Language of document : ECLI:EU:T:2023:386

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

12 juillet 2023 (*) (1)

« Indication géographique protégée – Appellation d’origine protégée – Demandes d’indications géographiques protégées “Jambon sec de l’Île de Beauté”, “Lonzo de l’Île de Beauté” et “Coppa de l’Île de Beauté” – Appellations d’origine protégées antérieures “Jambon sec de Corse – Prisuttu”, “Lonzo de Corse – Lonzu” et “Coppa de Corse – Coppa di Corsica” – Éligibilité des dénominations – Évocation – Article 7, paragraphe 1, sous a), et article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) no 1151/2012 – Étendue du contrôle par la Commission des demandes d’enregistrement – Article 50, paragraphe 1, et article 52, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑34/22,

Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses, établi à Borgo (France), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (2), représentés par Mes T. de Haan et V. Le Meur-Baudry, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. M. Konstantinidis, Mme C. Perrin et M. B. Rechena, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen, J. Schwarcz, Mme V. Tomljenović et M. R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, demandent l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2021/1879 de la Commission, du 26 octobre 2021, portant rejet de trois demandes de protection de dénomination en tant qu’indication géographique conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil [« Jambon sec de l’Île de Beauté » (IGP), « Lonzo de l’Île de Beauté » (IGP), « Coppa de l’Île de Beauté » (IGP)] (JO 2021, L 383, p. 1, ci‑après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le premier requérant, Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses (ci‑après le « Consortium »), est une association ayant notamment pour objet de veiller à la défense de ses intérêts matériels et moraux, ainsi que de ceux de ses membres, en particulier dans l’obtention, la défense et la gestion des indications géographiques protégées pour les produits de charcuterie de Corse (France).

3        Les autres requérantes sont des entreprises exploitant des ateliers de transformation de viande porcine et de fabrication de produits de charcuterie membres du Consortium.

4        Les dénominations « Jambon sec de Corse »/« Jambon sec de Corse – Prisuttu », « Lonzo de Corse »/« Lonzo de Corse – Lonzu » et « Coppa de Corse »/« Coppa de Corse – Coppa di Corsica » ont fait l’objet d’un enregistrement en tant qu’appellations d’origine protégées (AOP) le 28 mai 2014, respectivement par les règlements d’exécution (UE) no 581/2014 de la Commission (JO 2014, L 160, p. 23), (UE) no 580/2014 de la Commission (JO 2014, L 160, p. 21) et (UE) no 582/2014 de la Commission (JO 2014, L 160, p. 25) (ci‑après les « règlements ayant enregistré les AOP en cause »).

5        Au mois de décembre 2015, le Consortium a déposé sept demandes d’enregistrement en tant qu’indications géographiques protégées (IGP) auprès des autorités nationales françaises, en application du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1). Les sept demandes portent sur les dénominations suivantes, qu’exploitent les requérants : « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté », « Saucisson sec de l’Île de Beauté », « Pancetta de l’Île de Beauté », « Figatelli de l’Île de Beauté » et « Bulagna de l’Île de Beauté ».

6        Le 20 avril 2018, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministre de l’Économie et des Finances ont pris sept arrêtés procédant à l’homologation des sept cahiers des charges correspondants en vue de leur transmission à la Commission européenne pour approbation.

7        Parallèlement, par requêtes introduites le 27 juin 2018 devant le Conseil d’État (France), le syndicat détenteur des cahiers des charges des AOP « Jambon sec de Corse – Prisuttu », « Coppa de Corse – Coppa di Corsica » et « Lonzo de Corse – Lonzu » a demandé l’annulation des arrêtés du 20 avril 2018 concernant l’homologation des cahiers des charges des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté » en vue de la transmission de leurs demandes d’enregistrement en tant qu’IGP à la Commission, au motif notamment que le terme « Île de Beauté » imitait ou évoquait le terme « Corse » et introduisait donc une confusion avec les dénominations déjà enregistrées en tant qu’AOP.

8        Le 17 août 2018, les sept demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations en cause ont été transmises à la Commission. En ce qui concerne les demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté », la Commission a envoyé deux lettres, le 12 février 2019 et le 24 novembre 2020, aux autorités nationales demandant des éclaircissements, notamment en ce qui concernait la question de leur éventuelle inéligibilité à l’enregistrement. Les autorités nationales ont répondu, en substance, qu’elles considéraient que les deux groupes de produits (c’est-à-dire les AOP enregistrées et les demandes de protection en tant qu’IGP) étaient clairement différents en ce qui concerne les produits et que les dénominations leur paraissaient suffisamment distinctes.

9        Par un arrêt du 19 décembre 2019, relatif à la dénomination « Jambon sec de l’Île de Beauté » (IGP), et deux arrêts du 13 février 2020, relatifs respectivement aux dénominations « Coppa de l’Île de Beauté » (IGP) et « Lonzo de l’Île de Beauté » (IGP), le Conseil d’État a rejeté les trois requêtes précitées (voir point 7 ci-dessus), au motif, notamment, que « l’emploi de termes différents et la différence des protections conférées par une appellation d’origine, d’une part, et par une indication géographique, d’autre part, sont de nature à écarter le risque que des consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés aient, en présence de l’indication géographique contestée, directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation d’origine protégée déjà enregistrée [ ; p]ar suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions […] de l’article 13, paragraphe 1, sous b) du règlement [no 1151/2012] » (point 5 des trois arrêts du Conseil d’État).

10      Par la décision attaquée, la Commission a rejeté les trois demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté » au motif que, ces dénominations ayant été utilisées en contrevenant à l’article 13 du règlement no 1151/2012, lesdites demandes ne respectaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.

