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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 juin 2024 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets – Accord de licence et d’approvisionnement »

Dans l’affaire C‑207/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 février 2019,

Biogaran SAS, établie à Colombes (France), représentée par Mes O. de Juvigny, J. Jourdan, T. Reymond, A. Robert, avocats, Me J. Killick, advocaat, et Mme M. I. F. Utges Manley, solicitor,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, puis par Mme F. Castilla Contreras et M. C. Vollrath, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, puis par M. S. Fuller, en qualité d’agent,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Biogaran SAS demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Biogaran/Commission (T‑677/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:910), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation, en ce qui concerne Biogaran, de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision litigieuse ») et à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

 Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 31 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

 Le périndopril

3        Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran dans celui des médicaments génériques. Biogaran exerce son activité de distribution presque exclusivement en France.

4        Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.

5        Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.

6        Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339 (ci‑après le « brevet 339 »), EP0308340 (ci‑après le « brevet 340 »), EP0308341 (ci‑après le « brevet 341 ») et EP0309324.

7        Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004. Servier a aussi déposé auprès de l’OEB le brevet EP1294689, relatif à la forme cristalline bêta du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, et le brevet EP1296948 (ci-après le « brevet 948 »), relatif à la forme cristalline gamma du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication.

 Les activités de Niche relatives au périndopril 

8        Le 26 mars 2001, Bioglan Generics Ltd (ci-après « Bioglan »), un fabricant de médicaments génériques établi au Royaume-Uni, et Medicorp Technologies India Ltd (ci-après « Medicorp »), un fabricant de médicaments génériques établi en Inde, ont conclu un accord de développement et de licence en vue de commercialiser une version générique du périndopril dans l’Union européenne. Medicorp était chargée de développer et de fournir le principe actif de ce médicament. Bioglan était responsable de la stratégie commerciale ainsi que de l’obtention des autorisations de mise sur le marché de ce médicament.

9        Au cours de l’année 2002, Unichem Laboratories Ltd (ci-après « Unichem »), un fabricant de médicaments établi en Inde, et des actionnaires dirigeants de Bioglan ont constitué Niche.

10      Le 15 avril 2002, Niche a repris les actifs et les engagements commerciaux de Bioglan.

11      Le 27 mars 2003, Medicorp et Unichem ont conclu un accord en vertu duquel Medicorp était responsable du développement et de la fourniture du principe actif d’une version générique du périndopril et Unichem devait assurer la production de ce médicament sous forme de comprimés.

12      Le 20 mai 2003, Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix »), une société établie en Inde spécialisée dans la production de principes actifs destinés à la fabrication de médicaments génériques, a fusionné avec Medicorp et fourni un premier lot d’une version générique du principe actif du périndopril ainsi que le dossier nécessaire à la préparation des demandes d’autorisation de mise sur le marché par Niche.

13      Au cours de l’automne de l’année 2004, Servier a envisagé l’acquisition de Niche. Le 10 janvier 2005, au terme de la première phase d’un audit préalable, Servier a présenté une offre préliminaire non contraignante d’acquisition du capital de Niche. Le 31 janvier 2005, après la seconde phase de cet audit, Servier a informé Niche oralement qu’elle ne souhaitait plus procéder à cette acquisition.

 Les litiges relatifs au périndopril

14      Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.

 Les décisions de l’OEB

15      Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.

16      Le 11 août 2004, Niche a formé opposition contre le brevet 948 devant l’OEB.

17      Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947. Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Par une décision du 6 mai 2009, cette dernière a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.

 Les décisions des juridictions nationales

18      La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec certains de ces fabricants de médicaments génériques.

19      Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.

20      Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite le 15 août 2007 par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.

 Le litige opposant Servier à Niche

21      Le 25 juin 2004, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341 contre Niche qui, par voie reconventionnelle, a demandé l’invalidation du brevet 947.

 Les accords Niche et Matrix

22      Le 8 février 2005, Servier a conclu deux accords de règlement amiable du litige visé au point précédent du présent arrêt ainsi que des procédures d’opposition aux brevets 947 et 948 alors pendantes devant l’OEB, le premier avec Niche et Unichem (ci-après l’« accord Niche ») et, le second, avec Matrix (ci-après l’« accord Matrix »). Niche s’est ainsi désistée de la procédure d’opposition relative au brevet 947 le 9 février 2005 et de celle relative au brevet 948 le 14 février 2005.

23      Chacun de ces accords contenait, d’une part, des clauses dites « de non-commercialisation », par lesquelles ces entreprises s’engageaient, jusqu’à l’expiration des brevets pertinents de Servier relatifs au périndopril, à s’abstenir de fabriquer, de fournir ou de commercialiser toute forme générique du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par ces brevets et, d’autre part, des clauses dites de « non-contestation », par lesquelles lesdites entreprises s’engageaient à s’abstenir et à se désister de toute action tendant à contester la validité desdits brevets ou à obtenir des déclarations de non-contrefaçon.

24      En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, à ne pas introduire d’actions en contrefaçon contre lesdites entreprises et, d’autre part, à les indemniser pour les coûts pouvant résulter de la cessation de leur programme de développement d’une version du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par les brevets de Servier. Cette indemnisation devait donner lieu à deux paiements en faveur, pour le premier, de Niche, et pour le second, de Matrix, de la somme de 11,8 millions de livres sterling (GBP) chacun. Ces accords couvraient, notamment, tous les États membres de l’Espace économique européen (EEE) dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 étaient en vigueur.

 L’accord Biogaran

25      Le 8 février 2005, un troisième accord a été conclu entre Niche et Biogaran, la filiale de Servier spécialisée dans les médicaments génériques (ci-après l’« accord Biogaran »). Contrairement aux accords Niche et Matrix, cet accord ne se présentait pas comme un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets, mais comme un « accord de licence et d’approvisionnement ». Par ledit accord, Niche s’est engagée à transférer à Biogaran des dossiers d’autorisations de mise sur le marché pour trois médicaments autres que le périndopril, ainsi qu’une autorisation de mise sur le marché obtenue en France pour l’un de ces trois médicaments. En contrepartie, Biogaran devait verser à Niche la somme de 2,5 millions de GBP, laquelle n’était pas remboursable, même en cas de non-obtention de ces autorisations. En cas d’obtention desdites autorisations, Biogaran s’engageait, s’agissant des médicaments ainsi autorisés, à se fournir auprès de Niche. En outre, l’accord Biogaran prévoyait que la non-obtention de ces mêmes autorisations dans un délai de 18 mois entraînerait la résiliation automatique de cet accord, sans droit à indemnisation.

 La décision litigieuse

26      Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse.

27      À l’article 1er de cette décision, la Commission a constaté que Niche et Unichem avaient enfreint l’article 101 TFUE, en participant à un accord avec Servier et Biogaran couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union européenne à la date d’adoption de cette décision, à l’exception de l’Italie et de la Croatie ; que cette infraction avait commencé le 8 février 2005, sauf en ce qui concerne la Lettonie, où elle avait commencé le 1er juillet 2005, la Bulgarie et la Roumanie, où elle avait commencé le 1er janvier 2007, et Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007 ; et que ladite infraction avait pris fin le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007.

28      La Commission a considéré que l’accord Biogaran avait constitué une incitation supplémentaire destinée à convaincre Niche de renoncer à entrer sur le marché et révélait la participation directe de Biogaran à l’infraction commise par Servier.

