Language of document : ECLI:EU:T:2021:412

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

7 juillet 2021 (*)

« Aides d’État – Secteur de l’énergie – Législation irlandaise sur la fiscalité foncière des entreprises – Méthode de calcul du montant de l’impôt dû par les producteurs d’électricité à partir de combustibles fossiles – Plainte d’exploitants de parcs éoliens – Décision constatant l’absence d’aide d’État – Absence d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Difficultés sérieuses – Droits procéduraux des parties intéressées »

Dans l’affaire T‑680/19,

Irish Wind Farmers’ Association Clg, établie à Kilkenny (Irlande),

Carrons Windfarm Ltd, établie à Shanagolden (Irlande),

Foyle Windfarm Ltd, établie à Dublin (Irlande),

Greenoge Windfarm Ltd, établie à Bunclody (Irlande),

représentées par Mes M. Segura Catalán et M. Clayton, avocates,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann et M. S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2019) 5257 final de la Commission, du 9 juillet 2019, concernant l’aide d’État SA.44671 (2019/NN) – Irlande,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et M. Stancu, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 janvier 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Carrons Windfarm Ltd, Foyle Windfarm Ltd et Greenoge Windfarm Ltd exploitent des parcs éoliens dans différents comtés d’Irlande, tandis que l’Irish Wind Farmers’ Association Clg (IWFA), dont les trois sociétés susmentionnées sont membres, est l’organisme représentatif et le groupe de pression des exploitants indépendants de parcs éoliens en Irlande.

2        Le 4 février 2016, l’IWFA a déposé une plainte auprès de la Commission européenne, au titre de l’article 24 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), dans laquelle elle a fait valoir que certaines mesures fiscales prises en application de la Valuation Act de 2001 (loi sur l’évaluation, ci-après la « loi de 2001 ») constituaient des aides incompatibles avec le marché intérieur.

 Méthodes de calcul de l’impôt foncier des entreprises

3        En Irlande, l’impôt foncier des entreprises est un impôt annuel perçu sur la propriété foncière des entreprises. Son objectif est de participer aux coûts des services fournis par les autorités locales. Le montant de l’impôt foncier des entreprises est calculé sur la base de la valeur annuelle nette (ci-après la « VAN ») des biens immobiliers utilisés à des fins commerciales, à laquelle est appliqué un taux, déterminé, en général, par les autorités locales à l’échelle d’un comté. La VAN d’un bien immobilier s’entend, en substance, du montant annuel du loyer qui peut raisonnablement être attendu de la location de ce bien.

4        Lors de son entrée en vigueur, la loi de 2001 a abrogé les lois précédentes sur l’évaluation et a prévu la réévaluation de la valeur, auparavant appelée valeur « RV », de tous les biens immobiliers situés en Irlande à partir de l’année 2005 par le Valuation Office (Agence d’évaluation, Irlande, ci-après le « VOI »), aux fins de la détermination du montant de l’impôt foncier dû sur la propriété foncière.

5        Il ressort de la loi de 2001 que le VOI dispose de différentes méthodes pour évaluer la VAN des biens immobiliers, qui peuvent être présentées, en substance, comme suit :

–        la première de ces méthodes, dite « méthode du loyer », est utilisée lorsqu’il existe des preuves directes et concrètes que le bien immobilier génère effectivement des revenus locatifs ;

–        la deuxième de ces méthodes, dite « méthode par comparaison », consiste à considérer que la VAN d’un bien immobilier dépend de la VAN d’autres biens immobiliers comparables figurant sur la liste d’évaluation établie pour la zone qui entre dans le ressort du bureau de l’impôt foncier où se situe ce bien. Cette méthode peut être utilisée s’il est impossible d’avoir recours à la méthode du loyer. Elle est cependant inapplicable aux fins de l’exercice particulier de réévaluation qui a débuté en 2005, dans le cadre duquel il convenait précisément d’établir de nouvelles listes d’évaluation et d’éviter de se référer à celles qui existaient ;

–        la troisième de ces méthodes, dite « méthode du coût de remplacement », est une méthode qui repose sur les coûts théoriques de construction ou de remplacement du bien immobilier ou de la partie de celui-ci utilisée à des fins commerciales. En application de cette méthode, la VAN d’un bien immobilier est fixée à un montant égal à 5 % du total des coûts de remplacement, le cas échéant amortis, du bien immobilier ou de la partie de celui-ci utilisée à des fins commerciales.

6        La jurisprudence des juridictions irlandaises a élaboré une quatrième méthode, dite « méthode des recettes et dépenses », appliquée aux biens immobiliers rarement loués ou difficiles à reproduire. Cette méthode consiste, en substance, à estimer la VAN à partir de la réflexion que mènerait un locataire putatif lorsqu’il évaluerait la rentabilité d’une entreprise commerciale impliquant la location d’un bien immobilier. Il estimerait ses futures recettes et en déduirait ses futurs frais. De la somme obtenue, il déduirait le revenu qu’il souhaite conserver, le reste représentant le loyer maximal qu’il serait disposé à payer.

 Procédure administrative

7        Dans sa plainte du 4 février 2016 (voir point 2 ci-dessus), l’IWFA a fait valoir que, en raison du choix de la méthode d’évaluation utilisée par le VOI pour déterminer la VAN dans le cadre du calcul de l’impôt foncier des entreprises en Irlande ainsi que de la manière dont cette méthode a été appliquée, les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, auxquelles était appliquée la « méthode du coût de remplacement », avaient été favorisées par rapport aux parcs éoliens, auxquels était appliquée la « méthode des recettes et dépenses ».

8        À cet égard, l’IWFA a soutenu que le choix d’une méthode différente, de surcroît combinée à la large marge d’appréciation dont jouissait le VOI en appliquant la « méthode du coût de remplacement », avait impliqué une sous-évaluation de la VAN des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, dont il avait résulté que les exploitants de ces installations avaient bénéficié d’un avantage fiscal, sous la forme d’une diminution du montant de l’impôt foncier dû, par rapport aux exploitants d’autres installations, telles que les parcs éoliens (ci-après la « mesure contestée »). Sans parvenir à chiffrer avec précision le montant de ce prétendu avantage, l’IWFA a fait valoir que les exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles avaient payé, en 2015, un impôt foncier approximativement trois fois inférieur à celui payé par les autres producteurs d’électricité. L’IWFA a ajouté que, même à supposer que le VOI ait choisi d’appliquer la « méthode des recettes et dépenses » à l’ensemble des producteurs d’électricité, cela n’aurait pour autant pas été de nature à éliminer automatiquement l’existence d’un avantage au profit des exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, dès lors que le VOI jouissait également d’une large marge d’appréciation en appliquant cette autre méthode.

9        Le 8 avril 2016, les services de la Commission ont transmis la plainte de l’IWFA ainsi qu’une demande d’informations aux autorités irlandaises. Les autorités irlandaises ont présenté des observations en réponse le 9 juin 2016. Dans leur réponse, les autorités irlandaises ont contesté l’existence même d’une aide d’État, compte tenu de l’application d’un système général et de l’existence d’une justification objective à l’application de méthodes différenciées.

10      Par lettre du 15 juillet 2016, la Commission a informé l’IWFA de son évaluation préliminaire de la plainte, à savoir que la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une position définitive et que l’IWFA pouvait contester cette appréciation ou apporter tout autre nouvel élément d’information utile. Elle a également signalé à l’IWFA que, en l’absence de réaction de sa part dans un délai d’un mois, elle considérerait la plainte comme étant retirée.