 Conclusions des parties

11      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

13      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 7 du règlement no 1151/2012, relatif au « [c]ahier des charges du produit », prévoit, en son paragraphe 1, qu’« [u]ne appellation d’origine protégée ou une indication géographique protégée respecte un cahier des charges qui comporte au moins les éléments suivants :

a)      la dénomination devant être protégée en tant qu’appellation d’origine ou indication géographique telle qu’elle est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun, et uniquement dans les langues qui sont ou étaient historiquement utilisées pour décrire le produit spécifique dans l’aire géographique délimitée […] ».

14      L’article 13 du règlement no 1151/2012, relatif à la « [p]rotection », prévoit, en son paragraphe 1, que « [l]es dénominations enregistrées sont protégées contre : […]

b)      toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients […] ».

15      En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a, en substance, relevé qu’une dénomination qui irait à l’encontre de la protection octroyée par le règlement no 1151/2012 ne saurait être utilisée dans le commerce au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous a), dudit règlement et, partant, ne pourrait pas être enregistrée (considérant 4). Or, depuis le 28 mai 2014 (voir point 4 ci‑dessus), les dénominations enregistrées en tant qu’AOP bénéficieraient, en vertu de l’article 13 du règlement no 1151/2012, d’une protection à l’encontre, entre autres, de toute utilisation directe ou indirecte de ces dénominations à l’égard de produits non conformes au cahier des charges qui s’y rapportent ainsi qu’à l’égard de toute usurpation, imitation ou évocation desdites dénominations (considérant 7). Une période transitoire expirant le 27 avril 2017 aurait néanmoins été octroyée, par le biais des règlements ayant enregistré les AOP en cause, à certaines entreprises françaises sises en Corse, utilisant de telles dénominations, mais à l’égard de produits présentant des caractéristiques distinctes de celles prévues dans le cahier des charges, afin de leur permettre de s’adapter aux exigences du cahier des charges, ou, à défaut, de procéder à une modification de la dénomination de vente utilisée (considérant 8). Les dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté », utilisées dans le commerce depuis 2015, se référeraient à la même aire géographique que les AOP précitées, à savoir l’île de Corse, et il serait de surcroît de notoriété publique que la dénomination « Île de Beauté » constitue une périphrase coutumière désignant, univoquement, la Corse aux yeux du consommateur français (considérant 9). Dès lors, depuis le 18 juin 2014, l’utilisation des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté » constituerait une violation de la protection octroyée aux AOP « Jambon sec de Corse »/« Jambon sec de Corse – Prisuttu », « Lonzo de Corse »/« Lonzo de Corse – Lonzu », « Coppa de Corse »/« Coppa de Corse – Coppa di Corsica » par l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012 (considérant 10). Si la prononciation des AOP enregistrées et des IGP demandées est certainement différente, leur synonymie serait patente. Dès lors, l’évocation ne saurait être aucunement exclue, une similarité phonétique n’étant pas requise en vue de caractériser une évocation (considérant 20). La Commission a dès lors rejeté les demandes d’enregistrement des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté » en tant qu’IGP au motif qu’elles avaient été utilisées dans le commerce ou dans le langage commun en contrevenant à l’article 13 du règlement no 1151/2012 et que, par conséquent, elles ne respectaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012 (considérant 24).

16      Au soutien de leur recours, les requérants soulèvent deux moyens, tirés, le premier, en substance, de ce que la Commission aurait outrepassé ses compétences et, le second, d’une démonstration suffisante par les autorités nationales et le Conseil d’État de la conformité des trois demandes d’enregistrement aux articles 7 et 13 du règlement no 1151/2012.

 Sur le premier moyen, tiré, en substance, de ce que la Commission aurait outrepassé ses compétences

17      Les requérants soutiennent, en substance, que la Commission a, d’une part, outrepassé ses compétences et, d’autre part, violé l’autorité de la chose jugée.

 Sur la compétence de la Commission

18      Les requérants considèrent que la Commission n’a pas tenu compte de l’analyse effectuée par les autorités nationales visant à déterminer si les demandes en cause respectaient l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, en méconnaissance du partage des compétences. Ces autorités seraient mieux placées que la Commission pour procéder à cet examen et auraient vérifié le respect du droit de l’Union européenne et, en particulier, de celui de ces dispositions. La Commission aurait ainsi outrepassé ses compétences en substituant sa propre analyse à celles desdites autorités, au lieu de s’assurer de l’absence d’erreur manifeste et de la complétude du dossier, alors qu’elle n’aurait, selon la jurisprudence, qu’une marge d’appréciation « limitée, voire inexistante ».

19      La Commission conteste les arguments des requérants.

20      Les arguments des requérants visent, en substance, premièrement, le fondement légal sur lequel les demandes d’enregistrement en cause ont été refusées dans la décision attaquée, deuxièmement, l’étendue de l’examen, effectué par la Commission, de la conformité des dénominations aux conditions énoncées dans le règlement no 1151/2012 et, troisièmement, la marge d’appréciation dont elle dispose par rapport aux autorités nationales concernées.

21      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le règlement no 1151/2012 instaure un système de partage des compétences, en ce sens que, en particulier, la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si cet État membre a vérifié qu’elle était justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement d’une indication géographique protégée présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions sont réunies, ce qui exige, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers audit État membre, que les autorités compétentes de celui‑ci sont les mieux placées pour vérifier (voir arrêt du 15 avril 2021, Hengstenberg, C‑53/20, EU:C:2021:279, point 37 et jurisprudence citée).

22      Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, lu à la lumière des considérants 20 et 39 de celui-ci, que le même règlement vise également à prévenir la création de conditions de concurrence déloyale (voir arrêt du 15 avril 2021, Hengstenberg, C‑53/20, EU:C:2021:279, point 42 et jurisprudence citée).

