Language of document : ECLI:EU:T:2013:431

Affaire T‑383/11

Eyad Makhlouf

contre

Conseil de l’Union européenne

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union – Droits de la défense – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Droits fondamentaux »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 13 septembre 2013

1.      Procédure juridictionnelle – Décision ou règlement remplaçant en cours d’instance l’acte attaqué – Élément nouveau – Extension des conclusions et moyens initiaux

2.      Droit de l’Union européenne – Principes – Droits de la défense – Droit d’être entendu – Droit à un recours équitable et à une protection juridictionnelle effective – Décision d’exécution mettant en œuvre une décision concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Absence de communication des éléments à charge et absence d’audition desdites personnes et entités – Admissibilité

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, et 47 ; décisions du Conseil 2011/273/PESC, art. 3 et 4 et annexe, et 2011/302/PESC, art. 1er et annexe)

3.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Droits de la défense – Communication des éléments à charge – Décision subséquente ayant maintenu le nom du requérant dans la liste des personnes visées par ces mesures – Violation du droit d’être entendu – Absence

(Décision du Conseil 2012/739/PESC)

4.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Obligation de communication des raisons individuelles et spécifiques justifiant de telles mesures – Portée

(Décision du Conseil 2012/739/PESC, art. 27, § 2)

5.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Décision s’inscrivant dans un contexte connu de l’intéressé – Admissibilité d’une motivation sommaire

(Art. 296 TFUE ; décision du Conseil 2011/273/PESC)

6.      Union européenne – Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Portée du contrôle

7.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Interdiction d’entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile – Restriction au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée – Violation du principe de proportionnalité – Absence

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 7 et 17 ; décisions du Conseil 2011/273/PESC, art. 3, § 6 à 8, 4, § 3, a), et 25, § 3, et 2012/739/PESC, art. 24, § 6, et 25, § 3, e)]

1.      Voir le texte de la décision.

(cf. point 20)

2.      S’agissant de mesures restrictives d’interdiction d’entrée ou de passage en transit sur le territoire des États membres des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que de gel des fonds et des ressources économiques qui appartiennent à ces personnes, en ce qui concerne les droits de la défense et, en particulier, le droit d’être entendu de ces personnes, il ne saurait être requis des autorités de l’Union qu’elles communiquent les motifs des décisions ayant instauré de telles mesures préalablement à l’inscription initiale d’une personne ou d’une entité sur la liste imposant ces mesures. En effet, une telle communication préalable serait de nature à compromettre l’efficacité des mesures de gel de fonds et de ressources économiques qu’imposent ces décisions.

Afin d’atteindre l’objectif poursuivi par les décisions ayant instauré de telles mesures, celles-ci doivent, par leur nature même, bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer avec effet immédiat. Dans ces conditions, en ce qui concerne la décision d’exécution 2011/302, mettant en œuvre la décision 2011/273, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, qui a inscrit le nom du requérant sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2011/273, pour des raisons tenant également à son objectif et à l’efficacité des mesures prévues par celle-ci, les autorités de l’Union n’étaient pas tenues d’entendre le requérant préalablement à l’inscription initiale de son nom sur la liste figurant à l’annexe.

(cf. points 38-41)

3.      Dans le cadre de l’adoption d’une décision subséquente telle que la décision 2012/739, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, ayant maintenu le nom du requérant dans la liste comportant les noms des personnes faisant l’objet des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, l’argument de l’effet de surprise desdites mesures ne peut être valablement invoqué.

Dès lors que, en premier lieu, le Conseil n’a retenu aucun élément nouveau, c’est-à-dire n’ayant pas déjà été communiqué au requérant à la suite de son inscription initiale sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, au moment où son nom a été maintenu dans la liste des personnes visées par de telles mesures, que, en deuxième lieu, le requérant peut, à tout moment, sur sa propre initiative, être entendu par le Conseil sans qu’une nouvelle invitation explicite soit formulée préalablement à l’adoption de chaque décision subséquente, en l’absence d’éléments nouveaux retenus à son égard, que, dès lors et en troisième lieu, le requérant a eu l’occasion pendant plusieurs mois de contester les éléments justifiant son inscription et son maintien sur ladite liste et que, enfin, le Conseil a procédé à la publication d’un avis au Journal officiel le lendemain de la publication de la décision 2012/739, aucune violation du droit du requérant à être entendu ne saurait être établie.

(cf. points 42, 44-46)

4.      Si une communication individuelle des décisions imposant certaines mesures restrictives dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune est, en principe, nécessaire, la seule publication au Journal officiel n’étant pas suffisante, il y a cependant lieu pour le juge d’examiner, dans chaque affaire, si le fait de ne pas avoir porté individuellement les motifs de la décision litigieuse à la connaissance du requérant a eu pour conséquence de priver ce dernier de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel de fonds et de ressources économiques adoptée à son égard. Cette condition n’est pas remplie dès lors qu’il ressort du dossier que le requérant a été mis en mesure de se défendre efficacement contre les actes attaqués à la suite de leur publication au Journal officiel et ce même si le Conseil aurait dû procéder à une notification individuelle des motifs justifiant le maintien du nom du requérant sur la liste des personnes concernées par de telles mesures restrictives.

(cf. points 48, 50)

5.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 60-66, 71, 72)

6.      Voir le texte de la décision.

(cf. point 80)

7.      Le gel de fonds et de ressources économiques imposé dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune contre certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile en Syrie constitue une mesure conservatoire qui n’est pas censée priver les personnes concernées de leur propriété ou du droit au respect de leur vie privée. Toutefois, ces mesures restrictives entraînent incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée.

En ce qui concerne le caractère adéquat de ces mesures au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques, ainsi que l’interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien du régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats.

En ce qui concerne le caractère nécessaire de ces mesures, les mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les soutiens du régime syrien persécutant des populations civiles, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées.

De plus, l’article 4 de la décision 2011/273 et l’article 25, paragraphes 3 à 11, de la décision 2012/739, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. Concernant le traitement médical, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée sur son territoire et l’utilisation de fonds gelés à des fins médicales et humanitaires.

Enfin, le maintien du nom de l’intéressé dans l’annexe des décisions en cause ne saurait être qualifié de disproportionné en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité dans la mesure où ce maintien fait l’objet d’un réexamen périodique en vue d’assurer que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour figurer dans la liste en cause en soient radiées.

(cf. points 99-102, 104, 105)