Language of document : ECLI:EU:T:2024:187

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

20 mars 2024 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Soutien au régime de Loukachenko – Soutien financier – Entreprise appartenant à l’État – Répression de la société civile – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑115/22,

Belshyna AAT, établie à Bobrouïsk (Biélorussie), représentée par Mes N. Tuominen et L. Engelen, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Boggio-Tomasaz et A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, L. Truchot, H. Kanninen (rapporteur), Mmes R. Frendo et T. Perišin, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 21 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par le présent recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Belshyna AAT, demande l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2021/2125 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2021/2124 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 1) (ci-après les « actes initiaux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41), et du règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20) (ci-après les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est une entreprise produisant des pneumatiques, établie à Bobrouïsk (Biélorussie).

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), dont l’intitulé a été remplacé, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 588/2011 du Conseil, du 20 juin 2011 (JO 2011, L 161, p. 1), par l’intitulé « Règlement (CE) no 765/2006 du Conseil du 18 mai 2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ».

5        Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

6        Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1), la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui, notamment, soutiennent le régime de Loukachenko.

7        Le 2 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes initiaux. Il ressort des considérants 4 de ceux-ci que, « [e]u égard à la gravité de la situation en Biélorussie, il convient d’inscrire dix-sept personnes et onze entités sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives ».

8        Par les actes initiaux, le nom de la requérante a été inséré à la ligne 26 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 figurant à l’annexe de ladite décision et à la ligne 26 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 765/2006 figurant à l’annexe I dudit règlement (ci‑après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).

9        Dans les actes initiaux, s’agissant de la requérante, le Conseil a inscrit les informations d’identification « [n]om : [s]ociété par actions ouverte ‘Belshina’ », « [a]dresse : 4, rue Minskoe Shosse, Bobruisk, 213824 Biélorussie », « [d]ate d’enregistrement : 10.1.1994 », « [n]uméro d’enregistrement : 700016217 » et « [s]ite internet : http ://www.belshinajsc.by/ », et a justifié l’adoption des mesures restrictives à son égard par la mention des motifs suivants :

« [La requérante] est l’une des principales entreprises publiques de Biélorussie et un grand fabricant de pneumatiques pour véhicules. En tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenk[o]. L’État biélorusse tire directement profit des revenus générés par [la requérante]. [La requérante] soutient donc le régime de Loukachenk[o].

Des employés de [la requérante] qui avaient manifesté et fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020 en Biélorussie ont été licenciés. [La requérante] est donc responsable de la répression de la société civile. »

10      Par lettre du 3 décembre 2021, le Conseil a informé la requérante que son nom était inscrit sur les listes litigieuses.

11      Par lettre du 30 décembre 2021, la requérante a demandé au Conseil l’accès aux informations et aux preuves étayant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses ainsi que le réexamen de cette inscription.

12      Par lettre du 14 janvier 2022, le Conseil a communiqué à la requérante les documents contenant les preuves utilisées pour décider de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et déclaré qu’il l’informerait ultérieurement de la suite donnée à la demande de réexamen.

13      Le 24 février 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/307 modifiant la décision 2012/642 (JO 2022, L 46, p. 97) et le règlement d’exécution (UE) 2022/300 mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement no 765/2006 (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après, les « actes du 24 février 2022 »), par lesquels il a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour des motifs en substance identiques à ceux retenus dans les actes initiaux.

14      Par lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a signifié à la requérante son intention de proroger les mesures restrictives à son égard en s’appuyant sur un document joint à ladite lettre.

15      Par lettre du 20 janvier 2023, la requérante a répondu que le document communiqué par le Conseil ne justifiait pas le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

16      Le 24 février 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien par lesquels il a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour des motifs identiques à ceux retenus dans les actes du 24 février 2022.

17      Par lettre du 27 février 2023, le Conseil a indiqué que les observations figurant dans la lettre du 20 janvier 2023 ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle il y avait lieu de maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

 Conclusions des parties

18      À la suite de l’adaptation de la requête sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux et de maintien, en tant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens ;

–        rejeter la demande subsidiaire du Conseil visant à ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/2125 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2124 prenne effet.