11      Par lettre du 4 août 2016, l’IWFA a fourni à la Commission des informations supplémentaires et a demandé à la Commission d’adopter une décision formelle. À la suite d’un échange de courriels datés du 20 octobre 2016, il est apparu que cette lettre du 4 août 2016 n’avait été transférée au gestionnaire responsable du dossier au sein de la Commission que tardivement, raison pour laquelle la Commission n’y a répondu qu’en janvier 2017.

12      Par lettre du 12 janvier 2017, la Commission a répondu à l’IWFA qu’elle considérait qu’il n’y avait pas d’avantage sélectif permettant de qualifier la mesure contestée d’aide d’État. La Commission a précisé qu’il ne s’agissait pas de sa décision définitive et que l’IWFA pouvait toujours contester cette appréciation ou apporter tout autre nouvel élément d’information utile. Elle a également signalé à l’IWFA que, en l’absence de réaction de sa part dans un délai d’un mois, elle considérerait la plainte comme étant retirée.

13      Par courrier du 12 février 2017, l’IWFA a transmis un document de seize pages contenant des informations supplémentaires à la Commission. Par ce dernier, elle a réaffirmé sa position selon laquelle la mesure contestée était une aide d’État ne pouvant être justifiée. Elle a également demandé à la Commission d’adopter une décision à ce sujet.

14      Lors d’un échange de courriels avec la Commission le 5 avril 2017, l’IWFA a, en outre, de nouveau fourni des informations supplémentaires.

15      Par courriel du 23 mai 2017, l’IWFA a demandé à la Commission de suspendre temporairement l’affaire jusqu’au mois de novembre 2017, dans l’attente de la publication, en septembre 2017, de certificats d’évaluation de la VAN d’un certain nombre d’installations, susceptibles de fournir des informations complémentaires utiles pour l’affaire. Par courriel du 24 mai 2017, la Commission a accordé la suspension sollicitée.

16      Par lettre du 31 octobre 2017, l’IWFA a transmis des informations actualisées à la Commission. Elle y a joint un tableau destiné à montrer les différences dans l’évaluation des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles et des autres concurrents dans un des comtés irlandais, à titre d’exemple. Par cette lettre, elle a réaffirmé sa position quant à la qualification d’aide d’État de la mesure contestée et a invité la Commission à reconsidérer sa position.

17      Par courrier du 25 octobre 2018, la Commission a transmis une troisième lettre à l’IWFA, déclarant que les informations supplémentaires fournies par cette dernière ne présentaient aucun élément justifiant de revenir sur sa conclusion précédente. Elle a, par conséquent, maintenu son point de vue selon lequel la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État. La Commission a également précisé que l’IWFA pouvait contester cette appréciation ou apporter tout autre nouvel élément d’information utile qui permettrait de qualifier la mesure contestée d’aide d’État. Elle a également signalé à l’IWFA que, en l’absence de réaction de sa part dans un délai d’un mois, elle considérerait la plainte comme étant retirée.

18      Par courrier du 23 novembre 2018, l’IWFA a soumis de nouvelles observations à la Commission. Par ces observations, l’IWFA a clarifié certains éléments de sa plainte et a également renvoyé à l’analyse des résultats de l’évaluation qu’elle avait soumis le 31 octobre 2017 (voir point 16 ci-dessus). Enfin, l’IWFA a demandé à la Commission de reconsidérer la qualification de la mesure contestée et de ne pas considérer la plainte comme étant retirée.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2019, les requérantes, l’IWFA, Carrons Windfarm, Foyle Windfarm et Greenoge Windfarm, ont introduit un recours tendant à l’annulation de la lettre de la Commission du 25 octobre 2018. Ce recours a été rejeté comme irrecevable par l’ordonnance du 31 janvier 2020, Irish Wind Farmers’ Association e.a./Commission (T‑6/19, non publiée, EU:T:2020:30).

20      Le 22 mai 2019, la Commission a transmis aux autorités irlandaises les observations de l’IWFA ainsi qu’une nouvelle demande d’informations. Les autorités irlandaises ont présenté des observations en réponse le 14 juin 2019.

 Décision attaquée

21      Le 9 juillet 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 5257 final, concernant l’aide d’État SA.44671 (2019/NN) – Irlande (ci-après la « décision attaquée »), aux termes de laquelle elle a décidé que la mesure contestée ne comportait pas d’avantage sélectif et, partant, ne constituait pas une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

22      En particulier, la Commission a estimé, d’une part, qu’il n’était pas établi que la mesure contestée avait procuré un avantage aux exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles et, d’autre part, que, même à supposer qu’un avantage eût pu découler de la méthode d’évaluation mise en œuvre par le VOI pour déterminer la VAN de certains biens immobiliers utilisés à des fins commerciales, cet avantage n’aurait pas été sélectif, mais se serait expliqué par la disponibilité ou non d’informations financières détaillées et fiables.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2019, les requérantes ont introduit le présent recours.

24      Dans la requête, les requérantes ont demandé au Tribunal d’inviter la Commission, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure prise en vertu de l’article 89, paragraphe 3, sous d), de son règlement de procédure, à produire la demande d’informations adressée aux autorités irlandaises par courrier du 22 mai 2019 ainsi que la réponse de ces dernières du 14 juin 2019 (voir point 20 ci-dessus).

25      Le 28 janvier 2020, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de produire la demande d’informations adressée aux autorités irlandaises par courrier du 22 mai 2019 ainsi que la réponse de ces dernières du 14 juin 2019. La Commission a produit les documents demandés dans le délai imparti.

26      Le 24 novembre 2020, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire les documents annexés par les autorités irlandaises à leur réponse du 9 juin 2016 et a posé plusieurs questions aux parties. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 26 janvier 2021, au cours de laquelle il a été décidé d’inviter les requérantes à produire une copie du jugement du Valuation Tribunal (tribunal d’évaluation, Irlande) du 6 février 2018 qu’elles ont invoqué.

28      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2021, les requérantes ont déféré à cette demande.

29      La phase orale de la procédure a été close le 17 février 2021.

30      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

31      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

32      Dans le cadre du moyen unique qu’elles soulèvent, les requérantes font valoir, en substance, que la décision attaquée a violé l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589 ainsi que, partant, leurs droits procéduraux, au motif que, en l’espèce, la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

33      Le moyen unique se divise en cinq branches. Par la première branche, les requérantes font valoir que la mesure contestée n’a pas été correctement identifiée dans la décision attaquée. Par la deuxième branche, elles soutiennent que la Commission aurait dû éprouver des doutes à l’issue de la phase préliminaire d’examen. Par la troisième branche, elles prétendent que la Commission n’a pas compris certains éléments fondamentaux de la plainte. Par la quatrième branche, elles allèguent que la Commission n’a pas examiné de manière appropriée l’ensemble des informations fournies par l’IWFA dans le cadre de la plainte. Enfin, par la cinquième branche, elles critiquent la durée de l’examen préliminaire.

 Principes applicables

34      À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la mesure notifiée, et, d’autre part, la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

35      Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une mesure est constitutive d’une aide d’État (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 185 ; voir, également, arrêt du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, point 31 et jurisprudence citée).

36      La Commission ne peut donc s’en tenir à la phase préliminaire énoncée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE pour prendre une décision favorable à une mesure étatique que si elle est en mesure d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que cette mesure soit ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à la conviction contraire, ou même n’a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la mesure considérée, la Commission a le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 186 et 187).

