Language of document : ECLI:EU:T:2014:591

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

1er juillet 2014 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale YouView+ – Marque Benelux figurative antérieure You View You-View.tv – Production tardive de documents – Pouvoir d’appréciation conféré par l’article 76, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 207/2009 – Notion de ‘disposition contraire’ – Règle 20, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2868/95 »

Dans l’affaire T‑480/13,

You-View.tv, établie à Anvers (Belgique), représentée par Me S. Criel, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. P. Bullock et N. Bambara, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

YouView TV Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 18 juin 2013 (affaire R 2112/2012‑4), relative à une procédure d’opposition entre You-View.tv et YouView TV Ltd,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni (rapporteur) et L. Madise, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 12 décembre 2013,

vu la décision du 14 février 2014 refusant d’autoriser le dépôt d’un mémoire en réplique,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 22 septembre 2011, YouView TV Ltd, l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal YouView+.

3        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 9, 16, 38, 41 et 42 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        Le 17 février 2012, la requérante, You-View.tv, a formé opposition au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits et services visés au point 3 ci-dessus.

5        L’opposition était fondée sur la marque Benelux figurative antérieure suivante :

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6        Cette marque, enregistrée le 7 avril 2008 sous le numéro 838408, désigne des services relevant des classes 35, 38 et 41.

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

8        Par communication du 30 avril 2012, l’OHMI a, conformément à la règle 19, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO L 303, p. 1), fixé au 5 septembre 2012 le délai prévu pour apporter la preuve des droits antérieurs sur lesquels l’opposition était fondée. La note explicative jointe à cette communication précisait que le certificat d’enregistrement ou tout document officiel équivalent devait faire apparaître tous les éléments de forme et de fond relatifs à l’enregistrement antérieur et, notamment, le titre de propriété de la requérante. Cette note indiquait également que l’OHMI n’informerait pas la requérante de l’existence de preuves manquantes et que l’opposition serait rejetée sans examen au fond à défaut de présentation des preuves en cause dans le délai requis.

9        La requérante a déposé un extrait d’un document du Bureau Benelux des marques accompagné d’une traduction anglaise, mentionnant You-View.tv BVBA et non You-View.tv en tant que nom du titulaire de la marque antérieure. Aucune explication n’a alors été fournie quant au fait que le nom figurant sur l’extrait n’était pas identique à celui de la requérante.

10      Par décision du 21 septembre 2012, la division d’opposition a rejeté l’opposition dans son intégralité et a condamné la requérante à supporter les frais de la procédure. Elle a expliqué, premièrement, que l’acte d’opposition avait été déposé au nom de You-View.tv alors que l’opposition était fondée sur une marque Benelux antérieure enregistrée au nom de You-View.tv BVBA, deuxièmement, qu’il s’agissait de deux personnes morales différentes et, troisièmement, que la requérante n’avait pas prouvé que la propriété de la marque antérieure avait été transférée à son nom et qu’elle n’avait pas non plus produit de document démontrant que le propriétaire de la marque antérieure l’avait autorisée à former opposition. La division d’opposition a conclu que, en vertu des dispositions combinées de la règle 20, paragraphe 1, et de la règle 19 du règlement n° 2868/95, l’opposition devait être rejetée comme non fondée étant donné que la requérante n’avait pas prouvé son habilitation à former opposition.

11      Le 15 novembre 2012, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition. Dans ce recours, elle apportait des éléments destinés à établir la propriété de la marque antérieure. À cet égard, elle indiquait, notamment, qu’elle était devenue une société anonyme le 16 mars 2010 et que cette modification de sa forme juridique n’avait pas été notifiée au Bureau Benelux des marques.

12      Par décision du 18 juin 2013 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que, à l’expiration du délai visé par la règle 19, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, la requérante n’avait, contrairement aux exigences édictées par la règle 19, paragraphe 2, de ce règlement, prouvé ni l’existence, la validité et l’étendue de la protection de la marque antérieure ni son habilitation à former opposition. Elle en a conclu que c’était à juste titre que la division d’opposition avait rejeté l’opposition comme non fondée en vertu de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 (point 16 de la décision attaquée). Elle a ajouté ce qui suit aux points 17 à 19 de sa décision :

« 17 Les faits et preuves présentés pour la première fois par [la requérante] dans le cadre de la procédure de recours afin de prouver qu’elle est la titulaire de la marque antérieure doivent être écartés. Conformément à la jurisprudence de l’Union, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation en application des dispositions du [règlement n° 2868/95]. La possibilité de présenter des faits et des preuves après l’expiration des délais impartis à cet effet se trouve subordonnée à la condition qu’il n’existe pas de disposition contraire. Ce n’est que si cette condition est remplie que l’[OHMI] dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à la prise en compte de faits et de preuves présentés tardivement, que la Cour lui a reconnu en interprétant l’article 76, paragraphe 2, du [règlement n° 207/2009].