29      À l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Servier et à Biogaran, conjointement et solidairement, au titre de l’infraction à l’article 101 TFUE, une amende d’un montant de 131 532 000 euros.

30      En vertu de l’article 8 de la décision litigieuse, Biogaran est tenue de s’abstenir de renouveler tout acte ou comportement décrit à l’article 1er de cette décision, et de tout acte ou comportement ayant un objet ou effet identique ou similaire.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

31      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, Biogaran a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

32      Dans son recours en première instance, Biogaran soulevait trois moyens à l’appui de ses conclusions. Par le premier moyen, elle faisait valoir que sa participation à une infraction n’avait pas été établie par la Commission dans la décision litigieuse. Par son deuxième moyen, elle contestait l’appréciation de la Commission selon laquelle l’accord Biogaran aurait été destiné à convaincre Niche de renoncer à entrer sur le marché du périndopril. Par son troisième moyen, elle soutenait que la Commission avait commis une erreur de droit en lui infligeant une amende.

33      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Biogaran dans son intégralité.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

34      Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 février 2019, Biogaran a introduit le présent pourvoi.

35      Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 mai 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 16 juin 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

36      Par lettre du 16 septembre 2019, le Royaume-Uni a renoncé à déposer un mémoire en intervention.

37      La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). Biogaran et la Commission ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

38      Par son pourvoi, Biogaran demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler l’article 1er, sous b), iv), l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 8 de la décision litigieuse dans la mesure où ils concernent Biogaran, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

39      La Commission demande à la Cour :

–        de déclarer le premier moyen irrecevable et subsidiairement de le rejeter ;

–        de rejeter tous les autres moyens du pourvoi, et

–        de condamner Biogaran aux dépens.

 Sur le pourvoi

40      Au soutien de son pourvoi, Biogaran soulève quatre moyens. Le premier moyen porte sur la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord Biogaran. Le deuxième moyen est relatif à la motivation de l’arrêt attaqué. Le troisième moyen porte sur la responsabilité personnelle et solidaire de Biogaran et de sa société mère. Le quatrième moyen est relatif au calcul du montant de l’amende.

 Sur le premier moyen, relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord Biogaran

 Argumentation des parties

41      Par son premier moyen, qui se subdivise en trois branches, Biogaran conteste les appréciations du Tribunal relatives à la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord Biogaran.

42      Par les deux premières branches de ce premier moyen, Biogaran critique la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord Niche et les conséquences que le Tribunal a tirées de cette qualification au regard de l’accord Biogaran.

43      Biogaran rappelle d’emblée que, au point 110 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, dans la mesure où, selon la décision litigieuse, l’accord Biogaran a permis à Servier de disposer, en plus de l’accord Niche, d’un moyen supplémentaire de convaincre Niche de renoncer à entrer sur le marché du périndopril, l’accord Biogaran ne peut avoir un caractère infractionnel que si l’accord Niche présente le même caractère. Biogaran rappelle également que, au point 124 de cet arrêt, le Tribunal a indiqué avoir, par un arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), et par un arrêt du 12 décembre 2018, Niche Generics/Commission (T‑701/14, EU:T:2018:921), jugé que l’accord Niche visait à écarter Niche du marché et constituait une restriction de la concurrence par objet et que le Tribunal a, en conséquence, rejeté le moyen par lequel Biogaran contestait le caractère infractionnel de l’accord Niche.

44      À cet égard, Biogaran invite la Cour à tirer toutes les conséquences de l’annulation partielle de l’arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), demandée par Servier dans le cadre du pourvoi dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P).

45      En outre, Biogaran fait valoir que les motifs exposés aux points 110 à 124 de l’arrêt attaqué reposent, à plusieurs égards, sur une interprétation et une application erronées des critères permettant de qualifier un accord de restriction de la concurrence par objet. Biogaran soutient que l’accord Niche ne relève pas de cette qualification et que, par voie de conséquence, l’accord Biogaran ne constitue pas une infraction à l’article 101 TFUE.

46      En premier lieu, la restriction de concurrence alléguée n’aurait pas été aisément décelable, ce que le Tribunal aurait admis au point 260 de l’arrêt attaqué sans toutefois en tirer les conséquences. Par ailleurs, des accords, tel que l’accord Niche, qui seraient ambivalents ou nécessaires à la poursuite d’un objectif légitime ne seraient pas anticoncurrentiels par objet, mais devraient être appréciés en fonction de leurs effets. Le Tribunal aurait omis de prendre en compte le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, en particulier le contexte brevetaire et en particulier le caractère prétendument légitime des accords de règlement amiable de litige en matière de brevets comportant des paiements en faveur de la partie qui se désiste, ainsi que les conditions réelles de fonctionnement du marché.

47      En second lieu, l’analyse concrète du Tribunal de l’accord Niche serait entachée d’erreurs de droit. Premièrement, le Tribunal ne pouvait retenir le caractère infractionnel de cet accord à défaut de toute concurrence potentielle entre Servier et Niche. À cet égard, l’arrêt attaqué ne contiendrait aucune motivation relative à l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier, Biogaran et Niche. Deuxièmement, ce serait à tort que le Tribunal, au point 124 de l’arrêt attaqué, a considéré que le paiement en faveur de Niche n’était pas inhérent au règlement amiable. À cet égard, le Tribunal aurait omis de vérifier l’existence d’un lien de causalité entre ce paiement et la décision de transiger.

48      Par la troisième branche de son premier moyen, Biogaran fait valoir que, en jugeant, au point 164 de l’arrêt attaqué, que son paiement en faveur de Niche de la somme de 2,5 millions de GBP constituait non pas une opération commerciale conclue aux conditions normales du marché, mais une incitation supplémentaire donnée à Niche pour renoncer à entrer sur le marché du périndopril, le Tribunal a commis des erreurs de droit.

49      En premier lieu, Biogaran conteste les motifs de l’arrêt attaqué pour lesquels le Tribunal a considéré que l’accord Biogaran visait à payer Niche pour renoncer à entrer sur le marché. Le Tribunal, au point 162 de l’arrêt attaqué, aurait considéré que cet accord n’avait pas été conclu aux conditions normales du marché. Pour ce faire, le Tribunal se serait exclusivement fondé sur les profits que Biogaran aurait retirés dudit accord. Toutefois, Biogaran affirme que ce même accord avait pour objet essentiel de lui permettre de s’assurer une seconde source d’approvisionnement, la première risquant de se tarir. Selon Biogaran, cet objectif légitime ne donnerait pas lieu à des profits immédiats. L’analyse du Tribunal serait d’autant plus contestable qu’elle reposerait sur des éléments postérieurs à la conclusion dudit accord.

50      En second lieu, Biogaran prétend que l’arrêt attaqué est entaché d’un défaut de motivation. Le Tribunal n’aurait pas exposé les motifs pour lesquels il a refusé de prendre en compte le fait que Biogaran cherchait à s’assurer une seconde source d’approvisionnement.

51      La Commission soutient que le premier moyen a été invoqué pour la première fois au stade du pourvoi, et qu’il est donc irrecevable. En outre, Biogaran viserait, par la deuxième branche de son premier moyen, à contester certaines appréciations factuelles. Sur le fond, la Commission conteste l’argumentation de Biogaran.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

52      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 170 du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C‑165/19 P, EU:C:2021:239, points 98 et 99 ainsi que jurisprudence citée).