23      Les dispositions du règlement no 1151/2012 ont vocation à empêcher qu’il soit fait un usage abusif des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées, et ce non seulement dans l’intérêt des acheteurs, mais également dans l’intérêt des producteurs qui ont consenti des efforts pour garantir les qualités attendues des produits portant légalement de telles indications (voir arrêt du 15 avril 2021, Hengstenberg, C‑53/20, EU:C:2021:279, point 43 et jurisprudence citée).

24      Le considérant 19 de ce règlement expose que le respect uniforme dans l’ensemble de l’Union des droits de propriété intellectuelle liés à des dénominations protégées dans l’Union constitue un objectif prioritaire qui peut être réalisé plus efficacement au niveau de l’Union (voir arrêt du 15 avril 2021, Hengstenberg, C‑53/20, EU:C:2021:279, point 44 et jurisprudence citée).

25      Premièrement, les requérants contestent que l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, constitue un fondement légal valable pour refuser d’enregistrer une dénomination.

26      À titre liminaire, il peut être relevé qu’il résulte de la lettre de la Commission du 24 novembre 2020 que celle‑ci avait d’abord envisagé de refuser l’enregistrement des dénominations demandées non seulement sur la base de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, mais également sur la base de l’article 6, paragraphe 3, de ce règlement.

27      Cette dernière disposition pose le principe de l’interdiction d’une dénomination « qui est partiellement ou totalement homonyme » avec une dénomination déjà protégée.

28      Interrogée à cet égard lors de l’audience, la Commission a expliqué avoir renoncé à refuser les enregistrements demandés également sur la base de l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, car il ne devrait pas être possible de rejeter une demande d’enregistrement sur la base d’une homonymie se rapportant uniquement à des descriptions de produits courants, telles que « jambon sec ».

29      Ensuite, il y a lieu de relever, d’une part, comme le souligne la Commission, que l’article 13 du règlement no 1151/2012 n’est pas relatif à l’enregistrement, mais à l’étendue de la protection des dénominations enregistrées.

30      Dès lors, cette dernière disposition ne saurait, à elle seule, constituer le fondement légal du rejet d’une demande d’enregistrement.

31      D’autre part, comme le soutiennent les requérants, l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012 est spécifiquement relatif au « cahier des charges du produit » de la dénomination faisant l’objet d’une demande de protection en tant qu’AOP ou IGP. Les requérants en déduisent que la question de l’évocation n’est pas sous‑jacente à l’éligibilité au titre de cette disposition.

32      Toutefois, il convient de rappeler que la Commission doit apprécier, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, lu à la lumière du considérant 58 de celui-ci, à l’issue d’un examen approfondi, si le cahier des charges qui accompagne la demande d’enregistrement contient les éléments exigés par le règlement no 1151/2012 et si ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 67).

33      L’élaboration du cahier des charges constitue ainsi une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union enregistrant une dénomination en tant qu’IGP (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 35).

34      Or, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, le cahier des charges doit notamment comporter la dénomination dont la protection est demandée.

35      Ainsi que l’avance la Commission, cette disposition, selon laquelle le cahier des charges doit comporter la dénomination telle qu’elle « est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun », suppose qu’elle vérifie que cette utilisation ne viole pas la protection contre l’évocation visée à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012.

36      En effet, admettre l’enregistrement d’une IGP alors que celle‑ci serait évocatrice d’une AOP déjà enregistrée priverait d’effet utile la protection prévue par l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012, car une fois cette dénomination enregistrée comme IGP, l’appellation précédemment enregistrée comme AOP ne pourrait plus bénéficier à l’égard celle-ci de la protection prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012.

37      L’élaboration du cahier des charges, étape nécessaire de la procédure d’enregistrement, ne saurait donc être viciée par une violation, par la dénomination demandée, de la protection prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012.

38      Dès lors, la Commission, à qui il appartient, conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, de refuser l’enregistrement demandé si elle estime que les conditions requises pour l’enregistrement ne sont pas remplies, ne saurait être tenue d’accorder l’enregistrement d’une dénomination si elle considère illégale l’utilisation de celle-ci dans le commerce.

39      Ainsi, la Commission considérant que, depuis le 18 juin 2014, date à laquelle sont entrés en vigueur les règlements ayant enregistré les AOP en cause, une utilisation des dénominations demandées à l’enregistrement en tant qu’IGP constituerait une violation de la protection octroyée aux AOP déjà enregistrées au registre en vertu de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012 contre l’évocation, elle pouvait en déduire qu’une telle utilisation dans le commerce ou dans le langage commun serait illégale.

40      C’est donc à tort que les requérants avancent que la question de l’évocation n’est pas sous‑jacente à l’éligibilité à l’enregistrement au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, et que cette disposition lue en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012 ne pourrait constituer un fondement légal valable pour le refus d’enregistrement d’une dénomination.

41      Deuxièmement, s’agissant de l’étendue de l’examen, par la Commission, de la conformité de la dénomination aux conditions énoncées dans le règlement no 1151/2012, il convient de relever que, aux termes du considérant 58 du règlement no 1151/2012, celle‑ci doit procéder à un examen approfondi des demandes afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État membre de demande.

42      À cette fin, l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 prévoit que la Commission examine, par des moyens appropriés, les demandes d’enregistrement transmises par les États membres afin de vérifier que celles-ci sont justifiées et qu’elles remplissent les conditions requises au titre dudit règlement. En outre, conformément à l’article 52, paragraphe 1, dudit règlement, comme il a été relevé au point 38 ci‑dessus, il appartient à la Commission de rejeter lesdites demandes lorsqu’elle estime que les conditions requises pour l’enregistrement ne sont pas remplies.

43      Par ailleurs, le règlement no 1151/2012 ne définit pas ce que recouvre la notion de « moyens appropriés », laissant ainsi à la Commission le soin d’apprécier quels sont ces moyens.