37      Cette obligation résulte directement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, tel qu’il a été interprété par la jurisprudence, et est confirmée par les dispositions de l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, lorsque la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure en cause suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur (voir, par analogie, arrêt du 15 octobre 2018, Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters e.a./Commission, T‑79/16, non publié, EU:T:2018:680, point 89 et jurisprudence citée). Dès lors, il appartient à la Commission de déterminer, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à l’affaire, si les difficultés rencontrées dans l’examen de la mesure notifiée nécessitent l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Cette appréciation doit respecter trois exigences (voir arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 89 et jurisprudence citée).

38      Premièrement, l’article 108 TFUE circonscrit le pouvoir de la Commission de se prononcer sur l’existence d’une aide au terme de la phase préliminaire d’examen aux seules mesures ne soulevant pas de difficultés sérieuses, de telle sorte que ce critère revêt un caractère exclusif. Ainsi, la Commission ne saurait refuser d’ouvrir la procédure formelle d’examen en se prévalant d’autres circonstances, telles que l’intérêt de tiers, des considérations d’économie de procédure ou tout autre motif de convenance administrative ou politique (voir arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 90 et jurisprudence citée).

39      Deuxièmement, lorsqu’elle se heurte à des difficultés sérieuses, la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle et ne dispose, à cet égard, d’aucun pouvoir discrétionnaire (voir arrêt du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, point 36 et jurisprudence citée).

40      Troisièmement, il ressort de la jurisprudence que la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif (arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 31). L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait et pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur (voir arrêt du 28 mars 2012, Ryanair/Commission, T‑123/09, EU:T:2012:164, point 77 et jurisprudence citée). Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée).

41      Il y a également lieu de rappeler que la Commission est tenue d’examiner de manière diligente et impartiale les plaintes qu’elle reçoit en matière d’aides d’État, ce qui peut l’obliger à instruire une plainte en allant au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant et à procéder à l’examen des éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 62, et du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90).

42      Dans le cadre du contrôle des aides d’État, si l’État membre doit, en vertu du devoir de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, coopérer avec la Commission en lui fournissant les éléments lui permettant de se prononcer sur la nature d’aide d’État de la mesure en cause, il n’en demeure pas moins que la Commission est quant à elle soumise, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, à une obligation d’examen diligent et impartial et que cette obligation lui impose, notamment, d’examiner avec soin les éléments qui lui sont fournis par l’État membre (voir arrêt du 22 octobre 2008, TV2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, EU:T:2008:457, point 183 et jurisprudence citée).

43      C’est à la lumière tant des informations notifiées par l’État concerné que de celles fournies par les éventuels plaignants que la Commission doit former son appréciation dans le cadre de l’examen préliminaire institué par l’article 108, paragraphe 3, TFUE (arrêt du 3 mai 2001, Portugal/Commission, C‑204/97, EU:C:2001:233, point 35). À cet égard, il y a cependant lieu de rappeler que la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés. Il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 96 et jurisprudence citée, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen/Commission, T‑102/07 et T‑120/07, EU:T:2010:62, point 180 et jurisprudence citée).

44      En outre, il ressort également de la jurisprudence que, dans le cadre de la phase préliminaire d’examen, la Commission peut, en principe, s’en tenir aux éléments fournis par un État membre, le cas échéant, à la suite d’une demande de renseignements complémentaires, et qu’elle n’est pas tenue de procéder de sa propre initiative à l’instruction de toutes les circonstances si les informations fournies par cet État membre lui permettent d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que la mesure en cause soit ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le marché intérieur (voir arrêt du 1er mars 2016, Secop/Commission, T‑79/14, EU:T:2016:118, point 76 et jurisprudence citée).

45      Lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de refus d’ouverture de la procédure formelle d’examen, soit parce que la Commission considère que la mesure en cause ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit parce qu’elle considère que celle-ci, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité, c’est à cette partie qu’incombe la charge de la preuve de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 63 et jurisprudence citée), relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la phase préliminaire d’examen et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée (voir arrêt du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, point 38 et jurisprudence citée).

46      C’est à l’aune de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner l’argumentation de la requérante visant à établir l’existence de doutes qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

47      À cet égard, les requérantes avancent un faisceau d’indices démontrant, selon elles, l’existence de difficultés sérieuses résultant, en substance, d’une part, de la durée de la phase préliminaire d’examen (cinquième branche du moyen) et, d’autre part, d’éléments se rapportant à la décision attaquée (première à quatrième branches du moyen).

 Sur l’indicerelevant de la durée de la phase préliminaire d’examen

48      Par la cinquième branche du moyen unique, les requérantes font valoir que les délais caractérisant le déroulement de la phase préliminaire d’examen sont révélateurs de l’existence de difficultés sérieuses. Elles font observer à cet égard que la Commission a adopté la décision attaquée au terme d’une instruction formelle de plus de 41 mois.

49      La Commission conteste les arguments des requérantes.

50      Selon une jurisprudence constante, la durée de l’examen préliminaire peut, avec d’autres éléments, constituer un indice des difficultés sérieuses rencontrées par la Commission, si elle excède notablement ce qu’implique normalement un tel examen (voir arrêt du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, point 42 et jurisprudence citée).

51      Il ressort également de la jurisprudence que le caractère raisonnable de la durée d’une phase préliminaire d’examen suivant le dépôt d’une plainte doit s’apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre et de la complexité de l’affaire (voir arrêt du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 61 et jurisprudence citée).

52      En vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, la Commission examine sans délai toute plainte déposée par une partie intéressée conformément à l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement.

53      En outre, il ressort des points 71 et 72 du code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État (JO 2018, C 253, p. 14) que « [l]es services de la Commission s’efforcent d’enquêter sur une plainte formelle dans un délai non contraignant de [douze] mois à compter de l’enregistrement » et que, « [s]i une plainte est non fondée, les services de la Commission essaieront d’informer le plaignant, dans les [deux] mois à compter de l’enregistrement de la plainte, qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas ». Dans cette hypothèse, les services de la Commission doivent inviter le plaignant à formuler de nouvelles observations dans un délai d’un mois. À défaut d’observations formulées dans ce délai, la plainte sera réputée avoir été retirée.

54      En l’espèce, l’IWFA a déposé une plainte formelle le 4 février 2016, que la Commission a transmise aux autorités irlandaises le 8 avril 2016, lesquelles ont présenté des observations en réponse le 9 juin 2016. À la suite de ces observations et de son évaluation préliminaire de la plainte, la Commission a informé l’IWFA par lettre du 15 juillet 2016 qu’elle considérait que la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et l’a invitée à formuler des observations dans un délai d’un mois.

55      L’IWFA a présenté de nouvelles observations le 4 août 2016, auxquelles la Commission a répondu le 12 janvier 2017.

56      L’IWFA a présenté de nouvelles observations le 12 février 2017. À la suite de ces observations, sans attendre de réponse de la part de la Commission, l’IWFA a communiqué de nouvelles informations le 5 avril 2017, puis a demandé à la Commission la suspension temporaire de la procédure le 23 mai 2017 et, enfin, a communiqué d’autres informations complémentaires le 31 octobre 2017. Ainsi, au cours de l’année 2017, l’IWFA a, de sa propre initiative, communiqué à la Commission de nombreuses informations et a sollicité une suspension de la procédure de plus de cinq mois.

57      La Commission a de nouveau informé l’IWFA, par lettre du 25 octobre 2018, qu’elle considérait que la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Commission a de nouveau invité l’IWFA à formuler des observations dans un délai d’un mois, ce qu’elle a fait le 23 novembre 2018.

58      À compter de cette date, la Commission a adopté la décision attaquée dans un délai de sept mois et demi, dans lequel elle a transmis aux autorités irlandaises les observations de l’IWFA ainsi qu’une nouvelle demande d’informations, à laquelle ces dernières ont répondu dans un délai d’un mois.

