Language of document : ECLI:EU:T:2005:456

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

14 décembre 2005 (*)

« Recours en annulation – Concurrence – Décision de la Commission déclarant une concentration incompatible avec le marché commun – Règlement (CEE) nº 4064/89 – Marchés aéronautiques – Acquisition d’Honeywell par General Electric – Intégration verticale – Ventes groupées – Effets d’exclusion – Chevauchements horizontaux – Droits de la défense »

Dans l’affaire T-210/01,

General Electric Company, établie à Fairfield, Connecticut (États-Unis), représentée par M. N. Green, Mme C. Booth, QC, Mmes J. Simor, K. Bacon, barristers, M. S. Baxter, solicitor, Mes L. Vogel et J. Vogel, avocats, ainsi que, initialement, par Me M. Van Kerckhove, avocat, puis par Mme J. O’Leary, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal, P. Hellström et Mme F. Siredey-Garnier, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Rolls-Royce plc, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. A. Renshaw, solicitor,

et par

Rockwell Collins, Inc., établie à Cedar Rapids, Iowa (États-Unis), représentée par MM. T. Soames, J. Davies et A. Ryan, solicitors, et Me P. D. Camesasca, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2004/134/CE de la Commission, du 3 juillet 2001, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.2220 – General Electric/Honeywell) (JO 2004, L 48, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de M. J. Pirrung, président, Mme V. Tiili, MM. A. W. H. Meij, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 mai 2004,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, ci‑après, tel que rectifié et modifié, le « règlement n° 4064/89 »), dispose, en son article 2, paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

3.      Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun. »

 Antécédents du litige

2        General Electric Company (ci‑après « GE » ou la « requérante ») est une entreprise industrielle diversifiée, active, notamment, dans les domaines des moteurs d’avions, des appareils ménagers, des services d’information, des systèmes énergétiques, de l’éclairage, des systèmes industriels, des systèmes médicaux, des plastiques, de la télédiffusion, des services financiers et des services de transport.

3        Honeywell International Inc. est une entreprise active, notamment, sur les marchés des produits et services aéronautiques, des produits automobiles, du matériel électronique, des spécialités chimiques, des polymères à haute performance, des systèmes de transport et d’énergie et de la surveillance d’immeubles domestiques ou industriels.

4        Le 22 octobre 2000, GE et Honeywell ont conclu un accord prévoyant que GE acquerrait l’entièreté du capital de Honeywell (ci‑après la « concentration »), celle‑ci devant devenir une filiale à 100 % de GE.

5        Le 5 février 2001, la Commission a formellement reçu notification de la concentration, conformément à l’article 4 du règlement n° 4064/89.

6        Le 1er mars 2001, considérant que la concentration était susceptible d’être couverte par le règlement n° 4064/89, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (ci‑après la « décision d’ouverture »).

7        Le 15 mars 2001, GE et Honeywell ont soumis conjointement à la Commission leurs observations sur la décision d’ouverture.

8        Le 8 mai 2001, la Commission a envoyé une communication des griefs (ci‑après la « CG ») à GE, à laquelle cette dernière a répondu le 24 mai 2001.

9        Les 29 et 30 mai 2001, une audition a eu lieu entre la Commission, GE et Honeywell.

10      Les 14 et 28 juin 2001, GE et Honeywell ont proposé, conjointement, deux séries successives d’engagements destinés à rendre la concentration acceptable par la Commission.

11      Le 3 juillet 2001, la Commission a adopté la décision 2004/134/CE (affaire COMP/M.2220 – General Electric/Honeywell) (JO 2004, L 48, p. 1), déclarant la concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (ci‑après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

12      Le dispositif de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« Article premier

La concentration par laquelle [GE] acquiert le contrôle de l’entreprise Honeywell International Inc. est déclarée incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE.

Article 2

La décision est adressée à

[GE]

[...] »

13      Les motifs de la décision attaquée peuvent être résumés de la manière suivante.

14      Selon la Commission, GE occupait déjà à elle seule, avant l’opération de concentration, une position dominante sur les marchés mondiaux respectifs des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et pour avions régionaux de grande taille (voir, respectivement, considérants 45 à 83 et 84 à 87 de la décision attaquée, ainsi que considérants 107 à 229). La solidité de sa position sur le marché, conjuguée au levier commercial représenté par sa puissance financière et son intégration verticale dans l’exploitation en leasing d’aéronefs, figure parmi les éléments qui ont permis de conclure à l’existence d’une position dominante de la requérante sur ces marchés. L’enquête aurait également montré que Honeywell était déjà le principal fournisseur de produits avioniques et non avioniques (considérants 241 à 275) ainsi que de réacteurs pour avions d’affaires (considérants 88 et 89) et de dispositifs de démarrage de réacteurs, en particulier de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, ces dispositifs étant un composant clé dans la fabrication des réacteurs (considérants 331 à 340).

15      Le regroupement des activités des deux sociétés aurait entraîné la création ou le renforcement de positions dominantes sur plusieurs marchés. La Commission a notamment considéré que la position dominante préexistante de GE sur le marché mondial des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille serait renforcée en raison des effets « verticaux » de la concentration résultant de l’intégration de l’activité de GE de fabrication de ces réacteurs avec l’activité d’Honeywell de fabrication de démarreurs pour ces mêmes réacteurs (considérants 419 à 427 de la décision attaquée). Elle a également conclu à la création de positions dominantes sur les différents marchés mondiaux de produits avioniques et non avioniques sur lesquels Honeywell occupait déjà des positions de force avant la concentration en raison de deux types d’effets dits « de conglomérat ». Selon la Commission, premièrement, ces effets étaient ceux résultant d’un processus dénommé « déplacement des parts de marché » (share shifting) consistant en l’extension à ces marchés de la puissance financière de GE Capital, compagnie appartenant au groupe de la requérante, ainsi que des avantages commerciaux découlant de l’activité d’achat et d’exploitation en leasing d’aéronefs, essentiellement par GE Capital Aviation Services (GECAS), également compagnie du groupe de la requérante (considérants 342 à 348 et 405 à 411). Deuxièmement, la Commission a prévu des effets résultant de la pratique future par l’entité fusionnée de ventes groupées – pures, techniques et mixtes – comprenant à la fois des réacteurs de l’ancienne GE, d’une part, et des produits avioniques et non avioniques de l’ancienne Honeywell, d’autre part (considérants 349 à 404). La Commission a estimé que la pratique future de telles ventes groupées renforcerait également la position dominante préexistante de GE sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

16      En outre, la Commission a conclu au renforcement de la position dominante préexistante de GE sur le marché mondial des réacteurs pour avions régionaux de grande taille ainsi qu’à la création d’une position dominante dans le chef de l’entité fusionnée sur le marché mondial des réacteurs pour avions d’affaires, notamment du fait de « chevauchements horizontaux », GE et Honeywell étant toutes deux présentes en tant que fabricants sur ces marchés avant la concentration (considérants 428 à 431 et 435 à 437 de la décision attaquée). Elle a également estimé qu’une position dominante serait créée, notamment du fait d’un chevauchement horizontal entre les deux parties à la concentration notifiée, sur le marché mondial des petites turbines à gaz marines (considérants 468 à 477).

17      Ainsi, ayant considéré les engagements proposés par les parties à la concentration insuffisants pour résoudre l’ensemble des problèmes concurrentiels résultant de l’opération (considérants 500 à 533 et 546 à 563 de la décision attaquée), la Commission a conclu, au considérant 567 de celle-ci, que la concentration créerait ou renforcerait plusieurs positions dominantes ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun et que l’opération devait, dès lors, être déclarée incompatible avec le marché commun, conformément à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

 Procédure

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 septembre 2001, la requérante a introduit le présent recours. Le même jour, Honeywell a également introduit un recours contre la décision attaquée (affaire T‑209/01).

19      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 11, 15 et 16 janvier 2002, Rolls-Royce plc, Rockwell Collins Inc. (ci‑après « Rockwell ») et Thales SA ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission.

20      La requérante a demandé le traitement confidentiel à l’égard des parties intervenantes de certaines informations contenues dans ses écrits et dans ceux de la Commission.

21      Par ordonnance du 26 juin 2002, le président de la première chambre du Tribunal a admis les interventions de Rolls-Royce et de Rockwell. Par la même ordonnance, il a accordé le traitement confidentiel demandé par la requérante, sous réserve des observations de ces parties intervenantes. Conformément à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, Thales a été admise à intervenir sur la base du rapport d’audience lors de la procédure orale.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée par décision du Tribunal du 13 septembre 2004 (JO C 251, p. 12), le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      En application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

24      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 février 2004, Thales a renoncé à son intervention. Par ordonnance du 23 mars 2004, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a pris acte de cette renonciation, les autres parties entendues.

25      Par lettre du 17 mars 2004, la requérante a demandé la jonction de la présente affaire avec l’affaire T-209/01. Le président de la deuxième chambre élargie a déféré la décision sur une éventuelle jonction à cette formation, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et a posé des questions aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure. Il a également été demandé à la Commission de produire certains documents avant l’audience. Les parties ont déféré à ces demandes.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 27 mai 2004. Au terme de cette audience, la procédure orale a été close.

28      Par lettre du 8 juin 2004, la requérante a déposé au greffe du Tribunal une demande de réouverture de la procédure orale ainsi que des observations supplémentaires sur certains aspects de l’affaire, auxquelles étaient annexés plusieurs documents nouveaux. Par ordonnance du 8 juillet 2004, le Tribunal a décidé de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 62 du règlement de procédure.

29      Les parties entendues, le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure, conformément à l’article 64 du règlement de procédure, consistant à verser au dossier les documents et les observations déposées par la requérante le 8 juin 2004. Les observations de la Commission et des parties intervenantes sur la pertinence desdits éléments ont également été versées au dossier.

30      À la demande du Tribunal, les parties ont déposé des observations et des documents supplémentaires, en rapport avec les questions soulevées par la requérante dans ses observations initiales. Ces éléments ont également été versés au dossier.

31      La procédure orale a ensuite été close de nouveau le 23 novembre 2004.

 Conclusions des parties

32      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

33      La Commission, soutenue par Rolls-Royce et Rockwell, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

34      Dans ses écrits, la requérante soulève une série de questions relatives à la portée de son recours, à la portée du contrôle du Tribunal et aux critères généraux appliqués par la Commission dans la décision attaquée. Ces questions seront abordées à titre liminaire.

35      La requérante conteste la constatation faite par la Commission dans la décision attaquée, servant de point de départ à d’autres aspects de l’analyse concurrentielle, selon laquelle la requérante aurait possédé une position dominante, avant la concentration, sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. Cet aspect sera examiné en premier lieu.

36      La requérante réfute également les conclusions de la Commission relatives au chevauchement vertical, aux effets de conglomérat et aux chevauchements horizontaux provoqués par la concentration. Ces questions seront examinées successivement, en deuxième, en troisième et en quatrième lieu.

37      Enfin, la requérante invoque des vices de procédure affectant la décision attaquée. Ces aspects seront examinés en dernier lieu.

A –  Questions liminaires

1.     Sur la demande de jonction

38      Il convient de constater que le fait de joindre deux affaires dans lesquelles les requérantes sont différentes ne peut changer la portée de la requête déposée séparément par chacune d’elles, sous peine de violer l’indépendance et l’autonomie de leurs recours distincts (arrêt de la Cour du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission, C‑280/99 P à C‑282/99 P, Rec. p. I‑4717, points 61 à 68, en particulier le point 66).

39      Le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu de joindre la présente affaire à l’affaire T‑209/01, compte tenu, notamment, de la différence de portée entre les deux recours. La demande en ce sens formulée par la requérante dans sa lettre du 17 mars 2004 est donc rejetée.

2.     Sur l’articulation entre les différents piliers justifiant la conclusion de la Commission quant à l’incompatibilité de la concentration avec le marché commun

a)     Arguments des parties

40      La requérante relève que, dans son mémoire en défense, la Commission a souligné que les éléments de son raisonnement dans la décision attaquée se renforcent mutuellement de sorte qu’il serait artificiel d’apprécier chacun d’eux de manière isolée. Ainsi, il ne serait pas possible d’appliquer en l’espèce, par analogie, la solution qui découle de l’arrêt du Tribunal du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T‑310/01, Rec. p. II‑4071), selon laquelle des erreurs entachant l’analyse de la Commission de certains marchés examinés ne suffisent pas à justifier l’annulation d’une décision dès lors que celle-ci est également basée sur une analyse d’autres marchés qui s’avère fondée. À l’audience, la requérante a souligné, à cet égard, que le Tribunal ne saurait substituer sa propre appréciation de la concentration à celle de la Commission. Ainsi, au cas où il serait jugé que certains des motifs retenus dans la décision attaquée sont entachés d’illégalité alors que d’autres en sont exempts, il n’appartiendrait pas au juge communautaire d’apprécier si les éléments fondés du raisonnement suffisent à fonder la conclusion de la Commission quant à l’incompatibilité de l’opération notifiée avec le marché commun.

41      La Commission rappelle que la décision attaquée est basée sur une combinaison d’éléments de fait et de droit qui se complètent, comprenant des effets horizontaux, des effets verticaux et des effets de conglomérat. Toutefois, la Commission souligne que chacun de ces éléments justifierait de manière autonome l’interdiction de la concentration.

b)     Appréciation du Tribunal

42      Il convient de relever tout d’abord que, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier à suffisance de droit celle-ci, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I‑5603, points 26 à 29).

43      En outre, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse dès lors que cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, points 49 à 51, et la jurisprudence citée).

44      Cette règle trouve à s’appliquer dans le contexte des décisions en matière de contrôle des concentrations (voir, en ce sens, arrêt Schneider Electric/Commission, point 40 supra, points 404 à 420).

45      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la Commission doit interdire une concentration dès lors que cette dernière remplit les critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Or, il résulte de l’article 2, paragraphe 1, sous a), dudit règlement que la Commission doit tenir compte, dans le cadre de son appréciation d’une opération de concentration, notamment, de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause. Ainsi, l’appréciation par la Commission de la question de savoir si une opération crée ou renforce une ou plusieurs positions dominantes ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative doit être effectuée par référence aux conditions existant sur chacun des marchés susceptibles d’être affectés par l’opération de concentration notifiée. Dès lors, si elle constate que lesdits critères sont satisfaits à l’égard d’un seul des marchés en cause, la concentration doit être déclarée incompatible avec le marché commun.

46      En l’espèce, la Commission a précisé au considérant 567 de la décision attaquée que, « pour l’ensemble de ces raisons, il y a lieu de conclure que la concentration envisagée conduirait à la création ou au renforcement d’une position dominante sur les marchés [des moteurs pour avions commerciaux de grande taille], des [moteurs pour avions régionaux de grande taille], des [moteurs pour avions d’affaires], des produits avioniques et non avioniques, ainsi que des petites turbines à gaz marines, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière substantielle dans le marché commun ».

47      Force est de constater que la décision attaquée ne crée pas de hiérarchie entre les problèmes concurrentiels constatés sur chacun des marchés que la Commission a examinés et qu’elle a énumérés ensuite, dans sa conclusion reprise au point précédent. Bien au contraire, et compte tenu notamment des termes de l’article 2 du règlement n° 4064/89, cette conclusion ne peut se comprendre qu’en ce sens que, sur chacun des marchés énumérés, l’opération notifiée aurait conduit à la création ou, le cas échéant, au renforcement d’une position dominante sur ce marché ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière substantielle dans le marché commun.

48      Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que la décision attaquée ne saurait être annulée que s’il y a lieu de constater non seulement que certains de ses motifs sont entachés d’illégalité, mais, en outre, que les éventuels motifs qui ne sont pas ainsi entachés ne suffisent pas à justifier l’incompatibilité de l’opération notifiée avec le marché commun. Néanmoins, ce constat n’écarte pas la nécessité d’examiner si certains aspects concurrentiels identifiés par la décision attaquée se renforcent mutuellement comme le soutient la Commission dans son mémoire en défense, de sorte qu’il serait artificiel d’apprécier chacun d’eux de manière isolée.

3.     Sur les engagements proposés

49      Tout d’abord, s’agissant de la validité de la seconde série d’engagements, du 28 juin 2001, il est constant que les parties à la concentration ont déposé, le 14 juin 2001, une première série d’engagements (voir considérants 485 à 533 de la décision attaquée). La Commission soutient, sans avoir été contredite à cet égard par la requérante, que ce jour était le dernier possible pour proposer des engagements, conformément à l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064/89 (JO L 61, p. 1). Toutefois, les parties à la concentration ont proposé la seconde série d’engagements le 28 juin 2001 (voir considérants 534 à 566 de la décision attaquée) en indiquant que ces engagements remplaçaient ceux proposés le 14 juin 2001.

50      Il y a lieu de constater à cet égard que les seules différences entre les deux séries d’engagements concernent l’engagement comportemental relatif à GECAS et les engagements structurels relatifs aux cessions envisagées de certaines activités d’Honeywell sur les différents marchés de produits avioniques et non avioniques. L’éventuelle incidence de ces différences sera examinée ci-dessous dans le cadre de l’examen au fond des effets de conglomérat.

51      Ayant contesté, dans sa requête, le refus de la Commission de prendre en compte des engagements de nature comportementale, la requérante a également relevé, à l’audience, que, par ce refus, la Commission a faussé toute la procédure administrative et privé les parties à la concentration de la possibilité de proposer des engagements susceptibles de résoudre, notamment, les problèmes concurrentiels résultant des chevauchements horizontaux identifiés par la Commission. Compte tenu de la portée très large de cette allégation, il y a lieu de l’examiner dans le cadre de la présente section liminaire.

52      À cet égard, la Commission a clairement énoncé, dans sa CG du 8 mai 2001 en l’espèce, les griefs concernant toutes les conséquences anticoncurrentielles de la fusion, et notamment ceux concernant les effets horizontaux et verticaux découlant de celle-ci, retenus ultérieurement dans la décision attaquée (voir, en particulier, points 118 à 122, 124 à 126, 459 à 468, 469 à 471, 473, 474, 578 à 586 et 612 à 633 de ladite CG). Il y a lieu de constater que, pour répondre aux griefs de la Commission exposés dans la CG, la requérante a proposé, notamment, des engagements structurels le 14 juin 2001 que la Commission a examinés et ensuite rejetés parce que des considérations pratiques se seraient opposées à leur réalisation. Devant le Tribunal, la requérante n’a pas avancé d’éléments ni d’arguments pour expliquer spécifiquement en quoi le rejet de ces engagements était illégal ou injustifié (voir, en particulier, points 487, 555 et suivants, 564 in fine, et 610 ci-après). Dans la mesure où les engagements en question présentaient des lacunes techniques ou commerciales, de sorte que la Commission ne les a pas considérés comme suffisants pour lui permettre d’approuver la concentration en l’espèce, ces lacunes ne sauraient être attribuées à la Commission, ni, plus particulièrement, à une éventuelle réticence de sa part à accepter l’efficacité potentielle d’autres engagements de nature comportementale. Il appartenait, en effet, aux parties à l’opération notifiée de présenter des engagements complets et efficaces à tous points de vue, en principe avant le 14 juin 2001.

53      Dans le cadre de ses observations à la suite de la réouverture de la procédure orale, la requérante a corrigé sa réponse à une question à l’audience en admettant que la Commission l’avait en fait informée, le 22 juin 2001, des raisons pour lesquelles ses engagements, déposés le 14 juin 2001, devaient être rejetés. Elle y a ensuite soutenu que la Commission lui avait donné l’impression qu’il suffirait de renforcer son engagement quant au comportement futur de GECAS pour que l’opération soit déclarée compatible avec le marché commun. Pour étayer sa thèse, elle a produit, à ce stade tardif de la procédure, deux communiqués de presse des 14 et 18 juin 2001 et un article du 11 février 2002, rapportant le contenu d’un entretien avec le membre de la Commission en charge alors de la concurrence. En substance, la requérante prétend que la Commission lui a donné des assurances donnant lieu à la création d’une confiance légitime dans son chef.

54      Il y a lieu de constater d’abord que la réouverture de la procédure judiciaire a été demandée par la requérante, en ce qui concerne les engagements, uniquement pour lui permettre de corriger l’erreur factuelle mentionnée au point précédent. Ainsi, dans la mesure où elle invoque ses contacts avec la Commission, ses observations sont tardives et, partant, irrecevables. De plus, l’argumentation relative à la confiance légitime, avancée pour la première fois à l’audience, constitue un moyen nouveau et doit être rejetée, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

55      En toute hypothèse, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 26). En l’espèce, les contacts dont la requérante se prévaut qui ont eu lieu entre elle-même et les services de la Commission à la suite du dépôt de la première série d’engagements le 14 juin 2001, à propos de la possibilité qu’une nouvelle série d’engagements différente à certains égards de la première soit déposée, n’ont pu faire naître de telles espérances ni, partant, une confiance légitime.

56      Il résulte de ce qui précède que les arguments relatifs aux engagements avancés par la requérante à l’audience et dans le cadre de la réouverture de la procédure orale doivent être rejetés.

4.     Sur le standard de preuve et l’étendue du contrôle effectué par le juge communautaire

a)     Arguments des parties

57      La requérante soutient qu’une opération de concentration de nature conglomérale, comme celle notifiée en l’espèce, n’a que rarement pour effet d’entraîner la création ou le renforcement d’une position dominante, à la différence de celles de nature horizontale ou verticale. Dès lors, toute affirmation contraire nécessiterait une démonstration particulièrement convaincante d’un mécanisme spécifique aboutissant à un préjudice pour la concurrence.

58      Dans ses observations sur les mémoires en intervention ainsi qu’à l’audience, la requérante s’appuie à cet égard sur l’arrêt du Tribunal du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission (T‑5/02, Rec. p. II‑4381), pour souligner que la démonstration d’effets de conglomérat nécessite un examen précis, étayé par des preuves solides, que la prise en compte de comportements futurs demande une prudence particulière et que l’analyse de la Commission doit être particulièrement plausible s’agissant d’effets devant apparaître après l’écoulement d’un laps de temps. Elle a également relevé que, selon cet arrêt, il incombe à la Commission de prendre en compte l’effet dissuasif pouvant résulter pour une entreprise de l’interdiction des abus de position dominante énoncée à l’article 82 CE.

59      Selon la Commission et les parties intervenantes, ni le règlement n° 4064/89 ni la jurisprudence n’exigeraient un niveau de preuve plus élevé pour une concentration de nature conglomérale.

b)     Appréciation du Tribunal

 Considérations générales

60      Il convient de rappeler d’abord que la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique aux fins de l’application des règles de fond du règlement n° 4064/89, en particulier de son article 2. Il en résulte que le contrôle du juge communautaire est limité à la vérification de l’exactitude matérielle des faits et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (arrêts de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit « Kali & Salz », C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, points 223 et 224, et du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 38).

61      De plus, le règlement n° 4064/89 ne pose pas de présomption quant à la compatibilité ou l’incompatibilité avec le marché commun d’une opération notifiée. Il n’y a pas lieu de considérer que la Commission doit pencher pour l’approbation d’une opération de concentration qui relève de sa compétence, au cas où elle aurait un doute, mais plutôt qu’elle doit toujours se déterminer positivement dans un sens ou dans l’autre (voir, en ce sens, arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 120).

62      Quant à la nature du contrôle du juge communautaire, il convient de souligner la distinction essentielle qui existe entre les données et constatations factuelles, d’une part, dont l’éventuelle inexactitude peut être relevée par le juge à la lumière des arguments et éléments de preuve qui lui sont soumis, et les appréciations d’ordre économique, d’autre part.

63      S’il doit être reconnu à la Commission une marge d’appréciation aux fins de l’application des règles de fond du règlement n° 4064/89, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler la qualification juridique, par la Commission, de données économiques. En effet, le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, point 39).

64      Si ces principes s’appliquent à toutes les appréciations d’ordre économique, un contrôle juridictionnel effectif est d’autant plus nécessaire lorsque la Commission effectue une analyse prospective des évolutions sur un marché qui pourraient résulter de la concentration envisagée. Comme la Cour l’a relevé dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra (points 42 et 43), une analyse prospective telle que celles qui sont nécessaires en matière de contrôle des concentrations nécessite d’être effectuée avec une grande attention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’examiner des événements du passé, pour lesquels sont souvent disponibles de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni même des événements présents, mais bien de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée n’est adoptée (voir, en ce sens, arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 155). L’analyse prospective consistant à examiner en quoi une opération de concentration pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte.

 Traitement des effets de conglomérat

65      Les concentrations de type conglomérat sont celles qui n’entraînent pas de chevauchements horizontaux entre les activités des parties à la concentration ni de relations verticales entre ces parties au sens strict. Même si, d’une manière générale, de telles concentrations ne produisent pas des effets anticoncurrentiels, elles peuvent toutefois avoir de tels effets dans certains cas (arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 142). Dans le cadre d’une analyse prospective des effets d’une concentration de type conglomérat, si la Commission est en mesure de conclure, en raison des effets de conglomérat, qu’une position dominante serait, selon toute vraisemblance, créée ou renforcée dans un avenir relativement proche et aurait comme conséquence que la concurrence effective sur le marché concerné serait entravée de manière significative du fait de l’opération, elle se doit d’interdire cette concentration (arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 153, et la jurisprudence citée).

66      À cet égard, comme la Cour l’a également relevé dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, les opérations de concentration de type conglomérat créent certains problèmes spécifiques, notamment dans la mesure où, d’une part, l’analyse d’une telle opération peut impliquer une analyse prospective prenant en compte un laps de temps étendu dans l’avenir et où, d’autre part, un comportement donné de la part de l’entité fusionnée peut déterminer en bonne partie les effets de cette concentration. Ainsi, les enchaînements de cause à effet à la suite d’une telle concentration peuvent être mal discernables, incertains et difficiles à établir. Dans ce contexte, la qualité des éléments de preuve produits par la Commission pour fonder une décision déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun est particulièrement importante, ces éléments devant conforter les appréciations de la Commission selon lesquelles, à défaut d’adoption d’une telle décision, le scénario d’évolution économique sur lequel cette institution se fonde serait plausible (arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 155).

67      En l’espèce, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la concentration entraînerait, en premier lieu, une intégration verticale directe entre la fabrication de démarreurs et moteurs, en deuxième lieu, des effets de conglomérat et, en troisième lieu, des chevauchements horizontaux sur certains marchés.

68      Il ressort en substance de la description des effets de conglomérat dans la décision attaquée que, selon la Commission, la concentration modifierait immédiatement ou, à tout le moins dans un délai bref, les conditions de concurrence sur certains marchés du fait de ces effets, et entraînerait ainsi la création ou le renforcement d’une position dominante sur ces marchés, du fait de la puissance et des possibilités commerciales qui résultent de la position dominante déjà détenue sur le premier marché (voir points 325 et suivants, et 399 et suivants ci-après). Toutefois, force est de constater que ces conséquences n’auraient résulté de la concentration que dans la mesure où l’entité fusionnée aurait adopté certains comportements à la suite de l’opération, ce que la Commission considérait comme probable. Il s’agit, d’après la Commission, de l’extension prévisible à de nouveaux marchés à la suite de l’opération de certaines pratiques commerciales nuisibles pour la concurrence que la Commission a identifiées dans le chef de l’une ou l’autre des parties à l’opération avant cette dernière.

69      Dans ces conditions, il incombait à la Commission de fournir des preuves solides au soutien de sa conclusion selon laquelle les comportements prévus dans le chef de l’entité fusionnée seraient probablement adoptés par cette dernière. En l’absence de ces comportements, la combinaison des positions des deux parties à la concentration sur des marchés voisins mais distincts n’aurait pu donner lieu à la création ou au renforcement de positions dominantes, dès lors que ces positions n’auraient pas eu d’impact commercial les unes sur les autres.

 Traitement des facteurs susceptibles de dissuader l’entité fusionnée d’adopter certains comportements prévus dans la décision attaquée

70      Dans son arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, le Tribunal a considéré que, s’il est approprié de tenir compte des incitations objectives à adopter des comportements anticoncurrentiels créées par une fusion, la Commission est également tenue d’examiner dans quelle mesure lesdites incitations seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, notamment au regard de l’interdiction des abus de positions dominantes établie à l’article 82 CE, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions pécuniaires qui pourraient en résulter (point 159 de l’arrêt). Dans ses observations sur les mémoires en intervention, la requérante a invoqué cette jurisprudence à l’appui de son argumentation selon laquelle certaines des pratiques considérées par la Commission comme susceptibles de créer ou de renforcer des positions dominantes ne se manifesteraient pas en réalité.

71      La Cour a jugé sur pourvoi, à cet égard, dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra (points 74 à 78), que c’est à bon droit que le Tribunal avait considéré que la probabilité de l’adoption de certains comportements futurs devait être examinée de manière complète, c’est-à-dire en prenant en considération tant les incitations à adopter de tels comportements que les facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations, y compris le caractère éventuellement illégal de ces comportements.

72      Toutefois, elle a également jugé qu’il serait contraire à l’objectif de prévention du règlement n° 4064/89 d’exiger de la Commission que, pour chaque projet de concentration, elle examine dans quelle mesure les incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions qui pourraient en résulter. Par conséquent, elle a conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit dans la mesure où il a écarté les conclusions de la Commission relatives à l’adoption, par la nouvelle entité, des comportements anticoncurrentiels en cause dans cette affaire-là (arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, points 76 et 77).

73      Il résulte de ce qui précède que la Commission doit, en principe, prendre en considération le caractère éventuellement illégal, et, partant, susceptible d’être sanctionné, d’un comportement en tant que facteur de nature à diminuer, voire à éliminer, les incitations pour une entreprise à adopter un comportement donné. En revanche, cette dernière appréciation n’exige pas un examen exhaustif et détaillé des réglementations des divers ordres juridiques susceptibles de s’appliquer et de la politique répressive pratiquée dans ces derniers, étant donné qu’une analyse visant à établir l’existence probable d’une infraction et à s’assurer que celle-ci fera l’objet d’une sanction dans plusieurs ordres juridiques serait trop spéculative.

74      Ainsi, dans la mesure où la Commission peut, sans mener une enquête spécifique et détaillée à ce sujet, identifier le caractère illégal du comportement en cause, au regard de l’article 82 CE ou d’autres dispositions du droit communautaire qu’elle a compétence pour appliquer, il lui incombe de le constater et d’en tenir compte aux fins de son appréciation de la probabilité d’un tel comportement de la part de l’entité fusionnée (voir, en ce sens, arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, point 74).

75      À cet égard, si la Commission est en droit de se fonder sur une analyse sommaire de la légalité des comportements en cause et du degré de probabilité qu’ils seront réprimés, basée sur les éléments dont elle dispose au moment d’adopter sa décision en matière de contrôle de concentrations, il lui appartient, néanmoins, dans le cadre de son appréciation, d’identifier les comportements qu’elle prévoit et, le cas échéant, d’évaluer et de prendre en compte l’effet dissuasif que pourrait avoir leur éventuel caractère clairement ou très probablement illicite au regard du droit communautaire.

76      Ainsi, il y a lieu d’examiner, dans la suite du présent arrêt, si la Commission a fondé son analyse prospective de la probabilité d’effets de conglomérat sur des preuves suffisamment solides, en tenant compte à cet égard des règles susvisées.

5.     Sur l’absence de démonstration relative à l’entrave significative à une concurrence effective

a)     Arguments des parties

77      La requérante avance que, selon l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89, afin d’interdire une concentration, la Commission doit établir, premièrement, que cette concentration crée ou renforce une position dominante et, deuxièmement, que cette position dominante entrave de manière significative la concurrence effective dans le marché commun. Le caractère cumulatif de ces critères serait confirmé par les travaux préparatoires du règlement n° 4064/89 dont il ressort que le second critère a été introduit sur la suggestion du Comité économique et social et à la demande du gouvernement français. Un tel caractère aurait été confirmé par le Tribunal, notamment dans l’arrêt du 19 mai 1994, Air France/Commission (T‑2/93, Rec. p. II‑323, point 79), et dans l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra.

78      La satisfaction de chacun de ces critères devrait être démontrée par la Commission. En particulier, il appartiendrait à la Commission de démontrer que des effets anticoncurrentiels apparaîtront avec une forte probabilité, et non seulement qu’ils seraient susceptibles d’apparaître, de quantifier ces effets et de prouver qu’ils découleront de la concentration et non des conditions préexistantes du marché. Cette exigence serait particulièrement pertinente dans les cas où, comme en l’espèce, la concentration est de nature conglomérale, pour laquelle il est admis qu’elle a rarement des effets anticoncurrentiels.

79      Selon la requérante, au vu de la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné la question de savoir si la concentration entraînerait une entrave significative à une concurrence effective. En effet, s’agissant de chacun des marchés pour lesquels la Commission considère qu’il y aurait création ou renforcement d’une position dominante, elle se bornerait à conclure, par de vagues assertions non chiffrées, à l’exclusion des concurrents sur ces marchés et à un effet négatif sur la concurrence.

80      La requérante affirme que la seule mention dans la décision attaquée du second critère de l’article 2 du règlement n° 4064/89 apparaît dans la conclusion générale figurant au considérant 567. Il serait manifeste que la Commission s’est bornée à supposer que la prétendue création ou le prétendu renforcement de positions dominantes sur les marchés en cause entraînerait automatiquement les effets anticoncurrentiels requis par le second critère de l’article 2 dudit règlement.

81      Par ailleurs, la Commission ne pourrait prétendre que la satisfaction de ce second critère aurait été implicitement établie dans le cadre de l’examen de la création ou du renforcement de positions dominantes. Il ne suffirait pas de « recycler » les faits utilisés pour établir une position dominante et de les utiliser sans autre analyse pour fonder une conclusion relative à l’entrave significative. La conséquence inévitable d’un tel défaut dans l’analyse serait l’annulation de la décision attaquée. La requérante fait valoir que la décision attaquée doit se suffire à elle-même. Dès lors, il conviendrait de ne pas tenir compte des éléments de preuve avancés par la Commission et les intervenantes postérieurement à cette décision.

82      L’absence de toute considération sur l’application du second critère de l’article 2 du règlement n° 4064/89 constituerait par ailleurs une violation flagrante de l’obligation de motivation en ce qu’elle ne permet pas à la requérante d’être informée des motifs pour lesquels la Commission considère que la concentration constitue de facto une entrave significative à une concurrence effective.

83      La Commission admet l’existence d’un débat académique sur la nature unique ou duale de l’article 2 du règlement n° 4064/89, mais fait valoir que son importance est limitée. Pour sa part, elle considère qu’il convient de mettre l’accent sur le critère de la création ou du renforcement d’une position dominante et de traiter la distorsion de concurrence comme sa conséquence. En tout état de cause, à supposer que le critère soit dual, la Commission et Rockwell considèrent que les effets probables de la concentration ont été examinés en l’espèce de manière approfondie et détaillée.

b)     Appréciation du Tribunal

84      Il résulte d’une jurisprudence du Tribunal désormais bien établie que l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 pose deux critères cumulatifs tenant, le premier, à la création ou au renforcement d’une position dominante et, le second, au fait que la concurrence en sera entravée de manière significative dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Air France/Commission, point 77 supra, point 79 ; du 27 novembre 1997, Kaysersberg/Commission, T‑290/94, Rec. p. II‑2137, point 156, et Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 146). Partant, une concentration ne peut être interdite que si les deux critères prévus par l’article 2, paragraphe 3, sont réunis.

85      Il convient de rappeler, à cet égard, que la position dominante visée à l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 concerne une situation de puissance économique détenue par une ou plusieurs entreprises qui leur donnerait le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en leur fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable, vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 200).

86      Il y a lieu de relever également que, dans le contexte des abus de position dominante au sens de l’article 82 CE, la Cour a considéré qu’est susceptible de constituer un abus de position dominante le fait, pour une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante (arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26). Il résulte de cette jurisprudence que le renforcement d’une position dominante peut en soi entraver la concurrence de manière substantielle, et ce au point de constituer à lui seul un abus de cette position.

87      Ainsi, a fortiori, le renforcement ou la création d’une position dominante, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, peut correspondre, dans certains cas, à la démonstration d’une entrave significative à une concurrence effective. Cette constatation ne signifie aucunement que le second critère posé à l’article 2 du règlement n° 4064/89 se confond juridiquement avec le premier, mais uniquement qu’il peut ressortir d’une même analyse factuelle d’un marché donné que les deux critères sont remplis.

88      Les circonstances susceptibles d’être invoquées par la Commission aux fins d’établir le degré d’absence de liberté d’action dans le chef des concurrents d’une entreprise nécessaire pour conclure qu’une position dominante a été créée ou renforcée dans le chef de cette dernière sont souvent les mêmes que celles qui sont pertinentes pour apprécier si cette création ou ce renforcement a comme conséquence qu’une concurrence effective sera entravée de manière significative dans le marché commun. En effet, une circonstance qui affecte significativement la liberté des concurrents pour déterminer leur politique commerciale de manière autonome est également susceptible d’avoir comme conséquence d’entraver une concurrence effective.

89      Il s’ensuit que, dans la mesure où il ressort des considérants d’une décision constatant l’incompatibilité d’une opération de concentration notifiée avec le marché commun, même ceux consacrés formellement à une analyse de la création ou du renforcement d’une position dominante, que cette opération produira des effets anticoncurrentiels significatifs, il n’y a pas lieu de considérer cette décision comme entachée d’illégalité au seul motif que la Commission n’a pas explicitement et spécifiquement rattaché sa description de ces éléments au second critère de l’article 2 du règlement n° 4064/89, que ce soit au regard de l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE, ou sur le fond. En effet, l’approche inverse consisterait à imposer à la Commission une obligation purement formelle la contraignant à invoquer deux fois certaines des mêmes considérations, premièrement dans son analyse de la création ou du renforcement d’une position dominante sur un marché donné et une seconde fois par rapport à l’entrave significative de la concurrence dans le marché commun.

90      En l’espèce, la Commission a explicitement affirmé, au considérant 567 de la décision attaquée que, « pour l’ensemble de ces raisons », la concentration envisagée conduirait à la création ou au renforcement d’une position dominante sur plusieurs marchés différents, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière substantielle dans le marché commun (voir citation in extenso au point 46 ci-dessus). Contrairement à ce qu’affirme la requérante à cet égard et conformément à la position exprimée par la Commission devant le Tribunal, notamment à l’audience, il découle de cette conclusion générale que les deux critères de l’article 2 du règlement n° 4064/89 sont remplis par rapport à chacun des marchés explicitement mentionnés, et non pas en vertu de l’effet cumulé des constatations relatives à tous ces marchés (voir point 47 ci‑dessus).

