Language of document : ECLI:EU:T:2020:234

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

28 mai 2020 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative TASER – Marques de l’Union européenne verbales antérieures TASER – Motifs relatifs de refus – Atteinte à la renommée – Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure – Article 8, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑342/19,

Martínez Albainox, SL, établie à Albacete (Espagne), représentée par Me J. Carbonell Callicó, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Taser International, Inc., établie à Scottsdale, Arizona (États-Unis),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 20 mars 2019 (affaire R 1576/2018‑4), relative à une procédure de nullité entre Taser International et Martínez Albainox,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva et M. B. Berke (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 6 juin 2019,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 6 août 2019,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 4 avril 2013, la requérante, Martínez Albainox, SL, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé relèvent des classes 18 et 25, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Articles en cuir et imitations du cuir ; porte-monnaie ; parapluies » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures et chapellerie ».

4        La marque a été enregistrée le 14 août 2013.

5        Le 31 mai 2016, Taser International, Inc. (ci-après la « titulaire de la marque antérieure ») a introduit auprès de l’EUIPO une demande en nullité de la marque contestée sur le fondement des marques suivantes :

–        la marque de l’Union européenne verbale TASER enregistrée le 3 mars 2005 et renouvelée jusqu’au 24 septembre 2023, sous le numéro 3367661, pour les produits et services relevant des classes 13, 41 et 45 au sens de l’arrangement de Nice et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 13 : « Armes à feu ; munitions et projectiles, armes, appareils et installations d’armes ; actionneurs destinées aux armes ; actionneurs pour installations d’éjection d’armes ; actionneurs pour installations de chargement d’armes ; appareils pour tir d’armes ; appareils et installations de défense ; étuis pour armes ; armes automotrices ; fusils ; pistolets à air comprimé ; cartouches pour pistolets ; fusils lance-harpons ; armes électroniques non mortelles et leurs accessoires ; appareils et équipements relatifs à tous les produits précités » ;

–        classe 41 : « Formation ; services de formation relatifs à la santé et à la sécurité ; formation technique relative à la sécurité ; services d’information, conseils et assistance dans tous les domaines précités » ;

–        classe 45 : « Services personnels et sociaux rendus par des tiers destinés à satisfaire les besoins des individus ; services de sécurité pour la protection de la propriété et des personnes, services de protection civile ; services de conseils en matière de prévention contre la criminalité ; services de sécurité, prix de location d’appareils de sécurité et équipements ; services d’information, conseils et assistance dans tous les domaines précités » ;

–        la marque de l’Union européenne verbale TASER enregistrée le 29 août 2011, sous le numéro 9818337, pour les produits relevant de la classe 9 au sens de l’arrangement de Nice et correspondant à la description suivante : « Appareils d’enregistrement vidéo, caméras vidéo, enregistreurs vidéo numériques ; supports enregistrés contenant du matériel vidéo, du matériel audio, et des preuves photographiques enregistrées d’incidents ainsi que des actions et communications enregistrées ; films cinématographiques contenant des preuves d’incidents dans les domaines de l’application de la loi, de la sécurité professionnelle, de la sécurité médicale et des consommateurs ; dispositifs portables permettant la lecture d’enregistrements vidéo et l’enregistrement de commentaires audio sur les enregistrements vidéo lus ; boîtiers entrée/sortie d’enregistreur à porter sur le corps, à savoir boîtiers équipés de circuits électroniques recevant du contenu vidéo et audio à des points d’entrée, fournissant du contenu vidéo et audio à des points de sortie selon le choix de l’utilisateur, et fournissant une interface pour le contrôle de l’utilisateur d’un enregistreur vidéo et audio à porter sur le corps ; modules électroniques à installer comme composant sur ou dans des armes, à savoir, modules équipés d’une batterie ou d’un dispositif de stockage de données pour le fonctionnement de l’arme ou l’enregistrement du fonctionnement de l’arme ».

6        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient, d’une part, ceux visés à l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du règlement 2017/1001], et, d’autre part, la mauvaise foi en vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

7        Au soutien de sa demande en nullité, la titulaire de la marque antérieure a présenté des éléments de preuve de la renommée des marques antérieures visées au point 5 ci-dessus.

8        Le 11 novembre 2016, la requérante a demandé à la titulaire de la marque antérieure, conformément à l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 64, paragraphe 2, du règlement 2017/1001), de produire la preuve de l’usage de la marque antérieure enregistrée sous le numéro 3367661 et visée au point 5, premier tiret, ci-dessus (ci-après la « marque antérieure ») pour tous les produits et services sur lesquels la demande en nullité était fondée.

