Language of document : ECLI:EU:T:2018:786

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

15 novembre 2018 (*)

« Aides d’État – Régime fiscal permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises fiscalement domiciliées à l’étranger – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun et ordonnant sa récupération partielle – Disposition permettant au régime de continuer à s’appliquer en partie – Demande de non-lieu à statuer – Persistance de l’intérêt à agir – Confiance légitime – Assurances précises données par la Commission – Légitimité de la confiance – Champ d’application temporel de la confiance légitime »

Dans l’affaire T‑207/10,

Deutsche Telekom AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée initialement par Mes A. Cordewener et J. Schönfeld, puis par Me Schönfeld, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. B. Martenczuk, T. Maxian Rusche et C. Urraca Caviedes, puis par MM. Maxian Rusche, Urraca Caviedes, et enfin par MM. Maxian Rusche, Urraca Caviedes et Mme K. Blanck-Putz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Ebro Foods, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée initialement par Mes J. Buendía Sierra, E. Abad Valdenebro, M. Muñoz de Juan et R. Calvo Salinero, puis par Mes Buendía Sierra, Abad Valdenebro et Calvo Salinero, avocats,

par

Banco Santander, SA, établie à Santander (Espagne), représentée initialement par Mes Buendía Sierra, Abad Valdenebro, Muñoz de Juan et Calvo Salinero, puis par Mes Buendía Sierra, Abad Valdenebro et Calvo Salinero,

par

Iberdrola, SA, établie à Bilbao (Espagne), représentée initialement par Mes J. Ruiz Calzado, M. Núñez Müller et J. Domínguez Pérez, puis par Mes Ruiz Calzado, Domínguez Pérez et S. Völcker, avocats,

et par

Telefónica, SA, établie à Madrid, représentée initialement par Mes Ruiz Calzado, Núñez Müller et Domínguez Pérez, puis par Mes Ruiz Calzado, Domínguez Pérez et Völcker, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, Mme K. Kowalik–Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 16 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par plusieurs questions écrites posées en 2005 et en 2006 (E–4431/05, E–4772/05, E–5800/06 et P–5509/06), des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission des Communautés européennes sur la qualification d’aide d’État du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés) par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, de 5de marzo, por el que se aprueba el Texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après le « régime litigieux »).

2        Selon la réponse donnée le 19 janvier 2006 à la question E-4431/05 :

« La Commission n’est pas en mesure de confirmer si les offres élevées des entreprises espagnoles sont dues à la législation fiscale espagnole qui permet aux entreprises d’amortir la survaleur financière plus rapidement que leurs homologues françaises ou italiennes. La Commission est toutefois en mesure de confirmer que ces législations nationales n’entrent pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État, mais qu’elles constituent plutôt des règles générales de dépréciation applicables à toutes les entreprises en Espagne. »

3        Selon la réponse donnée le 17 février 2006 à la question E-4772/05 :

« Selon les informations dont la Commission dispose actuellement, les règles fiscales espagnoles relatives à l’amortissement de la survaleur semblent être applicables à toutes les entreprises en Espagne, indépendamment de leur taille, du secteur, de la forme juridique ou du fait qu’elles soient privées ou publiques, dès lors qu’elles constituent des règles d’amortissement générales. Elles ne semblent donc pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État. La Commission procédera bien sûr à une enquête approfondie sur toute information contraire qui serait portée à sa connaissance. »

4        Par lettres du 15 janvier et du 26 mars 2007, la Commission a invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime litigieux. Par lettres du 16 février et du 4 juin 2007, le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission les informations demandées.

5        Par télécopie du 28 août 2007, la Commission a reçu une plainte de la requérante, Deutsche Telekom AG, affirmant que le régime litigieux constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun.

6        Par décision du 10 octobre 2007, dont un résumé a été publié le 21 décembre 2007 (JO 2007, C 311, p. 21), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen concernant le régime litigieux.

7        Par lettre du 5 décembre 2007, la Commission a reçu les observations du Royaume d’Espagne sur cette décision d’ouverture de la procédure formelle. Entre le 18 janvier et le 16 juin 2008, la Commission a également reçu les observations de 32 tiers intéressés, dont celles de la requérante le 12 février 2008. Par lettres du 30 juin 2008 et du 22 avril 2009, le Royaume d’Espagne a présenté ses commentaires sur les observations des tiers intéressés.

8        La Commission a clôturé la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci-après la « décision attaquée »).

9        La décision attaquée déclare incompatible avec le marché commun le régime litigieux, permettant aux entreprises imposables en Espagne d’amortir la survaleur résultant d’une prise de participation dans des entreprises étrangères établies au sein de l’Union.

10      L’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée permet cependant au régime litigieux de continuer à s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par ledit régime, respectivement, aux prises de participations opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne,le 21 décembre 2007,de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et aux prises de participations dont la réalisation, subordonnée à l’autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007.

11      L’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée prévoit que l’obligation de récupération imposée au Royaume d’Espagne ne concerne pas les aides relatives aux prises de participations visées à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision. La Commission a expliqué, lors de l’audience, que l’absence de mention à l’article 4 de la décision attaquée des prises de participations visées à l’article 1er, paragraphe 3, de ladite décision relevait d’une erreur matérielle, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 2010, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 9 août et 7 septembre 2010, Ebro Foods, SA, Banco Santander, SA, Iberdrola, SA et Telefónica, SA ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnances du 26 novembre 2010, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis ces interventions et a autorisé Iberdrola ainsi que Telefónica à utiliser l’anglais lors de la phase orale de la procédure.

14      La procédure a été suspendue à deux reprises, d’abord par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 13 mars 2014, jusqu’aux décisions mettant fin aux instances dans les affaires T‑219/10, Autogrill España/Commission, et T‑399/11, Banco Santander et Santusa/Commission, puis par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 9 mars 2015, dans l’attente de la décision mettant fin à l’instance dans les pourvois dirigés contre les arrêts rendus dans ces deux affaires (arrêts du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission, T‑399/11, EU:T:2014:938, et du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission, T‑219/10, EU:T:2014:939). La procédure a été reprise le 21 décembre 2016, date du prononcé de l’arrêt Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), statuant sur ces pourvois. Par décision du 13 février 2017, le président de la neuvième chambre du Tribunal a rejeté la demande de la requérante visant à suspendre la présente procédure jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑219/10 RENV, World Duty Free Group/Commission.

15      Par décisions des 20 et 30 octobre 2017, le président de la neuvième chambre du Tribunal a autorisé les intervenantes à plaider en espagnol lors de l’audience.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 octobre 2017, la Commission a présenté une demande de non-lieu à statuer. Cette demande de non-lieu a été jointe au fond par ordonnance du Tribunal du 13 novembre 2017.

17      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 novembre 2017.

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        « annuler la [décision attaquée] en ce qui concerne la règle relative à la protection de la confiance légitime prévue à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, au profit de certains investisseurs espagnols qui y sont désignés » (ci-après la « disposition attaquée ») ;

–        condamner la Commission aux dépens, à l’exception de ceux engendrés par les interventions qui devraient être mis à la charge des intervenantes et, à titre subsidiaire, en cas de rejet du recours, condamner chaque partie à supporter ses propres dépens ;

–        à titre subsidiaire, suspendre la présente instance jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les recours formés contre la décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38).

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, prononcer un non-lieu à statuer ;

–        à titre encore plus subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

20      Ebro Foods, Banco Santander, Iberdrola et Telefónica concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la demande de non-lieu à statuer

21      La Commission fait valoir, au soutien de sa demande de non-lieu à statuer sur le présent recours, que la requérante a perdu son intérêt à agir. Selon la Commission, la prise de participation de Telefónica, concurrente de la requérante, dans la société O2, invoquée par la requérante au soutien de son intérêt à demander l’annulation de la disposition attaquée, en ce que celle-ci aurait autorisé cette concurrente à appliquer le régime litigieux au titre de la prise de participation en cause, n’était pas couverte par ladite disposition, ainsi qu’il résulterait de la nouvelle interprétation administrative du régime litigieux par les autorités espagnoles (avis contraignant V0608-12 du 21 mars 2012) et de son appréciation par la Commission dans la décision 2015/314. Les quatre intervenantes ont indiqué qu’elles ne venaient pas au soutien de cette demande de non-lieu et des motifs la sous-tendant, en soulignant notamment que l’examen de ces motifs conduirait le Tribunal à devoir se prononcer sur des questions qui font l’objet de moyens invoqués au soutien de leurs recours formés contre la décision 2015/314 (affaires T‑12/15, Banco Santander et Santusa/Commission, T‑256/15, Telefónica/Commission, et T‑260/15, Iberdrola/Commission).

