Language of document : ECLI:EU:T:2022:723

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

3 octobre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Principe d’indépendance des juges – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Compétence de la Cour – Article 267 TFUE – Recevabilité – Réglementation nationale concernant l’ordre de traitement des requêtes – Suspension du prononcé d’un arrêt et de sa notification aux parties – Interprétation nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑327/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Visoki trgovački (cour d’appel de commerce, Croatie), par décision du 3 mai 2022, parvenue à la Cour le 16 mai 2022, dans la procédure

Centar za restrukturiranje i prodaju

contre

PROM-VIDIJA d.o.o.,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann, MM. M. Mataija et P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Centar za restrukturiranje i prodaju (Centre de restructuration et de vente, Croatie) à PROM–VIDIJA d.o.o. au sujet du remboursement de frais de justice.

 Le cadre juridique

 La loi relative à l’organisation juridictionnelle

3        L’article 30, paragraphe 1, du Zakon o sudovima (loi relative à l’organisation juridictionnelle, Narodne novine, br. 28/13, 33/15, 82/15, 82/16, 67/18, 126/19, 130/20 et 21/20) (ci-après la « loi relative à l’organisation juridictionnelle ») prévoit :

« Le président de la juridiction est un juge qui, en plus d’exercer ses fonctions juridictionnelles, assume des tâches en matière d’administration judiciaire en application de la loi et du Sudski poslovnik [règlement de procédure des tribunaux, Narodne novine, br. 37/14, 49/14, 8/15, 35/15, 123/15, 45/16, 29/17, 33/17, 34/17, 57/17, 101/18, 119/18, 81/19, 128/19, 39/20, 47/20 et 138/20, ci-après le “règlement de procédure des tribunaux”]. [...] »

4        L’article 31 de la loi relative à l’organisation juridictionnelle énonce :

« 1.      Dans l’exercice de ses tâches en matière d’administration judiciaire, le président de la juridiction adopte des actes administratifs et autres, rend des ordonnances et donne des instructions dans les limites de ses pouvoirs.

[...]

3.      Le président de la juridiction exerce un contrôle afin de veiller à l’exécution correcte et en temps utile des travaux au sein de la juridiction. Le règlement de procédure des tribunaux contient des dispositions plus détaillées sur les modalités de ce contrôle.

[...]

5.      Le président de la juridiction est tenu de veiller à ce que la juridiction traite efficacement les affaires, en particulier celles datant de plus de trois ans.

[...] »

5        L’article 93, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Le juge est tenu de traiter les affaires qui lui sont attribuées dans l’ordre de leur arrivée dans la juridiction, en tenant compte également des affaires identifiées par une réglementation spéciale comme étant urgentes. »

 Le règlement de procédure des tribunaux

6        L’article 121 du règlement de procédure des tribunaux prévoit :

« Après réception du dossier de l’affaire transmis par le greffe, le juge, le conseiller judiciaire ou tout autre fonctionnaire traite les affaires dans leur ordre d’arrivée dans la juridiction, en tenant également compte des affaires considérées comme urgentes conformément à une réglementation spéciale. »

7        L’article 177, paragraphe 3, de ce règlement de procédure énonce :

« Devant une juridiction de deuxième instance, une affaire est réputée close à la date de l’expédition de la décision à partir du stock d’affaires attribuées à un juge, après retour de l’affaire du service de l’enregistrement. À compter de la date de la réception du dossier, le service de l’enregistrement est tenu de le renvoyer au bureau de ce juge dans un délai aussi bref que possible. Il est ensuite procédé à l’expédition de la décision dans un nouveau délai de huit jours. »

 Les critères de référence concernant le travail des juges

8        Les Okvirna mjerila za rad sudaca (critères de référence concernant le travail des juges), adoptés au mois de décembre 2021 par le ministre de la Justice, conformément à l’article 79 de la loi relative à l’organisation juridictionnelle, prévoient le nombre de décisions qu’un juge est tenu de rendre au cours d’une année. En ce qui concerne le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce, Croatie), pris dans son ensemble, les critères de référence concernant le travail des juges énoncent :

« Appel interjeté contre des décisions rendues dans des litiges concernant des redevances pour l’utilisation d’œuvres musicales et de droits d’exécution : 350

Appel interjeté contre des décisions rendues dans des procédures d’exécution : 400

