Language of document : ECLI:EU:T:2014:423

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

5 juin 2014 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marques communautaires figuratives Dracula Bite et DRACULA BITE – Marque nationale figurative antérieure Dracula – Absence d’usage sérieux de la marque antérieure – Article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans les affaires T‑495/12 à T‑497/12,

European Drinks SA, établie à Ştei (Roumanie), représentée par Me V. von Bomhard, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme V. Melgar, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

SC Alexandrion Grup Romania Srl, établie à Pleasa (Roumanie), représentée par Mes M. I. Niculeasa, G. Trantea et B. Mǎrculeƫ, avocats,

ayant pour objet trois recours formés contre trois décisions de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 6 septembre 2012 (affaires R 680/2011-4, R 682/2011-4 et R 679/2011-4), relatives à trois procédures d’opposition entre European Drinks SA et SC Alexandrion Grup Romania Srl,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu les requêtes déposées au greffe du Tribunal le 16 novembre 2012,

vu les mémoires en réponse de l’OHMI déposés au greffe du Tribunal le 21 février 2013,

vu les mémoires en réponse de l’intervenante déposés au greffe du Tribunal le 6 mars 2013,

vu l’ordonnance du 7 janvier 2014 portant jonction des affaires T‑495/12, T‑496/12 et T‑497/12 aux fins de la procédure orale,

à la suite de l’audience du 5 mars 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 9 février 2009, l’intervenante, SC Alexandrion Grup Romania Srl, a déposé trois demandes d’enregistrement de marques communautaires auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        Les marques dont les enregistrements ont été demandés sont les signes figuratifs suivants :


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3        Les produits et les services pour lesquels les trois enregistrements ont été demandés relèvent des classes 33, 35 et 39 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 33 : « Boissons alcooliques (à l’exception des bières) » ;

–        classe 35 : « Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; services administratifs ; regroupement, pour le compte de tiers, de boissons alcoolisées à l’exception des bières (à l’exclusion de leur transport) permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément » ;

–        classe 39 : « Transport ; services d’empaquetage et de stockage ; organisation et réalisation de voyages organisés ».

4        Les trois demandes de marques communautaires ont été publiées au Bulletin des marques communautaires n° 45/2009, du 23 novembre 2009.

5        Le 17 février 2010, la requérante, European Drinks SA, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, aux enregistrements des marques demandées pour les produits et les services visés au point 3 ci-dessus.

6        Les oppositions étaient fondées sur la marque nationale figurative antérieure suivante :


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7        Cette marque a été enregistrée le 31 août 1995 en Roumanie et a été dûment renouvelée, sous le numéro 34847, notamment pour des produits et des services relevant des classes 33 et 35 correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante : « Boissons alcooliques (à l’exception des bières) » et « Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ».

8        Le motif invoqué à l’appui des oppositions était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b) du règlement n° 207/2009.

9        Au moment du dépôt des actes d’opposition, la requérante a présenté des pièces visant à démontrer l’usage sérieux de la marque nationale antérieure en Roumanie, à savoir six factures portant sur la période du 2 février au 24 avril 2009, une photographie et une copie d’un texte promotionnel.

10      La requérante n’a pas soumis de preuves supplémentaires à la suite de la demande de preuve d’usage sérieux faite par l’intervenante dans les délais, au titre de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009.

11      Par trois décisions du 31 janvier 2011, la division d’opposition a rejeté les oppositions dans leur intégralité.

12      Le 25 mars 2011, la requérante a formé trois recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre ces décisions.