22      Il convient de rappeler la jurisprudence constante, selon laquelle l’intérêt à agir d’une partie requérante doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêts du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42 et jurisprudence citée, et du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 61 et jurisprudence citée).

23      En l’espèce, la Commission fait valoir, en substance, qu’il résulte de circonstances postérieures à l’introduction du présent recours que la disposition attaquée ne permettait pas à Telefónica d’appliquer le régime litigieux et ainsi ne l’a pas avantagée lors de l’acquisition de la société O2. Il s’ensuivrait que la requérante n’a plus intérêt à demander l’annulation de la disposition attaquée pour obtenir la disparition rétroactive de l’avantage octroyé à sa concurrente.

24      Il convient de rappeler que la persistance de l’intérêt à agir d’une partie requérante doit être appréciée in concreto, en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi (voir arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 65 et jurisprudence citée).

25      Or, en l’espèce, il y a lieu de considérer que, même à supposer, comme le soutient la Commission, que Telefónica n’ait pas pu bénéficier du régime litigieux avant l’interprétation administrative susvisée et qu’elle n’ait donc pas été visée par la disposition attaquée, l’intérêt de la requérante à obtenir l’annulation de cette disposition persiste.

26      Un tel intérêt résulte, tout d’abord, de la qualité de la requérante de partie intéressée plaignante ainsi que du rejet partiel et en substance de cette plainte par la disposition attaquée.

27      En effet, même si la décision attaquée, et ainsi la disposition attaquée, ne constituait pas une réponse explicite à la plainte de la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, EU:T:2008:29, point 317 et jurisprudence citée), il n’en demeure pas moins que, contrairement à ce qu’avait invoqué la requérante dans sa plainte, la Commission y a considéré que le régime litigieux pouvait continuer à s’appliquer dans certaines hypothèses qui y sont précisées. Or, un tel rejet suffit à caractériser l’intérêt à agir de la requérante en l’espèce, en ce sens que l’annulation de ce rejet sur le fondement du moyen unique qu’elle a soulevé est susceptible de lui procurer un bénéfice, celui de voir le régime litigieux déclaré illégal et interdit, y compris dans les hypothèses visées par la disposition attaquée.

28      Il n’est pas contesté en effet que la requérante est une « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), tel que modifié, « dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide », qui a ainsi par définition un « intérêt » à la procédure formelle d’examen devant conduire à l’adoption d’une décision par la Commission et, corrélativement, compte tenu du rejet de sa plainte par ladite décision, un intérêt à former un recours contre cette décision qui ne lui est pas favorable. Il importe de souligner que la requérante est en outre la partie intéressée qui a déposé la plainte à l’origine de l’ouverture de la procédure formelle d’examen et qui a, dans le cadre de cette plainte, expliqué les motifs de son dépôt, d’abord et avant la mention du désavantage concurrentiel subi lors de l’opération relative à la société O2, en évoquant l’avantage concurrentiel accordé de manière générale aux sociétés espagnoles du secteur des télécommunications dans lequel opère également la requérante ainsi que celui accordé de manière générale à sa concurrente espagnole Telefónica, indépendamment de sa prise de participation dans la société O2.

29      Il s’ensuit que la circonstance alléguée par la Commission et prétendument apparue postérieurement à l’introduction du présent recours, selon laquelle Telefónica n’aurait pas pu bénéficier du régime litigieux déclaré illégal par la décision attaquée lors de sa prise de participation dans la société O2 et n’aurait pas été autorisée par la disposition attaquée à appliquer ledit régime au titre de cette prise de participation, n’est pas susceptible de remettre en cause l’intérêt à agir de la requérante contre la disposition attaquée. S’il en était autrement et, en particulier, s’il était exigé des parties intéressées et notamment de celles à l’origine de l’ouverture de la procédure formelle d’examen qu’elles établissent au surplus, comme le soutient en substance la Commission, leur qualité de concurrent d’un bénéficiaire effectif du régime litigieux examiné par la décision attaquée, cela reviendrait à confondre la condition de recevabilité essentielle et première de tout recours qu’est l’intérêt à agir, qui doit perdurer jusqu’à la clôture du recours, et celle de la qualité pour agir, lesquelles constituent pourtant des conditions distinctes qu’une personne physique ou morale doit remplir de façon cumulative (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 58 et 62 et jurisprudence citée).

30      Il importe d’ajouter qu’il n’est pas contesté que, avant l’intervention des circonstances postérieures à l’introduction du présent recours invoquées par la Commission, Telefónica avait effectivement bénéficié du régime litigieux au titre de sa prise de participation dans la société O2, ainsi que l’a jugé le Tribunal dans l’ordonnance du 21 mars 2012, Telefónica/Commission (T‑228/10, non publiée, EU:T:2012:140, point 26), et qu’un tel bénéfice effectif du régime litigieux par le concurrent d’un plaignant, qui a précisément dénoncé dans sa plainte l’avantage conféré dans le cadre de cette prise de participation, permet également et en tout état de cause de considérer que ce plaignant conserve un intérêt à agir contre une décision rejetant cette plainte.

31      Ensuite, il convient de considérer que la requérante conserve également un intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée pour permettre d’éviter que l’illégalité dont celle-ci est prétendument entachée ne se reproduise à l’avenir (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 50 et jurisprudence citée). Il importe de souligner à cet effet que l’illégalité alléguée est susceptible de se reproduire à l’avenir abstraction faite des circonstances ayant donné lieu au présent recours, dès lors qu’elle met en cause, indépendamment de ces circonstances, l’interprétation des conditions générales d’application du principe de protection de la confiance légitime et la portée temporelle de la protection susceptible d’être octroyée au titre de ce principe (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2008, Reliance Industries/Conseil et Commission, T‑45/06, EU:T:2008:398, point 43).

32      Il s’ensuit que la demande de non-lieu à statuer de la Commission doit être rejetée, sans qu’il soit besoin de prendre position sur la portée de la décision 2015/314 et, ainsi, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande de suspension formée par la requérante uniquement dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait de se prononcer sur ladite décision, demande qui doit, partant, également être rejetée.

 Sur le bien-fondé du recours

33      La requérante soulève un moyen unique, tiré de l’application erronée du principe de protection de la confiance légitime. La Commission aurait, à tort, estimé devoir appliquer ce principe en faveur de certains bénéficiaires du régime litigieux, alors que les conditions d’application de ce principe n’auraient pas été réunies. La Commission aurait en effet dû ordonner la récupération des aides octroyées en vertu de ce régime et ne pas autoriser la poursuite de la mise en œuvre dudit régime pour les prises de participations antérieures à la publication de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

34      Il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission a justifié l’autorisation de poursuivre l’application du régime litigieux à certaines prises de participations – prises de participations opérées avant la publication au Journal officielde la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, intervenue le 21 décembre 2007, et prises de participations dont la réalisation, subordonnée à l’autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007 – et l’absence de récupération de certaines des déductions fiscales correspondantes par l’existence d’une confiance légitime à l’égard des bénéficiaires que les aides en cause avaient été octroyées conformément aux règles du traité CE. Selon la Commission en effet, par ses deux déclarations des 19 janvier et 17 février 2006 en réponse à des questions parlementaires, elle avait donné, et ce jusqu’au 21 décembre 2007, date de la publication au Journal officiel de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, des garanties spécifiques, inconditionnelles et concordantes d’une nature telle que les bénéficiaires du régime litigieux avaient nourri des espoirs justifiés que ledit régime n’entrait pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État (considérants 158 à 170 de la décision attaquée).

35      Il convient également de rappeler que, selon l’article 14 du règlement no 659/1999, « [e]n cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire ». La suppression d’une aide illégalement accordée, par voie de récupération, est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. En effet, l’obligation pour l’État de supprimer une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché intérieur vise au rétablissement de la situation antérieure [voir arrêt du 5 août 2003, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, T‑116/01 et T‑118/01, EU:T:2003:217, point 223 et jurisprudence citée], en faisant perdre au bénéficiaire l’avantage dont il a effectivement bénéficié par rapport à ses concurrents (voir arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 99 et jurisprudence citée, et du 29 avril 2004, Allemagne/Commission, C‑277/00, EU:C:2004:238, point 75 et jurisprudence citée ; arrêt du 15 juin 2010, Mediaset/Commission, T‑177/07, EU:T:2010:233, point 169).