91      En tout état de cause, la Commission a explicitement constaté à certains endroits de la décision attaquée que la création ou le renforcement d’une position dominante dans le chef de l’entité fusionnée sur certains marchés entraverait la concurrence de manière considérable. En particulier, les considérations spécifiques retenues dans la décision attaquée quant aux effets immédiats de la concentration sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille suffisent à démontrer que le renforcement de la position dominante de la requérante sur ce marché aurait comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun (voir considérants 428 et suivants de la décision attaquée).

B –  Sur la position dominante préexistante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

1.     Introduction

92      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que la requérante occupait, avant la concentration, une position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, ce que la requérante conteste. La Commission appuie cette conclusion, en substance, sur l’importance des parts de marché de la requérante, cumulées à cette fin avec celles de l’entreprise commune CFMI à laquelle elle participe avec Snecma (considérants 45 à 83 de la décision attaquée), sur les avantages commerciaux découlant de l’intégration verticale de l’activité de fabrication de moteurs pour avions commerciaux de grande taille avec la puissance financière de GE Capital et avec l’activité d’achat et d’exploitation en leasing d’avions de GECAS (considérants 107 à 145), sur une analyse de la situation concurrentielle sur le marché (considérants 163 à 170) et, enfin, sur l’absence de pression concurrentielle et commerciale exercée par les concurrents et clients de la requérante (considérants 173 à 228). L’existence de cette position dominante préexistante dans le chef de la requérante est un élément essentiel de l’analyse de la Commission, en ce que plusieurs des volets du raisonnement exposés dans la décision attaquée, en particulier ceux énumérés au point suivant, en dépendent.

93      Premièrement, le chevauchement vertical résultant de l’acquisition par la requérante de l’activité de fabrication de démarreurs de Honeywell engendrerait, selon la Commission, le renforcement de la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. Deuxièmement, l’analyse de la Commission concernant la création d’une position dominante sur les différents marchés de produits avioniques et non avioniques du fait de l’influence que la requérante est en mesure d’exercer par le biais de la puissance commerciale de ses filiales dépend de l’existence de sa position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. Troisièmement, la possibilité qui existerait, selon la Commission, de pratiquer à l’avenir des ventes groupées dépend de l’existence de ladite position dominante et aurait pour conséquence, notamment, le renforcement de celle-ci.

94      Il y a donc lieu de contrôler distinctement le bien-fondé de la décision attaquée quant à l’existence d’une position dominante dans le chef de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, dans la présente section, et celui de ces trois volets de la décision attaquée, dans la suite de l’arrêt.

2.     Arguments des parties

95      Selon la requérante, la Commission considère à tort que GE possédait, avant la concentration, une position dominante sur le marché des moteurs d’avions commerciaux de grande taille [à savoir les avions ayant plus de 100 places, un rayon d’action de plus de 2 000 miles nautiques et un coût excédant 35 millions de dollars des États-Unis (USD)]. GE rappelle qu’une position dominante ressort de la puissance de l’entreprise en cause qui lui permet d’adopter un comportement indépendant sur le marché. Or, la situation prévalant sur le marché en cause, telle qu’elle a été constatée dans de récentes décisions de la Commission dans le domaine aéronautique, démontrerait que GE n’est pas en mesure d’adopter un comportement indépendant et que ses principaux concurrents, notamment Rolls-Royce et Pratt & Whitney (ci‑après « P & W »), ne risquent pas d’être exclus du marché. L’ensemble de l’analyse de la Commission s’effondrerait du fait de l’absence de positions dominantes préexistantes de GE.

96      En ce qui concerne l’utilisation par la Commission des chiffres de parts de marchés indiqués dans la décision attaquée, premièrement, la requérante relève que les parts de marché sont d’une utilité limitée pour apprécier une position dominante sur un marché soumis à appels d’offres. Ainsi qu’il ressortirait de la pratique de la Commission dans le secteur aéronautique, le marché des moteurs d’avions est un marché d’appels d’offres, dans lequel les fournisseurs soumissionnent pour des contrats peu fréquents de haute valeur. Pour chaque nouvelle plate-forme d’avion, les avionneurs choisiraient un ou plusieurs moteurs développés spécialement pour cette plate-forme. Par conséquent, quels qu’aient été les gains passés, chaque concurrent ayant un produit à proposer serait fortement incité à soumissionner lors du prochain appel d’offres. Ainsi, les parts de marché historiques ne refléteraient pas avec exactitude l’intensité de la concurrence actuelle sur le marché, comme l’illustre l’histoire récente de cette industrie. La requérante récuse l’analyse selon laquelle la possession de 50 % des parts de marché pour les réacteurs motorisant les avions commerciaux de grande taille suffirait à établir une position dominante.

97      Deuxièmement, le calcul des parts de marché de la requérante dans la décision attaquée serait artificiel, la Commission ayant choisi d’utiliser certaines mesures de parts de marché et non pas d’autres de manière arbitraire. En particulier, la Commission et Rolls-Royce commettraient une erreur en se fondant sur des chiffres relatifs aux moteurs des avions actuellement en production, car une telle définition exclurait les moteurs de P & W pour des avions qui ne sont plus en production et des commandes de moteurs pour des avions qui ne sont pas encore en service, ce dernier élément étant le plus important aux fins de l’analyse de la concurrence sur le marché.

98      La requérante fait également valoir que c’est à tort que la Commission a additionné ses parts de marché, qui sont relativement faibles, avec celles de l’entreprise commune CFMI (« 50/50 joint venture », considérant 15 de la décision attaquée ; voir également les considérants 45 et 46), constituée par la requérante avec l’entreprise française Snecma. De plus, comme l’a constaté le département de la justice américain, la prétendue forte part de marché de GE résulterait essentiellement de la motorisation exclusive par CFMI d’un seul avion, à savoir le Boeing B737, avion ayant connu le plus grand succès commercial de l’histoire aéronautique. La Commission commettrait d’ailleurs une erreur en attribuant à la requérante l’intégralité des futurs flux de revenus tirés de ces parts de marché. De plus, la Commission ne pourrait sans abus combiner les parts de marché de CFMI avec sa théorie des ventes groupées mixtes dans la mesure où Snecma n’aurait aucun intérêt à approuver une politique de prix favorisant les produits de Honeywell. Enfin, cette approche serait en contradiction avec celle retenue par la Commission dans sa décision 2000/182/CE, du 14 septembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/36.213/F2 – GEAE/P & W) (JO 2000, L 58, p. 16, ci-après la « décision Engine Alliance »), où elle a traité la requérante et CFMI comme des entreprises distinctes.

99      Troisièmement, et en dernier lieu concernant les parts de marché, l’importance de ces parts de marché historiques serait surestimée par la Commission, qui considère à tort que ces parts permettront à la requérante de se développer à l’avenir. À cet égard, la requérante récuse la thèse de la Commission selon laquelle il existe un phénomène de standardisation de la flotte d’une compagnie aérienne, en vertu duquel ces dernières ont tendance à racheter leurs moteurs auprès d’un seul motoriste dans le but de réduire les coûts associés à l’entretien des moteurs équipant leurs avions. GE affirme que l’effet de la standardisation même au sein d’une famille de moteurs est très restreint et que, en outre, le succès du moteur CFM56 équipant le Boeing B737 n’entraîne aucun avantage à s’équiper en famille de moteurs CF6 ou GE90. Les réponses des compagnies aériennes à la Commission confirmeraient que la standardisation est un facteur secondaire en ce qui concerne la motorisation.

100    En outre, quant à l’appréciation selon laquelle la requérante pourrait agir de façon indépendante sur le marché en cause, la requérante reproche à la Commission de n’avoir fait état d’aucune modification significative dans l’industrie aéronautique qui puisse justifier que ses conclusions dans la décision attaquée contredisent directement celles retenues en 1999 dans la décision Engine Alliance. Or, la requérante fait partie des 500 sociétés les plus puissantes depuis des décennies et GECAS achète des avions de façon spéculative et préférentielle depuis 1996 sans que la concurrence ait été marginalisée du fait de cette activité.

101    La décision attaquée contiendrait de nombreux exemples démontrant que la requérante n’a pas pu adopter de comportement indépendant. La Commission reconnaîtrait qu’il existe souvent un choix de moteur sur les plates-formes d’avions commerciaux de grande taille, ce qui permet aux clients de tirer avantage de la concurrence. Ainsi, la requérante a été obligée d’accorder d’importantes ristournes pour remporter le marché relatif à l’équipement du B777X de Boeing, son réacteur ayant été moins compétitif que ceux de P & W et Rolls-Royce sur la version classique de cette plate‑forme. La requérante a dû faire de même à l’égard d’une compagnie aérienne en ce qui concerne les Airbus A330, pour compenser la moins bonne réputation technique d’un de ses moteurs par rapport à ceux de ses rivaux et elle aurait dû de ce fait développer un nouveau moteur. Ces rabais, pratiqués par tous, prouveraient l’existence d’une concurrence effective. La requérante invoque à cet égard l’arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 71).

102    En outre, la requérante conteste les affirmations de la Commission selon lesquelles elle a bénéficié avant la concentration d’une puissance financière lui permettant d’offrir des ristournes et d’entraîner ainsi l’exclusion de ses concurrents. La Commission n’aurait pas démontré en quoi ces ristournes reflétaient une position dominante ou entraînaient l’affaiblissement ou l’exclusion des concurrents.

103    En ce qui concerne le rôle prétendument joué par GECAS sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, la théorie du « déplacement des parts de marché » de la Commission, avancée tardivement au cours de la procédure, ne serait pas crédible au regard de la faible part de marché (moins de 10 %) détenue par GECAS. À cet égard, la requérante souligne qu’une autre compagnie de leasing, ILFC, est un acheteur bien plus important d’avions commerciaux de grande taille que GECAS. La Commission n’aurait pas tenu compte de la circonstance selon laquelle les autres sociétés de leasing compensent la préférence de GECAS pour les moteurs GE ou CFMI afin de tenir compte des préférences des utilisateurs. En faisant valoir qu’elle ne pourrait « reproduire » GECAS, Rolls-Royce ne répondrait pas à l’argument selon lequel elle-même et les autres concurrents demeurent compétitifs nonobstant son existence.

104    Cette théorie hétérodoxe ne serait pas étayée par des faits. La Commission et Rolls-Royce considéreraient à tort GECAS comme un client permettant le lancement d’un avion (launch customer) et que les prétendues commandes de lancement de GECAS auraient été décisives dans le choix opéré par les avionneurs en faveur des moteurs GE. Cette conclusion méconnaîtrait les témoignages des avionneurs eux-mêmes (Bombardier, Embraer, BAe, Airbus, Fairchild Dornier et Boeing).

105    L’unique preuve factuelle avancée par la Commission reposerait sur la constatation selon laquelle les ventes de moteurs GE auprès des sociétés de leasing ont augmenté de 60 % après la création de GECAS, alors que la vente de ces moteurs auprès des compagnies aériennes n’a baissé que de 10 %. Or, ce constat ne saurait démontrer à lui seul une modification de la part totale de GE sur ces marchés et moins encore le rôle joué par GECAS à cet égard.

106    La Commission contredirait également les conclusions de la décision Engine Alliance selon lesquelles P & W et Rolls-Royce étaient des concurrents crédibles et avaient la capacité de développer de nouveaux moteurs. La requérante relève que la décision Engine Alliance comportait une enquête approfondie du marché des moteurs des avions commerciaux de grande taille et que la Commission n’a jamais fait valoir de motifs expliquant qu’elle s’écartait de son évaluation dans cette décision. La Commission aurait ainsi méconnu le critère exposé dans l’arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, point 86 supra, selon lequel elle est tenue de justifier à suffisance de droit que les compétiteurs résiduels ne sont pas susceptibles de constituer un contrepoids suffisant pour constater l’existence d’une position dominante.

107    L’analyse de la Commission quant à la situation concurrentielle sur le marché serait également en contradiction avec d’autres décisions récentes concernant l’industrie aéronautique, à savoir la décision 2001/417/CE de la Commission, du 1er décembre 1999, déclarant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (Affaire COMP/M.1601 – AlliedSignal/Honeywell) (JO 2001, L 152, p. 1, ci‑après la « décision AlliedSignal/Honeywell »), et la décision du 11 mai 2000 déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (Affaire COMP/M.1745 – EADS) (ci-après la « décision EADS »), dans lesquelles la Commission a constaté que tant les avionneurs que les compagnies aériennes avaient une puissance d’achat importante. L’interdépendance des fournisseurs et acheteurs donnerait à ces derniers une réelle puissance compensatrice, facteur important de concurrence. La Commission disposait en outre de preuves, notamment les déclarations d’Airbus et d’IAE, entreprise commune de P & W et de Rolls-Royce, confirmant l’existence d’une telle puissance d’achat. À cet égard, le fait que les avionneurs ne se sont pas opposés à la concentration serait pertinent.

108    En outre, la Commission ne fournirait aucune donnée ou preuve démontrant comment, pourquoi et quand Rolls-Royce, P & W et IAE ne pourront plus opposer une concurrence effective actuelle ou future. La crédibilité et la vigueur de ces trois entreprises constituent le principal élément de l’intensité de la concurrence sur le marché des moteurs d’avion. La requérante aurait présenté, en réponse à la CG, un rapport d’experts établissant que ni GE, ni P & W, ni Rolls-Royce n’avait la capacité d’agir indépendamment l’un de l’autre. Rolls‑Royce se bornerait à faire valoir qu’elle ne dispose pas de la puissance financière de la requérante, mais non que sa propre puissance financière ou son accès aux capitaux est insuffisant, alors que sa santé financière est bonne, comme l’a confirmé l’un des experts, le professeur Shapiro. S’agissant de l’argument de Rolls-Royce concernant […](1), cet élément serait un signe de bonne santé.

109    Le seul élément économique étayant la thèse de la Commission quant à l’incapacité de Rolls-Royce et de P & W de livrer une concurrence effective à GE à l’avenir aurait été le modèle économique du professeur Choi, commandé par Rolls‑Royce par l’intermédiaire du cabinet d’expertise Frontier Economics (ci‑après le « modèle Choi »), qui pourtant a été abandonné par la Commission. De plus, la Commission n’aurait pas réfuté les analyses des experts rivaux qui aboutissaient à des conclusions inverses. Par ailleurs, ni Rolls-Royce ni P & W n’auraient suggéré durant la procédure administrative qu’elles quitteraient le marché à la suite de la concentration.

110    La Commission rappelle la définition jurisprudentielle de la position dominante et considère avoir conclu à juste titre à l’existence d’une telle position préexistante sur le marché en cause. Elle est soutenue à cet égard par Rolls-Royce.

111    La Commission relève que GE est de loin le premier fournisseur de moteurs et présente le taux de croissance le plus élevé du marché. GE accroîtrait encore cet avantage au vu des carnets de commandes.

112    En outre, le fait qu’une proportion importante des parts de marché de GE soit due à une seule plate-forme, le B737, n’enlèverait pas de pertinence à l’évaluation de la puissance de GE.

113    Selon la Commission et Rolls-Royce, l’existence de remises de prix pour l’achat de certains moteurs ne constituerait pas un signe de concurrence bénéfique, car le prix d’achat ne traduit pas le coût total des moteurs, entretien compris. En particulier, l’exemple du B777X ne constituerait pas un exemple de saine concurrence, mais illustrerait plutôt les moyens commerciaux dont dispose GE, notamment du fait de la puissance de GE Capital et de GECAS, par rapport à ses concurrents.

3.     Appréciation du Tribunal

a)     Observations liminaires

114    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une position dominante est démontrée par le fait que l’entreprise en cause est dans une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 30 ; arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 154). Il y a lieu de relever d’emblée que la Commission n’a pas besoin de démontrer que les concurrents d’une entreprise seront exclus du marché, même à terme, afin d’établir l’existence d’une position dominante.

115    Par ailleurs, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêt de la Cour Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, point 41, et arrêt du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, point 134). La Cour a jugé dans son arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60), que tel était le cas d’une part de marché de 50 %.

116    En outre, ainsi que l’a relevé la requérante, il ressort de l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra (point 71), que la contrainte pour une entreprise l’obligeant à baisser ses prix, sous la pression de baisses dont ses concurrents prennent l’initiative, est en général incompatible avec l’indépendance de comportement caractéristique d’une position dominante.

117    Toutefois, l’existence d’une concurrence, même vive, sur un marché donné n’exclut pas celle d’une position dominante sur ce même marché, ladite position étant essentiellement caractérisée par la capacité de se comporter sans avoir à tenir compte, dans sa stratégie de marché, de cette concurrence et sans, pour autant, subir des effets préjudiciables du fait de cette attitude (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, point 70, et arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207). Ainsi, l’éventuelle existence d’une concurrence sur le marché est, certes, une circonstance pertinente, notamment, aux fins d’apprécier l’existence d’une position dominante, mais elle n’est pas en soi une circonstance déterminante à cet égard.

118    À cet égard, lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché commun sur la base d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur la base d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les deux affaires soit similaires, voire identiques. Ainsi, dans la mesure où la requérante invoque, en l’espèce, des analyses faites par la Commission dans ses décisions antérieures, et notamment dans la décision Engine Alliance, cette partie de son argumentation est sans pertinence.

119    À supposer même que ces griefs puissent être requalifiés en tant qu’ils sont tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une pratique décisionnelle antérieure qui est susceptible d’être modifiée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 368, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, points 254 à 255 et 292 à 293). À plus forte raison, ils ne sauraient invoquer une telle confiance pour contester des constatations ou des appréciations effectuées dans une procédure donnée sur la base de constatations ou d’appréciations effectuées dans le cadre d’une seule affaire antérieure.

120    En toute hypothèse, ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal n’est lié en l’espèce par les constatations de fait et les appréciations économiques dans la décision Engine Alliance. À supposer que l’analyse dans les deux décisions soit différente sans que cette différence soit justifiée objectivement, le Tribunal ne devrait annuler la décision attaquée dans la présente procédure que si celle-ci, et non la décision Engine Alliance, était entachée d’erreurs.

121    De plus, il importe de distinguer, dans le cadre de l’examen de la légalité de l’analyse de la Commission relative à l’existence d’une position dominante préexistante, entre la matérialité des faits constatés et leur qualification juridique, laquelle relève du pouvoir d’appréciation de la Commission, et de rappeler que la Commission jouit d’une marge d’appréciation quant à la question de savoir si, en se basant sur les faits dûment établis, elle pouvait conclure à l’existence d’une position dominante dans le chef d’une entreprise sur un marché donné (voir points 60 et suivants ci‑dessus).

122    En l’espèce, la Commission a justifié sa conclusion quant à la position dominante préexistante de GE sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, premièrement en ce qui concerne ses parts de marché (voir considérants 38 à 83 de la décision attaquée) et, ensuite, en ce qui concerne un certain nombre d’autres facteurs (considérants 107 à 229 de la décision attaquée). La requérante ne conteste pas la définition du marché mondial des réacteurs pour ces avions retenue par la Commission, dans la décision attaquée (voir le considérant 10 de la décision attaquée ainsi que le point 95 ci-dessus). En revanche elle soutient que la Commission considère à tort qu’elle possédait, avant la concentration, une position dominante sur le marché des moteurs d’avions commerciaux de grande taille.

123    Il convient donc d’examiner les éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée pour étayer sa conclusion quant à l’existence de la position dominante en question, au vu des arguments avancés par la requérante à l’encontre de cette thèse. Seront analysées, premièrement, les considérations relatives aux parts de marchés de la requérante, deuxièmement, celles relatives à l’intégration verticale de la requérante et, troisièmement, celles relatives à l’état concurrentiel du marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

b)     Sur les parts de marché

124    La Commission expose, au considérant 41 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles « le parc existant et le carnet de commandes d’aéronefs encore en production constituent le moyen le plus approprié pour mesurer et interpréter la position des concurrents dans ce secteur ». De plus, elle retient que la requérante et CFMI devraient être considérées comme une entité unique aux fins tant commerciales que concurrentielles et que, dans ces conditions, il y a lieu d’attribuer la totalité de la part de marché de CFMI à GE lors de l’appréciation de la position dominante de cette dernière (considérants 65 et 66 de la décision attaquée).

125    Ainsi, au considérant 70 de la décision attaquée, la Commission relève que la part de marché de GE/CFMI pour le parc installé de moteurs pour les avions commerciaux de grande taille qui sont encore en production est de 51 % pour les avions à fuselage étroit, de 54 % pour les avions à fuselage large, et de 52,5 % pour l’ensemble, P & W/IAE ayant 26,5 %, et Rolls-Royce/IAE 21 %. De plus, elle expose, aux considérants 74 à 76 de la décision attaquée, que l’évolution du parc installé a été favorable à GE au cours des cinq dernières années. Quant au carnet de commandes pour les avions encore en production, la Commission présente, au considérant 77 de la décision attaquée, un tableau dont il ressort que la requérante détenait une part de 65 % du marché selon cette mesure.

126    Il convient donc d’examiner ci-dessous, premièrement, si la Commission a validement pu attribuer les parts de marché de CFMI à la requérante dans les circonstances de l’espèce et, deuxièmement, si ses autres constatations relatives aux parts de marché, ainsi que les conclusions qu’elle en a tirées, étaient fondées.

 Sur l’attribution des parts de marché de CFMI à la requérante

–       Introduction

127    La requérante reproche à la Commission d’avoir cumulé la part de marché de la requérante elle-même avec la totalité de celle de CFMI (voir considérants 46 à 66 de la décision attaquée).

128    La requérante relève, à cet égard, que sa part de marché n’était que de […] %, et celle de CFMI de […] % (chiffres basés sur le carnet de commandes en 2000) et que si la Commission lui avait attribué la moitié de la part de l’entreprise commune et non pas la totalité de celle-ci, comme elle l’a fait pour l’entreprise commune de ses concurrents Rolls‑Royce et P & W, sa part de marché aurait été de […] %, largement en dessous de la barre des 40 %.

129    La Commission ayant conclu, aux considérants 65 et 66 de la décision attaquée, que GE et CFMI « devraient être considérées comme une entité unique aux fins tant commerciales que concurrentielles » et qu’il convenait donc d’attribuer la part de marché de CFMI à GE en vue de l’appréciation de sa position sur les marchés concernés, il y a lieu d’examiner, d’une part, si les constatations de la Commission quant à l’organisation interne de l’entreprise commune justifient la conclusion selon laquelle ces entreprises constituent une entité unique « sur le plan commercial » et, d’autre part, si ses constatations quant au comportement de GE, de CFMI et de Snecma sur le marché justifient la conclusion selon laquelle GE et CFMI constituent une entité unique « sur le plan concurrentiel ».

130    Il convient de relever dans ce contexte que la matérialité des affirmations dans la décision attaquée concernant le fonctionnement de l’entreprise commune CFMI, les relations entre ses actionnaires et son comportement sur le marché est une question de fait, alors que la Commission disposait d’un pouvoir d’appréciation quant au point de savoir s’il y avait lieu d’attribuer les parts de marché de CFMI à la requérante.

–       Analyse de l’organisation interne de CFMI

131    La Commission affirme que le mode d’organisation de l’entreprise commune en ce qui concerne la séparation technologique et financière (considérants 53 à 55 de la décision attaquée) ainsi que les ventes et la distribution des moteurs CFMI (considérants 57 et 58) indiquent le rôle prépondérant de GE au sein de l’entreprise commune.

132    Toutefois, la requérante conteste cette analyse et soutient, en particulier, que la thèse de la Commission, exposée au considérant 82 de la décision attaquée, quant à la probabilité que les recettes de CFMI soient réinvesties dans le développement de nouveaux moteurs manque en fait, notamment dans la mesure où CFMI ne conserve pas des fonds pour les investir dans le développement du futur moteur, mais, au contraire, distribue régulièrement ses recettes à GE et à Snecma.

133    La Commission ne conteste pas cette affirmation factuelle de la requérante devant le Tribunal et il convient de considérer qu’elle a commis une erreur de fait à cet égard dans la décision attaquée. Cette erreur est pertinente dans le présent contexte dans la mesure où elle met en relief le caractère mutuel de l’interdépendance de GE et de Snecma dans le contexte de leur entreprise commune CFMI, tandis que la Commission souligne l’influence prépondérante de la requérante. Étant donné que les recettes de CFMI sont distribuées à ses actionnaires, la capacité de CFMI de se développer dépend nécessairement de la volonté de ceux-ci.

134    Il convient de relever également que la Commission admet elle-même, au considérant 56 de la décision attaquée, que le président‑directeur général de CFMI a toujours été issu de Snecma en pratique. Il ressort de la description de ces aspects du fonctionnement de CFMI dans la décision attaquée que, si la participation fonctionnelle de chacun des partenaires ne reflète pas le partage 50/50 des actions de manière précise dans tous les domaines, cette entreprise est véritablement une entreprise commune et non pas une quasi-filiale de la requérante.

135    À cet égard, la Commission a constaté à juste titre, dans la décision attaquée, que la coopération commerciale entre la requérante et Snecma dans le cadre de CFMI est très étroite, et qu’il en est de même pour la coopération commerciale entre la requérante et CFMI, notamment en ce qui concerne la commercialisation des moteurs de CFMI (considérants 57 et 58 de la décision attaquée). Il serait très difficile pour Snecma de maintenir une présence sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille autrement qu’à travers sa participation existante dans l’entreprise commune CFMI. En outre, il découle de l’analyse du fonctionnement de CFMI effectuée dans la décision attaquée que toute hausse de la part de marché de CFMI était toujours dans l’intérêt commercial de GE et de Snecma, constatation que la requérante ne conteste pas devant le Tribunal. Ainsi, l’erreur factuelle relevée au point 133 ci-dessus et la constatation relative à l’identité du président‑directeur général de CFMI sont fortement relativisées par le degré d’intégration commerciale élevé qui existait par ailleurs entre CFMI et ses actionnaires.

136    Toutefois, dans la mesure où l’autre actionnaire de CFMI, Snecma, qui est une entreprise indépendante de la requérante, joue également un rôle significatif dans la gestion de CFMI et reçoit une partie de ses recettes, celle-ci reste en dehors du groupe GE et ne saurait être considérée comme appartenant pleinement à l’entreprise de la requérante. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a exagéré, dans une certaine mesure, le rôle joué par la requérante au sein de l’entreprise commune CFMI en considérant que cette dernière constituait, avec la requérante, une entité unique sur le plan commercial.

–       Analyse de la position concurrentielle de GE, de CFMI et de Snecma

137    La Commission a affirmé, dans la décision attaquée, sans être contredite à cet égard par la requérante, que Snecma ne vend pas de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille indépendamment de CFMI, actuellement ou même potentiellement, et que les moteurs de CFMI et de GE ne sont pas en concurrence les uns avec les autres (considérants 50 à 52 et 59 à 61 de la décision attaquée).

138    Par ailleurs, la Commission relève, au considérant 64, et la requérante ne conteste pas en l’espèce que, dans l’application de sa politique d’achat préférentielle « GE‑only », examinée en détail aux points 191 et suivants ci-après, la filiale de GE, GECAS, achète exclusivement des moteurs GE et CFMI dans la mesure du possible (considérants 121 et suivants de la décision attaquée, en particulier, considérant 132). La circonstance que GECAS traite les moteurs CFMI de la même manière que les moteurs GE conforte la thèse de la Commission.

139    Enfin, la Commission fait observer, sans être contredite à cet égard par la requérante, que celle-ci cumule elle‑même ses parts de marché avec celles de CFMI dans ses rapports annuels depuis 1995 et que les principaux analystes financiers font de même (considérant 65 de la décision attaquée ainsi que les notes en bas de page 22 et 23 de celle-ci).

140    Sur la base de ces constatations factuelles non contestées dans la présente procédure, la Commission pouvait conclure, sans commettre d’erreur manifeste, que la requérante et CFMI se comportaient, sur le marché, comme une entité unique vis-à-vis de leurs concurrents et clients.

–       Synthèse et conclusion sur l’attribution des parts de marché de CFMI à la requérante

141    Il y a lieu de rappeler au préalable que l’attribution des parts de CFMI à la requérante a servi, d’une part, principalement, à apprécier l’éventuelle existence d’une position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et, d’autre part, accessoirement, à apprécier d’autres aspects de la concentration, tels que les effets de conglomérat.

142    Pour autant que cette attribution vise à apprécier cette position dominante, elle s’inscrit dans le cadre d’une analyse visant à identifier les relations concurrentielles sur le marché et non pas les relations commerciales entre les entreprises en présence à d’autres égards.

143    Il convient de considérer que, dans le cadre de cet exercice spécifique, la conclusion de la Commission selon laquelle CFMI et la requérante constituent une entité unique sur le plan concurrentiel (voir point 129 ci-dessus) est d’une importance essentielle. En revanche, le caractère précis des relations internes entre les actionnaires de CFMI et leur degré d’intégration commerciale sont d’une importance secondaire dans l’économie générale de cette partie de la décision attaquée, d’autant plus que la constatation de la Commission quant à l’existence d’un degré d’intégration élevé entre la requérante et CFMI demeure exacte, en substance.

144    De plus, la méthodologie de calcul des parts de marché proposée par la requérante consistant à considérer que la moitié de la part de CFMI, soit […] % du marché, échappe à GE donnerait une fausse impression de la position de GE sur le marché. En revanche, le fait pour la Commission d’attribuer à GE les parts de marché de CFMI au motif que, à la différence de son partenaire, Snecma, elle a aussi une activité indépendante de fabrication de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille reflète les réalités concurrentielles du marché constatées de manière exacte dans la décision attaquée.

145    D’ailleurs, dès lors que la Commission a traité les parts de marché de l’entreprise commune IAE dans laquelle participent les concurrents de la requérante, Rolls‑Royce et P & W, d’une manière analogue en attribuant la moitié de la part de marché d’IAE à chacune de ces dernières, au motif qu’elles sont seules parmi les actionnaires d’IAE à avoir une activité propre sur le marché (considérant 67 de la décision attaquée), son approche quant à l’attribution des parts de marché des entreprises communes est cohérente et n’apparaît pas comme manifestement erronée.

146    Dans ces conditions, ni l’erreur de fait susmentionnée concernant le traitement des recettes de CFMI (point 133 ci-dessus) ni la relative exagération du rôle joué par la requérante dans la gestion de l’entreprise commune CFMI (point 134 ci‑dessus), pris ensemble ou séparément, ne sont de nature à remettre en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle la requérante et CFMI doivent être considérées comme une entité unique. Par conséquent, au vu de l’ensemble de ce qui précède, il n’est pas établi que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances du cas d’espèce en décidant d’attribuer les parts de marché de CFMI à la requérante aux fins de son appréciation plus large de l’existence d’une position dominante de cette dernière sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, en ce qui concerne aussi bien la base installée que le carnet de commandes.

147    En revanche, pour autant que cette attribution de parts de marché s’inscrit dans le cadre d’autres aspects de l’affaire, la requérante relève à juste titre que Snecma n’aurait pas d’intérêt à faire des sacrifices financiers afin de permettre à l’entité fusionnée de promouvoir les produits avioniques et non avioniques d’Honeywell. Il y a lieu de tenir compte de cet argument dans le cadre de l’examen ci-après des sections de la décision attaquée consacrées à ces autres aspects de l’affaire, notamment les sections relatives aux effets de conglomérat. En effet, dans la mesure où la circonstance ainsi relevée par la requérante susceptible d’avoir une incidence sur l’analyse économique et concurrentielle de ces autres aspects de l’affaire, il incombait à la Commission de les prendre en considération cette circonstance (voir, en particulier, l’analyse de l’effet Cournot aux considérants 374 et suivants de la décision attaquée).

 Sur les parts de marché relevées par la Commission pour apprécier la puissance des fabricants présents sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–       Considérations relatives à la nature du marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

148    La requérante fait valoir que l’invocation, dans la décision attaquée, de ses parts de marché pour démontrer l’existence d’une position dominante dans son chef sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille est inappropriée en raison de la nature même du marché, celui-ci étant un marché soumis à appels d’offres.

149    Il convient de constater, en effet, que les parts de marché à une date donnée sont moins significatives pour l’analyse d’un marché tel que celui des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille que, par exemple, pour celle d’un marché de produits de consommation courante. Sans reconnaître formellement que le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille est un « marché à appels d’offres », la Commission admet devant le Tribunal que ce marché est caractérisé par l’attribution d’un nombre limité de contrats de grande valeur. Sur un tel marché, la circonstance qu’une compagnie donnée a remporté les derniers appels d’offres n’implique pas nécessairement qu’un de ses concurrents ne pourra remporter le prochain. À condition d’avoir un produit compétitif et que d’autres facteurs ne jouent pas en faveur de la première compagnie de manière prépondérante, un concurrent pourrait toujours remporter un marché significatif et augmenter d’un seul coup ses parts de marché de manière considérable.

150    Toutefois, cette constatation ne justifie pas la conclusion selon laquelle les parts de marché n’ont presque aucune valeur pour apprécier la puissance des différents fabricants sur un marché de cette nature, surtout dans la mesure où ces parts restent relativement stables ou révèlent une tendance de renforcement de la position d’une entreprise. En l’espèce, la Commission déduit à juste titre des chiffres exposés dans la décision attaquée, et rappelés au point 125 ci-dessus, que, au cours d’une période de cinq années précédant la date d’adoption de la décision attaquée, « GE a non seulement réussi à conserver sa position de fournisseur numéro un, mais elle a aussi affiché le taux de progression de part de marché le plus élevé » (considérant 74 de la décision attaquée).

151    Même sur un marché à appels d’offres, le fait pour un fabricant de maintenir, voire de renforcer ses parts de marché au cours d’une période de plusieurs années consécutives, constitue un indice de puissance sur le marché. En effet, il arrive obligatoirement un moment où la différence entre la part de marché d’un fabricant et celle des ses concurrents ne peut plus être attribuée au nombre limité d’appels d’offres constituant la demande sur le marché. Ainsi, l’aspect dynamique consistant dans l’augmentation récente de la part de marché de GE est un élément particulièrement convaincant dans le cadre de l’analyse effectuée par la Commission, à laquelle il ne saurait donc être reproché d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation.

–       Considérations relatives aux marchés de l’après-vente (aftermarkets)

152    La Commission relève que les fabricants de moteurs tendent de plus en plus à récupérer leur investissement grâce aux services après-vente et aux ventes de pièces détachées, plutôt que du fait de la marge bénéficiaire réalisée initialement sur la vente du réacteur (considérants 79 à 82 et 90 à 106 de la décision attaquée). Cette constatation factuelle de la Commission, que la requérante ne remet pas en cause et qui serait même fondée sur les affirmations des parties elles-mêmes (considérants 39 et 95), suffit à démontrer que l’importance des revenus actuels d’un fabricant de réacteurs dépend en grande partie de ses ventes passées.

153    Certes, la requérante relève à juste titre que, dans la mesure où une partie importante de la part de marché qui lui est attribuée se rapporte à des ventes de réacteurs de CFMI, les revenus qui en résultent pour elle sont moindres que si les ventes lui étaient directement attribuables (voir point 147 ci-dessus). Pour cette raison, la puissance économique résultant pour la requérante de sa part de marché mesurée en termes de base installée de réacteurs est moins significative que ne l’indique le chiffre brut de part de marché retenu par la Commission dans la décision attaquée. Toutefois, dans la mesure où Snecma et la requérante ont toutes deux intérêt à assurer la réussite de CFMI à l’avenir, il n’y a pas lieu de faire complètement abstraction de la part des revenus de CFMI distribués à Snecma. En définitive, cette argumentation n’a aucune incidence sur la pertinence de la part de marché élevée de la requérante en ce qui concerne le carnet de commandes, compte tenu, en particulier, de la circonstance relevée au point 140 ci-dessus, selon laquelle CFMI et la requérante constituent une entité concurrentielle unique vis-à-vis des tiers, des concurrents et des clients.

154    La Commission relève, en outre, au considérant 104 de la décision attaquée, sans être contredite à cet égard par la requérante, que GE fournit des services après-vente pour réacteurs sur les produits de ses concurrents de manière plus importante que ne l’ont fait ces derniers. Vu l’importance des flux provenant des services après-vente, relevée ci-dessus, cette circonstance est significative, parce qu’il en découle que la part de marché de GE pour le parc installé de moteurs sous-estime, dans une certaine mesure, sa puissance sur le marché des réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille au niveau des services après-vente.

–       Considérations relatives à la notion de « standardisation » sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

155    La Commission invoque également la notion de « standardisation » (commonality) selon laquelle, en substance, le fait pour le gestionnaire d’une flotte d’équiper tous ses avions des mêmes réacteurs ou du moins de réacteurs de la même série génère des économies (considérants 41 et 146 à 162 de la décision attaquée). Elle relève à cet égard que « les avantages que présente pour une compagnie aérienne la [standardisation] au niveau des moteurs apparaissent à différents niveaux de ses activités et constituent en tant que tels un facteur incontestable que les exploitants prennent en compte au moment de passer leurs commandes d’avions » (considérant 161 de la décision attaquée).

156    Il convient de relever que ce phénomène souligne l’avantage qui résulte pour un motoriste du fait d’être attitré sur un grand nombre de plates‑formes ou sur des plates-formes bénéficiant d’un nombre élevé de ventes, aux fins de vendre un nombre plus important de ces mêmes moteurs à l’avenir. L’importance de cet avantage pour un motoriste est nécessairement fonction de la base installée de ses moteurs, surtout sur les avions qui sont encore en production. La standardisation est donc un élément particulièrement pertinent de l’analyse de la Commission justifiant l’utilisation des chiffres relatifs à la part de marché de la requérante pour établir la puissance commerciale de cette dernière. Toutefois, la requérante remet en cause les avantages résultant de la standardisation (point 99 ci-dessus).

157    Dans le cadre de son analyse du rôle de GECAS, au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission a cité un passage du rapport annuel de GE pour l’année 1999 qui précise : « Nous [GECAS] avons réalisé d’importants progrès quant à notre détermination à aider nos clients à atteindre leurs objectifs en termes de flotte et de bilan. GECAS a par exemple aidé China Eastern, une des plus grandes compagnies aériennes chinoises, à diminuer sa capacité à court terme, à [standardiser] sa flotte autour d’Airbus à fuselage étroit équipés de réacteurs CFM[I] et à obtenir des devises fortes. » Cet exemple est un indice pertinent et significatif de la réalité des effets positifs de la standardisation des réacteurs. La requérante semble, dans ce rapport, traiter comme acquis le fait que standardiser sa flotte d’avions présente certains avantages économiques du point de vue d’une compagnie aérienne.

158    Contrairement à ce que soutient la requérante, la plupart des réponses reçues des compagnies aériennes sur cette question ne sont pas en contradiction avec la thèse de la Commission (point 99 ci-dessus, in fine).