59      Il ressort de l’ensemble des éléments mentionnés aux points 54 à 57 ci-dessus que ceux-ci ont, de fait, contribué à allonger la durée de l’examen préliminaire et expliquent, dans une large mesure, le délai de plus de trois ans qui s’est écoulé entre le dépôt de la plainte de l’IWFA et l’adoption de la décision attaquée, sans pour autant témoigner, en tant que tels, de l’existence de doutes de nature à justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen. À cet égard, il convient en effet de constater que la durée totale de la procédure peut en partie s’expliquer par les sollicitations et les observations régulièrement communiquées par l’IWFA ainsi que par sa demande de suspension de la procédure. En outre, il convient d’observer que la teneur des échanges entre la Commission et les autorités irlandaises ne traduit pas l’existence de difficultés sérieuses que la Commission aurait rencontrées dans le cadre de son examen de la mesure contestée.

60      Toutefois, il convient de relever que le nombre des échanges entre la Commission et l’IWFA au cours de la procédure administrative pourrait trouver à s’expliquer par la circonstance que, à de multiples reprises, la Commission a indiqué à l’IWFA que, en l’absence de réaction de sa part dans un délai d’un mois, elle considérerait la plainte comme étant retirée. Or, face à une telle injonction, l’IWFA n’avait d’autre choix, afin de ne pas voir sa plainte purement et simplement rejetée, que de fournir à la Commission de nouvelles explications.

61      Ainsi, en l’espèce, si la durée de l’examen préliminaire a excédé ce qu’implique normalement un tel examen, cela s’explique principalement par l’intensité des échanges entre l’IWFA et la Commission au cours de la procédure administrative. Cette durée ne saurait donc être regardée comme un indice de difficultés sérieuses prétendument rencontrées par la Commission.

62      En toute hypothèse, il convient de rappeler qu’une durée qui excède ce qu’implique normalement un examen de la phase préliminaire ne peut constituer, à elle seule, un indice probant de l’existence de difficultés sérieuses que si cet indice est conforté par d’autres éléments.

63      Il résulte de ce qui précède que l’indice relatif à la durée de la phase préliminaire d’examen avancé par les requérantes n’est pas suffisant pour révéler l’existence de difficultés sérieuses justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

 Sur les indices se rapportant à la décision attaquée

64      Les requérantes font valoir qu’un certain nombre d’éléments se rapportant à la décision attaquée et au déroulement de la procédure laissent apparaître plusieurs indices de ce que l’examen préliminaire de la mesure contestée présentait des difficultés sérieuses et, ainsi, aurait dû susciter des doutes quant à la qualification d’aide d’État de ladite mesure.

 Sur l’indice tenant à l’identification incorrecte de la mesure contestée (première branche du moyen unique)

65      Par la première branche du moyen unique, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas correctement identifié la mesure contestée. À cet égard, elles soutiennent que, au considérant 14 de la décision attaquée, la Commission a erronément décrit la mesure contestée comme étant « un aspect du calcul des impôts fonciers des entreprises », alors que l’IWFA s’était plainte du fait que les impôts fonciers réduits payés par les producteurs d’électricité à partir de combustibles fossiles impliquaient l’octroi d’une aide d’État.

66      La Commission conteste les arguments des requérantes.

67      En l’espèce, tout d’abord, il y a lieu d’observer que, au considérant 1 de la décision attaquée, la Commission a évoqué d’emblée l’existence alléguée d’une « prétendue aide d’État illégale accordée aux producteurs d’électricité à partir de combustibles fossiles en Irlande, sous la forme d’une réduction de l’impôt foncier des entreprises (résultant de la méthode appliquée pour le calcul de la valeur annuelle du bien immobilier) ».

68      Ensuite, il convient de relever que les considérants 24, 25 et 27 de la décision attaquée, par lesquels la Commission a présenté les allégations de l’IWFA concernant l’existence d’un avantage au sens de l’article 107 TFUE, retranscrivent fidèlement l’argumentation de cette dernière, telle qu’elle a notamment été présentée au point 6, II, et au point 7.2 de sa plainte.

69      Enfin, à la section 5 de la décision attaquée et, en particulier, aux considérants 51 et 59 de cette décision, la mesure contestée est décrite comme ayant la forme, en substance, d’une réduction du montant des impôts fonciers dus par les entreprises de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, induite par la méthode d’évaluation utilisée par le VOI pour déterminer la VAN de ces installations, de laquelle découlerait une évaluation artificiellement basse de leur assiette imposable par rapport à celle des producteurs d’électricité concurrents ayant recours à d’autres technologies de production, au premier rang desquels se trouvent les parcs éoliens.

70      Il s’ensuit que la description faite par la Commission de la mesure contestée, nonobstant une approximation terminologique au considérant 14 de la décision attaquée qui est sans incidence sur l’analyse menée par la suite, correspond bel et bien à celle présentée par l’IWFA dans sa plainte et au cours de la procédure administrative ainsi que par les requérantes dans le cadre de la présente affaire.

71      Dès lors, l’allégation des requérantes selon laquelle la mesure contestée n’aurait pas été correctement identifiée dans la décision attaquée manque en fait et doit être écartée.

 Sur l’indice tenant à l’existence de doutes à l’issue de la phase préliminaire d’examen (deuxième branche du moyen unique)

72      Par la deuxième branche du moyen unique, les requérantes soutiennent que, si la Commission avait correctement apprécié les informations qui lui ont été fournies par l’IWFA et si elle avait examiné de manière indépendante les réponses apportées par les autorités irlandaises, elle aurait dû éprouver des doutes et n’aurait pas pu considérer, comme elle l’a cependant fait, qu’elle était parvenue à éliminer tout doute à l’issue de la phase préliminaire d’examen.

73      Par ailleurs, les requérantes font valoir que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » au moment où elle l’a adoptée et que ces éléments incluent ceux dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative. Or, selon les requérantes, il incombe à la Commission, dans le cadre de ses pouvoirs d’enquête, d’interroger les autorités nationales lorsqu’elle instruit une plainte et, au besoin, d’examiner des éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant. En outre, les requérantes soulignent qu’il existe une contradiction entre les déclarations des autorités irlandaises contenues dans leur réponse du 9 juin 2016 et les documents joints en annexe à cette réponse et que la demande d’informations adressée par la Commission à ces autorités le 22 mai 2019 (voir point 20 ci-dessus) n’a reçu de ces dernières qu’une réponse incomplète et inappropriée, qui aurait dû conduire la Commission à les solliciter de nouveau afin d’obtenir les éléments demandés, ce qu’elle n’a pas fait. De l’avis des requérantes, cela démontre que la Commission n’a pas procédé à son propre examen, mais qu’elle a demandé aux autorités irlandaises une simple confirmation de leurs déclarations, sans aucun élément d’évaluation ni analyse critique.

74      La Commission conteste les arguments des requérantes.

75      En l’espèce, il convient de relever que, à la suite de la plainte de l’IWFA et de multiples échanges avec cette dernière, la Commission a envoyé, respectivement, le 8 avril 2016 et le 22 mai 2019, deux demandes d’informations aux autorités irlandaises et leur a communiqué les objections de l’IWFA en leur demandant de présenter leurs observations sur celles-ci. À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que le seul fait que des discussions se soient instaurées entre la Commission et l’État membre durant la phase préliminaire d’examen et que, dans ce cadre, des informations complémentaires aient pu être demandées par la Commission sur les mesures alléguées ne peut pas, en soi, être considéré comme un indice de ce que cette institution aurait fait face à des difficultés sérieuses d’appréciation (voir, par analogie, arrêt du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 50).

