Language of document : ECLI:EU:T:2020:437

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

23 septembre 2020 (*)

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 – Recours en annulation – Affectation directe et individuelle – Recevabilité – Formes substantielles – Authentification de la décision – Obligation de motivation – Limitation des effets de l’arrêt dans le temps »

Dans l’affaire T‑414/17,

Hypo Vorarlberg Bank AG, anciennement Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG, établie à Bregenz (Autriche), représentée par Mes G. Eisenberger et A. Brenneis, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par MM. P. Messina et J. Kerlin, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Meyring, S. Schelo, T. Klupsch et S. Ianc, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du CRU dans sa session exécutive du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique (SRB/ES/SRF/2017/05), en ce qu’elle concerne la requérante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva, MM. R. Barents, J. Passer (rapporteur) et G. De Baere, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du second pilier de l’union bancaire, relatif au mécanisme de résolution unique (MRU), érigé par le règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1). L’instauration du MRU a pour but de renforcer l’intégration du cadre de résolution dans les États membres de la zone euro et les États membres qui ne font pas partie de la zone euro et qui choisissent de participer au mécanisme de surveillance unique (MSU) (ci-après les « États membres participants »).

2        Plus spécifiquement, cette affaire concerne le Fonds de résolution unique (FRU) instauré par l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 806/2014. Le FRU est financé par les contributions des établissements perçues au niveau national sous la forme, notamment, de contributions ex ante, en exécution de l’article 67, paragraphe 4, du même règlement. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, point 13, dudit règlement, la notion d’établissement vise un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement couverte par la surveillance sur base consolidée conformément à l’article 2, sous c), du même règlement. Les contributions sont transférées au niveau de l’Union européenne conformément à l’accord intergouvernemental concernant le transfert et la mutualisation des contributions au FRU, signé à Bruxelles (Belgique) le 21 mai 2014.

3        L’article 70 du règlement no 806/2014, intitulé « Contributions ex ante », dispose :

« 1. La contribution individuelle de chaque établissement est perçue au moins chaque année et est calculée proportionnellement au montant de son passif (hors fonds propres) moins les dépôts couverts, rapporté au passif cumulé (hors fonds propres) moins les dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

2. Chaque année, le CRU, après consultation de la BCE ou de l’autorité compétente nationale et en étroite coopération avec les autorités de résolution nationales, calcule les contributions individuelles pour faire en sorte que les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible.

Chaque année, le calcul de la contribution de chaque établissement s’appuie sur :

a)       une contribution forfaitaire, qui est proportionnelle au montant du passif de l’établissement, hors fonds propres et dépôts couverts, rapporté au total du passif, hors fonds propres et dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire des États membres participants ; et

b)       une contribution en fonction du profil de risque, fondée sur les critères fixés à l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59/UE, tenant compte du principe de proportionnalité, sans créer de distorsions entre les structures du secteur bancaire des États membres.

Le rapport entre la contribution forfaitaire et la contribution en fonction du profil de risque est défini avec le souci d’une répartition équilibrée des contributions entre les différents types de banques.

En tout état de cause, le cumul des contributions de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants, calculées en vertu des points a) et b), ne dépasse pas annuellement 12,5 % du niveau cible.

[...]

6. Les actes délégués précisant la notion d’adaptation des contributions en fonction du profil de risque des établissements, adoptés par la Commission au titre de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59/UE, s’appliquent.

7. Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, adopte, dans le cadre des actes délégués visés au paragraphe 6, des actes d’exécution pour définir les conditions de la mise en œuvre des paragraphes 1, 2 et 3, notamment en ce qui concerne :

a)      l’application de la méthode de calcul des contributions individuelles ;

b)      les modalités pratiques de l’attribution aux établissements des facteurs de risque prévus dans les actes délégués. »

4        Le règlement no 806/2014 a été complété, en ce qui concerne lesdites contributions ex ante, par le règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement no 806/2014 en ce qui concerne les contributions ex ante au FRU (JO 2015, L 15, p. 1).

5        Par ailleurs, le règlement no 806/2014 et le règlement d’exécution 2015/81 procèdent par renvoi à certaines dispositions contenues dans deux autres actes :

–        d’une part, la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) ;

–        d’autre part, le règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59 en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

6        Le Conseil de résolution unique (CRU) a été institué en tant qu’agence de l’Union (article 42 du règlement no 806/2014). Il comporte notamment une session plénière et une session exécutive (article 43, paragraphe 5, du règlement no 806/2014). Le CRU en session exécutive prend toutes les décisions pour mettre en œuvre le règlement no 806/2014, sauf disposition contraire dudit règlement [article 54, paragraphe 1, sous b), du règlement no 806/2014].

 Antécédents du litige

7        La requérante, Hypo Vorarlberg Bank AG, anciennement Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG, est un établissement de crédit établi en Autriche.