44      Il en résulte que, même si les autorités nationales considèrent, dès lors qu’elles ont transmis à la Commission une demande d’enregistrement, que ladite demande remplit les conditions posées par le règlement no 1151/2012, la Commission n’est pas liée par l’appréciation desdites autorités et dispose, en ce qui concerne sa décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP, d’une marge d’appréciation autonome, dès lors qu’elle est tenue de vérifier, conformément à l’article 50 dudit règlement, que les conditions d’enregistrement sont remplies.

45      En l’espèce, les requérants soutiennent que, dans la décision attaquée, la Commission s’est bornée à indiquer que, au terme d’une correspondance avec les autorités nationales, elle a compris que celles‑ci considéraient qu’il y avait une « suffisante distinctivité » (considérant 16 de la décision attaquée) entre les trois dénominations protégées par une AOP et les trois dénominations candidates à une IGP.

46      À cet égard, par la lettre du 12 février 2019, la Commission a informé les autorités nationales de son projet d’adopter une décision de rejet des demandes d’enregistrement des dénominations concernées en tant qu’IGP et a invité celles-ci à formuler leurs observations.

47      Par la lettre du 24 novembre 2020, la Commission a confirmé aux autorités nationales son intention de rejeter les demandes d’enregistrement des IGP concernées et a, de nouveau, invité les autorités nationales à fournir des observations complémentaires.

48      La Commission a ainsi interrogé les autorités nationales à deux reprises avant de conclure que les demandes d’enregistrement des dénominations concernées ne remplissaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012 du fait qu’elles avaient été utilisées dans le commerce ou dans le langage commun en contrevenant à l’article 13 dudit règlement (voir point 10 ci-dessus).

49      Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la Commission ne s’est ainsi pas « bornée à indiquer » que les autorités nationales considéraient qu’il y avait une « suffisante distinctivité » entre les trois dénominations protégées par une AOP et les trois dénominations candidates à une IGP, mais, avant d’adopter la décision attaquée, a invité les autorités nationales, à deux reprises, à fournir tout renseignement utile à l’appui de leur demande d’enregistrement des IGP en question. Pour autant qu’il y ait lieu de comprendre que les requérants, en soutenant que la Commission s’est bornée à indiquer une « suffisante distinctivité » entre les dénominations en cause, lui reprochent de ne pas s’être livrée à un examen suffisant de la conformité de la dénomination aux conditions énoncées dans le règlement no 1151/2012, ils n’ont apporté aucune preuve au soutien d’un tel argument. En particulier, les requérants n’ont pas explicité l’examen que la Commission aurait prétendument dû mener.

50      Troisièmement, en ce qui concerne la marge d’appréciation de la Commission, les requérants soutiennent qu’il résulte de l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208), que celle‑ci serait « limitée, voire inexistante », s’agissant de la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP.

51      À cet égard, le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208), que, avant de procéder à l’enregistrement de l’IGP demandée, la Commission devait apprécier, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, lu à la lumière du considérant 58 de celui-ci, à l’issue d’un examen approfondi, si, d’une part, le cahier des charges qui accompagne la demande d’enregistrement contient les éléments exigés par le règlement no 1151/2012 et si ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes et, d’autre part, si la dénomination remplit les conditions de l’enregistrement d’une IGP énoncées à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012. Le Tribunal a précisé que la Commission devait conduire cette appréciation de manière autonome au regard des critères d’enregistrement d’une IGP prévus par le règlement no 1151/2012 afin d’assurer l’application correcte de ce règlement (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 67).

52      En l’espèce, les requérants renvoient plus précisément aux points 34, 35 et 51 de l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208). Auxdits points, le Tribunal a respectivement jugé, premièrement, que l’appréciation des conditions d’enregistrement devait être faite par les autorités nationales sous le contrôle, le cas échéant, des juridictions nationales avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 34), deuxièmement, qu’il s’ensuivait qu’une demande d’enregistrement, comportant notamment un cahier des charges, constitue une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union enregistrant une dénomination en tant qu’IGP, la Commission ne disposant que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, à l’égard de cet acte national (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 35) et, troisièmement, que la Commission ne disposait que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, à l’égard des appréciations faites par les autorités nationales en ce qui concerne la définition des modalités de fabrication ou de conditionnement du produit visé par la demande d’enregistrement d’une IGP, telles qu’elles figurent dans le cahier des charges et reflétées dans les actes nationaux qui lui sont soumis dans le cadre de la demande d’enregistrement d’une IGP (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 51).

53      Or, il convient de relever que, en l’espèce, la Commission n’a pas remis en cause les appréciations exprimées par les autorités nationales s’agissant des mentions figurant dans le cahier des charges, telles que la définition des modalités de fabrication ou de conditionnement du produit visé par la demande d’enregistrement d’une IGP, dont l’élaboration constitue la première étape de la procédure d’enregistrement des dénominations en cause en tant qu’IGP et à l’égard desquelles la Commission ne dispose, certes, que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante (voir point 52 ci-dessus). C’est dans le cadre de son examen en vue de l’approbation de ces demandes, lequel constitue la seconde étape de cette procédure, que la Commission a considéré, après avoir dûment interrogé les autorités nationales à cet égard, à deux reprises, que les demandes d’enregistrement des dénominations concernées ne remplissaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012 du fait qu’elles avaient été utilisées dans le commerce ou dans le langage commun en contrevenant à l’article 13 dudit règlement (voir point 10 ci‑dessus).

54      En effet, il résulte du règlement no 1151/2012 et, en particulier, du considérant 58 dudit règlement que, dans une première étape, conformément à l’article 49 du même règlement, les autorités nationales examinent les demandes d’enregistrement de dénominations en tant qu’AOP ou IGP et, si elles considèrent que les exigences dudit règlement sont respectées, elles déposent un dossier de demande auprès de la Commission, puis, dans une seconde étape, conformément aux articles 50 et 52 dudit règlement, cette dernière examine les demandes et, sur la base des informations dont elle dispose et sur la base de l’examen qu’elle a effectué, enregistre les dénominations ou rejette les demandes d’enregistrement.