36      Cette même disposition prévoit cependant que « [l]a Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle irait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire ».

37      Or, il est de jurisprudence constante que le principe de protection de la confiance légitime constitue un principe général du droit de l’Union. Ce principe a fait en effet l’objet d’une reconnaissance progressive dans l’ordre juridique de l’Union par la jurisprudence, qui l’a consacré comme une « règle supérieure de droit » protégeant les particuliers (arrêt du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, EU:C:1975:59, point 44), un « principe fondamental de la Communauté » (arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 73) ou encore un « principe général » (arrêt du 4 octobre 2001, Italie/Commission, C‑403/99, EU:C:2001:507, point 35). Il est considéré comme le corollaire du principe de sécurité juridique, qui exige que la législation de l’Union soit certaine et son application prévisible pour les justiciables, en ce sens qu’il vise, en cas de modification de la règle, à assurer la protection des situations légitimement acquises par une ou plusieurs personnes physiques ou morales en particulier (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma, C‑107/97, EU:C:2000:253, point 66 et jurisprudence citée, et conclusions de l’avocat général Léger dans les affaires jointes Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:89, point 367).

38      En l’espèce, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que les parties s’accordent pour reconnaître que le régime litigieux n’a pas été notifié à la Commission et que l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE n’a donc pas été respectée.

39      Il y a lieu de relever, ensuite, que la requérante a admis lors de l’audience que le principe de protection de la confiance légitime était applicable, à titre exceptionnel, aux aides non notifiées et a ainsi renoncé à son grief tiré de l’inapplicabilité de ce principe lorsqu’un régime d’aides est formellement illégal du fait de son absence de notification, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

40      Il ressort en effet de la jurisprudence que la confiance légitime peut protéger les bénéficiaires d’une aide non notifiée, mais uniquement dans des circonstances exceptionnelles.

41      Il a été jugé plus précisément que, compte tenu du rôle fondamental joué par l’obligation de notification pour permettre l’effectivité du contrôle des aides d’État par la Commission, lequel revêt un caractère impératif, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de ladite aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 108 TFUE, et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci, sauf existence de circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, EU:C:1987:502, points 16 et 17 ; du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C‑5/89, EU:C:1990:320, points 14 et 16 ; du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 134 ; du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T‑67/94, EU:T:1998:7, point 182 ; du 16 octobre 2014, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑177/10, EU:T:2014:897, point 61, et du 22 avril 2016, Irlande et Aughinish Alumina/Commission, T‑50/06 RENV II et T‑69/06 RENV II, EU:T:2016:227, point 214).

42      L’admission de cette exception est justifiée notamment par le statut différent des États membres et des bénéficiaires au regard de l’obligation de notification. En effet, seuls les États membres sont destinataires de cette obligation et ils ne sauraient se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec les décisions prises par la Commission ainsi que l’effet utile des articles 107 et 108 TFUE et invoquer leur confiance légitime dans la légalité d’une aide qu’ils n’ont pas notifiée (voir arrêt du 28 juillet 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑471/09 P à C‑473/09 P, non publié, EU:C:2011:521, point 65 et jurisprudence citée), et, dans certains cas, pas même la confiance légitime des bénéficiaires de cette aide (arrêts du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, EU:C:1997:10, points 48 et 49, et du 22 avril 2016, France/Commission, T‑56/06 RENV II, EU:T:2016:228, point 43).

43      En revanche, dans la mesure où il ne peut être reproché aux bénéficiaires d’une aide de ne pas l’avoir notifiée, cette absence de notification ne saurait conduire à exclure toute possibilité d’invoquer leur confiance légitime dans la légalité de l’aide en cause.

44      L’exception admise au profit des bénéficiaires de l’aide est au surplus justifiée par le fait, pertinemment souligné par la Commission, que, sans son admission, le principe général de protection de la confiance légitime serait vidé de sa substance en matière d’aides d’État, dès lors que l’obligation de récupération que ce principe vise à atténuer ne s’applique qu’aux aides non notifiées mises en œuvre sans l’approbation de la Commission. Or, il a été jugé que l’adoption du règlement no 659/1999 avait créé une situation nouvelle en ce qui concerne la récupération des aides incompatibles avec le marché intérieur, en affirmant le caractère systématique de la récupération (première phrase de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 659/1999), tout en prévoyant une exception (seconde phrase de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 659/1999) lorsque la récupération va à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union, situation nouvelle dont il convient de tirer toutes les conséquences juridiques et dont la Commission doit tenir compte lors de l’adoption de ses décisions, notamment en renonçant, le cas échéant, à exiger la récupération des aides incompatibles avec le marché intérieur (arrêt du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission, T‑62/08, EU:T:2010:268, points 275 et 276). Si la confiance légitime ne pouvait être invoquée par les bénéficiaires d’une aide au seul motif qu’elle n’a pas été notifiée, l’article 14 du règlement no 659/1999, en ce qu’il dispose que la Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle va à l’encontre d’un principe général du droit, serait privé de portée, alors qu’il a précisément été adopté par le législateur aux fins de limiter la portée de l’obligation de récupération des aides illégales et déclarées incompatibles avec le marché intérieur par la Commission.

45      La requérante conteste l’existence en l’espèce de circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier l’application du principe de protection de la confiance légitime au profit de certains bénéficiaires du régime litigieux, en arguant qu’aucune des conditions d’application de ce principe ne serait satisfaite en l’espèce.

46      Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il est de jurisprudence constante que le droit de se prévaloir de la confiance légitime suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables [voir arrêts du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 81 et jurisprudence citée, et du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 77 et jurisprudence citée], étant précisé que des assurances données dans l’absence de récupération d’une aide, lesquelles peuvent résulter d’assurances données dans l’absence de qualification d’aide de la mesure en cause, sont conformes à l’article 14 du règlement no 659/1999 (voir point 44 ci-dessus ; voir également, en ce sens, arrêt de ce jour, Banco Santander et Santusa/Commission, T‑399/11 RENV, points 272 à 278).

47      En l’espèce, la requérante ne conteste pas la satisfaction de cette troisième condition, mais conteste celle des deux premières conditions, dont il convient de souligner qu’elles sont par elles-mêmes restrictives et permettent de caractériser, ainsi que l’atteste la rareté des hypothèses où elles sont réunies, des circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission, T‑62/08, EU:T:2010:268, points 278 à 289 ; du 27 septembre 2012, Producteurs de légumes de France/Commission, T‑328/09, non publié, EU:T:2012:498, points 25 à 30, et du 22 avril 2016, Irlande et Aughinish Alumina/Commission, T‑50/06 RENV II et T‑69/06 RENV II, EU:T:2016:227, points 222, 225 et 252).

48      La requérante conteste également la satisfaction en l’espèce d’une condition supplémentaire ressortant de certains arrêts s’étant prononcés sur le principe de protection de la confiance légitime et exigeant que l’octroi de la protection en cause ne contrevienne pas à un intérêt public péremptoire (voir la jurisprudence citée au point 83 ci-après). Or, il peut être relevé que la mise en balance des intérêts en présence, intérêt individuel de la personne concernée d’une part et intérêt public de l’Union d’autre part, impliquée par l’examen de cette condition, contribue également et en tant que telle à la reconnaissance d’une confiance légitime uniquement dans des circonstances exceptionnelles, dès lors qu’elle permet, alors même que les assurances précises données ont fait naître des attentes légitimes et que sont ainsi remplies les deux premières conditions de cette reconnaissance, de ne pas protéger la confiance légitime pourtant reconnue au motif qu’un intérêt public de l’Union s’y opposerait.

49      Il convient, dès lors, à la lumière de l’ensemble de ces considérations, d’examiner si la Commission a correctement apprécié les trois conditions de reconnaissance de la confiance légitime contestées par la requérante et, dans l’affirmative, si elle a correctement délimité le champ d’application temporel de la confiance légitime reconnue, également contesté par la requérante.

 Sur les assurances précises fournies par les réponses de la Commission à deux questions parlementaires

50      Dans la décision attaquée, la Commission a déduit l’existence d’assurances précises fournies par l’administration de l’Union des réponses données au nom de la Commission à deux questions parlementaires. Les deux réponses de la Commission, données en anglais par un membre de la Commission, ont été en partie reprises et traduites au considérant 165 de la décision attaquée.

