Language of document :

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 juin 2024 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Sécurité sociale – Maladie professionnelle – Demande de reconnaissance d’une aggravation – Méconnaissance des exigences de forme – Article 76, sous d), du règlement de procédure – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑516/23,

Arnaldo Lucaccioni, demeurant à Londres (Royaume-Uni), représenté par Me A. Silvestri, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr et L. Vernier, en qualité d’agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, M. Arnaldo Lucaccioni, demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 7 septembre 2022 rejetant sa demande de reconnaissance de l’aggravation de sa maladie professionnelle (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le requérant a été fonctionnaire auprès de la Commission depuis 1962. Durant son affectation au bâtiment du Berlaymont, à Bruxelles (Belgique), il a été exposé aux poussières et fibres d’amiante.

3        Le 16 juillet 1991, à l’issue de la procédure visée à l’article 78 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), le requérant a été mis à la retraite, avec effet au 1er août 1991, et s’est vu accorder une pension d’invalidité égale à 70 % de son traitement de base.

4        Par décision du 15 avril 1994, la Commission a reconnu l’origine professionnelle de la maladie du requérant, conformément à l’article 73 du statut, et a constaté que « l’invalidité permanente totale [était] égale à 100 % [et qu’elle] remontait à l’époque du diagnostic (janvier 1990) ». En outre, compte tenu des signes permanents et des troubles psychologiques sévères du requérant, « une indemnité de 30 % » lui a été accordée, conformément à l’article 14 de la réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa version antérieure au 1er janvier 2006 (ci-après l’« ancienne réglementation de couverture »).

5        Le 7 juin 2000, le requérant a introduit une demande visant à la reconnaissance de l’aggravation de sa maladie professionnelle en application de l’article 22 de l’ancienne réglementation de couverture et au versement d’une indemnité de 70 % du capital prévu à l’article 73, paragraphe 2, sous b), du statut, conformément à l’article 14 de l’ancienne réglementation de couverture (ci-après la « demande de reconnaissance de l’aggravation »).

6        Deux décisions antérieures relatives à cette demande de reconnaissance de l’aggravation ont été annulées, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 26 février 2003, Lucaccioni/Commission (T‑212/01, EU:T:2003:44), et du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission (T‑551/16, non publié, EU:T:2017:751).

7        En particulier, par arrêt du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission (T‑551/16, non publié, EU:T:2017:751), le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 26 juin 2014 accordant au requérant une majoration de 20 % de l’indemnité au titre de l’article 14 de l’ancienne réglementation de couverture, au motif que le rapport de la commission médicale du 8 janvier 2014 était entaché d’une insuffisance et d’une incohérence de motivation en ce qui concernait les troubles psychologiques dont souffrait le requérant et les troubles du sommeil dont il se plaignait.

8        La décision attaquée est une nouvelle décision prise relative à la demande de reconnaissance de l’aggravation. Par cette décision, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a décidé de maintenir l’augmentation de 20 % de l’indemnité au titre de l’article 14 de l’ancienne réglementation de couverture.

9        Le 5 décembre 2022, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée.

10      Par décision du 26 mai 2023, l’AIPN a rejeté cette réclamation.

 Conclusions des parties

11      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rendre une décision qui, après annulation de la décision attaquée, proposerait d’examiner la possibilité de parvenir à un règlement amiable du litige entre le requérant et la Commission, déjà proposé par le requérant à la présidente de la Commission le 16 mai 2022 pour un montant total justifié de 1 131 284,81 euros, après déduction des 98 372,51 euros déjà versés au requérant ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsqu’un recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

14      En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sans poursuivre la procédure.

15      Sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure, la Commission soutient que le recours est irrecevable dans la mesure où la requête ne contient pas les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens au titre de l’article 76, sous d), du règlement de procédure. En effet, les moyens du recours ne seraient pas énoncés, même de manière abstraite, ce qui rendrait le recours difficilement compréhensible, contraignant la Commission à répondre sur le fond sur la base de suppositions de ce que pourraient vraisemblablement être les moyens de droit invoqués.