9        Le 7 mars 2017, la titulaire de la marque antérieure a fait référence aux éléments de preuve qu’elle avait déjà produits et a également apporté de nouveaux éléments de preuve de l’usage sérieux de ladite marque antérieure.

10      Par décision du 26 juin 2018, la division d’annulation a accueilli la demande en nullité dans son intégralité et a déclaré la nullité de la marque contestée. En substance, elle a considéré que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux pour des produits et services compris dans les classes 13 et 41. Elle a également estimé que la marque antérieure jouissait d’une forte renommée pour ces produits et services, que les signes en conflit étaient hautement similaires sur le plan visuel et identiques sur le plan phonétique, que le public pertinent établirait un lien entre les signes, que, bien que le public des produits compris dans la classe 13 était un public spécialisé, il existait un certain chevauchement au niveau du public pertinent pour les produits visés par la marque contestée, et, enfin, que la titulaire de la marque contestée tirerait indûment profit de cette renommée.

11      Le 14 août 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, à l’encontre de la décision de la division d’annulation.

12      Par décision du 20 mars 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Elle a notamment conduit son analyse par rapport à la marque antérieure indiquée au point 5, premier tiret, ci-dessus. Dès lors qu’elle a accueilli la demande en nullité sur le fondement de cette marque, la chambre de recours n’a pas analysé ladite demande au regard de la seconde marque antérieure.

13      En particulier, d’une part, s’agissant de l’examen de la demande en nullité sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, en premier lieu, la chambre de recours a entériné et confirmé la décision de la division d’annulation concernant le caractère sérieux de l’usage de la marque antérieure, tel que démontré par les preuves fournies par la titulaire de la marque antérieure, eu égard, notamment aux « armes électroniques non mortelles » En deuxième lieu, s’agissant de la comparaison des produits, la chambre de recours a relevé que les produits visés par la marque contestée, compris dans les classes 18 et 25, n’étaient pas similaires aux produits visés par la marque antérieure compris dans la classe 13, à savoir les « armes électroniques non mortelles ». Dès lors, la chambre de recours a considéré que, l’une des conditions cumulatives pour l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 faisant défaut, la demande en nullité devait être rejetée, dans la mesure où elle était fondée sur cette disposition. D’autre part, s’agissant de l’appréciation de la demande en nullité sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, premièrement, la chambre de recours a entériné et confirmé la décision de la division d’annulation en considérant que la marque antérieure bénéficiait d’un degré élevé de reconnaissance auprès du public pertinent et d’une solide renommée pour les « armes électroniques non mortelles ». Deuxièmement, elle a estimé que les marques en conflit, sur le plan visuel, présentaient une similitude élevée, sur le plan phonétique, étaient identiques et, sur le plan conceptuel, leur comparaison restait neutre, aucun des signes n’ayant de signification, la référence dans les dictionnaires à un type d’arme spécifique, sous le terme « taser », constituant une signification secondaire ne correspondant pas à la notion de « concept » au titre de la comparaison conceptuelle des signes. Troisièmement, elle a considéré que, outre la forte renommée de la marque antérieure et la similitude élevée des signes en conflit, les produits visés par la marque contestée étaient liés aux produits visés par la marque antérieure, même s’ils n’étaient pas similaires et qu’il existait un chevauchement entre leurs publics pertinents. Par conséquent, la chambre de recours a conclu à l’existence d’un lien pour le public pertinent entre les marques en conflit et d’un risque de profit indu tiré du caractère distinctif et de la renommée de la marque antérieure, sans qu’il y ait un juste motif pour utiliser la marque contestée. Pour ces motifs, la chambre de recours a fait droit à la demande en nullité dans son intégralité.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en déclarant expressément que la marque contestée est valable pour tous les produits relevant des classes 18 et 25 et pour lesquels la marque a été enregistrée ;

–        condamner l’EUIPO et la titulaire de la marque antérieure aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

15      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      Au soutien du présent recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré, en substance, de la violation de l’article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 5, de ce règlement.