51      Selon la réponse donnée le 19 janvier 2006 à la question écrite E-4431/05 (ci-après la « première réponse ») :

« 5. La Commission n’est pas en mesure de confirmer si les offres élevées des entreprises espagnoles sont dues à la législation fiscale espagnole qui permet aux entreprises d’amortir la survaleur financière plus rapidement que leurs homologues françaises ou italiennes. La Commission est toutefois en mesure de confirmer que ces législations nationales n’entrent pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État, mais qu’elles constituent plutôt des règles générales de dépréciation applicables à toutes les entreprises en Espagne. » (The Commission cannot confirm whether the high bids by Spanish companies are due to Spain’s tax legislation enabling undertakings to write off goodwill more quickly than their French or Italian counterparts. The Commission can confirm, however, that such national legislations do not fall within the scope of application of state aid rules, because they rather constitute general depreciation rules applicable to all undertakings in Spain.)

52      Selon la réponse donnée le 17 février 2006 à la question écrite E-4772/05 (ci-après la « seconde réponse ») :

« Selon les informations dont la Commission dispose actuellement, les règles fiscales espagnoles relatives à l’amortissement de la survaleur semblent être applicables à toutes les entreprises en Espagne, indépendamment de leur taille, du secteur, de la forme juridique ou du fait qu’elles soient privées ou publiques, dès lors qu’elles constituent des règles d’amortissement générales. Elles ne semblent donc pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État. La Commission procédera bien sûr à une enquête approfondie sur toute information contraire qui serait portée à sa connaissance. » [According to the information currently in its possession, it would however appear to the Commission that the Spanish(tax) rules related to the write off of ‘goodwill’ are applicable to all undertakings in Spain independently from their sizes, sectors, legal forms or if they are privately or publicly owned because they constitute general depreciation rules. Therefore, they do not appear to fall within the scope of application of the state aid rules. The Commission will of course thoroughly investigate any information that would come to its knowledge indicating the contrary.]

53      En vertu d’une jurisprudence constante, constituent des assurances susceptibles de faire naître des espérances fondées des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables (arrêts du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 63 ; du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 132, et du 12 décembre 2014, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português/Commission, T‑487/11, EU:T:2014:1077, point 125). En revanche, nul ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 72, et du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 41).

54      La requérante conteste l’existence d’assurances précises qu’aurait données la Commission en se fondant tant sur la forme des deux réponses de cette dernière que sur leur teneur.

–       Sur la forme des deux réponses de la Commission

55      Il est de jurisprudence constante que la forme sous laquelle les assurances de l’administration sont communiquées est indifférente (arrêts du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, EU:T:2006:47, point 88, et du 24 septembre 2008, Kahla/Thüringen Porzellan/Commission, T‑20/03, EU:T:2008:395, point 146).

56      La requérante ne conteste pas cette jurisprudence, qu’elle rappelle d’ailleurs, mais fait valoir, en substance, que les prétendues assurances fournies par la Commission auraient dû, à tout le moins, être, d’une part, destinées aux bénéficiaires du régime litigieux, ce qui ne serait pas le cas de réponses de la Commission à des questions parlementaires relevant d’une discussion juridique interinstitutionnelle, et, d’autre part, portées à leur connaissance, ce qui ne serait pas davantage le cas, compte tenu du mode de diffusion retenu.

57      Toutefois, premièrement, il ne ressort aucunement de la jurisprudence que seuls les actes d’institutions spécifiquement adressés ou destinés à des opérateurs sont susceptibles de faire naître à leur égard une confiance légitime. A ainsi été reconnue comme fournissant à un opérateur des assurances précises une pratique de la Commission relative à des affaires de concentration n’impliquant pas cet opérateur (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, EU:T:2004:275, points 108 à 112). Il ne peut qu’en être a fortiori ainsi s’agissant d’un acte d’une institution portant spécifiquement sur l’aide litigieuse. La Cour a d’ailleurs jugé, dans l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 158), qu’une réponse de la Commission à une question parlementaire, telle que celles en cause en l’espèce, avait permis aux bénéficiaires du régime en cause de placer leur confiance légitime dans la légalité de celui-ci.

58      Il ressort en effet de la jurisprudence citée par la requérante non que l’intéressé doive être formellement le destinataire de l’acte source d’assurances précises, mais que l’expression d’assurances « fournies » ou « s’adressant » à l’intéressé signifie que cet intéressé doit être concerné par et informé des assurances données (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, EU:T:2004:275, points 108 et 112). Quant à l’ordonnance du 13 décembre 2000, Sodima/Commission (C‑44/00 P, EU:C:2000:686, point 50), également invoquée par la requérante, il y a lieu de relever que la Cour y a, certes, refusé de considérer que les déclarations publiques d’un membre de la Commission avaient fourni des assurances précises à la partie requérante, mais que ce refus résultait principalement de la teneur des déclarations en cause, considérées comme trop générales.

59      Il peut encore être ajouté, à la suite de la Commission, que la procédure des questions parlementaires, même si elle intervient entre deux institutions, en l’occurrence le Parlement et la Commission, vise à informer les représentants des citoyens réunis au sein du Parlement de la position de l’institution destinataire de la question, en l’espèce la Commission, qui est la principale institution compétente en matière d’aides d’État, sur des sujets de préoccupation de ces citoyens, permettant ainsi à ceux-ci de déterminer leur action en fonction.

60      Deuxièmement, il convient de relever, ainsi que l’admet au demeurant la requérante dans la réplique, que les réponses de la Commission ont été rendues publiques. Plus précisément, ont été publiés au Journal officiel le numéro de la question, son auteur, son objet plus ou moins détaillé, l’institution destinataire ainsi que la mention de l’existence et de la date de la réponse (JO 2006, C 327, p. 164 et 192), avec une référence au site Internet du Parlement, sur lequel sont diffusées les questions et les réponses dans leur version intégrale, ce qui vaut, selon la jurisprudence (ordonnance du 19 septembre 2005, Air Bourbon/Commission, T‑321/04, EU:T:2005:328, point 34, et arrêt du 11 mars 2009, TF1/Commission, T‑354/05, EU:T:2009:66, point 35), publication et, en tous les cas, publicité suffisante donnée aux réponses de la Commission.

61      Il convient d’ajouter que, contrairement à ce que prétend la requérante, la mention sur le site Internet du Parlement selon laquelle « [l]es informations publiées sur ce site sont de nature générale et n’ont donc pas été conçues pour répondre à un besoin individuel » ne remet en cause ni le caractère public des informations en cause, ni la possible qualification d’assurances précises desdites informations. En effet, outre le fait que cet avertissement n’émane pas de l’auteur des informations concernées, il convient de souligner que la fourniture d’assurances précises implique que leur bénéficiaire soit concerné par lesdites assurances, mais non qu’il soit individualisé par elles, au sens où il en serait l’un des seuls, voire le seul, bénéficiaires.

62      De même, il ne saurait être considéré, à l’instar de la requérante, que la publication de certains éléments des réponses de la Commission au Journal officiel serait source en l’espèce d’insécurité juridique, dans la mesure où la Commission retiendrait comme date de l’élément générateur de confiance légitime la date des réponses aux questions parlementaires dans la décision attaquée et celle de cette publication au Journal officiel dans son mémoire en défense. En effet, ainsi qu’il sera précisé aux points 91 à 105 ci-après, la date de l’acte générateur de confiance légitime n’est pas déterminante aux fins d’identifier les aides susceptibles de ne pas être soumises à une obligation de récupération. Il doit être ajouté que, en tout état de cause, cette allégation de la requérante, qui conteste en réalité une mention du mémoire en défense de la Commission, ne saurait remettre en cause la légalité de la disposition attaquée.

63      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, la nature et le mode de publication des réponses de la Commission ne permettent pas d’exclure en tant que tels que celles-ci aient pu fournir des assurances précises aux bénéficiaires du régime litigieux. Au contraire, ils étaient susceptibles de conforter la confiance des bénéficiaires dans la légalité de ce régime.

–       Sur la teneur des réponses de la Commission

64      S’agissant de la première réponse de la Commission, il y a lieu de relever que, d’une part, contrairement à ce que laisse entendre la requérante par son allégation selon laquelle la question posée serait générale, la sous-question no 5 de ladite question désigne clairement le régime litigieux en mentionnant « la législation fiscale espagnole [qui] met les entreprises en situation d’amortir la survaleur payée ». Il peut être relevé que, d’autre part, la Commission y a répondu de manière à la fois précise, en faisant clairement référence à la législation visée dans la sous-question no 5 (réponse no 5, premier alinéa), qu’elle a d’ailleurs opposée à une autre législation fiscale espagnole (réponse no 5, second alinéa), et inconditionnelle, en indiquant en des termes fermes et sans équivoque que le régime litigieux n’était pas une aide d’État (« La Commission est en mesure de confirmer que [l]es législations nationales du type [du régime litigieux] n’entrent pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État. »).