76      Il ressort de l’examen des échanges entre la Commission et les autorités irlandaises que ceux-ci ne peuvent être considérés comme particulièrement fréquents ou intenses, eu égard à la technicité des questions qui visaient à déterminer si la méthode d’évaluation de la VAN des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles ne procurait pas à ces dernières un avantage sélectif indu.

77      En outre, dans leur réponse du 9 juin 2016 à la première demande d’informations, les autorités irlandaises ont notamment affirmé qu’il existait d’importantes différences dans les coûts d’exploitation des différentes infrastructures de production d’électricité, en fonction de la technologie utilisée, de sorte qu’une comparaison entre ces infrastructures fondée sur le coefficient exprimant le ratio entre la VAN et la capacité de production, soit le coefficient VAN/mégawatt (MW), serait « inappropriée et trompeuse ». Partant, la circonstance, relevée par les requérantes, que les autorités irlandaises ont cependant pu, dans l’annexe 4 de leur réponse, reproduire un tableau dans lequel ce coefficient était uniquement utilisé pour comparer des parcs éoliens entre eux n’entre pas, ainsi que les requérantes le font valoir, en contradiction avec les déclarations contenues dans cette réponse.

78      Il convient cependant d’observer que, par la seconde demande d’informations du 22 mai 2019, la Commission a demandé aux autorités irlandaises d’indiquer si, lorsque des données financières précises et fiables étaient disponibles, la « méthode des recettes et dépenses » avait été appliquée à des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles. Cette question n’a pas reçu de réponse explicite. Toutefois, lors de l’audience, la Commission a expliqué que des éléments de réponse à cette question se trouvaient dans le tableau annexe joint par les autorités irlandaises avec leur réponse du 14 juin 2019, qui attestait que certaines installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles avaient bel et bien été évaluées selon la « méthode des recettes et dépenses ».

79      La Commission, par la seconde demande d’informations, a également sollicité des autorités irlandaises, pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles et les parcs éoliens auxquels les deux méthodes pouvaient être appliquées, c’est-à-dire à la fois la « méthode des recettes et dépenses » et la « méthode du coût de remplacement », les VAN de ces installations, calculées selon chacune de ces deux méthodes, afin de confirmer que les deux approches aboutissaient bien à des résultats similaires. Or, en réponse à cette demande, les autorités irlandaises se sont limitées à affirmer que, « lorsque toutes les méthodes p[ouvai]ent être appliquées, en théorie, elles [devaient] aboutir à des évaluations similaires » et que « l’utilisation d’une méthode d’évaluation spécifique dépend[ait] des circonstances de l’affaire et des preuves disponibles ».

80      Toutefois, il ressort du considérant 45, sous b), troisième tiret, de la décision attaquée que, au cours de la procédure administrative et, en particulier, dans leur réponse du 9 juin 2016 à la première demande d’informations de la Commission, les autorités irlandaises avaient déjà affirmé, en substance, que, pour une installation éolienne donnée, alors que l’application de la « méthode du coût de remplacement » aurait entraîné une VAN de 203 000 euros, l’application de la « méthode des recettes et dépenses » avait conduit à une VAN plus favorable de 188 840 euros et que, si la « méthode du coût de remplacement » avait été appliquée aux parcs éoliens de Limerick (Irlande), huit de ces parcs sur dix auraient eu une VAN légèrement supérieure et, par conséquent, une imposition foncière également supérieure.

81      La Commission a d’ailleurs estimé à cet égard, aux considérants 55 et 72 de la décision attaquée, que les autorités irlandaises avaient dûment démontré, à tout le moins pour certains parcs éoliens, que l’application de la « méthode des recettes et dépenses » et celle de la « méthode du coût de remplacement » avaient conduit à des estimations similaires des VAN de ces installations.

82      Ainsi, la simple circonstance que la Commission n’a pas de nouveau sollicité les autorités irlandaises dans le but d’obtenir des réponses plus précises aux questions posées dans le cadre de la seconde demande d’informations n’est pas, à elle seule, de nature à caractériser l’insuffisance ou le caractère incomplet de son examen ou encore l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû la conduire à adresser une troisième demande d’informations aux autorités irlandaises ou à ouvrir la procédure formelle d’examen, dès lors que les réponses à la première demande d’informations étaient suffisantes pour lui permettre d’adopter la décision attaquée.

83      Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du moyen unique.

 Sur la série d’indices tenant à la mauvaise compréhension, par la Commission, de certains éléments fondamentaux de la plainte de l’IWFA et à l’absence d’examen approprié de la mesure contestée (troisième branche du moyen unique)

84      Par la troisième branche du moyen unique, les requérantes soutiennent qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas compris certains éléments fondamentaux de la plainte de l’IWFA.

85      En particulier, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir estimé, au considérant 26 de la décision attaquée, que l’IWFA avait fondé sa plainte sur l’existence alléguée d’une discrimination. Or, les requérantes soutiennent que la plainte déposée par l’IWFA portait sur le fait que l’évaluation de la VAN des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles aboutissait à un traitement fiscal préférentiel pour les exploitants de ces installations, et non sur l’existence d’une discrimination. Selon les requérantes, la mesure contestée est structurée de telle manière que, quelle que soit la méthode d’évaluation choisie par le VOI, le montant de l’impôt foncier commercial dû par les exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles est considérablement inférieur à celui dû par les producteurs d’électricité ayant recours à d’autres technologies.

86      Pour étayer leurs allégations, les requérantes livrent une présentation détaillée du fonctionnement de l’impôt foncier des entreprises en Irlande. À cet égard, les requérantes soulignent notamment que cet impôt a été introduit avant que l’Irlande n’acquière son indépendance et qu’il existe un système d’impôt foncier des entreprises similaire au Royaume-Uni, qui constitue selon elles un point de référence utile eu égard aux liens historiques étroits de ce système avec le système irlandais.

87      Plus en détail, les requérantes rappellent que la VAN d’un bien immobilier s’entend, en substance, du montant annuel du loyer qui peut raisonnablement être attendu de la location de ce bien, de sorte que, selon elles, il existe un lien entre l’usage du bien et l’impôt qui est dû.

88      Les requérantes soutiennent que, dans le contexte de la réévaluation, à compter de 2005, de la valeur des biens immobiliers irlandais, induite par l’adoption de la loi de 2001, la totalité des éléments composant un bien immobilier devait être prise en compte, de sorte que tous les équipements de production d’électricité devaient être évalués en totalité et suivant la même méthode, quelle que soit la technologie utilisée. Elles ajoutent que, bien que différentes méthodes pour évaluer la VAN des biens immobiliers aient été à disposition du VOI, chaque méthode devait permettre d’aboutir au même résultat. À cet égard, elles soutiennent que l’évaluateur du VOI chargé de la réévaluation de la VAN d’un bien immobilier est tenu par le principe lié à la nécessité de « prendre du recul et d’examiner », qui lui impose de comparer l’évaluation d’un bien à laquelle il est parvenu avec celle d’autres biens immobiliers comparables, afin d’assurer une certaine cohérence.

89      Les requérantes ajoutent que, au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, à la différence du VOI, l’agence d’évaluation équivalente a fait le choix de recourir à la « méthode des recettes et dépenses » pour évaluer l’ensemble des installations de production d’électricité, et ce quelle que soit la technologie utilisée.

