée à la représentation permanente de l'Italie auprès de l'Union européenne, la Commission a informé les autorités italiennes de sa décision 98/182/CE, du 30 juillet 1997, concernant les aides octroyées par la région Frioul-Vénétie Julienne (Italie) aux entreprises de transport routier de marchandises de la région (JO 1998, L 66, p. 18, ci-après «décision attaquée»). Elle y constate que les subventions octroyées en application de la législation en cause constituent des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE). Dans les articles 4 et 5, elle déclare ces aides incompatibles avec le marché commun et ordonne leur restitution. A l'article 7, elle désigne la République italienne comme destinataire de la décision attaquée.

5.
    Par lettre du 20 août 1997, reçue le 11 septembre suivant, la représentation permanente de l'Italie auprès de l'Union européenne a envoyé la décision attaquée à la présidence de la région Frioul-Vénétie Julienne.

6.
    La République italienne, par requête déposée le 28 octobre 1997, a introduit devant la Cour, en application de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, deuxième alinéa, CE), un recours en annulation de cette décision.

7.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 novembre 1997, la requérante a introduit le présent recours, en application de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

8.
    Par actes déposés au greffe du Tribunal entre le 12 décembre 1997 et le 26 janvier 1998, plusieurs entreprises, qui avaient bénéficié des aides de la région Frioul-Vénétie Julienne, ont également introduit des recours en annulation de la décision attaquée. Ils ont été enregistrés au greffe du Tribunal sous les numéros T-298/97, T-312/97, T-313/97, T-315/97, T-600/97 à T-607/97, T-1/98, T-3/98 à T-6/98 et T-23/98.

9.
    Par acte déposé le 19 février 1998, la Commission a soulevé, dans la présente affaire, une exception d'irrecevabilité conformément à l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

10.
    Le 11 mai 1998 la requérante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité.

11.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé, conformément à l'article 114, paragraphe 3, de son règlement de procédure, d'ouvrir la procédure orale, limitée à l'examen de cette exception, sans mesures d'instruction préalables. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience du 6 octobre 1998.

Conclusions des parties

12.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable;

-    condamner la requérante aux dépens.

13.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission et examiner les moyens au fond.

En droit

Arguments des parties

14.
    La Commission invoque cinq moyens à l'appui de son exception d'irrecevabilité. Le premier moyen est tiré de l'absence de qualité pour agir de la requérante, au titre de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, contre une décision en matière d'aides d'État. La Commission, invoquant les arrêts de la Cour du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78/76, Rec. p. 595), et du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission (248/84, Rec. p. 4013), souligne qu'il résulte des articles 92 et 93 du traité CE (devenu article 88 CE) que l'État est le seul sujet de droit auquel l'octroi d'une aide peut être imputé. Ces articles visent en effet les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit. Dans ce contexte, les entités territoriales d'un État membre ne sont pas considérées comme ayant une situation juridique propre.

15.
    C'est en effet à l'État membre qu'il appartient de défendre l'intérêt général et de tenir compte des intérêts divergents lors de l'octroi des aides. Les actes pris en matière d'aides d'État par des entités régionales ou locales ne peuvent donc conférer à celles-ci des droits ou leur imposer des obligations, au titre des dispositions du traité, au-delà de ceux qui découlent de l'effet direct des règles communautaires. Il en résulte que le destinataire de l'obligation de supprimer et de recouvrer une aide est toujours et exclusivement l'État, quel que soit l'organisme public qui, dans le cadre de l'organisation interne de l'État, a octroyé l'aide ou assuré sa gestion.

16.
    La requérante ne disposant pas d'une situation juridique propre dans le système d'aides établi par le traité, la défense de ses intérêts est assurée par l'État membre dont elle fait partie, qui dispose, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité, d'un droit de recours privilégié contre la décision attaquée.