13      Par trois décisions du 6 septembre 2012 (ci-après les « décisions attaquées »), la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté les recours, considérant que les documents déposés par la requérante ne démontraient pas l’usage sérieux de la marque antérieure au sens de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009 et de la règle 22, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), tel que modifié. Elle a considéré qu’il incombait à la requérante d’apporter, à suffisance de droit, la preuve du lieu, de la durée, de la nature et de l’importance de l’usage. Selon la chambre de recours, les six factures versées aux dossiers, qui sont les seuls éléments datés, s’échelonnant sur une période de deux mois et demi seulement et faisant chacune état d’une vente de 432 unités des produits concernés portant le nom de la marque antérieure, ne démontraient pas un usage sérieux au cours de la période de référence et ne reflétaient pas la vente et la distribution des produits sur le marché auprès du consommateur final. À cet égard, la chambre de recours a constaté qu’aucune information n’avait été fournie sur l’identité des sociétés indiquées sur les factures, ni sur le lien établi entre celles-ci et la requérante. Par ailleurs, elle a estimé que la photographie d’une bouteille et le texte promotionnel montraient une utilisation de la marque antérieure sous une forme qui altérait significativement le caractère distinctif du signe et que l’élément verbal « dracula », indiqué sur les factures et sur le texte promotionnel, ne permettait pas de déterminer s’il était fait référence au signe tel qu’utilisé ou tel qu’enregistré. Enfin, la chambre de recours a estimé que la requérante n’avait pas soumis suffisamment d’informations sur la fréquence, la régularité, l’étendue territoriale et le volume des ventes.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

15      L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      Les parties ayant été entendues sur ce point lors de l’audience, il y a lieu de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, en application de l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

17      Dans chacune des présentes affaires, la requérante invoque un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009, en ce que la chambre de recours aurait estimé à tort que les éléments de preuve versés aux dossiers ne suffisaient pas à démontrer l’usage sérieux de la marque antérieure.

18      Tout d’abord, elle fait valoir, en substance, que, en ne se conformant pas à la jurisprudence pertinente, la chambre de recours n’a pas tenu compte des éléments de preuve dans leur ensemble, a appliqué des critères trop sévères et n’a pas réalisé une appréciation globale. Ainsi, les indications contenues dans les six factures qu’elle a produites à titre de preuve suffiraient à démontrer l’usage sérieux, étant entendu que ces éléments de preuve ont valeur d’exemple et illustrent un usage plus étendu, et que, par ailleurs, il ne lui incombait pas d’apporter des précisions quant à la teneur du lien qu’elle entretenait avec les sociétés dont les noms figuraient sur lesdites factures.

19      Ensuite, la requérante allègue qu’elle a démontré que la forme sous laquelle la marque antérieure avait été utilisée n’avait pas altéré son caractère distinctif, puisque la photographie et le texte promotionnel qu’elle avait produits démontraient l’usage du mot « dracula » comme marque verbale et comme marque figurative, le signe ayant fait l’objet d’une simple modernisation.

20      L’OHMI et l’intervenante contestent ces arguments.

21      Il convient de rappeler qu’il résulte du considérant 10 du règlement nº 207/2009 que le législateur a considéré que la protection d’une marque antérieure n’est justifiée que dans la mesure où celle-ci est effectivement utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 42, paragraphes 2 et 3, dudit règlement prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition.

22      En vertu de la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

23      Selon une jurisprudence constante, il ressort des dispositions susvisées, en tenant également compte du considérant 10 du règlement n° 207/2009, que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque communautaire consiste à limiter les conflits entre deux marques, pour autant qu’il n’existe pas de juste motif économique découlant d’une fonction effective de la marque sur le marché [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, Rec. p. II‑2811, points 36 à 38, et la jurisprudence citée, et du 30 novembre 2009, Esber/OHMI – Coloris Global Coloring Concept (COLORIS), T‑353/07, non publié au Recueil, point 20, et la jurisprudence citée].

24      Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 43). De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle que protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêts VITAFRUIT, précité, point 39, et COLORIS, précité, point 21).

25      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit ainsi reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque [arrêts du Tribunal VITAFRUIT, précité, point 40, et du 13 juin 2012, Süd-Chemie/OHMI – Byk-Cera (CERATIX), T‑312/11, non publié au Recueil, point 20].

26      S’agissant de l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêts du Tribunal VITAFRUIT, précité, point 41, et du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, Rec. p. II‑2787, point 35].

27      Pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement. En outre, le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque antérieure ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché concerné. De ce fait, il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque antérieure soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux (arrêts du Tribunal HIPOVITON, précité, point 36, et du 18 janvier 2011, Advance Magazine Publishers/OHMI – Capela & Irmãos (VOGUE), T‑382/08, non publié au Recueil, point 30 ; voir également, par analogie, arrêt Ansul, précité, point 39).