17      La requérante considère que c’est à tort que la chambre de recours a retenu, au point 45 de la décision attaquée, qu’un lien entre les marques en conflit pouvait être admis dans la mesure où il existait un chevauchement entre les publics pertinents et les canaux de distribution. Elle souligne que la supposition selon laquelle les « armes électroniques non mortelles », jouissant d’une renommée, incluent également des équipements d’autodéfense destinés au grand public, est erronée, car, d’une part, la marque antérieure ne fait pas référence aux « équipements d’autodéfense » et, d’autre part, en toute hypothèse, la chambre de recours a, au point 24 de la décision attaquée, affirmé que, aux fins de l’examen de la présente procédure de nullité, la marque antérieure concernée était réputée être enregistrée en ce qui concerne les « armes électroniques non mortelles ». Dès lors, cette supposition et le fait que les équipements en question s’adressent au grand public ne sauraient être validés.

18      En outre, l’affirmation, au point 45 de la décision attaquée, selon laquelle les produits visés par les marques en conflit peuvent être fournis dans les mêmes boutiques et être ainsi destinés aux mêmes consommateurs, non seulement en ce qui concerne le public professionnel, mais aussi le grand public, comme l’auraient montré les pages imprimées du site Internet de la titulaire de la marque antérieure ainsi que des sites Internet de tiers, serait erronée. La requérante précise que les armes électroniques non mortelles portant le signe TASER ne seraient proposées et vendues au sein de l’Union européenne que par la titulaire de la marque antérieure et le seraient uniquement à destination des forces de l’ordre.

19      La requérante conclut que ces éléments de preuve démontrent que la marque antérieure est utilisée uniquement pour distinguer des « armes électroniques non mortelles » qui s’adressent à un public très spécialisé, à savoir des professionnels membres des forces de l’ordre, et ayant un niveau d’attention supérieur, sachant que le grand public ne serait pas autorisé à acheter ce genre de produits. En revanche, les produits couverts par la marque contestée s’adresseraient au grand public, lequel ne serait pas constitué d’utilisateurs susceptibles d’utiliser également les produits couverts par la marque antérieure. Ainsi, les publics pertinents des produits visés par les marques en conflit seraient différents. En outre, selon la jurisprudence, en cas de produits destinés uniquement à un public spécialisé, le risque de confusion devrait être évalué uniquement par rapport à ce public. Par conséquent, il n’existerait aucun risque de confusion et, les publics étant différents, aucun lien entre les marques en conflit ne saurait être établi dans l’esprit du public pertinent.

20      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

21      L’article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 prévoit qu’une marque de l’Union européenne est déclarée nulle sur demande présentée auprès de l’EUIPO lorsqu’il existe une marque antérieure visée à l’article 8, paragraphe 2, et que les conditions énoncées au paragraphe 5 dudit article sont remplies.

22      Aux termes de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.

23      Il ressort du libellé de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 ainsi que de la jurisprudence que la protection élargie accordée à la marque antérieure par cette disposition présuppose donc la réunion de plusieurs conditions. Premièrement, la marque antérieure prétendument renommée doit être enregistrée. Deuxièmement, cette dernière et celle dont l’enregistrement est demandé doivent être identiques ou similaires. Troisièmement, la marque antérieure doit jouir d’une renommée dans l’Union, dans le cas d’une marque de l’Union européenne antérieure, ou dans l’État membre concerné, dans le cas d’une marque nationale antérieure. Quatrièmement, l’usage sans juste motif de la marque demandée doit conduire au risque qu’un profit puisse être indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’un préjudice puisse être porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure. Ces conditions étant cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit à rendre inapplicable ladite disposition [voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2018, Monster Energy/EUIPO – Bösel (MONSTER DIP), T‑274/17, EU:T:2018:928, point 55 (non publié) et jurisprudence citée].

24      Afin de satisfaire à la condition relative à la similitude des marques posée par l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion entre la marque antérieure jouissant d’une renommée et la marque contestée. Il suffit que le degré de similitude entre la marque antérieure jouissant d’une renommée et la marque contestée ait pour effet que le public concerné établisse un lien entre elles, alors même qu’il ne les confond pas [voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2016, Spa Monopole/EUIPO – YTL Hotels & Properties (SPA VILLAG), T‑625/15, non publié, EU:T:2016:631, point 34 et jurisprudence citée].

25      Conformément à la jurisprudence, le fait que la marque postérieure évoque la marque antérieure dans l’esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, équivaut à l’existence d’un tel lien (voir, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, point 60).

26      L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, notamment du degré de similitude entre les signes en conflit, de la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou de ces services, ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public [voir arrêt du 5 mai 2015, Spa Monopole/OHMI – Orly International (SPARITUAL), T‑131/12, EU:T:2015:257, point 48 et jurisprudence citée].