17.
    Pour la Commission, la reconnaissance de la qualité des collectivités territoriales, pour former un recours en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité aurait des conséquences inacceptables. En premier lieu, le système du traité en matière d'aides d'État serait mis en cause si la reconnaissance des situations particulières des entités régionales ou locales conférait à ces dernières le droit d'engager une action au titre de l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Cela permettrait à ces collectivités d'accorder des aides sans notification et de former un recours en annulation des décisions d'interdiction de la Commission, même contre la volonté de l'État membre. Le rôle de coordination et de contrôle que le traité reconnaît aux États en matière d'aides accordées sur leur territoire serait donc remis en cause et les juridictions communautaires devraient arbitrer des conflits d'intérêts et d'attributions purement internes, alors que le traité ne leur attribue pas cette fonction (ordonnances de la Cour du 21 mars 1997, Région wallonne/Commission, C-95/97, Rec. p. I-1787, point 7, et du 1er octobre 1997, Regione Toscana/Commission, C-180/97, Rec. p. I-5245, point 7).

18.
    En deuxième lieu, admettre la recevabilité du présent recours reviendrait à augmenter le nombre de recours et à gêner la bonne exécution des décisions de la Commission en matière d'aides. Non seulement les collectivités territoriales pourraient former un recours contre des décisions auxquelles l'État membre s'est conformé, mais la même décision pourrait faire l'objet de recours parallèles introduits par les États devant la Cour et par les entités infra-étatiques devant le Tribunal. Le gouvernement central pourrait donc, en préparant un recours conjointement avec une entité infra-étatique, contourner l'obligation d'attaquer les actes communautaires dans les délais. En outre, la reconnaissance de la qualité pour agir de la requérante obligerait à admettre que les entités locales d'autres États membres peuvent assurer la défense des intérêts d'entreprises concurrentes des bénéficiaires. En pratique, cela conduirait à consacrer une actio popularis. Un droit de recours autonome des entités infra-étatiques déchargerait donc les États membres de leur responsabilité envers la Communauté, prévue par les articles 92 et 93 du traité.

19.
    L'irrecevabilité du recours est également la conséquence nécessaire d'une application cohérente de la jurisprudence de la Cour en matière de recours en manquement formés en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE). Dans ce domaine, et afin de ne pas compromettre l'application du droit communautaire, l'État concerné ne peut invoquer le comportement de ses collectivités territoriales pour contester l'infraction qui lui est reprochée.

20.
    Par son deuxième moyen, la Commission soutient que le droit italien ne reconnaît pas la qualité pour agir à la requérante. Les obligations qui s'imposent à l'État italien en matière d'aides, comme celles qui découlent de la décision adoptée par la Commission, appartiennent au domaine des affaires extérieures de cet État et relèvent, par conséquent, de la compétence exclusive du gouvernement central.

21.
    Le troisième moyen est tiré de l'absence d'intérêt à agir de la requérante en tant que personne morale au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Il résulterait de l'arrêt de la Cour du 10 juillet 1986, DEFI/Commission (282/85, Rec. p. 2469, point 18), que, pour être recevable à attaquer une décision dans ce cadre, l'entité infra-étatique doit démontrer que les intérêts qu'elle considère comme les siens se distinguent de l'intérêt général dont l'État assure la défense. Or, les objectifs de développement, de modernisation et de renforcement du secteur des transports routiers de marchandises, poursuivis par la requérante à travers les aides en cause, correspondraient aux intérêts défendus par l'État italien. Il en résulterait, en outre, que l'acte litigieux n'est pas une décision adressée à une autre personne, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

22.
    S'appuyant sur les conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C-70/88, Rec. p. I-2041, I-2052), la défenderesse soutient que les entités infra-étatiques, même lorsqu'elles défendent leurs intérêts propres, le font au nom d'un certain intérêt commun, de telle sorte qu'elles ne doivent pas être incluses dans la catégorie des personnes physiques ou morales au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

23.
    Par son quatrième moyen, la défenderesse fait valoir que la requérante n'est pas directement affectée par la décision attaquée. A ce sujet, elle allègue, en substance, que le fait que la requérante ait fourni, pendant la procédure d'infraction, des informations à la représentation permanente de l'Italie auprès de l'Union européenne, qui les a transmises à la Commission, ne suffit pas pour que la décision attaquée l'affecte directement.