28      Toutefois, plus le volume commercial de l’exploitation de la marque est limité, plus il est nécessaire que la partie ayant formé l’opposition apporte des indications supplémentaires permettant d’écarter d’éventuels doutes quant au caractère sérieux de l’usage de la marque concernée (arrêts HIPOVITON, précité, point 37, et VOGUE, précité, point 31).

29      Par ailleurs, l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du Tribunal du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, Rec. p. II‑3445, point 28, et COLORIS, précité, point 24].

30      Enfin, il convient de préciser que, en vertu des dispositions combinées de l’article 15, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous a), du règlement n° 207/2009, et de l’article 42, paragraphes 2 et 3, de ce même règlement, la preuve de l’usage sérieux d’une marque antérieure, nationale ou communautaire, qui fonde une opposition à l’encontre d’une demande de marque communautaire, comprend également la preuve de l’utilisation de la marque antérieure sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de cette marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée [voir arrêt du Tribunal du 8 décembre 2005, Castellblanch/OHMI – Champagne Roederer (CRISTAL CASTELLBLANCH), T‑29/04, Rec. p. II‑5309, point 30, et la jurisprudence citée].

31      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas prouvé à suffisance de droit l’usage de sa marque antérieure.

32      Les demandes de marque communautaire présentées par l’intervenante ayant été publiées le 23 novembre 2009, la période de cinq années visée à l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009 s’étend, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 20 de chacune des décisions attaquées, du 23 novembre 2004 au 22 novembre 2009 (ci-après la « période pertinente »), ce que la requérante ne conteste pas.

33      Il ressort de l’analyse de la documentation contenue dans chacun des trois dossiers de l’OHMI transmis au Tribunal que, afin d’établir l’usage sérieux de la marque antérieure, la requérante a produit les éléments de preuve suivants :

–        des copies de six factures, rédigées en roumain, émises par la société Scandic Distilleries SA et adressées au même grossiste établi en Roumanie, SC TGIE, se rapportant à une période comprise entre le 2 février et le 24 avril 2009, chacune d’entre elles portant, notamment, sur 432 produits dépourvus de description et associés à la mention « V. DRACULA » ;

–        une copie de la photographie d’une partie d’une bouteille sur laquelle était visible le signe suivant :


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–        une copie d’un texte promotionnel rédigé en roumain et en anglais, sans aucune mention de son support, relatif à la « vodka DRACULA » et comportant l’élément verbal « dracula » en caractères identiques à ceux utilisés dans la représentation ci-dessus.

34      À cet égard, il y a tout d’abord lieu de constater que, comme l’a remarqué la chambre de recours au point 22 de chacune des décisions attaquées, seules les six factures sont datées. Il ressort de l’examen de ces factures, dont les dates d’émission sont très rapprochées entre elles, que la période de commercialisation des produits visés par celles‑ci a été particulièrement courte, soit inférieure à trois mois. Par ailleurs, hormis la première, qui date du 2 février 2009, les six factures se sont inscrites dans une période allant du jour du dépôt des demandes de marque communautaire, à savoir le 9 février 2009, au jour de leur publication, à savoir le 23 novembre 2009. Dans ces circonstances, s’il ne saurait être exclu que ces factures puissent être prises en compte, la durée et la fréquence de l’usage qui sont ainsi rapportées ne permettent pas de conclure que les produits portant le nom de la marque antérieure ont été commercialisés de façon constante au regard de la période pertinente [voir, par analogie, arrêts VITAFRUIT, précité, point 48, et du 16 septembre 2013, Avery Dennison/OHMI – Dennison-Hesperia (AVERY DENNISON), T‑200/10, non publié au Recueil, point 50]. C’est donc à juste titre que la chambre de recours a considéré, au point 24 de chacune des décisions attaquées, que la période d’usage démontrée n’était que peu représentative d’un usage sérieux.