90      Selon les requérantes, en dépit du principe lié à la nécessité de « prendre du recul et d’examiner », le choix d’une méthode d’évaluation de la VAN des installations de production d’électricité différente en fonction de la technologie utilisée a impliqué que les exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles ont payé un impôt foncier jusqu’à trois fois inférieur à celui payé par les autres producteurs d’électricité. Dans leur réplique, les requérantes ont soumis un graphique actualisé représentant, pour différentes installations de production d’électricité, le niveau de l’impôt foncier avant et après réévaluation.

91      Au terme de cette présentation du fonctionnement de l’impôt foncier des entreprises en Irlande, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir correctement examiné le choix de la méthode d’évaluation de la VAN et la manière dont cette méthode a été appliquée.

92      Premièrement, les requérantes soutiennent qu’il existe une hiérarchie entre les différentes méthodes d’évaluation de la VAN des biens immobiliers. À cet égard, elles se réfèrent à la jurisprudence du Valuation Tribunal (tribunal d’évaluation), qui a reconnu, dans une décision du 11 mai 2006, qu’il « exist[ait] une hiérarchie acceptée entre les méthodes possibles » et que, en « pratique, la [méthode du coût de remplacement] [était] considérée comme la méthode de dernier recours, et son utilisation ne d[eva]it être envisagée que lorsque les éléments de preuve disponibles [étaie]nt insuffisants pour pouvoir effectuer l’évaluation par une méthode d’évaluation plus fiable ». Selon les requérantes, la Commission n’a tenu aucun compte de ces arguments relatifs à la hiérarchie non écrite existant entre les différentes méthodes d’évaluation et elle aurait tenu pour acquis l’argument des autorités irlandaises selon lequel la loi de 2001 ne prescrivait pas la méthode à appliquer. Or, les requérantes font valoir que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 novembre 2018, Tempus Energy et Tempus Energy Technology/Commission (T‑793/14, sous pourvoi, EU:T:2018:790), la Commission est tenue de procéder à son propre examen impartial, objectif et approfondi d’une mesure d’aide alléguée, ce qu’elle n’aurait pas fait en l’espèce.

93      Les requérantes soulignent que, dans une précédente affaire similaire concernant l’application des impôts fonciers des entreprises aux infrastructures de télécommunications au Royaume-Uni, la Commission avait ouvert la procédure formelle d’examen alors que se posait la question de savoir si le recours à différentes méthodes d’évaluation, qui semblaient aboutir à une charge fiscale différente et disproportionnée entre les entreprises concurrentes sur le marché des télécommunications, avait pu entraîner l’octroi d’une aide d’État.

94      Les requérantes prennent également appui sur cette précédente affaire pour relever que la Commission a déjà affirmé que la « méthode des recettes et dépenses » était « appliquée pour les biens immobiliers rarement loués ou difficiles à reproduire », tels que des biens publics. Ainsi, elles font valoir que cette définition s’applique tant aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles qu’à celles utilisant d’autres technologies, de sorte qu’il n’existe aucune justification objective, que la Commission n’a au demeurant pas recherchée, à l’application de méthodes d’évaluation différentes aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles et aux parcs éoliens. À cet égard, les requérantes ajoutent que l’argument des autorités irlandaises selon lequel le recours à une méthode d’évaluation différente se justifiait par la disponibilité ou non d’informations financières détaillées et fiables aurait dû conduire la Commission à mettre en doute les réponses desdites autorités, dès lors que, d’une part, de telles informations financières devaient pouvoir être obtenues par un organisme d’État et que, d’autre part, à supposer que tel ne soit pas le cas, il suffirait donc, pour un opérateur économique, de rendre l’accès à ses informations financières difficile pour qu’une méthode plus favorable d’évaluation de ses biens immobiliers lui soit appliquée, de laquelle découlerait un montant réduit de l’impôt foncier des entreprises qui serait dû.

95      Deuxièmement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir considéré que les autorités irlandaises avaient démontré de manière satisfaisante que, quelle que soit la méthode d’évaluation appliquée, les résultats auraient été les mêmes et d’avoir écarté l’argumentation relative à la nécessité d’utiliser un système de mesure pour comparer les différents producteurs d’électricité, dans le cadre du principe lié à la nécessité de « prendre du recul et d’examiner », en tenant une nouvelle fois pour acquises les explications des autorités irlandaises, et ce alors même que le VOI lui-même, dans les années 1990, avait envisagé une approche « réaliste » selon laquelle les différentes installations de production d’électricité devaient être comparées selon leurs capacités de production. À cet égard, les requérantes ajoutent que la seule valeur de référence valable et objective pour comparer les montants d’impôts payés par les différents producteurs d’électricité est le coefficient VAN/MW, ce que confirmerait une décision du Valuation Tribunal (tribunal d’évaluation) du 6 février 2018. En outre, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la situation antérieure à la mise en œuvre de la réévaluation des biens immobiliers, sous l’empire de laquelle les différents types d’installations de production d’électricité bénéficiaient d’un traitement fiscal similaire.

96      La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Sur la prétendue mauvaise compréhension, par la Commission, de certains éléments fondamentaux de la plainte de l’IWFA

97      À titre liminaire, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’IWFA n’avait pas fondé sa plainte sur l’existence alléguée d’une discrimination (voir point 85 ci-dessus), il suffit de relever, pour l’écarter, que cet argument paraît purement terminologique, dès lors que les requérantes, dans leur requête, évoquent elles-mêmes le « traitement fiscal plus favorable » ainsi que les « impôts considérablement inférieurs » dont bénéficieraient les exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, ce qui peut être de nature à s’apparenter à une imposition discriminatoire, entre producteurs d’électricité concurrents, fondée sur la technologie de production utilisée.

98      S’agissant de certains éléments fondamentaux de la plainte de l’IWFA qui n’auraient pas été convenablement compris par la Commission, il convient de relever ce qui suit.

99      Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel chaque méthode d’évaluation de la VAN d’un bien immobilier devrait permettre d’aboutir à des résultats identiques (voir point 88 ci-dessus), il convient de relever que ni l’IWFA dans sa plainte ni les requérantes ne démontrent que l’application d’une méthode différente aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles aboutirait à une évaluation de leur VAN qui serait supérieure à celle obtenue en appliquant la « méthode du coût de remplacement », mais qu’elles se limitent à affirmer, en substance, que l’application de méthodes différentes à des installations de production d’électricité ayant recours à des technologies différentes, combinée à la large marge d’appréciation dont bénéficie le VOI dans l’application de ces différentes méthodes, aurait pour conséquence de procurer un avantage fiscal aux exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles.

100    Il convient toutefois d’observer que, en annexe à la réplique, les requérantes ont produit l’annexe 4 de la lettre des autorités irlandaises du 9 juin 2016, de laquelle il ressort que, pour dix installations éoliennes examinées, le coefficient VAN/MW est légèrement inférieur lorsqu’est appliquée la « méthode des recettes et dépenses » par rapport au résultat auquel la « méthode du coût de remplacement » aboutit. Il en résulte que, pour ces parcs éoliens, la VAN obtenue est très légèrement inférieure lorsqu’est appliquée la « méthode des recettes et dépenses », mais qu’elle reste cependant extrêmement proche de celle obtenue en appliquant la « méthode du coût de remplacement », de sorte qu’il ne peut être soutenu que l’application d’une méthode en particulier, par rapport à une autre, impliquerait, dans l’un des deux cas, une sous-évaluation.