159    À cet égard, Lufthansa indique que l’incidence de la standardisation est négligeable dans son cas parce que l’entretien de ses moteurs est assuré par des tiers, mais elle relève que la standardisation d’une flotte est importante sur le plan opérationnel. United Airlines affirme sans ambages que la standardisation est un élément important dans le choix du moteur, parmi d’autres, et Alitalia reconnaît que le fait d’acheter des réacteurs identiques peut réduire le coût total moyen en raison de réductions des coûts d’entretien, même si certains autres avantages peuvent découler du fait d’avoir une flotte hétérogène. US Airways affirme qu’elle essaie d’assurer la standardisation de sa flotte, mais que, par le passé, elle a choisi des moteurs en fonction d’autres facteurs et que, en conséquence, le niveau de standardisation de sa flotte est peu élevé pour le moment et n’a donc pas, actuellement, une incidence très importante sur son choix de moteurs. Selon Iberia, il n’est pas possible d’affirmer d’une manière générale que la standardisation est déterminante dès lors que, si le choix de moteur est clair sur les plans économique, technique et financier, ainsi qu’en termes d’appréciation du risque, la standardisation ne sera pas un facteur important. En revanche, elle affirme qu’elle apprécie les avantages qui découlent de la standardisation des équipements si ces autres facteurs sont équilibrés. Enfin, la réponse de British Airways, annexée à la requête, porte exclusivement sur les produits avioniques, mais conforte, en général, l’idée selon laquelle la standardisation des équipements permet de réaliser des économies. Ainsi, il ne découle pas d’une lecture de l’ensemble des réponses invoquées par la requérante que la standardisation des réacteurs à l’intérieur d’une flotte n’a aucune incidence sur le choix de moteurs d’une compagnie aérienne.

160    En outre, il convient de relever que la Commission a avancé dans la décision attaquée, en particulier aux considérants 154 et 155, plusieurs exemples spécifiques dans lesquels des compagnies aériennes ont explicitement préféré un réacteur à un autre, au motif que le premier était déjà utilisé dans sa flotte. Il n’a pas été allégué, encore moins démontré, que ces exemples n’existent pas et il convient de considérer, dès lors, qu’ils étayent la thèse de la Commission.

161    Il importe de souligner que la Commission n’a pas affirmé dans la décision attaquée que la standardisation est toujours déterminante par rapport au choix du moteur, dès lors qu’elle indique, au considérant 148, que, « [s]i la [standardisation] au niveau des moteurs ne constitue qu’un des facteurs parmi ceux que les exploitants d’aéronefs prennent en compte lorsqu’ils achètent un appareil, l’enquête de la Commission a montré que l’organisation des activités de maintenance de la compagnie aérienne jouait un rôle important dans les décisions en matière d’acquisition de réacteurs ». Dans cette mesure, la Commission n’a pas commis d’erreur de fait en considérant que les avantages découlant de la standardisation d’une flotte existent, du moins au sein d’une même famille de moteurs, et peuvent favoriser, en principe, l’achat par les compagnies aériennes des moteurs déjà utilisés au sein de leur flotte de préférence aux moteurs qu’elles n’ont encore jamais achetés. Elle n’a pas non plus commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que ce phénomène contribue également à la position dominante de GE.

–       Sur la mesure des parts de marché retenues par la Commission aux fins d’apprécier la puissance de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

162    La Commission a exclu de son analyse de la part de marché de la requérante, en ce qui concerne la base installée, les avions qui ne sont plus en production au motif qu’ils « constituent pour les fournisseurs de réacteurs une source de recettes moins importante que les aéronefs encore en production » (considérant 42 de la décision attaquée). Elle relève, en particulier, sans être contredite par la requérante à cet égard, que les réacteurs plus anciens sont plus simples que les réacteurs modernes, qu’ils rapportent donc des revenus au titre des services après-vente moins importants et qu’ils disparaissent progressivement de la flotte des compagnies aériennes. À la lumière de ces explications, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas non plus commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de ne pas prendre en compte cette partie du parc installé aux fins d’apprécier la puissance actuelle des différents fabricants sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

163    En ce qui concerne les chiffres pour le carnet de commandes, la requérante relève que la Commission n’a pas tenu compte, en ce qui concerne les avions commerciaux de grande taille, du carnet de commandes pour les avions qui ne sont pas encore entrés en service, alors qu’elle a tenu compte de cette part pour les avions régionaux de grande taille (considérant 85 de la décision attaquée). La requérante renvoie à cet égard à un tableau figurant à l’annexe 8 à sa requête (« GE’s and Honeywell’s slides presentation at oral hearing », classeur 8/14, onglet 3, tableau à la neuvième page intitulé « Backlog of Engine Sales for Aircraft not Yet in Service »), selon lequel le carnet de commandes pour les avions non encore en service indique une part de marché de 38 % pour GE, de 21 % pour P & W et de 40 % pour Rolls‑Royce.

164    D’abord, quant au fait, relevé par la requérante, que des chiffres relatifs au carnet de commandes pour les avions non encore en service ont été utilisés par la Commission pour apprécier la situation sur le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille, il convient de relever que la requérante n’a pas contesté leur utilisation dans ce dernier contexte, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le caractère approprié de leur utilisation par rapport à ce marché-là (point 540 ci‑après). En toute hypothèse, la prise en compte de ces chiffres peut être justifiée en ce qui concerne le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, par la croissance rapide dudit marché, relevée au point 552 ci‑après, ce qui n’est pas le cas du marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille pour les raisons exposées ci‑après aux points 165 et suivants. Ainsi, la différence entre le traitement du carnet de commandes pour les avions non encore en service sur ces deux marchés ne révèle pas une contradiction dans l’approche de la Commission, et encore moins une erreur manifeste d’appréciation dans son chef.

165    Il résulte des indications fournies par les deux parties principales à l’audience que les chiffres indiqués dans le tableau susmentionné au point 163 ainsi que ceux indiqués dans le tableau figurant au considérant 77 de la décision attaquée, relatif au carnet de commandes de moteurs équipant les avions commerciaux de grande taille qui sont toujours en production, se rapportent au nombre de réacteurs. Dès lors, il convient d’observer que le nombre de réacteurs faisant l’objet des commandes pour des avions non encore en service d’après le tableau présenté par la requérante (936 réacteurs commandés) est très faible comparé au nombre de réacteurs pour des avions encore en production sur commande (5 466 réacteurs commandés). Ainsi, le fait que Rolls‑Royce ait légèrement plus de commandes que la requérante pour des avions non encore en service n’a qu’une incidence marginale sur le rapport concurrentiel entre elles s’il est tenu compte de la totalité des commandes.

166    Si le tableau susmentionné au point 163 et celui figurant au considérant 77 de la décision attaquée sont combinés, la requérante a une part de marché pour le carnet de commandes de 60,9 % (3542 + 360 = 3902 réacteurs sur commande), P & W une part de 17,0 % (887 + 200 = 1087 réacteurs sur commande) et Rolls-Royce une part de 22,1 % (1037 + 376 = 1413 réacteurs sur commande).

167    Force est de constater que les valeurs qui résultent d’une combinaison de ces deux tableaux sont suffisamment proches de celles invoquées par la Commission au considérant 77 de la décision attaquée, pour qu’il y ait lieu d’en déduire que la différence marginale entre les chiffres n’a pas eu d’incidence sur la conclusion à laquelle la Commission est arrivée selon laquelle la part de marché de la requérante en termes de réacteurs sur commande était indicative d’une position dominante.

168    En outre, à l’audience, la Commission a affirmé, en réponse à une question écrite du Tribunal, que les chiffres pour les avions qui ne sont pas encore entrés en service ne reflètent pas de manière représentative et fiable la situation concurrentielle sur le marché. À cet égard, il y a lieu de constater, en effet, en ce qui concerne une plate-forme multisource – à savoir un grand avion commercial sur lequel deux ou plusieurs moteurs différents ont été certifiés par l’avionneur, le choix final du moteur étant fait par la compagnie aérienne – qui n’est pas encore en service, que les parts de marchés provisoires des différents fabricants de moteurs attribuables à cette plate-forme sont susceptibles d’évoluer de manière considérable par la suite si celle-ci est à un stade précoce de sa commercialisation. À la différence des avions d’affaires et des avions régionaux de grande taille qui sont toujours unisources, en ce sens qu’un seul réacteur est certifié pour chaque plate-forme, les avions commerciaux de grande taille peuvent être unisources ou multisources.

169    La Commission a fait observer, à cet égard, que la part de marché de P & W indiqué par le tableau, mentionné au point 163 ci‑dessus, invoqué par la requérante pour les moteurs équipant l’A318-100, à savoir 69 % (200 commandes sur 290), n’est plus que de […] % aujourd’hui, alors que celle de la requérante est passé depuis lors à […] %. Par ailleurs, la Commission affirme que la part de marché de Rolls-Royce, à savoir […] % sur les commandes pour l’A380, indiquée dans le tableau, ne correspond pas à l’évolution ultérieure du marché dès lors que la requérante aurait une part de […] % des commandes pour cet avion à la date de mars 2004. Il convient de considérer que, si ces chiffres n’ont aucune incidence directe sur l’analyse effectuée dans la décision attaquée dès lors qu’ils se rapportent à une période postérieure à l’adoption de celle-ci, ils étayent l’argumentation de la Commission selon laquelle il n’aurait pas été approprié pour elle de prendre en compte les commandes passées pour des avions commerciaux de grande taille qui n’étaient pas encore entrés en service.

170    En réponse à cette argumentation, la requérante n’a pas contesté la matérialité de ces exemples. Elle a simplement relevé que […] pour l’A318‑100 […], ce qui expliquerait la baisse de la part de marché de cette société sur la plate-forme en cause, et que la Commission avait présenté des chiffres sélectifs à cet égard étant donné, notamment, que « la part de marché de Rolls-Royce avait augmenté de […] % à […] % en mars 2004 ». La requérante n’a pas expliqué à quels moteurs se rapporte le chiffre de […] % qu’elle invoque. À supposer qu’il se rapporte, ce qui semblerait être le cas vu le contexte, aux commandes de moteurs pour les avions qui n’étaient pas encore en production à la date de l’audience, il n’infirme pas la thèse de la Commission dans la mesure où il résulte des exemples qu’elle a donnés à l’audience que des chiffres relatifs à la part de marché provisoire d’un motoriste pour équiper une plate-forme multisource sont, en principe, relativement peu fiables en ce sens qu’ils sont susceptibles de changer de manière radicale par la suite.

171    Quant aux […] pour l’A318-100, cette argumentation, avancée par la requérante, renforce, à titre d’exemple, la thèse de la Commission selon laquelle des chiffres fondés sur des commandes passées pour des avions multisources qui ne sont pas encore sur le marché sont susceptibles de donner une fausse idée du rapport de forces définitif entre les motoristes en présence sur celui-ci. Ainsi, compte tenu de l’objectif dans lequel la Commission a invoqué les exemples en question, à savoir pour expliquer l’absence de prise en compte des commandes passées pour les plates-formes futures, il y a lieu de constater que les contre-arguments de la requérante n’infirment pas le raisonnement exposé au point précédent.

172    Compte tenu de tout ce qui précède, l’analyse de la Commission n’a pas été faussée par le fait qu’elle n’a pas tenu compte, dans la décision attaquée, des commandes passées pour des avions qui n’étaient pas encore entrés en service et elle n’a donc pas commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard du fait d’exclure ces chiffres de ses calculs.

–       Traitement du Boeing 737

173    La requérante avance également un argument lié spécifiquement au B737 de Boeing. Ainsi que l’aurait constaté le département de la justice américain, la forte part de marché de GE serait constituée essentiellement par la motorisation exclusive par CFMI d’un seul avion, les deuxième et troisième versions du B737, lequel aurait connu le plus grand succès commercial de l’histoire de l’aviation civile.

174    En substance, l’argumentation de la requérante à cet égard réitère l’allégation plus générale, examinée ci-dessus, selon laquelle les parts de marchés sont dénuées de pertinence pour apprécier la situation concurrentielle sur un marché à appels d’offres. Or, pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus, et compte tenu en particulier du fait que le parc installé de réacteurs fabriqués par un motoriste a une incidence sur ses revenus actuels et futurs, les effets directs et indirects d’une réussite commerciale sur un tel marché continuent d’exister, malgré l’écoulement d’un laps de temps considérable.

175    La motorisation par GE du B737 peut donc être considérée comme pertinente en l’espèce, parce qu’elle augmente la part de marché de la requérante et lui permet de bénéficier encore aujourd’hui de flux de revenus supplémentaires ainsi que des effets commerciaux positifs découlant pour un motoriste attitré sur une plate‑forme des avantages du point de vue des compagnies aériennes de la standardisation de leur flotte.

176    La requérante a relevé, à l’audience, que l’économiste engagé par la Commission pour conseiller ses fonctionnaires au cours de la procédure administrative, le professeur Vives, a, dans un courrier électronique produit par la Commission le 26 avril 2004 en réponse à une question écrite du Tribunal, décrit le fait pour la requérante de remporter les marchés relatifs à l’équipement du B737 comme étant « plutôt un coup de chance (ayant un impact énorme) qu’un exemple de l’inertie des parts de marché » [« more a case of luck (with tremendous impact) than a case of market share inertia »]. Le professeur Vives n’avait aucun statut particulier dans le cadre de la procédure administrative, et la circonstance qu’il ait exprimé un point de vue qui pourrait être considéré comme incompatible avec la position finalement adoptée par la Commission dans la décision attaquée ne saurait infirmer le bien-fondé de cette dernière. Au contraire, cette circonstance indique que la Commission s’est volontairement entourée de différents points de vue.

177    En toute hypothèse, la Commission n’affirme pas dans la décision attaquée que la requérante était en position dominante au moment de l’attribution des marchés en question au début, respectivement, des années 80 et 90. Ce qui est pertinent dans le présent contexte est le fait que cette réussite commerciale passée continue en elle-même d’avoir des conséquences sur la position concurrentielle de la requérante aujourd’hui, ainsi que cela a été décrit ci-dessus.

178    Si la réussite de la requérante lors de l’appel d’offres pour équiper le B737 « déforme » les chiffres relatifs aux parts de marché des différents fabricants de moteurs, en ce sens qu’elle augmente la part de la requérante de manière significative, la Commission a valablement pu estimer que la part de marché importante de celle-ci, qui pour partie en résultait, était susceptible de modifier la situation concurrentielle sur le marché lui-même en faveur de cette dernière. En revanche, le fait pour la Commission de faire abstraction de l’appel d’offres remporté par la requérante représentant la réussite commerciale la plus importante sur le marché en question aurait certainement pu fausser son analyse à cet égard.

179    La circonstance, invoquée par la requérante, que le département de la justice américain a apparemment considéré qu’il était opportun d’exclure les ventes de moteurs attribuables aux ventes de cet aéronef pour apprécier la puissance de la requérante dans ce secteur est dénuée de pertinence aux fins de la présente procédure. À cet égard, le fait que les autorités compétentes d’un ou plusieurs États tiers apprécient une question d’une manière donnée dans le cadre de leurs propres procédures ne suffit pas en soi à infirmer l’appréciation divergente éventuellement retenue par les autorités communautaires compétentes. Les éléments et arguments avancés dans le cadre de la procédure administrative au niveau communautaire, de même que les règles juridiques applicables, ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux pris en compte par les autorités des États tiers en question, et les appréciations de part et d’autre peuvent diverger en conséquence. Si une partie considère que le raisonnement justifiant la conclusion des autorités d’un État tiers est particulièrement pertinent et transposable à une procédure communautaire, elle peut toujours l’invoquer sur le fond, ainsi que la requérante l’a fait en l’espèce, mais la force probante d’un tel raisonnement ne saurait être déterminante.

180    Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en tenant compte des ventes de moteurs destinés au B737.

 Conclusion sur les parts de marchés

181    Il y a lieu de conclure, compte tenu de l’ensemble de l’analyse qui précède, que les faits retenus par la Commission dans le cadre de son analyse des parts de marché de la requérante sont en substance établis. La Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que la part de marché de la requérante pouvait, dans les circonstances de l’espèce, indiquer l’existence d’une position dominante dans son chef sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille avant la concentration. Il convient de relever, en outre, qu’elle a fondé sa conclusion quant à l’existence d’une position dominante préexistante dans le chef de la requérante sur d’autres facteurs dans la décision attaquée, lesquels seront examinés par la suite.

c)     Intégration verticale – GE Capital et GECAS

 Introduction

182    Dans le cadre de son analyse de la position de GE sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, la Commission s’appuie également dans la décision attaquée, pour conclure à l’existence d’une dominance, sur le pouvoir économique et commercial exercé par deux filiales de GE, à savoir GE Capital et GECAS. Aux considérants 107 à 120, la Commission expose les raisons pour lesquelles elle considère que la puissance financière de GE Capital renforce la position dominante de la requérante et, aux considérants 121 à 139, elle expose celles pour lesquelles elle considère que l’existence et la politique commerciale de GECAS y contribuent également. Ensuite, aux considérants 140 à 145, la Commission relève qu’il serait impossible pour les concurrents de la requérante de reproduire une puissance analogue à celle de cette dernière. Enfin, la Commission avance également un certain nombre d’exemples et d’autres éléments relatifs à l’influence de GE Capital et de GECAS aux considérants 163 à 172, sous l’intitulé « Position dominante de GE ».

183    La requérante critique cette analyse en relevant, en particulier, qu’elle est peu orthodoxe, notamment dans la mesure où, en ce qui concerne GECAS, elle est fondée sur le prétendu exercice de puissance sur le marché en qualité d’acheteur d’un acteur dont la part des achats est inférieure à 10 % (points 103 et 104 ci‑dessus). La thèse de la Commission ne serait fondée sur aucune analyse économique susceptible de l’étayer. Dans la mesure où la Commission invoque un certain nombre d’exemples à l’appui de sa thèse, la requérante relève que les interventions de ses filiales dans le but de promouvoir ses moteurs sont indicatives de l’existence d’une concurrence très vive.

184    Il convient de rappeler que l’existence d’un certain degré de concurrence sur un marché n’est pas incompatible avec celle d’une position dominante sur ce même marché (voir arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, points 39 et 70, et United Brands/Commission, point 117 supra, point 113). En l’espèce, la Commission a constaté, en effet, qu’il existe un rapport concurrentiel entre les différents fabricants de moteurs pour avions commerciaux de grande taille. Toutefois, elle a constaté également que, à la différence de ses concurrents, la requérante avait des moyens à sa disposition grâce à ses filiales qui lui permettaient de s’imposer ponctuellement en remportant des marchés qu’elle n’aurait pas nécessairement pu remporter exclusivement sur la base d’une concurrence technique et sur les prix. Ainsi, l’existence d’appels d’offres concurrentiels invoquée par la requérante n’est pas incompatible avec la thèse de la Commission sur la pertinence de ces autres moyens d’influence.

185    Par ailleurs, la simple existence de GE Capital et le fait que le groupe GE bénéficie dès lors d’un indice de solvabilité maximal « AAA » (considérant 142 de la décision attaquée) ne sont pas des circonstances indicatives en elles-mêmes d’une position dominante de la requérante sur les marchés des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. La requérante relève à juste titre, à cet égard, que le droit de la concurrence ne sanctionne pas les entreprises simplement en raison de leur taille ou de leurs moyens financiers.

186    De même, la circonstance que GECAS est active dans le domaine de l’achat, du financement et du leasing des avions commerciaux de grande taille n’est pas en soi nuisible à la concurrence. Le simple fait pour une entreprise d’être, par le biais de l’une de ses filiales, en l’espèce GECAS, l’un des principaux clients de ses propres clients, à savoir Boeing et Airbus en l’espèce, ne saurait suffire à lui donner un pouvoir sur le marché constitutif d’une position dominante.

187    Toutefois, il convient de relever que la Commission n’avance pas, dans la décision attaquée, une théorie économique selon laquelle un acheteur de réacteurs représentant 8 à 10 % de l’ensemble des achats a, de ce simple fait, une puissance économique qui lui donne la possibilité d’éliminer l’un ou l’autre des fabricants de ces moteurs du marché. Elle n’affirme pas non plus que le fait que l’un des fabricants de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille est plus puissant financièrement que ses rivaux emporte en soi la conséquence qu’il peut évincer ces derniers, ni même que l’effet combiné de ces deux circonstances aboutit à cette conclusion dans une situation où l’acheteur d’avions et le fabricant de réacteurs relèveraient du même groupe de sociétés.

188    En revanche, la Commission a relevé, dans le cadre de son analyse de la position dominante préexistante de la requérante, que celle-ci exploite la puissance économique de ses filiales de manière « stratégique » pour accroître la puissance qu’elle a déjà, du fait de l’importance de ses ventes, sur les marchés de réacteurs. Il ressort de la décision attaquée que cette constatation factuelle est fondée, en ce qui concerne les réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, non pas sur une analyse économique de la question de savoir si un tel comportement était à la fois efficace et objectivement dans l’intérêt commercial de la requérante, mais sur la base d’éléments factuels recueillis au cours de la procédure administrative indiquant que ce comportement existe et qu’il favorise en pratique la vente des moteurs de la requérante vis-à-vis de ceux de ses concurrents.

189    Constatant l’existence de ce comportement stratégique, la Commission en a déduit que l’intégration verticale de la requérante avec ses filiales GE Capital et GECAS contribue à sa position dominante préexistante sur les marchés des réacteurs et, en particulier, sur le marché des réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille (respectivement, considérants 107 et suivants et 121 et suivants de la décision attaquée).

190    Il appartient au Tribunal de vérifier, dans le présent contexte, si la Commission a commis des erreurs de fait en constatant l’existence du comportement stratégique décrit ci-dessus et, en outre, si elle a commis une erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion selon laquelle ce comportement contribuait à la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des avions commerciaux de grande taille. Les considérations relatives à ces deux questions sont intimement liées, notamment en ce qui concerne les exemples spécifiques avancés, et seront examinées conjointement ci‑après dans le cadre des examens successifs, premièrement, de l’influence commerciale de GECAS, deuxièmement, de la puissance financière de GE Capital, troisièmement, des considérations relatives à l’exercice par GECAS et GE Capital de leur influence sur les clients de GE et, quatrièmement, des considérations relatives aux chiffres concernant l’évolution des parts de marché de la requérante après la création de GECAS au sein de son groupe.

 Influence commerciale de GECAS

–       Sur la politique « GE-only » de GECAS

191    Il est constant que GECAS a une politique d’achat « GE-only », consistant à acheter exclusivement des avions motorisés par GE. La seule exception à cette politique est constituée par l’achat de huit B757 (sur 1 040 avions, voir considérants 122 et 132 de la décision attaquée), avion pour lequel aucun moteur GE n’est disponible. En conséquence, la flotte de GECAS est constituée à plus de 99 % par des avions motorisés par la requérante ou l’entreprise commune CFMI.

192    La requérante est d’avis que la Commission ne saurait considérer que cette circonstance contribue à sa position dominante. À cet égard, la requérante renvoie dans sa requête, en particulier, à un rapport de Lexecon en annexe à celle-ci, selon lequel il est naturel pour une compagnie de leasing intégrée avec un fabricant de moteurs d’acheter ces derniers, parce qu’un autre choix pourrait donner l’impression d’un manque de confiance au sein du groupe dans ses propres réacteurs, que certains coûts liés à l’achat seront moindres et qu’il serait difficile pour une telle compagnie de leasing d’obtenir des conditions favorables auprès des concurrents directs d’une société de son propre groupe.

193    Il convient de constater, à cet égard, que, pour établir le bien-fondé de sa thèse quant à l’incidence du comportement de GECAS sur le marché des avions commerciaux de grande taille, la Commission n’a pas besoin de contester le caractère naturel du comportement de GECAS à cet égard, ni même de démontrer que l’objectif de la requérante en se lançant sur le marché du leasing était de promouvoir les ventes de ses propres moteurs. En effet, s’il est établi que la politique d’achat exclusive de GECAS favorise la vente des moteurs de la requérante sur le marché, cette constatation suffit pour que la Commission ait valablement pu considérer que ce facteur contribue à la position dominante de la requérante. Il s’ensuit que l’argumentation tenant au caractère prétendument naturel du comportement de GECAS est dénuée de pertinence en l’espèce.

194    En toute hypothèse, les arguments mentionnés au point 192 ci-dessus sont peu convaincants dans la mesure où le fait pour GECAS de se limiter à des opérations relatives aux moteurs de la requérante représente nécessairement une certaine charge commerciale. En effet, le fait pour tout acheteur de limiter volontairement ses sources d’approvisionnement par principe et non pas par référence à des critères commerciaux objectifs lui impose, par définition, un coût, sauf dans l’hypothèse exceptionnelle où les produits auxquels il se limite seraient systématiquement meilleurs et moins chers que les produits alternatifs. En revanche, les prétendues conséquences négatives de l’adoption par GECAS d’une politique d’achat neutre, avancées par la requérante, sont vagues et spéculatives, surtout dans la mesure où elles reposent essentiellement sur les positions commerciales qui seraient adoptées par des opérateurs tiers dans l’hypothèse où GECAS opterait pour une telle politique.

195    Abstraction faite, dès lors, de ces arguments, si la thèse de la requérante selon laquelle la préférence de GECAS n’augmente pas les ventes globales des réacteurs de GE était exacte, sa propre politique commerciale en ce qui concerne GECAS n’aurait plus aucun sens. En effet, le caractère quasi absolu de cette préférence pour les moteurs de GE, affichée par GECAS, est lui-même un indice fort de la nature stratégique de cette politique.

–       Sur la position commerciale de GECAS

196    La requérante fait valoir qu’ILFC est un acheteur bien plus important d’avions commerciaux de grande taille que GECAS. Spécifiquement, elle soutient que, au 1er mars 2001, ILFC avait en commande presque le double du nombre d’avions commerciaux de grande taille par rapport à GECAS, à savoir 529 contre 268 pour GECAS. En revanche, dans la décision attaquée, la Commission relève que GECAS est le plus grand acheteur d’avions dans le monde et qu’elle est deux fois plus grande qu’ILFC en ce qui concerne le nombre d’avions dans sa flotte, ayant 1 040 avions en tout contre [400 à 500] pour ILFC. La Commission cite également des chiffres globaux pour tous les avions à réaction, selon lesquels les commandes de GECAS s’élevaient à 796, tandis que celles d’ILFC à 535 à la fin de l’année 2000. En ce qui concerne ces derniers chiffres, il convient de relever qu’ils concernent aussi bien les avions régionaux de grande taille que les avions commerciaux de grande taille, ce qui explique la différence par rapport aux chiffres avancés par la requérante.

197    Compte tenu de la taille de la flotte de GECAS, la circonstance que, selon d’autres paramètres, ILFC est plus grande n’emporte pas la conséquence que la Commission ait commis une erreur de fait ou une erreur manifeste d’appréciation, en considérant que GECAS est la plus grande compagnie de leasing, ni que, au cours des années qui ont précédé la concentration, elle a été le plus grand acheteur d’avions au monde.

198    Il convient d’ajouter que la validité du raisonnement de la Commission ne dépend pas du point de savoir si la part exacte des achats des avions commerciaux de grande taille, et, partant, des moteurs les équipant, représentée par les achats de GECAS était de 10 % – comme l’affirme la Commission au considérant 122 de la décision attaquée – ou de 7 à 8 % – comme le soutient la requérante. En effet, la différence entre ces chiffres n’affecte pas l’analyse de la Commission de manière significative. Ce qui est important dans le présent contexte est la question de savoir si GECAS était en mesure, concrètement, du fait de son activité d’achat et de leasing d’avions, d’exercer une influence significative sur les choix de moteurs faits par les avionneurs et les compagnies aériennes.

199    À cet égard, le fait pour la requérante d’avoir une part de marché de 7 à 10 % qui lui était, de fait, réservée, grâce à la politique d’achat préférentielle de GECAS, représentait en lui-même un avantage non négligeable pour elle. En effet, à supposer même que les achats préférentiels de GECAS aient été compensés en pratique, du moins dans une certaine mesure, par ceux des autres compagnies de leasing, la requérante, à la différence de ses concurrents, pouvait prévoir une certaine proportion de ses ventes avec un degré de certitude élevé, tandis que les éventuels achats compensatoires par les autres compagnies de leasing constituaient au mieux des ventes potentielles du point de vue des autres motoristes jusqu’à leur réalisation.

200    De plus, aux considérants 140 à 145 de la décision attaquée, la Commission expose l’impossibilité pour les concurrents de la requérante de reproduire une compagnie de leasing équivalente à GECAS et, aux considérants 209 et 210, elle relève que Pembroke, la compagnie de leasing dans laquelle Rolls-Royce a une participation de 50 %, n’est pas comparable à GECAS et n’a pas une politique d’achat exclusive en faveur des moteurs de Rolls-Royce. La requérante ne conteste pas ces constatations factuelles, mais riposte que les concurrents sont en mesure de faire face à la concurrence de la requérante nonobstant l’existence de GECAS. Il y a lieu de conclure que les considérants en question sont exacts et pertinents en ce qu’ils constatent l’exclusion de l’une des voies possibles par lesquelles les concurrents de la requérante pourraient concourir avec cette dernière.

 Puissance financière de GE Capital

201    La Commission a constaté, sans être contredite par la requérante, que la puissance financière de GE Capital profite à l’ensemble du groupe de compagnies dont elle relève, notamment dans la mesure où elles bénéficient d’une notation de solvabilité « AAA » qui leur permet d’avoir accès plus facilement que leurs concurrents aux marchés financiers (voir considérant 142 de la décision attaquée et note en bas de page n° 32).

202    Force est donc pour le Tribunal de prendre acte de cet état de fait.

 Considérations relatives à l’exercice par GECAS et GE Capital de leur influence sur les clients de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

203    Au cours de son raisonnement, la Commission analyse deux situations distinctes, à savoir, premièrement, celle où l’avionneur choisit un moteur à titre exclusif pour propulser une nouvelle plate-forme et, deuxièmement, celle où le choix final du moteur est fait par la compagnie aérienne parmi les différents moteurs certifiés pour une plate-forme multisource. Selon elle, dans la première de ces situations, c’est l’influence exercée par les filiales de la requérante sur l’avionneur qui entre en ligne de compte, tandis que, dans la seconde situation, c’est leur influence auprès des compagnies aériennes qui est plus pertinente.

204    La requérante s’insurge contre l’ensemble de ce raisonnement en faisant valoir, en particulier, que, au regard des théories économiques, il n’est pas admis qu’un acheteur représentant moins de 10 % des achats sur un marché donné puisse exercer une influence commerciale significative sur celui-ci. Dès lors, les différents exemples et considérations avancés par la Commission à cet égard seraient entièrement dénués de pertinence.

–       Sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales sur les avionneurs

205    En ce qui concerne l’influence de GE Capital et de GECAS sur les avionneurs, la Commission s’appuie, en particulier, en ce qui concerne les avions commerciaux de grande taille, sur un exemple concernant le B777X (version allongée du B777) de Boeing. La Commission relève, au considérant 166 de la décision attaquée, que la requérante a obtenu cette exclusivité grâce à une conjugaison d’éléments que ses concurrents ne pouvaient égaler, bien que tous fussent techniquement capables de fournir le moteur. Elle invoque à cet égard des documents internes de GE qui confirmeraient que l’offre combinée qui a remporté le marché comprenait […]

206    En particulier, deux documents du 12 mai 1999 portant les numéros 120 CID 000168 et 120 CID 000166 contiennent, respectivement, les passages suivants : « […] » et « […] ».

207    À l’audience, la requérante a reconnu que GECAS avait « joué un rôle » dans la sélection du réacteur équipant cette plate-forme d’avion, mais elle fait valoir que le contrat signé par la requérante et Boeing en octobre 1999 ne reflète pas le contenu de ces documents, notamment dans la mesure où les commandes prévues de GECAS n’étaient pas traitées comme des commandes de lancement et devaient faire l’objet de négociations ultérieures. Toutefois, le contrat en question n’a pas été produit devant le Tribunal. En revanche, la Commission a relevé dans son mémoire en défense, sans être contredite à cet égard par la requérante, qu’en juillet 2000 Boeing a annoncé que GECAS avait […], ce qui corrobore l’information contenue dans les deux documents internes susmentionnés.

208    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il est établi à suffisance de droit que GECAS s’est engagée avant le lancement du B777X de Boeing, que ce soit de manière juridiquement contraignante ou simplement sur le plan commercial, à […] et que cet engagement a aidé la requérante à remporter le contrat relatif aux réacteurs devant équiper la plate-forme en question à titre exclusif.

209    En ce qui concerne […], la requérante a relevé à l’audience que GE Capital n’a joué aucun rôle dans les négociations relatives à ce projet, […] Cette circonstance n’est pas incompatible avec la thèse de la Commission, dès lors que cette dernière n’a pas prétendu, dans la décision attaquée, que c’est GE Capital qui […] L’identité de la personne morale au sein du groupe GE, qui […], est indifférente dès lors qu’il est constant qu’il s’agit d’une […]

210    La Commission relève également par rapport à cet exemple, au considérant 160 de la décision attaquée, que GE « était réellement distancée par [Rolls-Royce] mais suivant de près P & W en termes de commandes des réacteurs pour la version classique [du B777] », mais qu’elle a pallié cette possible restriction de l’avantage de la standardisation en obtenant l’exclusivité sur la fourniture du réacteur pour le B777X. Pour la Commission, les événements qui ont abouti au choix par Boeing du moteur de la requérante pour le B777X démontrent que la requérante a été en mesure, grâce à l’apport commercial de ses filiales, de remporter ce marché à titre exclusif, nonobstant les faiblesses de son produit à certains égards, dont la requérante ne conteste pas l’existence.

211    À cet égard, la requérante affirme elle-même qu’elle a été obligée d’accorder d’importantes ristournes pour équiper le B777X, son réacteur ayant été moins compétitif que ceux de P & W et Rolls‑Royce sur la version classique de cette plate-forme. Elle déduit de cette circonstance que la concurrence sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille est intense.

212    Dans la mesure où la requérante soutient qu’elle a été obligée d’accorder des ristournes afin de remporter l’appel d’offres relatif au B777X, le fait pour un fournisseur de réacteurs […] (voir point 205 ci-dessus) n’est pas équivalent au fait d’accorder des ristournes. En effet, […]

213    Il y a lieu de considérer que le fait pour la requérante de pouvoir offrir des conditions commerciales comme celles qu’elle a proposées à Boeing en l’espèce reflète son indépendance vis-à-vis de ses concurrents au sens de la jurisprudence citée au point 117 ci-dessus. En effet, l’impossibilité pour elle d’avoir développé un moteur qui soit l’égal objectif de ceux de ses concurrents ne l’a pas empêchée de remporter ce marché. GE a pu décider, dans le contexte d’un appel d’offres qu’elle aurait probablement perdu si la qualité de son produit et le prix à verser à la livraison avaient été les seuls critères pertinents, qu’il y avait lieu de renverser cette situation par l’emploi de moyens externes au marché pertinent.

214    Il s’ensuit que, en ce qui concerne cet aspect essentiel de sa politique commerciale, la requérante a pu se comporter de manière indépendante. La Commission a donc légalement considéré dans la décision attaquée (voir, en particulier, considérants 121 et suivants, 162 et suivants et 229), que le fait pour la requérante de faire ces sacrifices à la différence, ou à tout le moins dans une plus grande mesure, de ses concurrents est une manifestation de son indépendance commerciale. En effet, elle est préservée dans une mesure considérable par les différentes possibilités commerciales dont elle dispose des effets de la pression commerciale immédiate résultant de la concurrence de P & W et de Rolls‑Royce. Elle peut donc se permettre de […] sans, pour autant, subir des effets préjudiciables du fait de cette attitude.

215    Il convient de rappeler également à cet égard que l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, porte sur des marchés de produits de consommation courante, tandis que la présente affaire concerne des produits qui sont vendus dans le cadre d’appels d’offres qui ont lieu périodiquement, dont chacun porte sur des ventes d’une valeur élevée et qui sont caractérisés par des négociations itératives. Dans un tel contexte, il y aura nécessairement des concessions financières, sous une forme ou sous une autre, de la part des soumissionnaires dans la mesure où ces phénomènes font partie intégrante d’un tel processus de négociations. Ainsi, le simple fait que la requérante a proposé des ristournes pour remporter certains appels d’offres n’est pas incompatible en soi, dans le présent contexte, avec l’existence d’une position dominante dans son chef.

216    Il y a lieu de considérer, compte tenu de ce qui précède, que la Commission a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation à cet égard, que le fait pour la requérante de remporter l’appel d’offre relatif à la motorisation exclusive du B777X, grâce à l’apport commercial de ses filiales, était indicatif non pas du caractère sain de la concurrence, mais de sa puissance sur le marché.

217    La requérante conteste également l’affirmation de la Commission selon laquelle GECAS a agi comme un « client de lancement » (launch customer) ou « client de relance » (boost customer) (considérants 133 et 193 de la décision attaquée), notamment pour […], et fait valoir que, si GECAS n’a pas agi en cette qualité, la thèse de la Commission quant à l’importance de l’influence commerciale de GECAS en est faussée. La requérante soutient que les témoignages de […] ainsi que ceux de […] et de […] confirment que GECAS ne joue pas le rôle de client de lancement. Selon la requérante, un client de lancement est un client qui passe des précommandes sur lesquelles l’avionneur se base pour déterminer s’il va commencer la production d’un appareil donné. Selon elle, les compagnies de leasing ne seraient pas considérées, d’une manière générale, comme des clients de lancement. La Commission qualifie l’attitude de […] à cet égard de « curieuse ». Elle relève que […] a initialement indiqué avoir joué le rôle de client de lancement pour plusieurs avions […] et de […], mais que […] semble avoir changé sa définition de cette notion par la suite et n’a reconnu formellement cette qualité à […], à l’opposé de celle de simple participante au lancement, que pour le […]

218    Il y a lieu de constater d’abord que les références dans la décision attaquée à la notion de « client de relance » n’ajoutent rien à son raisonnement. Si le fait que GECAS commande des avions par la suite peut augmenter le nombre d’avions motorisés par GE présents dans les flottes des compagnies aériennes, de telles commandes ultérieures interviennent trop tard pour influencer le choix de l’avionneur de manière directe. C’est au moment du lancement initial d’un avion que son fabricant décide quel moteur l’équipera ou, le cas échéant, quels moteurs seront disponibles sur la plate-forme. Il s’ensuit, en principe, que GECAS ne peut influer sur le choix de moteur ou de moteurs de l’avionneur qu’au moment du lancement de la plate-forme.