27      S’agissant du degré de similitude entre les marques en conflit, plus celles-ci sont similaires, plus il est vraisemblable que la marque postérieure évoquera, dans l’esprit du public pertinent, la marque antérieure renommée. En outre, plus la marque antérieure présente un caractère distinctif fort, qu’il soit intrinsèque ou acquis par l’usage qui a été fait de cette marque, plus il est vraisemblable que, confronté à une marque postérieure identique ou similaire, le public pertinent fasse un lien avec ladite marque antérieure (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 44 et 54).

28      Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que, plus la renommée de la marque antérieure est importante, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (voir arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, point 69 et jurisprudence citée).

29      En outre, il convient de souligner que certaines marques peuvent avoir acquis une renommée telle qu’elle va au-delà du public concerné par les produits ou les services pour lesquelles ces marques ont été enregistrées. Dans une telle hypothèse, il est possible que le public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée effectue un rapprochement entre les marques en conflit alors même qu’il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée (voir, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 51 et 52).

30      En ce qui concerne la quatrième condition mentionnée au point 23 ci‑dessus, l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 vise trois types de risques distincts et alternatifs, à savoir que l’usage sans juste motif de la marque demandée, premièrement, porte préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, porte préjudice à la renommée de la marque antérieure ou, troisièmement, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure. Le premier type de risque visé par cette disposition est caractérisé lorsque la marque antérieure n’est plus en mesure de susciter une association immédiate avec les produits pour lesquels elle est enregistrée et employée. Il vise la dilution de la marque antérieure à travers la dispersion de son identité et de son emprise sur l’esprit du public. Le deuxième type de risque visé est constitué lorsque les produits ou les services visés par la marque demandée peuvent être perçus par le public d’une manière telle que la force d’attraction de la marque antérieure s’en trouve diminuée. Le troisième type de risque visé est celui que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits visés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation puisse être facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée. Il convient cependant de souligner que, dans aucun de ces cas, l’existence d’un risque de confusion entre les marques en conflit n’est requise, le public pertinent devant seulement pouvoir établir un lien entre elles sans toutefois devoir forcément les confondre [voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2018, MONSTER DIP, T‑274/17, EU:T:2018:928, point 56 (non publié) et jurisprudence citée].

31      L’existence de l’atteinte constituée par le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, dans la mesure où ce qui est prohibé est l’avantage tiré de cette marque par le titulaire de la marque postérieure, doit être appréciée eu égard au consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, point 36).

32      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’apprécier la légalité de la décision attaquée.

33      En l’espèce, il y a lieu de souligner que la requérante ne conteste pas les appréciations de la chambre de recours concernant l’existence d’une renommée de la marque antérieure ou la conclusion selon laquelle la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux et intensif pour les « armes électroniques non mortelles » comprises dans la classe 13. En effet, les éléments de preuve énumérés par la requérante dans sa requête sont présentés en réalité afin d’appuyer son allégation selon laquelle les produits couverts par la marque antérieure s’adressent uniquement aux forces de l’ordre. En outre, elle ne conteste pas le degré de renommée de la marque antérieure ou la similitude élevée des signes en conflit.

34      La requérante se borne, en revanche, à contester les appréciations de la chambre de recours effectuées au point 45 de la décision attaquée, concernant l’existence d’un lien que le public pertinent pourrait effectuer entre les marques en conflit, selon lesquelles les produits couverts par la marque antérieure s’adressent au grand public et sont commercialisés dans les mêmes canaux de distribution que ceux des produits visés par la marque contestée. Elle estime, en substance, que les publics pertinents des marques en conflit seraient distincts et qu’il n’existerait pas de risque de confusion entre ces marques. De plus, la requérante estime que le public concerné n’établira aucun lien entre les marques en cause et, par conséquent, il ne saurait être conclu qu’un avantage serait tiré de la renommée de la marque antérieure.