65      S’agissant de la seconde réponse de la Commission, il peut certes être admis, à la suite de la requérante, que, même si elle est toujours exprimée dans le même sens, elle l’est de manière plus prudente que la première réponse. En effet, d’une part, la Commission emploie à deux reprises le verbe « apparaître » (appear) et, d’autre part, elle termine sa réponse par l’annonce d’une enquête approfondie en cas d’information contraire portée à sa connaissance.

66      Il convient toutefois de considérer que cette prudence ne remet nullement en cause les caractères précis, inconditionnel et concordant des prises de position de la Commission sur le régime litigieux. Cette prudence s’explique en effet principalement par le fait que la question posée portait précisément sur le seul régime litigieux et visait à demander des comptes à la Commission sur son inaction à son égard, plaçant ainsi la Commission en situation de se justifier sur le respect de ses obligations au titre du règlement no 659/1999. Comme l’a pertinemment souligné la Commission, cette circonstance explique qu’elle ait précisé que, en cas d’information laissant à penser que le régime litigieux serait une aide d’État, elle enquêterait de manière approfondie, non sur le régime litigieux comme le prétend la requérante, mais sur l’information en cause, ainsi que l’y oblige l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement.

67      Le terme « apparaître » (appear) doit en outre être mis en perspective avec le fait, premièrement, que la Commission présente une position motivée à sa suite [« it would […] appear to the Commission that the Spanish(tax) rules related to the writeoff of ‘‘goodwill’’ are applicable to all undertakings in Spain independently from their sizes, sectors, legal forms or if they are privately or publicly owned because they constitute general depreciation rules »], deuxièmement, qu’elle oppose clairement cette position à une absence de prise de position sur l’aspect abordé dans la phrase précédente (« the Commission cannot confirm whether […] it would however appear »). Il importe par ailleurs de souligner que la seconde réponse fait suite à la première, exprimée moins d’un mois auparavant par le même membre de la Commission et allant dans le même sens en utilisant en partie les mêmes termes (« constitute general depreciation rules »), attestant ainsi de la nature concordante des renseignements fournis.

68      Il résulte de tout ce qui précède, contrairement à ce que la requérante fait valoir, que les réponses de la Commission de janvier et de février 2006 aux questions parlementaires avaient fourni des assurances précises aux bénéficiaires du régime litigieux qu’il ne relevait pas des règles relatives aux aides d’État et était constitué de règles générales d’amortissement, applicables à toutes les entreprises en Espagne. La Commission a donc considéré à bon droit, dans la décision attaquée, que cette condition d’application du principe de protection de la confiance légitime était remplie.

 Sur le caractère légitime de la confiance générée

69      Il est de jurisprudence constante que seule une confiance « légitime » peut être protégée. Plus précisément, la confiance n’est protégée que lorsque la personne concernée pouvait raisonnablement se fier au maintien ou à la stabilité de la situation créée (conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Commission/Koninklijke FrieslandCampina, C‑519/07 P, EU:C:2009:256, point 78). Aux fins de procéder à l’appréciation de la légitimité de la confiance alléguée, le juge de l’Union se fonde sur un opérateur raisonnablement prudent, avisé et diligent (voir arrêt du 16 octobre 2014, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑177/10, EU:T:2014:897, points 60 et 72 et jurisprudence citée). Il prend également en compte le domaine ou l’objet de la confiance légitime alléguée. Ainsi, compte tenu du caractère objectif de la notion d’aide d’État (arrêt du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C‑83/98 P, EU:C:2000:248, point 25), l’appréciation de la Commission selon laquelle une mesure donnée ne constitue pas une aide d’État ne crée pas une situation juridique qui est susceptible d’être modifiée fréquemment dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions, comme cela peut être le cas, notamment, dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (conclusions de l’avocat général Léger dans les affaires jointes Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:89, point 419), empêchant de considérer que les opérateurs économiques sont légitimes à placer leur confiance dans le maintien d’une situation existante (voir arrêt du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport, C‑37/02 et C‑38/02, EU:C:2004:443, point 70 et jurisprudence citée).

70      Il s’ensuit que, s’agissant de l’allégation d’une confiance légitime des bénéficiaires d’une aide d’État, une prise de position de la Commission, qui est la principale autorité de mise en œuvre des règles relatives aux aides d’État et la seule chargée d’apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, confère à elle seule une légitimité à la confiance qui en résulte.

71      Il s’ensuit également que sont, dès lors, dépourvus de pertinence aux fins d’apprécier la légitimité de la confiance des bénéficiaires du régime litigieux l’ensemble des actes et comportements n’émanant pas de la Commission, tels que ceux de la presse, de la requérante, des bénéficiaires ou des autorités espagnoles évoqués par la requérante.

72      Il convient d’ajouter que, quand bien même la prudence ressortant de la seconde réponse de la Commission devrait conduire à examiner plus avant ces actes et comportements, il ne saurait en être déduit une absence de légitimité de la confiance alléguée, en ce sens qu’ils auraient dû conduire les bénéficiaires du régime litigieux à prévoir l’adoption de la décision attaquée.

73      En effet, quant aux articles de la presse internationale invoqués, il y a lieu de relever qu’ils se limitent pour l’essentiel à faire état du régime litigieux ainsi que de ses prétendues conséquences économiques et que le seul article évoquant, sans les préciser, des critiques au regard des règles interdisant les aides d’État relate à leur suite les déclarations de fonctionnaires de la Commission selon lesquelles le régime litigieux ne remplit pas les conditions pour être qualifié d’aide d’État, dans la mesure où il ne bénéficie pas à des entreprises ou à des secteurs particuliers.

74      Quant à la plainte de la requérante reçue par la Commission le 28 août 2007 et aux articles de presse l’annonçant, il convient de rappeler que la fourniture d’informations concernant une prétendue aide illégale donne uniquement lieu à une obligation d’examiner ces informations sans délai (article 10, paragraphe 1, du règlement no 659/1999) et à celle d’informer le plaignant des suites données à sa plainte (article 20, paragraphe 2, du règlement no 659/1999), mais n’implique pas l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, ni a fortiori l’adoption d’une « décision négative » constatant l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur (article 7, paragraphe 5, du règlement no 659/1999). Il peut également être ajouté que seule une plainte dénonçant le régime litigieux avait été déposée devant la Commission, alors que le régime litigieux était en vigueur depuis plusieurs années à la date du dépôt de cette plainte.

75      Quant à l’attitude de Telefónica, il ne ressort pas de la communication de cette société, postérieure à la décision attaquée et produite par la requérante, que cette société ait renoncé à faire application du régime litigieux dans l’attente de la décision de la Commission à son égard. En tout état de cause, cette prudence particulière de l’un des bénéficiaires du régime litigieux ne saurait à elle seule permettre de considérer que la confiance des bénéficiaires dudit régime ne présente pas un caractère légitime.

76      Quant à l’attitude des autorités espagnoles, qui auraient « discuté » de la compatibilité du régime litigieux avec les règles relatives aux aides d’État, il suffit de constater qu’elle n’est pas étayée par les éléments de preuve fournis. En effet, les articles de presse communiqués en annexe à la réplique relatent certes les difficultés rencontrées et reconnues par les autorités espagnoles dans la mise en œuvre du régime litigieux, mais ces difficultés sont sans lien avec les règles relatives aux aides d’État. Par ailleurs, les problèmes de conformité aux règles interdisant les aides d’État évoqués par ces articles sont uniquement ceux soulevés par la Commission (voir point 79 ci-après).

77      Il convient encore d’ajouter, s’agissant précisément des actes et comportements invoqués émanant de la Commission, ce qui suit.

78      Premièrement, s’agissant des régimes fiscaux prétendument similaires qui auraient été considérés par la Commission comme constituant des aides incompatibles avec le marché commun en 2000 (décision confirmée par l’arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, EU:C:2004:438) et en 2006, il convient de considérer que le caractère individuel de l’appréciation de chaque aide notifiée ou dénoncée exclut que l’appréciation portée sur une aide donnée puisse remettre en cause la légitimité de la confiance relative à l’appréciation portée sur une aide similaire, mais distincte. En effet, de même qu’une décision positive de la Commission relative à une aide ne saurait fonder une confiance légitime des bénéficiaires potentiels de futurs projets d’aides similaires dans leur compatibilité avec le marché intérieur (voir arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission, T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493, point 283 et jurisprudence citée), une décision négative ne saurait entamer la confiance légitime née d’assurances précises données relativement à la compatibilité de régimes nationaux similaires.