219    Il convient de relever, toutefois, que le caractère opportun de l’étiquette « client de lancement », ainsi que le caractère utile ou inutile de la notion de « client de relance », par rapport au rôle joué par les compagnies de leasing en général et par GECAS en particulier vis-à-vis des avionneurs est d’une importance minimale dans le contexte plus large du raisonnement de la Commission. Ce qui importe à cet égard est la question de savoir si GECAS est en mesure d’influencer le choix de moteur fait par des avionneurs pour équiper concrètement certaines plates-formes. Or, il ressort concrètement de l’exemple relatif au B777X, examiné ci‑dessus, que l’intervention de GECAS a contribué de manière considérable au fait que Boeing a décidé de retenir le moteur de la requérante à titre exclusif. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que GECAS dispose effectivement de l’influence constatée par la Commission sans qu’il y ait besoin de déterminer si les avionneurs l’ont considérée comme « client de lancement » ou comme « client de relance ».

–       Sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales sur les compagnies aériennes

220    Quant à l’influence des filiales de la requérante sur les compagnies aériennes, la Commission relève que l’influence de GECAS va très largement au-delà du simple fait qu’elle achète environ 10 % des avions commerciaux de grande taille vendus dans le monde, dès lors qu’elle achète des avions motorisés par GE de manière spéculative, c’est-à-dire avant que n’existe un client final déterminé pour ces avions (considérant 123 de la décision attaquée), de sorte qu’elle peut « amorcer » (seed) la vente des moteurs de GE auprès des petites compagnies aériennes, ce qui crée, maintient et renforce la position de GE, notamment du fait des considérations relatives à la standardisation examinées ci-dessus (voir considérant 125 de la décision attaquée).

221    La Commission invoque à cet égard, au considérant 135 de la décision attaquée, le cas de China Eastern, décrit au point 157 ci-dessus dans le contexte des effets de la standardisation. Il ressort du passage du rapport annuel 1999 de GE, cité audit considérant, que GECAS a aidé cette compagnie à plusieurs égards, y compris dans le but de standardiser sa flotte « autour d’Airbus à fuselage étroit équipés de réacteurs CFM[I] ». Une telle standardisation d’une flotte grâce à l’intervention de GECAS correspond au phénomène d’« amorçage » décrit par la Commission en ce que GECAS favorise la création d’une situation dans laquelle la standardisation pèse en faveur de l’achat, par une compagnie aérienne donnée, de moteurs de la requérante à l’avenir. Dès lors, le passage en cause étaye la thèse de la Commission quant à l’existence de ce phénomène.

222    Au considérant 136 de la décision attaquée, et plus particulièrement dans la note en bas de page n° 45 de celle-ci, la Commission a invoqué un exemple relatif à […], qu’elle a décrit en détail au considérant 192, dans la section de la décision attaquée consacrée à son analyse de P & W. Il ressort d’un courrier électronique interne de la requérante cité audit considérant 192, notamment, ce qui suit : « […] » L’auteur du courrier en question s’est également félicité de ce que cette réussite avait […] Il a relevé en outre que « […] ».

223    Il ressort de ces exemples spécifiques que la requérante elle-même considère que, dans certains cas, les services de leasing que GECAS est en mesure de proposer aux compagnies aériennes ont joué un rôle important en permettant à la requérante d’obtenir un contrat pour motoriser les aéronefs d’une compagnie aérienne.

224    Un autre élément, le document interne de GECAS n° 702 CID 000080, invoqué par la Commission devant le Tribunal pour rejeter l’allégation de la requérante selon laquelle GECAS n’avait pas l’objectif stratégique de promouvoir les moteurs de la requérante, est libellé comme suit : « […] ». Ce document confirme, en effet, l’existence d’un tel objectif stratégique.

225    En ce qui concerne l’apport stratégique de GE Capital par rapport aux compagnies aériennes, la Commission cite également un article qu’elle présente comme étant rédigé par le président et directeur général de la requérante à l’époque des faits, Jack Welch, au considérant 117 de la décision attaquée :

« Et qu’apporte [GE] Capital à GE ? D’une part, des clients précieux : [GE] Capital fournit des financements aux clients des directions opérationnelles de GE, telles que Aircraft, Power Systems et Automotive, ce qui les aide à décrocher des contrats importants. La menace de faillite qui pesait sur Continental Airlines en 1993 a constitué un des exemples les plus notables de l’existence d’un lien éventuel. Les prêts accordés par GE Capital ont aidé Continental à se remettre à voler. Ensuite, Continental a passé une grosse commande d’avions neufs – la plupart équipés de réacteurs de GE. D’après le consultant Tichy : ‘[GE] Capital fait partie de l’arsenal dont disposent les branches industrielles de GE pour faire échec à la concurrence’. »

226    La requérante constate, en ce qui concerne une citation du même article dans le mémoire en défense, que cet article a été rédigé par un journaliste du magazine « Fortune ». Toutefois, sans que cela soit contesté par la requérante, la Commission a relevé, notamment dans la décision attaquée aux notes en bas de page 37 et 38, que la requérante avait elle-même publié l’article en question sur son site internet. Il ressort de cette publication électronique que la requérante ne contestait pas, voire qu’elle assumait, l’analyse qui y était présentée.

227    La Commission expose ensuite, aux considérants 118 à 120 de la décision attaquée, que, depuis l’intervention financière décrite dans la citation en cause, Continental Airlines a toujours choisi des moteurs de la requérante à chaque fois qu’elle a acheté des avions commerciaux de grande taille pour lesquels ce choix était possible. La Commission en déduit que le soutien financier apporté par GE Capital à Continental Airlines semble avoir été conditionné par l’adoption par cette dernière d’une politique préférentielle concernant les réacteurs de la requérante.

228    La requérante ne conteste pas les données factuelles relatives à ces exemples en tant que telles. Elle ne commente pas l’exemple relatif à China Eastern et, en ce qui concerne l’exemple examiné au point 222 ci-dessus, elle relève que dans le courrier électronique en question il est également indiqué que la campagne commerciale visée avait été très ardue. Quant à l’exemple de Continental Airlines, la requérante soutient qu’il s’agit d’un cas isolé et allègue que la Commission ne cherche pas à déterminer l’importance ou l’impact de la pratique qu’elle décrit. Il y a lieu de considérer que ces arguments n’infirment pas la thèse de la Commission, dès lors que celle-ci a exposé d’une manière adéquate, dans la décision attaquée, la pertinence de ces exemples par rapport au rôle joué par GECAS et GE Capital pour promouvoir les moteurs pour avions commerciaux de grande taille de la requérante auprès des compagnies aériennes.

–       Conclusion sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales

229    Au vu de tout ce qui précède et compte tenu, notamment, des exemples concrets retenus par la Commission pour attester de l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance commerciale de ses filiales dont la véracité et la pertinence n’ont pas été infirmées dans le cadre de la présente procédure, le grief de la requérante tenant à l’absence d’une telle influence doit être rejeté. En particulier, ses arguments fondés sur le caractère prétendument hétérodoxe, au regard des théories économiques, des constatations de la Commission ne sauraient l’emporter sur les preuves solides apportées par cette dernière.

 Considérations relatives aux chiffres concernant l’évolution des parts de marché de la requérante après le commencement par GECAS de son activité d’achat et de leasing d’avions

230    Au considérant 138 de la décision attaquée, la Commission a comparé la position de la requérante sur le marché avant le commencement par GECAS de ses achats spéculatifs (de 1988 à 1995) avec celle prévalant après cette date (de 1996 à 2000). Elle constate que, si les ventes de réacteurs de GE aux sociétés de leasing, y compris à GECAS, ont augmenté de plus de 20 points de parts de marché (soit une augmentation de plus de 60 %), les achats directs de moteurs de GE par les compagnies aériennes ont diminué de moins de 5 points seulement (soit moins de 10 %). La Commission en déduit que d’autres sociétés de leasing et compagnies aériennes n’ont pas compensé les achats à caractère partial de GECAS et que l’activité de celle-ci a donc entraîné une réorientation, en termes nets, des parts de marché en faveur de GE.

231    La requérante relève, à juste titre, que le raisonnement susmentionné ne permet pas de comparer la taille de la partie du marché représentée par les achats des compagnies de leasing à celle représentée par les achats directs des compagnies aériennes. Il s’ensuit, en effet, que la Commission n’a pas démontré, par référence à ces statistiques, que GECAS a fait progresser globalement la part de marché de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

232    La requérante relève, en outre, que les chiffres qu’elle a avancés elle-même, notamment ceux contenus dans une annexe à sa requête, à savoir l’analyse du professeur Nalebuff (annexe 7.4), relatifs aux achats de toutes les compagnies de leasing, y compris GECAS, démontrent l’absence d’un effet positif de l’activité de GECAS sur les ventes de la requérante et la réalité d’un phénomène de compensation favorisant l’achat des moteurs des autres motoristes que GE de la part des autres compagnies de leasing en réaction à la politique préférentielle de GECAS. La requérante invoque à cet égard une affirmation de la Commission, figurant dans son mémoire en duplique, selon laquelle les ventes de la requérante ont diminué pour atteindre […] %, au lieu de […] %, grâce aux achats de GECAS, pour démontrer le caractère erroné de la thèse de la Commission quant à l’augmentation de la part de marché de la requérante attribuable à GECAS.

233    Il y a lieu de relever que les chiffres avancés dans le rapport du professeur Nalebuff se rapportent aux seules plates-formes multisources pour lesquelles il existe un choix entre un moteur CFMI/GE et un autre moteur. Ces chiffres excluent donc tous les avions pour lesquels un seul moteur a été certifié, et notamment le B737, motorisé à titre exclusif par la requérante. Ainsi, dans la mesure où la requérante relève que sa part de marché a baissé selon la Commission elle-même, il s’agit d’une affirmation extraite de son contexte se rapportant à une partie seulement du marché des réacteurs d’avions commerciaux de grande taille.

234    En outre, la Commission critique les choix faits par le professeur Nalebuff concernant le traitement des statistiques, notamment dans la mesure où il a supposé que les sélections déjà effectuées par les utilisateurs finaux pour un nombre limité d’avions seraient reflétées par les choix futurs pour les autres avions commandés par les compagnies de leasing pour lesquels le moteur n’a pas encore été choisi. Il y a lieu de constater, en effet, que, pour les années les plus récentes, le nombre de commandes pour lesquelles le moteur n’avait pas encore été sélectionné était particulièrement élevé dans les chiffres utilisés par le professeur Nalebuff, ce qui est inévitable, mais ce qui réduit fortement la fiabilité de ces chiffres. Étant donné que c’est en comparant les trois années les plus récentes, 1998, 1999 et 2000, à une période antérieure, de 1991 à 1997, que le professeur Nalebuff est arrivé à la conclusion selon laquelle les autres compagnies de leasing avaient réagi contre la préférence de GECAS, ce manque de fiabilité entache également ladite conclusion.

235    Il convient de constater qu’une certaine augmentation de la proportion de réacteurs fabriqués par les concurrents de la requérante achetés par les compagnies de leasing est inévitable, sauf à considérer que l’effet de déplacement des parts de marché résultant des achats de GECAS est parfaitement efficace en ce sens que chaque moteur fabriqué par la requérante acheté par GECAS représente une vente supplémentaire par rapport à celles qui auraient été réalisées en son absence. Il existe forcément une demande pour les réacteurs des concurrents de la requérante, compte tenu notamment des avantages de la standardisation relevés ci-dessus, certaines compagnies aériennes ayant opté pour ces réacteurs par le passé. Étant donné que GECAS a pris une part significative du marché de leasing et n’achète pas, en principe, de réacteurs fabriqués par les concurrents de la requérante, cette demande pour les autres moteurs sera nécessairement absorbée par les autres compagnies de leasing.

236    Quant à l’argument de la requérante selon lequel les autres compagnies de leasing réagiront consciemment à la préférence de GECAS pour promouvoir les autres réacteurs, il ne peut être pertinent que dans la mesure où ces compagnies choisissent elles-mêmes le moteur équipant l’avion. Or, la Commission constate dans la décision attaquée que, en ce qui concerne les commandes récentes d’ILFC, le choix du moteur restait, dans la grande majorité des cas, « à déterminer », contrairement à la politique « GE-only » de GECAS, ce qui permettait ainsi aux futurs clients d’ILFC, à savoir les compagnies aériennes, de participer au choix du réacteur (considérant 137 de la décision attaquée). Cette circonstance factuelle est confirmée par les chiffres avancés par la requérante elle-même contenus dans le rapport du professeur Nalebuff.

237    Ainsi que cela a été constaté ci-dessus, la Commission a relevé dans la décision attaquée que la part de marché de la requérante, mesurée en termes de base installée de réacteurs, a progressé à partir de la fin de 1995 (considérants 74 à 76 de la décision attaquée et son annexe I). Toutefois, la requérante constate que l’augmentation de la base installée de la requérante à partir de 1995 ne saurait être attribuée à GECAS dès lors que, sur cette augmentation de […] moteurs, […] moteurs seulement sont attribuables à des commandes passées par GECAS. La Commission ne conteste pas ces chiffres, mais elle invoque le caractère retardé de l’effet des commandes passées après le commencement de l’activité de GECAS en ce qui concerne la base installée de réacteurs, celle-ci étant une mesure de la part de marché qui dépend de la livraison effective de l’aéronef, accompagné des réacteurs qui le motorisent. Elle relève également que la base installée des moteurs de la requérante a nettement augmentée à partir de 1999, année à partir de laquelle l’effet GECAS a pu commencer à se faire sentir.

238    Il convient donc de relever que, si les moteurs achetés par GECAS représentent un certain apport à l’augmentation de la base installée de la requérante invoquée dans la décision attaquée, et que cet apport semble lui-même être en train de devenir progressivement plus important, il demeure minime. Néanmoins, cette circonstance ne démontre pas que GECAS n’a pas d’effet significatif sur le rapport de force sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. En réalité, et compte tenu notamment des constatations faites au point précédent, il est trop tôt pour apprécier l’ampleur de l’impact de GECAS sur les chiffres concernant l’évolution de la base installée de réacteurs. Dans ces conditions, s’il découle de la décision attaquée que le début des achats effectués par GECAS a coïncidé avec l’augmentation de la part de marché de la requérante en ce qui concerne la base installée, la Commission n’a pas prouvé dans la décision attaquée qu’il existe un lien de cause à effet entre ces deux circonstances.

239    À la lumière de l’ensemble de ce qui précède, il convient de relever que la Commission n’a pas établi, sur le plan factuel, que l’activité d’achat de GECAS a eu pour effet d’augmenter la part de marché globale de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. En revanche, la requérante n’a pas réussi à démontrer non plus que GECAS n’a eu aucun effet positif sur la part de marché globale de la requérante, ni que les autres compagnies de leasing ont réagi à la préférence de GECAS en adoptant une préférence contraire en faveur des moteurs de ses concurrents.

240    Compte tenu de ces constatations, il y a lieu de conclure que le débat statistique entre les parties, examiné ci-dessus, est neutre. L’absence d’appui statistique du raisonnement de la Commission doit être prise en compte pour apprécier la validité de celui-ci dans son ensemble. Cependant, il convient de tenir compte également du fait que la thèse contraire de la requérante, selon laquelle l’activité de GECAS n’a eu aucun impact sur le marché, n’est pas établie non plus par les chiffres en cause.

 Conclusion sur l’intégration verticale

241    Sur la base des éléments de preuve invoqués ci-dessus, la Commission a valablement pu considérer que la requérante avait à sa disposition, du fait des activités de ces filiales, des moyens commerciaux qu’elle avait exploités, du moins dans certains cas, pour remporter des marchés qu’elle n’aurait probablement pas remportés en l’absence de leur intervention. En effet, dans certains cas, GECAS et/ou GE Capital ont joué un rôle déterminant dans le choix de moteur par l’avionneur ou par la compagnie aérienne. De plus, les documents cités par la Commission établissent que la requérante a une politique commerciale consistant à faire usage de ce pouvoir pour augmenter sa puissance sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

242    Le fait que la Commission n’est pas parvenue à démontrer par référence à des données statistiques, dans la décision attaquée, que l’utilisation par la requérante de ce pouvoir a eu un impact positif sur sa part globale du marché des réacteurs d’avions commerciaux de grande taille n’infirme pas sa thèse sur l’influence commerciale exercée par GECAS. La Commission ayant démontré, concernant des cas spécifiques, que la requérante a délibérément utilisé les possibilités commerciales résultant de l’activité de GECAS et de la puissance financière de GE Capital pour promouvoir ses réacteurs, et que cette politique a porté ses fruits, elle a prouvé à suffisance de droit son analyse quant au fait que l’utilisation de ces leviers commerciaux contribue à sa position dominante.

d)     Situation concurrentielle sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

243    La requérante remet en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle la requérante avait la capacité d’éliminer toute concurrence effective de la part de P & W et de Rolls-Royce sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille (considérant 163 de la décision attaquée et point 109 supra). Il suffit de relever à cet égard que la Commission n’avait pas besoin de démontrer qu’une telle élimination serait la conséquence de la position de la requérante sur ce marché pour établir que cette position était une position dominante (voir point 114 ci-dessus). En effet, si une telle conséquence serait la manifestation la plus extrême de l’existence d’une telle position, elle n’en résulterait pas nécessairement. Ainsi, cette argumentation de la requérante fondée sur une prétendue absence des preuves d’une telle exclusion est sans pertinence dans le présent contexte.

244    Il convient de constater également que, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué, au considérant 164, que la requérante a réussi à placer ses produits sur dix des douze dernières plates-formes pour lesquelles les avionneurs proposaient des positions d’exclusivité. Dans son mémoire en défense, la Commission a relevé à cet égard que la requérante a remporté l’ensemble des appels d’offres pour les plates-formes auxquels elle a participé. La requérante conteste cette analyse en considérant, au contraire, que la concurrence sur le marché en cause est vive.

245    La requérante relève, à juste titre, que plusieurs de ces plates-formes n’étaient pas des plates-formes d’avions commerciaux de grande taille, mais des plates-formes d’avions régionaux de grande ou de petite taille. Étant donné que la Commission a défini trois marchés distincts correspondant à ces trois catégories d’avions, aux fins d’apprécier l’existence d’une position dominante, le chiffre invoqué à cet égard est sans pertinence en soi pour chacun des trois marchés, notamment pour celui des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

246    De même, l’exemple invoqué par la requérante pour démontrer qu’elle n’a pas remporté tous les appels d’offres d’exclusivité auxquels elle a participé se rapporte à un petit avion régional, l’ERJ‑145. Cet exemple est donc sans pertinence pour la présente affaire, la Commission n’ayant pas analysé ce marché dans la décision attaquée.

247    À l’audience, la requérante a analysé les quatre appels d’offres les plus récents pour motoriser des avions commerciaux de grande taille. Elle fait valoir que pour l’A318 d’Airbus, un seul moteur, celui de P & W, a initialement été certifié et qu’un moteur de CFMI a été certifié en outre par la suite. À la suite de négociations qui n’ont pas abouti entre GE et Airbus pour la motorisation de l’A340 500‑600, cette dernière a sélectionné un moteur de Rolls-Royce à titre exclusif. Sur l’A380, les deux moteurs certifiés sont celui de Rolls-Royce et celui de l’Engine Alliance, et, enfin, la requérante a remporté l’appel d’offres relatif au B777X malgré la concurrence vigoureuse de Rolls-Royce. La requérante déduit de ces exemples, pris dans leur ensemble, qu’elle n’est pas en position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

248    En ce qui concerne spécifiquement l’exemple relatif à la motorisation de l’A340 500‑600, la Commission a examiné l’appel d’offres en cause au considérant 170 de la décision attaquée où elle relève que […] La requérante ne conteste pas ce fait mais relève que […] Toutefois, […], cette argumentation n’infirme pas la conclusion de la Commission selon laquelle cet exemple est compatible avec l’expression de la position dominante de GE.

249    D’une manière plus générale, les quatre appels d’offres discutés par la requérante à l’audience n’établissent pas l’existence d’une erreur manifeste dans le chef de la Commission concernant l’existence d’une position dominante dans le chef de la requérante. Il découle effectivement de ces exemples qu’il existait une concurrence sur le marché des moteurs pour avions commerciaux de grande taille. Toutefois, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, la simple existence d’une concurrence sur le marché n’est pas incompatible avec l’idée selon laquelle un des concurrents en présence dispose de tels moyens qu’il est indépendant de ses concurrents dans une large mesure. En effet, l’existence d’une position dominante n’est pas synonyme de monopole ; dès lors, l’existence de marchés remportés par les concurrents de l’entreprise dominante ne suffit pas en soi à infirmer la conclusion selon laquelle elle est en position dominante.

250    De même, les constatations faites aux points 244 et 245 ci-dessus quant à l’absence de pertinence de certaines affirmations dans la décision attaquée ne sont pas déterminantes dans l’économie générale de l’analyse de la position dominante préexistante de la requérante sur le marché en cause. Dès lors, elles n’infirment pas la conclusion de la Commission relative à l’existence de cette position dominante préexistante.

e)     Absence ou faiblesse de pression concurrentielle et commerciale

 Pression exercée par les concurrents

251    En ce qui concerne les concurrents de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, la Commission relève, dans la décision attaquée, que les parts de marché de P & W sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille déclinent inexorablement (considérants 174 à 195 de la décision attaquée) et que Rolls-Royce est techniquement un concurrent redoutable mais qui […], compte tenu notamment de sa petite taille vis-à-vis de la requérante (considérants 196 à 223).

252    La requérante relève que, dans la décision Engine Alliance, la Commission a considéré que P & W et Rolls-Royce étaient des concurrents sérieux et viables de la requérante. Il convient de rappeler à cet égard que ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal ne sont liés en l’espèce par les constatations dans la décision Engine Alliance (voir points 118 et 120 ci-dessus, et la jurisprudence citée).

253    Il convient de relever que l’appréciation du rapport de force entre les différentes entreprises en concurrence sur un marché relève en principe d’une appréciation économique complexe pour laquelle la Commission dispose d’une marge d’appréciation (voir, en particulier, points 60 et suivants ci-dessus, et la jurisprudence citée).

254    En l’espèce, la Commission ne nie pas l’existence d’une certaine concurrence de la part de P & W et de Rolls-Royce sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

–       Sur la position de P & W

255    Concernant spécifiquement P & W, la Commission avance des éléments de preuve documentaires ainsi que des chiffres dont il ressort que les moteurs fabriqués par ce motoriste propulsent principalement des avions qui ne sont plus en production et que sa part de marché décline.

256    Ce déclin relatif est reflété, en particulier, par la circonstance que sa part de marché pour la base installée de moteurs sur des avions qui ne sont plus en production est plus élevée que sa part de marché de la base installée de moteurs sur les avions qui sont encore en production (considérant 81 de la décision attaquée). De plus, sa part de la base installée des moteurs sur les avions qui sont toujours en production (26,5 %) est plus élevée que sa part de marché en ce qui concerne les moteurs sur commande, qui est de 16 % seulement.

257    La Commission invoque, notamment, des affirmations faites par le président d’UTC, société mère de P & W, le 22 septembre 1999 et rapportées par un employé de la requérante dans une note interne, selon lesquelles plus de moteurs de P & W sont retirés du service actuellement que de moteurs des autres motoristes et que la moitié des 450 avions « au sol » (parked, c’est-à-dire stationnés) en 1999 était motorisée par elle (considérant 177 de la décision attaquée). Selon le rapport annuel d’UTC de 2000, les revenus de P & W ont décliné de 202 millions de USD, soit 3 % entre 1998 et 1999, ce qui traduit le recul des livraisons de moteurs civils et militaires et la contraction en volume des pièces détachées d’appareils commerciaux, compensés en partie, notamment, par une progression de l’activité de révision et de réparation commerciales (considérant 181). La Commission relève également, au considérant 183 de la décision attaquée, que […]

258    La Commission poursuit en relevant aux considérants 185 à 187 de la décision attaquée qu’il semblerait que […] La Commission en déduit que les activités indépendantes de P & W seront essentiellement focalisées à l’avenir sur d’autres marchés de moteurs que celui des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

259    La requérante ne conteste pas directement les éléments factuels avancés à cet égard par la Commission, mais elle relève que P & W continue d’investir pour améliorer ses moteurs et a participé avec la requérante à l’Engine Alliance afin de développer un moteur complètement nouveau pour équiper l’A380 et le B747‑400. Elle relève également que les ventes du moteur de P & W propulsant l’A318 devancent celles du moteur alternatif de CFMI sur cette plate-forme. Il y a lieu de considérer que ces circonstances, si elles indiquent effectivement que P & W continue d’être active sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, n’infirment pourtant pas la thèse de la Commission.

260    Certes, comme le relève la requérante en référence à la citation au considérant 192 de la décision attaquée […], il existe une concurrence entre elle et P & W sur certains marchés qui peut même être vive ponctuellement. En revanche, l’évolution et le niveau de la part de marché de P & W soulignent le caractère limité de cette concurrence et le fait, relevé ci-dessus, que la requérante a néanmoins remporté le marché en question, grâce notamment à l’intervention de GECAS, malgré les considérations de standardisation, est plus significatif que le fait que le marché a été contesté. Comme l’auteur du courrier électronique cité au considérant 192 de la décision attaquée l’a relevé, « […] » et cet exemple illustre concrètement la possibilité d’une coexistence entre une certaine concurrence et une puissance prépondérante de l’un des concurrents en présence.

261    À la lumière de l’ensemble de ce qui précède, la Commission a valablement pu conclure au considérant 194, notamment sur la base des chiffres et des preuves documentaires qu’elle invoque explicitement dans la décision attaquée, que P & W ne constituait plus un concurrent indépendant direct valable de GE pour une grande partie du marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

–       Sur la position de Rolls-Royce

262    Quant à Rolls-Royce, la Commission expose, dans la décision attaquée, que sa position concurrentielle vis-à-vis de la requérante est affectée par une […] (considérants 196 et suivants).

263    La Commission invoque, en particulier, un courrier électronique envoyé par le président de GECAS, dans lequel il affirme […] (considérants 200 et 204 de la décision attaquée).

264    La Commission fait également référence à un document interne […] (considérant 205).

265    Selon la Commission, […] Rolls-Royce a été obligée d’avoir recours à un financement externe pour développer de nouveaux moteurs, par le biais de programmes de partage des risques et des recettes (« RRSP »). Elle invoque à cet égard des commentaires d’analystes financiers de Schroder Salomon Smith Barney dont il ressort que ces programmes sont devenus très importants pour Rolls-Royce. Selon l’analyse de la Deutsche Bank, il est préoccupant que la croissance du bénéfice net avant intérêts et impôts de Rolls-Royce provienne à hauteur de 60 % environ des programmes RRSP dont la prévisibilité est limitée, et elle relève que la modification attendue des flux de capitaux au titre desdits programmes exercera une pression croissante sur l’activité à long terme de Rolls-Royce, car les entrées devraient diminuer après 2001 (considérants 201 à 203 de la décision attaquée).

266    La Commission expose que […] (considérants 211 à 214).

267    Enfin, la Commission relève dans ce contexte que la requérante est le « fournisseur attitré » auprès d’un grand nombre de compagnies aériennes, en ce sens que ses moteurs représentent plus de 60 % de la base installée de moteurs sur des avions qui sont toujours en production (considérants 215 à 217 de la décision attaquée). Elle cite, au considérant 218 de cette décision, une affirmation de Rolls‑Royce elle‑même dont il ressort que […]

268    La requérante soutient que Rolls-Royce est un concurrent techniquement très fort et elle relève que, dans la décision Engine Alliance, la Commission a considéré qu’elle « vo[ya]it sa part de marché progresser et [était] dotée de capacités adéquates pour développer de nouveaux moteurs et des versions dérivées de moteurs existants ». La requérante considère, en particulier, qu’il est absurde d’invoquer le fait que […], alors que cette circonstance reflète en réalité le succès commercial considérable de cette entreprise.

269    Il y a lieu de considérer, au vu des constatations la concernant dans la décision attaquée et compte tenu des considérations avancées à cet égard par la requérante, que l’activité de fabrication de moteurs pour avions commerciaux de grande taille de Rolls-Royce est effectivement en bonne santé commerciale et ne rencontre pas de difficultés immédiates sur les plans commercial ou financier. Par ailleurs, il est exact que le fait […] est, en principe, un signe de réussite commerciale et un gage de stabilité financière.

270    Toutefois, la Commission n’a pas nié la réussite commerciale de Rolls-Royce, dans la décision attaquée. En particulier, elle n’a pas considéré que le fait […] était un facteur de faiblesse commerciale comme l’allègue la requérante. En revanche, elle a relevé que, malgré ses qualités, cette société […] et, partant, ne pouvait être considérée comme constituant un contrepoids adéquat sur le marché des avions commerciaux de grande taille en général pour empêcher la requérante de se comporter, dans une large mesure, de manière indépendante.

271    En effet, la Commission a constaté, dans la décision attaquée, que […] (considérants 211 à 213 de la décision attaquée). La requérante ne conteste pas la matérialité des éléments sur lesquels repose cette analyse dans ses mémoires, se bornant à relever que […] Il y a lieu de considérer, toutefois, que ce raisonnement étaye la conclusion spécifique de la Commission, au considérant 214 de la décision attaquée, selon laquelle […]

272    Quant à la situation financière de Rolls-Royce, il découle du raisonnement de la Commission rappelé aux points 263 à 265 ci-dessus, […] et que la manière dont elle a financé ses plus récents projets, à savoir par un recours à des RRSP, aura un impact négatif sur ses recettes dans les années qui viennent. La Commission a invoqué, à l’appui de cette partie de son raisonnement, les affirmations d’analystes financiers indépendants portant spécifiquement sur les conséquences pour Rolls‑Royce du fait d’avoir financé ses projets de cette manière. En revanche, la requérante se borne à relever que Rolls-Royce est généralement dans un bon état commercial sans expliquer en quoi l’analyse de la Commission concernant […] de Rolls-Royce est erronée.

273    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation du fait qu’elle relève, au considérant 196 de la décision attaquée, que « bien qu’elle soit un fournisseur très performant d’un point de vue technique, la société [Rolls-Royce] ne peut donc être considérée comme un soumissionnaire crédible pour tous les moteurs sur l’ensemble des marchés et, notamment, remporter l’exclusivité en matière de réacteurs ».

 Pression exercée par les acheteurs

274    Enfin, la Commission expose, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles il n’existe pas de puissance d’achat compensatrice de la part de Boeing et d’Airbus, qui sont les deux seuls fabricants d’avions commerciaux de grande taille, ni de la part des compagnies aériennes (considérants 224 à 228).

275    En substance, la Commission relève qu’un grand nombre de compagnies aériennes dépendent de la requérante en raison de sa position de fournisseur attitré au sein de leur flotte. Elle relève, en outre, que la demande émanant des compagnies aériennes qui sont les utilisateurs finaux des moteurs est fragmentée du fait qu’aucune compagnie ne représente individuellement plus de 5 % des achats (considérant 226), constatation que la requérante ne conteste pas.

276    Quant aux fabricants d’avions, la Commission relève que la requérante a une grande influence sur eux par l’intermédiaire de leurs clients, du fait de sa part dans la base installée de la flotte de ceux-ci. Elle rappelle dans ce contexte que GECAS peut « amorcer » la demande pour les avions motorisés par la requérante auprès des compagnies aériennes et que GE Capital et GECAS ont même pu influencer directement leur choix de moteur (considérant 228).

277    La requérante avance deux critiques à cet égard. Premièrement, elle relève que, dans sa décision Allied Signal/Honeywell, la Commission a constaté que Boeing et Airbus sont des acheteurs puissants et dans cette décision, ainsi que dans sa décision EADS, que les compagnies aériennes ont une puissance significative en tant qu’acheteurs. Il suffit de relever à cet égard, comme le fait la Commission, que la puissance des acheteurs constatée dans les décisions en question existait vis-à-vis d’autres compagnies que la requérante relativement à d’autres produits. Or, étant donné que la Commission s’appuie, à cet égard, sur des avantages qui sont propres à la requérante et à sa situation spécifique sur les marchés des réacteurs, cette argumentation est dénuée de pertinence en l’espèce.

278    Deuxièmement, la requérante relève que ni Boeing ni Airbus ne se sont opposées à la concentration. Or, l’absence d’une telle contestation est sans pertinence quant à la question de savoir si la requérante était en position dominante avant l’opération de concentration. Cette absence de contestation pourrait s’expliquer par maintes raisons différentes et notamment par l’hypothèse, avancée par la Commission à l’audience, que Boeing et Airbus n’aient pas un intérêt prononcé à réduire le prix des moteurs pour autant que toutes les deux soient également affectées par le niveau relativement élevé des prix. De plus, le fait d’accorder un poids trop important à l’absence d’une telle contestation pourrait équivaloir à considérer que les clients d’une entreprise peuvent déterminer par une sorte de contrôle privé des concentrations si leur fournisseur est en position dominante sur un marché donné.

279    Dès lors, il y a lieu de rejeter les arguments avancés par la requérante à cet égard. Dans ces conditions et à la lumière des différentes constatations ci-dessus concernant la position de force de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, la Commission n’a pas commis d’erreur de fait, ni d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que Boeing, Airbus et les compagnies aériennes n’exercent pas une pression commerciale sur la requérante dans une mesure susceptible d’infirmer sa conclusion quant à l’existence d’une position dominante dans le chef de la requérante.

f)     Conclusion sur la position dominante

280    À la lumière de l’ensemble de tout ce qui précède, la Commission a pu conclure, au considérant 229 de la décision attaquée, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation à cet égard, que GE était en position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille avant la concentration.

C –  Sur le chevauchement vertical

1.     Arguments des parties

281    La requérante considère, en ce qui concerne le pilier de la décision attaquée relatif au chevauchement vertical constitué par l’association qui résulterait de la fusion des démarreurs pour réacteurs d’Honeywell et des réacteurs de GE, que la Commission méconnaît le fait qu’Honeywell fournit ses démarreurs aux concurrents motoristes de GE. La Commission ne fournirait aucune preuve de ce que l’opération de concentration amènerait l’exclusion des concurrents de l’entité issue de la concentration, en particulier au vu du fait qu’un démarreur ne représente que 0,2 % du prix du moteur.

282    La requérante ajoute, dans son mémoire en réponse aux observations de Rolls-Royce et de Rockwell, ainsi qu’à l’audience, que la Commission aurait dû tenir compte des obligations pesant sur l’entité issue de la concentration au titre de l’article 82 CE, conformément à l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra.

283    S’agissant des engagements relatifs aux démarreurs, GE a proposé de céder les activités d’Honeywell dans la fabrication de démarreurs de moteurs d’avion. Les objections soulevées à l’encontre de cet engagement dans la décision attaquée seraient totalement dénuées de fondement.

284    La Commission, soutenue par Rolls-Royce, rappelle qu’Honeywell est le seul fournisseur indépendant et crédible de démarreurs pour avions commerciaux de grande taille, au vu de la situation sur le marché, et que son incorporation dans la même entreprise que le fournisseur de réacteurs dominant permettrait à l’entité issue de la fusion d’adopter un comportement indépendant qui n’était pas possible auparavant. La Commission fait remarquer, également, que les critiques de la requérante relatives au rejet des engagements concernant ce marché se limitent à de simples allégations.

285    Rolls-Royce souligne, notamment, que les démarreurs constituent un composant essentiel de tout réacteur et que l’entité fusionnée pourrait, à la suite de l’opération de concentration, obtenir ce composant à des conditions plus favorables. Pour Rolls-Royce, il serait financièrement et techniquement difficile d’opter pour un autre fournisseur qu’Honeywell.

2.     Appréciation du Tribunal

286    Aux considérants 331 à 340 de la décision attaquée, la Commission a décrit la position d’Honeywell sur les différents marchés d’un certain nombre d’accessoires et de commandes pour les réacteurs. En particulier, elle a relevé qu’Honeywell avait une part de marché de [50 à 60] % sur le marché d’un de ces produits, les démarreurs de moteurs, Hamilton Sundstrand, la société sœur de P & W, étant le deuxième fabricant avec une part de [40 à 50] %, en termes de volume de production (considérants 337 et 338 de la décision attaquée).

287    Il y a lieu de rappeler également que la Commission n’a pas considéré, dans la décision attaquée, que la concentration aurait comme conséquence la création ou le renforcement d’une position dominante dans le chef d’Honeywell sur ce marché.

288    En revanche, la Commission a considéré, au considérant 419 de la décision attaquée, que, « [i]ndépendamment des conséquences des offres groupées de produits, l’opération de concentration envisagée renforcera la position dominante de GE sur le marché des réacteurs [d’avions commerciaux de grande taille] du fait de l’exclusion verticale des motoristes concurrents découlant de la relation verticale entre GE en qualité de constructeur de moteurs et Honeywell en qualité de [fournisseur] de démarreurs à GE et à ses concurrents ». Selon elle : « Après l’opération de concentration envisagée, l’entité issue de la fusion sera incitée à retarder ou à désorganiser la fourniture des démarreurs d’Honeywell aux motoristes concurrents, ce qui portera préjudice à l’approvisionnement, à la distribution, à la rentabilité et à la compétitivité des motoristes concurrents de GE. De même, l’entité issue de l’opération de concentration pourra augmenter les prix des démarreurs ou de leurs pièces détachées, alourdissant ainsi les coûts des motoristes concurrents et réduisant encore davantage leur capacité à rivaliser avec ladite entité. » (Considérant 420 de la décision attaquée.)

289    La Commission a ensuite rejeté les différents arguments avancés par la requérante tendant à infirmer son analyse. Elle relève notamment que Hamilton Sundstrand fabrique désormais des démarreurs exclusivement pour les moteurs de P & W et affirme ne pas avoir d’intérêt commercial à vendre ses démarreurs à d’autres motoristes, même dans l’hypothèse où il se produirait une augmentation des prix (considérants 338 et 421). En conséquence, la Commission considère que Hamilton Sundstrand n’est pas à considérer comme un concurrent d’Honeywell (considérant 338). La Commission constate qu’il n’y a aucun autre concurrent capable d’exercer une pression concurrentielle effective sur l’entreprise d’Honeywell sur le marché et que les barrières à l’entrée sont significatives, de sorte que la possibilité d’une nouvelle entrée sur le marché n’est pas une contrainte réelle non plus (considérants 422 et 423).

290    De plus, la Commission examine l’allégation, avancée au stade de la procédure administrative, selon laquelle des contrats conclus par Honeywell préviennent le risque que celle-ci refuse de fournir ses démarreurs à certains clients, voire qu’elle se retire du marché en tant que fournisseur aux tiers. Elle rejette l’efficacité de cette contrainte, en relevant que, nonobstant ces dispositions contractuelles, un refus de vente de la part d’Honeywell occasionnerait des perturbations et des coûts importants aux motoristes concurrents de GE, d’autant plus que « ces contrôles contractuels rigoureux limitant la possibilité de l’une ou l’autre partie d’exclure des concurrents sans raison valable sont caractéristiques de programmes de moteurs récents, tandis que les plus anciens ne comprennent pas de telles dispositions » (considérant 424).