19      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les mesures restrictives adoptées contre la requérante, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/2125 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2124 prenne effet.

 En droit

20      Il convient d’examiner, en premier lieu, la demande d’annulation partielle des actes initiaux et, en second lieu, la demande d’annulation partielle des actes de maintien.

 Sur la demande d’annulation partielle des actes initiaux

21      À l’appui de la demande d’annulation des actes initiaux en ce qu’ils la concernent, la requérante invoque formellement deux moyens pris, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil et, le second, de ce que les actes initiaux « comportent un type illégal de sanction faute pour le Conseil d’avoir satisfait au niveau de preuve requis ».

22      À titre liminaire, premièrement, il convient d’observer que les deux moyens formellement soulevés par la requérante se recoupent dans une large mesure en ce qu’ils sont tous deux tirés, en substance, d’une erreur dans l’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642. À l’audience, la requérante a d’ailleurs précisé que le second moyen complétait le premier.

23      Dans ces conditions, le Tribunal considère que les deux moyens soulevés par la requérante forment, en substance, un moyen unique.

24      Deuxièmement, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

25      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

26      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

27      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 12 février 2020, Kanyama/Conseil, T‑167/18, non publié, EU:T:2020:49, point 93 et jurisprudence citée).

28      C’est en application de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner le bien-fondé des appréciations figurant dans les motifs des actes initiaux exposés au point 9 ci-dessus selon lesquelles, premièrement, la requérante soutient le régime de Loukachenko et, deuxièmement, la requérante est responsable de la répression de la société civile.

 Sur l’appréciation selon laquelle la requérante soutient le régime de Loukachenko

29      La requérante, qui reconnaît être l’un des grands fabricants de pneumatiques en Biélorussie et être intégralement détenue par l’État biélorusse, fait valoir, notamment, que le Conseil a commis une erreur en considérant qu’elle était une source de revenus pour le régime de Loukachenko. Selon elle, son activité a été déficitaire durant les années précédant l’adoption des actes initiaux.

30      Le Conseil rétorque que les éléments produits devant le Tribunal démontrent que les faits invoqués au soutien de l’appréciation selon laquelle la requérante soutient le régime de Loukachenko sont établis.

31      À cet égard, il convient d’observer qu’il résulte de la motivation de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses que, en tant qu’elle est l’une des principales entreprises publiques de Biélorussie, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, et que l’État biélorusse tire directement profit des revenus qu’elle génère. Selon les déclarations du Conseil à l’audience, lors de l’adoption des actes initiaux, la considération selon laquelle la requérante constituait une telle source de revenus a été jugée déterminante pour retenir qu’elle soutenait le régime de Loukachenko au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

32      Au soutien de ses allégations, en premier lieu, le Conseil produit un extrait des états financiers consolidés de la requérante pour l’année 2020 ainsi qu’un article publié sur le site Internet « belta.by » le 28 octobre 2021 qui figuraient au dossier dont il disposait lors de l’adoption des actes initiaux.

33      À cet égard, premièrement, il y a lieu d’observer que, certes, il ressort de l’extrait des états financiers consolidés de la requérante pour l’année 2020, dont se prévaut le Conseil, que celle-ci a réalisé un « bénéfice brut » de 67 478 000 roubles biélorusses (BYN) (environ 28 815 000 euros) durant l’exercice 2019 et de 79 149 000 BYN (environ 28 514 000 euros) durant l’exercice 2020.

34      Toutefois, à la lumière de la version complète des états financiers consolidés de la requérante pour l’année 2020, produite en annexe de la requête, il apparaît que le Conseil fait une lecture partielle de ce document. En effet, comme il ressort des lignes comptables subséquentes à celles sur lesquelles s’est appuyé le Conseil, le « bénéfice brut » invoqué par celui-ci résulte de la différence entre les « revenus » et le « coût des ventes » et il est calculé avant l’intégration d’autres produits et charges. En outre, les mêmes états financiers rapportent que la requérante a enregistré une « perte nette » de 71 088 000 BYN (environ 30 356 000 euros) durant l’exercice 2019 et de 216 290 000 BYN (environ 77 920 000 euros) durant l’exercice 2020.