8        Par décision du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au FRU (SRB/ES/SRF/2017/05, ci-après la « décision attaquée »), le CRU dans sa session exécutive a décidé, en vertu de l’article 54, paragraphe 1, sous b), et de l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, du montant de la contribution ex ante de chaque établissement, dont la requérante, pour l’année 2017.

9        Par avis de perception du 24 avril 2017, réceptionné le 26 avril 2017 par la requérante, l’autorité de résolution nationale (ci-après l’ « ARN ») autrichienne a informé la requérante que le CRU avait fixé sa contribution ex ante pour 2017 au FRU et a enjoint à la requérante d’acquitter un montant déterminé au titre de ladite contribution (ci-après l’« avis de perception »).

10      L’ARN autrichienne a joint quatre documents à l’avis de perception, à savoir des versions allemande et anglaise du texte de la décision attaquée, sans l’annexe que ce texte mentionne, un document intitulé « Détails du calcul (ajusté au risque) : Contributions ex ante au [FRU] pour 2017 » (ci-après le « document intitulé “Détails du calcul” ») et un document intitulé « Valeurs statistiques ».

 Procédure et conclusions des parties

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 juillet 2017, la requérante a introduit le présent recours.

12      Sur proposition de la huitième chambre du Tribunal (ancienne composition), ce dernier a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

13      Par mesure d’organisation de la procédure adoptée le 12 décembre 2018 au titre de l’article 89 du règlement de procédure, premièrement, le Tribunal a invité le CRU à produire la copie intégrale de l’original de la décision attaquée, en ce compris son annexe, et à décrire la procédure d’adoption de ladite décision, en produisant les pièces justificatives. Deuxièmement, le Tribunal a invité le CRU à produire l’ensemble des décisions intermédiaires prises par lui et qui sont à la base du calcul de la contribution ex ante pour 2017. Troisièmement, le Tribunal a invité le CRU, s’agissant du document intitulé « Valeurs statistiques », à préciser qui en était l’auteur et à clarifier à qui ces données faisaient précisément référence ainsi que leur fonction exacte.

14      Par actes des 30 janvier et 8 février 2019, le CRU a répondu à cette mesure d’organisation de la procédure. S’agissant de la demande de production de documents (point 13 ci-dessus), le CRU a indiqué, en substance, ne pas pouvoir produire les documents et les pièces justificatives demandés, pour des raisons de confidentialité. Pour ce motif, il a demandé au Tribunal d’adopter une mesure d’instruction.

15      Par ordonnance du 18 mars 2019, le Tribunal a ordonné au CRU, sur le fondement, d’une part, de l’article 24, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, de l’article 91, sous b), de l’article 92, paragraphe 3, ainsi que de l’article 103 du règlement de procédure, de produire, en versions non confidentielle et confidentielle, les copies intégrales de l’original de la décision attaquée, en ce compris son annexe, de l’ensemble des décisions intermédiaires prises par lui et qui sont à la base du calcul de la contribution ex ante pour 2017, ainsi que de l’ensemble des pièces justificatives relatives à la procédure d’adoption de la décision attaquée.

16      Par acte du 18 avril 2019, le CRU a répondu à l’ordonnance du 18 mars 2019. S’agissant de la décision attaquée, le CRU a expliqué que l’annexe de celle-ci avait été adoptée sous format XLSX. Cependant, le document produit devant le Tribunal était sous format PDF. S’agissant des décisions intermédiaires, le CRU a produit des décisions relatives au calcul des contributions ex ante pour 2016, des projets de décisions et des notes de synthèse (cover notes).

17      En vue de permettre au CRU de compléter la réponse visée au point 16 ci‑dessus, le Tribunal a adopté, le 9 septembre 2019, une seconde ordonnance portant des mesures d’instruction.

18      Par acte du 26 septembre 2019, le CRU a répondu à l’ordonnance du 9 septembre 2019 et a produit, d’une part, une copie, au format PDF, du texte de la décision attaquée et, s’agissant de l’annexe de celle-ci, une clé USB comportant, en versions non confidentielle et confidentielle, un fichier au format XLSX. D’autre part, le CRU a produit, en versions non confidentielle et confidentielle, onze documents décrivant la procédure d’approbation dans sa session exécutive des projets de décisions contenus dans les notes de synthèse visées au point 16 ci-dessus ou annexés à celles-ci.

19      Par ordonnance du 10 octobre 2019, à la suite de l’examen prévu à l’article 103, paragraphe 1, du règlement de procédure,  le Tribunal a retiré du dossier l’ensemble des documents produits par le CRU en version confidentielle en réponse aux ordonnances portant des mesures d’instruction des 18 mars et 9 septembre 2019 et a considéré que les versions non confidentielles des notes de synthèse visées au point 16 ci‑dessus comportaient des passages occultés qui étaient à la fois pertinents pour le litige et non confidentiels. Par conséquent, il a ordonné au CRU de produire de nouvelles versions non confidentielles desdites notes.