291    La Commission rejette également l’argument selon lequel il n’y avait pas eu d’éviction des concurrents du marché jusqu’à maintenant, malgré la part de marché détenue par Honeywell pour les démarreurs de turbines à air, constatant à cet égard que ces petits moteurs font l’objet de contrats d’exclusivité de sorte que les incitations à exclure les concurrents de ce marché sont nettement moins fortes que celles qu’aurait l’entité fusionnée pour les plates-formes des avions commerciaux de grande taille, sur lesquelles plusieurs réacteurs peuvent être certifiés (considérant 425 de la décision attaquée). Enfin, quant à l’argument selon lequel les démarreurs peuvent aussi être directement fournis aux avionneurs et que tout refus d’approvisionner les motoristes pourrait être contourné par des commandes de démarreurs passées directement par des avionneurs, la Commission relève que la plupart des démarreurs de réacteurs sont vendus au fournisseur de moteurs pour être intégrés dans les moteurs achevés livrés à l’avionneur (considérant 426 de la décision attaquée).

292    Il convient de constater que la requérante n’a pas remis en cause, devant le Tribunal, le rejet par la Commission, pour les raisons exposées dans la décision attaquée et reprises aux points précédents, des arguments avancés au stade de la procédure administrative. Aux fins de la présente procédure, il y a lieu dès lors de traiter ces raisons comme justifiant, en principe, ce rejet. En revanche, il appartient au Tribunal d’examiner les arguments de la requérante résumés aux points 281 à 283 ci-dessus.

293    La thèse de la Commission quant au renforcement de la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille est fondée, en particulier, sur le fait que, à la suite de l’opération de concentration, l’entité fusionnée serait incitée « à retarder ou à désorganiser la fourniture des démarreurs d’Honeywell aux motoristes concurrents » et qu’elle serait en mesure d’augmenter le prix. Elle a également relevé, dans le cadre de son rejet des arguments relatifs aux contraintes contractuelles empêchant les refus de vente de la part d’Honeywell, qu’un tel refus occasionnerait des perturbations et des coûts importants, en pratique, aux motoristes concurrents.

294    Il est constant que les accessoires et commandes pour les réacteurs d’Honeywell, qui incluent ses démarreurs, sont utilisés dans un nombre significatif de moteurs de ses concurrents, notamment dans ceux de Rolls-Royce. Compte tenu de la politique commerciale du principal concurrent d’Honeywell (Hamilton Sundstrand), non contestée par la requérante, consistant à ne plus commercialiser ses démarreurs sur le marché, Rolls-Royce dépend désormais d’Honeywell, et la part de marché d’Honeywell de [50 à 60] % ne reflète donc pas de manière adéquate l’ampleur de l’influence commerciale exercée par cette dernière vis-à-vis de la première. La Commission a également relevé, au considérant 425, que le fait qu’il existe souvent un choix de moteur pour les avions commerciaux de grande taille, à la différence des aéronefs motorisés par les turbines à air, donne lieu à une incitation particulière qui n’existe pas dans d’autres contextes, dans le chef des motoristes, à évincer leurs concurrents dans l’immédiat.

295    Les effets de la concentration en cause dans cette partie de l’arrêt ne sont pas des effets de conglomérat dans la mesure où ils résultent d’une relation verticale directe, de fournisseur et client. Toutefois, il ressort de la description ci-dessus, et en particulier du point 293 ci-dessus, que la thèse de la Commission quant aux effets anticoncurrentiels de la concentration du fait de cette relation dépend des comportements futurs de l’entité fusionnée, sans lesquels cet aspect de la fusion n’aurait aucune conséquence néfaste. Il appartenait donc à la Commission d’apporter des preuves solides quant à la probabilité de ces comportements (voir, par analogie, arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, et points 65 et suivants ci-dessus).

296    Dans certains cas, ces preuves pourront être constituées par des études économiques établissant l’évolution probable de la situation sur le marché et indiquant l’existence d’une incitation pour l’entité fusionnée à se comporter d’une manière donnée. Comme le relève la requérante, la Commission n’a pas avancé de telles preuves en l’espèce.

297    Il y a lieu de rappeler, toutefois, que, dès lors que le principe qui prévaut en droit communautaire est celui de la liberté de la preuve (voir, en ce sens, conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec. p. II‑867, 869 et 954, et la jurisprudence citée), l’absence de ce type de preuves n’est pas en soi décisive. En particulier, dans une situation où il est manifeste que l’intérêt commercial d’une entreprise pèse d’une manière prépondérante en faveur d’un comportement donné, tel que l’utilisation d’une possibilité de perturber l’entreprise d’un concurrent, la Commission ne commet pas d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’adoption réelle du comportement prévu par l’entité fusionnée est une probabilité. Dans un tel cas, les simples réalités économiques et commerciales du cas d’espèce peuvent constituer les preuves solides requises par la jurisprudence.

298    En l’espèce, la Commission a constaté, premièrement, l’existence d’une offre très concentrée sur le marché des démarreurs rendant la requérante et ses concurrents, en particulier Rolls-Royce, tributaires d’Honeywell dans une large mesure et, deuxièmement, la création d’une structure commerciale verticalement intégrée résultant de la concentration et combinant l’activité de fabrication d’un composant essentiel (le démarreur) avec l’activité de fabrication du produit fini relevant du marché en aval, cette dernière constituant déjà une position dominante sur ce dernier marché. À partir de ces conditions de marché, la Commission a considéré que l’intérêt commercial de l’entité fusionnée la pousserait, abstraction faite, à ce stade, des éventuelles contraintes juridiques susceptibles d’avoir une incidence à cet égard, à utiliser son pouvoir en tant que fournisseur incontournable, dans certains cas, d’un composant très peu cher en termes relatifs mais essentiel pour le fonctionnement d’un réacteur, pour perturber la production de réacteurs de ses concurrents.

299    L’analyse de la Commission à cet égard est convaincante, même en l’absence d’études économiques, parce qu’il apparaît clairement que les comportements prévus, lui permettant de nuire de manière significative aux intérêts de ses concurrents, auraient été dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée. En effet, il est constant entre les parties qu’un démarreur ne représente qu’une proportion minime du coût du moteur, 0,2 % selon la requérante dans ses observations sur les interventions. En conséquence, les bénéfices que l’entité fusionnée pourrait réaliser en vendant ce produit à Rolls-Royce et à P & W sont nécessairement minimes par rapport à ceux qu’elle pourrait réaliser en augmentant sa part de marché sur le marché des moteurs pour avions commerciaux de grande taille aux dépens de ces dernières.

300    À cet égard, la Commission a relevé spécifiquement dans la décision attaquée, dans le cadre de son analyse de la possibilité qu’Hamilton Sundstrand se remette à commercialiser ses démarreurs sur le marché libre, que « les bénéfices attendus sur le marché en amont en provenance des ventes de démarreurs à [Rolls‑Royce] ne pourraient pas compenser la perte de bénéfices à laquelle P & W serait éventuellement confrontée sur le marché en aval des moteurs » (considérant 338 de la décision attaquée ; voir également considérant 421). Cette logique commerciale conforte également mutatis mutandis sa thèse quant à l’existence dans le chef de l’entité fusionnée d’une incitation à limiter ou à perturber ses fournitures de démarreurs pour réacteurs d’avions commerciaux de grande taille à ses concurrents.

301    En ce qui concerne la possibilité que des contraintes juridiques de nature contractuelle aient pu prévenir le comportement prévu par la Commission, il y a lieu de relever d’abord que, pour les raisons exposées aux points 290 à 292 ci‑dessus, en particulier l’absence de contestation devant le Tribunal relevée au dernier de ces points, il n’est pas établi dans la présente procédure que les dispositions contractuelles visant à interdire les éventuels refus de vente puissent empêcher le comportement nuisible à ses concurrents prévu par la Commission dans le chef de l’entité fusionnée.

302    Toutefois, la requérante invoque également un argument fondé sur les considérations retenues par le Tribunal dans son arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, prononcé après le dépôt de la requête en l’espèce, selon lequel la Commission aurait dû tenir compte des obligations pesant sur l’entité issue de la concentration au titre de l’article 82 CE (points 156 à 160 de l’arrêt). Selon elle, à supposer que l’analyse de la situation commerciale et concurrentielle sur ces marchés soit exacte, le comportement prévu par la Commission, consistant pour l’entité fusionnée à perturber volontairement les activités de fabrication de réacteurs de ses concurrents, constituerait manifestement un abus de la position dominante préexistante constatée par la Commission sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille. La Commission n’ayant pas examiné l’effet de dissuasion pouvant résulter en l’espèce d’une éventuelle application de l’article 82 CE, son analyse quant à l’existence d’une incitation pour l’entité fusionnée à se comporter de la manière prévue serait faussée.

303    Il convient de rappeler, à cet égard, que la Cour a jugé, sur pourvoi, dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra (points 74 à 78), que c’est à bon droit que le Tribunal avait considéré dans son arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, que la probabilité de l’adoption de certains comportements futurs devait être examinée de manière complète, c’est-à-dire en prenant en considération tant les incitations à adopter de tels comportements que les facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations, y compris le caractère éventuellement illégal de ces comportements. Toutefois, la Cour a également jugé, notamment, qu’il serait contraire à l’objectif de prévention du règlement n° 4064/89 d’exiger de la Commission, que, pour chaque projet de concentration, elle examine dans quelle mesure les incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection et de leur poursuite par les autorités compétentes (voir points 72 et suivants ci-dessus).

304    Ainsi, la Commission doit, en principe, prendre en considération le caractère éventuellement illégal, et, partant, susceptible d’être sanctionné, d’un comportement en tant que facteur de nature à diminuer, voire à éliminer, les incitations pour une entreprise à adopter un comportement donné (point 74 ci‑dessus). En revanche, elle n’est pas tenue d’établir que le comportement prévu pour l’avenir sera réellement constitutif ou non d’une infraction à l’article 82 CE ni que, le cas échéant, cette infraction sera susceptible d’être identifiée et sanctionnée, pouvant se limiter à cet égard à une analyse sommaire basée sur les éléments dont elle dispose.

305    En l’espèce, la Commission prévoyait des comportements futurs sur le marché des démarreurs ayant pour objectif et, s’ils s’avéraient efficaces, pour effet de renforcer la position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille spécifiquement par l’affaiblissement des concurrents de l’entité fusionnée sur ce marché. En effet, les comportements en question, à savoir l’interruption des fournitures de démarreurs aux concurrents, voire le refus de vendre ce composant, et des augmentations des prix ne produiraient un effet sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille que dans la mesure où ils nuiraient de manière significative à l’activité de fabrication des réacteurs des concurrents de l’entité fusionnée.

306    Il convient de rappeler, à cet égard, que, si une position dominante ne saurait priver une entreprise du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, il résulte d’une jurisprudence bien établie que de tels comportements sont abusifs lorsqu’ils ont spécifiquement pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (arrêt United Brands/Commission, point 117 supra, point 189 ; arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, points 117 et suivants ; voir, également, arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93, et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 149). Ainsi, un refus de vendre un composant essentiel à ses concurrents, de la part d’une entreprise en position dominante, est constitutif en soi d’un abus de cette position (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 25).

307    Quant à l’éventualité d’une augmentation par l’entité fusionnée du prix de ses démarreurs, il y a lieu de relever que, pour avoir une incidence matérielle sur la compétitivité de Rolls-Royce sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, une telle augmentation devrait être d’une telle importance qu’elle serait clairement constitutive d’un comportement abusif. En effet, une éventuelle augmentation de 50 % du prix des démarreurs, n’ayant pas de justification commerciale apparente, ne représenterait qu’une hausse de 0,1 % du prix d’un réacteur et n’aurait, dès lors, pratiquement aucun effet sur le marché des réacteurs. En outre, à supposer qu’une augmentation du prix des démarreurs soit appliquée d’une manière non discriminatoire, elle serait susceptible d’indisposer certains des clients de l’entité fusionnée et, partant, d’avoir des effets commerciaux néfastes pour elle. Elle pourrait, en particulier, affecter ses relations avec les compagnies aériennes qui sont des clients de démarreurs à la fois de manière indirecte en tant qu’acheteurs d’avions et de manière directe sur les marchés des services après-vente, et qui sont d’ailleurs susceptibles d’être des clients de l’entité fusionnée pour des moteurs ainsi que pour des produits avioniques et non avioniques. À l’inverse, dans l’hypothèse où une telle augmentation serait appliquée de manière discriminatoire à l’égard de ses concurrents, l’objet d’éviction du marché de cette augmentation et, donc, son caractère abusif seraient manifestes.

308    De même, les éventuelles perturbations des fournitures pratiquées par l’entité fusionnée à la suite de l’opération indisposeraient les clients de celle-ci dans l’hypothèse où elles seraient pratiquées généralement et seraient clairement abusives si elles étaient pratiquées de manière discriminatoire, notamment à l’égard de Rolls-Royce.

309    Il résulte de ce qui précède que les comportements prévus par la Commission en l’espèce sont susceptibles de constituer un abus de position dominante. Dans la présente affaire, plus la thèse de la Commission quant à l’efficacité des comportements en cause est convaincante et, partant, plus l’existence d’une incitation commerciale à les mettre en œuvre est claire, plus il y a de chances que ces comportements soient identifiés comme anticoncurrentiels. En effet, ce sont précisément les formes les plus extrêmes des comportements prévus par la Commission qui seraient à la fois les plus efficaces dans l’objectif de nuire aux activités des concurrents et les plus susceptibles de constituer des abus visibles et manifestes et, partant, susceptibles d’être réprimés, de la position dominante de l’entité fusionnée.

310    À cet égard, la circonstance que l’abus serait commis sur un marché donné (le marché des démarreurs en l’espèce) n’interdirait pas de considérer que le marché pertinent aux fins de l’appréciation de l’existence d’une position dominante était le marché connexe, en aval (celui des réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille en l’espèce), dès lors que le comportement prévu par la Commission sur le premier marché vise spécifiquement à maintenir ou à renforcer la position dominante de l’entreprise sur le second marché (voir, en ce sens, arrêt AKZO/Commission, point 115 supra, points 40 à 45, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, points 270 à 300).

311    Ainsi, compte tenu de la constatation de l’existence d’une position dominante dans le chef de la requérante sur le marché des moteurs pour avions commerciaux de grande taille avant la concentration (voir point 280 ci-dessus), la Commission avait obligatoirement à sa disposition tous les éléments d’analyse nécessaires pour apprécier en l’espèce, sans devoir mener une enquête détaillée à cet égard, dans quelle mesure les comportements qu’elle prévoyait elle-même sur le marché des démarreurs pourraient constituer des violations de l’article 82 CE et être réprimés comme tels. Elle a donc commis une erreur de droit en omettant de prendre en compte l’effet dissuasif que cette circonstance aurait pu avoir à l’égard de l’entité fusionnée.

312    En outre, il apparaît que la prise en compte de cet effet dissuasif aurait réellement pu avoir une incidence sur l’appréciation faite par la Commission de la probabilité des comportements en question. Dans ces conditions, il n’appartient pas au Tribunal de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission en cherchant à établir ce que celle-ci aurait fait si elle avait pris en compte ledit effet dissuasif de l’article 82 CE. Ainsi, l’analyse effectuée par la Commission du présent volet de l’affaire, dès lors qu’elle n’a pas comporté la prise en considération de l’élément pourtant pertinent que constituait l’effet dissuasif de l’article 82 CE, s’est nécessairement trouvée, de ce fait, entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

3.     Conclusion

313    Il convient de conclure que le pilier de la décision attaquée relatif au renforcement de la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, résultant du chevauchement vertical existant entre son activité de fabrication de ces moteurs et de celle de fabrication de démarreurs pour ces moteurs d’Honeywell, n’est pas établi à suffisance de droit.

314    Il n’est donc pas besoin d’examiner dans la présente procédure la validité du rejet par la Commission de l’engagement, proposé par les parties notifiantes, relatif aux démarreurs.

D –  Sur les effets de conglomérat

1.     Sur la puissance financière et l’intégration verticale

a)     Arguments des parties

315    En ce qui concerne le pilier de la décision attaquée relatif à la puissance financière et à l’intégration verticale résultant de l’effet de GE Capital, compagnie financière de GE, de GECAS et de GE Capital Corporate Aviation Group (GECCAG), compagnies de leasing d’avions de GE, la requérante soutient que la Commission ne démontre pas la création ou le renforcement d’une position dominante du fait de ces sociétés, que ce soit sur l’un ou l’autre des marchés de réacteurs ou sur l’un ou l’autre des marchés de produits avioniques et non avioniques.

 Sur la puissance financière

316    Quant à GE Capital, les allégations de la Commission relatives aux effets anticoncurrentiels de l’association de la prétendue puissance financière de cette société et d’Honeywell ne reposeraient sur aucun fondement juridique, économique ou factuel. Eu égard au caractère inhabituel de cette thèse du point de vue de l’analyse économique, il aurait incombé à la Commission d’avancer une analyse juridique et économique rigoureuse.

317    La Commission rappelle les facteurs objectifs, énoncés au considérant 107 de la décision attaquée, favorisant la position dominante de GE. Toutefois, elle soutient ne pas avoir pénalisé GE au vu de son importante capitalisation, mais avoir pris en compte cette puissance financière dans le cadre spécifique de l’industrie aéronautique. Le montant et la durée des investissements dans cette industrie feraient de la capacité financière un élément crucial de compétitivité. La capacité de financement de GE serait sans commune mesure avec celles des concurrents.

318    Ces facteurs objectifs, qui contribuent déjà à conférer à GE une position dominante avant la concentration dans la mesure où cette puissance peut être utilisée à l’appui de sa politique commerciale et industrielle sur les marchés des moteurs d’avions, auraient aidé l’entité fusionnée à atteindre une position dominante sur les marchés des différents produits avioniques et non avioniques également.

319    Rockwell relève, à cet égard, que GE Capital joue à la fois le rôle de banque interne et de bailleur de fonds auprès des clients de la requérante. Rolls-Royce rappelle avoir fourni à la Commission plusieurs exemples dans lesquels GE a utilisé sa puissance financière pour obtenir une exclusivité de motorisation.

 Sur l’intégration verticale

320    Quant à GECAS et à GECCAG, la requérante conteste le bien-fondé de la théorie de la Commission quant au « déplacement des parts de marché » (share-shifting), selon laquelle ces deux sociétés favoriseraient l’achat de produits d’Honeywell au détriment de ceux de ses concurrents. À supposer même que l’activité de GECAS ait eu un tel effet avant la concentration sur les marchés des réacteurs, rien ne prouverait que de tels effets au bénéfice d’Honeywell se produiraient après celle‑ci, qui plus est sur les marchés différents des produits avioniques et non avioniques. La requérante a relevé à cet égard, à l’audience, que la Commission n’a pas analysé la situation marché par marché, se bornant à l’inverse à faire des affirmations générales faisant abstraction des différences entre ceux-ci.

321    La Commission précise que GECAS est le plus gros acheteur d’avions commerciaux de grande taille, avec 10 % du marché, et qu’elle contribue déjà à la position dominante exercée par la requérante sur les marchés des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

322    S’agissant des effets liés à l’intégration verticale en ce qui concerne Honeywell, la Commission renvoie à la décision attaquée sur ce point et maintient, ainsi que Rockwell, qu’il est prévisible que GE étendra ses méthodes aux produits d’Honeywell. Elle rappelle, en particulier, que les produits SFE (supplier-furnished equipment, équipements fournis par les vendeurs), sont choisis exclusivement par l’avionneur et garantissent une source de recettes à long terme. Selon la Commission et Rockwell, après la concentration, Honeywell aurait immédiatement profité de la capacité et de l’incitation de GE Capital à assurer l’exclusivité de ses produits au moyen de GECAS.

323    La Commission ne prétend pas que GECAS n’achèterait que des avions « tout Honeywell », mais que GECAS serait utilisée comme levier pour inciter avionneurs et compagnies aériennes à choisir Honeywell ou à lui accorder l’exclusivité. À cet égard, la Commission souligne la relation déséquilibrée entre l’entité issue de la concentration et ses clients, en raison de l’importante proportion de l’avion qu’elle fournira. La Commission et Rockwell affirment que les concurrents d’Honeywell seront progressivement marginalisés et contraints de se replier sur des niches commerciales dans lesquelles Honeywell n’est pas présente.

324    En ce qui concerne GECCAG, la Commission reconnaît que, par le passé, cette entreprise n’avait pas d’intérêt à pratiquer une politique d’achat spéculative. Cette situation serait radicalement transformée par l’arrivée d’Honeywell, important fournisseur d’équipements et de services pour les avions d’affaires après la concentration.

b)     Appréciation du Tribunal

 Introduction

325    Il convient de relever d’abord que, pour les raisons exposées ci-dessus, aux points 182 et suivants, la Commission a pu considérer à juste titre que les activités de GECAS ainsi que le levier commercial que représente la puissance de la requérante résultant de la position financière de GE Capital contribuent à la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

326    En revanche, comme le relève la requérante à juste titre, il ne découle pas nécessairement de ces constatations que, à la suite de la concentration, l’entité fusionnée aurait employé des pratiques analogues à celles constatées par le passé sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille dans le but de promouvoir ses produits avioniques et non avioniques de sorte qu’une position dominante aurait été créée ou renforcée sur les marchés respectifs de ces produits.

327    Conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, confirmée à cet égard par la Cour dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, il appartenait à la Commission de démontrer non seulement que l’entité fusionnée aurait la capacité de transposer ces pratiques sur les marchés des produits avioniques et non avioniques, mais, en outre, sur la base de preuves solides, que l’adoption de ce comportement par l’entité fusionnée était probable. De plus, la Commission devait établir que ces pratiques auraient créé, dans un avenir relativement proche, une position dominante, à tout le moins sur certains des marchés de produits avioniques et non avioniques en cause (voir, en ce sens, arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, points 146 à 162, confirmé à cet égard par la Cour dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, points 37 à 45, ainsi que points 60 et suivants ci-dessus). Ces deux aspects de l’analyse que devait effectuer la Commission seront examinés successivement ci‑après.

 Sur la probabilité du comportement futur prévu par la Commission

328    La thèse de la Commission quant à l’opération des effets de conglomérat « verticaux » résultant du processus de « déplacement des parts de marché » est différente selon qu’il s’agit, d’une part, de produits avioniques ou non avioniques SFE-standard (supplier-furnished equipment, équipements fournis par les vendeurs et proposés de façon exclusive) (considérants 342 à 348) ou, d’autre part, de produits BFE (buyer-furnished equipment, équipement fourni par l’acheteur) ou SFE-option (deux SFE ou plus étant proposés alternativement) (considérants 405 à 411 de la décision attaquée). En effet, les produits SFE‑standard sont choisis définitivement par l’avionneur au moment de la conception de l’avion, tandis que le choix final du composant BFE et, du moins entre deux produits présélectionnés, le choix du composant SFE‑option sont faits par la compagnie aérienne au moment de passer sa commande.

–       Sur les produits SFE-standard

329    En ce qui concerne les produits avioniques et non avioniques SFE-standard, la Commission, ayant rappelé sa conclusion quant à la capacité qu’a la requérante d’assurer l’exclusivité de ses moteurs sur les plates-formes (considérant 343 de la décision attaquée), relève que, à la suite de la concentration, cette capacité bénéficiera immédiatement à Honeywell. La Commission soutient, à cet égard, que le choix des composants avioniques et non avioniques est relativement indifférent du point de vue des compagnies aériennes, de sorte que « les avantages pour les avionneurs d’une offre autre que GE seraient moins importants que ceux qu’ils pourraient retirer de l’achat d’avions supplémentaires par GECAS » (considérant 344 de la décision attaquée).

330    Selon la décision attaquée, « l’entité issue de l’opération de concentration sera capable de promouvoir la sélection des produits SFE d’Honeywell en exploitant sa puissance financière et son intégration verticale lors du lancement de nouvelles plates-formes (au moyen, par exemple, de financements et/ou de commandes passées par GECAS), ce qui privera ses concurrents de la possibilité de placer leurs produits sur ces nouvelles plates-formes » (considérant 344) et, en outre, « Honeywell sera, après l’opération de concentration, en mesure de tirer profit de la surface financière de GE et de sa capacité à pratiquer le subventionnement croisé entre ses différents segments d’activité » (considérant 345). La Commission prévoit dès lors que les concurrents d’Honeywell seront sérieusement affaiblis par la fusion (considérants 347 et 348) et que « l’utilisation stratégique par GE de l’accès au marché de GECAS et de la puissance financière de GE Capital pour favoriser les produits d’Honeywell conférera à Honeywell la position de fournisseur dominant sur les marchés des produits SFE avioniques et non avioniques où elle jouit déjà de positions de force » (considérant 346).

331    Ainsi, la Commission a exposé, dans les considérants susmentionnés, que l’entité fusionnée aurait la capacité d’influencer le choix fait par les avionneurs des composants SFE et de les inciter à choisir ceux d’Honeywell. En revanche, sa description du processus par lequel la puissance commerciale des filiales de la requérante générerait, selon elle, une position dominante dans le chef de l’entité fusionnée ne permet pas de savoir pour quelles raisons le comportement « stratégique » de la part de l’entité fusionnée qui donnerait lieu à ces conséquences était prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

332    Or, il incombait à la Commission d’établir, sur la base de preuves solides, l’existence d’une telle probabilité. Étant donné qu’il s’agissait d’établir, avant la réalisation de l’opération de concentration, quel serait le comportement de l’entité fusionnée à la suite de celle-ci sur des marchés où aucune possibilité d’un comportement du type prévu par la Commission n’existait avant la concentration, de telles preuves ne peuvent, en principe, être constituées exclusivement par des éléments relatifs à des comportements passés. Il s’ensuit que l’analyse de la Commission, entérinée ci-dessus en ce qui concerne le rôle joué par GECAS et GE Capital sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, ne saurait suffire à satisfaire à cette exigence, même si elle peut y contribuer.

333    Cela étant, des preuves solides pouvaient, en principe, être constituées soit par des documents attestant l’intention ferme de la direction de la requérante et/ou de celle d’Honeywell de poursuivre l’exploitation commerciale, sur les marchés des produits avioniques et non avioniques, de la puissance de GECAS et de GE Capital de la façon décrite ci-dessus sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille à la suite de la concentration, soit par une analyse économique démontrant qu’un tel comportement aurait été objectivement dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée. La Commission n’ayant pas avancé d’éléments susceptibles d’établir l’existence d’une telle intention de transposer les pratiques de GE sur ledit marché aux marchés des produits avioniques et non avioniques à la suite de la concentration, il convient d’examiner s’il est établi dans la décision attaquée qu’une telle transposition aurait été dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée.

334    La requérante soutient, à cet égard, qu’il ne serait pas dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée d’insister auprès des avionneurs pour que ces derniers sélectionnent les produits avioniques et non avioniques SFE de l’ancienne Honeywell. Elle relève qu’il existe une différence de prix énorme entre, d’une part, les réacteurs fabriqués par la requérante pour avions régionaux et avions commerciaux de grande taille et, d’autre part, chaque produit avionique et non avionique. Elle soutient, dès lors, que l’entité fusionnée n’aurait pas eu d’intérêt commercial à promouvoir les produits avioniques et non avioniques de cette manière.

335    L’analyse économique retenue par la Commission dans la décision attaquée admet l’existence d’une certaine concurrence sur le marché des moteurs pour avions commerciaux de grande taille. En particulier, la Commission a invoqué, dans le cadre de sa description de l’appel d’offres concernant la motorisation du B777X de Boeing, le fait que la requérante avait pu, par […], influencer le choix de moteur fait par Boeing (points 205 et suivants ci-dessus).

336    Dans ce contexte, c’est le fait que la requérante a été en mesure de faire un certain sacrifice commercial à court terme pour placer son moteur qui était important aux fins d’apprécier l’existence d’une position dominante préexistante dans le chef de la requérante. Il importe de relever que les pratiques en cause impliquent, ou peuvent impliquer, un certain coût pour la requérante, du moins à court terme, représenté dans le cas du B777X par […] Un tel coût peut être justifié par les revenus futurs générés par le service après-vente des moteurs.

337    Dans le présent contexte, la concentration ne peut être considérée comme ayant potentiellement une influence sur la situation du marché de produits avioniques et non avioniques que dans la mesure où l’entité fusionnée aurait convaincu les avionneurs de sélectionner des produits de l’ancienne Honeywell dans des situations où ils ne les auraient pas sélectionnés en l’absence d’une telle pression commerciale. Compte tenu de la circonstance, susmentionnée, que le fait pour la requérante d’obtenir la motorisation exclusive du B777X a impliqué un certain « coût » commercial, il ne saurait être exclu qu’un avionneur ait pu exiger […] dans l’hypothèse où l’entité fusionnée aurait également insisté sur la sélection de produits avioniques et non avioniques SFE, hypothèse que la Commission n’a pourtant pas envisagée. Or, rien ne garantit que ce coût aurait été couvert par des revenus futurs supplémentaires. En tout état de cause, la Commission ne pouvait pas présumer qu’il n’y aurait pas de coût supplémentaire pour l’entité fusionnée dans cette situation hypothétique.

338    Ainsi, la transposition des pratiques en cause aux marchés des produits avioniques et non avioniques SFE-standard n’aurait été un comportement commercial rationnel à la suite de la concentration que dans la mesure où les recettes susceptibles d’en résulter pour l’entité fusionnée auraient compensé ce coût éventuel. La Commission n’était donc pas en droit de considérer comme une progression logique et inévitable son pronostic selon lequel l’entité fusionnée transposerait ces pratiques aux marchés des produits avioniques et non avioniques.

339    Ainsi, en l’absence d’études économiques permettant de comparer, à tout le moins sur la base d’estimations raisonnables, ce coût et ces recettes, la Commission n’a pas établi, en l’espèce, quelles auraient été les conséquences commerciales probables d’une telle transposition des pratiques de la requérante. La décision attaquée ne répond ni à la question de savoir si le fait pour l’entité fusionnée d’insister sur la sélection de ses produits SFE aurait impliqué un coût commercial supplémentaire pour elle, ni, partant, à celle de savoir si les recettes découlant de la sélection de ces produits par les avionneurs auraient neutralisé cet éventuel coût. En l’absence de ces données, il est impossible, dans les circonstances du cas d’espèce, de déterminer si l’entité fusionnée aurait choisi de transposer les pratiques en cause aux marchés des produits avioniques et non avioniques SFE‑standard dans l’hypothèse où la concentration se serait réalisée.

340    Il s’ensuit que la Commission n’a pas démontré sur la base de preuves solides, et avec un degré de probabilité suffisant, que l’entité fusionnée aurait utilisé la puissance commerciale de GECAS ainsi que la puissance financière du groupe résultant de la position de GE Capital pour promouvoir les produits avioniques et non avioniques SFE de l’ancienne Honeywell à l’avenir.

–       Sur les produits BFE et SFE-option

341    En ce qui concerne les produits avioniques et non avioniques BFE et SFE‑option, la Commission considère que « l’association d’Honeywell à la puissance financière et à l’intégration verticale de GE en matière de services financiers, d’achat et de leasing d’avions, ainsi que de services après-vente, contribuera à l’effet d’éviction déjà décrit en ce qui concerne les produits avioniques et non avioniques SFE » (considérant 405 de la décision attaquée). Elle relève que « GE sera également incitée à accélérer la tendance actuelle des avionneurs à transformer les produits BFE en produits SFE, car elle pourrait ultérieurement viser ces produits et obtenir des positions d’exclusivité en déployant l’ensemble des pratiques commerciales exposées dans les considérants précédents » (considérant 408 de la décision attaquée).

342    La Commission soutient également que « la gamme de produits BFE d’Honeywell tirera parti de la capacité de GE Capital à obtenir des positions d’exclusivité pour ses produits auprès des compagnies aériennes (voir l’exemple de Continental Airlines) et de celle de GECAS à se servir de sa position pour favoriser le placement des produits de GE par l’extension de sa politique d’exclusivité en faveur de GE aux produits d’Honeywell » (considérant 406 de la décision attaquée). De plus, « la gamme de produits et de services de GE représenterait également un avantage pour les produits BFE d’Honeywell lorsqu’il s’agira d’évincer les composants des concurrents à l’occasion des remplacements, des remises à niveau et des rattrapages, grâce à la capacité de GECAS de favoriser les produits de GE vis-à-vis des compagnies aériennes » (considérant 407 de la décision attaquée).

343    La Commission conclut sur la base de ce raisonnement que « l’utilisation stratégique, par GE, de GECAS et de la puissance financière de GE Capital conférera donc à Honeywell la position de fournisseur dominant sur les marchés des produits avioniques et non avioniques BFE où celle-ci jouit déjà de positions de force » et elle prévoit une remise en cause progressive par les concurrents de leur participation sur ces marchés (considérant 409 de la décision attaquée).

344    En ce qui concerne les éléments du raisonnement repris au point 341 ci-dessus indiquant la pertinence pour les marchés de produits avioniques BFE de la logique exposée dans le contexte de l’analyse de la situation sur les marchés des produits avioniques et non avioniques SFE, il convient de rappeler que cette dernière analyse a été considérée comme insuffisante ci-dessus. En toute hypothèse, étant donné que les clients pour les produits BFE et SFE‑option sont les compagnies aériennes alors que ceux pour les produits SFE‑standard sont les avionneurs, la même logique commerciale ne saurait s’appliquer dans les deux cas. Quant à la possibilité que l’entité fusionnée promeuve l’élargissement de la catégorie de produits SFE, le rejet de la thèse de la Commission relative à ces derniers prive cette circonstance, même à la supposer exacte, de toute pertinence.

345    Quant aux motifs cités au point 342 ci-dessus concernant spécifiquement les marchés de produits BFE et SFE‑option, la Commission était en droit de prévoir que GECAS aurait elle-même une préférence forte pour les produits de l’ancienne Honeywell à la suite de la concentration, étant donné que ces deux sociétés appartiendraient désormais au même groupe. La requérante relève, à juste titre, que cette préférence ne pourrait être absolue dans la mesure où Honeywell ne fabrique pas l’ensemble des produits avioniques et non avioniques BFE et SFE‑option nécessaires sur un avion, de sorte qu’aucun avion ne pourrait être « tout Honeywell ». Cette argumentation n’infirme toutefois pas la thèse de la Commission parce que la politique préférentielle de GECAS n’a pas nécessairement besoin d’être absolue, au sens indiqué par la requérante, pour être efficace, pour autant que GECAS sélectionne systématiquement les produits de l’ancienne Honeywell lorsqu’elle en a la possibilité.

346    En revanche, la Commission relève, au considérant 396 de la décision attaquée, que les parties à la concentration ont affirmé, au stade de la procédure administrative, que l’opération de concentration envisagée ne modifierait pas sensiblement le comportement de GECAS en matière d’achat parce que […] du fait d’un accord […] La Commission rejette cette argumentation de la requérante, au considérant 397 de la décision attaquée, parce que l’opération de concentration « internalise » l’accord en cause et que, contrairement à cet accord, l’opération entraîne dès lors un changement structurel sur le marché. En outre, elle constate que l’accord […] Elle relève également que […] (considérant 396).

347    Il convient de relever que, si les éléments relevés par la Commission constituent une réponse partielle aux arguments invoqués par les parties à la concentration à cet égard, l’existence du contrat en cause affaiblit néanmoins la thèse de la Commission par rapport aux produits BFE de manière significative. S’il apparaît que peu de ventes supplémentaires de produits BFE et SFE-option attribuables à la politique préférentielle de GECAS auraient été réalisées à la suite de la fusion, force est de conclure, quelle que soit la raison juridique ou commerciale qui explique ce phénomène, que l’opération n’aurait eu qu’un impact négligeable sur les marchés en question.

348    En l’absence […], il aurait pu être supposé en l’espèce, comme le relève Rockwell dans son mémoire en intervention, que, du fait de la transposition naturelle de la préférence de GECAS pour les produits fabriqués au sein du groupe de la requérante, l’acquisition d’Honeywell par celle-ci amènerait automatiquement une augmentation de la part d’Honeywell de 5 % environ pour un produit BFE là où sa part de marché pour ce produit était déjà de 50 %, dès lors que la part de GECAS dans les achats d’avions est de 10 % environ.

349    Or, l’existence du contrat […]

350    Ainsi, la Commission n’a pas apprécié, dans la décision attaquée, dans quelle mesure […] Cette lacune entache la fiabilité de son raisonnement en ce qui concerne ces produits, y compris en ce qui concerne la possibilité pour GECAS d’« amorcer » des produits BFE et SFE-option de l’ancienne Honeywell auprès des compagnies aériennes.

351    En outre, la Commission admet, au considérant 410 de la décision attaquée, l’existence de préférences de la part de clients et des effets de la standardisation en ce qui concerne les produits BFE. Elle considère que cette circonstance n’est pas significative en l’espèce parce que « les marges bénéficiaires limitées des compagnies aériennes ne leur permettent pas de rejeter des offres commerciales qui représentent des économies à court terme » et que, pour ces compagnies, « une réduction de coût à brève échéance l’emporte sur la possibilité d’une diminution à plus long terme de la concurrence ». La Commission n’a avancé aucune preuve à l’appui de son affirmation concernant la vulnérabilité financière des compagnies aériennes. En outre, elle ne propose pas non plus d’éléments concrets susceptibles d’étayer son appréciation, selon laquelle les préférences et les réductions de coût résultant de la standardisation des composants BFE au sein de la flotte d’une compagnie aérienne seront des facteurs moins importants pour déterminer ses choix de produits BFE que les « économies à court terme » représentées par les conditions d’achat ou de leasing qui seront, d’après sa thèse, proposées par GECAS. En l’absence d’une appréciation économique ou, à tout le moins, d’une estimation de l’avantage représenté par ces conditions, il est impossible d’apprécier la plausibilité de sa thèse à cet égard.

352    Ainsi, comme pour les produits SFE-standard, la thèse de la Commission repose sur l’idée selon laquelle GECAS proposera des conditions favorables aux compagnies aériennes pour les inciter à accepter des avions équipés de produits BFE de l’entité fusionnée qu’elles n’auraient pas choisis si elles avaient pu faire leur propre choix. Force est de constater que la création d’une telle incitation est susceptible de représenter un certain « coût » pour l’entité fusionnée dans la mesure où une compagnie aérienne n’acceptera, en principe, un équipement ou, le cas échéant, un avion déjà acheté par GECAS qui en est équipé que si l’offre globale présentée par l’entité fusionnée est suffisamment intéressante pour que ce choix soit dans son intérêt commercial.