79      Deuxièmement, s’agissant des mesures prises par la Commission avant l’ouverture de la procédure formelle d’examen (demandes de renseignements aux autorités espagnoles), telles que relatées dans deux articles de presse de février et de juin 2007 (voir également point 4 ci-dessus), elles n’impliquaient pas, au stade où elles sont intervenues, une prise de position de la Commission sur la légalité de la législation nationale en cause (voir également point 111 ci-après) et ne sauraient donc en tant que telles entamer la légitimité de la confiance résultant d’assurances précises données par ailleurs par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission, T‑62/08, EU:T:2010:268, point 280).

80      Il s’ensuit que la Commission a valablement considéré en l’espèce que la confiance des bénéficiaires du régime litigieux en sa légalité présentait un caractère légitime. Il peut être ajouté qu’un opérateur économique prudent et avisé pouvait d’autant moins douter de la légalité de ce régime que le Tribunal lui-même a jugé, en 2014, que la Commission n’avait pas établi que ledit régime, accessible à toute entreprise sans distinction de catégories, était constitutif d’une aide d’État (arrêts du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission, T‑399/11, EU:T:2014:938, et du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission, T‑219/10, EU:T:2014:939, annulés par arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981).

 Sur la mise en balance des intérêts en présence

81      Il y a lieu de rappeler que la Commission a considéré, au considérant 168 de la décision attaquée, que, « conformément à la jurisprudence de la Cour de justice et à la pratique de la Commission, en l’absence d’intérêt public péremptoire, […] il y a[vait] lieu de permettre aux bénéficiaires de continuer à bénéficier des avantages [du régime litigieux] ».

82      Il ne saurait ainsi être considéré, à l’instar de la requérante, que la Commission a omis d’examiner en l’espèce la condition de reconnaissance d’une confiance légitime tenant à l’absence d’intérêt public péremptoire y faisant obstacle. En effet, quoique de manière brève, elle a clairement fait état de l’absence, dans le cas du régime litigieux, d’un intérêt public à interdire la poursuite de son application et à exiger la récupération des aides octroyées en vertu dudit régime, malgré la réunion des autres conditions de reconnaissance d’une confiance légitime.

83      Si la requérante déduit de la brièveté de l’affirmation de la Commission que cette dernière n’a en réalité pas vérifié si un intérêt public péremptoire empêchait en l’espèce la reconnaissance de la confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux, il convient de souligner que la condition tenant à l’« intérêt public péremptoire » (ou à l’« intérêt d’ordre public » selon une autre expression également utilisée en jurisprudence) est une condition négative, au sens où elle ne doit pas être présente pour qu’une confiance légitime puisse être reconnue (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 1997, Affish, C‑183/95, EU:C:1997:373, point 57, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 148). Il ressort ainsi des arrêts ayant validé la protection d’une confiance légitime que la Cour et le Tribunal se sont limités à une simple mention de l’absence d’intérêt public péremptoire (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 1997, de Compte/Parlement, C‑90/95 P, EU:C:1997:198, point 39), telle que celle figurant dans la décision attaquée, voire ont passé sous silence cet intérêt, en l’absence de contestation par les parties de cette condition (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, EU:C:1987:502, points 13 à 17, et du 5 juin 2001, ESF Elbe-Stahlwerke Feralpi/Commission, T‑6/99, EU:T:2001:145, points 188 à 191).

84      Il peut en être déduit que la Commission ne doit exposer de manière plus détaillée son examen de la condition en cause que si elle envisage de ne pas protéger la confiance légitime au motif qu’un intérêt public péremptoire s’y opposerait, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ou si des allégations relatives à un intérêt public particulier sont présentées par les parties intéressées, ce qui n’a pas davantage été le cas. Il ne ressort en effet des pièces de la procédure administrative figurant au dossier aucune allégation, notamment de la requérante (dans sa plainte et dans ses observations relatives à l’ouverture de la procédure formelle d’examen), relative à l’existence en l’espèce d’un intérêt public péremptoire qui aurait empêché la reconnaissance de la confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux. La requérante a d’ailleurs indiqué, lors de l’audience en réponse à une question posée par le Tribunal, qu’elle n’était pas en mesure de confirmer qu’elle avait invoqué un intérêt public péremptoire au cours de la procédure administrative, tout en précisant qu’il ne lui appartenait pas de l’invoquer, compte tenu de l’obligation de suppression et de récupération des aides illégales.

85      Si la requérante soutient également, notamment par cette dernière allégation, que la Commission aurait dû en l’espèce faire prévaloir l’intérêt public péremptoire de la suppression complète des avantages liés au régime litigieux sur ceux des bénéficiaires de ce régime, il y a lieu de relever que cet intérêt public se confond en substance avec le principe même de la récupération des aides illégales, auquel la protection de la confiance légitime constitue une exception. Un tel intérêt ne saurait dès lors, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre dans ses écritures et lors de l’audience, relever de la notion d’intérêt public péremptoire en matière d’aides d’État, ce dernier intérêt ayant trait à d’autres considérations que celles tirées de l’obligation de récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur et pouvant s’attacher, par exemple, à la protection de la santé ou de l’environnement. En outre, même si la mise en balance avec un tel intérêt était admise, un poids trop important conféré à cet intérêt dans le cadre de cette mise en balance aurait pour effet de supprimer l’exception posée à l’article 14 du règlement no 659/1999 et dont il importe de rappeler qu’elle vise à garantir le respect d’un « principe fondamental » (voir point 37 ci-dessus).

86      Ainsi, en l’espèce, les opérations bénéficiant du régime litigieux étaient des engagements sur le long terme, compte tenu de la durée d’amortissement de 20 ans prévue par ce régime (voir notamment considérants 168 et 169 de la décision attaquée), et de tels engagements peuvent être considérés comme permettant de faire pencher la balance en faveur des intérêts individuels des bénéficiaires de l’aide (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, points 164 à 166). Il importe de souligner en outre que ce maintien sur le long terme ne concerne que les déductions fiscales correspondant aux prises de participations effectuées au cours de la période couverte par la protection de la confiance légitime (2002-2007) et n’implique pas que le régime litigieux continue à s’appliquer au titre de prises de participations réalisées après 2007. Enfin, l’importance des avantages individuels octroyés aux bénéficiaires, invoquée par la requérante, milite plutôt en faveur d’une préservation de ces avantages, aux fins de ne pas leur causer un préjudice certain et important, qu’en faveur d’une récupération qui pourrait être justifiée, le cas échéant, si l’ampleur des effets dommageables au niveau de l’Union était elle-même importante, par exemple du fait du nombre de bénéficiaires et de prises de participations concernées, ce qui n’est même pas allégué par la requérante (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Léger dans les affaires jointes Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:89, points 428 et 429).

87      Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, il peut être considéré en l’espèce que la Commission a procédé à un examen adéquat, sur la forme comme sur le fond, de la condition de reconnaissance d’une confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux relative à la balance des intérêts.

 Sur l’étendue temporelle de la confiance légitime protégée

88      La requérante reproche à la Commission d’avoir erronément étendu la protection de la confiance légitime à l’ensemble des prises de participations antérieures au 21 décembre 2007, y compris celles antérieures aux deux réponses de la Commission de 2006 et celles postérieures à une réponse de la Commission du 5 février 2007 à une question parlementaire.

–       Sur l’inclusion des aides relatives à des prises de participations antérieures aux deux réponses de la Commission de 2006

89      Il convient de rappeler que la Commission a considéré ce qui suit dans la décision attaquée :

« (164)       Concernant l’effet des déclarations de la Commission sur la confiance légitime des bénéficiaires, la Commission est d’avis qu’il convient de distinguer deux périodes : a) celle comprise entre la date d’entrée en vigueur de la mesure le 1er janvier 2002 jusqu’à la date de publication de la décision d’ouvrir la procédure au Journal officiel le 21 décembre 2007 ; b) la période postérieure à la publication de la décision d’ouvrir la procédure au Journal officiel.