101    Quant à l’argument selon lequel l’évaluateur serait tenu, en application du principe lié à la nécessité de « prendre du recul et d’examiner », de comparer l’évaluation d’un bien à laquelle il est parvenu avec celle d’autres biens immobiliers comparables, il suffit de relever, pour l’écarter, d’une part, que cet argument n’est étayé par aucun élément de preuve et, d’autre part et en toute hypothèse, qu’il n’est ni établi ni démontré que ce principe devrait être appliqué dans le cadre d’une comparaison entre différentes installations de production d’électricité ayant recours à des technologies différentes.

102    Deuxièmement, s’agissant de l’argument lié à la proximité du système en vigueur au Royaume-Uni avec le système irlandais et du choix fait par l’agence d’évaluation équivalente au VOI, au Royaume-Uni, de systématiquement recourir à la « méthode des recettes et dépenses » pour évaluer l’ensemble des installations de production d’électricité, et ce quelle que soit la technologie utilisée (voir point 89 ci-dessus), il suffit de relever, pour l’écarter, que cet argument n’est pas de nature à révéler l’existence de difficultés sérieuses justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen. En effet, quelle que soit la situation qui prévaut au Royaume-Uni, celle-ci est sans aucune influence sur le fonctionnement du système fiscal irlandais.

103    Troisièmement, s’agissant des éléments chiffrés présentés par l’IWFA dans sa plainte et que les requérantes considèrent comme étant fondamentaux (voir point 90 ci-dessus), en ce qu’ils montrent que les exploitants d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles ont payé, par MW, en 2015, un impôt foncier jusqu’à trois fois inférieur à celui payé par les autres producteurs d’électricité, il convient d’observer que, dans la décision attaquée, la Commission y a fait référence en répondant, au considérant 73 de cette décision, que la comparaison proposée entre les installations de production d’électricité en termes de montant d’impôt exprimé en euros par mégawatt de capacité de production installée n’était pas pertinente, dès lors que l’impôt foncier des entreprises n’est pas un impôt prélevé sur l’électricité produite, mais sur le patrimoine foncier d’une entreprise.

104    À cet égard, il y a effectivement lieu de rappeler que l’impôt foncier des entreprises est un impôt sur la valeur de leur patrimoine foncier, calculé à partir d’une valeur locative, et qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur la production. Cet impôt s’applique normalement à tous les biens immobiliers professionnels et, par conséquent, à toutes les installations de production d’électricité. Il s’ensuit que la circonstance que cet impôt, rapporté à la quantité de mégawatts annuellement produits, soit plus élevé pour les parcs éoliens que pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles est sans pertinence aux fins de la présente affaire et ne saurait, en toute hypothèse, constituer un indice fiable pour évaluer l’équité du système de l’impôt foncier des entreprises en Irlande. De la même manière, la circonstance que cet impôt, en valeur absolue, soit différent pour les parcs éoliens et pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles ne permet, en tant que telle, de tirer aucune conclusion utile, dès lors que ces installations présentent des VAN différentes.

105    Il s’ensuit qu’il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que la comparaison proposée entre les différentes installations de production d’électricité en termes de montant d’impôt exprimé en euros par mégawatt de capacité de production installée n’est pas pertinente aux fins de la présente affaire.

106    Toutefois, selon le système de mesure proposé par l’IWFA dans sa plainte, sur la base duquel les requérantes, dans le cadre du présent recours, ont présenté un certain nombre d’éléments chiffrés supplémentaires (voir point 90 ci-dessus), l’impôt foncier des entreprises, rapporté aux capacités de production des installations de production d’électricité, aurait, par rapport à la situation qui prévalait avant l’exercice de réévaluation qui a débuté en 2005, évolué à la hausse pour les parcs éoliens, alors qu’il aurait, dans le même temps, diminué pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles et pour les centrales hydroélectriques.

107    Cependant, force est de constater qu’une telle comparaison entre, d’une part, la situation qui prévalait avant l’exercice de réévaluation et, d’autre part, la situation nouvellement créée à la suite de cet exercice n’a jamais été expressément invoquée par l’IWFA au cours de la procédure administrative et n’a, par conséquent, jamais fait l’objet des débats avec la Commission, lesquels se sont limités aux allégations selon lesquelles le choix d’une méthode différente, combinée à la large marge d’appréciation dont jouissait le VOI en appliquant la « méthode du coût de remplacement », avait impliqué une sous-évaluation de la VAN des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, dont il avait résulté que les exploitants de ces installations avaient bénéficié d’un avantage fiscal par rapport aux exploitants de parcs éoliens.

108    En outre, il convient de relever que, en annexe à la lettre du 31 octobre 2017 (voir point 16 ci-dessus), l’IWFA avait joint un tableau contenant certaines données reflétant des situations avant et après l’exercice de réévaluation, mais sans toutefois qu’un argument concernant une comparaison entre ces données fût soulevé. En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience du 26 janvier 2021, les requérantes ont d’ailleurs reconnu que l’IWFA n’avait pas développé cet argument au cours de la procédure administrative.

109    Il s’ensuit que le silence de la Commission, dans la décision attaquée, sur une telle comparaison entre, d’une part, la situation qui prévalait avant l’exercice de réévaluation et, d’autre part, la situation nouvellement créée à la suite de cet exercice ne peut constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses. Au surplus, il convient de constater, ainsi que les requérantes l’ont observé dans leurs réponses aux questions posées par le Tribunal dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 24 novembre 2020 (voir point 26 ci-dessus), qu’une comparaison entre les anciennes valeurs RV et les nouvelles VAN n’est pas pertinente, dès lors que les valeurs utilisées dans l’ancien système étaient obsolètes et ne reflétaient plus la réalité et que les critères de référence désormais utilisés pour déterminer ces bases de calcul sont différents.

–       Sur la prétendue absence d’examen approprié de la mesure contestée

110    S’agissant de l’absence d’examen approprié de la mesure contestée alléguée par les requérantes, il convient de relever ce qui suit.

111    Premièrement, s’agissant de l’argumentation relative à l’existence d’une hiérarchie « acceptée » et « non écrite » entre les différentes méthodes d’évaluation de la VAN (voir points 92 à 94 ci-dessus), il convient d’observer que l’existence d’une telle hiérarchie est reconnue tant par les autorités irlandaises que par la Commission. En effet, les autorités irlandaises ont déclaré, au cours de la procédure administrative, qu’il était exact que, lorsque les deux méthodes en cause étaient applicables à un bien ou à une catégorie de biens en particulier, il existait une préférence pour la « méthode des recettes et dépenses ». La Commission a elle aussi estimé, au considérant 69 de la décision attaquée, que, en pratique, ce n’était que lorsque les trois autres méthodes ne pouvaient pas être appliquées que la « méthode du coût de remplacement » pouvait l’être.

112    Par ailleurs, il y a lieu de relever que le postulat initial de l’IWFA selon lequel la VAN des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles serait systématiquement évaluée suivant la « méthode du coût de remplacement » alors que celle des parcs éoliens serait quant à elle évaluée suivant la « méthode des recettes et dépenses » est erroné. En effet, ainsi que cela ressort notamment du considérant 67 de la décision attaquée, les autorités irlandaises ont confirmé, sans que les requérantes le contestent, que la « méthode des recettes et dépenses » avait également été appliquée aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles dans certains comtés d’Irlande, et ce en fonction de la disponibilité et de la fiabilité de certaines informations financières. À cet égard, les autorités irlandaises ont notamment joint à leur réponse du 14 juin 2019 (voir point 20 ci-dessus) un tableau indiquant que, à au moins trois reprises, la « méthode des recettes et dépenses » avait été appliquée à des installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles.