35      À cet égard, il convient de rappeler que la chambre de recours a considéré, au point 45 de la décision attaquée, que, en l’espèce, l’existence d’un lien entre les marques en conflit devait être confirmé, dès lors que, outre la forte renommée de la marque antérieure et la similitude élevée des signes en conflit, les produits visés par la marque contestée étaient liés aux produits désignés par la marque antérieure, même s’ils n’étaient pas similaires, et qu’il existait un chevauchement entre leurs publics pertinents. En particulier, en entérinant les appréciations de la division d’annulation, la chambre de recours a observé que les produits visés par la marque contestée et relevant de la classe 25 incluaient des produits tels que des uniformes, des tenues de camouflage ou des bottes militaires et que les produits visés par la marque contestée et relevant de la classe 18 incluaient des parapluies de camouflage pour la chasse ou des sacs et des porte-monnaie de style militaire, pour lesquels les publics pertinents et les canaux de distribution se recoupent avec ceux des produits visés par la marque antérieure et compris dans la classe 13. La chambre de recours a ajouté que les produits visés par la marque antérieure étaient destinés à un public professionnel tel que les forces de l’ordre et les sociétés de sécurité privée et que, comme le montraient les preuves produites, les « armes électroniques non mortelles » jouissant d’une renommée incluaient également des équipements d’autodéfense destinés au grand-public. Ces produits pourraient être fournis dans les mêmes magasins et être donc destinés aux mêmes consommateurs, non seulement en ce qui concerne le public professionnel, mais aussi le grand public, comme le montreraient les pages imprimées du site Internet de l’autre partie à la procédure devant l’EUIPO ainsi que des sites Internet des tiers. La chambre de recours en a conclu que, même si les produits en cause n’étaient pas similaires au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, ils étaient liés de telle manière que le lien requis au titre de l’article 8, paragraphe 5, du même règlement était établi.

36      Il convient de relever que, s’il est clair qu’une partie du public pertinent des produits visés par la marque antérieure et compris dans la classe 13, est un public spécialisé, composé en substance des forces de l’ordre et des services de sécurité privée dans l’Union, ayant un niveau d’attention supérieur, il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où ces produits incluent également des « équipements d’autodéfense », les produits visés par la marque antérieure et compris dans la classe 13 s’adressent pareillement au grand public, comme c’est le cas des produits visés par la marque contestée et compris dans la classe 25 incluant des produits tels que des uniformes, des tenues de camouflage ou des bottes militaires, et des produits visés par la marque contestée et relevant de la classe 18 incluant des parapluies de camouflage pour la chasse ou des sacs et des porte-monnaie de style militaire, qui s’adressent, eux aussi, tant audit public spécialisé qu’au grand public. Il s’ensuit que le public pertinent est composé à la fois dudit public spécialisé et du grand public. Ces produits peuvent être distribués dans les mêmes magasins. Au regard du chevauchement partiel entre les publics pertinents et les canaux de distribution des produits susmentionnés visés par la marque antérieure et par la marque contestée, c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu, au point 45 de la décision attaquée, à la possibilité qu’un lien, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, soit établi.

37      En effet, comme il ressort de la jurisprudence rappelée au point 24 ci‑dessus, la possibilité d’établir un rapprochement entre les marques en conflit n’implique pas nécessairement l’existence d’un risque de confusion. Partant, le public pertinent auquel il convient de faire référence ne doit pas être le public composé des consommateurs susceptibles d’utiliser à la fois les produits désignés par la marque antérieure et les produits visés par la marque contestée, comme c’est le cas dans le cadre de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, mais le public qui pourra évoquer la marque antérieure lorsqu’il est confronté aux produits couverts par la marque contestée. Or, à moins que ce public soit totalement distinct de celui des produits visés par la marque antérieure et que celle-ci n’ait pas acquis une renommée telle qu’elle va au-delà du public concerné par les produits qu’elle désigne, une telle possibilité d’évocation ne saurait être exclue.

38      En l’espèce, il ressort des considérations effectuées au point 36 ci‑dessus que, bien que le grand public n’ait pas d’accès aux armes électroniques non mortelles couvertes par la marque antérieure, il les connaît largement, de sorte qu’il pourra opérer un rapprochement entre la marque antérieure et la marque contestée lorsqu’il est confronté aux produits couverts par la marque contestée. En outre, le public spécialisé des produits visés par la marque antérieure peut également utiliser les produits visés par la marque contestée. Partant, l’affirmation de la requérante selon laquelle les publics pertinents pour les produits en conflit seraient totalement distincts ne saurait être accueillie.

39      En tout état de cause, en premier lieu, à supposer même que les publics pertinents pour les produits en conflit soient distincts, selon la jurisprudence rappelée au point 29 ci-dessus, dans l’hypothèse où une marque a acquis une renommée telle qu’elle va au‑delà du public concerné par les produits pour lesquels cette marque a été enregistrée, il est possible que le public concerné par les produits pour lesquels la marque contestée est enregistrée effectue un rapprochement entre les marques en conflit alors même qu’il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée.