18 Or, il existe en l’espèce une disposition expresse contraire, à savoir la règle 20, paragraphe 1, du [règlement n° 2868/95], lue en combinaison avec la règle 19 du [règlement n° 2868/95]. Conformément à ces dispositions, en l’absence de preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de la marque antérieure, ainsi que de l’habilitation de l’opposant à former opposition, le rejet de l’opposition par l’[OHMI] est impératif (l’opposition ‘est’ rejetée) et non facultatif.

19 En résumé, le non-respect de la règle 19, paragraphe 2, du [règlement n° 2868/95] ne saurait être compensé par la production tardive de documents devant la chambre. »

 Conclusions des parties

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer que l’OHMI ne pouvait pas rejeter l’opposition en raison du non-respect des dispositions combinées de la règle 20, paragraphe 1, et de la règle 19, paragraphe 2, du règlement n° 2868/95 ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        enjoindre à l’OHMI d’examiner les moyens invoqués à l’appui de l’opposition, tels qu’exposés dans l’acte d’opposition initial du 17 février 2012 et dans l’acte d’introduction du recours du 15 novembre 2012 ;

–        condamner l’OHMI à supporter ses propres dépens et à lui rembourser les dépens engagés dans le cadre de la procédure, en particulier les frais de voyage et de séjour et les frais de rémunération des agents, conseillers et avocats.

14      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les premier et troisième chefs de conclusions

15      En premier lieu, le Tribunal n’a compétence, en vertu de l’article 65, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, que pour annuler ou réformer les décisions des chambres de recours. Or, par son premier chef de conclusions, la requérante vise à obtenir un jugement déclaratoire portant sur l’impossibilité pour l’OHMI de rejeter l’opposition formée par la requérante. Par conséquent, le Tribunal n’est pas compétent pour se prononcer sur ce chef de conclusions, lequel est donc irrecevable [arrêt du Tribunal du 12 juin 2007, Assembled Investments (Proprietary)/OHMI – Waterford Wedgwood (WATERFORD STELLENBOSCH), T‑105/05, non publié au Recueil, point 13].

16      En second lieu, il importe de rappeler que, lorsque le juge de l’Union annule une décision d’une chambre de recours de l’OHMI, ce dernier est tenu, en vertu de l’article 266 TFUE et de l’article 65, paragraphe 6, du règlement n° 207/2009, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation.

17      Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser à l’OHMI des injonctions et il incombe à ce dernier de tirer, le cas échéant, les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du Tribunal (arrêt du Tribunal du 6 octobre 2011, Bang & Olufsen/OHMI, T‑508/08, Rec. p. II‑6979, points 30 et 31).

18      Partant, le troisième chef de conclusions de la requérante tendant à ce que le Tribunal ordonne à l’OHMI d’examiner les moyens invoqués par la requérante à l’appui de l’opposition, tels qu’exposés dans l’acte d’opposition initial du 17 février 2012 et dans l’acte d’introduction du recours du 15 novembre 2012, est irrecevable.

 Sur le deuxième chef de conclusions

19      La requérante soulève trois moyens, le premier tiré d’une méconnaissance de l’article 75 du règlement n° 207/2009, le deuxième tiré d’une méconnaissance de la règle 17, paragraphe 4, du règlement n° 2868/95 et le troisième tiré d’une méconnaissance de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, et de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95.

20      Il convient d’examiner, en premier lieu, le troisième moyen.

21      Dans le cadre du troisième moyen, la requérante, après avoir cité les dispositions de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, selon lesquelles l’OHMI peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile, rappelle que, selon l’interprétation de cet article retenue par la jurisprudence, l’OHMI dispose du pouvoir discrétionnaire de tenir compte de faits invoqués ou de preuves produites tardivement, à moins qu’il n’existe une disposition contraire.