(165)       Pour ce qui est de la première période, […]

(166)       […T]oute déclaration précise et inconditionnelle au nom de la Commission selon laquelle une mesure nationale ne doit pas être considérée comme une aide d’État serait naturellement comprise comme signifiant que la mesure n’était pas constitutive d’une aide depuis le début (autrement dit, aussi avant la déclaration en question). Une entreprise qui, auparavant, avait une incertitude quant à la possibilité pour elle de faire à l’avenir l’objet, en vertu des règles relatives aux aides d’État, d’un ordre de récupération des avantages qu’elle aurait obtenus en application du régime d’amortissement de la survaleur résultant de transactions réalisées avant les déclarations de la Commission aurait pu tirer de ces déclarations la conclusion que cette incertitude était non fondée, puisque l’on ne pouvait espérer d’elle qu’elle fasse montre d’une plus grande diligence que la Commission à cet égard. Dans ces circonstances précises et dès lors que le droit communautaire n’exige pas la démonstration d’un lien de causalité entre les garanties offertes par une institution communautaire et le comportement des citoyens ou des entreprises concernés par ces garanties […], un chef d’entreprise diligent pourrait raisonnablement espérer que la Commission n’imposerait postérieurement aucune récupération […] s’agissant des mesures qu’elle-même avait au préalable qualifiées, dans une déclaration à une autre institution communautaire, de non constitutives d’une aide, indépendamment du moment où la transaction bénéficiaire de la mesure d’aide a été réalisée.

(167)       Par conséquent, la Commission estime que les bénéficiaires de la mesure litigieuse pouvaient légitimement penser que l’aide ne serait pas récupérée et, partant, elle ne réclame pas la récupération des aides fiscales octroyées à ces bénéficiaires dans le cadre d’une participation qu’une entreprise acquérante espagnole aurait directement ou indirectement prise dans une entreprise étrangère avant la date de publication […] au Journal officiel de l’Union européenne de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 88, paragraphe 2, du traité et qui aurait bénéficié alors de la mesure litigieuse. »

90      La requérante conteste cette approche de la Commission, en ce qu’elle conduit à inclure dans le champ de protection de la confiance légitime des opérations réalisées avant la date des deux réponses de la Commission de 2006. Elle se fonde, à cet égard, d’une part, sur le principe de protection de la confiance légitime, tel que reconnu en droit allemand, et, d’autre part, sur la jurisprudence de la Cour.

91      En premier lieu, il y a lieu de considérer que ces deux fondements ne viennent pas au soutien de la thèse défendue par la requérante.

92      Quant au principe de protection de la confiance légitime, tel que reconnu en droit allemand, il convient de rappeler que le premier arrêt ayant consacré le principe de protection de la confiance légitime en droit de l’Union l’a déduit, selon la méthode traditionnelle de « découverte » des principes généraux du droit de l’Union, d’une étude de droit comparé des six États membres de la Communauté économique du charbon et de l’acier (arrêt du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune, 7/56 et 3/57 à 7/57, EU:C:1957:7, p. 115). Ainsi, dans la mesure où la requérante se fonde sur le seul principe de droit allemand qui exigerait que le bénéficiaire de la confiance légitime concrétise ladite confiance par un acte de confiance nécessairement postérieur à l’acte générateur de confiance, cette exigence ne saurait être considérée comme étant également requise en droit de l’Union. Il peut être relevé en outre que, dans ses conclusions dans l’affaire Westzucker (1/73, EU:C:1973:61), citées par la requérante, M. l’avocat général Roemer a fait référence, certes, à un arrêt du Bundesverfassungsgericht allemand (p. 741), mais également – conformément à la méthode traditionnelle susvisée d’identification des principes généraux du droit de l’Union – à un arrêt de la Cour de cassation française et à un autre de la Cour d’appel de Bruxelles (p. 739).

93      Les conditions requises en droit allemand pour bénéficier de la protection de la confiance légitime, en particulier celle relative à l’acte de confiance, ne sauraient, partant, être appliquées en l’espèce.

94      Quant à la jurisprudence citée par la requérante, elle ne permet pas davantage de déduire que seules pourraient être couvertes par la confiance légitime les opérations intervenues postérieurement à l’acquisition de cette confiance.

95      En effet, dans tous les arrêts cités et faisant application du principe de protection de la confiance légitime – l’arrêt du 18 mars 1975, Deuka (78/74, EU:C:1975:44, point 14), portait principalement sur le principe de sécurité juridique –, était en cause la situation particulière et distincte de celle concernée en l’espèce dans laquelle les avantages protégés par la confiance légitime avaient été octroyés par l’administration de l’Union, cet octroi constituant en même temps l’acte générateur de confiance (octroi du certificat d’exportation et fixation préalable du montant compensatoire dans l’arrêt du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, EU:C:1975:59 ; octroi de la prime de non-commercialisation dans les arrêts du 28 avril 1988, Mulder, 120/86, EU:C:1988:213 ; du 28 avril 1988, von Deetzen, 170/86, EU:C:1988:214, et du 10 janvier 1992, Kühn, C‑177/90, EU:C:1992:2). Cette coïncidence impliquait alors nécessairement que la confiance légitime ne couvrait que les avantages octroyés sur la base de l’acte générateur de confiance, sans qu’il puisse en être déduit que, notamment dans des hypothèses telles que celle de l’espèce où l’avantage est octroyé par les autorités nationales indépendamment de l’acte générateur de confiance émanant de la Commission, seuls de tels avantages pourraient être protégés.

96      En revanche, il ressort de l’arrêt du 5 juin 2001, ESF Elbe-Stahlwerke Feralpi/Commission (T‑6/99, EU:T:2001:145), cité par la Commission dans la duplique, que le Tribunal a admis, à tout le moins dans son principe, même si c’était dans des circonstances différentes de celles de l’espèce, que la confiance légitime pouvait bénéficier à des opérations effectuées antérieurement à l’acte générateur de ladite confiance. En effet, le Tribunal a considéré, au point 190 de cet arrêt, qu’une garantie octroyée par les autorités allemandes à la société requérante à la fin de l’année 1994 était couverte par la confiance légitime issue d’assurances précises données par la Commission le 13 janvier 1995. Même si le temps écoulé entre l’octroi de l’aide couverte par la confiance légitime et l’acte générateur de cette confiance est bref, il reste que le Tribunal a admis que la Commission pouvait donner des assurances précises de nature à créer des espérances fondées quant à la légalité d’une aide octroyée antérieurement. De même, contrairement à ce qu’a prétendu la requérante lors de l’audience, n’est pas déterminant le fait que la garantie en cause présentait des similitudes avec une autre garantie également couverte par la confiance légitime en raison d’assurances données le 1er mars 1993, dès lors que, selon la jurisprudence rappelée au point 78 ci-dessus, une décision positive de la Commission relative à une aide ne saurait fonder une confiance légitime des bénéficiaires de projets ultérieurs d’aides similaires dans leur compatibilité avec le marché intérieur.

97      En second lieu, il doit être souligné que la thèse défendue par la requérante confond la date d’acquisition de la confiance légitime, qui correspond à la date de prise de connaissance d’assurances précises (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 1997, de Compte/Parlement, C‑90/95 P, EU:C:1997:198, point 38), et l’objet sur lequel porte la confiance légitime acquise, qui peut s’étendre à des opérations effectuées avant cette date, selon les termes des assurances précises fournies.

98      Or, la confiance légitime porte le plus souvent, et notamment en l’espèce, sur le maintien d’une situation existante, laquelle est par définition née avant l’acte générateur d’une confiance dans son maintien. Dans ce cas, contrairement à ce que prétend la requérante, l’acte générateur de confiance légitime ne produit pas un effet rétroactif, en ce sens qu’il créerait une confiance légitime à compter des événements antérieurs en cause, mais il se borne à couvrir, à partir de la date de son intervention, des événements antérieurs à cette date et leurs effets futurs.

99      Si la thèse de la requérante était admise, le principe de protection de la confiance légitime ne pourrait être valablement invoqué pour s’opposer à la récupération d’aides illégales qui, par nature, sont accordées avant que la Commission, qui est la plus à même de fournir des assurances précises, inconditionnelles, concordantes et fiables, ait pu se prononcer, de quelque manière que ce soit, sur leur qualification d’aide d’État et leur compatibilité avec le marché intérieur. L’article 14 du règlement no 659/1999 serait ainsi privé d’effet utile.

100    Ainsi, la Commission a considéré à bon droit que la confiance légitime résultant de ses réponses de 2006 portait sur le maintien du régime litigieux entré en vigueur en 2002 et, partant, couvrait les prises de participations effectuées depuis cette date ainsi que les aides octroyées en vertu de ce régime au titre de ces prises de participations, et ce même si elles avaient été octroyées avant les réponses de 2006.