16      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête introductive d’instance doit contenir les moyens et un exposé de ceux-ci. Selon la jurisprudence, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle, le cas échéant, sans autre information à l’appui (arrêt du 7 mars 2017, United Parcel Service/Commission, T‑194/13, EU:T:2017:144, point 191).

17      En outre, il est nécessaire que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice (voir arrêt du 16 mars 2022, Kühne/Parlement, T‑468/20, non publié, EU:T:2022:137, point 66 et jurisprudence citée).

18      En particulier, la partie requérante est tenue d’exposer d’une manière suffisamment systématique les développements relatifs à chaque moyen qu’elle présente, sans que le Tribunal puisse être contraint, du fait du manque de structure de la requête ou de rigueur de cette partie, de reconstituer l’articulation juridique censée soutenir un moyen en rassemblant divers éléments épars de la requête, au risque de reconstruire ce moyen en lui donnant une portée qu’il n’avait pas dans l’esprit de ladite partie. En décider autrement serait contraire, à la fois, à une bonne administration de la justice, au principe dispositif ainsi qu’aux droits de la défense de la partie défenderesse [arrêts du 12 novembre 2020, Fleig/SEAE, C‑446/19 P, non publié, EU:C:2020:918, points 60 et 61, et du 16 juin 2021, Lucaccioni/Commission, T‑316/19, EU:T:2021:367, point 85 (non publié)].

19      Lorsque la requête ne satisfait pas aux exigences prévues par l’article 76, sous d), du règlement de procédure relatives à l’exposé des moyens, le Tribunal est fondé à déclarer comme étant manifestement irrecevable le recours dans son ensemble (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2021, González Calvet/CRU, C‑27/21 P, non publiée, EU:C:2021:789, points 23 à 28).

20      En l’espèce, force est de constater, à l’instar de la Commission, que la requête n’identifie aucun moyen. En effet, la requête contient 6 titres intitulés, successivement, « Remarque préliminaire », « Introduction », « Analyse du chapitre “En fait” de la décision de l’AIPN », « Analyse du chapitre “Reproches” de la décision de l’AIPN », « Analyse du chapitre “Analyse – A. Observations préliminaires” de la décision de l’AIPN » et « Analyse du chapitre “Analyse – B. Sur le fond” », mais aucun d’entre eux ne comporte de moyens clairement énoncés. Quant à la substance de la requête, il convient de relever que, si le requérant semble reprocher à l’AIPN des dénaturations de fait, des appréciations erronées quant à son état de santé et des irrégularités procédurales et s’il fait également référence aux arrêts du 26 février 2003, Lucaccioni/Commission (T‑212/01, EU:T:2003:44), et du 25 octobre 2017, Lucaccioni/Commission (T‑551/16, non publié, EU:T:2017:751), il expose des faits et formule des accusations à l’encontre de la Commission de manière non structurée. À cet égard, force est de constater qu’il n’invoque pas, par exemple, de moyen tiré d’une violation de l’article 266 TFUE, ni de moyen tiré de la violation des règles qui président au fonctionnement des commissions médicales, ni un moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

21      Il est certes exact que le juge de l’Union doit interpréter les moyens d’une partie requérante au regard de leur substance plutôt que de leur qualification légale, indépendamment de toute question de terminologie. Toutefois, c’est à la condition que les moyens invoqués se dégagent de la requête avec suffisamment de netteté, de clarté et de précision, afin de permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2017, Mayer/EFSA, T‑493/14, EU:T:2017:100, point 42 et jurisprudence citée).