35      Ainsi, le document comptable sur lequel s’est fondé le Conseil, considéré dans son intégralité, démontre plutôt que l’activité de la requérante était déficitaire durant la période antérieure à l’adoption des actes initiaux.

36      Deuxièmement, contrairement à ce que soutient le Conseil, les allégations de la requérante relatives à sa situation déficitaire ne sont pas contredites par les déclarations du directeur général de celle-ci, retranscrites dans l’article publié sur le site Internet « belta.by » mentionné au point 32 ci-dessus, selon lesquelles « le travail accompli par l’entreprise démontre qu’elle peut réaliser des bénéfices », « [n]otre activité est équilibrée » et « [n]ous dégageons des bénéfices sur les ventes ».

37      En effet, ainsi que le relève la requérante, de telles déclarations peuvent être comprises comme confirmant l’existence de tendances positives dans son activité, indépendamment de la rentabilité effective de celle-ci.

38      Cette interprétation est corroborée par le fait que, dans l’article publié sur le site Internet « belta.by », les déclarations du directeur général de la requérante font suite à celles du Premier ministre biélorusse selon lesquelles :

« [a]ujourd’hui nous avons discuté de la question de la transformation de l’entreprise, de son redressement financier. Car les projets mis en œuvre [par la requérante] en ce moment sont plutôt coûteux. La situation du marché n’est pas très bonne et ne nous permettra pas de rentabiliser rapidement les investissements réalisés. Il en résulte une charge financière pour l’entreprise. La chose la plus importante à l’heure actuelle est de s’assurer que ces projets permettent de rentabiliser les investissements. L’entreprise y travaille. Nous avons discuté de la façon dont nous pouvons accélérer les choses. Il y aura certainement un retour sur les investissements réalisés. Les lacunes qui sont apparues au cours de la planification de ces projets sont en train d’être comblées. »

39      En effet, une telle description de la situation de la requérante, faisant état de difficultés financières, tend à accréditer la thèse selon laquelle celle-ci ne réalisait pas de bénéfices durant la période antérieure à l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

40      Troisièmement, dans la duplique, le Conseil « note que la requérante a subi des pertes » durant la période précédant l’adoption des actes initiaux. Toutefois, il soutient que le bénéfice brut que la requérante a dégagé a été utilisé pour rembourser des dettes contractées auprès de l’État biélorusse ou de banques publiques biélorusses et les intérêts qui y étaient afférents.

41      Au soutien de cette thèse, d’une part, le Conseil évoque les « documents financiers en question » dans ses écritures, sans autre précision.

42      Or, à supposer que, ce faisant, le Conseil vise les lignes comptables des états financiers consolidés de la requérante pour l’année 2020 déjà examinées aux points 33 et 34 ci-dessus, il n’en ressort pas que ce sont des charges découlant des emprunts auprès d’entités publiques biélorusses qui expliquent les « perte[s] nette[s] » de la requérante, nonobstant la réalisation de « bénéfice[s] brut[s] » durant les exercices 2019 et 2020. En effet, il est fait tout au plus état, parmi diverses charges, de « charges financières » dont la nature exacte n’est pas précisée. À l’audience, la requérante s’est bornée à indiquer que ces dernières comprenaient notamment des intérêts sur les dettes contractées par la requérante auprès de banques commerciales ou d’entités publiques, sans toutefois déclarer qu’ils étaient la cause des pertes nettes enregistrées.

43      D’autre part, l’article publié sur le site Internet « Belarusian Telegraph Agency » le 4 août 2021, produit en annexe de la duplique, n’étaye pas les allégations du Conseil.

44      En effet, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de cette preuve, les déclarations du Premier ministre biélorusse qui y figurent indiquent seulement que « [l]es dettes de [la requérante] sont relativement importantes, à l’égard […] du budget de l’État », tout en évoquant la « restructuration partielle des dettes » et la « possibilité de conditions plus confortables pour le remboursement des dettes », ce qui tend à faire douter de la capacité de la requérante à honorer ses obligations. Ainsi, lesdites déclarations ne font pas état du remboursement des dettes de la requérante grâce à la hausse des bénéfices qu’elle aurait dégagés.