20      Par acte du 18 octobre 2019, le CRU a déféré à cette ordonnance.

21      Par lettre du 5 novembre 2019, la requérante a déposé ses observations à l’égard des réponses du CRU aux questions de la mesure d’organisation de la procédure du 12 décembre 2018, aux ordonnances portant des mesures d’instruction des 18 mars et 9 septembre 2019 et à l’ordonnance du 10 octobre 2019. Par cette lettre, la requérante a également sollicité l’adoption de nouvelles mesures d’organisation de la procédure.

22      Par lettre du 22 novembre 2019, le CRU a déposé ses observations sur la demande des nouvelles mesures d’organisation de la procédure de la requérante.

23      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en ce qu’elle la concerne ;

–        condamner le CRU aux dépens.

24      Le CRU conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou comme non fondé ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait d’annuler la décision attaquée,différer les effets de l’annulation de six mois après que l’arrêt est devenu définitif ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

25      Dans ses mémoires, le CRU a, en substance, contesté la qualité de la requérante pour agir en annulation de la décision attaquée, en faisant valoir qu’elle n’était pas directement et individuellement concernée par celle-ci et que seul l’avis de perception pouvait avoir un effet sur sa situation.

26      Force est de constater que, dans son arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca (C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 65), la Cour a jugé, en substance, que, bien que les destinataires des décisions du CRU sur le calcul des contributions ex ante au FRU soient, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81, les ARN, les établissements débiteurs de ces contributions sont, sans aucun doute, directement et individuellement concernés par ces décisions.

27      Il s’ensuit que la requérante a qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, ce que le CRU a reconnu lors de l’audience et dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

 Sur le fond

28      La requérante invoque deux moyens au soutien de son recours en annulation de la décision attaquée. Selon la requérante, en adoptant la décision attaquée, le CRU a commis des violations des formes substantielles, d’une part, en raison d’une communication incomplète de la décision attaquée (premier moyen) et, d’autre part, en violant son obligation de motivation (second moyen).

29      En ce qui concerne les formes substantielles, il convient d’observer que, d’une part, leur violation constitue un moyen d’ordre public que, selon une jurisprudence constante, le juge de l’Union est tenu de relever d’office (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67 ; du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C‑265/97 P, EU:C:2000:170, point 114 ; du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, point 143, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 70 et jurisprudence citée) et, d’autre part, cette violation recouvre également le défaut d’authentification de l’acte (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, points 75 et 76, et du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 40 et 41).

30      Il y a lieu d’examiner, d’abord, le défaut d’authentification de la décision attaquée et, ensuite, le second moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur l’authentification de la décision attaquée

31      Il convient de rappeler que, l’élément intellectuel et l’élément formel constituant un tout indissociable, la mise en forme écrite de l’acte est l’expression nécessaire de la volonté de l’autorité qui l’adopte (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, point 70 ; du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 38, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 111).

32      L’authentification de l’acte a pour but d’assurer la sécurité juridique en figeant le texte adopté par l’auteur de l’acte et constitue une forme substantielle (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, points 75 et 76 ; du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 40 et 41, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 112).

33      Il a également déjà été jugé que la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification de l’acte, sans qu’il soit nécessaire d’établir, en outre, que l’acte est affecté d’un autre vice ou que l’absence d’authentification a causé un préjudice à celui qui l’invoque (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 42, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 113).

34      Le contrôle du respect de la formalité de l’authentification et, ainsi, du caractère certain de l’acte est un préalable à tout autre contrôle tel que celui de la compétence de l’auteur de l’acte, du respect du principe de la collégialité ou encore celui du respect de l’obligation de motiver les actes (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 46, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 114).

35      Si le juge de l’Union constate, à l’examen de l’acte produit devant lui, que ce dernier n’a pas été régulièrement authentifié, il lui appartient de soulever d’office le moyen tiré de la violation d’une forme substantielle consistant en un défaut d’authentification régulière et d’annuler, en conséquence, l’acte entaché d’un tel vice (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 51, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 115).

36      Il importe peu, à cet égard, que l’absence d’authentification n’ait causé aucun préjudice à l’une des parties au litige. En effet, l’authentification des actes est une forme substantielle au sens de l’article 263 TFUE, essentielle à la sécurité juridique, dont la violation entraîne l’annulation de l’acte vicié, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un tel préjudice (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 52, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 116 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, point 47).

37      En l’espèce, dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure adoptée le 12 décembre 2018, le CRU indique que la décision attaquée a été adoptée par procédure écrite, conformément à l’article 7, paragraphe 5, et à l’article 9 des règles de procédure du CRU en session exécutive, telles qu’adoptées par la décision du CRU en session plénière du 29 avril 2015 (SRB/PS/2015/8), lancée par l’envoi aux membres de la session exécutive du CRU, par courrier électronique, de documents comportant, notamment, un document au format DOC correspondant au projet de texte de la décision attaquée et un document au format XLSX correspondant au projet de l’annexe à laquelle se réfère le texte de la décision attaquée.