40      Or, il convient de souligner que la chambre de recours a considéré, au point 34 de la décision attaquée, que les articles de presse qui avaient été produits montraient que la marque antérieure était largement connue du grand public dans la mesure où la presse généraliste lui avait également consacré de nombreux articles.

41      En outre, il ressort du point 42 de la décision attaquée que le terme « taser » apparaissait dans les dictionnaires comme une marque déposée pour un type d’arme spécifique, c’est-à-dire celui de la titulaire de la marque antérieure.

42      Ces constatations de la chambre de recours, au demeurant non contestées par la requérante, permettent d’établir, comme le fait observer l’EUIPO, une renommée qui s’étend au-delà du public pertinent s’agissant des produits couverts par cette marque, à savoir le public spécialisé utilisant les « armes électroniques non mortelles » comprises dans la classe 13 [voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2007, Antartica/OHMI – Nasdaq Stock Market (nasdaq), T‑47/06, non publié, EU:T:2007:131, point 58].

43      Il en découle que, à supposer que la chambre de recours ait commis une erreur en constatant que les publics des produits visés par les marques en conflit se chevauchent ou que ces produits étaient commercialisés dans les mêmes canaux de distribution, une telle erreur ne saurait remettre en cause la conclusion de la chambre de recours quant à l’existence d’un lien, énoncée au point 45 de la décision attaquée et visée au point 35 ci-dessus.

44      Dès lors que le résultat de l’appréciation de la chambre de recours aurait été le même, une telle éventuelle erreur, à la supposer établie, ne saurait entraîner l’annulation de la décision attaquée [voir, en ce sens, arrêt du 15 janvier 2003, Mystery Drinks/OHMI – Karlsberg Brauerei (MYSTERY), T‑99/01, EU:T:2003:7, point 36].

45      En second lieu, il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 26 ci-dessus, l’existence d’un lien entre les marques en conflit doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, notamment du degré de similitude entre les signes en conflit, de la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou de ces services, ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

46      À cet égard, la chambre de recours a établi, premièrement, sans être contestée par la requérante, aux points 36 à 42 de la décision attaquée, que les marques en conflit présentaient un degré élevé de similitude, deuxièmement, au point 45 de la décision attaquée, qu’il convient de confirmer pour les motifs exposés au point 36 ci‑dessus, que les produits en cause, bien que non similaires, présentaient un certain degré de proximité, dans la mesure où certains produits désignés par la marque contestée pouvaient être utilisés également par le public spécialisé des produits désignés par la marque renommée, et troisièmement, au point 34 de la décision attaquée, que, en substance, la renommée de la marque antérieure était telle qu’elle s’étendait au-delà du public des produits qu’elle visait.

47      Dans ces circonstances, et compte tenu également de la jurisprudence rappelée aux points 27 et 28 ci-dessus, il y a lieu de conclure que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a pu conclure, dans le cadre de son appréciation globale de tous ces éléments, à l’existence d’un lien dans l’esprit du public entre les marques en conflit.

48      Enfin, le simple argument de la requérante selon lequel le public spécialisé n’établira aucun lien entre les marques et, par conséquent, il ne saurait être conclu qu’un avantage sera tiré de la renommée de la marque antérieure, ne saurait prospérer. En effet, premièrement, comme il ressort de la jurisprudence rappelée au point 31 ci-dessus, le public pertinent auquel il convient de faire référence dans le cadre de l’appréciation de l’existence de l’atteinte constituée par le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, est le consommateur moyen des produits ou des services de la marque postérieure, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en l’espèce, le grand public. Deuxièmement, il ressort des points 36 à 46 ci-dessus que la possibilité d’établir un tel lien en l’espèce ne saurait être exclue.

49      Compte tenu de tout ce qui précède, le moyen unique de la requérante doit être rejeté et, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du premier chef de conclusions de la requérante en ce qu’il vise une déclaration expresse par le Tribunal selon laquelle la marque contestée est valable pour tous les produits relevant des classes 18 et 25, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

50      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du second chef de conclusions de la requérante, en ce qu’il vise la condamnation aux dépens de la titulaire de la marque antérieure, cette dernière n’étant pas intervenue devant le Tribunal.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Martínez Albainox, SL est condamnée aux dépens.

Costeira

Kancheva

Berke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mai 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.