45      Par ailleurs, pour autant que le Conseil fait valoir, lors de l’audience, que le paiement par la requérante des intérêts afférents aux emprunts contractés auprès d’entités publiques biélorusses constitue une source de revenus pour le régime de Loukachenko, il suffit de constater qu’il ne vise ni ne fournit aucune information ou aucun indice permettant de déterminer le montant ou les bénéficiaires desdits intérêts. Partant, le Conseil ne peut prétendre, par une telle argumentation, établir à suffisance de droit que la requérante génère des revenus « importants » dont l’État biélorusse tire « directement » profit.

46      En second lieu, lors de l’audience, le Conseil a soutenu que la réponse de la requérante à une question posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure (ci-après la « réponse de la requérante ») reflétait l’existence de divers transferts de ressources de la requérante au profit de l’État biélorusse et, partant, démontrait que la requérante était une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, nonobstant les pertes enregistrées en comptabilité.

47      À cet égard, premièrement, il ressort de la réponse de la requérante qu’elle n’a versé aucun dividende à son actionnaire durant la période allant de l’année 2018 à l’année 2021. Interrogé sur ce point à l’audience, le Conseil ne l’a pas contesté.

48      En outre, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience relative à la période pertinente pour l’examen, le Conseil a déclaré s’être appuyé, lors de l’adoption des actes initiaux, sur les revenus dégagés par la requérante en 2019 et en 2020 et ne pas pouvoir se prévaloir de dividendes versés antérieurement à l’année 2018 pour justifier l’inscription initiale du nom de la requérante sur les listes litigieuses survenue le 2 décembre 2021.

49      Il s’ensuit que le Conseil n’identifie pas de revenus sous forme de dividendes versés par la requérante à l’État biélorusse qui seraient susceptibles de justifier l’adoption de mesures restrictives à l’égard de la requérante dans les actes initiaux.

50      Deuxièmement, s’agissant des impôts et autres prélèvements obligatoires dont les paiements figurent dans la réponse de la requérante, il convient de rappeler que le Tribunal a jugé, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), que, dans les affaires portant sur des mesures restrictives prises à l’encontre de la Biélorussie, le Conseil ne saurait inférer du paiement des impôts un soutien au régime de Loukachenko, dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses.

51      Sans qu’il soit besoin de statuer sur la question de savoir si, ainsi que le soutient le Conseil, il convient de déroger à cette jurisprudence en l’espèce, au motif que la requérante ne peut être considérée comme un contribuable ordinaire, dès lors qu’elle est une entreprise appartenant à l’État biélorusse, il convient d’observer ce qui suit.

52      Il ressort de la réponse de la requérante que, durant la période allant de l’année 2019 à l’année 2020, considérée comme pertinente par le Conseil (voir point 48 ci-dessus), tout d’abord, celle-ci a versé, la première année, une somme équivalente à 485 000 euros et reçu, la seconde année, un remboursement d’impôt équivalent à 451 000 euros au titre de l’impôt sur le revenu. Or, il ne peut raisonnablement être considéré que la perception de la somme équivalente à 34 000 euros, résultant de la différence entre les deux montants susmentionnés, constitue une source « importante » de revenus pour l’État biélorusse.

53      Ensuite, en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, les montants remboursés à la requérante par l’État biélorusse excédent ceux qu’elle a versés à ce dernier. En effet, la requérante a déclaré avoir, en 2019, versé une somme équivalente à 22 081 000 euros et perçu un remboursement d’impôt d’un montant équivalent à 22 493 000 euros et, en 2020, versé une somme équivalente à 13 768 000 euros et perçu un remboursement d’impôt d’un montant équivalent à 14 147 000 euros. Ainsi, les paiements effectués par la requérante au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent être considérés comme une source de revenus pour l’État biélorusse.