38      À cet égard, il découle de la réponse du CRU à l’ordonnance du 18 mars 2019 que, le 11 avril 2017, à la suite de l’approbation, également par voie de courriers électroniques, des deux documents mentionnés au point 37 ci-dessus, tels que modifiés au cours de la procédure, par tous les membres de la session exécutive, le secrétariat du CRU a imprimé le document au format DOC (texte de la décision attaquée, sans son annexe) et la présidente du CRU a signé ce document ainsi que la fiche d’acheminement relative au dossier. La version signée dudit document serait conservée dans les locaux du CRU.

39      Dans sa réponse à l’ordonnance du 18 mars 2019, le CRU a produit une copie de cette version signée du texte de la décision attaquée ainsi qu’une copie de ladite fiche d’acheminement.

40      Force est toutefois de constater que le CRU n’a apporté aucune preuve de l’authentification de l’annexe de la décision attaquée, laquelle annexe est un document électronique au format XLSX qui comporte les montants des contributions ex ante et constitue donc un élément essentiel de cette décision.

41      En effet, le CRU n’a produit aucune version de l’annexe de la décision attaquée comportant une signature électronique, alors même que ladite annexe n’est nullement liée de manière indissociable au texte de la décision attaquée.

42      S’agissant de la fiche d’acheminement évoquée au point 38 ci-dessus, dont la mention « Attachment(s) : 2 » [Pièce(s) jointe(s) : 2] devrait en théorie signifier que, lors de sa signature manuscrite par la présidente du CRU, cette fiche était accompagnée de deux pièces jointes, à savoir du texte de la décision attaquée et d’une version imprimée de l’annexe, force est de constater que, en réalité, elle n’établit pas la présence de deux pièces jointes, qu’elle n’identifie, au demeurant, même pas.

43      Le CRU a d’ailleurs admis en substance, lors de l’audience, ne pas avoir imprimé l’annexe qui, comme déjà indiqué, est un document au format XLSX, à savoir un document électronique. Dès lors, sa signature ne pouvait être qu’électronique et ce document ne pouvait donc pas être joint physiquement à une fiche d’acheminement établie sous forme papier.

44      Or, le CRU ne mentionne de signature qu’en ce qui concerne le texte de la décision attaquée. Le CRU n’établit pas la signature électronique de cette annexe par la présidente du CRU.

45      Quant à l’argument avancé par le CRU lors de l’audience, selon lequel l’annexe aurait été disponible dans un système documentaire dénommé ARES (Advanced Records System) au moment de la signature de la fiche d’acheminement, force est de constater qu’il est nouveau et, à ce titre irrecevable, ainsi que, en tout état de cause, non étayé.

46      À cet égard, il convient d’observer que la fiche d’acheminement ne comporte aucun élément prouvant cette allégation et encore moins d’élément permettant d’établir un lien indissociable entre ladite fiche, signée à la main par la présidente du CRU, et un document prétendument présent dans ARES, qui correspondrait à l’annexe de la décision attaquée, telle que produite devant le Tribunal.

47      En définitive, la signature manuscrite d’une fiche d’acheminement mentionnant deux pièces jointes sans les identifier, ni leur être ensuite liée de manière indissociable, et ce alors même qu’il n’y avait en réalité qu’une pièce jointe à cette fiche, ne saurait emporter authentification d’un autre document – l’annexe sous format XLSX – prétendument présent dans ARES.

48      Il résulte des considérations qui précèdent que l’exigence d’authentification de la décision attaquée n’est pas satisfaite.

49      Le Tribunal estime opportun, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de se prononcer également sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur le second moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation

50      La requérante considère que le CRU a violé l’obligation de motivation.

51      Le fait d’avoir participé au processus de collecte d’informations ne permettrait pas à la requérante d’obtenir des informations suffisantes, car sa contribution ne serait pas calculée sur la seule base des données transmises par elle, mais à partir de la relation existant entre les données de tous les établissements concernés.

52      Selon le CRU, la requérante ne devait pas recevoir directement de lui un exposé détaillé des motifs. La décision attaquée n’aurait pas été adressée à la requérante, mais à l’ARN autrichienne. Par ailleurs, la participation des intéressés à la procédure d’élaboration de l’acte réduirait les exigences de la motivation, laquelle devrait être appréciée au regard non seulement du libellé de la décision attaquée, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Le CRU rappelle que le processus de calcul des contributions ex ante est fondé sur une étroite coopération entre le CRU et les ARN.

53      Même s’il existait une obligation d’adresser la décision attaquée à la requérante, l’exposé des motifs de cette décision aurait été suffisant, étant donné que la décision était principalement fondée sur une méthode détaillée prévue par la législation publiée ainsi que sur les informations fournies par la requérante. En outre, selon le CRU, la décision mentionne en détail les éléments qui fondent les contributions ex ante. Le CRU ajoute que la jurisprudence limite la portée de l’obligation de motivation pour les actes lorsque l’organe compétent pour les adopter n’a que peu ou pas de marge de manœuvre, comme c’est le cas en l’espèce. Enfin, l’ARN autrichienne aurait fourni à la requérante un exposé des motifs détaillé dans l’avis de perception ainsi que davantage d’informations détaillées dans les annexes de cet avis.