24.
    De même, le fait que cette décision impose de supprimer les aides d'État déclarées incompatibles et de les recouvrer n'implique pas non plus que la requérante soit directement affectée par celle-ci, dans la mesure où le destinataire de la décision est l'État italien et où la région Frioul-Vénétie Julienne intervient seulement dans le cadre des dispositions de droit interne applicables.

25.
    Dans le cadre de son cinquième moyen, la Commission fait valoir que la décision attaquée n'affecte pas individuellement la requérante. Contrairement aux exigences d'une jurisprudence constante, la région Frioul-Vénétie Julienne ne pourrait pas démontrer être dans une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne. La participation de la requérante à la procédure d'infraction n'est pas de nature à l'individualiser. De même, la requérante n'est pas plus intéressée par la décision attaquée que tout autre organe public qui, dans le cadre de l'ordre interne, peut être associé à son exécution.

26.
    La requérante conteste les moyens invoqués par la Commission. Elle affirme, en substance, que la Commission confond le domaine d'application de la procédure de contrôle en matière d'aides d'État, prévue à l'article 92 du traité, et celui de la protection juridictionnelle régie par l'article 173 du traité. Le raisonnement de la Commission conduirait à la conclusion que seul l'État membre peut introduire un recours en annulation en matière d'aides, eu égard au fait que, comme les régions, ni les bénéficiaires des aides ni leurs concurrents n'ont, dans le cadre d'un tel recours, une position distincte de celle de l'État.

27.
    La requérante estime, en outre, être directement et individuellement concernée par la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

28.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, jouissant de la personnalité juridique en vertu du droit interne italien, la requérante peut introduire un recours en annulation en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, aux termes duquel toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement (voir l'arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717, point 28 et la jurisprudence citée, et l'ordonnance du Tribunal du 16 juin 1998, Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, T-238/97, Rec. p. II-2271, point 43).

29.
    La décision attaquée ayant été adressée à la République italienne, le droit à agir de la requérante dépend de la question de savoir si elle est concernée directement et individuellement par cette décision.

30.
    Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 199, 223, et du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, point 21). En effet, l'objectif de cette disposition est d'assurer une protection juridique également à celui qui, sans être le destinataire de l'acte litigieux, est en fait concerné par celui-ci d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêt de la Cour du 11 juillet 1984, Commune de Differdange/Commission, 222/83, Rec. p. 2889, point 9).

31.
    A cet égard, il convient de relever que la décision attaquée vise des aides accordées par la requérante. Elle affecte non seulement des actes dont la requérante est l'auteur, mais, de plus, elle empêche celle-ci d'exercer comme elle l'entend ses compétences propres (voir dans ce sens l'arrêt Vlaams Gewest/Commission, précité, point 29). Contrairement à ce que la Commission soutient, la situation de la requérante ne saurait être assimilée à celle de la Comunidad Autónoma de Cantabria, dans l'affaire ayant donné lieu à l'ordonnance Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, précitée, dans la mesure où l'individualisation dont se prévalait cette communauté autonome se limitait à l'invocation des répercussions socio-économiques de l'acte attaqué sur son territoire.

32.
    En outre, la décision attaquée empêche la requérante de continuer à appliquer la législation en cause, anéantit les effets de celle-ci et l'oblige à engager la procédure administrative de récupération des aides auprès des bénéficiaires. Même si cette décision a été adressée à la République italienne, les autorités nationales n'ont exercé aucun pouvoir d'appréciation lors de sa communication à la requérante. Celle-ci est donc directement concernée par l'acte attaqué (voir dans ce sens les arrêts de la Cour du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41/70, 42/70, 43/70, 44/70, Rec. p. 411, points 26 à 28, du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing Company e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185, point 11, et du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207/86, Rec. p. 2151, point 12).

33.
    Il résulte de ce qui précède que la requérante est individuellement et directement concernée par la décision attaquée.