53      Toutefois, un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêt du 16 mars 2023, American Airlines/Commission, C‑127/21 P, EU:C:2023:209, point 143 et jurisprudence citée).

54      En l’espèce, il est vrai que, si, dans sa requête en première instance, Biogaran ne critiquait pas la qualification de l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet en invoquant formellement un moyen à cet égard, elle a toutefois indiqué contester le fait d’avoir été « sanctionnée pour une prétendue incitation à conclure un accord qui n’avait rien d’illicite ». En outre, il ressort du dossier relatif à la procédure devant le Tribunal que celui-ci a adressé à Biogaran une question écrite invitant cette dernière à se prononcer lors de l’audience sur le caractère infractionnel de l’accord Niche. Au point 125 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, tout en constatant que Biogaran, en réponse à cette question écrite, avait soulevé à l’audience un moyen tiré de l’absence de caractère infractionnel de l’accord Niche, a écarté ce moyen au fond « sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité ».

55      Dès lors, en faisant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en écartant ledit moyen au motif, énoncé au point 124 de l’arrêt attaqué, que, par son arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), il a jugé que « la Commission avait, à bon droit, considéré que la somme de 11,8 millions de GBP versée à Niche par Servier en vertu de l’accord [Niche] était une incitation destinée à écarter Niche du marché et que cet accord constituait une restriction de concurrence par objet », Biogaran ne modifie pas l’objet du litige devant le Tribunal, mais critique ce motif de l’arrêt attaqué.

56      Par conséquent, le premier moyen est recevable.

–       Sur le fond

57      Il ressort du pourvoi que, selon Biogaran, « [l’accord Biogaran] ne peut avoir un caractère infractionnel que si [l’accord Niche] présente le même caractère ». Par ailleurs, elle relève que, dans l’hypothèse où, conformément aux conclusions de Servier dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P), la Cour annulerait partiellement l’arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), en ce qu’il concerne le caractère infractionnel de l’accord Niche au regard de l’article 101 TFUE et, plus particulièrement, sa qualification de restriction de la concurrence par objet, il appartiendrait à la Cour de tirer toutes les conséquences d’une telle annulation, le cas échéant, dans le cadre des première et deuxième branches du premier moyen.

58      Or, par l’arrêt de ce jour dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P), la Cour n’a pas fait droit à ces conclusions. Pour les motifs énoncés aux points 221 à 229 de cet arrêt, ainsi qu’aux points 142 à 169 de celui-ci auxquels lesdits points renvoient, la Cour a définitivement écarté le troisième moyen du pourvoi de Servier dirigé contre les appréciations du Tribunal relatives au caractère infractionnel de l’accord Niche et sa qualification de restriction de la concurrence par objet, auxquelles s’est référé le Tribunal au point 124 de l’arrêt attaqué. Il y a donc lieu de constater que l’argumentation de Biogaran fondée sur les conséquences qu’il appartiendrait à la Cour de tirer de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Servier e.a./Commission (C‑201/19 P) en cas d’annulation partielle de l’arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T-691/14, EU:T:2018:922), ne saurait amener la Cour à accueillir les première et deuxième branches du premier moyen dans la présente affaire.

59      Par ailleurs, force est de constater que les arguments formulés par Biogaran au soutien des première et deuxième branches de son pourvoi sont, en substance, identiques à ceux qui ont été formulés par sa société-mère, Servier, relatifs au caractère infractionnel de l’accord Niche, auquel Servier était partie, et qui ont été rejetés par l’arrêt de ce jour dans l’affaire C-201/19 P. Plus particulièrement, dans la mesure où Biogaran fait valoir, dans le cadre de la première branche du premier moyen, que le Tribunal aurait retenu des critères juridiquement erronés pour qualifier l’accord Niche de restriction de la concurrence par objet dans l’arrêt attaqué, il suffit de relever que la Cour a rejeté ces mêmes arguments, tels qu’avancés par Servier dans l’affaire C-201/19 P, aux points 142 à 169 de l’arrêt de ce jour dans cette affaire. En outre, s’agissant des arguments de Biogaran avancés dans la deuxième branche du premier moyen et visant à démontrer que l’analyse concrète effectuée par le Tribunal de l’accord Niche serait entachée d’erreurs de droit, il y a lieu d’observer que la Cour a rejeté des griefs essentiellement identiques, mutatis mutandis, aux points 221 à 229 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire C-201/19 P. Dans ces conditions, les arguments, avancés par Biogaran dans les deux premières branches du premier moyen, étant les mêmes que ceux qui ont été avancés par sa société mère, Servier, et rejetés par la Cour dans l’arrêt de ce jour dans l’affaire C‑201/19 P, ces arguments ne sauraient pas non plus prospérer dans le cadre de la présente affaire au vu de cet arrêt, et plus particulièrement des motifs exposés aux points dudit arrêt mentionnés ci-dessus. Lesdits arguments doivent, dès lors, être écartés pour les mêmes motifs.

60      Il convient de relever, en outre, que, selon Biogaran, l’arrêt attaqué ne comporte aucune motivation relative à la concurrence potentielle exercée par Niche, ce qui, de l’avis de Biogaran, constitue une erreur de droit.

61      Toutefois, il ressort de l’examen tant de l’arrêt attaqué que du recours en première instance, d’une part, que Biogaran n’a pas invoqué devant le Tribunal d’arguments relatifs à la question de savoir si la Commission avait pu constater que Niche pouvait être considérée comme étant un concurrent potentiel de Servier ou de Biogaran.

62      Or, à l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever des moyens contre la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens [arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 64, et du 29 février 2024, Methanol Holdings (Trinidad)/Commission, C‑688/22 P, EU:C:2024:180, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

63      Biogaran n’ayant pas soulevé en première instance d’arguments relatifs à la concurrence potentielle exercée par Niche, elle n’est donc pas fondée à reprocher au Tribunal d’avoir violé son obligation de motiver ses arrêts en omettant de statuer, dans l’arrêt attaqué, sur des arguments dont il n’avait pas été saisi.

64      Il y a lieu, dès lors, d’écarter les première et deuxième branches du premier moyen dans leur ensemble.

65      Par la troisième branche du premier moyen, Biogaran soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis des erreurs de droit en considérant que l’accord Biogaran était un accord accessoire à l’accord Niche visant à verser à Niche une rémunération supplémentaire afin de l’inciter à renoncer à entrer sur le marché du périndopril au moyen de l’accord Niche.

66      À cet égard, il importe de rappeler que le critère permettant de vérifier si un accord de règlement amiable de litige en matière de brevet constitue une restriction de la concurrence par objet consiste à vérifier si les transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].

67      Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 92].

68      Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].

69      Les critères qui viennent d’être exposés visent ainsi à différencier, d’une part, les transferts de valeur qui peuvent se justifier de manière intégrale par la nécessité de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services par le fabricant de médicaments génériques et, d’autre part, les transferts de valeur qui, sous couvert de rémunérer une telle fourniture de biens ou de services, constituent en réalité la contrepartie de la renonciation par ce dernier à entrer sur le marché.

70      En raison des liens étroits pouvant exister entre les clauses de non-contestation et de non-commercialisation figurant dans un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets et d’autres stipulations prévoyant un paiement du fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, que ces stipulations résultent de cet accord de règlement amiable ou d’autres accords entre ces entreprises lesquels, bien que distincts, sont néanmoins associés audit accord de règlement amiable, il est indispensable d’examiner, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, l’ensemble de ces arrangements contractuels comme formant un tout.