101    Cette appréciation n’est pas remise en cause par la circonstance que le régime litigieux n’a en l’espèce pas été notifié à la Commission et que les bénéficiaires de ce régime peuvent avoir une confiance légitime dans la régularité de son octroi uniquement dans des circonstances exceptionnelles (voir points 39 et 40 ci-dessus). En effet, s’il résulte de l’absence de circonstances exceptionnelles que le bénéficiaire d’une aide non notifiée ne peut avoir une confiance légitime dans sa légalité et son maintien, il résulte de l’existence de telles circonstances que, à compter de l’octroi d’assurances précises de nature à créer chez le bénéficiaire de l’aide des espérances fondées dans la légalité de l’aide, qui caractérisent ces circonstances exceptionnelles (voir points 47 et 48 ci-dessus), et à condition que les assurances données ne prévoient pas de limitation temporelle, ce bénéficiaire ne peut plus être considéré comme ayant légitimement pu avoir conscience pendant une certaine période de l’illégalité de l’aide en cause.

102    S’il en était autrement, cela reviendrait à faire abstraction de la précision et de la fiabilité des assurances données, s’agissant notamment de la portée temporelle desdites assurances, et ainsi à supprimer une des conditions de reconnaissance de la confiance légitime, contribuant pourtant dans le cas des aides non notifiées à ce que la confiance légitime dans la légalité de ces aides ne soit reconnue que dans des circonstances exceptionnelles (voir point 47 ci-dessus). En effet, si seules devaient être couvertes par la confiance légitime les opérations postérieures à l’acte générateur de confiance, quand bien même ce dernier aurait précisé couvrir des opérations antérieures, il s’ensuivrait une limitation de la portée de ces assurances en méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime.

103    L’analyse proposée par la requérante aurait également pour effet de contraindre les bénéficiaires d’une mesure fiscale, telle que l’avantage institué par le régime litigieux, à une diligence particulière allant au-delà des obligations à la charge d’un opérateur économique raisonnablement diligent et équivalant en substance à celle du débiteur de l’obligation de notification, alors que la qualification d’aide d’État d’une telle mesure ne saurait être présumée et que l’absence d’obligation de notification à la charge des bénéficiaires constitue précisément l’un des fondements de la possibilité de leur reconnaître le bénéfice d’une confiance légitime dans la légalité d’une aide non notifiée (voir points 42 et 43 ci-dessus).

104    Il convient d’ajouter que suivre la thèse défendue par la requérante conduirait par ailleurs, en l’espèce, à dénier la confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux pour les aides octroyées en vertu de ce régime au titre des prises de participations effectuées jusqu’en février 2006, puis à partir de novembre 2007. Outre la complexité du devoir de récupération ainsi confié aux autorités nationales s’agissant d’un régime d’aides de déduction fiscale s’appliquant sur une période de 20 ans, une telle approche conduirait surtout à subordonner le champ d’application de la confiance aux aléas de l’intervention des actes générateurs de confiance légitime et ainsi à créer une insécurité juridique dans l’application du principe de protection de la confiance légitime, qui est pourtant considéré par une jurisprudence constante comme le corollaire du principe de sécurité juridique (voir la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus).

105    En outre, même si cette donnée n’est pas déterminante (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, EU:T:2009:474, point 277), il peut être relevé que l’approche retenue dans la décision attaquée a également été adoptée dans d’autres décisions, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience, sans que cette approche ait jamais été remise en cause par le juge de l’Union.

106    Il s’ensuit que, en l’espèce et contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’a pas erronément considéré que la confiance légitime s’étendait aux aides octroyées en vertu du régime litigieux depuis l’entrée en vigueur de celui-ci en 2002.

–       Sur l’inclusion des aides relatives à des prises de participations postérieures au 5 février 2007

107    Il convient de rappeler que la Commission a estimé, aux considérants 164 et 167 de la décision attaquée, que la confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux dans la légalité de ce régime avait pris fin le 21 décembre 2007, date de la publication au Journal officiel de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard dudit régime, dès lors que, à compter de cette date, un agent économique diligent aurait dû tenir compte des doutes exprimés par la Commission à l’égard de la légalité du régime litigieux.

108    La requérante ne conteste pas que la confiance légitime est susceptible de prendre fin à la date de publication de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen d’une mesure d’aide, intervenue en l’espèce le 21 décembre 2007, ce qui est au demeurant confirmé par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 22 avril 2016, Irlande et Aughinish Alumina/Commission, T‑50/06 RENV II et T‑69/06 RENV II, EU:T:2016:227, points 221 et 224, et du 1er mars 2017, SNCM/Commission, T‑454/13, EU:T:2017:134, point 293 et jurisprudence citée). Elle soutient, en revanche, que la confiance légitime des bénéficiaires du régime litigieux a pris fin en l’espèce dès le 5 février 2007, date de la réponse de la Commission à une autre question parlementaire.

109    Le passage de cette réponse consacré au régime litigieux se lit comme suit :

« En l’espèce, la Commission ne s’est pas, à ce jour, prononcée sur la compatibilité, au regard des aides d’État, des dispositions fiscales espagnoles relatives à la déductibilité fiscale de la survaleur financière, lesquelles ne semblent pas être contraires aux dispositions de la quatrième directive comptable […] La Commission tient, en tout état de cause, à signaler qu’il ne saurait être préjugé de l’issue d’une quelconque procédure ultérieure de contrôle des éventuelles mesures d’aide auxquelles l’Honorable Parlementaire fait référence. À cet égard, la Commission rappelle qu’elle est susceptible, au titre de ses pouvoirs en matière de contrôle des aides d’État, d’exiger la récupération de toute mesure d’aide incompatible avec le marché intérieur et illégalement octroyée afin de faire perdre à son bénéficiaire l’avantage dont il a bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et, ce faisant, de rétablir la situation concurrentielle préexistante au versement de l’aide. » (In this case, the Commission has yet to give its opinion on the compatibility, from a state aid point of view, of the Spanish goodwill write-off provisions ; they do not, however, appear to be contrary to the Fourth Accounting Directive […] In any case, the Commission would point out that it is impossible to predict the outcome of any subsequent investigation of the possible aid measures referred to by the Honourable Member. In this regard, the Commission would reiterate that it may, by virtue of its state aid control powers, order the recovery of any incompatible or illegally granted aid so as to deprive the recipient of any advantage it may have enjoyed over its competitors, thereby restoring the pre-aid competitive market situation.)

110    Il convient de souligner, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 108 ci-dessus qu’un opérateur économique diligent ne peut plus entretenir une confiance légitime dans la légalité de l’octroi d’une aide à partir de la publication de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au motif que l’ouverture de la procédure formelle d’examen implique que la Commission nourrit des doutes sérieux quant à la légalité de la mesure nationale en cause au regard des règles du droit de l’Union interdisant les aides d’État. Il s’ensuit que, pour mettre un terme à une confiance légitime dûment créée, les propos tenus par la Commission dans sa réponse du 5 février 2007 auraient dû, à tout le moins, susciter des doutes sérieux quant à la légalité du régime litigieux.

111    Or, de tels doutes ne ressortent nullement de la réponse du 5 février 2007. En vertu de cette réponse en effet, sont hypothétiques tant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen du régime litigieux, qui aurait pu mettre en évidence des doutes sérieux quant à la légalité du régime litigieux, que, a fortiori, l’issue d’une telle procédure. La Commission fait certes référence en substance, dans sa réponse, à la demande de renseignements adressée aux autorités espagnoles le 15 janvier 2007 (voir point 4 ci-dessus), mais une telle demande relève en l’espèce de la seule phase préliminaire d’examen des aides d’État, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la mesure nationale concernée (voir arrêt du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 45 et jurisprudence citée) et qui n’aboutit pas nécessairement à l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission pouvant s’en tenir à la phase préliminaire pour prendre une décision favorable à une mesure nationale si elle est en mesure d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que cette mesure soit ne constitue pas une aide, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE (arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 186 et 187, et du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463, point 31). Il convient par ailleurs de relever que la Commission ne porte, dans cette réponse, aucune appréciation, même sommaire ou vague, sur le régime litigieux, se bornant à rappeler les pouvoirs dont elle dispose à l’égard d’aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur.

112    Il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre la délimitation temporelle de la confiance légitime retenue par la Commission dans la décision attaquée ne sauraient prospérer.

113    Il y a lieu par conséquent d’écarter le moyen unique soulevé par la requérante.

114    La requérante n’est, dès lors, pas fondée à demander l’annulation de la disposition attaquée, de sorte que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la Commission, le présent recours doit être rejeté (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

 Sur les dépens

115    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et des intervenantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      Deutsche Telekom AG est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Kowalik-Bańczyk

Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.