22      La requérante ajoute que la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 ne constituait pas une disposition contraire, au sens de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, dès lors que les conditions d’application de cette règle n’étaient pas remplies.

23      La requérante indique également que le fait que des éléments de preuve aient été présentés pour la première fois dans le cadre du recours introduit devant la chambre de recours ne constitue pas un argument à l’encontre de la prise en compte de ces éléments.

24      Aux fins d’apprécier le bien-fondé de l’argumentation invoquée par la requérante, il convient de rappeler qu’il découle du libellé des dispositions de l’article 74, paragraphe 2, du règlement n° 40/94, lesquelles ont été reprises, sans être modifiées, à l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation et qu’il n’est nullement interdit à l’OHMI de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits (voir arrêt de la Cour du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, Rec. p. I‑2213, point 42).

25      La Cour a jugé, dans l’arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI (C‑120/12 P, non encore publié au Recueil, point 33), que la chambre de recours ne peut se fonder sur la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 pour ne pas faire usage de la marge d’appréciation dont elle dispose, au titre de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, aux fins de la prise en compte de faits et de preuves tardivement invoqués ou produits.

26      En l’espèce, ainsi qu’il ressort des motifs de la décision attaquée (point 12 ci-dessus), la chambre de recours a estimé que la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 constituait une disposition contraire au sens de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et que, en conséquence, elle ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation aux fins de la prise en compte des éléments soumis devant elle par la requérante pour établir la propriété de la marque antérieure.

27      Au demeurant, cette interprétation de la décision attaquée est confirmée par l’OHMI qui indique, dans ses écrits produits au cours de la procédure juridictionnelle, qu’il ressort « clairement de la décision attaquée que la chambre [de recours] a considéré qu’il n’y avait pas, s’agissant de la preuve de l’existence d’une marque antérieure enregistrée, de place pour l’exercice d’un quelconque pouvoir d’appréciation de [sa] part ».

28      En conséquence, en faisant application de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 et en n’exerçant pas le pouvoir d’appréciation dont elle disposait, la chambre de recours a méconnu l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 (arrêt Rintisch/OHMI, précité, point 35).

29      Cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par les arguments de l’OHMI.

30      Tout d’abord, la circonstance, à la supposer établie, que la requérante n’ait pas tenté sérieusement, dans les délais qui lui avaient été prescrits, de prouver qu’elle avait la propriété de la marque antérieure, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. En effet, cette décision n’est, ainsi qu’il a été dit, pas fondée sur le défaut de caractère probant des éléments produits par la requérante devant la chambre de recours, mais sur l’impossibilité pour celle-ci de les prendre en compte au stade de la procédure d’opposition auquel elle a pris sa décision.

31      De même, l’argument tiré de ce que la chambre de recours devrait, dans certaines circonstances, exercer de façon restrictive le pouvoir d’appréciation dont elle dispose au titre de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 doit être écarté pour les raisons exposées au point précédent, tout comme l’argument tiré de ce que la prise en compte des preuves produites tardivement n’aurait probablement pas été justifiée. En outre, à la différence de ce qu’elle avait fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Rintisch/OHMI, précité, à savoir avoir, à titre surabondant, examiné les circonstances ayant justifié la production tardive d’éléments de preuve par la partie requérante et ainsi exercé son pouvoir d’appréciation, dans le présent litige, la chambre de recours n’a pas procédé à un tel examen.

32      Il convient par ailleurs de relever que, eu égard au pouvoir d’appréciation dont dispose la chambre de recours, il ne saurait être fait usage de la notion de défaut d’intérêt légitime à obtenir l’annulation de la décision attaquée, laquelle s’applique lorsque l’annulation de la décision attaquée ne peut que donner lieu à l’intervention d’une nouvelle décision identique, quant au fond, à la décision annulée (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Stott/Commission, T‑99/95, Rec. p. II‑2227, points 31 et 32).

33      Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués au soutien du deuxième chef de conclusions de la requérante.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé en l’essentiel de ses demandes, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 18 juin 2013 (affaire R 2112/2012-4), relative à une procédure d’opposition entre You-View.tv et YouView TV Ltd, est annulée.

2)      Le surplus des conclusions du recours est rejeté.

3)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.