353    En effet, dès lors que la Commission a reconnu qu’il existe des préférences dans le chef des compagnies aériennes pour certains produits, il s’agirait pour l’entité fusionnée, dans cette hypothèse, de surmonter l’obstacle représenté par la préférence d’une compagnie aérienne pour les produits d’un autre fabricant de produits avioniques et non avioniques. Il se peut que le coût en question soit négligeable par rapport aux recettes résultant pour l’entité fusionnée de la vente des composants BFE en question, auquel cas cette pratique serait un comportement commercial rationnel pour l’entité fusionnée, mais il incombait à la Commission d’examiner cette question, vu les circonstances de l’espèce.

 Sur la création de positions dominantes sur les marchés des produits avioniques et non avioniques à l’avenir

354    À supposer que la Commission ait démontré à suffisance de droit, contrairement à ce qui ressort de l’analyse ci-dessus, que l’entité fusionnée aurait utilisé la puissance de ses filiales sur les marchés des produits avioniques et non avioniques, elle devait encore établir que ce phénomène créerait une position dominante sur les marchés en cause. En effet, la thèse avancée par la Commission dans la décision attaquée consiste à faire valoir qu’Honeywell était le leader sur ces marchés sans pourtant être en position dominante avant la fusion, mais que l’opération de concentration aurait renforcé sa puissance d’une telle façon qu’elle serait en position dominante à la suite de la fusion (considérants 241 à 243 et 341 de la décision attaquée). Il convient de relever, à cet égard, que la Commission a considéré dans la décision attaquée qu’il existait un marché distinct pour chaque produit avionique et non avionique (considérant 242 et note en bas de page n° 89) et qu’elle a encore distingué, pour chacun des produits avioniques, entre le marché des produits destinés aux avions commerciaux de grande taille, d’une part, et celui des produits destinés aux avions régionaux et d’affaires, d’autre part (considérant 231).

355    Il y a lieu de constater que l’analyse de la Commission relative à la puissance des filiales de l’entité fusionnée ne tient aucun compte des différences entre les activités de la requérante et de ses filiales par rapport à chacune des catégories d’avions. Dans la décision attaquée, la Commission a constaté que, avant la concentration, GE était en position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et pour avions régionaux de grande taille, ayant aussi une certaine présence sur le marché des réacteurs pour avions d’affaires, et que GECAS achetait des avions commerciaux et des avions régionaux de grande taille de façon spéculative, mais la décision attaquée ne contient aucune information relative à leurs éventuelles activités sur le marché des avions régionaux de petite taille. Une autre filiale de la requérante, GECCAG, qui n’achetait pas d’avions de façon spéculative, était active en tant qu’acheteur sur le marché des avions d’affaires.

356    Ainsi, par exemple, l’influence qu’aurait pu exercer GECAS sur les marchés des produits avioniques destinés aux avions régionaux et d’affaires aurait été fortement réduite par le fait qu’elle n’achetait, en principe, des avions que sur un seul des trois secteurs en cause, celui des avions régionaux de grande taille. Faute d’avoir pris en compte ces différents paramètres relatifs aux différences entre les marchés en présence, et les raisons qui modifieraient le cas échéant ces paramètres à la suite de l’opération, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que des positions dominantes auraient été créées sur ceux-ci.

357    Il convient de relever en outre que, ayant établi une distinction, au considérant 239 de la décision attaquée, entre les produits SFE-standard, qui sont sélectionnés définitivement par l’avionneur, et les produits SFE-option, qui sont certifiés par l’avionneur, la sélection finale entre deux, voire trois, produits possibles étant faite par la compagnie aérienne, la Commission n’a pas indiqué dans la décision attaquée lesquels des produits avioniques SFE examinés dans la décision attaquée relèvent de chacune de ces deux catégories. Or, ainsi que cela a été constaté ci‑dessus, l’analyse par la Commission du processus, par lequel l’influence des filiales de la requérante peut produire des effets, est très différente selon que le choix final du produit avionique est fait par l’avionneur ou par la compagnie aérienne (voir point 328 ci-dessus). En conséquence, il ne résulte pas de la décision attaquée de quelle partie de l’analyse de la Commission chaque marché pour un produit SFE spécifique relève.

358    De même, la Commission n’a pas indiqué dans la décision attaquée lesquels des produits non avioniques examinés sont vendus, respectivement, en SFE, en SFE‑option et en BFE. Ainsi, de nouveau, il n’est pas possible de déterminer, à la lecture de la décision attaquée, quelle partie de l’analyse de la Commission concerne un marché pour un produit spécifique.

359    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission et Rockwell Collins ont indiqué, pour chacun des produits avioniques et non avioniques en cause, s’il relève de la catégorie des produits SFE-standard ou de celle des produits SFE‑option ou, pour les produits non avioniques, de celle des produits BFE. Toutefois, le fait pour le Tribunal de prendre en compte ces réponses pour répartir ces produits entre les trois catégories susmentionnées aux fins de déterminer l’identité du client qui ferait le choix du produit, et, partant, quelle partie de l’analyse de la Commission s’applique à celui-ci, dépasserait les limites d’une simple interprétation de la décision attaquée et constituerait une substitution de motifs de la part du juge.

360    En toute hypothèse, il ressort des réponses de la Commission et de Rockwell Collins, mentionnées au point 359 ci-dessus, qu’il n’est pas toujours évident de savoir dans quelle catégorie de produits (SFE‑standard, SFE‑option, BFE) chaque produit doit être rangé, dès lors qu’il existe des différences entre ces deux réponses par rapport à certains produits. Il ressort également de ces réponses que certains produits avioniques et surtout non avioniques sont des produits mixtes, parfois commercialisés en SFE‑standard et parfois en SFE‑option, selon la plate‑forme en question. En conséquence, les informations qui manquent dans la décision quant à la catégorisation des produits individuels ne sont pas nécessairement des informations notoires, même pour les spécialistes de l’industrie aéronautique.

361    Il convient de relever, en outre, que la Commission a analysé chacun des marchés avioniques et non avioniques en cause de manière très brève dans la décision attaquée, aux considérants 245 à 275. En substance, elle a indiqué pour chaque produit la nature de celui-ci, l’identité des différents fabricants du produit et la part de marché de ces derniers, sur les deux marchés déterminés par la taille de l’avion équipé par le produit dans le cas des produits avioniques.

362    Il convient de constater que ni ces descriptions spécifiques de chaque marché avant l’opération figurant dans la décision attaquée, ni les descriptions générales, analysées ci-dessus, consacrées à l’exercice par les filiales de la requérante de leur puissance commerciale sur les marchés SFE‑standard, d’une part, et sur les marchés SFE‑option et BFE, d’autre part, ne permettent de déterminer quel aurait été l’impact probable de cet aspect de la concentration sur chacun des marchés en cause. Il ressort de la décision attaquée, en effet, que la situation concurrentielle sur chacun des marchés est différente, la position relative et même l’identité des concurrents en présence variant selon le marché en cause.

363    Ainsi, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que les pratiques envisagées dans la décision attaquée auraient créé une position dominante sur l’un ou l’autre, et encore moins sur l’ensemble, de ces marchés, à supposer même qu’elles soient mises en œuvre.

 Conclusion

364    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas établi avec un degré de probabilité suffisant que, à la suite de l’opération de concentration, l’entité fusionnée aurait transposé aux marchés des produits avioniques et non avioniques les pratiques constatées par la Commission sur le marché de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille consistant dans l’exploitation de la puissance financière du groupe GE attribuable à GE Capital et du levier commercial représenté par les achats d’avions de GECAS, pour promouvoir les ventes de ses produits. En toute hypothèse, elle n’a pas établi de manière adéquate que ces pratiques, à supposer qu’elles aient été mises en œuvre, auraient vraisemblablement créé des positions dominantes sur les différents marchés avioniques et non avioniques en cause. En conséquence, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la puissance financière et l’intégration verticale de l’entité fusionnée amèneraient à la création ou au renforcement de positions dominantes sur les marchés des produits avioniques ou non avioniques.

365    Au vu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner le traitement par la Commission des engagements concernant cet aspect de l’affaire, en particulier à l’égard de l’engagement relatif au comportement futur de GECAS.

2.     Sur les ventes groupées

a)     Arguments des parties

 Observations liminaires

366    La requérante affirme, en ce qui concerne le pilier du raisonnement de la Commission relatif à la capacité et à l’incitation de l’entité issue de la concentration de pratiquer des ventes groupées, que celui-ci n’est étayé ni par des preuves factuelles ni par un modèle économique quelconque.

367    Selon elle, il convient de distinguer, notamment du point de vue de leurs effets, les différents types de ventes groupées, à savoir les « ventes groupées mixtes » (mixed bundling), les « ventes groupées pures » (pure bundling) et les « ventes groupées techniques » (technical bundling).

368    Les ventes groupées pures et les ventes groupées techniques pratiquées par une entreprise en position dominante sont, selon la requérante, généralement considérées comme anticoncurrentielles, dans la mesure où cette entreprise lie les achats de produits ou de services sur un marché sur lequel elle est forte (marché liant) à des achats de produits ou de services sur un deuxième marché (marché lié), soit pour des raisons purement commerciales, mais sans contrepartie financière, soit pour des raisons techniques.

369    À l’inverse, les ventes groupées mixtes dans lesquelles l’achat groupé de produits entraîne une baisse du prix global seraient généralement considérées comme favorisant la concurrence. La requérante expose que les ventes groupées mixtes ne peuvent être, exceptionnellement, anticoncurrentielles que lorsqu’elles entraînent l’exclusion ou la marginalisation permanente des concurrents. Or, pour démontrer de tels effets, il conviendrait de procéder à une analyse économique détaillée.

370    Selon la requérante, la Commission a avancé, dans son mémoire en défense, une nouvelle théorie sur les effets de conglomérat en prétextant un « effet de levier » (leveraging) permettant d’utiliser la puissance sur un marché de manière stratégique pour exclure les concurrents sur un autre marché. À supposer même que cette théorie puisse être rattachée à des constatations dans la décision attaquée, elle ne saurait être invoquée devant le Tribunal, puisqu’elle ne figure pas dans la CG.

371    En revanche, la théorie relative aux ventes groupées avancée dans la CG fondée sur le modèle Choi ne relèverait pas de l’exercice d’un effet de levier. De même, la décision attaquée n’aborderait pas, du moins de manière adéquate, la possibilité de l’exercice d’un effet de levier, conservant, en revanche, une analyse des effets anticoncurrentiels envisagés seulement explicable par référence au modèle Choi, en dépit de son prétendu abandon.

372    Par ailleurs, la politique de prix prédateurs n’est pas mentionnée dans la décision attaquée et la Commission n’a pas prouvé que GE serait incitée à pratiquer cette politique. La Commission n’aurait pas non plus expliqué la pertinence des références dans la décision attaquée à de prétendus effets anticoncurrentiels découlant de subventions croisées.

373    La Commission, Rolls-Royce et Rockwell affirment que la décision attaquée contient des preuves convaincantes de l’existence des ventes groupées et des possibilités nouvelles de l’entité issue de la concentration à cet égard.

374    La Commission expose les principales caractéristiques des marchés en cause qui l’amènent à conclure que l’entité issue de la concentration sera incitée et aura la capacité à exclure la concurrence. Parmi ces caractéristiques figureraient, notamment, les parts de marché de chacune des parties à la concentration, le caractère complémentaire des moteurs d’avion et des produits avioniques et non avioniques, les barrières importantes à l’entrée sur les marchés considérés, les coûts importants de recherche et développement, les longs délais de rentabilisation et l’absence d’un pouvoir compensateur des clients ou d’une pression commerciale notable des concurrents.

375    La combinaison d’une large gamme de produits complémentaires permettrait à l’entité issue de la concentration d’accorder des remises discriminatoires au moyen de subventions croisées à l’égard des clients qui privilégieraient l’achat de la gamme complète. Si, à court terme, une telle pratique a des effets bénéfiques sur les prix, elle aboutira à l’exclusion des concurrents à moyen et à long terme.

376    La Commission expose avoir considéré, tout au long de la procédure, que l’entité issue de la concentration aura, à la différence de ses concurrents, la capacité et sera incitée à pratiquer les ventes groupées en octroyant des ristournes sur les produits de GE et d’Honeywell faisant l’objet de l’offre globale. Cette analyse ne serait pas nouvelle, puisque cette problématique était déjà au cœur des discussions préalables à la notification de la concentration. La Commission et Rolls-Royce soulignent que la théorie de l’effet de levier était déjà présente dans la décision attaquée (considérant 415).

377    La Commission insiste également sur le fait que les ventes groupées n’entraîneraient que des baisses temporaires de prix pour certaines combinaisons de produits, notamment parce qu’aucun gain d’efficience important ne résulterait de la concentration. En fin de compte, cette pratique éliminerait la concurrence par les mérites sur plusieurs marchés.

378    La décision attaquée indiquerait clairement les différentes formes de ventes groupées. L’entité issue de la concentration aurait la capacité de tirer parti de sa puissance sur le marché, de sa puissance financière et de sa gamme de produits complémentaires, notamment en pratiquant des subventions croisées.

 Sur l’existence de ventes groupées pures ou techniques

379    Selon la requérante, si la Commission mentionne, au début de son analyse dans la décision attaquée, les ventes groupées pures et les ventes groupées techniques, elle ne fait plus aucune référence aux ventes groupées pures par la suite et se borne à évoquer par deux fois les ventes groupées techniques sans avancer de preuves factuelles ou économiques quant à leur existence.

380    S’agissant du concept du moteur MEE (More Electrical Engine), cet exemple ne figurerait pas dans la CG et ce concept demeurerait très hypothétique. L’exemple avancé par Rockwell relatif au système avionique Primus Epic ne concernerait pas la concentration et n’aurait pas été pris en compte dans la décision attaquée.

381    La Commission réaffirme que l’entité issue de la concentration aura la capacité de subordonner la vente de produits avioniques et non avioniques d’Honeywell à la vente de moteurs GE et inversement, et de pratiquer ainsi des ventes groupées pures. La Commission souligne, à cet égard, que l’opération aurait entraîné une concentration sans précédent du côté de l’offre et évoque à cet égard l’EGPWS (Enhanced Ground Proximity Warning System, Système avertisseur de proximité du sol) d’Honeywell. Rockwell cite deux exemples de produits pour démontrer les capacités d’intégration d’Honeywell et l’utilisation par cette dernière d’interfaces fermées. Rockwell évoque également le système Primus Epic d’Honeywell comme exemple de ventes groupées pratiquées par Honeywell.

382    La Commission rappelle que, aux termes de la décision attaquée, il n’y a pas encore eu d’intégration explicite de moteurs d’avion et d’autres systèmes. Le concept MEE illustrerait la capacité d’intégration d’Honeywell et son importance en tant que fournisseur indépendant pour le développement de ce concept.

 Sur l’existence de ventes groupées mixtes

383    Selon la requérante, le fait que les ventes groupées mixtes sont généralement considérées comme bénéfiques pour la concurrence obligeait la Commission à prouver, d’une part, que l’entité issue de la concentration recourrait effectivement à cette pratique et, d’autre part, que cette pratique entraînerait effectivement l’exclusion ou la marginalisation des concurrents. Or, la décision attaquée n’établirait ni l’un ni l’autre.

384    La requérante souligne que la Commission affirme explicitement qu’il n’était pas nécessaire de se baser sur l’un ou l’autre des modèles avancés pour conclure que les offres groupées, que l’entité issue de la concentration sera en mesure de proposer, excluront les concurrents des marchés des moteurs et des produits avioniques et non avioniques (considérant 352 de la décision attaquée). En particulier, la Commission aurait renoncé à se fonder sur le modèle Choi. En suggérant qu’aucun modèle économique n’était nécessaire pour soutenir ses conclusions, GE affirme que la Commission a en réalité méconnu les preuves avancées par elle, fondées sur les travaux des professeurs Nalebuff, Rey et Shapiro, en dépit de leur bien-fondé.

385    La requérante souligne que les observations des parties intervenantes sur les ventes groupées non stratégiques sont incompatibles avec la position de la Commission alléguant le rejet du modèle Choi statique. La justification ex post de la décision attaquée par la théorie d’un comportement stratégique devrait être rejetée comme irrecevable, car elle ne figurait pas dans la CG, exclusivement fondée sur le modèle Choi (arrêt Schneider Electric/Commission, point 40 supra). De plus, la Commission ne pourrait sans abus combiner les parts de marché de CFMI avec sa théorie des ventes groupées mixtes dans la mesure où Snecma n’aurait aucun intérêt à approuver une politique de prix favorisant les produits d’Honeywell.

386    En tout état de cause, les conditions d’exercice d’un effet de levier ne seraient pas démontrées, que ce soit s’agissant des ventes groupées mixtes ou des théories additionnelles concernant les subventions croisées ou les prix prédateurs. En effet, la Commission n’aurait pas analysé les marchés concernés, ni pris en compte le fait que la valeur des moteurs dépasse largement celle des produits avioniques et non avioniques et que la pratique de ventes groupées mixtes est impossible lorsqu’il existe déjà un contrat entre le fournisseur et l’avionneur obligeant ce dernier à acheter un produit spécifique à un prix fixe.

387    De même, aucune indication précise ne serait fournie quant à l’apparition d’effets de conglomérat dans un avenir relativement proche. La Commission n’aurait aucunement tenu compte, non plus, de l’effet dissuasif de l’article 82 CE à cet égard.

388    La requérante relève à cet égard dans sa réponse aux mémoires en intervention que, à supposer même que la théorie de la Commission relative au comportement stratégique (effets de levier) soit recevable, la Commission n’a respecté aucune des conditions fixées dans l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra.

389    Le seul exemple dans la décision attaquée (considérant 368) de vente groupée mixte de moteurs avec d’autres éléments serait constitué par une offre d’Honeywell pour la plate-forme d’un constructeur. Or, la Commission n’a pas fait mention de ristournes dans ce cas. De plus, ce constructeur aurait rejeté l’offre d’Honeywell portant sur des systèmes additionnels, ce qui démontrerait la possibilité pour les avionneurs de combiner différents fournisseurs.

390    La Commission rappelle que les modèles économiques qui lui ont été présentés étaient controversés. Outre sa propre analyse, la Commission a évalué le modèle Choi et l’a présenté dans la CG pour permettre la confrontation. Elle ne pouvait s’appuyer sur ce modèle dans la mesure où il comprenait des informations chiffrées confidentielles qu’elle ne pouvait communiquer aux parties à la concentration. Pour sa part, elle n’a ni adopté ni rejeté le modèle Choi, lequel n’a été pris pour base que pour déterminer les incitations à l’optimisation à court terme des bénéfices. Elle tient d’ailleurs à s’en distinguer, car il ne prend pas en compte la volonté stratégique de l’entité issue de la concentration ni la situation de domination préexistante. Ce défaut de prise en compte d’un comportement stratégique est d’ailleurs commun aux modèles Choi et Nalebuff, qui ne proposent qu’une vision statique. Ces deux modèles examineraient la question de savoir si les ventes groupées accroissent les profits d’une entreprise à court terme et réduisent ceux de ses concurrents, de sorte qu’elle est incitée à adopter cette pratique.

391    La Commission considère que, dans le cadre d’une vision dynamique, les ventes groupées seraient également attrayantes pour l’entité issue de la concentration, même avec un sacrifice des bénéfices à court terme. La Commission et Rockwell affirment que, compte tenu de la valeur des moteurs, l’entité issue de la concentration aurait eu une capacité inégalable de pratiquer les subventions croisées, expression d’un comportement stratégique. Par ailleurs, la Commission fait valoir que l’entité issue de la concentration aurait effectivement la capacité et serait incitée à pratiquer des prix prédateurs. Elle considère qu’une telle pratique a été mentionnée dans la décision attaquée au considérant 369.

392    La Commission relève que, dans la décision attaquée, elle a examiné si les caractéristiques du secteur rendaient possibles et rentables des pratiques d’exclusion telles que les ventes groupées. Ces caractéristiques démontreraient que GE aurait eu la possibilité d’étendre ses positions dominantes pour les moteurs aux positions de force d’Honeywell pour les moteurs d’avions d’affaires et pour les produits avioniques et non avioniques. La Commission ne se serait jamais écartée de cette théorie économique bien établie.

393    La Commission considère avoir répondu, dans la décision attaquée, aux objections contenues dans le rapport Shapiro, notamment aux considérants 359 à 386, en particulier en s’appuyant sur des exemples passés. Elle aurait ainsi pleinement analysé le point de vue des parties.

394    Rolls-Royce considère que la théorie des ventes groupées n’est pas nouvelle et a déjà été utilisée par la Commission. Malgré le manque de clarté des critiques de GE relatives au modèle économique retenu, Rolls-Royce avance que le rapport de Frontier Economics démontre soit que la Commission est en accord avec les modèles Choi et Nalebuff, soit que ces modèles sont eux-mêmes en accord, soit enfin qu’elle s’est basée sur des preuves empiriques suffisantes.

395    La Commission fait valoir, en outre, qu’elle a pleinement tenu compte de la décision AlliedSignal/Honeywell mais que les conclusions de cette décision ne peuvent être simplement transposées en l’espèce. La présente espèce se caractériserait par la puissance de GE et la gamme des produits concernés.

396    Rolls-Royce estime que la tendance aux ventes groupées dans le secteur est amplement démontrée et que la concentration créerait de nouvelles occasions et incitations à cet égard.

397    Quant à l’absence de lien causal entre les pratiques reprochées et la concentration, la Commission souligne que l’effet de ces pratiques est renforcé par la concentration du fait de la gamme de produits obtenue et de la puissance de GE. L’entité issue de la concentration posséderait la capacité, grâce à ses positions dominantes sur les marchés de réacteurs, d’étendre cette puissance aux marchés des produits complémentaires d’Honeywell où elle n’est pas encore dominante et d’évincer ses concurrents. Les caractéristiques du marché permettraient une telle éviction, à tout le moins partielle.

398    La Commission fait valoir, en outre, la série d’exemples cités dans la décision attaquée relatifs aux ventes groupées.

b)     Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

399    La Commission a relevé dans la décision attaquée, en substance, que, à la suite de la concentration, l’entité fusionnée aurait la possibilité, à la différence de ses concurrents, de proposer aux clients des ensembles de produits (packages) pour les avions commerciaux de grande taille, les avions régionaux de grande taille et les avions d’affaires comprenant à la fois les réacteurs et des produits avioniques et non avioniques. Elle a également considéré qu’un tel comportement serait clairement dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée et se produirait donc probablement à la suite de l’opération (considérants 350 à 404, 412 à 416, 432 à 434, 443 et 444, et 445 à 458). Par voie de conséquence, une position dominante aurait été créée dans le chef de l’ancienne Honeywell sur les marchés de produits avioniques et non avioniques et les positions dominantes de GE auraient été renforcées, notamment sur le marché des réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille (considérant 458 de la décision attaquée).

400    La thèse de la Commission repose sur le fait que les réacteurs, d’une part, et les produits avioniques et non avioniques, d’autre part, sont des produits complémentaires dans la mesure où tous ces produits sont indispensables pour construire un avion. Le client final, opérateur de l’avion, doit donc les acheter tous, directement ou indirectement, à leur fabricant. La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les clients pour tous ces produits sont essentiellement les mêmes et que la vente de ceux-ci peut donc être groupée. La Commission constate également que le groupe de la requérante est très puissant financièrement, aussi bien par rapport à ses principaux concurrents sur les marchés des réacteurs que par rapport à ceux sur les marchés des produits avioniques et non avioniques (voir, en ce qui concerne ces derniers, considérants 302 à 304, 323 et 324 de la décision attaquée ; voir également considérants 398 et suivants). L’entité fusionnée serait donc en mesure de réduire sa marge bénéficiaire sur les produits avioniques et non avioniques dans le but d’accroître sa part de marché et de réaliser des bénéfices plus importants à l’avenir.

401    Il convient de constater, à titre liminaire, que les comportements futurs prévus dans le chef de l’entité fusionnée constituent un élément indispensable de l’analyse des ventes groupées effectuée par la Commission en l’espèce. En effet, il découle de la circonstance selon laquelle la requérante n’avait aucune présence sur les marchés des produits avioniques et non avioniques avant la concentration, combinée avec le fait qu’Honeywell n’avait aucune présence sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille avant la concentration, que celle-ci n’aurait eu aucun effet anticoncurrentiel de type horizontal sur les marchés susmentionnés. Ainsi, la concentration n’aurait eu, en principe, aucun effet sur ces marchés.

402    De plus, dans la mesure où la Commission prévoit, aux considérants 443 et 444 de la décision attaquée, que le phénomène de ventes groupées aurait eu un impact sur le marché des réacteurs pour avions d’affaires, il y a lieu de relever que la part de marché de la requérante sur ce marché, avant la concentration, était de [10 à 20] % seulement, en termes de base installée, alors que celle d’Honeywell était de [40 à 50] %, et de [0 à 10] % seulement en termes de base installée sur les seuls avions encore en production, comparée à [40 à 50] % pour celle d’Honeywell (considérant 88 de la décision attaquée). Dans ces conditions, à supposer même qu’il soit démontré que des ventes groupées de moteurs et de produits avioniques et non avioniques seraient pratiquées par l’entité fusionnée à la suite de l’opération, force est de considérer qu’il n’y aurait aucun lien de causalité entre la concentration et de telles offres, sauf dans la petite minorité des cas où ce moteur serait un produit de l’ancienne GE. De plus, il ne ressort pas de la décision attaquée que l’une ou l’autre des deux parties à la concentration fabrique des moteurs équipant des avions régionaux de petite taille. Il s’ensuit que les éventuelles ventes groupées qui pourraient être réalisées par l’entité fusionnée sur le marché des avions régionaux ne concerneraient en toute hypothèse que les avions régionaux de grande taille.

403    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, qu’il existe un seul marché pour chaque produit avionique équipant tous les avions régionaux et d’affaires ainsi qu’un seul marché pour chaque produit non avionique équipant tous les avions, y compris les avions commerciaux de grande taille. Ainsi, son raisonnement quant à la création de positions dominantes sur les marchés des différents produits avioniques par le biais de ventes groupées ne saurait être retenu en ce qui concerne le marché de chacun des différents produits avioniques équipant les avions d’affaires et régionaux. En effet, les ventes groupées attribuables à l’opération, à supposer qu’elles se manifestent réellement à la suite de l’opération, ne sauraient affecter qu’une partie de ces marchés, à savoir celle représentée par les avions régionaux de grande taille. De même, le raisonnement de la Commission est affaibli, mais dans une moindre mesure, en ce qui concerne les produits non avioniques pour lesquels la Commission a défini un marché unique pour chaque produit spécifique, quelles que soient la taille et les autres caractéristiques de l’avion équipé.

404    Dès lors, c’est, en principe, dans le secteur des avions commerciaux de grande taille, pour lesquels la Commission a défini des marchés distincts aussi bien en ce qui concerne les réacteurs qu’en ce qui concerne chaque produit avionique, que la thèse de la Commission sur les ventes groupées pourrait éventuellement être entérinée.

405    En ce qui concerne l’éventuel impact de la concentration sur les marchés de réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille et pour les avions régionaux de grande taille ainsi que sur ceux des produits avioniques pour les avions commerciaux de grande taille et sur ceux des produits non avioniques, il convient d’examiner si la Commission a établi que l’entité fusionnée aurait non seulement eu la capacité matérielle d’exercer les pratiques de ventes groupées décrites dans la décision attaquée, mais aussi, sur la base de preuves solides, probablement eu recours à ces pratiques à la suite de la concentration, de sorte qu’une position dominante aurait été créée ou renforcée sur un ou plusieurs des marchés en cause dans un avenir relativement proche (arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, points 146 à 162).

406    Il est nécessaire de faire la distinction également, comme le relève la requérante, à juste titre, entre trois phénomènes, à savoir les ventes groupées pures (pure bundling), c’est-à-dire les ventes liées du fait de l’imposition exclusivement commerciale d’une obligation d’acheter deux ou plusieurs produits ensemble, les ventes groupées techniques (technical bundling), c’est-à-dire les ventes liées du fait de l’imposition par une intégration technique des produits, et les ventes groupées mixtes (mixed bundling), c’est-à-dire le fait de vendre plusieurs produits ensemble à de meilleures conditions que celles proposées si les produits sont achetés séparément. L’analyse de la Commission à l’égard de chacun de ces trois types de ventes groupées sera traitée, sous trois intitulés séparés ci‑après. Il convient toutefois d’examiner d’abord certaines limitations pratiques affectant l’ensemble du raisonnement de la Commission sur les ventes groupées et qui ressortent de la décision attaquée.

 Sur les ventes groupées en général

407    Il existe un problème pratique en ce qui concerne l’analyse faite par la Commission des ventes groupées, dans la mesure où le client final pour les différents réacteurs, produits avioniques et produits non avioniques n’est pas toujours le même.

408    En effet, lorsqu’un moteur est sélectionné par l’avionneur à titre exclusif, de sorte que la plate-forme est unisource (sole source platform), c’est ce dernier qui est essentiellement le client du fabricant, et tel est le cas également en ce qui concerne les produits avioniques et non avioniques SFE standard. Dans cette hypothèse, le seul choix dans le chef de la compagnie aérienne à cet égard est, a priori, d’acheter ou de ne pas acheter l’avion.

409    En revanche, dans les cas où l’avionneur approuve plusieurs réacteurs pour sa plate-forme, ce qui en fait une plate-forme multisource (multi‑source platform), c’est la compagnie aérienne qui choisit le moteur parmi ceux qui sont disponibles, ainsi qu’elle le fait en ce qui concerne les produits avioniques et non avioniques BFE et SFE-option. Il résulte de ce qui précède que, a priori, des ventes groupées ne sont possibles, à l’égard des avionneurs, qu’entre les réacteurs de GE et les produits d’Honeywell SFE-standard sur les plates-formes « à source unique » et, à l’égard des compagnies aériennes, qu’entre les réacteurs de GE et les produits d’Honeywell BFE/SFE-option sur les plates-formes « multisources ».

410    Ces constatations excluent, en principe, la possibilité de ventes groupées pures dans les cas autres que ceux susmentionnés, c’est-à-dire qu’elles l’excluent dans les cas où il n’y a pas d’identité entre le client qui sélectionne le moteur et celui qui sélectionne le produit avionique ou non avionique en question.

411    Par ailleurs, en ce qui concerne la promotion de produits avioniques et non avioniques SFE-standard sur des plates-formes multisources à travers des ventes groupées mixtes, la décision attaquée ne contient aucun examen du problème relevé au point 408 ci-dessus. La Commission se borne à affirmer, au considérant 349 de la décision attaquée, que « le caractère complémentaire des offres de produits de GE et d’Honeywell, associé à leurs positions respectives existantes sur le marché, donnera à l’entité issue de l’opération de concentration la capacité et l’incitation, en bonne logique économique, à se lancer dans des offres subordonnées ou un subventionnement croisé de l’ensemble des ventes de produits aux deux catégories de clients », en renvoyant pour le reste à son analyse des produits SFE-option et BFE aux considérants 350 et suivants.

412    En ce qui concerne la possibilité pour l’entité fusionnée de promouvoir ses produits BFE ou SFE-option par la voie des ventes groupées mixtes sur les plates‑formes unisources, il existe également des difficultés dès lors qu’elle sera tenue, en principe, vis-à-vis de l’avionneur, de fournir son moteur à un prix fixe, quel que soit le choix fait par les compagnies aériennes pour des produits avioniques et non avioniques BFE.

413    S’il ressort du considérant 391 de la décision attaquée que le fait qu’un prix soit fixé à l’avance pour un moteur n’écarte pas nécessairement la possibilité de ventes groupées mixtes, il n’en demeure pas moins que cette considération réduit significativement les possibilités de ventes groupées mixtes comprenant ce moteur, et les rend plus difficiles à réaliser pour l’entité fusionnée.

414    En outre, pendant la procédure administrative, les parties à l’opération ont fait valoir qu’il existe également des problèmes pratiques en raison du fait que les moteurs pour une plate-forme sont sélectionnés en principe plus tôt dans le processus de conception d’un nouvel avion que ne le sont les produits avioniques et non avioniques, même SFE (voir considérant 371 de la décision attaquée). En réponse à ces critiques, la Commission cite, dans la décision attaquée, des exemples de cas dans lesquels les moteurs et produits avioniques ou non avioniques ont été sélectionnés plus ou moins en même temps (considérant 372) et conclut que l’« on ne saurait donc affirmer que la procédure de sélection des systèmes ne peut être aménagée en fonction d’un calendrier qui permette [les ventes groupées] » (considérant 373).

415    Il découle de ces considérations, que la Commission a retenues dans la décision attaquée et que la requérante n’a pas spécifiquement remises en cause devant le Tribunal, que les ventes groupées ne sont pas impossibles en raison du calendrier de sélection des différents produits. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les pratiques commerciales en question ne s’inscrivent pas naturellement dans le mode de fonctionnement habituel des marchés en question, ce qui implique un effort commercial supplémentaire pour une entreprise qui souhaiterait les imposer à ses clients.

416    Si ces problèmes pratiques ne rendent certes pas impossibles les ventes groupées, il n’en demeure pas moins qu’elles augmentent la difficulté liée à leur mise en œuvre et, partant, rendent cette dernière moins probable.

 Sur les ventes groupées pures

417    En ce qui concerne les ventes groupées pures, la Commission envisage que le moteur ou l’un des produits avioniques et non avioniques puisse être le produit liant, c’est-à-dire le composant indispensable ou à tout le moins de premier choix que l’entité fusionnée refuserait de vendre indépendamment de ses autres produits (considérants 351 et 415 de la décision attaquée).

418    Étant entendu, que pour les raisons exposées ci-dessus, notamment aux points 408 à 410, les ventes groupées pures ne sont envisageables que lorsque les clients sont les mêmes pour chaque produit, il convient de constater, en outre, que, dans les cas où une plate-forme est « multisource » pour la motorisation et que les produits avioniques en question sont des produits BFE ou SFE-option, la possibilité d’une vente groupée pure est très réduite. Ce ne serait, en effet, que dans l’hypothèse où, pour des raisons techniques ou autres, une compagnie aérienne aurait une préférence prononcée pour le moteur de l’entité fusionnée qu’une telle stratégie pourrait éventuellement la forcer à acheter un produit avionique ou non avionique BFE auprès de l’entité fusionnée. Or, il convient de relever que la Commission n’a pas examiné in concreto dans la décision attaquée pour quelles plates‑formes et/ou quels produits spécifiques une telle politique commerciale aurait pu se révéler efficace.

419    Il y a lieu de rappeler également à cet égard l’absence relevée ci-dessus, en particulier au point 362, d’une analyse des effets de la concentration sur les marchés individuels des produits avioniques et non avioniques définis par la Commission. De plus, étant donné que les préférences pour un produit sont le plus souvent relatives, c’est-à-dire non absolues, il aurait été nécessaire, dans le cadre d’un tel examen, de prendre en compte également les éventuelles conséquences commerciales néfastes de telles ventes groupées pures, en ce sens qu’une telle attitude pourrait éventuellement dissuader un acheteur du moteur de l’entité fusionnée malgré sa préférence, le cas échéant légère, pour celui-ci. Dès lors que la Commission n’a entrepris aucun examen détaillé de cette nature dans la décision attaquée, elle n’a pas établi que la pratique de ventes groupées pures aurait été envisageable pour l’entité fusionnée dans des cas où un de ses moteurs équipant une plate‑forme multisource serait le produit liant.

420    En ce qui concerne les éventuelles ventes liées d’un moteur équipant un avion à titre exclusif ainsi que des produits avioniques et non avioniques SFE, la Commission n’a présenté aucun exemple concret du fonctionnement des comportements qu’elle prévoit à l’avenir. De nouveau, l’absence d’une analyse spécifique des marchés prive son raisonnement de la précision nécessaire pour qu’il puisse justifier la conclusion qu’elle en tire. Si la Commission a conclu à l’existence d’une position dominante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, elle a toutefois considéré qu’il existait une certaine concurrence résiduelle sur ce marché, de sorte que le fait pour l’entité fusionnée de « forcer » un avionneur à sélectionner des produits avioniques ou non avioniques SFE pourrait avoir des conséquences commerciales néfastes pour elle dans la mesure où celui-ci pourrait être amené à choisir le produit d’un autre fabricant dans certains cas. La Commission n’ayant pas examiné cette possibilité dans la décision attaquée, elle n’a pas établi que des ventes groupées pures auraient permis de placer des produits SFE sur les plates-formes d’avions commerciaux de grande taille.

421    Quant à la possibilité que l’un ou l’autre des produits avioniques ou non avioniques de l’ancienne Honeywell puisse servir de produit liant et forcer des clients à acheter le moteur de l’entité fusionnée, la Commission avance, au considérant 415 de la décision attaquée, un seul exemple concret possible de vente groupée pure. En effet, elle relève ce qui suit : « L’entité issue de l’opération de concentration sera capable de subordonner la vente des produits où Honeywell détient 100 % de part de marché (les EGPWS par exemple) à la vente de son réacteur. Afin d’obtenir ces produits, les compagnies aériennes n’auront d’autre choix que d’acheter le moteur proposé par l’entité résultant de la fusion. » En ce qui concerne la possibilité d’exercer une pression similaire sur les avionneurs, la Commission est moins affirmative, se bornant à relever, au considérant 416, que « GE aura la possibilité de renforcer sa position dominante vis-à-vis des avionneurs au moyen d’offres groupées ou de ventes liées ».

422    Il convient de relever que la thèse de la Commission à cet égard suppose que l’entité fusionnée serait en mesure de pratiquer une forme de chantage commercial vis-à-vis de ses clients en refusant de vendre un produit avionique essentiel mais de valeur peu élevée, à moins que ces derniers n’acceptent d’acheter ses réacteurs. Si le pouvoir des clients de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille pour lui résister, aussi bien en ce qui concerne les avionneurs que les compagnies aériennes, est limité (voir points 274 et suivants ci-dessus et les considérants 224 à 228 de la décision attaquée) et le serait davantage encore vis-à-vis de l’entité fusionnée à la suite de l’opération de concentration, la Commission n’a pas établi, en l’espèce, que ces clients auraient perdu tout pouvoir résiduel de résister à l’imposition d’une telle pratique.

423    En ce qui concerne le produit spécifique mentionné par la Commission à cet égard, à savoir les EGPWS, il ressort des considérants 253 à 256 qu’il existait d’autres produits pouvant être substitués à celui de l’ancienne Honeywell. La Commission constate qu’aucun des ces produits n’a été vendu en quantités significatives sur le marché et relève que, selon Thales, l’absence d’une réputation établie pour son produit s’est révélée être une barrière formidable à son entrée sur ce marché. Toutefois, dans l’hypothèse où l’entité fusionnée adopterait l’attitude commerciale extrême qu’est une pratique de vente groupée pure, à savoir, en réalité, la menace d’un refus de vente, les clients pourraient préférer utiliser un autre produit, même inférieur, à la place de l’EGPWS de l’ancienne Honeywell, plutôt que d’accepter un réacteur qui n’est pas celui de leur choix. En toute hypothèse, il incombait à la Commission de considérer cette possibilité. En particulier, elle n’a pas écarté la possibilité que des clients sélectionnent le système TAWS (Terrain Avoidance Warning System) d’Universal avionics, comme l’a fait la compagnie Airborne en janvier 2001, se bornant à relever que, selon Rockwell Collins, Universal Avionics ne s’est pas associée à elle pour remporter ce contrat (considérant 256). Cette dernière circonstance est sans pertinence par rapport à la question de savoir si le produit d’Universal Avionics constituerait une alternative viable à celui d’Honeywell.