54      Enfin, s’agissant des autres impôts ou prélèvements obligatoires apparaissant dans la réponse de la requérante, les règles relatives à leur affectation et, plus généralement, leurs régimes juridiques ne sont aucunement précisés, tandis que le Conseil reste en défaut d’apporter le moindre élément à cet égard. Ainsi, le Tribunal ne peut ni constater que les sommes versées par la requérante au titre de ces impôts ou prélèvements obligatoires sont à la disposition du régime de Loukachenko, ni apprécier si les conditions d’application de la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus sont ou non réunies.

55      Il ressort de ce qui précède que le Conseil n’a pas apporté de preuves ou, à tout le moins, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer le motif selon lequel la requérante dégage des revenus importants dont l’État biélorusse tire directement profit.

56      Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments du Conseil tirés, dans la duplique, de divergences entre les informations qui figurent dans les états financiers consolidés de la requérante pour l’année 2020 et dans le bilan financier de celle-ci pour l’année 2021 annexé à la réplique puis, lors de l’audience, de doutes au sujet de la réponse de la requérante en ce qu’elle indique qu’aucun impôt sur le revenu n’a été payé en 2020 nonobstant la réalisation d’un « bénéfice brut ».

57      En effet, il y a lieu de rappeler que, en vertu de la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, c’est au Conseil qu’il appartient d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la requérante, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.

58      En l’espèce, les seuls éléments précis et chiffrés produits devant le Tribunal, y compris par le Conseil, au sujet de la situation financière de la requérante et des ressources transférées par cette dernière à l’État biélorusse sont ceux qui ressortent des documents comptables de la requérante, tels que les états financiers pour l’année 2020, le bilan financier pour l’année 2021 ou la réponse de la requérante. Partant, considérer, comme le soutient le Conseil, ces documents comme non probants, en raison de certaines divergences entre eux, ne pourrait que conforter le constat que le Conseil ne rapporte pas la preuve qui lui incombe s’agissant de l’existence de revenus importants dégagés par la requérante dont l’État biélorusse tirerait directement profit.

59      C’est également en vain que le Conseil se prévaut de la circonstance selon laquelle la requérante est l’une des « principales » entreprises appartenant à l’État biélorusse pour soutenir que, dans un pays comme la Biélorussie, des activités économiques de l’ampleur de celles de la requérante ne sont pas possibles sans l’aval du régime du président Loukachenko, ou du fait que la requérante aurait bénéficié d’un appui de l’État biélorusse sous forme de prêts, d’un rachat de dettes et d’une résolution imposant que tous les marchés publics d’achats de pneumatiques lui soient attribués en Biélorussie.

60      À cet égard, il importe de rappeler que la légalité des actes initiaux ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, point 55).

61      En l’espèce, les motifs des actes initiaux, en leur premier paragraphe, sont fondés uniquement sur le critère du « soutien » au régime de Loukachenko, lequel, comme il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, est un critère d’inscription sur les listes distinct du critère du « profit » tiré de ce régime (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2017, BelTechExport/Conseil, T‑765/15, non publié, EU:T:2017:669, point 92), et ne font aucune référence à un quelconque aval ou appui, de nature financière ou autre, accordé par l’État biélorusse à la requérante. Partant, les allégations du Conseil à cet égard doivent être rejetées comme inopérantes.

62      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le Conseil n’a pas prouvé à suffisance de droit que, en tant qu’elle est l’une des principales entreprises publiques de Biélorussie, la requérante représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko et que l’État biélorusse tire directement profit des revenus qu’elle génère.

63      C’est donc à juste titre que la requérante fait valoir que le motif selon lequel elle soutient le régime de Loukachenko est entaché d’une erreur d’appréciation.

 Sur l’appréciation selon laquelle la requérante est responsable de la répression de la société civile

64      La requérante fait valoir que le Conseil n’a pas apporté la preuve qu’elle a licencié des employés ayant manifesté et fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020 en Biélorussie.

65      Le Conseil soutient avoir établi à suffisance de droit les éléments factuels sous-tendant l’appréciation selon laquelle la requérante est responsable de la répression de la société civile.

66      Il y a lieu de relever que, au soutien de ses allégations, le Conseil s’appuie sur deux articles de presse publiés sur le site Internet de « Radio Free Europe/Radio Liberty » les 21 et 26 août 2020 ainsi que sur un article de presse publié sur le site Internet « intex-press.by » le 26 août 2020.