35      S’agissant du grief de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait mal interprété le critère de la durée de l’usage, il doit être relevé qu’il repose sur une lecture erronée des décisions attaquées. En effet, la chambre de recours a clairement mentionné, au point 24 de chacune des décisions attaquées, qu’il s’agissait non pas d’examiner si la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage continu au cours de la période pertinente, mais de vérifier que celle‑ci avait fait l’objet d’un usage sérieux pendant ladite période et, plus particulièrement, d’apprécier si l’étendue et la fréquence de l’usage de ladite marque étaient de nature à démontrer sa présence sur le marché d’une façon effective, constante dans le temps et stable dans la configuration du signe, ce qui n’était, en l’occurrence, pas le cas.

36      Il y a ensuite lieu de constater que les six factures font toutes état de ventes successives entre les mêmes sociétés, Scandic Distilleries et SC TGIE, à propos desquelles il a été relevé, au point 28 de chaque décision de la chambre de recours, qu’aucune information n’avait été fournie sur leurs identités respectives et qu’aucune mention n’avait été faite de leur lien mutuel, ni d’un éventuel lien entre Scandic Distilleries ‒ qui, selon le matériel promotionnel mentionné au point 33 ci‑dessus, figure comme le producteur de la vodka en question ‒ et la requérante. À défaut de toute information à cet égard, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, au point 30 de chaque décision, que la nature de la relation entre Scandic Distilleries et la requérante n’avait pas été précisée.

37      D’ailleurs, d’une part, il convient également d’observer que, contrairement à ce que prétend la requérante, aucun élément dans le dossier ne permettait de conclure que l’usage par Scandic Distilleries de la marque antérieure devait être considéré comme ayant été effectué avec le consentement, tacite ou non, de la requérante et, donc, comme fait par cette dernière, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009. D’autre part, la requérante n’a même pas établi que l’usage de la marque antérieure avait été fait publiquement et vers l’extérieur (voir, en ce sens, arrêt VITAFRUIT, précité, point 50).

38      Enfin, il y a lieu de constater que seules les six factures contiennent des informations portant sur l’importance de l’usage de la marque antérieure, à savoir un volume de vente global correspondant à 2 592 unités des produits concernés portant le nom de la marque antérieure et, compte tenu de la durée d’usage qui est rapportée, une fréquence de vente d’environ 900 unités mensuelles.

39      Cependant, au regard du marché pertinent, cet usage apparaît comme quantitativement limité. En effet, en premier lieu, considérant l’étendue géographique et matérielle du marché concerné, force est de constater que, à l’instar de ce qu’a considéré la chambre de recours au point 24 de chacune des décisions attaquées, de tels chiffres de vente ne paraissent pas suffisants pour établir de façon effective la présence de la marque antérieure sur le marché roumain, au vu de la nature des produits concernés. En second lieu, le volume des ventes apparaît marginal compte tenu de la consommation mensuelle moyenne sur le marché roumain de la vodka estimée par l’intervenante sur la base de données statistiques, fournies dans ses écritures et lors de l’audience et qui n’ont pas été contestées par la requérante.

40      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la commercialisation d’un volume total de 2 592 bouteilles de vodka sur une durée inférieure à trois mois n’était pas faible, compte tenu des caractéristiques du produit concerné et de la jurisprudence, il convient de relever que cet argument ne saurait prospérer. En effet, s’il est certes vrai que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt VITAFRUIT, précité, le Tribunal a jugé que la livraison de 3 516 bouteilles de jus concentrés de fruits suffisait à prouver un usage sérieux de la marque antérieure en cause, il y a lieu de constater qu’une telle appréciation du critère de l’importance de l’usage a été réalisée en mettant en perspective le faible volume commercial démontré avec la durée, supérieure à onze mois, et la fréquence, relativement constante, de la commercialisation des produits dont il était question. À cet égard, le Tribunal a, notamment, observé que la durée de l’usage n’était ni particulièrement courte ni particulièrement proche de la publication de la demande de marque contestée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, compte tenu des considérations énoncées au point 34 ci‑dessus.