22      Or, dans les parties consacrées à l’analyse de la décision de l’AIPN, si le requérant exprime son désaccord avec la manière dont la demande de reconnaissance de l’aggravation a été traitée et la réponse qui lui a été donnée, il ne précise pas avec la clarté requise les illégalités alléguées à l’encontre de la décision attaquée, ni son argumentaire juridique. À cet égard, il convient de relever que les arguments du requérant s’entremêlent, sont rédigés de manière particulièrement confuse et font référence à des éléments sans lien évident avec la demande de reconnaissance de l’aggravation. Dans ces conditions, il est extrêmement difficile, si ce n’est impossible, de comprendre exactement la portée et le contenu des divers griefs présentés par le requérant. Pour tenter d’identifier les moyens soulevés par le requérant ainsi que l’argumentation juridique qui vient à leur soutien, le Tribunal serait obligé de procéder à un exercice fastidieux et aléatoire d’interprétation et de restructuration de l’ensemble de la requête, ce qui n’est pas compatible avec la jurisprudence rappelée aux points 17 et 18 ci-dessus.

23      À cet égard, s’il est vrai que le Tribunal peut, en vertu de l’article 89, paragraphe 2, sous c), de son règlement de procédure, demander aux parties de préciser la portée de leurs conclusions ainsi que de leurs moyens et arguments, une telle possibilité vise à obtenir des éclaircissements sur certains points afin d’assurer, dans les meilleures conditions, la mise en état des affaires, ainsi que cela est prévu par l’article 89, paragraphe 1, du règlement de procédure, mais ne saurait être utilisée pour pallier les insuffisances, imprécisions ou ambiguïtés rédactionnelles de la requête, ni, en tout état de cause, dispenser le requérant de ses propres obligations au regard de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

24      Dans ces conditions, le Tribunal se trouve dans l’incapacité de répondre sur le fond aux prétentions du requérant. En effet, pour ce faire, il se trouverait contraint de tenter d’identifier les moyens soulevés par le requérant et d’y rattacher les arguments qui lui paraissent pouvoir se rapporter auxdits moyens, ce qui serait contraire aux termes de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, tel qu’il est interprété par la jurisprudence rappelée aux points 16 à 18 ci-dessus, mais qui pourrait, en outre, conduire le Tribunal à statuer ultra petita ou à omettre de statuer sur un grief (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2021, González Calvet/CRU, C‑27/21 P, non publiée, EU:C:2021:789, point 30).

25      Quant aux moyens nouveaux présentés par le requérant par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 décembre 2023, ils souffrent des mêmes défauts. Non seulement le requérant n’identifie pas de manière suffisamment claire les prétendus éléments de fait et de droit s’étant révélés pendant la procédure justifiant la présentation de moyens nouveaux en vertu de l’article 84 du règlement de procédure, mais il ne précise pas non plus la nature des illégalités dont il entend se prévaloir pour obtenir l’annulation de la décision attaquée.

26      Enfin, dans le cadre de l’acte déposé au greffe du Tribunal le 5 décembre 2023, le requérant avance des « motifs d’urgence » et demande qu’il plaise au Tribunal « d’apprécier l’urgence dans le traitement du présent litige ». Il n’est pas clair si le requérant entend présenter une demande de procédure accélérée, au sens de l’article 152 du règlement de procédure, dans la mesure où il avance, par ailleurs, ne pas souhaiter que la procédure se prolonge « pour une durée au-delà de celle strictement nécessaire pour trancher le présent litige ». En tout état de cause, une éventuelle demande de procédure accélérée doit être présentée par acte séparé lors du dépôt de la requête ou du mémoire en défense, ainsi qu’il résulte de l’article 152, paragraphe 1, du règlement de procédure. Or, l’éventuelle demande ayant été présentée après le dépôt du mémoire en défense et n’étant pas clairement identifiée comme telle, il n’y a pas lieu d’y donner suite.

27      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant manifestement irrecevable.

2)      M. Arnaldo Lucaccioni est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 6 juin 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

J. Svenningsen


*      Langue de procédure : l’italien.