54      En tout état de cause, le CRU considère que la requérante va au-delà des conditions posées par l’article 296, paragraphe 2, TFUE lorsqu’elle soutient qu’elle devrait être en mesure de calculer sa propre contribution ex ante sur la base de l’exposé des motifs du CRU, car une partie des informations nécessaires au calcul de la contribution ex ante de la requérante se composerait d’informations confidentielles provenant d’autres établissements, qu’il aurait l’obligation de protéger sur le fondement de l’article 339 TFUE, de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 14, paragraphe 7, du règlement délégué 2015/63, de l’article 88 du règlement no 806/2014 et de l’article 84 de la directive 2014/59. Cette obligation constituerait une limite à l’obligation de motivation. Par ailleurs, il serait impossible d’un point de vue pratique et technique de devoir détailler les motifs qui sous-tendent la décision attaquée compte tenu du délai imparti pour son adoption.

55      Quant à la suppression des données sensibles relatives aux autres établissements dans la décision attaquée, le CRU explique qu’une telle version non confidentielle de la décision attaquée ne permettrait pas à la requérante de recalculer le montant de sa contribution, puisqu’elle lui fournirait principalement ses propres données et le montant total qui en résulte. Par ailleurs, au sein de certains États membres, la seule suppression des noms des établissements ne suffirait pas, de manière générale, à empêcher l’identification des établissements.

56      Au demeurant, le CRU conclut que la requérante n’a pas démontré une quelconque erreur dans les calculs des contributions ex ante pour 2017. Même si la décision attaquée devait être annulée pour violation d’une règle essentielle de procédure, le CRU pourrait immédiatement confirmer la décision attaquée. Le CRU invoque la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt du 6 juillet 1983, Geist/Commission (117/81, EU:C:1983:191, point 7), selon laquelle un requérant n’a aucun intérêt légitime à l’annulation pour vice de forme d’une décision dans le cas où l’administration ne dispose d’aucune marge d’appréciation et est tenue d’agir comme elle l’a fait.

57      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 59 et jurisprudence citée).

58      L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués ainsi que de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 mars 2013, Acino/Commission, T‑539/10, non publié, EU:T:2013:110, point 124 et jurisprudence citée).

59      Par ailleurs, la motivation d’un acte doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (voir arrêt du 15 juillet 2015, Pilkington Group/Commission, T‑462/12, EU:T:2015:508, point 21 et jurisprudence citée).

60      En outre, il existe un rapport étroit entre l’obligation de motivation et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective (conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Housieaux, C‑186/04, EU:C:2005:70, point 32).

61      En effet, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels la décision contestée est fondée, tant pour lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de ladite décision qui lui incombe en vertu du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2017, LS Customs Services, C‑46/16, EU:C:2017:839, point 40 et jurisprudence citée, et du 13 mars 2019, AlzChem/Commission, C‑666/17 P, non publié, EU:C:2019:196, point 54 et jurisprudence citée).

62      À titre liminaire, il convient de rappeler que, si, dans le système instauré par le règlement no 806/2014 et le règlement d’exécution 2015/81, les décisions fixant les contributions ex ante sont notifiées aux ARN, les établissements débiteurs de ces contributions, dont la requérante, sont individuellement et directement concernés par lesdites décisions (voir point 26 ci-dessus).

63      Dès lors, l’intérêt que peuvent avoir ces établissements à recevoir des explications doit également être pris en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier l’étendue de l’obligation de motiver les décisions en cause (arrêt du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 176).

64      Par ailleurs, c’est le CRU qui calcule et fixe les contributions ex ante. Ses décisions sur le calcul desdites contributions ne sont adressées qu’aux ARN (article 5, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81) et il incombe aux ARN de les communiquer aux établissements (article 5, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/81) et de percevoir les contributions auprès des établissements sur la base desdites décisions (article 67, paragraphe 4, du règlement no 806/2014) (arrêt du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 204).

65      Ainsi, quand le CRU agit en vertu de l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, il adopte des décisions revêtues d’un caractère définitif et qui concernent, individuellement et directement, les établissements (arrêt du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 205).

66      Par conséquent, il incombe au CRU, auteur de ces décisions, de les motiver. Cette obligation ne saurait être déléguée aux ARN, ni sa violation palliée par celles-ci, sauf à méconnaître la qualité du CRU d’auteur desdites décisions et sa responsabilité à ce titre, et à susciter, compte tenu de la diversité des ARN, un risque d’inégalité de traitement des établissements en ce qui concerne la motivation des décisions du CRU (arrêt du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 206).