41      Par ailleurs, il convient de remarquer que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’usage qui est démontré en l’espèce ne saurait revêtir valeur d’exemple, compte tenu, ici encore, des considérations sur la durée de l’usage énoncées au point 34 [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2007, La Mer Technology/OHMI – Laboratoires Goëmar (LA MER), T‑418/03, non publié au Recueil, point 87]. Au demeurant, si, comme le prétend la requérante, les six factures devaient être considérées comme des échantillons, il n’en reste pas moins que leur quantité, les dates rapprochées auxquelles elles ont été émises ainsi que le fait qu’elles se rapportent à une période particulièrement courte et particulièrement proche de la publication des demandes de marque communautaire introduites par la requérante ne permettent pas d’exclure toute possibilité d’usage purement symbolique de la marque antérieure.

42      Dès lors, la requérante aurait dû démontrer que les ventes effectuées, si elles se réfèrent à un laps de temps très limité, alors même qu’elle avait enregistré sa marque en 1995, et ont trait à des quantités qui ne sont pas importantes, constituent des actes d’usage objectivement propres à créer ou à conserver un débouché pour les produits en question dont le volume commercial, au regard de la durée et de la fréquence de l’usage, n’est pas si faible qu’il amène à conclure qu’il s’agit d’un usage purement symbolique, minime ou fictif dans le seul but de maintenir la protection du droit à la marque (voir, en ce sens, arrêt LA MER, précité, point 90), ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Au surplus, ainsi que le souligne à juste titre l’OHMI, il convient de relever que les éléments de preuve complémentaires qui auraient pu permettre de corroborer les indications contenues dans les six factures sur l’importance de l’usage de la marque antérieure, tels que ceux énumérés à titre indicatif à la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, ne sont pas d’une nature telle qu’il aurait été difficile pour l’opposante de les obtenir et qu’il ne ressort pas du dossier que la requérante aurait invoqué l’impossibilité de produire d’autres éléments probants, notamment quant à l’importance de l’usage de la marque antérieure (voir arrêt VOGUE, précité, point 51, et la jurisprudence citée).

43      Il est certes vrai que la requérante a produit d’autres documents, tels que les copies de la photographie d’une partie d’une bouteille et d’un texte promotionnel (voir point 33 ci‑dessus), qui peuvent fournir une indication sur la nature de l’usage de la marque antérieure en ce qui concerne les boissons alcooliques à l’exception des bières, ainsi que sur la forme sous laquelle elle a été utilisée. Cependant, ces éléments ne permettent pas de corroborer le lieu, la durée ou encore moins l’importance de l’usage [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II‑5233, point 41, et VITAKRAFT, précité, point 34].

44      Il s’ensuit que c’est à bon droit que la chambre de recours a estimé, aux points 34 des décisions attaquées, que la requérante n’avait pas suffisamment démontré l’importance de l’usage de la marque antérieure.

45      Conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 24 à 29 ci‑dessus, il y a lieu d’effectuer une analyse globale des preuves fournies par la requérante. À cet égard, force est de constater que tous les éléments de preuve susmentionnés, considérés dans leur ensemble, ne fournissent pas d’indications suffisantes quant au lieu, à la durée, à l’importance et à la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

46      Ainsi, il convient de conclure que les documents que la requérante a présentés devant l’OHMI ne suffisent pas à démontrer le caractère sérieux de l’usage de la marque antérieure. Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a estimé, dans chacune des décisions attaquées, à la suite d’une appréciation globale des éléments de preuve, que l’usage sérieux de la marque antérieure n’avait pas été prouvé au cours de la période pertinente en Roumanie.

47      Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le moyen unique doit être rejeté, ainsi que le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les différences entre la forme sous laquelle la marque antérieure a été utilisée et celle sous laquelle elle a été enregistrée ont altéré le caractère distinctif de cette marque telle qu’elle a été enregistrée.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

49      La requérante ayant succombé en ses conclusions dans les affaires T‑495/12, T‑496/12 et T-497/12, il y a lieu de la condamner aux entiers dépens dans chacune de ces trois affaires, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T‑495/12, T-496/12 et T-497/12 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      European Drinks SA est condamnée aux dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juin 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.