67      À cet égard, il doit être rappelé que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)].

68      En outre, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union adoptant des mesures restrictives doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Selon une jurisprudence bien établie, des articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils émanent de plusieurs sources différentes et qu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêt du 11 septembre 2019, Topor-Gilka et WO Technopromexport/Conseil, T‑721/17 et T‑722/17, non publié, EU:T:2019:579, point 137 et jurisprudence citée).

69      En l’espèce, il convient d’observer, tout d’abord, qu’il ressort des trois articles de presse visés au point 66 ci-dessus, en substance, que des employés de la requérante ont initié un mouvement de grève à compter du 11 août 2020 au soutien de revendications politiques, notamment la démission du président Loukachenko ainsi que la tenue d’élections libres, qui n’a pas pu aboutir en raison des pressions exercées sur les grévistes par la requérante ayant notamment pris la forme de licenciements. En particulier, selon ces mêmes articles, les contrats de travail de deux salariés, A et B, ont été rompus, ces derniers ayant été contraints de démissionner, tandis qu’un troisième salarié, C, a été licencié pour absence injustifiée alors qu’il avait essayé de déposer régulièrement un congé afin de se rendre à une réunion syndicale.

70      Ensuite, les articles de presse visés au point 66 ci-dessus sont contemporains des faits rapportés et reposent sur des allégations précises et concrètes s’agissant du déroulement des évènements pertinents, de leur temporalité et de l’identité des personnes impliquées.

71      Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, les articles de presse visés au point 66 ci-dessus présentent les faits en cause dans les mêmes termes et de façon logique au vu du laps de temps qui s’est écoulé entre la publication du premier et du dernier desdits articles.

72      Cependant, d’une part, c’est à juste titre que la requérante relève que deux des trois articles de presse visés au point 66 ci-dessus ont été publiés par le même organe de presse et que lesdits articles se fondent tous trois, à titre principal, sur le témoignage d’une seule et même personne, à savoir C, prétendument licencié par la requérante pour absence injustifiée. En outre, bien que l’article publié sur le site Internet de « Radio Free Europe/Radio Liberty » le 21 août 2020 ainsi que l’article publié sur le site Internet « intex-press.by » fassent également état d’entretiens avec d’autres personnes que la requérante employait à l’époque des faits en cause, ou de déclarations de membres de la direction de celle-ci, ces autres sources sont accessoires.

73      Il s’ensuit que les articles de presse visés au point 66 ci-dessus ne peuvent être regardés comme émanant de plusieurs sources différentes, au sens de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus. Par conséquent, ils constituent un simple commencement de preuve des faits qui sont reprochés à la requérante.

74      D’autre part, la requérante se prévaut des actes de licenciement de A, B et C dont la situation est spécifiquement évoquée dans les articles de presse visés au point 66 ci-dessus.

75      Ainsi que le soutient la requérante, selon les actes de licenciement, il a été mis fin aux contrats de travail de A, B et C pour des motifs sans rapport avec la participation des intéressés à un mouvement de grève. En effet, il en ressort que les deux premiers salariés ont été licenciés au motif d’absences injustifiées pendant leurs horaires de travail à compter du 20 août 2020, tandis que le troisième salarié a été licencié pour des absences injustifiées pendant ses horaires de travail les 20 et 22 août 2020. Ces actes sont accompagnés de trois lettres dans lesquelles, en substance, A et B reconnaissent les absences qui leur sont reprochées et C admet avoir été absent le 20 août 2020.

76      Certes, comme le relève le Conseil, au vu du contexte de répression de la société civile par le régime de Loukachenko à la suite des élections présidentielles d’août 2020 en Biélorussie dans lequel s’inscrivent les faits en cause, ainsi que de la qualité d’entreprise appartenant à l’État de la requérante, il ne saurait être exclu que les actes de licenciement produits par cette dernière, en ce qu’ils concernent des absences survenues certains jours du mois d’août 2020, aient un rapport avec la participation des salariés visés à une action collective de nature politique.