34.
    Toutefois, il revient au Tribunal de vérifier également si l'intérêt de la requérante à contester la décision attaquée n'est pas compris dans l'intérêt de l'État italien. A cet égard, il convient de constater d'emblée que la requérante est une entité territoriale autonome de cet État, titulaire de droits et d'intérêts particuliers. Les aides visées par la décision attaquée constituent des mesures prises au titre de l'autonomie législative et financière dont elle jouit directement en vertu de la Constitution italienne (articles 115 et 116). Dans ces conditions, la position de la requérante, en l'espèce, ne saurait être comparée à celle du requérant dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt DEFI/Commission, précité. Dans cette affaire, le gouvernement français disposait du pouvoir de déterminer la gestion et la politique du comité DEFI et donc, de définir également les intérêts que celui-ci devait défendre.

35.
    Il en découle que la requérante peut agir à l'encontre de la décision attaquée en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

36.
    Cette conclusion ne saurait être infirmée par les autres moyens d'irrecevabilité avancés par la Commission.

37.
    Comme la requérante le soutient à bon droit, l'argument tiré du système du traité en matière d'aides d'État confond le domaine d'application de la procédure de contrôle des articles 92 et 93 du traité, avec celui de la protection juridictionnelle régie par l'article 173 du traité.

38.
    L'interdiction prévue par l'article 92, paragraphe 1, du traité, vise l'ensemble des aides accordées par les États ou au moyen des ressources des États, sans faire de distinction entre les aides accordées directement par l'État ou par des organismes publics ou privés (voir à cet égard les arrêts Steinike & Weinlig, précité, point 21, et Allemagne/Commission, précité, point 17). Le but de cette disposition étant d'empêcher les États membres de contourner cette interdiction fondamentale, en octroyant des financements publics par le biais d'autres organismes, tous les actes pris à ce titre sont imputés à l'État indépendamment de leur auteur réel. C'est pourquoi les décisions prises dans le cadre de l'article 93 du traité qui visent à faire respecter cette interdiction ne sont adressées qu'à l'État membre. Il s'avère donc que l'assimilation des entités régionales ou locales à l'État, dans ce contexte, est justifiée par des raisons qui sont liées à l'efficacité du système de contrôle établi par les articles 92 et 93 du traité.

39.
    La solution préconisée par la défenderesse aurait pour conséquence que, en matière d'aides d'État, seuls les États membres, les bénéficiaires de l'aide (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 5), les concurrents (arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, points 21 à 31) et, dans certaines circonstances, les organisations professionnelles qui représentent les intérêts de l'industrie affectée par l'octroi de l'aide (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, points 21 à 24, et arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447/93, T-448/93 et T-449/93, Rec. p. II-1971, points 53 et 62), pourraient bénéficier de la protection juridictionnelle prévue par l'article 173 du traité. Les entités publiques infra-étatiques, comme la requérante, en seraient donc exclues.

40.
    Or, à ce titre, il y a lieu de rappeler liminairement que les dispositions du traité concernant le droit d'agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement (voir notamment l'arrêt Plaumann/Commission, précité, p. 222).

41.
    L'objectif de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, est d'accorder une protection juridictionnelle adéquate à toutes les personnes, physiques ou morales qui sont directement et individuellement concernées par les actes des institutions communautaires. La qualité pour agir doit dès lors être reconnue en fonction de ce seul objectif et le recours en annulation doit donc être ouvert à tous ceux qui remplissent les conditions objectives prévues, c'est-à-dire avoir la personnalité juridique requise et être individuellement et directement concerné par l'acte attaqué. Cette solution s'impose également quand le requérant est une entité publique qui satisfait à ces critères.

42.
    Cette conclusion est renforcée par la comparaison du libellé de l'article 33, deuxième alinéa, du traité CECA avec celui de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, qui a une étendue plus large. Tandis que le traité CECA n'accorde un droit de recours en annulation qu'aux entreprises et associations d'entreprises (voir à ce propos l'ordonnance du Tribunal du 29 septembre 1997, Région wallonne/Commission, T-70/97, Rec. p. II-1513), le traité CE accorde ce droit expressément aux «personnes physiques ou morales», sans exclure les personnes morales de droit public. Partant, il ressort de la différence de rédaction de ces deux dispositions que le principe de la protection juridictionnelle dans le traité CE a une étendue plus large et ne se limite pas aux entreprises.