113    En tout état de cause, il ne ressort d’aucun élément dont la Commission disposait lorsqu’elle a adopté la décision attaquée qu’il serait possible d’affirmer, ainsi que tentent de le faire valoir les requérantes, que la « méthode du coût de remplacement » produirait généralement une VAN moins élevée que la « méthode des recettes et dépenses » ou que le VOI aurait commis des erreurs lors de l’application de la première de ces méthodes à certaines installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, entraînant une sous-évaluation de la VAN et, partant, de la valeur imposable de leur patrimoine foncier.

114    Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation relative à la nécessité d’utiliser un système de mesure pour comparer l’impôt payé par les différents producteurs d’électricité (voir point 95 ci-dessus), il y a lieu de rappeler qu’il ressort du considérant 73 de la décision attaquée, ainsi que de l’analyse menée aux points 103 et suivants ci-dessus, que la comparaison entre les installations de production d’électricité en termes de montant d’impôt exprimé en euros par mégawatt de capacité de production installée n’est pas pertinente, dès lors que l’impôt foncier des entreprises n’est pas un impôt prélevé sur l’électricité produite, mais sur le patrimoine foncier d’une entreprise.

115    Par ailleurs, si, comme les requérantes tentent de le faire valoir, le VOI a effectivement envisagé une approche suivant laquelle les différentes installations de production d’électricité pouvaient, en vue de leur évaluation, être comparées selon leurs capacités de production, il y a lieu de constater que, d’une part, en toute hypothèse, une telle approche, que les requérantes situent elles-mêmes au « milieu des années 1990 », est très largement antérieure à l’adoption de la loi de 2001 et que, d’autre part, aucune preuve ne permet d’affirmer que le VOI aurait procédé ainsi depuis 2001. Quant à la circonstance que cette approche aurait été approuvée par les juridictions irlandaises, en particulier par un jugement de 2013, il suffit de constater qu’il ne ressort aucunement de la jurisprudence citée par les requérantes que les différentes installations de production d’électricité devraient être comparées selon leurs capacités de production, mais seulement que l’évaluation de la VAN doit comprendre des informations sur le marché locatif, qui entraîne des comparaisons avec d’autres biens présents sur le marché. En outre, au contraire de ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort aucunement de la lecture de la décision du Valuation Tribunal (tribunal d’évaluation) du 6 février 2018 que le coefficient VAN/MW serait le système de mesure pertinent pour comparer différentes installations de production d’électricité entre elles.

116    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter l’argumentation des requérantes tirée de la mauvaise compréhension, par la Commission, de certains éléments fondamentaux de la plainte de l’IWFA et de l’absence d’examen approprié de la mesure contestée.

 Sur l’indice tenant à la prétendue absence d’examen de l’ensemble des informations fournies par l’IWFA (quatrième branche du moyen unique)

117    Par la quatrième branche du moyen unique, les requérantes font valoir qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas examiné l’ensemble des informations fournies par l’IWFA dans le cadre de sa plainte.

118    En particulier, rappelant que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 novembre 2018, Tempus Energy et Tempus Energy Technology/Commission (T‑793/14, sous pourvoi, EU:T:2018:790), la Commission est tenue de procéder à son propre examen impartial, objectif et approfondi d’une mesure d’aide alléguée, les requérantes reprochent à la Commission, premièrement, de ne pas avoir procédé à une analyse impartiale et indépendante de la mesure contestée et de s’être appuyée uniquement sur les informations fournies par les autorités irlandaises, qu’il s’agisse tant de son appréciation de l’existence d’un avantage que de celle de la sélectivité de ladite mesure, deuxièmement, de ne pas avoir procédé à un examen approfondi des informations dont elle disposait, en particulier des éléments concernant la VAN en fonction des capacités de production, exprimées en mégawatts, des différentes installations de production d’électricité, et, troisièmement, d’avoir considéré qu’il appartenait à l’IWFA de fournir une évaluation du montant de l’aide alléguée.

119    La Commission conteste les arguments des requérantes.

120    En l’espèce, il convient d’observer que la Commission a consacré 29 des 75 considérants de la décision attaquée à l’évaluation de la mesure contestée. Au cours de cette évaluation, la Commission a examiné et confronté aux observations de l’IWFA, rapportées aux considérants 22 à 29 de ladite décision, celles des autorités irlandaises, rapportées aux considérants 30 à 45 de cette même décision. La Commission y a fait part de ses propres constatations et observations en ce qui concerne les éléments pertinents, en particulier qu’il n’était pas établi que les méthodes d’évaluation appliquées aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles avaient procuré à ces dernières un avantage économique qu’elles n’auraient pas reçu si une méthode d’évaluation différente avait été appliquée.

121    Par ailleurs, la circonstance que la Commission n’a pas réfuté les explications données par les autorités irlandaises ne signifie pas pour autant qu’elle n’en a pas dûment apprécié la pertinence et l’exactitude, ainsi que cela ressort de l’analyse menée à partir du considérant 46 de la décision attaquée.

122    Quant à l’argumentation qui consiste à reprocher à la Commission de ne pas avoir procédé à un examen approfondi des éléments concernant le coefficient VAN/MW des différentes installations de production d’électricité, il suffit de constater, pour l’écarter, qu’elle a estimé, au considérant 73 de la décision attaquée, à juste titre, ainsi que cela ressort de l’analyse menée aux points 103 et suivants ci-dessus, que la comparaison proposée entre les installations de production d’électricité en termes de montant d’impôt exprimé en euros par mégawatt de capacité de production installée n’était pas pertinente, dès lors que l’impôt foncier des entreprises n’est pas un impôt prélevé sur l’électricité produite, mais sur le patrimoine foncier d’une entreprise.

123    Enfin, s’agissant de l’argumentation selon laquelle il n’appartenait pas à l’IWFA de quantifier de manière précise l’aide accordée à des concurrents, il suffit de constater pour l’écarter que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas, dans la décision attaquée, exigé de l’IWFA qu’elle fournît une évaluation du montant de l’aide alléguée. À cet égard, il ressort en effet du considérant 21 de la décision attaquée que la Commission s’est limitée à observer que l’IWFA n’avait proposé aucune quantification de la mesure contestée, tout en soulignant, premièrement, que l’exercice de réévaluation n’était pas encore achevé et, deuxièmement, que certaines évaluations pouvaient être modifiées à la suite d’une décision du Valuation Tribunal (tribunal d’évaluation).

124    Il résulte de ce qui précède qu’aucun des prétendus indices relatifs aux éléments se rapportant à la décision attaquée avancés par les requérantes, pris isolément ou avec d’autres, n’est de nature à révéler que la Commission aurait rencontré des difficultés sérieuses lors de son appréciation de la mesure contestée et aurait, dès lors, été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE. En outre, l’ensemble de ces prétendus indices rapporté à la durée de la phase préliminaire d’examen n’est pas davantage susceptible d’étayer cette allégation.

125    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de considérer que les requérantes n’ont pas démontré l’existence de doutes de nature à justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Partant, il y a lieu d’écarter le moyen unique et de rejeter le recours.

 Sur les dépens

126    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

127    Par ailleurs, aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.

128    En l’espèce, la Commission a obtenu gain de cause et ce résultat devrait, en principe, conduire le Tribunal à condamner les requérantes aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

129    Néanmoins, le Tribunal considère que, en raison notamment du retard pris dans le traitement de la lettre de l’IWFA du 4 août 2016 (voir point 11 ci-dessus), la Commission a participé à l’allongement de la durée de la phase préliminaire d’examen, de telle sorte qu’elle a pu, par son comportement, donner l’apparence qu’elle rencontrait certaines difficultés avec l’examen de la mesure contestée, contribuant ainsi à la décision d’introduire le présent recours.

130    Dans ces conditions, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.