67      En l’espèce, s’agissant du texte de la décision attaquée, les visas citent le règlement no 806/2014, la directive 2014/59, le règlement d’exécution 2015/81, le règlement délégué 2015/63 et l’accord intergouvernemental mentionné au point 2 ci-dessus comme bases juridiques et comportent plusieurs indications relatives à la prise en compte des contributions ex ante perçues au titre des années 2015 et 2016. Suivent le dispositif principal de la décision attaquée (« [Le CRU dans sa session exécutive] approuve les montants des contributions ex ante au [FRU] pour 2017 tels qu’ils figurent en annexe ») et onze points qui exposent, en termes généraux, la procédure du calcul des contributions ex ante. Enfin, le point 12 précise que « [la décision attaquée] entre en vigueur le jour de son adoption ».

68      Quant à l’annexe de la décision attaquée, telle que produite par le CRU dans sa réponse à l’ordonnance du 9 septembre 2019, elle comporte un tableau qui indique, pour chaque établissement concerné, l’État membre participant où il est agréé, le type de méthode utilisée pour calculer la part « européenne » de la contribution ex ante pour 2017, le montant de cette contribution et, dans la colonne intitulée « Facteur d’ajustement au risque (EA) », le montant du multiplicateur « européen » d’ajustement en fonction du profil de risque [voir article 9 du règlement délégué 2015/63 et article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement d’exécution 2015/81], appliqué dans son cas.

69      Il est constant que la décision attaquée ne contient, au-delà des explications générales figurant dans son texte, quasi aucun élément du calcul de la contribution de la requérante. En effet, cette décision ne fournit que le type de méthode et le montant du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque appliqués à la requérante pour calculer la part « européenne » de sa contribution.

70      Il convient d’ajouter qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement d’exécution 2015/81 que la part du calcul de la contribution opérée par le CRU en référence au contexte européen entre, en 2017, pour 60 % seulement dans le calcul de cette contribution, tandis que la part nationale y entre pour 40 %.

71      Quant au document intitulé « Détails du calcul » (voir point 10 ci-dessus), à supposer qu’il émane effectivement du CRU, comme ce dernier l’a affirmé lors de l’audience, force est de constater que, même s’il indique, outre les éléments mentionnés au point 68 ci-dessus, le type de méthode pour calculer la part « nationale » de la contribution et le montant du multiplicateur « national » d’ajustement en fonction du profil de risque ainsi que d’autres éléments de calcul, toutefois, il ne comporte aucun élément suffisant pour vérifier l’exactitude de la contribution.

72      En particulier, ce document ne comporte aucun élément de calcul propre aux (environ) 3 500 autres établissements, alors même que, en application notamment des articles 4 à 7 et 9 du règlement délégué 2015/63, le calcul de la contribution de la requérante implique, d’une part, une mise en proportion du montant de son passif (hors fonds propres et dépôts couverts) avec le total du passif (hors fonds propres et dépôts couverts) de l’ensemble des autres établissements et, d’autre part, une évaluation de son profil de risque en rapport avec les profils de risque de ces autres établissements selon les indicateurs prévus.

73      Pour justifier l’absence de ces éléments, le CRU fait valoir, en substance, que les éléments relatifs aux autres établissements sont confidentiels.

74      Le Tribunal ne conteste pas la nature confidentielle des données des (environ) 3 500 autres établissements, mais relève que, dans la mesure où il repose de manière interdépendante sur ces données, le calcul de la contribution de la requérante s’avère intrinsèquement opaque.

75      La requérante peut certes examiner la méthode de calcul de la contribution ex ante telle que définie dans la réglementation et exposée dans le texte de la décision attaquée. Elle peut, le cas échéant, en contester certains aspects et leur mise en œuvre à son égard, comme, par exemple, l’appréciation, par le CRU, de ses données au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63.

76      Cela étant, au-delà de telles contestations ciblées, la contribution de la requérante étant calculée de manière interdépendante et sur des bases non communicables, la méthode de calcul porte atteinte à sa possibilité de contester utilement la décision attaquée.

77      Il n’est d’ailleurs pas contesté par le CRU qu’un établissement comme la requérante ne peut pas savoir exactement pourquoi sa contribution augmente, baisse ou stagne d’une année sur l’autre, puisque ces variations ou cette stagnation résultent d’une position relative dont il ignore par définition les termes. Un établissement pourra ainsi voir sa contribution augmenter alors que son profil de risque propre a baissé, et vice versa, sans disposer des éléments justificatifs, s’agissant d’éléments confidentiels.

78      S’agissant du document intitulé « Valeurs statistiques » (voir point 10 ci-dessus), ce document mentionne, en ce qui concerne la requérante, ses positions moyenne, médiane et de dissymétrie, eu égard à douze facteurs de risque déterminés, tant pour la part du calcul opérée dans le contexte national que pour la part correspondant au contexte européen.

79      En réponse aux interrogations du Tribunal quant à l’origine de ce document, tant dans la phase écrite de la procédure qu’à l’audience, le CRU a expliqué que ce fichier avait été préparé par l’ARN autrichienne de sa propre initiative sur la base des données fournies par le CRU et envoyé par l’ARN autrichienne aux établissements relevant de sa juridiction. Par ailleurs, le CRU a ajouté que ces données étaient fournies aux ARN à des fins internes et n’avaient pas expressément vocation à être distribuées aux établissements.