55      Le renvoi que les requérants font à l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208), n’est donc pas pertinent et les requérants ne sauraient ainsi déduire de cet arrêt que la Commission ne dispose que d’une marge d’appréciation « limitée, voire inexistante ». À cet égard, il a déjà été relevé que, s’agissant de la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP au regard des conditions d’éligibilité à l’enregistrement prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, la Commission disposait d’une marge d’appréciation autonome (voir point 44 ci‑dessus).

56      Les requérants citent également le point 25 de l’arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros (C‑785/18, EU:C:2020:46), selon lequel, compte tenu du pouvoir décisionnel qui revient aux autorités nationales dans le système de partage des compétences, il appartient aux seules juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes pris par ces autorités, tels que ceux portant sur des demandes d’enregistrement d’une dénomination, lesquels constituent une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union, dès lors que les institutions de l’Union ne disposent à l’égard de ces actes que d’une marge d’appréciation limitée ou inexistante. Les requérants citent également les points 35 et 36 de cet arrêt, selon lesquels la marge d’appréciation accordée à la Commission s’agissant de l’approbation de modifications mineures du cahier des charges est, en substance, ainsi qu’il ressort du considérant 58 du règlement no 1151/2012, limitée à la vérification que la demande contient les éléments requis et n’apparaît pas entachée d’erreurs manifestes.

57      Dans cette affaire, il s’agissait de modifications mineures du cahier des charges. La Cour a indiqué, au point 30 de l’arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros (C‑785/18, EU:C:2020:46), que de telles demandes étaient soumises à une procédure simplifiée, mais pour l’essentiel semblable à la procédure d’enregistrement, en ce qu’elle instaure également un système de partage des compétences entre les autorités de l’État membre concerné et la Commission s’agissant, d’une part, de la vérification de la conformité de la demande de modification avec les exigences qui ressortent du règlement no 1151/2012 et, d’autre part, de l’approbation de cette demande et, au point 31 dudit arrêt, qu’il appartenait aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un acte national portant sur une demande de modification mineure du cahier des charges serait éventuellement entaché.

58      Or, en l’espèce, il ne s’agissait pas de modifications mineures du cahier des charges, dont l’élaboration et les éventuelles modifications relèvent de la première étape de la procédure d’enregistrement d’une dénomination, mais de la question de l’approbation ou du refus, par la seule Commission, de l’enregistrement des dénominations en cause, laquelle relève de la seconde étape de la procédure.

59      Il ressort ainsi du point 25 de l’arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros (C‑785/18, EU:C:2020:46) que la « marge d’appréciation limitée ou inexistante » des institutions de l’Union concerne la première de ces deux étapes, à savoir celle au cours de laquelle sont réunies les pièces constitutives du dossier de la demande d’enregistrement que les autorités nationales transmettront éventuellement à la Commission.

60      Il ne saurait donc être déduit de l’arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros (C‑785/18, EU:C:2020:46), contrairement à ce que prétendent les requérants, que la Commission n’aurait qu’une « marge d’appréciation limitée ou inexistante », dans le cadre de la seconde étape, en ce qui concerne sa décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP au regard des conditions d’éligibilité prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

61      Les arguments selon lesquels la Commission aurait outrepassé ses compétences doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

 Sur l’autorité de la chose jugée

62      Les requérants considèrent que la Commission ne pouvait, dans la décision attaquée, remettre en cause ce qui a été définitivement jugé au point 5 des arrêts du Conseil d’État des 19 décembre 2019 et 13 février 2020, à savoir qu’il n’y avait pas de risque, pour des consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, d’évocation entre les AOP enregistrées et les IGP demandées.

63      À cet égard, comme il a été rappelé au point 51 ci‑dessus, la Commission doit apprécier de manière autonome si les critères d’enregistrement d’une IGP prévus par le règlement no 1151/2012 sont remplis afin d’assurer l’application correcte de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 67).

64      Dès lors, une décision d’une juridiction nationale passée en force de chose jugée ne saurait être invoquée en vue de remettre en cause cette appréciation.

65      L’argument des requérants tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée des arrêts du Conseil d’État des 19 décembre 2019 et 13 février 2020 doit donc être rejeté comme étant non fondé.

66      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le second moyen, tiré dune démonstration suffisante par les autorités nationales et le Conseil d’État de la conformité des trois demandes denregistrement aux articles 7 et 13 du règlement no 1151/2012

67      Les requérants soutiennent, d’une part, que la Commission aurait dû tenir compte, dans la décision attaquée, du fait que les autorités nationales et le Conseil d’État ont à l’évidence bien analysé si les demandes d’enregistrement comme IGP étaient justifiées et répondaient aux exigences du règlement no 1151/2012 et, d’autre part, que l’appréciation effectuée par la Commission est erronée.

 Sur la prétendue obligation de prendre en compte les appréciations des autorités nationales et du Conseil d’État

68      Premièrement, les requérants soulignent qu’il appartenait aux autorités nationales d’apprécier s’il y avait évocation ou non et renvoient aux arrêts du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:344), et du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C‑783/19, EU:C:2021:713).

69      Or, dans les deux arrêts cités au point précédent, rendus sur renvois préjudiciels, aucune des questions posées par les juridictions nationales ne traitait de la question de savoir s’il revenait exclusivement aux autorités nationales d’apprécier la notion d’« évocation ».