424    Enfin, conformément à l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, confirmé à cet égard par la Cour sur pourvoi dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, la Commission devait également tenir compte de l’éventuel impact, sur les marchés en cause, de l’effet potentiellement dissuasif de l’interdiction des abus de position dominante énoncée à l’article 82 CE.

425    Compte tenu du caractère extrême, dans une perspective commerciale, des comportements décrits ci-dessus qui auraient été nécessaires à la réalisation d’une stratégie fondée sur les ventes groupées pures en l’espèce, il incombait à la Commission de prendre en compte l’impact potentiel de l’interdiction des abus de position dominante en droit communautaire sur l’incitation dans le chef de l’entité fusionnée à mettre en œuvre une telle pratique. Dès lors qu’elle ne l’a pas fait, elle a commis une erreur de droit ayant comme conséquence que son analyse est faussée et, partant, entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

426    Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que l’entité fusionnée aurait eu recours à des ventes groupées pures à la suite de la concentration et son analyse est entachée de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation à cet égard.

 Sur les ventes groupées techniques

427    En ce qui concerne les ventes groupées techniques, la Commission s’appuie sur l’intégration entre les différents produits avioniques et sur le futur développement du projet de « moteur d’avion plus électrique » (More Electrical Aircraft Engine, voir considérant 291 de la décision attaquée), tout en admettant elle-même que « l’intégration explicite du moteur et des systèmes ne s’est pas encore produite ». Elle fait valoir qu’il y a lieu de penser qu’une telle intégration se produira « dans un avenir proche » dans le cadre dudit projet, mais elle ne fournit pas de détails concernant ce programme ni n’indique d’échéance avant laquelle cette intégration, selon elle, est prévisible. Toutefois, elle s’appuie exclusivement sur le futur développement de ce projet pour conclure que l’élimination d’Honeywell, en tant que partenaire potentiel d’innovation, renforcera encore la position dominante de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille (considérants 417 et 418 de la décision attaquée).

428    Cette simple description d’une évolution possible du marché, sans un exposé, même sommaire, des détails du projet qui rendrait cette évolution probable, ne suffit pas à établir le bien‑fondé de la thèse de la Commission à cet égard.

429    Selon l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra (points 155 et suivants), approuvé par la Cour sur pourvoi à cet égard dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra (points 39 et suivants), il appartient à la Commission de démontrer quant à l’évolution future du marché, sur la base d’éléments de preuve solides et avec un degré de probabilité suffisant quant à l’évolution future du marché, non seulement qu’un éventuel comportement qu’elle prévoit aura lieu dans un avenir relativement proche, mais que, en outre, ce comportement aboutira à la création ou au renforcement d’une position dominante dans un avenir relativement proche, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. L’absence d’une analyse détaillée des liens techniques susceptibles d’être créés entre les réacteurs, d’une part, et les produits avioniques et non avioniques, d’autre part, ainsi que l’incidence probable de ces liens en termes d’évolution des différents marchés en présence entament également la crédibilité de la thèse de la Commission. Il ne suffit pas que la Commission avance une série d’étapes logiques mais hypothétiques, dont elle craint que la réalisation pratique ait des conséquences néfastes pour la concurrence sur une série de marchés différents. Il lui incombe, au contraire, d’analyser spécifiquement l’évolution probable de chaque marché sur lequel elle prétend démontrer la création ou le renforcement d’une position dominante du fait de l’opération notifiée, preuves solides à l’appui.

430    Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas établi de manière adéquate que l’entité fusionnée aurait eu la capacité matérielle, au lendemain de la concentration, voire dans un avenir relativement proche, de lier les ventes de ses produits avioniques et/ou non avioniques à celles de ses réacteurs par l’imposition de contraintes techniques.

 Sur les ventes groupées mixtes

431    En ce qui concerne les ventes groupées mixtes, il convient de constater que, sous réserve des constatations faites aux points 408 à 411 ci-dessus concernant l’identité du client, et celles aux points 414 et 415 concernant le calendrier selon lequel les différents composants d’un avion sont commandés, l’entité fusionnée aurait pu, dans certains cas et pour certains produits, proposer des prix moins élevés pour une série de produits à condition qu’ils soient tous sélectionnés. En effet, un acteur économique peut, en principe, toujours faire une offre globale couvrant plusieurs produits qui sont normalement vendus séparément.

432    Toutefois, une telle offre ne produira des effets économiques sur le marché que dans la mesure où les clients l’acceptent et, en particulier, n’exigent pas la décomposition de celle-ci produit par produit. Il incombait donc à la Commission de démontrer que l’entité fusionnée aurait été en mesure d’insister sur le respect du caractère groupé de ses offres à ses clients. De plus, ainsi que cela a été relevé ci-dessus, il appartenait à la Commission d’établir l’existence d’une probabilité que l’entité fusionnée ait mis en œuvre cette possibilité de pratiquer des ventes groupées.

433    Il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, le Tribunal s’est exprimé de manière relativement stricte sur la question de savoir quelles preuves la Commission se doit d’apporter si elle se sert, comme élément de son analyse, du fait qu’une entreprise adoptera un comportement donné à l’avenir de sorte qu’une position dominante sera créée, considérant qu’il lui appartient d’avancer des « preuves solides » dans un tel cas (voir, en particulier, points 154 et suivants de l’arrêt). Comme l’a relevé la Cour en approuvant cette partie de l’arrêt sur pourvoi, le Tribunal n’a en aucune manière ajouté une condition relative au degré de preuve requis du fait de l’utilisation de ces termes, mais a simplement rappelé la fonction essentielle de la preuve, qui est de convaincre du bien-fondé d’une thèse ou, comme en l’espèce, d’une décision en matière de concentrations (arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, point 41).

434    En l’espèce, la Commission a essentiellement employé trois types de raisonnement distincts dans la décision attaquée pour établir la probabilité que l’entité fusionnée ait pratiqué réellement des ventes groupées mixtes.

435    Premièrement, elle prétend que des pratiques analogues à celles qu’elle envisage ont déjà été utilisées sur les marchés en cause par le passé, notamment par Honeywell (voir, notamment, considérants 361 à 370 de la décision attaquée). Il convient de relever également, dans ce contexte, que la Commission considère pertinentes à cet égard la « puissance d’Honeywell en matière d’intégration de [produits] » (considérants 289 à 292 de la décision attaquée) ainsi que la « puissance d’Honeywell en matière de ventes groupées » (considérants 293 à 297 de la décision attaquée).

436    Deuxièmement, elle a fait valoir qu’il résulte de théories économiques bien établies, notamment les « effets Cournot » (voir, notamment, considérants 374 à 376 de la décision attaquée), que l’entité fusionnée serait incitée économiquement à exercer les pratiques prévues par la Commission, sans qu’il soit besoin de s’appuyer sur un modèle économique spécifique à cet égard.

437    Troisièmement, la Commission prétend que l’objectif stratégique de l’entité fusionnée sera d’augmenter sa puissance sur les différents marchés où elle est présente et que, compte tenu de cette volonté, la pratique par elle de ventes groupées sera un comportement économiquement rationnel pour elle et, partant, un comportement probable (voir, en particulier, considérants 353, 379, 391 et 398 de la décision attaquée). En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a indiqué, à l’audience, qu’elle s’appuyait sur l’effet combiné de l’incitation résultant, selon elle, de la situation commerciale de la requérante et du choix stratégique de l’entité fusionnée.

438    Ces trois types de raisonnement utilisés par la Commission dans cette partie de la décision attaquée seront examinés successivement ci‑après.

–       Sur les pratiques antérieures

439    En ce qui concerne les pratiques antérieures, il convient de relever d’abord que les exemples présentés par la Commission se rapportent essentiellement à des ventes groupées prétendument pratiquées par Honeywell de produits avioniques et non avioniques (voir, notamment, considérants 362 à 365 et 367 de la décision attaquée). À supposer même que ces exemples soient établis à suffisance de droit, ils sont peu pertinents pour démontrer l’existence probable, dans le chef de l’entité fusionnée à la suite de l’opération, de la capacité de grouper des ventes de moteurs avec celles de produits avioniques et non avioniques, et de l’incitation commerciale à ce faire. En effet, il est constant que le prix du moteur est nettement plus élevé que celui de chaque composant avionique ou non avionique, de sorte que la dynamique commerciale d’une vente groupée mixte est très différente selon qu’il s’agit uniquement de produits avioniques et non avioniques, d’une part, ou de ces produits ainsi que d’un moteur, d’autre part. Ainsi, il ne saurait être établi, sur la base d’exemples relatifs aux seuls produits avioniques et non avioniques, que des ventes groupées mixtes comprenant également des réacteurs auraient été praticables et commercialement avantageuses pour l’entité fusionnée à la suite de l’opération de concentration.

440    Le seul exemple concret d’une vente groupée, avancé par la Commission, concernant à la fois un moteur et des produits avioniques/non avioniques, se rapporte au […], un avion d’affaires (voir considérant 368 de la décision attaquée). Toutefois, la Commission admet elle-même, dans la dernière phrase du considérant 368, que l’avionneur en question a […] Ainsi, cet exemple, tel que présenté dans la décision attaquée, n’établit pas qu’Honeywell ait pu pratiquer des ventes groupées comprenant des moteurs pour avions d’affaires et des produits avioniques/non avioniques de manière effective. Bien au contraire, le fait que […] est la négation même de la thèse de la Commission à cet égard.

441    La Commission relève également aux considérants 366 et 367 de la décision attaquée que la possibilité pour Honeywell de pratiquer des ventes groupées extensives comprenant à la fois des moteurs et des produits avioniques/non avioniques n’est apparue que récemment, notamment depuis la fusion entre Honeywell et AlliedSignal en 1999. Si cette circonstance pourrait expliquer pourquoi la Commission n’a pu trouver qu’un seul exemple de telles ventes groupées, elle ne saurait pallier l’absence d’exemples convaincants sur la base desquels le Tribunal pourrait éventuellement conclure que les pratiques antérieures démontraient la probabilité de pratiques similaires à l’avenir.

442    En outre, il existe des différences significatives entre le secteur des avions commerciaux de grande taille sur lequel la concentration permettrait à l’entité fusionnée de pratiquer des ventes groupées pour la première fois à l’avenir et celui des avions d’affaires, notamment dans la mesure où les premiers sont parfois des plates-formes « multisources » en ce qui concerne les moteurs, cas dans lequel le client du motoriste est la compagnie aérienne, alors que les avions d’affaires sont toujours des plates-formes « unisources », cas dans lequel le client est l’avionneur.

443    Au vu de ce qui précède, les exemples avancés par la Commission relatifs aux pratiques antérieures d’Honeywell n’établissent pas qu’il était probable que l’entité fusionnée ait pratiqué des ventes groupées mixtes comprenant, d’une part, les réacteurs de l’ancienne GE et, d’autre part, des produits avioniques et non avioniques de l’ancienne Honeywell à la suite de l’opération de concentration.

–       Sur les analyses économiques

444    Quant au deuxième volet du raisonnement de la Commission relatif aux modèles économiques, la requérante relève que la Commission s’est appuyée, dans la CG, sur le modèle Choi, selon lequel une entreprise comme l’entité fusionnée ayant un portefeuille de produits important aurait la capacité et l’intérêt nécessaire pour pratiquer des ventes groupées mixtes. Elle soutient, par ailleurs, que la Commission a ensuite abandonné ce modèle dans la décision attaquée. En revanche, la Commission affirme devant le Tribunal qu’elle n’a ni adopté ni rejeté ce modèle, considérant que l’incitation pour l’entité fusionnée à pratiquer des ventes groupées à la suite de la concentration ressort des termes de la décision attaquée en toute hypothèse (voir, en particulier, considérants 374 à 376 de la décision attaquée sur les « effets Cournot »).

445    Il convient de relever, à cet égard, que la Commission a affirmé, au considérant 352 de la décision attaquée, qu’il n’était pas nécessaire de se baser sur l’un ou l’autre des modèles avancés au cours de la procédure administrative. En outre, le conseiller‑auditeur a constaté dans son rapport que la Commission ne s’appuyait plus, dans son projet de décision, sur le modèle Choi.

446    Par ailleurs, la Commission n’a pas fait référence dans la décision attaquée au modèle Choi, sauf de manière indirecte, dans la mesure où elle relève, au considérant 352, que « [l]es diverses analyses économiques ont donné lieu à un débat théorique, en particulier en ce qui concerne le modèle économique [des ventes groupées mixtes] préparé par une des parties tierces ». En revanche, comme le relève la requérante, la Commission avait exposé de manière détaillée le contenu du modèle Choi dans la CG et avait expressément invoqué ce modèle comme un élément de preuve étayant sa thèse quant au comportement futur de l’entité fusionnée et aux conséquences économiques de celui-ci. Dans ces conditions, si la Commission n’a pas reconnu que le modèle Choi était dépourvu de valeur probante, elle ne s’est pas appuyée, dans la décision attaquée, sur ce modèle de manière positive. Ainsi, il y a lieu de considérer, aux fins de la présente procédure, que la décision attaquée n’est étayée par aucun modèle économique qui analyse, sur la base des données spécifiques au cas d’espèce, les conséquences probables de l’opération notifiée.

447    Il convient donc d’examiner si, en l’absence d’un tel modèle économique, la Commission a établi qu’il aurait existé une incitation dans le chef de l’entité fusionnée à la suite de l’opération de concentration à pratiquer des ventes groupées mixtes.

448    Aux considérants 349 à 355 de la décision attaquée, où la Commission expose le mécanisme par lequel les ventes groupées créeraient des positions dominantes sur les marchés des produits avioniques et non avioniques, la Commission se borne essentiellement à expliquer les raisons pour lesquelles, selon elle, l’entité fusionnée serait en mesure de pratiquer des ventes groupées à la suite de l’opération. Ainsi, elle fait référence, en ce qui concerne les produits SFE‑standard, à « la capacité de la nouvelle entité de proposer aux avionneurs des offres groupées » (considérant 349). Quant aux produits BFE et SFE‑option, elle affirme que l’entité fusionnée « sera capable de proposer un ensemble de produits qui n’ont jamais été regroupés sur le marché avant l’opération de concentration et avec lequel aucun autre concurrent individuel ne peut rivaliser » (considérant 350), qu’elle pourra « encourager la sélection des produits BFE et SFE‑option d’Honeywell en les intégrant dans un ensemble plus vaste comprenant des moteurs et des services auxiliaires de GE » (considérant 350) et qu’elle « sera en mesure de fixer le prix de ses offres groupées de manière à encourager les clients à acheter des moteurs de GE et des produits BFE et SFE‑option d’Honeywell plutôt que ceux des concurrents » (considérant 353).

449    Là où la Commission se réfère, dans lesdits considérants 349 à 355, à l’incitation, à l’opposé de la simple capacité qu’aurait l’entité fusionnée à mettre en œuvre ces pratiques, aucune preuve ni aucune analyse susceptible d’établir la probabilité réelle qu’une telle incitation existe à la suite de l’opération de concentration n’est avancée. Ainsi, la Commission se borne à affirmer, au considérant 349, que « le caractère complémentaire des offres de produits de GE et d’Honeywell, associé à leurs positions respectives existantes sur le marché, donnera à l’entité issue de l’opération de concentration la capacité et l’incitation, en bonne logique économique, à se lancer dans des offres [groupées] ou dans un subventionnement croisé de l’ensemble des ventes de produits aux deux catégories de clients » sans expliquer pourquoi elle considère que ces circonstances suffisent à donner lieu à cette incitation. Au considérant 354, elle relève que « les incitations de l’entité issue de l’opération de concentration à pratiquer la subordination de vente peuvent évoluer à court et à moyen terme, par exemple, lors du développement de nouvelles générations de plates-formes et d’équipements d’aéronefs », sans pour autant exposer quelles seraient les causes de ces incitations, ni quelles seraient les différences entre celles-ci avant ou après l’évolution anticipée.

450    Ainsi, l’exposé aux considérants 349 à 355 n’établit pas que l’entité fusionnée aurait été incitée à pratiquer des ventes groupées mixtes à la suite de l’opération de concentration. Toutefois, la Commission avance d’autres considérations sous l’intitulé « (2) Les arguments des parties concernant les offres [groupées] ». En particulier, une section sous ce titre est, à son tour, intitulée « L’effet Cournot des [ventes groupées] ». La notion d’« effets Cournot » est une théorie économique décrivant, en substance, les avantages pour une firme qui vend une large gamme de produits, à l’égard de ses concurrents dont la gamme est plus restreinte, du fait que, si elle propose des réductions sur tous les produits de la gamme, réduisant ainsi sa marge bénéficiaire sur chacun, elle bénéficie néanmoins de cette pratique de manière globale du fait qu’elle vend une quantité plus importante de tous les produits de sa gamme.

451    Aux considérants 374 à 376, qui figurent sous cet intitulé, la Commission répond, en substance, à des arguments des parties notifiantes selon lesquels « elles sont peu incitées à réduire les prix de leurs produits respectifs en raison de l’inélasticité relative de la demande d’aéronefs par rapport au prix des moteurs et des composants et du fait, également, que le prix global d’un aéronef ne constitue qu’un des nombreux facteurs entrant en ligne de compte dans la décision d’une compagnie aérienne d’acheter ou non un avion supplémentaire ».

452    Ayant relevé, au considérant 375, qu’elle ne considère pas que la demande d’équipements et de composants d’aéronefs soit totalement « inélastique », la Commission poursuit en affirmant au considérant 376 que, en tout état de cause, la demande pour les produits des entités considérées individuellement est en réalité élastique. Elle en déduit que, « même si [la pratique de ventes groupées] ne devait pas affecter la demande globale d’avions ou de réacteurs et de composants en volume, cette pratique entraînerait une nouvelle répartition et, partant, un transfert de parts de marché en faveur de l’entité issue de l’opération de concentration ».

453    Il découle de ce raisonnement que, selon la Commission, l’entité fusionnée aurait été incitée à pratiquer des ventes groupées mixtes à la suite de l’opération de concentration en vertu de l’effet Cournot, que la demande, au niveau du marché de chaque produit équipant les aéronefs, soit élastique ou non. Toutefois, comme l’affirme le cabinet Frontier Economics, engagé par Rolls-Royce en l’espèce, dans son bulletin de concurrence d’août 2001 annexé à la requête, une démonstration basée sur des effets Cournot supposerait une analyse empirique détaillée, tant de l’ampleur des réductions de prix et des mouvements de ventes attendus que des coûts et des bénéfices marginaux des différents opérateurs du marché.

454    Il y a lieu de relever, également, que la Commission elle-même semble avoir considéré, au stade de la procédure administrative, qu’une analyse économique était nécessaire à une telle démonstration. En effet, les points 526 à 528 de la CG sont identiques aux considérants 374 à 376 de la décision attaquée, sauf dans la mesure où il y a, dans la CG, une note en bas de page n° 175, à laquelle il est renvoyé à la fin du point 528 de celle-ci, où la Commission relève que le professeur Choi avait élaboré un modèle analysant l’hypothèse dans laquelle la demande pour les produits en cause serait inélastique, dont il ressortait que les ventes groupées étaient susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels.

455    Par ailleurs, la requérante invoque les rapports d’autres économistes, en particulier ceux des professeurs Nalebuff, Rey et Shapiro, annexés à la réponse à la CG et à la requête, qui indiquent, en substance, que l’entité fusionnée n’aurait probablement pas été incitée, à la suite de l’opération notifiée, à pratiquer des ventes groupées mixtes, du moins de manière significative, contrairement à la conclusion du professeur Choi. En particulier, les professeurs Nalebuff et Rey critiquent les suppositions de départ faites par le professeur Choi quant à la nature du marché, et le professeur Rey relève, notamment, que le modèle Choi était susceptible d’aboutir, validement selon ses propres restrictions de paramétrage, à des résultats divergents selon la série de paramètres de départ retenue.

456    Sans qu’il soit besoin d’apprécier en détail, dans le cadre de la présente procédure, ni le bien-fondé des conclusions auxquelles les différents économistes sont arrivés ni le poids relatif de l’analyse des professeurs Nalebuff, Rey et Shapiro par rapport à celle du professeur Choi, il est permis d’en déduire que la question de savoir si des effets Cournot auraient donné lieu à une incitation dans le chef de l’entité fusionnée à pratiquer des ventes groupées mixtes en l’espèce est un sujet de controverse. La conclusion à laquelle la Commission est arrivée quant à la probabilité de l’existence d’une telle incitation ne découle certainement pas de manière directe et inévitable de la théorie économique des effets Cournot.

457    Par ailleurs, une autre considération tenant aux modalités de mise en œuvre de la pratique de ventes groupées s’oppose à ce que la thèse de la Commission puisse être établie par référence aux effets Cournot en l’espèce.

458    À cet égard, la requérante a relevé, à juste titre, au stade de la procédure administrative, ainsi que devant le Tribunal, que Snecma n’aurait eu aucun intérêt à sacrifier une partie de ses bénéfices en accordant des réductions de prix afin de promouvoir les ventes de produits de l’ancienne Honeywell, de sorte que des ventes groupées mixtes comprenant des moteurs de CFMI auraient été impossibles. La Commission n’a pas tenu compte de manière adéquate, dans la décision attaquée, de l’impact commercial que cette circonstance aurait nécessairement eu sur l’incitation dans le chef de l’entité fusionnée, à la suite de l’opération, à pratiquer des ventes groupées au considérant 393 de la décision attaquée où elle a relevé qu’il n’y a aucune raison que Snecma, qui n’est pas en concurrence avec GE en tant que motoriste indépendant, n’encourage pas cette démarche.

459    Dans l’hypothèse où Snecma accepterait de réduire le prix de vente d’un moteur CFMI afin d’augmenter la vente d’un ensemble en groupant ce moteur avec des produits avioniques et non avioniques fabriqués par l’entité fusionnée, elle ne profiterait de cette pratique que dans la mesure où ses ventes de moteur seraient augmentées. Il n’y aurait donc pas d’effets Cournot servant à augmenter les bénéfices de Snecma sur l’ensemble d’une gamme de produits. Si le phénomène des effets Cournot constitue, selon la thèse de la Commission, la preuve de l’existence d’une incitation à pratiquer les ventes groupées, force est de constater que ce raisonnement ne saurait justifier sa conclusion, au considérant 393 de la décision attaquée, selon laquelle, à cet égard, Snecma aurait eu le même intérêt commercial que l’entité fusionnée.

460    Ainsi, les réductions sur le prix du moteur proposées aux clients dans le cadre des offres groupées mixtes comprenant un moteur CFMI devraient, en principe, être financées exclusivement par GE. En d’autres termes, un montant correspondant à la valeur absolue d’une telle réduction aurait dû être déduit de la moitié environ du prix d’un moteur CFMI dû à GE en vertu de sa participation dans l’entreprise commune, étant donné que Snecma n’aurait pas un intérêt commercial comparable à celui de GE à participer au financement d’une telle réduction de manière significative. Ainsi, le « levier » dont aurait disposé l’entité fusionnée, sur le marché de réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille, pour promouvoir ses ventes groupées, serait, en principe, plus petit en ce qui concerne les moteurs de CFMI que pour les moteurs fabriqués par GE seule.

461    En conséquence, des offres groupées mixtes comprenant des moteurs CFMI auraient été nettement moins rentables commercialement du point de vue de l’entité fusionnée que si la requérante en avait été le seul fabricant. À supposer même que l’existence d’un effet Cournot ait pu être établie en l’espèce pour des offres groupées mixtes comprenant des moteurs de l’ancienne GE, il aurait été nécessaire que la Commission entreprenne une analyse distincte, prenant en compte le phénomène noté au point précédent, pour vérifier si un tel effet aurait existé dans le cas de ventes groupées mixtes comprenant un moteur CFMI.

462    Au vu de l’ensemble de ce qui précède, la brève invocation par la Commission de la notion d’effets Cournot dans la décision attaquée ne permet pas de conclure, en l’absence d’une analyse économique détaillée appliquant cette théorie aux circonstances spécifiques du cas d’espèce, que la pratique de ventes groupées mixtes par l’entité fusionnée aurait été probable à la suite de l’opération de concentration. En effet, la Commission ne pouvait produire des preuves solides au sens de l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, en s’appuyant sur les effets Cournot que si elle démontrait leur applicabilité concrète. Ainsi, la Commission n’a pas réussi à démontrer, avec un degré de probabilité suffisant, par une simple description des conditions économiques qui existeront, selon elle, sur le marché à la suite de la concentration, que l’entité fusionnée aurait eu recours à des ventes groupées mixtes à la suite de la concentration.

–       Sur le caractère stratégique des comportements prévus

463    Troisièmement, la Commission fait valoir devant le Tribunal que sa description des ventes groupées et de la probabilité qu’elles soient réellement mises en œuvre doit être lue à la lumière du fait que l’entité fusionnée se servira de sa capacité de proposer des offres groupées de manière stratégique à titre de « levier » spécifiquement dans le but de marginaliser ses concurrents. La requérante considère que cette interprétation de la décision attaquée est « irrecevable » au motif qu’il s’agit d’une explication avancée pour la première fois devant le Tribunal. En substance, ce qu’elle reproche à la Commission est une tentative de substitution de motifs au stade de la procédure judiciaire. Il suffit de relever à cet égard que la Commission a affirmé, dans la décision attaquée, que l’entité fusionnée utiliserait sa capacité de grouper les ventes de manière stratégique à l’avenir afin d’évincer ses concurrents, notamment par la pratique de subventions croisées (voir, en particulier, considérants 353, 379, 391 et 398). Dès lors, il convient d’examiner les autres arguments avancés par la requérante.

464    À cet égard, il y a lieu de rappeler d’abord que, dans son arrêt Commission/Tetra Laval, point 60 supra, la Cour a jugé, comme le Tribunal, que, lorsque la Commission se fonde sur un comportement futur qui, selon elle, sera adopté par une entité fusionnée à la suite d’une opération de concentration, il lui appartient d’établir, sur la base de preuves solides et avec un degré de probabilité suffisant, que ce comportement se produira réellement (voir, également, point 64 ci-dessus).

465    En l’espèce, il a déjà été constaté ci-dessus au point 462 (voir, également, point 432), que la Commission n’a pas établi, par référence aux circonstances commerciales et économiques objectives de l’affaire, qu’il aurait nécessairement été dans l’intérêt de l’entité fusionnée de pratiquer des ventes groupées mixtes à la suite de l’opération de concentration. Ainsi, sur le plan commercial, différentes stratégies auraient été ouvertes à l’entité fusionnée à la suite de l’opération de concentration. Si le choix stratégique envisagé par la Commission aurait été, certes, l’une des options qui lui étaient ouvertes, la maximisation des bénéfices à court terme, par l’obtention de la plus grande marge bénéficiaire possible sur chaque produit individuel, aurait été également une option ouverte.

466    Dès lors, en l’absence d’une incitation économique établie à suffisance de droit dans le chef de l’entité fusionnée, il incombait à la Commission d’avancer, dans la décision attaquée, d’autres éléments permettant de conclure que l’entité fusionnée ferait le choix stratégique de sacrifier des bénéfices à court terme afin d’augmenter sa part de marché aux dépens de ses concurrents dans le but de récolter des bénéfices plus importants à l’avenir. À titre d’exemple, des documents internes démontrant que tel était l’objectif de la direction de la requérante au moment du lancement du projet d’acquisition d’Honeywell auraient pu, le cas échéant, constituer une telle preuve. Force est de constater, conformément aux allégations de la requérante en ce sens, que la Commission à cet égard n’a avancé aucun élément susceptible d’établir que l’entité fusionnée ferait réellement ce choix stratégique. En effet, elle se borne à affirmer, dans la décision attaquée, que l’entité fusionnée aurait eu la capacité de proposer son offre de produits groupés à un prix stratégique ou de pratiquer des subventions croisées, ou qu’elle aurait réellement eu recours à ces pratiques, sans exposer les raisons qui justifient cette affirmation (voir, en particulier, considérants 353, 379, 391 et 398). Toutefois, le fait que l’entité fusionnée ait pu faire un tel choix stratégique ne suffit pas à établir qu’elle l’aurait réellement fait et qu’une position dominante sur les différents marchés avioniques et non avioniques aurait été créée en conséquence.

467    Enfin, devant le Tribunal, la Commission a relevé qu’il était nécessaire de prendre en compte la finalité stratégique du comportement futur qu’elle prévoyait dans le chef de la requérante aux fins d’apprécier la probabilité de ce comportement. Si une telle argumentation pouvait éventuellement expliquer le fait que la Commission ne s’est pas appuyée spécifiquement sur un modèle économique, elle ne saurait combler l’absence de preuves quant à l’adoption probable, par celle-ci, d’une politique commerciale ayant une telle finalité stratégique.

468    Il convient d’ajouter que, selon l’arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, la Commission aurait effectivement dû prendre en compte l’effet dissuasif que pourrait avoir pour une entité fusionnée la possibilité de sanctions infligées pour un abus de position dominante au titre de l’article 82 CE (voir points 70 et suivants ci-dessus). L’absence d’une telle prise en compte dans la décision attaquée affecte d’autant plus son appréciation quant aux ventes groupées mixtes.

469    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le raisonnement de la Commission fondé sur l’adoption à l’avenir d’une politique commerciale « stratégique » ne peut être retenu, faute de preuves solides de la probabilité de cette hypothèse.

 Conclusion

470    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que, à la suite de l’opération de concentration, l’entité fusionnée aurait pratiqué des ventes groupées comprenant à la fois des moteurs de l’ancienne GE et des produits avioniques et non avioniques de l’ancienne Honeywell. En l’absence de telles ventes, le simple fait que cette entité aurait eu une gamme de produits plus large que ses concurrents ne suffit pas à justifier la conclusion selon laquelle une position dominante aurait été créée ou renforcée dans son chef sur les différents marchés en cause.

471    Eu égard à la conclusion au point précédent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argumentation de la requérante relative à la prétendue exclusion des concurrents du marché, constatée par la Commission, les conclusions de celle-ci sur les ventes groupées étant insuffisamment établies en toute hypothèse.

472    En outre, il n’est pas besoin d’examiner le traitement par la Commission des engagements concernant cet aspect de l’affaire, en particulier le rejet par la Commission de l’engagement comportemental relatif aux ventes groupées. De plus, étant donné qu’il n’y a pas lieu, non plus, d’examiner les engagements structurels affectant les activités d’Honeywell sur les différents marchés de produits avioniques et non avioniques, ni l’engagement relatif au comportement futur de GECAS (point 365 ci-dessus), la question de savoir laquelle des deux séries d’engagements devait être prise en compte par la Commission devient sans pertinence. En effet, ainsi que cela a été relevé au point 50, les seules différences entre les deux séries d’engagements concernaient ces deux aspects des engagements proposés par les parties notifiantes.

473    Il y a lieu de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la pratique future par l’entité fusionnée de ventes groupées amènerait à la création ou au renforcement de positions dominantes sur les marchés des produits avioniques ou non avioniques, ou au renforcement de la position dominante préexistante de GE sur les marchés des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille.

E –  Sur les chevauchements horizontaux

474    La requérante considère, en ce qui concerne les motifs de la décision attaquée relatifs aux chevauchements horizontaux des produits des parties à la concentration pour les moteurs d’avions régionaux de grande taille, les moteurs d’avions d’affaires et les petites turbines à gaz marines, que la Commission a erronément conclu à la création ou au renforcement de positions dominantes ayant des effets anticoncurrentiels.

1.     Sur les moteurs d’avions régionaux de grande taille

475    Selon la requérante, l’analyse par la Commission du chevauchement horizontal concernant les réacteurs pour avions régionaux de grande taille est viciée par deux erreurs fondamentales, à savoir celle d’avoir considéré que les réacteurs pour avions régionaux de grande taille de la requérante et ceux d’Honeywell relevaient d’un même marché et, en tout état de cause, celle de ne pas avoir apprécié correctement l’impact de la concentration sur le marché de ces réacteurs.

a)     Arguments des parties

 Sur la définition du marché et l’existence d’une position dominante préexistante sur le marché pertinent

476    Selon la requérante, elle n’était pas en position dominante sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille avant la concentration.

477    Elle rappelle qu’une définition appropriée du marché en cause constitue une condition préalable nécessaire à toute appréciation de l’effet d’une concentration sur la concurrence (arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375). D’après la Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, point 13, ci‑après la « communication sur la définition du marché »), les facteurs essentiels à prendre en compte dans la définition d’un marché sont la substituabilité au niveau de la demande et la substituabilité au niveau de l’offre, lesquels devraient être établis sur la base de preuves empiriques. La Commission n’aurait pas appliqué les dispositions de cette communication en l’espèce.

478    En matière de moteurs d’avions, ainsi que l’aurait constaté la Commission dans sa décision Engine Alliance, chaque « famille » de moteurs représente, en gros, une série unique de poussée, de poids et d’autres caractéristiques de performance qui la qualifie pour une plate-forme particulière. Or, les moteurs d’avions de GE seraient bien plus puissants, bien plus lourds et plus complexes que les moteurs d’Honeywell.

479    Le seul élément laissant supposer une substituabilité entre les moteurs de GE et d’Honeywell serait le fait que certains acheteurs des Avro, motorisés par cette dernière, pourraient acheter d’autres avions équipés de moteurs GE. Ce type de substituabilité indirecte, « de second niveau », supposerait que la Commission explique cette nouvelle méthodologie, en quoi cette substituabilité de second degré est significative et comment elle aboutirait à l’exclusion des concurrents. En outre, conformément à la communication sur la définition du marché, il appartiendrait à la Commission de fournir des preuves empiriques d’une telle substitution, ce qu’elle n’aurait pas fait en l’espèce.

480    La requérante fait valoir que, en toute hypothèse, les parts de marché sont d’une utilité limitée pour apprécier une position dominante sur un marché soumis à appels d’offres comme celui des réacteurs pour les avions régionaux de grande taille. Elle soutient qu’elle n’était pas en position dominante sur ce marché avant la concentration, n’étant pas en mesure de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents avant la concentration.

481    La Commission rappelle les conclusions de la décision selon lesquelles, en termes de moteurs installés et de carnet de commande pour les avions régionaux de grande taille, GE occupe une position dominante. GE et Honeywell réunies auraient une part de marché constituant la totalité des moteurs des avions non encore en service et [90 à 100] % des moteurs installés. Un tel monopole ou quasi‑monopole ne pourrait être battu en brèche dans un avenir prévisible, notamment du fait des ventes groupées pures ou techniques.

 Sur les effets de la concentration sur le marché en cause

482    Selon la requérante, à supposer même qu’il existe un marché unique pour les moteurs d’avions régionaux de grande taille, la Commission a reconnu que, en ce qui concerne les plates-formes existantes, « l’augmentation de la part de marché résultant de la concentration est plutôt faible » (décision attaquée, considérant 429). Toutefois, de façon contradictoire, la Commission affirmerait que la concentration empêcherait la concurrence par les prix. Or, elle ne fournirait aucun exemple de concurrence entre les moteurs de GE et d’Honeywell, ni de preuve de l’impact de la concentration sur le marché, alors que la production d’Avro n’est pas supérieure à 20 unités par an équipées de moteurs d’Honeywell.

483    Les éléments sur lesquels la Commission se baserait ne seraient pas pertinents. Les bénéfices tirés de la position sur ce marché seraient négligeables du fait de la faible production d’Avro. En se fondant sur l’existence de GE Capital et de GECAS, la Commission se baserait sur les éléments employés pour démontrer une position dominante afin d’en établir le renforcement.

484    En ce qui concerne les plates-formes futures, la Commission ne fournirait aucune preuve d’un affaiblissement de la concurrence. D’une part, GE et Honeywell ne pourraient déjà pas se faire concurrence. D’autre part, Rolls-Royce et P & W seraient des concurrents crédibles, comme le montrent les exemples constitués par les avions d’AI(R), d’Embraer et de Fairchild Dornier. La Commission se contenterait à cet égard de répéter ses arguments relatifs aux ventes groupées mixtes, aux subventions croisées et à l’intégration verticale.

485    La Commission estime que la règle de l’exclusivité de motorisation sur le marché considéré n’empêche pas une concurrence entre motoristes face aux acheteurs finals. Les motoristes sont poussés à promouvoir les plates-formes équipées de leurs moteurs, notamment en présentant des moteurs performants et des offres attrayantes sur les moteurs de rechange ou sur les produits et services après-vente. La concentration ferait disparaître ce type de concurrence. La faiblesse du carnet de commandes d’Avro ne signifierait pas que toute concurrence de second niveau disparaîtrait sur le marché en toute hypothèse.

486    Enfin, comme cela est indiqué dans la décision attaquée, la puissance financière et l’intégration verticale de l’entité issue de la concentration excluraient Rolls-Royce et P & W du marché en cause en restreignant leur volonté de pénétrer un marché dont ils sont absents.

 Sur le rejet de l’engagement structurel relatif aux réacteurs pour avions régionaux de grande taille

487    La requérante relève que, malgré leur désaccord avec la Commission, les parties à la concentration ont proposé de céder les activités d’Honeywell dans la fabrication des moteurs actuels et futurs des avions de la série Avro. Or, les objections soulevées par la Commission à cet égard dans la décision attaquée seraient totalement dénuées de fondement.

488    La Commission fait remarquer que, notamment dans le présent contexte, les critiques de GE relatives au rejet des engagements se limitent à de simples allégations et n’aboutissent à aucune conclusion quant à la validité de la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

 Sur la définition du marché

489    Il convient de relever tout d’abord que la question de savoir si, sur la base des faits dûment établis ou non contestés, une entreprise est en position dominante sur un marché donné est une question d’appréciation économique au sens de la jurisprudence citée aux points 62 et suivants ci-dessus, à l’égard de laquelle la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation. À cet égard, le rôle du Tribunal se borne à contrôler que cette appréciation économique est exempte d’erreur manifeste.

490    En revanche, la Commission n’a aucune marge d’appréciation pour ce qui est des questions de fait. Il convient de constater également à cet égard que, dans la mesure où la requérante conteste une affirmation de nature factuelle contenue dans la décision attaquée, il ne saurait, en principe, être reproché à la Commission de répondre à une telle contestation des faits en apportant, devant le Tribunal, la preuve du bien-fondé de cette affirmation, à condition que le cadre factuel relevé dans la décision attaquée n’en soit pas modifié.