77      Il n’en reste pas moins que, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 25 ci-dessus, c’est sur le Conseil que pèse la charge de la preuve du bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la requérante.

78      Or, en l’espèce, le Conseil ne fournit pas le moindre élément probant susceptible de corroborer le contenu des articles de presse visés au point 66 ci-dessus dont il se prévaut et de contredire les informations qui ressortent des actes de licenciement produits par la requérante.

79      En effet, les autres preuves, sans préjudice de la recevabilité de celles d’entre elles qui sont produites au stade de la duplique, sont invoquées par le Conseil uniquement pour décrire le contexte de répression des mouvements de grève en Biélorussie à la suite de l’élection présidentielle d’août 2020 ou pour contester les allégations de la requérante au sujet de la protection dont bénéficient les travailleurs devant les juridictions biélorusses, et ne rapportent aucun agissement précis imputable à la requérante.

80      Il ressort de ce qui précède que le Conseil n’a pas apporté de preuves ou, à tout le moins, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer le motif selon lequel la requérante a licencié des employés ayant manifesté et fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020 en Biélorussie.

81      Par conséquent, c’est à juste titre que la requérante fait valoir que le motif selon lequel elle est responsable de la répression de la société civile est entaché d’une erreur d’appréciation.

82      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le moyen unique et d’annuler, par conséquent, les actes initiaux, en ce qu’ils concernent la requérante.

83      Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 19, troisième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2021/2125 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2021/2125 n’a produit d’effets que jusqu’au 28 février 2022, en vertu des modifications apportées à l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2012/642 par la décision (PESC) 2021/353 du Conseil, du 25 février 2021 (JO 2021, L 68, p. 189). Par conséquent, l’annulation de la décision 2021/2125 par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 98 et jurisprudence citée).

 Sur la demande d’annulation partielle des actes de maintien

84      Par un mémoire en adaptation, la requérante demande l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent.

85      Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soutient que la demande d’annulation partielle des actes de maintien est recevable et qu’elle doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

86      Considérant que l’examen de la recevabilité des recours était d’ordre public et qu’il convient donc, en cas d’adaptation de la requête, de vérifier si les conditions posées à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure sont satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil, T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966, points 139 à 145 et jurisprudence citée), le Tribunal a interrogé les parties à cet égard lors de l’audience.

87      En réponse aux questions du Tribunal, tant la requérante que le Conseil ont soutenu que le fait que la requérante n’avait pas, dans le cadre de la présente affaire, adapté ses conclusions pour demander l’annulation des actes du 24 février 2022, en tant que ces actes la concernaient, ne devait pas avoir d’incidence sur la recevabilité de l’adaptation de la requête pour demander également l’annulation partielle des actes de maintien.

88      Au soutien de leur thèse, les parties font valoir que les enseignements résultant des points 141 et 142 de l’arrêt du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil (T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966), et des points 90 et 96 de l’arrêt du 24 novembre 2021, LTTE/Conseil (T‑160/19, non publié, EU:T:2021:817), ne peuvent être transposés au cas d’espèce. Elles affirment que les affaires ayant donné lieu à ces arrêts concernaient les mesures restrictives prises par l’Union en vertu de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), dans le cadre de laquelle les actes juridiques dressant la liste des personnes et entités concernées par les mesures restrictives sont abrogés et remplacés par de nouveaux actes lors du réexamen périodique auquel procède le Conseil, alors que, dans le cadre des mesures restrictives concernant la Biélorussie, le réexamen périodique des listes litigieuses prend la forme d’actes juridiques modifiant la période d’application ou les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006. Le Conseil a également soutenu que considérer comme recevable la demande d’annulation des actes de maintien était conforme à l’objectif d’économie de la procédure.

89      Il convient de rappeler que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

90      En l’espèce, il convient d’observer, premièrement, que tant les actes initiaux que les actes de maintien, en tant qu’ils concernent la requérante, ont pour objet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives individuelles consistant en un gel de tous ses fonds et ressources économiques, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et de l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006.

91      Deuxièmement, comme l’ont relevé à juste titre les parties, dans le cadre du régime instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie, les mesures restrictives individuelles prennent la forme d’une inscription du nom des personnes, des entités ou des organismes ciblés sur les listes litigieuses qui figurent dans les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006.