71      En effet, l’utilisation de mécanismes contractuels distincts des stipulations d’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets pouvant servir à dissimuler l’existence de transferts de valeur dont le véritable objet est de rémunérer le fabricant de médicaments génériques pour avoir renoncé à entrer sur le marché, il est nécessaire, afin de déterminer, conformément à la jurisprudence visée au point 67 du présent arrêt, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services au fabricant du médicament princeps, d’examiner si lesdits transferts correspondent à ce qui peut être considéré comme étant la rémunération normale, c’est-à-dire légitime, de la valeur de ces biens ou de ces services.

72      Le Tribunal a, en substance, considéré aux points 135 à 140 de l’arrêt attaqué qu’un accord commercial qui, d’une part, est lié à un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets et, d’autre part, implique un transfert de valeur en faveur du fabricant de médicaments génériques, peut, sous couvert de réaliser une opération commerciale, viser en réalité, grâce à ce transfert de valeur, à inciter ce fabricant à souscrire aux restrictions de la concurrence prévues par cet accord de règlement amiable. Un accord commercial répondant à ces conditions peut, ainsi qu’il ressort du point 135 de cet arrêt, « constituer, s’agissant du règlement amiable d’un litige en matière de brevet, un indice sérieux de l’existence d’une incitation et, par conséquent, d’une restriction par objet ». Le Tribunal a donc considéré que le transfert de valeur résultant d’un tel accord peut être pris en considération aux fins de déterminer si un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets relève de la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de la qualification de restriction de la concurrence par objet.

73      En outre, aux points 141 à 147 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, jugé que, lorsque le fabricant de médicaments princeps effectue un paiement en faveur du fabricant de médicaments génériques dont le montant excède la valeur normale des biens ou des services fournis par ce dernier au titre d’un accord accessoire à un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets, de telle sorte que cet accord accessoire ne peut pas être analysé comme ayant été conclu à des « conditions normales de marché », il est alors possible de considérer que ce paiement, pour autant que son montant soit suffisant, constitue une incitation significative pour le fabricant de médicaments génériques à accepter des clauses restrictives de la concurrence prévues par l’accord de règlement amiable. Les critères ainsi exposés par le Tribunal correspondent, en substance, à ceux énoncés aux points 67 et 68 du présent arrêt et c’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a retenu ces critères dans l’arrêt attaqué.

74      S’agissant de l’application de ces critères en l’espèce, le Tribunal a jugé, aux points 149 à 156 de l’arrêt attaqué, que l’accord Biogaran constitue un accord accessoire, lié à l’accord Niche, qui a notamment été conclu le même jour, et que la circonstance que cet accord, par lequel transite un transfert de valeur au profit de Niche, est associé à l’accord de règlement amiable du litige entre Servier et Niche, alors même que cet accord accessoire se présente comme un accord commercial usuel, constitue un indice sérieux du fait que le transfert de valeur en cause n’est pas seulement la contrepartie du bien échangé dans le cadre de l’accord Biogaran mais implique également un paiement inversé constitutif d’un avantage incitatif en faveur de Niche.

75      Biogaran fait cependant valoir que la constatation du Tribunal selon laquelle l’accord Biogaran n’avait pas été conclu aux conditions normales du marché repose exclusivement sur le fait que Biogaran ne pouvait pas retirer de bénéfices de l’acquisition des dossiers de Niche au titre de cet accord, alors que ledit accord avait également pour objectif légitime de permettre à Biogaran de disposer d’une nouvelle source d’approvisionnement.

76      À cet égard, il importe tout d’abord de relever que ce grief de Biogaran repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué puisque le Tribunal ne s’est pas exclusivement appuyé sur le manque de rentabilité de l’accord Biogaran. En effet, aux points 158 à 160 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé plusieurs autres éléments concordants permettant de considérer que le paiement de 2,5 millions de GBP par Biogaran faisait partie de l’offre de Servier destinée à convaincre Niche de renoncer à entrer sur le marché du périndopril. En particulier, le Tribunal a relevé que ce montant était « très supérieur » à la somme de 330 000 euros que Biogaran avait payée pour acheter à un tiers un dossier d’un des trois médicaments mentionnés au point 25 du présent arrêt ; que l’accord conclu avec ce tiers permettait à Biogaran de demander le remboursement du montant payé en cas de non-obtention des autorisations de mise sur le marché, faculté exclue par l’accord Biogaran, et que, lors de la procédure administrative, Niche avait déclaré à la Commission que Servier avait pris l’initiative de lui proposer un paiement supplémentaire de 2,5 millions de GBP en contrepartie de la conclusion de l’accord Niche.

77      Ensuite, force est de constater que, compte tenu des difficultés inhérentes à la détermination de ce qui peut constituer la valeur normale de biens ou de services, le Tribunal était fondé à prendre en considération divers indices, dont les perspectives de rentabilité des acquisitions effectuées au moyen de l’accord Biogaran. Le Tribunal pouvait donc considérer, aux points 161 et 162 de l’arrêt attaqué, à la lumière des éléments du dossier, que la Commission avait pu prendre en compte, notamment, le fait qu’aucun élément ne permettait de considérer que l’accord Biogaran, avec un coût de 2,5 millions de GBP, pouvait raisonnablement être considéré comme constituant un investissement rentable. Dans la mesure où le Tribunal a ajouté, à cet égard, au point 162 de l’arrêt attaqué, que cette évaluation s’est révélée exacte puisque le chiffre d’affaires réalisé ultérieurement par Biogaran grâce à cette acquisition n’a pas excédé 200 000 euros et que Biogaran critique l’utilisation de ce chiffre au motif qu’il s’agit d’un fait postérieur à la conclusion de l’accord Biogaran, il convient de constater qu’une telle utilisation est permise, conformément au principe de libre administration de la preuve prévalant en droit de l’Union (arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C-469/15 P, EU:C:2017:308, point 38 ainsi que jurisprudence citée), dès lors que le fait en cause permet de confirmer les circonstances qui existaient au moment de la conclusion de l’accord concerné (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C-591/16 P, EU:C:2021:243, points 67 et 72) et que ces circonstances sont également attestées par d’autres éléments, ce qui est le cas en l’espèce.

78      Enfin, s’agissant de l’argument par lequel Biogaran invoque le caractère légitime de l’objectif de diversification de ses sources d’approvisionnement qu’elle affirme avoir voulu poursuivre au moyen de l’accord Biogaran, il suffit de rappeler que la circonstance que les entreprises impliquées dans un comportement anticoncurrentiel ont poursuivi certains objectifs légitimes n’est pas déterminante aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).

79      Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argumentation avancée en premier lieu par Biogaran dans le cadre de la troisième branche de son premier moyen.

80      En second lieu, Biogaran invoque un défaut de motivation et soutient, à cet égard, que le Tribunal n’a pas exposé les motifs pour lesquels il a refusé de prendre en compte l’objectif de l’accord Biogaran consistant à obtenir une seconde source d’approvisionnement.

81      Toutefois, il y a lieu de constater que le Tribunal a énoncé, au point 170 de l’arrêt attaqué, le grief de Biogaran pris de l’objectif de s’assurer une nouvelle source d’approvisionnement. Au point 172 de cet arrêt, il a exposé les motifs pour lesquels il a jugé que ce grief ne pouvait pas être accueilli. Dans ces conditions, Biogaran n’est pas fondée à soutenir que l’arrêt est entaché d’un défaut de motivation.