80      À cet égard, le Tribunal observe que, indépendamment du non-respect de l’obligation mentionnée au point 66 ci‑dessus, le document intitulé « Valeurs statistiques » ne comporte en tout état de cause aucun élément suffisant permettant de vérifier l’exactitude de la contribution.

81      Or, il résulte de l’article 296 TFUE que les actes juridiques doivent être motivés, et la jurisprudence rappelle que l’obligation de motivation s’applique à tout acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 42).

82      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu’un défaut de motivation ne saurait être justifié par l’obligation de respecter le secret professionnel. L’obligation de respecter les secrets d’affaires ne saurait être interprétée à ce point extensivement qu’elle vide l’exigence de motivation de son contenu essentiel (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 48 et jurisprudence citée).

83      En l’espèce, la motivation fournie à la requérante ne lui permet pas de vérifier le montant de sa contribution, lequel constitue pourtant l’élément essentiel de la décision attaquée en ce qu’elle la concerne. Elle place la requérante dans une position où elle n’est pas en mesure de savoir si ce montant a été calculé correctement ou si elle doit le contester devant le Tribunal, sans toutefois pouvoir, comme il lui incombe pourtant dans un recours juridictionnel, identifier, s’agissant dudit montant, les éléments contestés de la décision attaquée, formuler des griefs à cet égard et apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 132).

84      Il s’ensuit que le CRU a violé l’obligation de motivation.

85      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par le CRU.

86      S’agissant de la référence à l’implication de la requérante dans le processus décisionnel, il convient de relever que cette implication se limite à la fourniture d’informations par l’établissement au CRU, conformément à l’article 14 du règlement délégué 2015/63 et selon les formats et schémas définis par le CRU en application de l’article 6 du règlement d’exécution 2015/81. Elle ne donne à l’établissement aucun moyen de vérifier l’exactitude de sa contribution.

87      Il en est de même, pour les raisons indiquées aux points 75 et 76 ci-dessus, de la référence par le CRU au fait que la méthode de calcul est exposée dans la réglementation applicable.

88      S’agissant de l’invocation par le CRU d’une jurisprudence selon laquelle le degré de précision de la motivation d’une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T‑151/05, EU:T:2009:144, point 192), il convient de relever qu’il s’agissait pour le Tribunal, dans cette affaire, d’écarter l’obligation de la Commission, lorsqu’elle exerce son pouvoir de contrôle des opérations de concentration, d’inclure dans sa décision une motivation précise quant à l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires pour l’appréciation de cette dernière. En l’espèce, les éléments qui font défaut ne sont pas secondaires, mais sont, au contraire, essentiels dans l’économie de la décision attaquée.

89      Au demeurant, dans la mesure où il ressort du dossier que le CRU utilise les technologies de l’information (fichiers XLSX, courriers électroniques) aux fins du calcul des contributions ex ante et de l’adoption des décisions sur ces contributions, ce qui permet une mise en forme et une diffusion aisées et rapides d’un grand nombre d’informations, il ne saurait être allégué que des considérations matérielles, techniques ou de délai pourraient s’appliquer en l’espèce.

90      S’agissant de l’argument fondé sur la jurisprudence relative à la motivation dans le domaine du droit de la concurrence, il est vrai qu’il est de jurisprudence constante, dans ce domaine, que les exigences de la motivation n’imposent pas à la Commission d’indiquer, dans sa décision, les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes (voir arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 100 et jurisprudence citée).

91      Cependant, il convient de souligner qu’il ressort de cette jurisprudence que les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d’une marge d’appréciation dans la fixation de leur montant afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. Ainsi, la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation. Si la Commission avait l’obligation d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes, il serait porté atteinte à l’effet dissuasif de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C‑182/99 P, EU:C:2003:526, point 75 ; du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, points 335 et 336, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 198 et jurisprudence citée).

92      Or, de telles considérations ne sont pas transposables au cas d’espèce.

93      D’une part, le cas d’espèce ne s’inscrit pas dans le cadre d’une réglementation comportant l’existence d’une marge d’appréciation aux fins d’orienter le comportement des entreprises, mais dans le cadre d’un calcul objectif ne laissant, en principe, aucune marge d’appréciation de cette nature à l’auteur dudit calcul.

94      D’autre part, le cas d’espèce ne relève pas d’un processus de sanction justifiant que soit préservé un caractère dissuasif, mais relève d’un processus comparable à celui d’une taxation. Il n’y a, dans ce contexte, aucun motif de priver le débiteur de la possibilité de vérifier l’exactitude de sa contribution.

95      S’agissant des références opérées par le CRU à des affaires concernant la passation de marchés publics et les aides d’État, le Tribunal a constaté, dans les affaires en cause, que l’occultation des données économiques dans la version non confidentielle de la décision litigieuse n’avait pas empêché les requérants de comprendre le raisonnement suivi par la Commission, ni entravé leur possibilité de contester cette décision devant le Tribunal, ni empêché celui-ci d’exercer son contrôle judiciaire dans le cadre du recours en cause (arrêt du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, points 73 à 77), et que les requérants avaient une connaissance suffisante des avantages relatifs des offres des autres soumissionnaires retenus (arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a./Commission, T‑536/11, EU:T:2015:476, point 47 et point 50 in fine).