92      Dans ce contexte, les actes initiaux ont modifié les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006 pour inscrire, notamment, le nom de la requérante sur les listes litigieuses. Quant aux actes de maintien, il y a lieu de constater, d’une part, que la décision 2023/421 a prorogé jusqu’au 28 février 2024 l’applicabilité de la décision 2012/642, dont l’annexe I, telle que modifiée par la décision d’exécution 2021/2125, mentionne le nom de la requérante et, d’autre part, que le règlement d’exécution no 2023/419 a modifié l’annexe I du règlement no 765/2006, tout en maintenant, à tout le moins implicitement, l’inscription du nom de la requérante sur ladite annexe. Partant, les actes de maintien doivent être vus comme ayant modifié les actes initiaux au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.

93      Il s’ensuit que, conformément à l’objectif d’économie de la procédure qui sous-tend l’article 86 du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Almaz-Antey/Conseil, T‑515/15, non publié, EU:T:2018:545, points 43 et 44), la requérante ayant demandé l’annulation des actes initiaux dans la requête était en droit, dans le cadre de la présente procédure, d’adapter la requête afin de demander, également, l’annulation des actes de maintien, et ce quand bien même elle n’avait pas auparavant adapté la requête pour demander l’annulation des actes du 24 février 2022.

94      Il y a donc lieu de considérer que la demande d’adaptation de la requête est recevable.

 Sur le fond

95      Il convient d’observer que, en tant qu’ils concernent la requérante, les motifs des actes de maintien sont, en substance, identiques aux motifs des actes initiaux. En outre, au soutien de la demande en annulation partielle des actes de maintien, la requérante, dans le mémoire en adaptation, réitère le moyen unique invoqué, en substance, dans la requête et dans la réplique. Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil réitère les mêmes arguments que ceux avancés dans le mémoire en défense et dans la duplique tout en se prévalant de nouvelles preuves qu’il a versées au dossier lors de l’adoption des actes de maintien.

96      Ces nouvelles preuves consistent en quatre documents, à savoir :

–        un article publié sur le site Internet « auto.onliner.by » le 29 août 2022 dont il ressort que le vice-Premier ministre biélorusse a déclaré que la requérante pourrait renforcer sa position sur le marché russe dont certains opérateurs concurrents sont sortis ;

–        un article publié sur le site Internet officiel du comité exécutif de la ville de Bobrouïsk le 13 janvier 2022 faisant état d’une rencontre qui s’est tenue dans les locaux de la requérante au sujet d’un projet d’amendements de la constitution de la République de Biélorussie, à laquelle ont pris part un parlementaire, un magistrat et un fonctionnaire biélorusses ;

–        un article publié sur le site Internet « gp.by » le 17 juin 2022 selon lequel le président Loukachenko a évoqué, à Bobrouïsk, en présence de salariés de la requérante, la position de la Biélorussie à l’égard du conflit en Ukraine ;

–        un article publié sur le site Internet officiel du président de la République de Biélorussie le 17 juin 2022 évoquant la visite du président Loukachenko dans les locaux de la requérante à l’occasion d’un déplacement à Bobrouïsk.

97      Toutefois, aucun des documents visés au point 96 ci-dessus n’est susceptible d’étayer les allégations du Conseil s’agissant des revenus importants dégagés par la requérante dont l’État biélorusse tire directement profit ou du renvoi des employés de cette dernière ayant manifesté et fait grève.

98      Partant, il convient de constater que, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 29 à 81 ci-dessus, le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant, dans les actes de maintien, que la requérante soutient le régime de Loukachenko et qu’elle est responsable de la répression de la société civile.

99      Il s’ensuit que la demande d’annulation des actes de maintien en ce qu’ils concernent la requérante doit être accueillie.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution (PESC) 2021/2125 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie, le règlement d’exécution (UE) 2021/2124 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie, la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine, sont annulés en tant qu’ils concernent Belshyna AAT.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Papasavvas

Truchot

Kanninen

Frendo

 

      Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.