Autres affaires inscrites au registre des recours de seconde instance dans des litiges commerciaux : 180

Appel interjeté contre des décisions de première instance concernant des recours et des demandes reconventionnelles : 150

Affaires en lien avec le registre du commerce dans le cadre d’un appel interjeté contre la décision de rejet d’une demande d’inscription : 600

Protection du droit à un procès dans un délai raisonnable – indemnisation pour violation de ce droit : 400

Décision relative à un conflit de juridiction : 800

Demande de décision préjudicielle présentée à la [Cour] : 100

Procédure de conciliation ayant abouti à un accord – juge de paix : 90 »

 La loi relative au conseil national de la magistrature

9        L’article 62 du Zakon o Državnom sudbenom vijeću (loi relative au conseil national de la magistrature, Narodne novine, br. 116/10, 57/11, 130/11, 13/13, 28/13, 82/15, 67/18 et 126/19) (ci-après la « loi relative au conseil national de la magistrature ») prévoit :

« 1)      Le juge répond des fautes disciplinaires commises.

2)      Sont des fautes disciplinaires :

1.      l’exercice irrégulier des fonctions de juge,

[...]

3)      Une procédure disciplinaire pour une faute disciplinaire visée au paragraphe 2, point 1, du présent article, est engagée en particulier :

[...]

3.      lorsque, sans motif justifié, le nombre des décisions rendues par un juge pendant une période d’une année est inférieur à 80 % du nombre fixé par les critères de référence concernant le travail des juges.

4.      lorsque, pour statuer dans une affaire, le juge s’écarte, sans motif justifié, de l’ordre d’arrivée de cette affaire dans la juridiction ou ne tient pas compte du caractère d’urgence de celle-ci.

[...] »

 L’instruction no 5Su918/2119

10      Aux termes de l’instruction no 5–Su–918/21–19 du président du Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce), du 20 janvier 2022 (ci-après l’« instruction no 5–Su–918/21–19 »), « afin de rendre la juridiction plus efficace dans le traitement des affaires pour lesquelles la procédure a été engagée il y a plus de cinq ans et de respecter l’ordre de traitement des affaires, ainsi que de protéger le droit des parties à un procès dans un délai raisonnable », un juge est tenu de donner la priorité, c’est-à-dire « de traiter immédiatement, avant toute autre affaire et par ordre d’ancienneté depuis l’engagement de la procédure », certaines catégories d’affaires, à savoir, notamment, les affaires datant de plus de sept ans, suivies des affaires datant de cinq à sept ans. Cette instruction précise que les autres affaires doivent être traitées par les juges par ordre d’ancienneté et dans leur ordre d’arrivée. Ladite instruction prévoit que le vice-président de la juridiction et le service d’enregistrement sont chargés de suivre l’ordre de traitement des affaires.

11      La même instruction ne mentionne pas explicitement la procédure d’enregistrement, ni la procédure d’expédition des décisions de justice et ne prévoit pas la possibilité de ne pas enregistrer ces décisions.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      Le 20 décembre 2021, le Trgovački sud u Zagrebu (tribunal de commerce de Zagreb, Croatie) a notamment jugé, par la voie d’une ordonnance, que la requérante au principal était tenue de rembourser la totalité des frais de justice encourus dans l’affaire concernée.

13      La requérante au principal a interjeté appel de cette ordonnance devant le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce), qui est la juridiction de renvoi.

14      Le 13 avril 2022, la juridiction de renvoi, siégeant en formation de juge unique, après avoir adopté sa décision sur cet appel, a signé et transmis son jugement au service de l’enregistrement.

15      La juridiction de renvoi indique que, en vertu de l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux, le travail juridictionnel est considéré comme étant achevé uniquement lorsque l’affaire concernée est enregistrée par le service d’enregistrement. Elle précise que, en effet, c’est seulement après un tel enregistrement que cette affaire est qualifiée de « close », que des tiers peuvent avoir accès à la décision juridictionnelle correspondante et que cette dernière est expédiée aux parties. Ainsi, bien que cette décision juridictionnelle ait été adoptée par une formation de jugement, elle est considérée comme étant finalisée uniquement lorsqu’elle est confirmée par un juge de ce service (ci-après le « juge de l’enregistrement »), lequel est désigné par le président de la juridiction concernée, dans l’exercice de ses tâches en matière d’administration judiciaire, dans le cadre du programme annuel d’affectation des juges. La juridiction de renvoi souligne, à cet égard, d’une part, que le nom du juge de l’enregistrement n’est pas connu des parties et, d’autre part, qu’une telle procédure n’est pas prévue par une loi en tant que condition d’adoption d’une décision juridictionnelle, mais existe dans la pratique des juridictions de deuxième instance, en vertu du règlement de procédure des tribunaux.