43.
    Dans ces circonstances, le droit des entités publiques infra-étatiques d'introduire un recours en annulation prévu à l'article 173, quatrième alinéa, du traité, en matière d'aides d'État ne saurait dépendre de la reconnaissance expresse de leur position juridique spécifique par les articles 92 et 93 du traité.

44.
    En outre, ce droit ne saurait mettre en cause les obligations qui incombent aux États membres en vertu des articles 92 et 93 du traité. Ils demeurent toujours les entités responsables vis-à-vis de la Communauté pour les violations des obligations imposées dans le cadre de ces articles.

45.
    De même, l'argument tiré de l'article 169 du traité, concernant l'imputation à l'État membre, en matière de recours en manquement, des infractions commises par ses collectivités territoriales, doit aussi être rejeté.

46.
    Les articles 169 et 173 du traité constituent des voies de droit autonomes qui obéissent à des objectifs différents. L'article 169 du traité vise à sanctionner les violations par les États membres des obligations qui leur incombent en vertu du traité et du respect desquelles ils demeurent seuls responsables vis-à-vis de la Communauté. Partant, les manquements des entités infra-étatiques ne peuvent pas être invoqués par les États comme justifications dans le cadre de cette procédure (arrêts de la Cour du 14 janvier 1988, Commission/Belgique, 227/85, 228/85, 229/85 et 230/85, Rec. p. 1, points 9 et 10, et du 13 décembre 1991, Commission/Italie, C-33/90, Rec. p. I-5987, point 24).

47.
    En revanche, la recevabilité du recours en annulation en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité ne saurait être déterminée qu'en fonction des objectifs propres à ce texte et du principe de la protection juridictionnelle selon lequel toute personne physique ou morale doit avoir la possibilité de s'adresser au pouvoir judiciaire de sa propre initiative, c'est-à-dire selon son propre jugement, afin de déférer à la censure un acte qui lui fait grief.

48.
    S'agissant du danger d'immixtion du juge communautaire dans la répartition des compétences à l'intérieur des États membres, il suffit de constater que le problème ne se pose pas car il n'appartient pas à la juridiction communautaire de se prononcer sur la répartition des compétences par les règles institutionnelles de droit interne entre les différentes entités nationales et sur les obligations qui peuvent leur incomber respectivement. Par ailleurs, les éventuelles divergences de vues entre une requérante et l'État membre sur l'opportunité de l'introduction d'un recours contre une décision de la Commission, ne sont pas pertinentes pour l'analyse de la recevabilité de ce recours au titre de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

49.
    En outre, la reconnaissance d'un intérêt propre de la requérante à contester la décision attaquée ne saurait non plus transformer le recours en annulation introduit par des personnes physiques et morales en une sorte d'actio popularis, comme le prétend la Commission. Les conditions objectives de recevabilité rappelées au point 41 constituent toujours des exigences auxquelles tout requérant doit répondre pour pouvoir attaquer un acte dont il n'est pas le destinataire.

50.
    Enfin, concernant l'absence de qualité à agir de la requérante dans le domaine des relations extérieures, en vertu du droit italien, il suffit de constater qu'elle n'est pas pertinente pour déterminer les possibilités d'introduire un recours en annulation devant le juge communautaire. En effet, comme il a été jugé ci-dessus (voir, notamment, le point 41), les seules conditions de recevabilité pertinentes sont celles prévues à l'article 173 du traité.

51.
    Pour toutes ces raisons, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission et d'ordonner la poursuite de la procédure.

Sur les dépens

52.
    Il y a lieu de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission est rejetée.

2)    La procédure sera poursuivie quant au fond.

3)    Les dépens sont réservés.

Vesterdorf Bellamy Moura Ramos

Pirrung Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'italien.