82      Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argumentation avancée en second lieu par Biogaran dans le cadre de la troisième branche du premier moyen.

83      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, relatif à la motivation de l’arrêt attaqué

 Argumentation des parties

84      Par son deuxième moyen, Biogaran fait valoir que le Tribunal a substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse sur la question de savoir si le paiement en faveur de Niche avait déterminé la décision de cette dernière de renoncer à entrer sur le marché du périndopril.

85      Selon Biogaran, aux points 180 et 181 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, considéré que l’incitation supplémentaire résultant du paiement de 2,5 millions de GBP au titre de l’accord Biogaran a convaincu Niche de renoncer à entrer sur le marché du périndopril et que, sans cet accord, Niche n’aurait probablement pas conclu l’accord Niche. Le Tribunal aurait considéré que ce constat permettait, à lui seul, de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet à laquelle Biogaran a directement participé.

86      Toutefois, de l’avis de Biogaran, la Commission n’a pas considéré que, sans l’accord Biogaran, Niche n’aurait pas conclu l’accord Niche. En effet, ni la communication des griefs, ni la décision litigieuse, ni les écritures de la Commission dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ne font état d’une telle allégation. Selon Biogaran, l’absence de caractère décisif du paiement de 2,5 millions de GBP dans l’analyse de la Commission serait encore confirmée par le fait que le montant de base de l’amende de Niche a été fixé sans en tenir compte, ce qui ne saurait être considéré comme « un oubli » « sans incidence », contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 183 de l’arrêt attaqué.

87      La Commission se serait limitée, dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse, à soutenir que le paiement en faveur de Niche au titre de l’accord Biogaran avait constitué une incitation supplémentaire qui suffisait à sanctionner Biogaran. Biogaran fait observer à cet égard que, dans la décision litigieuse, la Commission a calculé le montant de base de l’amende infligée à Niche sur le seul fondement du paiement effectué par Servier au titre de l’accord Niche, à l’exclusion du paiement effectué par Biogaran au titre de l’accord Biogaran, et ce alors même qu’il ressort de cette décision que le montant de base des amendes infligées aux fabricants de médicaments génériques visait à refléter les transferts de valeur dont elles ont bénéficié au titre de chaque accord infractionnel. Le Tribunal, dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), n’aurait pas considéré que le paiement effectué par Biogaran en faveur de Niche avait, pour cette dernière, été décisif pour la conclusion de l’accord Niche.

88      Biogaran soutient que, en qualifiant ainsi le paiement en faveur de Niche de décisif, le Tribunal a substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse et que cette nouvelle motivation est un élément « clé » de l’appréciation du Tribunal puisqu’il a affirmé, au point 181 de l’arrêt attaqué, que le caractère décisif de l’incitation alléguée « permet à lui seul de conclure à l’existence d’une restriction de concurrence par objet à laquelle Biogaran a directement participé ».

89      En outre, selon Biogaran, le Tribunal a adopté une motivation contradictoire en jugeant, au point 180 de l’arrêt attaqué, que la déclaration de Niche selon laquelle le paiement additionnel effectué par elle faisait partie de la compensation totale négociée entre Niche et Servier aurait attesté du caractère incitatif décisif de ce paiement alors que, au point 183 de cet arrêt, il a considéré que la non-prise en compte par la Commission dudit paiement dans le calcul du montant de l’amende infligée à Niche était sans incidence sur la constatation selon laquelle l’accord Biogaran avait conforté la restriction de concurrence résultant de l’accord Niche.

90      La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

91      Pour les motifs énoncés aux points 126 à 165 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la Commission avait pu considérer, sans commettre d’erreur, que le paiement de 2,5 millions de GBP à Niche au titre de l’accord Biogaran constituait non pas la rémunération de la valeur normale des droits cédés par Niche à Biogaran, mais une incitation qui venait s’ajouter à celle prévue par l’accord Niche, en contrepartie de l’engagement de Niche au titre de ce dernier accord à renoncer à entrer sur le marché du périndopril. En effet, le Tribunal a constaté, au point 164 de l’arrêt attaqué que, « au regard de l’ensemble des éléments débattus devant le Tribunal, [...] la Commission [avait] établi à suffisance de droit l’existence d’un paiement inversé qui n’était pas inhérent au règlement amiable du litige en cause » et qu’elle avait, « dès lors, valablement conclu que le versement à Niche, dans le cadre de l’accord Biogaran, d’un montant de 2,5 millions de GBP constituait un avantage incitatif supplémentaire et non une transaction aux conditions normales du marché ».

92      Aux points 166 à 183 de cet arrêt, le Tribunal a, à titre subsidiaire, considéré qu’aucun autre argument invoqué par Biogaran ne permettait de remettre en cause la conclusion à laquelle il était ainsi parvenu. Il a ainsi examiné, à titre surabondant, plusieurs arguments avancés par Biogaran.

93      À cet égard, le Tribunal a notamment ajouté, aux points 177, 180 et 181 de l’arrêt attaqué, qu’il résultait de la décision litigieuse, en particulier des considérants 560 et 577 de celle-ci, que les accords Niche et Matrix prévoyaient que chacune de ces entreprises recevrait un paiement d’un même montant de la part de Servier, alors que Matrix souhaitait obtenir un montant supérieur à celui versé à Niche. Le Tribunal a ainsi considéré que le paiement additionnel de 2,5 millions de GBP de Biogaran en faveur de Niche a joué un rôle décisif dans l’incitation de Niche à transiger, en augmentant le montant total de la compensation offerte par le groupe Servier à Niche, sans que Matrix s’en rende compte et que « ce constat permettait, à lui seul, de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet à laquelle Biogaran a directement participé ».

94      Par ailleurs, au point 183 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a démontré que la circonstance que la Commission n’avait pas pris en compte le paiement de 2,5 millions de GBP dans le calcul du montant de l’amende infligée à Niche n’était pas de nature à établir que l’accord Biogaran n’avait pas constitué un transfert de valeur supplémentaire destiné à inciter Niche à conclure le règlement amiable.

95      Dans la mesure où le deuxième moyen consiste à critiquer ces motifs exposés à titre surabondant par le Tribunal aux points 180, 181 et 183 de l’arrêt attaqué, après avoir constaté au point 164 de cet arrêt, sans commettre d’erreur de droit, que le versement à Niche d’un montant de 2,5 millions de GBP constituait un avantage incitatif supplémentaire et non une transaction aux conditions normales du marché, ce qui suffisait déjà pour constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans le chef de Biogaran au regard de la jurisprudence rappelée aux points 66 à 68 du présent arrêt, ce moyen ne peut pas conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué. Il doit, dès lors, être rejeté comme étant inopérant.

 Sur le troisième moyen, relatif à la responsabilité personnelle et solidaire de Biogaran et de sa société mère

 Argumentation des parties

96      Par son troisième moyen, Biogaran critique, en substance, le Tribunal pour avoir confirmé sa responsabilité personnelle et solidaire en sus de celle de sa société mère pour l’infraction résultant de l’accord Biogaran.

97      Premièrement, Biogaran soutient que, lorsque plusieurs sociétés d’un groupe, qui constituent une entité économique, ont participé à une infraction à l’article 101 TFUE, la décision par laquelle la Commission constate cette infraction doit être adressée au groupe lui-même, représenté par sa société mère.