70      Dès lors que l’une des caractéristiques essentielles du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE implique que la Cour réponde en des termes plutôt abstraits et généraux à une question d’interprétation du droit de l’Union qui lui est posée, tandis qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher le litige dont elle est saisie en tenant compte de la réponse de la Cour (ordonnance du 13 septembre 2018, Ccc Event Management/Cour de justice de l’Union européenne, C‑23/18 P, non publiée, EU:C:2018:761, point 35), il était logique que la Cour évoque, aux points 39 à 42 de l’arrêt du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:344) et aux points 58 et 65 de l’arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C‑783/19, EU:C:2021:713), la compétence des juges nationaux.

71      Ces deux arrêts cités par les requérants ne sauraient donc, en tout état de cause, remettre en cause le système de partage des compétences selon lequel, dans un premier temps, les autorités nationales procèdent à l’examen des demandes d’enregistrement d’une dénomination en tant qu’AOP ou IGP et, dans un second temps, la Commission adopte la décision d’enregistrer la dénomination ou de rejeter la demande d’enregistrement (voir point 21 ci‑dessus).

72      Deuxièmement, selon les requérants, il se déduit des arrêts du Conseil d’État, ainsi que des conclusions du rapporteur public, que les autorités nationales et cette juridiction ont à l’évidence bien analysé si les demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté » étaient justifiées et répondaient aux exigences du règlement no 1151/2012.

73      À cet égard, en tout état de cause, ainsi qu’il a été souligné au point 44 ci‑dessus, la Commission dispose d’une marge d’appréciation autonome en ce qui concerne sa décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP.

74      Troisièmement, les requérants avancent également que la Commission ne semble pas avoir pris en considération le fait qu’il s’agissait d’apprécier le risque lié à une évocation entre des AOP enregistrées et des demandes d’enregistrement d’IGP déjà approuvées par les autorités nationales, celles-ci ayant définitivement écarté un tel risque en raison des différences entre les termes « Corse » et « Île de Beauté » (même s’ils sont certes synonymes, au moins pour une partie des consommateurs francophones), et entre les signes AOP et IGP.

75      À cet égard, pour rejeter cet argument, il suffit de relever que la protection en tant qu’IGP n’a pas été accordée par ces autorités, puisque, en vertu du système de partage des compétences instauré par le règlement no 1151/2012 (voir point 21 ci‑dessus), la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP ne peut être prise que par la Commission.

76      Il y a donc lieu de rejeter comme non fondés les arguments des requérants tenant à une prétendue obligation de prendre en compte les appréciations des autorités nationales et du Conseil d’État.

 Sur le caractère prétendument erroné de l’appréciation de la Commission

77      À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a déjà indiqué que l’article 103, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671), devait être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur moyen de l’Union, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination (arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 66). Or, d’une part, les dispositions pertinentes du règlement no 1151/2012 et du règlement no 1308/2013 sont comparables. D’autre part, la Cour reconnaît aux principes dégagés dans le cadre de chaque régime de protection une application transversale, de sorte à assurer une application cohérente des dispositions du droit de l’Union relatives à la protection des dénominations et des indications géographiques (arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 32).

78      En l’espèce, en premier lieu, au considérant 19 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que seul un public particulièrement averti connaissait les différences qualitatives, non mises en exergue sur les étiquettes, entre les produits dont les dénominations sont protégées en tant qu’AOP et ceux dont les dénominations font l’objet d’une demande d’enregistrement comme IGP.

79      Premièrement, selon les requérants, les produits couverts par les AOP et les produits visés par les demandes d’IGP en cause ne sont pas destinés aux mêmes catégories de consommateurs, n’ont pas les mêmes caractéristiques et ne sont pas vendus dans les mêmes circuits de distribution, ni, surtout, aux mêmes prix. Il serait peu probable que le consommateur moyen de l’Union dispose de ressources financières suffisantes pour acheter les produits bénéficiant des AOP, dont il ignore sans doute l’existence même. Les requérants font valoir qu’une étude réalisée à la demande du Consortium démontre que les produits « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté » sont bien connus des consommateurs français. Il pourrait en être conclu que, grâce à cette parfaite connaissance, ces consommateurs ne font pas un lien suffisamment direct et univoque avec les produits bénéficiant des trois AOP « Corse ». Deuxièmement, cette absence de proximité serait d’ailleurs reconnue par le directeur de « Salameria Corsa », puisqu’il aurait indiqué dans la presse que développer des IGP « Île de Beauté » « n’est pas forcément négatif », que ce serait « bien pour le consommateur », « bien pour la qualité du produit ». Troisièmement, les autorités nationales et le Conseil d’État se seraient appuyés sur ces éléments pour en déduire correctement, en application du droit de l’Union, que le consommateur français et de l’Union moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, ne fait pas un lien suffisamment direct et univoque entre les dénominations protégées par des AOP et les dénominations pour lesquelles des protections en tant qu’IGP sont demandées.

80      Premièrement, s’agissant de l’argument des requérants selon lequel les consommateurs savent très bien distinguer des produits bénéficiant d’une AOP de ceux qui n’en bénéficient pas, étant […] donné la grande différence en termes, d’une part, de prix et, d’autre part, de lieux de commercialisation, les produits AOP n’étant vendus qu’en direct de la ferme et dans quelques rares épiceries fines, il peut être relevé qu’il résulte de documents fournis par les requérants eux‑mêmes que les produits couverts par les AOP en cause sont vendus non seulement sur les sites de vente en ligne de quelques fermes, mais aussi sur un site de vente en ligne de produits bios, non spécifique aux produits AOP et donc susceptible d’être visité par tout consommateur moyen intéressé par les produits bios.

81      En outre, les requérants ne remettent pas en cause la considération, exposée par la Commission au considérant 19 de la décision attaquée (voir point 78 ci‑dessus), selon laquelle seul un public particulièrement averti connaît les différences qualitatives, non mises en exergue sur les étiquettes, entre les produits dont les dénominations sont protégées en tant qu’AOP et ceux dont les dénominations font l’objet d’une demande d’enregistrement comme IGP.