96      En l’espèce, en revanche, et ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 67 à 80 et 83 ci-dessus, la motivation fournie à la requérante, même en tenant compte du document intitulé « Détails du calcul », ne lui permet pas de vérifier si le montant de sa contribution est conforme à la réglementation applicable et, donc, de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent et en quels termes.

97      Par ailleurs, force est de constater que la possibilité, pour le Tribunal, de demander au CRU de produire des informations aux fins de l’examen de la légalité de la décision attaquée ne peut pas modifier, en l’espèce, le constat d’une violation de l’obligation de motivation.

98      En effet, la décision attaquée devait être suffisamment motivée à la date de son adoption et, en tout état de cause, avant l’introduction du recours en annulation. Le défaut de motivation ne saurait être pallié après l’introduction du recours devant le Tribunal, notamment à la suite de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction prises par ce dernier.

99      En outre, dans la mesure où le CRU soutient, en substance, que c’est la réglementation qui lui impose de procéder comme il l’a fait, une telle argumentation ne saurait prospérer.

100    En effet, dès lors que l’exigence d’une motivation suffisamment précise des actes, consacrée par l’article 296 TFUE, constitue l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union, dont il appartient au juge d’assurer le respect, au besoin en soulevant d’office un moyen tiré de la méconnaissance de cette obligation et que, en violation de cette obligation, la requérante ne dispose pas des éléments suffisants pour vérifier l’exactitude de sa contribution, le CRU ne saurait pallier une telle violation par l’invocation d’une réglementation de droit dérivé.

101    Enfin, en ce qui concerne l’argumentation du CRU mentionnée au point 56 ci-dessus, il convient de la rejeter. Force est de constater que, en l’espèce, il n’est pas possible d’exclure que l’annulation de la décision attaquée donne lieu à l’adoption d’une décision différente. En effet, en l’absence de toutes les données relatives aux autres établissements en dépit de l’interdépendance de la contribution de la requérante avec la contribution de chacun des autres établissements, ni la requérante ni le Tribunal ne sont en mesure de vérifier, en l’espèce, si l’annulation de cette décision donnerait nécessairement lieu à l’adoption d’une nouvelle décision identique quant au fond.

102    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure, après avoir accueilli le moyen tiré de la violation de l’exigence d’authentification, que la décision attaquée doit également être annulée sur le fondement de la violation de l’obligation de motivation, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, ni de se prononcer sur la demande de mesures d’organisation de la procédure mentionnée au point 21 ci-dessus.

 Sur la limitation dans le temps des effets de l’arrêt

103    Le CRU conclut, en substance, que, si le Tribunal annulait la décision attaquée, il conviendrait de différer les effets de l’annulation de six mois après que l’arrêt est devenu définitif.

104    Au soutien de sa demande, le CRU indique qu’il devra approuver à nouveau le calcul des contributions ex ante de la requérante pour 2017. Comme cette dernière ne conteste pas le fait qu’elle soit obligée de contribuer au FRU, un remboursement dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle décision serait inapproprié, selon le CRU.

105    La requérante ne s’est pas exprimée à ce sujet.

106    À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence selon laquelle, lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique le justifient, le juge de l’Union bénéficie, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, d’un pouvoir d’appréciation pour indiquer, dans chaque cas particulier, ceux des effets de l’acte concerné qui doivent être considérés comme définitifs (voir, par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 121).

107    Conformément à cette jurisprudence, la Cour a fait usage de la possibilité de limiter les effets dans le temps de la constatation de l’invalidité d’une réglementation de l’Union lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts, tant publics que privés, en jeu dans les affaires concernées empêchaient de remettre en cause la perception ou le paiement de sommes d’argent effectués sur le fondement de cette réglementation pour la période antérieure à la date de l’arrêt (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 122).

108    En l’espèce, le CRU n’a pas démontré en quoi, à la suite du présent arrêt, le remboursement des sommes perçues de la requérante au titre de contribution ex ante pour 2017 mettrait en péril des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts, tant publics que privés, en jeu dans la présente affaire. En effet, le simple fait qu’un remboursement dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle décision soit inapproprié ne constitue pas un motif s’apparentant à des considérations impérieuses de sécurité juridique (arrêt du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 222).

109    En conséquence, il n’y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt dans le temps.

 Sur les dépens

110    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le CRU ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision du Conseil de résolution unique (CRU) dans sa session exécutive du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique (SRB/ES/SRF/2017/05) est annulée en ce qu’elle concerne Hypo Vorarlberg Bank AG.

2)      Le CRU supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Hypo Vorarlberg Bank.

Collins

Kancheva

Barents

Passer

 

      De Baere

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.