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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 mars 2023 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction d’acheter, d’importer ou de transférer, directement ou indirectement, dans l’Union, les biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑782/22 R,

Cogebi, établie à Beersel (Belgique),

Cogebi, a.s., établie à Tábor (République tchèque),

représentées par Me H. over de Linden, avocate,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et E. Nadbath, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. J.‑F. Brakeland, Mmes M. Carpus Carcea et L. Puccio, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, les requérantes, Cogebi et Cogebi, a.s., sollicitent le sursis à l’exécution de l’annexe VI du règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 259 I, p. 3), dans la mesure où elle modifie l’annexe XXI du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), en y introduisant le code NC 6814 dans la liste des biens et technologies visés à l’article 3 decies du règlement no 833/2014 (ci‑après le « règlement attaqué »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Les requérantes exercent leur activité économique principale dans le domaine de la fabrication de produits industriels à base de mica résistants aux hautes tensions et aux températures élevées.

3        Le 31 juillet 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement no 833/2014, qui donne effet à certaines mesures prévues dans la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13).

4        Le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté, en réponse à l’intensification de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, à l’organisation de simulacres de « référendums » illégaux dans les parties des régions de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporija actuellement occupées illégalement par la Fédération de Russie, à l’annexion illégale de ces régions ukrainiennes par la Fédération de Russie, ainsi qu’à la mobilisation en Fédération de Russie et aux menaces répétées de recourir à des armes de destruction massive, la décision (PESC) 2022/1909 modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 259 I, p. 122).

5        À la même date, le Conseil a adopté le règlement attaqué, mettant en œuvre la décision 2022/1909, par lequel l’annexe XXI du règlement no 833/2014 a été remplacée par une nouvelle annexe établissant une liste plus détaillée des biens dont l’importation est interdite, conformément à l’article 3 decies, paragraphe 1, dudit règlement. Dans cette nouvelle annexe, il a introduit une interdiction d’importation dans l’Union de biens relevant du code NC 6814, à savoir le mica travaillé et ouvrages en mica.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 décembre 2022, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué, en tant qu’il comporte l’inclusion du code NC 6814 dans la liste des biens et technologies énumérés à l’annexe XXI et visés à l’article 3 decies du règlement no 833/2014.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 janvier 2023, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution du règlement attaqué, en tant qu’il comporte l’inclusion du code NC 6814 dans la liste des biens et technologies énumérés à l’annexe XXI et visés à l’article 3 decies du règlement no 833/2014 ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

8        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 27 janvier 2023, le Conseil, soutenu par la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme manifestement non fondée ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

  En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce dans le respect des règles de recevabilité prévues par l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal.

10      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

11      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

12      En outre, en vertu de l’article 156, paragraphe 5, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la demande en référé doit notamment être présentée par acte séparé, indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens et arguments invoqués.

13      Il découle d’une lecture combinée de l’article 156, paragraphe 5, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure qu’une demande relative à des mesures provisoires doit, à elle seule, permettre à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’une telle demande soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle‑ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la demande en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans celle‑ci (voir ordonnance du 4 décembre 2015, E‑Control/ACER, T‑671/15 R, non publiée, EU:T:2015:975, point 8 et jurisprudence citée).

14      Par ailleurs, le paragraphe 223 des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure prévoit expressément que la demande en référé doit être compréhensible par elle‑même, sans qu’il soit nécessaire de se référer à la requête dans l’affaire principale, y compris aux annexes de celle‑ci.

15      Dès lors que le non‑respect du règlement de procédure constitue une fin de non‑recevoir d’ordre public, il appartient au juge des référés d’examiner d’office, le cas échéant, si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (voir ordonnance du 14 février 2020, Vizzone/Commission, T‑658/19 R, non publiée, EU:T:2020:71, point 11 et jurisprudence citée).

16      En l’espèce, il y a lieu de relever que, dans la demande en référé, les requérantes ne consacrent aucun développement à la condition relative au fumus boni juris, ni à la mise en balance des intérêts en présence.

17      En effet, s’agissant, en particulier, de la condition relative au fumus boni juris, les requérantes se sont contentées d’affirmer que, confiantes dans le sens de l’équité du Tribunal, elles ont bon espoir que ce dernier fera droit au recours au fond.

18      Or, une telle absence d’argumentation ne permet pas que le juge des référés procède à une appréciation juridique du caractère à première vue fondé des moyens d’annulation invoqués dans le recours dans l’affaire principale.

19      Il s’ensuit que la demande en référé n’est pas compréhensible par elle‑même sans se référer à la requête dans l’affaire principale.

20      Or, cette absence d’explication suffisante, dans la demande en référé, des éléments constitutifs d’un éventuel fumus boni juris ne saurait être compensée par un renvoi à la requête dans l’affaire principale.

21      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes ou dans la requête au principal qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet la disposition du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir ordonnance du 29 juillet 2010, Cross Czech/Commission, T‑252/10 R, non publiée, EU:T:2010:323, point 15 et jurisprudence citée).

22      Il s’ensuit que, s’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, la présente demande en référé n’est pas conforme aux exigences de l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure et que, par conséquent, elle doit être rejetée comme irrecevable.

23      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 mars 2023.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.