98      Or, dans la mesure où le Tribunal aurait constaté, aux points 214 et 217 de l’arrêt attaqué, que Biogaran n’avait pas d’autonomie décisionnelle et avait agi sous l’influence déterminante de sa société mère, qui avait personnellement pris part à l’infraction, il ne pouvait pas déclarer Biogaran solidairement responsable de l’infraction avec cette société mère. Selon Biogaran, le Tribunal aurait dû constater que la Commission devait imputer la responsabilité de l’infraction à ladite société mère. À cet égard, Biogaran souligne que, au point 227 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé que l’infraction était imputée au groupe Servier.

99      Deuxièmement, en considérant que la Commission était fondée à imputer la responsabilité de l’infraction à Biogaran et à sa société mère, le Tribunal aurait méconnu le principe de proportionnalité. Tout d’abord, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 226 de l’arrêt attaqué, imputer la responsabilité à la seule société mère ne rendrait nullement plus difficile la constatation d’infractions. Ensuite, ce cumul des responsabilités ne saurait être justifié au regard du calcul de l’amende. En effet, selon Biogaran, la responsabilité de la société mère ayant été établie, l’assiette de l’amende s’étendait de ce fait au chiffre d’affaires mondial consolidé du groupe Servier. Enfin, Biogaran estime que l’amende qui lui a été infligée est d’autant plus contestable qu’elle résulte de sa prétendue participation directe à l’infraction, laquelle découle en réalité de l’erreur de droit invoquée dans le cadre de son deuxième moyen.

100    Troisièmement, Biogaran fait valoir que, en constatant sa responsabilité pour l’infraction, alors qu’une telle constatation était inutile aux fins de la mise en œuvre efficace des règles de concurrence, le Tribunal a porté atteinte de manière disproportionnée à sa réputation.

101    La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

102    Il ressort du libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que le choix des auteurs des traités a été d’utiliser la notion d’« entreprise » pour désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence, susceptible d’être sanctionné en application de cette disposition, et non d’autres notions telles que celles de « société » ou de « personne morale ». Le législateur de l’Union a également retenu la notion d’« entreprise » à l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), pour définir l’entité à laquelle la Commission peut infliger une amende pour sanctionner une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union (arrêts du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, points 123 et 124, ainsi que du 25 novembre 2020, Commission/GEA Group, C‑823/18 P, EU:C:2020:955, points 62 et 63).

103    Ce faisant, le droit de la concurrence de l’Union, en ce qu’il vise les activités des entreprises, consacre comme critère décisif l’existence d’une unité de comportement sur le marché, sans que la séparation formelle entre diverses sociétés résultant de leur personnalité juridique distincte puisse s’opposer à une telle unité aux fins de l’application des règles de concurrence. La notion d’« entreprise » comprend donc toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée par plusieurs personnes physiques ou morales. Cette unité économique consiste en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à commettre une infraction visée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 41 et jurisprudence citée).

104    Lorsqu’une telle unité économique enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. À cet égard, pour retenir la responsabilité d’une entité juridique quelconque relevant d’une unité économique, il est nécessaire que la preuve soit apportée qu’une entité juridique au moins, appartenant à cette unité économique, a violé l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de sorte que l’entreprise constituée par ladite unité économique soit considérée comme ayant commis une infraction à cette disposition (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 42 et jurisprudence citée).

105    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé qu’il est ainsi possible d’imputer la responsabilité du comportement d’une filiale à sa société mère lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome, au moment de la commission de l’infraction, son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques, de sorte que, dans une telle situation, celles-ci font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule et même entreprise auteur du comportement infractionnel. Lorsqu’il est établi que la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de l’article 101 TFUE, c’est donc l’existence même de cette unité économique ayant commis l’infraction qui détermine, de façon décisive, la responsabilité de l’une ou de l’autre société composant l’entreprise pour le comportement anticoncurrentiel de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, points 131 à 133 et 135, et du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

106    À ce titre, la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 44 et jurisprudence citée).

107    Or, il convient de relever, tout d’abord, que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, au point 212 de l’arrêt attaqué, a rappelé cette définition de la notion d’entreprise.

108    Ensuite, il ressort des constatations opérées par le Tribunal que Servier et Biogaran, sa filiale à 100 %, ont directement pris part à l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse.

109    En effet, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 207 de l’arrêt attaqué, dans cette décision « la Commission a considéré que la somme versée par Biogaran à Niche en contrepartie de l’achat de dossiers produits constituait une incitation supplémentaire offerte à Niche, contribuant à l’exclusion de Niche du marché du périndopril. Selon la Commission, l’engagement de Niche à ne pas entrer sur le marché du périndopril a été rendu possible par une incitation qui a pris la forme, d’une part, d’un paiement par Servier dans le cadre [de l’accord Niche] et, d’autre part, d’un paiement complémentaire fait directement par Biogaran, filiale de Servier, dans le cadre de l’accord Biogaran ».

110    Le Tribunal a également constaté, au point 215 de l’arrêt attaqué, que Biogaran était, au moment de la conclusion des accords Niche et Biogaran, la filiale de Servier et constituait avec sa société mère une seule et même entreprise au sens du droit de la concurrence.

111    Enfin, c’est au regard d’un tel constat que le Tribunal a relevé, à bon droit, au point 216 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait, en application de la notion d’entreprise, considérer que Servier et Biogaran étaient solidairement responsables du comportement qui leur a été reproché, les actes commis par l’une et par l’autre étant, dès lors, censés avoir été commis par une seule et même entreprise. De surcroît, aux points 217 et 218 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que la circonstance que l’infraction résultait pour partie du comportement de la société mère et, pour partie, du comportement de sa filiale n’était pas de nature à remettre en cause cette responsabilité solidaire. En effet, il a relevé à bon droit, s’agissant de la participation directe de la société mère et de sa filiale aux comportements infractionnels constatés, que, « s’il est possible d’imputer à une société mère la responsabilité d’une infraction commise par sa filiale et, en conséquence, de rendre ces deux sociétés solidairement responsables de l’infraction commise par l’entreprise qu’elles constituent sans méconnaître le principe de la responsabilité personnelle, il en va a fortiori de même lorsque l’infraction commise par l’entité économique que constituent une société mère et sa filiale résulte du concours des comportements de ces deux sociétés ».

112    Or, il y a lieu de souligner que, conformément au principe de la responsabilité personnelle, outre le fait que ces deux sociétés formaient ensemble une seule et même entreprise, laquelle avait commis l’infraction visée à l’article 1er de la décision litigieuse, les éléments retenus par le Tribunal, rappelés aux points 108 et 109 du présent arrêt, qui attestent de la participation directe de Servier conjointement avec sa filiale Biogaran à cette infraction suffisaient également à fonder la responsabilité de chacune de ces sociétés pour ladite infraction.

113    À cet égard, il convient de relever que, si, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 103 du présent arrêt, la notion d’entreprise est certes plus large que celle de personne morale, de sorte qu’une entreprise peut être constituée par plusieurs personnes physiques ou morales nonobstant le fait que celles-ci sont distinctes d’un point de vue juridique, une entité ayant la personnalité juridique doit répondre des infractions qu’elle commet en tout état de cause, conformément au principe de la responsabilité personnelle. Ainsi, une personne morale, telle que Biogaran, ayant signé un accord et assumé de ce fait des obligations, éléments constitutifs d’une infraction aux règles de concurrence, ne saurait être libérée de sa responsabilité personnelle pour cette infraction au motif que sa société mère, avec qui elle forme une unité économique, a également participé à la même infraction en signant un accord avec la même entreprise tierce. Contrairement à ce que soutient Biogaran, le fait pour la Commission et le Tribunal d’imputer ainsi la responsabilité d’une même infraction à la fois à une société mère et à sa filiale en raison non seulement de leur appartenance à la même entreprise, qui a commis cette infraction, mais aussi de la participation directe de chacune de ces sociétés à ladite infraction constitue non pas une atteinte au principe de proportionnalité, mais une application du principe de la responsabilité personnelle.