82      À cet égard, si une étude fournie par les requérants, réalisée au mois de mai 2021 à la demande du Consortium, indique que 92 % des consommateurs interrogés font « tout à fait confiance » ou « plutôt confiance » tant aux AOP qu’aux IGP, il ne saurait être déduit de ce pourcentage qu’ils connaissent les différences entre ces protections.

83      Enfin, le fait que les produits pour lesquels une IGP est demandée soient moins onéreux que les produits bénéficiant d’une AOP ne saurait, à lui seul, suffire à éliminer leur similitude.

84      Deuxièmement, s’agissant de l’opinion du directeur du syndicat détenteur des cahiers des charges des AOP en cause en l’espèce, comme le relève la Commission, le fait que celui‑ci reconnaisse que développer des IGP « Île de Beauté » pourrait être positif pour le consommateur et pour la qualité des produits n’a aucune pertinence pour l’analyse de l’évocation. De plus, ainsi que les requérants l’ont expliqué eux-mêmes dans la requête, ce syndicat a introduit trois requêtes devant le Conseil d’État en vue d’obtenir l’annulation des arrêtés du 20 avril 2018 ayant homologué les cahiers des charges en vue de leur transmission à la Commission, ce qui ne tend pas à démontrer que le directeur dudit syndicat considérerait qu’il n’existe pas de risque d’évocation.

85      Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel les autorités nationales et le Conseil d’État se seraient appuyés sur les éléments ressortant de l’étude de 2021, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’elle est postérieure aux décisions desdites autorités et aux arrêts de cette juridiction. Ceux‑ci n’ont donc pu s’appuyer sur les informations qu’elle contenait pour considérer qu’il n’y avait pas d’évocation.

86      Par ailleurs, les requérants ne remettent pas en cause la réponse de la Commission selon laquelle ladite étude ne lui avait pas été transmise à la date de la décision attaquée.

87      En deuxième lieu, au considérant 20 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, en ce qui concerne les capacités d’évocation des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté », la « synonymie était patente » avec les dénominations « Jambon sec de Corse »/« Jambon sec de Corse – Prisuttu », « Lonzo de Corse »/« Lonzo de Corse – Lonzu » et « Coppa de Corse »/« Coppa de Corse – Coppa di Corsica ». L’évocation ne saurait ainsi être exclue, une similarité phonétique n’étant pas requise en vue de caractériser une évocation, ainsi qu’il ressortirait de la jurisprudence. Dans le cas d’espèce, la proximité conceptuelle entre « Corse » et « Île de Beauté » serait avérée.

88      À cet égard, il est constant entre les parties que les termes « Corse » et « Île de Beauté » sont réputés synonymes et désignent la même aire géographique. La proximité conceptuelle est ainsi effectivement avérée. Que ces termes pourraient, selon les requérants, ne pas être synonymes pour une partie des consommateurs francophones ne saurait remettre en cause cette constatation.

89      C’est donc à juste titre que la Commission a conclu, au considérant 20 de la décision attaquée, qu’il existait un risque d’évocation entre, respectivement, d’une part, les dénominations « Jambon sec de l’île de Beauté », « Lonzo de l’île de Beauté » et « Coppa de l’île de Beauté » et, d’autre part, les dénominations « Jambon sec de Corse »/« Jambon sec de Corse – Prisuttu », « Lonzo de Corse »/« Lonzo de Corse – Lonzu » et « Coppa de Corse »/« Coppa de Corse – Coppa di Corsica ».

90      Premièrement, les requérants soutiennent que rien ne permettrait de considérer que la protection de ces premières appellations s’étende à l’utilisation des termes individuels non géographiques de celles-ci. La question d’une éventuelle évocation ne porterait donc que sur le terme géographique de ces appellations, c’est-à-dire le terme « Corse ». Les requérants renvoient à l’arrêt du 4 décembre 2019, Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena (C‑432/18, EU:C:2019:1045), sans toutefois préciser en quoi cet arrêt viendrait au soutien de cet argument.

91      L’arrêt du 4 décembre 2019, Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena (C‑432/18, EU:C:2019:1045), rendu sur renvoi préjudiciel, portait sur la question de savoir si le terme « Balsamico » pouvait être utilisé sur les étiquettes de produits à base de vinaigre qui ne répondaient pas au cahier des charges de l’IGP « Aceto Balsamico di Modena ». La Cour a répondu que la protection de la dénomination « Aceto Balsamico di Modena » ne s’étendait pas à l’utilisation des termes individuels non géographiques de celle-ci (arrêt du 4 décembre 2019, Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena, C‑432/18, EU:C:2019:1045, point 36).

92      L’arrêt du 4 décembre 2019, Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena (C‑432/18, EU:C:2019:1045), ne portait donc pas sur la question de l’éventuelle évocation entre deux appellations et il ne saurait en être déduit que, pour l’apprécier, il n’y aurait pas lieu de prendre en compte la dénomination dans son entièreté, y compris les termes individuels non géographiques.

93      En l’espèce, les dénominations pour lesquelles il convient d’apprécier l’existence d’une évocation sont, notamment, « Jambon sec de l’Île de Beauté » (IGP) et « Jambon sec de Corse » (AOP). Ainsi, aux fins de cette appréciation, il convient de prendre en compte l’entièreté de la dénomination telle qu’elle a été enregistrée et l’entièreté de la dénomination dont l’enregistrement est demandé.

94      L’argument des requérants reviendrait à rechercher s’il existe une évocation entre « Corse » (AOP) et « Île de Beauté » (IGP). Or, il est constant entre les parties que les termes « Corse » et « Île de Beauté » sont réputés synonymes (voir point 88 ci-dessus). Il y aurait alors nécessairement évocation entre ces termes. Un tel argument ne saurait donc servir les requérants.