16      Le 27 avril 2022, le service de l’enregistrement a retourné à la juridiction de renvoi le jugement en cause au principal, sans l’avoir enregistré, accompagné d’une lettre de la vice-présidente du Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce), qui précise que, conformément à l’article 121 du règlement de procédure des tribunaux, il est prévu de traiter les affaires dans l’ordre de leur arrivée dans la juridiction, en tenant compte également des affaires identifiées par une réglementation spéciale comme étant urgentes. Par conséquent, conformément à l’instruction no 5–Su–918/21–19, l’expédition de la décision adoptée par la juridiction de renvoi le 13 avril 2022 a été refusée.

17      À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, par l’instruction no 5–Su–918/21–19, le président du Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce) a, en tant que personne chargée de l’administration judiciaire, fixé l’ordre dans lequel les affaires attribuées doivent être traitées, aucune affaire ne pouvant être tranchée en dehors de cet ordre. En vertu dudit ordre, aucun jugement ne peut, selon cette juridiction, être expédié aux parties dans une affaire avant que les jugements dans toutes les affaires introduites avant cette affaire soient transmis au service de l’enregistrement. Elle précise que, dans le cas contraire, le service de l’enregistrement retourne le jugement concerné au juge compétent. Or, les parties au litige ne sont pas informées du fait qu’une affaire a été, en réalité, tranchée ou que le juge de l’enregistrement a refusé d’expédier le jugement correspondant.

18      La juridiction de renvoi explique que cette instruction a été adoptée aux fins d’assurer une plus grande efficacité de la juridiction, et ce dans une période au cours de laquelle le nombre moyen d’affaires en attente dans le stock des dossiers attribués à un juge était de 60, étant précisé qu’il est attendu d’un juge de cette juridiction qu’il se prononce sur 180 affaires par an, conformément aux critères de référence concernant le travail des juges.

19      À cet égard, la juridiction de renvoi observe également que, conformément à l’article 62 de la loi relative au conseil national de la magistrature, un juge est considéré comme ayant commis une faute disciplinaire « lorsque, sans motif justifié, le nombre des décisions adoptées par [celui-ci] pendant une période d’une année est inférieur à 80 % du nombre de décisions défini par les critères de référence concernant le travail des juges » et précise que, à la date à laquelle elle rédige la décision de renvoi, une modification de la loi relative au conseil national de la magistrature, prévoyant que les juges ne peuvent rendre un nombre de décisions inférieur à 100 % du nombre de décisions défini par les critères de référence concernant le travail des juges, est en cours.

20      Ainsi, un juge du Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce) devrait rendre en moyenne une décision par jour, de sorte qu’une telle interprétation, extrêmement formelle et stricte, de l’article 121 du règlement de procédure des tribunaux et, par conséquent, de l’instruction no 5–Su–918/21–19 aurait une incidence importante sur l’indépendance de la justice.

21      La juridiction de renvoi observe également que cette instruction, dans sa version actuellement en vigueur, n’est pas la première, mais que les instructions antérieures n’interdisaient pas strictement l’expédition de toutes les autres affaires qui n’étaient pas « en rang utile dans l’ordre de traitement ». Par conséquent, il arrive à présent, selon la juridiction de renvoi, qu’une décision ait été rédigée, mais que, avant même qu’elle soit envoyée au service de l’enregistrement, une « nouvelle affaire figurant à un rang antérieur dans l’ordre de traitement » soit reçue, de telle sorte que la décision rendue dans une affaire figurant à un rang ultérieur dans l’ordre de traitement ne peut être expédiée. Il arriverait que même le tiers des décisions rédigées ne puisse être expédié par cette juridiction et que la durée d’attente pour certaines affaires soit supérieure à six mois.