114    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que ni l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 ni la jurisprudence ne déterminent la personne morale ou physique que la Commission doit tenir pour responsable de l’infraction et sanctionner par l’imposition d’une amende (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 62 et jurisprudence citée).

115    Ainsi, conformément à la jurisprudence citée au point 104 du présent arrêt, la Commission peut librement tenir pour responsable d’une infraction et sanctionner par l’imposition d’une amende n’importe quelle entité juridique d’une entreprise ayant pris part à une infraction à l’article 101 TFUE (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 63).

116    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, relatif au calcul du montant de l’amende

117    Par son quatrième moyen, qui comporte trois branches, Biogaran critique le Tribunal pour avoir confirmé le montant de l’amende qui lui a été infligée.

 Sur la première branche, prise de la violation du principe de légalité des délits et des peines

–       Argumentation des parties

118    Biogaran fait valoir que le Tribunal a méconnu le principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Selon elle, en vertu de ce principe, la Commission ne peut pas infliger d’amendes dans une situation nouvelle, caractérisée par une absence de décisions ou de jurisprudence antérieures, et complexe. Or, la présente affaire aurait été, selon Biogaran, à la fois nouvelle et complexe. La nouveauté de cette affaire serait attestée par une déclaration du chef d’unité responsable de l’enquête de la Commission ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse, par les considérants 3091, 3092 et 3107 de cette décision, ainsi que par les appréciations portées par le Tribunal aux points 211 et 254 de l’arrêt attaqué.

119    Quant à la complexité des questions économiques et juridiques soulevées, elle ressortirait notamment de la longueur exceptionnelle de la décision litigieuse ainsi que du fait que la Commission, au cours de l’année 2014, a estimé nécessaire de modifier ses lignes directrices, du 27 avril 2004, relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2), afin de préciser que des accords de règlement amiable de litiges pouvaient être prohibés au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

120    Selon Biogaran, en jugeant au point 254 de l’arrêt attaqué qu’elle « aurait dû s’attendre, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que son comportement pût être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union » et, au point 259 de cet arrêt, que l’amende était justifiée au motif que Niche, Servier et Biogaran ont décidé de conclure des « accords d’exclusion du marché », le Tribunal aurait manqué à son obligation de motivation et statué selon un motif contradictoire par rapport à celui énoncé au point 260 dudit arrêt, selon lequel « le caractère infractionnel [des accords Niche et Biogaran] pouvait ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission ou des juristes spécialisés dans les domaines en cause ».

121    De l’avis de Biogaran, le Tribunal a dénaturé les faits en laissant entendre qu’il aurait suffi de recourir à des conseils éclairés pour identifier le caractère infractionnel de l’accord Biogaran au regard de l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), que le Tribunal a cité à l’appui de son appréciation au point 259 de l’arrêt attaqué, alors que, d’une part, cet arrêt est postérieur aux accords Niche et Biogaran et ne porte pas sur des accords de règlement amiable de litige en matière de brevets et, d’autre part, que Servier et Niche étaient assistés de conseils externes.

122    La Commission conteste cette argumentation.

–       Appréciation de la Cour

123    Le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C‑266/06 P, EU:C:2008:295, point 39 et jurisprudence citée).

124    Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait dès lors être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 41 et jurisprudence citée).

125    La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 42 et jurisprudence citée).

126    Il convient, à cet égard, de souligner que Biogaran n’est pas fondée à soutenir que l’accord Biogaran ne pouvait pas être qualifié de restriction de la concurrence par objet ni être sanctionné en tant que tel en raison du caractère inédit de l’infraction constatée par la Commission. En effet, il n’est nullement requis que le même type d’accords ait déjà été sanctionné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme étant restrictifs de la concurrence par objet, et ce quand bien même ceux-ci interviendraient dans un contexte spécifique tel que celui des droits de propriété intellectuelle. Seules importent les caractéristiques propres de ces accords, dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ces accords, de leurs objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent [arrêts du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, C‑586/16 P, EU:C:2021:241, points 85 à 87, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, points 130 et 131].

127    S’agissant de l’argument de Biogaran selon lequel le Tribunal aurait, aux points 254, 259 et 260 de l’arrêt attaqué, statué par des motifs contradictoires, il y a lieu de relever que, par ces points, le Tribunal a exposé, d’une part, que les accords Niche et Biogaran ayant précisément pour objet d’organiser l’exclusion de Niche du marché du périndopril, Biogaran ne pouvait ignorer, en tant que partie à cet accord, ledit objet ainsi que, partant, le caractère anticoncurrentiel de son comportement et aurait donc dû s’attendre, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que le comportement de l’entreprise auquel elle a contribué par l’accord Biogaran pût être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union. D’autre part, il a relevé que le caractère infractionnel des accords Niche et Biogaran pouvaient ne pas apparaître de manière claire à un observateur extérieur tel que la Commission en raison du fait que l’un avait été conclu sous la forme d’un règlement amiable de litige en matière de brevets et l’autre sous la forme d’un contrat de licence et d’approvisionnement. Loin d’être contradictoires, ces appréciations reflètent ce qui a été exposé au point 71 du présent arrêt, à savoir le fait que, sous couvert de rémunérer la fourniture de biens ou de services par le fabricant de médicaments génériques comme le fait en apparence l’accord Biogaran, l’utilisation de mécanismes contractuels distincts des stipulations d’un accord de règlement amiable, tel que l’accord Niche, peut servir à dissimuler l’existence de transferts de valeur dont le véritable objet est de rémunérer ce dernier pour avoir renoncé à entrer sur le marché. Dès lors, le caractère caché du véritable objet de l’accord Biogaran étant voulu par les parties à cet accord, le fait pour le Tribunal de relever ce caractère caché ne saurait contredire le constat selon lequel l’objet anticoncurrentiel dudit accord était clair pour Biogaran.

128    Par ailleurs, il y a lieu de relever que Biogaran conteste la pertinence de la référence, au point 259 de l’arrêt attaqué, à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, points 8 et 32 à 34), en raison du fait que cet arrêt a été prononcé postérieurement à la conclusion des accords Niche et Biogaran.

129    Or, il ressort des passages de cet arrêt visés par le Tribunal que, en raison de son objet, l’accord en cause dans cette affaire « se heurt[ait] de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du [traité FUE] relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché. L’article [101 TFUE] vise en effet à interdire toute forme de coordination qui substitue sciemment une coopération pratique entre entreprises aux risques de la concurrence ».