95      Deuxièmement, les requérants considèrent que, dès lors que la Commission a accepté d’enregistrer en tant qu’IGP les quatre autres dénominations demandées par le Consortium, à savoir « Saucisson sec de l’Île de Beauté », « Pancetta de l’Île de Beauté », « Figatelli de l’Île de Beauté » et « Bulagna de l’Île de Beauté » en tant qu’IGP (voir point 5 ci-dessus), c’est qu’elle a considéré que l’expression « Île de Beauté » n’évoquait pas les produits couverts par les trois AOP « Corse » enregistrées.

96      À cet égard, comme il a été relevé concernant la question de savoir, par exemple, si l’IGP « Jambon sec de l’Île de Beauté » évoque l’AOP « Jambon sec de Corse », l’analyse de l’évocation porte sur l’entièreté de ces dénominations, et non uniquement sur les termes géographiques « Île de Beauté » et « Corse ».

97      Or, concernant les quatre autres dénominations évoquées par les requérants, ceux-ci ne soutiennent pas qu’elles ont été enregistrées alors qu’il existerait des AOP « Saucisson sec de Corse », « Pancetta de Corse », « Figatelli de Corse » ou « Bulagna de Corse ».

98      Troisièmement, les requérants avancent qu’ils mentionnent depuis 2015 les dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté » sur les étiquettes des produits qu’ils commercialisent et qu’ils n’ont jamais eu connaissance de plaintes qui auraient été formulées par des consommateurs en raison d’un lien que ceux-ci auraient établi entre ces dénominations et les trois AOP enregistrées.

99      Ainsi que le souligne la Commission, le fait qu’aucun consommateur ne se soit plaint ne saurait suffire à démontrer l’absence d’évocation et à la contraindre à procéder aux enregistrements des dénominations concernées en tant qu’IGP.

100    En troisième lieu, au considérant 22 de la décision attaquée, la Commission souligne que la coexistence entre l’AOP « vin » « Corse/Vin de Corse » et l’IGP « Île de Beauté » n’est pas transposable au cas d’espèce, cette situation reflétant une procédure passée, fondamentalement différente et désormais caduque, par laquelle elle se voyait notifier les dénominations nationales entérinées par les États membres, sans qu’elle puisse s’y opposer ni même disposer d’un droit de regard.

101    Selon les requérants, l’AOP « Corse/Vin de Corse » étant protégée sur le territoire français depuis 1973 et l’IGP « Île de Beauté » depuis 1978, les deux types de produits cohabitent paisiblement sur les marchés français et de l’Union depuis plus de quarante ans, sans que la Commission ait usé de la possibilité de retirer de sa propre initiative la protection accordée aux dénominations de vins ainsi protégées ou de la possibilité, dont elle considère toujours disposer, de rectifier a posteriori un enregistrement illégal.

102    À cet égard, en 1978, la Commission n’avait pas la compétence de s’opposer à l’enregistrement de la dénomination « Île de Beauté » en tant qu’IGP. En effet, en 1978, seul était en vigueur le règlement (CEE) no 816/70 du Conseil, du 28 avril 1970, portant dispositions complémentaires en matière d’organisation commune du marché vitivinicole (JO 1970, L 99, p. 1). Le premier règlement dans le domaine des produits agroalimentaires est le règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, p. 1).

103    Par ailleurs, les requérants ne sauraient utilement se fonder sur le fait que la Commission n’a pas usé de la possibilité dont elle dispose au titre de l’article 107, paragraphe 3, du règlement no 1308/2013 d’adopter, de sa propre initiative, des actes d’exécution visant à retirer la protection accordée aux dénominations de vins protégées.

104    En effet, les requérants ne contestent pas, comme le soutient la Commission, qu’il n’existait plus, à la date d’applicabilité de ce règlement, soit au 1er janvier 2014, c’est-à-dire plus de trente ans après l’enregistrement de la dénomination « Île de Beauté » en tant qu’IGP, de risque d’évocation, cette IGP comme l’AOP « Corse/Vin de Corse » étant alors bien connues et identifiées par les consommateurs.

105    En quatrième lieu, au considérant 23 de la décision attaquée, la Commission précise que, en ce qui concerne la coexistence de l’AOP « Aceto balsamico tradizionale di Modena » avec l’IGP « Aceto Balsamico di Modena », il s’agit de deux enregistrements qui furent sollicités par l’Italie de manière concomitante dès 1994, afin de consacrer la reconnaissance d’une légitimité parallèle et concurrente de deux indications géographiques spécifiques.

106    Or, si ces deux dénominations ont effectivement été sollicitées dès 1994, l’Italie a retiré la demande d’enregistrement de la dénomination « Aceto Balsamico di Modena » comme IGP et a déposé une nouvelle demande pour cette dénomination comme IGP en 2004. Cette dernière a finalement été enregistrée comme IGP en 2009.

107    Il ne saurait donc être considéré, comme l’avance la Commission au considérant 23 de la décision attaquée, que ces sollicitations visaient à « consacrer la reconnaissance d’une légitimité parallèle ».

108    Pour autant, cette erreur ne saurait remettre en cause la légalité de la décision attaquée, laquelle est fondée sur l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, et non sur une comparaison avec ce précédent. En outre, l’évocation visée aux termes de cette dernière disposition doit nécessairement être appréciée au regard des dénominations concernées, et non en fonction de dénominations antérieurement enregistrées, étant donné que pour chaque enregistrement la Commission doit prendre en compte les éléments et les circonstances spécifiques de la demande faite par l’État membre concerné.

109    Il y a donc lieu de rejeter comme non fondés les arguments des requérants tenant à une appréciation prétendument erronée, par la Commission, de l’évocation.

110    Par conséquent, il convient de rejeter le second moyen comme non fondé et, partant, l’ensemble du recours.

 Sur les dépens

111    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Schwarcz

Tomljenović

 

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.