22      La juridiction de renvoi estime qu’une décision préjudicielle est nécessaire afin que le jugement dans l’affaire au principal puisse être expédié aux parties. En effet, pour qu’une décision juridictionnelle produise des effets juridiques, il ne suffirait pas que cette décision soit adoptée, mais il faudrait aussi qu’elle soit expédiée par la juridiction concernée et devienne accessible aux parties. Elle fait valoir, à cet égard, que la problématique soulevée relève de l’intérêt général à assurer l’application uniforme du droit de l’Union, l’État de droit, l’accès des parties à la justice, l’indépendance des juges d’un État membre et une protection juridictionnelle effective.

23      Dans ces conditions, le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La règle prévue à l’article 121 du [règlement de procédure des tribunaux] et l’[instruction no 5–Su–918/21–19], qui interdit de procéder à l’expédition des décisions des juges si celles-ci ne sont pas intégralement conformes à l’ordre de traitement indiqué dans cette instruction, doivent-elles être considérées comme étant conformes à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la [Charte] ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

24      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

25      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

26      En premier lieu, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences qui lui sont attribuées [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 77 ainsi que jurisprudence citée, et ordonnance du 3 septembre 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:684, point 31].

27      Le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 ainsi que jurisprudence citée].

28      En l’occurrence, en ce qui concerne, plus précisément, l’article 47 de la Charte, visé par la demande de décision préjudicielle, il convient de constater que la juridiction de renvoi ne mentionne aucune disposition du droit de l’Union qui serait applicable au litige au principal et ne fait état d’aucun élément indiquant que l’affaire au principal relève du champ d’application de dispositions de ce droit.

29      Il découle de ce qui précède que la juridiction de renvoi n’a présenté aucune information qui indiquerait que le litige au principal concernerait l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union qui serait mise en œuvre au niveau national. Partant, l’article 47 de la Charte n’est pas pertinent dans la présente affaire.

30      En second lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Ainsi, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans ces domaines (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

31      S’agissant du champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il ressort, par ailleurs, de la jurisprudence de la Cour que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

32      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a ainsi, notamment, vocation à s’appliquer à l’égard de toute instance nationale susceptible de statuer, en tant que juridiction, sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union et relevant ainsi de domaines couverts par ce droit (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

33      Or, tel est le cas du juge unique composant la formation de la juridiction de renvoi, lequel peut, en effet, être appelé, en sa qualité de membre d’une juridiction croate, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union et relève, en tant que « juridiction », au sens défini par ce droit, du système croate de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ce juge doit satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

34      Il convient néanmoins de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est cependant non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

35      Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

36      La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

37      Dans le cadre d’une telle procédure, il doit ainsi exister entre ce litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, il y a toutefois lieu de constater que le litige au principal ne présente, quant au fond, aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union, notamment avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE sur lequel porte la question préjudicielle posée, et que la demande de décision préjudicielle ne fait pas apparaître que la juridiction de renvoi serait appelée à appliquer ce droit, en particulier cette disposition, aux fins de dégager la solution de fond à réserver à ce litige.

39      Par ailleurs, une réponse de la Cour à la question préjudicielle posée ne paraît pas de nature à pouvoir fournir à la juridiction de renvoi une interprétation du droit de l’Union lui permettant de trancher des questions procédurales du droit national avant de pouvoir statuer sur le fond des litiges dont elle se trouve saisie, étant donné que, comme il ressort de la décision de renvoi, cette juridiction a déjà statué sur le fond de l’affaire au principal et que cette question préjudicielle porte sur l’expédition de son jugement.

40      En ce qui concerne l’indication de la juridiction de renvoi selon laquelle le retardement de l’expédition de décisions juridictionnelles peut avoir comme conséquence que le juge unique la composant rendra un nombre de décisions inférieur à celui qui est normalement exigé de lui et que, par la suite, il risque de faire l’objet d’une procédure disciplinaire, elle n’est pas pertinente pour cette affaire. En effet, même si la juridiction de renvoi expose les dispositions nationales applicables à cet égard, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour qu’un tel risque à l’égard dudit juge serait réel. En tout état de cause, la question préjudicielle posée ne porte pas sur la réglementation nationale relative à cette procédure disciplinaire et la question de l’éventuel engagement de la responsabilité disciplinaire du même juge ne fait pas l’objet de l’affaire au principal.

41      Il découle de tout ce qui précède que la demande de décision préjudicielle doit être déclarée manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce, Croatie), par décision du 3 mai 2022, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le croate.