130    Cette appréciation ne fait que refléter l’essence même de l’article 101 TFUE. Dès lors, Biogaran ne saurait prétendre que ladite appréciation pouvait être considérée comme étant de nature à conférer à l’infraction qui lui a été imputée un caractère imprévisible. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur (arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, EU:C:1980:100, point 16, et du 5 octobre 2023, Osteopathie Van Hauwermeiren, C‑355/22, EU:C:2023:737, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

131    Quant au grief selon lequel le Tribunal, en considérant qu’il suffisait de recourir aux conseils de professionnels pour comprendre, compte tenu notamment de l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C-209/07, EU:C:2008:643), bien que celui-ci ait été prononcé postérieurement à la conclusion de l’accord Biogaran, que cet accord était contraire à l’article 101 TFUE, le Tribunal aurait dénaturé les faits, car Biogaran était représenté par des conseils externes, il suffit de constater que ce grief repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal n’a en effet nullement affirmé que Biogaran n’avait pas bénéficié de l’assistance de conseils externes et il a explicitement relevé, au point 259 de l’arrêt attaqué, que l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C-209/07, EU:C:2008:643), a été prononcé postérieurement à la conclusion de l’accord Biogaran.

132    Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen.

 Sur la deuxième branche, prise d’une violation du principe d’égalité de traitement

–       Argumentation des parties

133    Biogaran soutient que, bien qu’étant dans une situation comparable à celle de Niche aux fins du calcul de l’amende, le Tribunal a traité cette dernière d’une manière différente. En effet, contrairement aux indications figurant au point 279 de l’arrêt attaqué, Biogaran n’aurait pas été présente sur le marché du périndopril à la date des faits et n’aurait elle-même réalisé aucune vente de ce médicament avant la date de fin de la période infractionnelle, à savoir le 15 septembre 2008.

134    Conformément au principe d’égalité de traitement, le Tribunal aurait dû juger que, Niche n’ayant pas été sanctionnée au titre de l’accord Biogaran, Biogaran ne devait pas non plus être sanctionnée pour avoir conclu cet accord. Après avoir jugé que l’amende devait être infligée à l’entreprise Servier, le Tribunal aurait dû annuler l’amende dont seule la société mère de Biogaran aurait été redevable en sa qualité de société responsable de l’entreprise Servier.

135    La Commission excipe de l’irrecevabilité de cette deuxième branche. Le Tribunal, au point 280 de l’arrêt attaqué, aurait déclaré le grief de Biogaran pris de la violation du principe d’égalité de traitement irrecevable faute d’avoir été soulevé avant l’audience. Or, selon la Commission, il est impossible de faire valoir pour la première fois au stade du pourvoi un moyen ayant fait l’objet d’une déclaration d’irrecevabilité elle-même non contestée. En tout état de cause, Biogaran ne contesterait pas les motifs pour lesquels le Tribunal a rejeté, au fond, le grief pris d’une violation du principe d’égalité de traitement.

–       Appréciation de la Cour

136    Pour les motifs exposés aux points 277 à 280 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les griefs par lesquels Biogaran prétendait que l’amende lui avait été infligée en violation du principe d’égalité de traitement.

137    Au point 279 dudit arrêt, le Tribunal a rejeté les allégations selon lesquelles la situation de Biogaran était comparable à celle des fabricants de médicaments génériques destinataires de la décision litigieuse. Il a relevé que Biogaran a été condamnée au paiement solidaire de l’amende pour l’infraction relative à l’accord Niche en sa qualité d’entité appartenant à l’entreprise Servier. Or, le montant de l’amende infligée à cette entreprise pouvait être calculé sur la base de la valeur de ses ventes sur le marché du périndopril, ce qui n’était pas le cas pour ces fabricants de médicaments génériques puisque ces derniers n’étaient pas présents sur ce marché.

138    S’agissant, plus particulièrement, de la prétendue inégalité de traitement entre Biogaran et Niche, fondée sur la circonstance que la Commission n’aurait pas pris en compte aux fins du calcul de l’amende infligée à Niche le montant de 2,5 millions de GBP dont cette dernière a bénéficié, le Tribunal a relevé, au point 280 de l’arrêt attaqué, à titre principal, que ce grief avait été soulevé pour la première fois au stade de l’audience. Il a considéré, en conséquence, que, en l’absence de justification, ledit grief devait être rejeté en raison de son caractère nouveau. À titre subsidiaire, le Tribunal a réitéré que Biogaran et les fabricants de médicaments génériques destinataires de la décision litigieuse, dont Niche, n’étaient pas dans une situation comparable et que, quand bien même Niche n’aurait pas été sanctionnée pour sa participation à l’accord Biogaran, cette circonstance ne pouvait pas exonérer cette dernière de sa responsabilité dans l’infraction commise par l’entreprise Servier dont elle fait partie.

139    Il y a lieu de constater que, par cette deuxième branche de son quatrième moyen, Biogaran conteste non pas les motifs de l’arrêt attaqué pour lesquels le Tribunal a déclaré irrecevable le grief pris d’une inégalité de traitement par rapport à Niche, mais ceux, énoncés à titre subsidiaire et donc surabondants, par lesquels le Tribunal a rejeté ce grief sur le fond. Or, des griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments, C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 96 et jurisprudence citée).

140    Il s’ensuit que cette deuxième branche doit être rejetée comme étant inopérante.

 Sur la troisième branche, prise de la violation du principe de proportionnalité

–       Argumentation des parties

141    Biogaran réitère l’argumentation avancée dans le cadre de son troisième moyen, selon laquelle le Tribunal ne pouvait pas lui imputer la responsabilité de l’infraction, en sus de celle de sa société mère et, par conséquent, lui infliger une amende. Le Tribunal aurait d’ailleurs expressément reconnu, aux points 272 et 278 de l’arrêt attaqué, que l’amende a été infligée non pas à Biogaran en tant que société autonome, mais à l’entreprise Servier. Seule la société responsable du comportement de cette entreprise serait redevable de l’amende. Dès lors, les motifs relatifs à la solidarité pour le paiement de l’amende, énoncés aux points 274 et 275 de l’arrêt attaqué, seraient inopérants.

142    En toute hypothèse, en omettant de prendre en compte, aux fins de l’examen de la portée et de la gravité de l’infraction, le rôle mineur et accessoire de Biogaran, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Le montant du paiement effectué par Biogaran en faveur de Niche n’aurait représenté que 18 % de celui effectué par Servier. Le montant de l’amende infligée à Biogaran ne pouvait pas, de l’avis de cette dernière, être égal à celui imposé à Servier, indépendamment du fait que Biogaran fait partie de l’entreprise Servier.

143    La Commission conteste cette argumentation.

–       Appréciation de la Cour

144    Il convient de rappeler que la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 44 et jurisprudence citée).

145    C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a exposé, aux points 274 et 275 de l’arrêt attaqué, que la solidarité pour le paiement de l’amende n’est qu’une manifestation d’un effet de plein droit de la notion d’entreprise et que des sociétés peuvent être condamnées solidairement au paiement de l’amende dans la mesure où elles peuvent être tenues pour personnellement responsables de la participation à l’infraction commise par l’entreprise unique qu’elles composent et ce, quelle que soit l’étendue des responsabilités respectives de ces sociétés à la commission de cette infraction.

146    La troisième branche du quatrième moyen n’étant pas fondée, il y a lieu de la rejeter, ainsi que le quatrième moyen dans son ensemble.

147    Aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, ce dernier doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

148    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

149    La Commission ayant conclu à la condamnation de Biogaran aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

150    L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

151    Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Biogaran SAS est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.

Arabadjiev

Lenaerts

Xuereb

Kumin

 

Ziemele

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2024.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

A. Arabadjiev


*      Langue de procédure : le français.