491    Il y a donc lieu d’examiner en l’espèce les arguments de la requérante mettant en cause la définition du marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille retenue par la Commission dans la décision attaquée pour déterminer s’ils suffisent à établir l’existence d’erreurs de fait ou d’une erreur manifeste d’appréciation.

492    Au considérant 9 de la décision attaquée, la Commission relève que, dans le cadre de sa description de la structure des marchés de réacteurs en général, la concurrence s’exerce sur ces marchés à deux niveaux : premièrement, lorsque les fabricants de moteurs se font concurrence afin d’obtenir une certification sur une plate-forme d’avion donnée en cours de conception (ci-après la « concurrence de premier niveau ») et, deuxièmement, lorsque les compagnies aériennes achetant la plate-forme d’aéronef choisissent un des moteurs certifiés disponibles ou lorsque celles-ci optent pour l’acquisition d’aéronefs équipés de moteurs différents (ci‑après la « concurrence de deuxième niveau »). Dans le premier cas, les moteurs sont en concurrence sur les plans technique et commercial pour équiper la plate-forme donnée et il y a lieu de relever que l’existence d’une telle concurrence dépend essentiellement de celle d’une substituabilité de l’offre. Dans le second cas, les moteurs rivalisent également en termes techniques et commerciaux pour être sélectionnés par la compagnie aérienne et dès lors cette concurrence dépend, à l’inverse, d’une substituabilité du côté de la demande.

493    En l’espèce, il est constant que chaque type d’avion considéré par la Commission comme relevant du marché d’avions régionaux de grande taille est disponible avec un seul type de moteur, de sorte que l’acheteur final de l’avion n’a aucun choix direct et autonome entre les réacteurs, le choix du réacteur étant indissociable du choix de l’avion. Dans ces conditions, force est de constater que la concurrence de deuxième niveau identifiée au point précédent ne peut exister sur ledit marché que de façon indirecte, du fait d’une concurrence entre les aéronefs propulsés par les différents réacteurs.

494    À cet égard, la Commission constate, au même considérant 9, que l’avion et le réacteur sont des produits complémentaires, l’acquisition de l’un étant inutile, pour des raisons évidentes, sans celle de l’autre. Elle relève qu’il convient dès lors de définir les marchés pour les réacteurs en tenant compte de la concurrence existant sur le marché des avions. La Commission a ainsi défini les différents marchés pour les réacteurs de l’aéronef en fonction des différents marchés pour les avions qu’ils motorisent, ces derniers marchés étant définis, à leur tour, en fonction des « profils de mission » auxquels ils sont adaptés (considérant 10 de la décision attaquée).

495    À cette fin, la Commission a tenu compte de trois caractéristiques essentielles de l’avion, à savoir le nombre de sièges, le rayon d’action et le prix. Elle a d’abord défini les avions régionaux comme étant ceux qui ont de 30 à 90 sièges (« et au‑delà ») avec un rayon d’action inférieur à 2 000 miles nautiques et un prix maximal de 30 millions de USD (considérant 10 de la décision attaquée). Ensuite, elle a établi deux marchés distincts au sein de cette catégorie, soit celui des avions régionaux de petite taille ayant de 30 à 50 sièges et celui des avions régionaux de grande taille pouvant transporter de 70 à 90 passagers et au-delà, au motif que, « en termes de nombre de places, de taille, de distance franchissable et, partant, de coût d’exploitation (c’est-à-dire de prix de revient au siège-kilomètre), ces deux catégories [d’avions régionaux] sont utilisées pour des types de mission distinctes et ne sont pas substituables entre elles » (considérant 20 de la décision attaquée).

496    La requérante soutient, sans être contredite à cet égard par la Commission, que la poussée de ses réacteurs est si différente de celle des réacteurs d’Honeywell que toute concurrence directe de premier niveau pour motoriser une même plate-forme projetée est exclue, ses propres réacteurs étant aptes à équiper des avions bimoteurs et ceux d’Honeywell ne pouvant équiper que des avions quadrimoteurs.

497    Il convient de relever, néanmoins, que, s’il est vrai qu’un fabricant d’avions n’a plus de choix de moteur une fois qu’il a opté pour une plate-forme bimoteur ou quadrimoteur, il ressort de la décision attaquée que ces deux solutions existaient concrètement sur le marché des avions régionaux de grande taille ainsi que cela a été défini par la Commission. Compte tenu de l’existence de ce choix, il existait nécessairement un certain degré de substituabilité au niveau de l’offre entre les moteurs de la requérante et ceux d’Honeywell, sous réserve qu’un avionneur souhaitant développer une nouvelle plate-forme était obligé de faire ce choix à un stade précoce de la conception de la plate-forme. En tout état de cause, la Commission n’a jamais affirmé, ni dans la décision attaquée ni devant le Tribunal, qu’une concurrence directe de premier niveau existait entre la requérante et Honeywell pour motoriser une même plate-forme projetée. Partant, même à retenir la thèse de la requérante sur l’absence de concurrence directe de premier niveau, celle-ci n’a aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée.

498    Il importe dès lors d’examiner si la requérante a établi l’existence d’une erreur de fait ou une erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la Commission du fait que cette dernière s’est appuyée sur la notion de concurrence indirecte de deuxième niveau évoquée ci-dessus, soit une concurrence entre les aéronefs équipés respectivement par les réacteurs de GE et ceux d’Honeywell, pour conclure que les réacteurs de celles-ci étaient en concurrence.

499    La requérante avance deux volets d’argumentation distincts à l’encontre de la thèse de la Commission quant à l’existence d’une prétendue concurrence indirecte de deuxième niveau entre les réacteurs sur ce marché. Premièrement, elle soutient que cette thèse ne relève pas d’une analyse orthodoxe de la substituabilité. Ainsi, la Commission aurait dû exposer cette nouvelle méthodologie en expliquant, en particulier, en quoi cette substituabilité de second degré est significative et comment elle aboutirait à l’exclusion des concurrents. Deuxièmement, à supposer même que cette concurrence de deuxième niveau existe, la Commission serait en défaut de prouver dans la décision attaquée que les avions motorisés par GE étaient en concurrence avec ceux motorisés par Honeywell à l’époque des faits.

500    Il y a lieu de considérer que la description figurant au considérant 9 de la décision attaquée (voir points 492 et 494 ci-dessus) a constitué une description suffisante de la thèse de la Commission dans les circonstances du cas d’espèce. En effet, la Commission a relevé que les moteurs rivalisent, au second niveau de concurrence « en termes techniques et commerciaux pour être sélectionnés par la compagnie aérienne ». Il est évident que, si les performances techniques d’un composant essentiel de l’avion, tel que le moteur qui le propulse, sont nettement supérieures à celles du composant équivalent équipant d’autres types d’avion de la même catégorie, le premier de ces avions aura en principe un avantage concurrentiel vis‑à‑vis des autres.

501    De même, le prix du moteur est un élément pouvant influer sur le prix de l’avion dans son ensemble et la Commission a relevé expressément dans le cadre de sa description des effets de la concentration sur la concurrence en ce qui concerne le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, au considérant 429 de la décision attaquée, que la fusion de GE et d’Honeywell « privera les clients des avantages de la concurrence sur les prix (sous forme de remises par exemple) entre les fournisseurs ».

502    La requérante a remis en cause la possibilité d’une concurrence sur les prix entre les motoristes sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille en rappelant la circonstance selon laquelle c’est l’avionneur qui fixe le prix final de l’ensemble plate-forme/moteur. Toutefois, dans la décision attaquée, dans la première phrase du considérant 391, lequel figure dans la section de la décision attaquée consacrée aux ventes groupées concernant aussi bien les avions régionaux de grande taille que les avions commerciaux de grande taille, la Commission a constaté que, même lorsqu’il n’y a pas de choix de moteur pour une plate-forme donnée, ce qui est toujours le cas en ce qui concerne les avions régionaux de grande taille, il existe pour le motoriste une possibilité de réduire le prix de son moteur ou des services après-vente associés à celui-ci dans le but de promouvoir les ventes de l’ensemble plate-forme/moteur.

503    Dans le contexte de sa réponse à l’une des questions écrites du Tribunal, visant effectivement à vérifier l’existence de cette possibilité de rabais évoquée audit considérant 391, la Commission a produit, à l’audience, trois documents internes de la requérante portant les références 120‑CID-000167, 334-DOC-000827 et 321-DOC-000816. Il y a lieu de relever que ces trois documents appuient la thèse de la Commission quant à l’existence d’une concurrence de deuxième niveau entre les réacteurs.

504    En particulier, le document 321-DOC-000816 indique, spécifiquement par rapport à l’un des avions régionaux de grande taille motorisés par GE, qu’il était […] Ainsi, il convient de constater que la concurrence de deuxième niveau, notamment la concurrence sur les prix, décrite par la Commission au considérant 9 de la décision attaquée, était une réalité sur les marchés des réacteurs en général et, en particulier, sur celui des réacteurs pour avions régionaux de grande taille malgré le phénomène d’exclusivité d’un seul moteur sur chaque plate-forme.

505    Il y a lieu de rejeter, à cet égard, les arguments avancés par la requérante dans sa demande de réouverture de la procédure orale du 8 juin 2004 et réitérés dans ses observations du 21 juillet 2004 selon lesquels les trois documents mentionnés au point 503 ci-dessus sont des éléments de preuve irrecevables. D’abord, il convient de relever que la requérante ne s’est pas opposée à la production des documents à l’audience et leur versement au dossier n’a donc pas été contesté en tant que tel. De plus, ainsi que la Cour l’a jugé, la prise en considération, par le Tribunal, des réponses données par une partie à des questions posées en tant que mesures d’organisation de la procédure fondées sur l’article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, l’autre partie ayant eu, le cas échéant, la possibilité de prendre position sur ces éléments à l’audience, ne viole pas l’article 48 de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Conseil/De Nil et Impens, C‑259/96 P, Rec. p. I‑2915, point 31). En l’espèce, le principe du contradictoire a été respecté dans la mesure où la requérante a pu commenter ces éléments non seulement à l’audience, mais également par écrit à la suite de la réouverture de la procédure orale demandée par elle-même.

506    Toutefois, la requérante soutient que ces documents n’étaient pas inclus dans le dossier de la Commission auquel elle a eu accès et invoque l’arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission (107/82, Rec. p. 3151, points 22 à 25), pour en déduire que ces éléments doivent être écartés en conséquence. Il convient de relever à cet égard que, dans ses observations du 17 septembre 2004, la Commission a indiqué le numéro de la page du dossier à laquelle chacun de ces documents figure et produit, en annexe, des extraits des listes de documents auxquels l’accès a été donné. Elle a relevé en outre que deux de ces documents, portant les références 120-CID-000167 et 321-DOC-000816, ont même été mentionnés explicitement dans la CG. Dans ces conditions, l’argument de la requérante selon lequel ces trois documents n’étaient pas inclus dans le dossier administratif doit être rejeté.

507    De plus, l’argument avancé par la requérante dans ses dernières observations, du 15 octobre 2004, tenant au fait que la Commission a indiqué, par la mention « P », que ces documents avaient été fournis à la Commission par les parties à l’opération elles-mêmes, alors que, en réalité, ils ont dû être transmis à la Commission par le département de la justice américain, n’infirme pas cette analyse. La Commission relève que les parties à l’opération ne lui ont pas demandé de leur transmettre des copies de ces éléments. Il convient de relever en effet que la requérante aurait pu demander leur production si elle l’avait souhaité dès lors qu’ils sont inscrits sur la liste de documents faisant partie du dossier administratif auxquels les parties pouvaient avoir accès.

508    En toute hypothèse, ces trois documents sont des documents internes de la requérante elle-même qu’elle ne saurait méconnaître. Il serait contraire à la logique de constater l’existence d’une violation des droits de la défense ou d’interdire à la Commission de produire certains documents internes d’une partie devant le Tribunal au motif que la Commission n’a pas communiqué à cette partie des copies de ses propres documents.

509    Dans la mesure où la Commission invoque ces trois documents en ce qui concerne une question de nature purement factuelle, c’est-à-dire celle de savoir si l’avionneur fixe le prix de l’avion indépendamment du prix du moteur ou si, comme la Commission l’a soutenu dans la décision attaquée, le motoriste a encore la possibilité d’offrir des rabais aux fins de promouvoir les ventes de l’avion et, en conséquence, de son moteur qui le propulse, il y a lieu de conclure qu’elle était en droit de produire ces éléments devant le Tribunal pour répondre à la contestation par la requérante des faits en cause (voir, à cet égard, point 490 ci-dessus).

510    À la lumière de ce qui précède la Commission n’a commis ni erreur de fait ni erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où elle s’est appuyée, dans le cadre de sa définition du marché des avions régionaux de grande taille, sur l’existence d’une concurrence de deuxième niveau entre les réacteurs du fait d’une concurrence entre les avions qu’ils propulsent.

511    Dans le cadre de son deuxième volet d’argumentation mentionné au point 499 ci‑dessus, la requérante fait valoir que la marge d’appréciation dont bénéficie la Commission pour définir les marchés est limitée, premièrement, par sa propre pratique décisionnelle antérieure, en particulier dans la décision Engine Alliance, et, deuxièmement, par la communication sur la définition du marché qu’elle a publiée à ce sujet. Le raisonnement par lequel la Commission a conclu que les avions motorisés par GE et ceux motorisés par Honeywell sont en concurrence sur un même marché est incompatible avec ces deux actes, selon la requérante.

512    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une pratique décisionnelle antérieure pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires (voir points 118 et 119 ci-dessus, et la jurisprudence citée).

513    Dans la mesure où la requérante invoque à cet égard le point 15 de l’arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission (C‑350/88, Rec. p. I‑395), au soutien de la thèse selon laquelle il existe une obligation de motivation spéciale qui s’impose à la Commission dès lors qu’elle s’écarte de sa pratique décisionnelle antérieure, il suffit de rappeler que ce point, ainsi que l’arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Fabricants de papiers peints/Commission (73/74, Rec. p. 1491, point 31), se rapportent à l’exception, dans des cas où la Commission étend la portée d’une pratique, à la règle habituelle, selon laquelle la Commission peut motiver sommairement une décision qui se place dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante. S’il appartient effectivement à la Commission de motiver une telle décision de manière explicite, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence que la Commission doive, au-delà du fait de motiver sa décision par référence au dossier de l’affaire qui en fait l’objet, exposer spécifiquement les raisons pour lesquelles elle est arrivée à une conclusion différente de celle retenue dans une affaire précédente portant sur des situations similaires ou identiques ou ayant les mêmes acteurs économiques.

514    Ainsi, en l’espèce, la requérante ne saurait invoquer une confiance légitime du fait que la Commission a défini des marchés d’une manière particulière dans une décision antérieure, notamment dans la mesure où elle a pris en compte la poussée des réacteurs dans la décision Engine Alliance. En effet, ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal ne sont liés par les constatations faites dans la décision Engine Alliance.

515    En toute hypothèse, la Commission relève à juste titre que, dans la décision Engine Alliance, elle examinait un accord ayant pour but de permettre à GE et à P & W de développer en commun un réacteur destiné à la propulsion de plates‑formes qui étaient elles-mêmes en phase de développement, à savoir l’Airbus A380 et la version allongée du Boeing 747-400. Dans ces conditions, seul le premier niveau de concurrence mentionné au considérant 9 de la décision attaquée, à savoir la concurrence entre les fabricants de moteurs afin d’obtenir la certification pour une plate-forme, était pertinent dans cette affaire-là. Cette explication constitue une réponse logique et suffisante à l’argumentation avancée par la requérante à cet égard.

516    En ce qui concerne le prétendu défaut d’application de la communication sur la définition du marché, il convient de rappeler d’abord que la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est imposées (arrêts de la Cour du 30 janvier 1974, Louwage/Commission, 148/73, Rec. p. 81, point 12, et, par analogie, du 5 juin 1973, Commission/Conseil, 81/72, Rec. p. 575, point 9 ; arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, et la jurisprudence citée). Ainsi, dans la mesure où la communication sur la définition du marché indique par des formulations impératives la méthode par laquelle la Commission entend définir les marchés à l’avenir et ne réserve aucune marge d’appréciation, la Commission doit effectivement tenir compte des termes de cette communication.

517    La requérante relève que, selon la communication sur la définition du marché, la substituabilité au niveau de la demande est l’un des principaux facteurs à prendre en compte et qu’une telle substituabilité fait défaut en l’espèce (voir point 496 ci‑dessus). Il suffit de rappeler à cet égard que, après avoir identifié la substituabilité au niveau de la demande, la substituabilité de l’offre et la concurrence potentielle comme étant les trois grandes sources de contraintes concurrentielles sur les entreprises, la communication sur la définition du marché poursuit, à son point 13 : « [d]’un point de vue économique, pour une définition du marché en cause la substitution du côté de la demande est le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d’un produit donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions en matière de fixation des prix ». Dans ces conditions, il ne découle pas des termes de la communication sur la définition du marché que l’absence de substituabilité directe en l’espèce entre les moteurs de la requérante et ceux d’Honeywell du côté de l’offre infirme la définition du marché retenue par la Commission dans la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci a valablement conclu à l’existence d’une substituabilité du côté de la demande.

518    Quant à la substituabilité au niveau de la demande, la requérante reproche à la Commission de ne pas l’avoir établie par référence à des preuves empiriques ou à des études économiques, comme l’exigerait la communication sur la définition du marché. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, au point 25, sous l’intitulé « Éléments d’appréciation sur lesquels s’appuie la définition des marchés en cause », la Commission indique ce qui suit :

« Il existe tout un faisceau d’éléments qui permettent d’apprécier jusqu’à quel point la substitution pourrait s’opérer. Dans certains cas, certains types d’éléments seront déterminants, en fonction surtout des caractéristiques et spécificités du secteur et des produits ou services considérés. Dans d’autres cas, ces mêmes types d’éléments peuvent être sans intérêt. Le plus souvent, la décision devra être prise sur la base d’un certain nombre de critères et d’éléments d’appréciation différents. La Commission adopte une approche souple, en se fondant sur des éléments empiriques et en exploitant toutes les informations dont elle dispose et qui peuvent lui être utiles pour l’appréciation des cas concrets. Elle ne suit pas un ordre hiérarchique rigide des différentes sources d’information ou des différents types d’éléments de preuve. »

519    Il convient de considérer que, dans des circonstances où la Commission s’exprime dans une communication en des termes qui lui laissent la possibilité de choisir, parmi les types d’éléments ou d’approches pouvant être pertinents en théorie, ceux qui conviennent le mieux dans les circonstances d’un cas donné, la Commission conserve une grande liberté d’action (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, non encore publié au Recueil, points 179 à 182, et la jurisprudence citée). Ainsi, en l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission ne s’est pas engagée, dans la communication sur la définition du marché, à utiliser une méthode précise et particulière aux fins d’apprécier la substituabilité au niveau de la demande. En revanche, elle a constaté que l’approche qu’elle retiendra devra varier en fonction des circonstances de chaque cas individuel et elle s’est réservé une partie importante de sa marge d’appréciation afin de pouvoir traiter chaque cas d’espèce d’une manière adaptée.

520    C’est en tenant compte de la marge d’appréciation importante qu’a conservée la Commission qu’il y a lieu d’examiner les arguments que la requérante prétend tirer d’autres points de la communication sur la définition du marché.

521    Le point 36 de la communication sur la définition du marché, invoqué par la requérante, est libellé comme suit :

« L’analyse des caractéristiques du produit et de l’usage auquel il est destiné permet à la Commission, dans un premier temps, de limiter le champ de ses recherches de produits de substitution éventuels. Les caractéristiques du produit et l’usage auquel il est destiné ne suffisent pas, toutefois, pour conclure que deux produits sont ou non substituables au niveau de la demande. L’interchangeabilité fonctionnelle ou des caractéristiques similaires peuvent ne pas être, en soi, des critères suffisants, dans la mesure où la sensibilité des clients à des variations des prix relatifs peut être déterminée également par d’autres considérations. Par exemple, il peut y avoir des contraintes de concurrence différentes sur le marché des équipements originaux pour les composants de l’automobile et sur le marché des pièces détachées, conduisant ainsi à distinguer deux marchés en cause. Inversement, l’existence de caractéristiques différentes ne permet pas d’affirmer qu’il n’existe aucune substituabilité [au niveau] de la demande, puisque celle‑ci dépend, dans une large mesure, de l’importance que les clients accordent à ces différences. »

522    Ensuite aux points 37 à 43 de la communication sur la définition du marché, la Commission expose les différentes sources d’informations qu’elle envisage d’utiliser pour établir l’existence d’une possibilité de substitution.

523    Force est de constater que, si les points 36 et suivants de la communication sur la définition du marché devaient être interprétés comme signifiant que la Commission est tenue dans chaque affaire qu’elle examine en matière de concurrence de rassembler et de tenir compte de certains types d’éléments spécifiques, il y aurait une contradiction manifeste entre cette obligation et la marge d’appréciation, relevée aux points 518 et 519 ci-dessus, dont dispose la Commission pour déterminer l’existence d’une possibilité de substitution dans chaque cas en fonction des spécificités qui lui sont propres.

524    En toute hypothèse, dans la mesure où le point 36 de la communication sur la définition du marché précise que « [l’]interchangeabilité fonctionnelle ou des caractéristiques similaires peuvent ne pas être, en soi, des critères suffisants, dans la mesure où la sensibilité des clients à des variations des prix relatifs peut être déterminée également par d’autres considérations », il découle de cette citation, a contrario, que, dans certains cas, voire en règle générale, sous réserve de circonstances particulières indiquant le contraire telles que celles rapportées de l’exemple relatif aux pièces détachées présenté dans la suite dudit point, des produits qui sont fonctionnellement interchangeables et qui présentent des caractéristiques similaires sont substituables.

525    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, au stade de la procédure administrative, la requérante avait soulevé deux objections concrètes par rapport à sa définition du marché (considérant 23 de la décision attaquée). Premièrement, elle a fait valoir que le type d’avions fabriqué par BAe Systems et motorisé par Honeywell, dénommé l’Avro, n’est pas un concurrent à part entière sur le marché des avions régionaux de grande taille, étant un produit de « niche ». Deuxièmement, elle a affirmé qu’un tel marché devrait également comprendre les Airbus et les Boeing de petite taille à fuselage étroit, à savoir l’A318 et le B717.

526    Si la Commission n’a pas cité d’exemples concrets de chocs concurrentiels entre les avions régionaux quadrimoteurs de grande taille motorisés par Honeywell et les avions régionaux bimoteurs de grande taille motorisés par GE, elle a néanmoins invoqué des cas spécifiques d’interchangeabilité fonctionnelle entre ces avions dans le cadre de sa réponse à la première des objections mentionnées au point précédent, en se référant à l’utilisation faite de l’Avro, par la compagnie aérienne Sabena, notamment. La Commission en a déduit, au considérant 25 de la décision attaquée, ce qui suit : « L’enquête réalisée sur le marché donne à penser que, même si les compagnies aériennes apprécient sans doute les capacités particulières de l’Avro, en réalité, elles exploitent ce dernier de la même manière que tout autre [avion régional de grande taille] et ne limitent pas ses vols aux seuls environnements de niche. En ce sens, l’Avro propulsé par Honeywell constitue une solution de remplacement existante en concurrence avec les autres avions à réaction régionaux [de grande taille] propulsés par GE. » Il y a lieu de constater, dès lors, que la Commission, loin de se borner à l’analyse théorique représentée par sa définition du marché en fonction d’un profil de mission abstrait, s’est enquise de la réalité d’une interchangeabilité réelle entre l’Avro et les avions motorisés par la requérante. Dans cette mesure, sa conclusion quant à la définition du marché des avions régionaux de grande taille est effectivement fondée sur des éléments de preuve empiriques se rapportant à des exemples concrets.

527    Quant à la deuxième objection mentionnée au point 525 ci-dessus, la Commission l’a rejetée aux considérants 27 à 29 de la décision attaquée, au motif que le prix d’acquisition des deux plates-formes d’avion mentionnées à cet égard par la requérante est nettement plus élevé que celui des autres aéronefs considérés comme des avions régionaux de grande taille.

528    Devant le Tribunal, la requérante n’a pas remis en cause les constatations factuelles, fondées sur l’enquête menée par la Commission sur le marché, relatives à l’interchangeabilité entre l’Avro et les autres avions régionaux de grande taille ni ne s’est prévalue de l’argument selon lequel l’A318 et le B717 sont des avions régionaux de grande taille. Elle se borne, à cet égard, à relever l’absence d’exemples concrets de substituabilité et d’études économiques avancés par la Commission au motif que la Commission prévoit un recours à de tels éléments.

529    Il convient de considérer que le fait pour la requérante de relever cette absence sans expliquer concrètement en quoi la définition du marché retenu par la Commission est erronée, selon elle, ne saurait renverser la charge de la preuve, de sorte qu’il incomberait à la Commission d’apporter de tels exemples pour établir le bien-fondé de sa définition du marché. En l’espèce, compte tenu du fait que la Commission avait en principe exposé un raisonnement suffisant pour fonder sa définition du marché en cause, notamment en invoquant des critères relatifs au profil de mission des avions, il appartenait à la requérante de démontrer que ces critères n’étaient pas aptes aux fins de la définition du marché des avions régionaux de grande taille en l’espèce.

530    Dans ces conditions, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, s’en tenir à son analyse des profils de mission des différentes plates-formes aux fins de définir le marché des avions régionaux de grande taille en l’espèce. Il convient de considérer, dès lors, que la Commission a justifié à suffisance de droit sa conclusion quant à la définition du marché des avions régionaux de grande taille.

531    En outre, il convient de relever, à toutes fins utiles, que, sur la base des arguments et éléments de fait présentés devant le Tribunal, il y a lieu de constater que les avions de la famille Avro étaient, non seulement théoriquement, mais aussi concrètement, en concurrence avec les avions régionaux de grande taille motorisés par GE.

532    La Commission soutient devant le Tribunal, sans être contredite à cet égard par la requérante, que les avions régionaux de grande taille de BAe Systems ont été les premiers à être lancés sur le marché, apparemment en 1994. Ainsi, les avions équipés de moteurs Honeywell ont nécessairement été en concurrence avec les nouveaux modèles motorisés par GE au moment où ces derniers ont été lancés sur le marché. Par la suite, ces autres modèles ont apparemment eu un succès tel que les parts de marché de BAe Systems ont diminué de manière considérable, ce qui a amené cette dernière à lancer le nouveau modèle Avro, dénommé l’Avro RJX, devant être motorisé par un nouveau moteur Honeywell, l’AS 900. Dans ces conditions, il serait illogique de considérer que les avions Avro et les avions régionaux de grande taille motorisés par GE ne sont pas en concurrence au motif que les plates‑formes Avro ont perdu leur position de force sur le marché en raison de l’entrée sur le marché de ces derniers, et de la concurrence qui en résulte.

533    À cet égard, il y a lieu de relever également que, dans trois documents annexés au mémoire en duplique, la Commission a apporté des éléments de preuve indiquant que les « Avro » étaient effectivement en concurrence avec les autres avions régionaux de grande taille. Si ces éléments de preuve ne peuvent être invoqués pour la première fois devant le Tribunal pour appuyer directement le bien-fondé de son appréciation dans la décision attaquée, la Commission est en droit de s’y référer pour répondre sur le plan factuel aux arguments de la requérante aux termes desquels la Commission n’a pas pu avancer des exemples de concurrence entre les « Avro » et les autres avions régionaux de grande taille parce qu’une telle concurrence n’existait pas. Il convient dès lors d’examiner brièvement le contenu de ces éléments.

534    Le premier de ces trois documents est un communiqué de presse de BAe Systems, en date du 16 février 1999, dans lequel elle décrit son nouvel avion, l’Avro RJX motorisé par AlliedSignal, société qui a ensuite fusionné avec Honeywell, comme « un projet à risque peu élevé du point de vue des fournisseurs et clients potentiels par rapport aux projets neufs et ambitieux d’un coût supérieur à un milliard de USD proposés par d’autres fabricants » (« low risk for suppliers and potential customers compared with the ambitious, all new $1 billion-plus airframe programmes which other manufacturers are proposing »).

535    Le deuxième document est constitué par une série de brefs articles sur les avions régionaux de grande taille de BAe Systems tirés d’un bulletin d’actualités appelé « Smiliner » pour l’année 2001. Il ressort, en particulier, de l’un de ces articles, du 29 janvier 2001, que, d’après le magazine Flight International, une compagnie aérienne européenne avait lancé un appel d’offres pour une commande d’avions régionaux pouvant aller jusqu’à 100 aéronefs pour laquelle elle prenait en considération l’Avro RJX (motorisé par Honeywell) ainsi que le Bombardier CRJ 700/900, l’Embraer 170/190 et le Fairchild Dornier 728JET/928JET (tous motorisés par GE). Un autre article, du 30 octobre 2001, indique, notamment, que l’Embraer 170 « est en concurrence de manière directe avec l’Avro RJX-70 (lequel n’a pas encore fait l’objet de commandes) ainsi qu’avec les plus anciens BAe 146-100 et Avro RJ70 ».

536    Le troisième document est également constitué par une série de brefs articles tirés de « Smiliner » pour l’année 1999. L’un d’eux indique que, « [a]lors que BAe Regional Aircraft finalise la conception de son Avro RJX à nouveaux moteurs en anticipant une décision de lancement formelle, ses concurrents lui ont détourné deux de ses clients-phares » (« [w]hile BAe Regional Aircraft completes final design on the re-engined Avro RJX in anticipation of a formal launch decision, competitors have poached two of its high-profile customers »). L’article poursuit en décrivant deux commandes significatives passées par des compagnies aériennes, l’une pour le Fairchild Dornier 728 JET et l’autre pour les ERJ‑170 et ERJ‑190/200 d’Embraer.

537    Il ressort de ces trois documents pris ensemble que, en réalité, les avions de la famille Avro motorisés par Honeywell étaient en concurrence avec les avions d’Embraer, de Fairchild Dornier et de Bombardier motorisés par GE. En conséquence, il y a lieu de conclure que l’allégation quant à la prétendue absence de concurrence entre les Avro et les autres avions régionaux de grande taille faite par la requérante non seulement n’est pas étayée par des éléments apportés par elle, mais, en outre, est infirmée par les éléments de preuve produits devant le Tribunal par la Commission.

538    À la lumière de tout ce qui précède, il n’est pas établi, en l’espèce, que la Commission ait commis une erreur de fait en constatant que les avions régionaux quadrimoteurs de grande taille motorisés par Honeywell et les avions régionaux bimoteurs de grande taille motorisés par GE sont en concurrence. Il n’est pas établi non plus que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en appliquant son système de définition des marchés en fonction du profil de mission auquel chaque avion était adapté pour conclure que les réacteurs fabriqués par Honeywell et ceux fabriqués par GE relevaient du même marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille.

 Sur la position dominante préexistante de la requérante

539    Ayant ainsi défini le marché des avions régionaux de grande taille, la Commission considère que la requérante était en position dominante sur celui-ci et que cette position serait renforcée du fait de la concentration. Afin d’étayer cette affirmation, elle relève que, pour ce qui est du parc installé de réacteurs sur les avions de cette catégorie, la concentration permettrait à GE de passer d’une part de marché de [40-50] % à [90-100] % pour l’ensemble de ces avions et de [60‑70] % à 100 % pour les seuls avions encore en production (considérant 84 de la décision attaquée). En ce qui concerne les commandes passées pour les avions qui n’étaient pas encore entrés en service, la requérante serait passée d’une part de [90-100] % à 100 % du marché (considérant 85 de la décision attaquée).

540    Il suffit de rappeler, en ce qui concerne l’existence d’une position dominante préexistante dans le chef de la requérante en l’espèce, que, selon une jurisprudence constante, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, point 41, et arrêt Endemol/Commission, point 115 supra, point 134). La circonstance, relevée par la requérante par rapport à ses positions dominantes préexistantes, que le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille est un marché à appels d’offres sur lequel les parts de marché historiques sont d’une importance moindre que sur d’autres marchés ne saurait infirmer cette conclusion compte tenu de la nature écrasante de la part de marché de GE pour les avions qui n’étaient pas encore entrés en service au moment de l’adoption de la décision attaquée, à savoir [90 à 100] %. La requérante ne conteste pas, dans le contexte des avions régionaux de grande taille, l’utilisation de chiffres relatifs aux avions qui ne sont pas encore en service et les invoque spécifiquement dans le contexte de ses arguments concernant les effets de la concentration sur ce marché. Il convient de constater que, en toute hypothèse, la prise en compte de ces chiffres était particulièrement justifiée en ce qui concerne le marché des avions régionaux de grande taille, compte tenu de la croissance rapide du marché des avions régionaux de grande taille telle que constatée au considérant 431 de la décision attaquée.

541    Quant aux arguments de la requérante selon lesquels P & W et Rolls‑Royce sont des concurrents crédibles sur le marché des avions régionaux de grande taille, il suffit de constater que ces motoristes ne réalisaient aucune vente de moteurs sur le marché des avions régionaux de grande taille au moment de l’adoption de la décision attaquée. Leur participation à des appels d’offres pour motoriser certains avions régionaux de grande taille n’a pas, semble-t-il, été couronnée de succès. La Commission a donc pu considérer sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation à cet égard, nonobstant le fait que le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille est un marché caractérisé par des appels d’offres peu fréquents, que la concurrence livrée potentiellement à l’avenir par des motoristes qui ne réalisaient aucune vente sur ce marché à l’époque des faits ne constituait pas une contrainte sérieuse et actuelle susceptible de justifier la conclusion selon laquelle la requérante n’était pas en position dominante sur ce marché.

542    Vu la part de marché écrasante de la requérante avant la concentration, la Commission a validement pu constater l’existence d’une position dominante de la requérante sur ce marché, aux considérants 86 et 87 de la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu, pour le Tribunal, d’examiner l’influence des différents facteurs qui, selon la Commission, contribuent à cette position dominante avant l’opération (considérants 107 à 229 de la décision attaquée ; voir, à cet égard, points 114 et suivants ci-dessus).

 Sur le renforcement de la position dominante

543    La requérante soutient que, en tout état de cause, le renforcement d’une position dominante préexistante résultant du rajout d’une part de marché de [10 à 20] % pour les plates-formes existantes actuellement en production, mesurée en termes de commandes, serait peu significatif, en s’appuyant à cet égard sur le fait que la Commission elle-même a reconnu, au considérant 429 de la décision attaquée, que cette hausse était « assez faible ». Il convient de rappeler d’abord que l’augmentation de la part de marché représentant [30 à 40] % dudit marché, en ce qui concerne la base installée de moteurs sur les avions encore en production, est significativement supérieure au chiffre susmentionné de [10 à 20] %. Ensuite, l’augmentation des parts de marché représentant environ [10 à 20] % du marché, en ce qui concerne le carnet de commandes pour les plates-formes existantes actuellement en production, doit être considérée comme significative, dès lors qu’elle porte la part de marché de l’entité issue de la fusion à 100 % (voir considérants 428 et 429). Il en va de même de l’augmentation représentant [0 à 10] % du marché constatée en ce qui concerne les commandes passées pour des avions non encore en service (point 539 ci-dessus). En toute hypothèse, le concept d’un renforcement de type de minimis est couvert, dans le contexte de l’article 2 du règlement n° 4064/89, par la deuxième condition, plus large, tenant à ce que la création ou le renforcement d’une position dominante doit avoir comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci. Dans le contexte des avions régionaux de grande taille, cette condition sera examinée ci-après sous l’intitulé « Effets sur la concurrence ».

544    À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation en concluant, en l’espèce, que la concentration renforcerait la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des avions régionaux de grande taille.

 Sur les effets du renforcement de la position dominante sur la concurrence

545    Dans la mesure où la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné les effets de la concentration sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, conformément aux exigences résultant du deuxième critère énoncé à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 (voir points 84 à 91 ci-dessus), il convient de relever d’abord que la Commission considère explicitement, en ce qui concerne le chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, que celui-ci aurait un effet anticoncurrentiel immédiat en ce qui concerne les plates-formes existantes. En particulier, elle relève, au considérant 429 de la décision attaquée, que « bien que la hausse de la part de marché résultant de l’opération soit assez faible ([10 à 20] % sur la base du carnet de commandes) » les clients seront privés des avantages résultant d’une concurrence sur les prix des moteurs en ce qui concerne les avions régionaux de grande taille disponibles actuellement sur le marché. La Commission ayant déjà constaté, aux considérants 84 à 87 de la décision attaquée, que l’entité fusionnée aurait une part de marché de 100 % pour les réacteurs équipant les plates-formes actuellement en production, mesurée en termes de base installée, ainsi que pour ceux équipant les plates-formes pour lesquelles le moteur avait déjà été sélectionné mais qui n’étaient pas encore en service, cette affirmation signifie que ladite privation des avantages résultant de cette concurrence serait absolue.

546    Comme cela a été relevé ci-dessus aux points 502 et suivants dans le contexte de la définition du marché des avions régionaux de grande taille, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel toute concurrence sur les prix entre les moteurs est impossible en pratique, dès lors que chaque plate-forme est équipée à titre exclusif par un seul moteur et que le prix de l’avion est déjà fixé. En effet, il résulte des preuves documentaires (voir, en particulier, point 504 ci-dessus) que, même dans une situation où un seul type de moteur a été sélectionné pour un modèle d’avion et le prix du moteur fixé par l’avionneur, le fabricant du moteur peut encore proposer des rabais, notamment sur les services après-vente et les pièces détachées, afin de promouvoir la vente de l’avion et, partant, de son moteur (voir également considérant 391 de la décision attaquée). Ainsi, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la Commission n’a pas commis d’erreur de fait en constatant l’existence d’une possibilité réelle de concurrence indirecte sur les prix entre les moteurs équipant les avions régionaux de grande taille déjà sur le marché, qui aurait été éliminée dans l’hypothèse où la concentration se serait réalisée.

547    De plus, la Commission a relevé au considérant 9 de la décision attaquée que la concurrence de deuxième degré sur les différents marchés de réacteurs se manifeste par une rivalité « en termes techniques et commerciaux pour être sélectionnés par la compagnie aérienne ». Or, la Commission relève devant le Tribunal que, avant la concentration, Honeywell avait toutes les raisons d’attirer les clients vers l’Avro RJ et RJX en mettant son moteur, en termes tant de prix que d’évolution technologique, dans une position aussi concurrentielle que possible par rapport aux avions régionaux de grande taille équipés de moteurs GE, mais que cette incitation aurait disparu en raison de la concentration. Ainsi, il ressort de la décision attaquée que, outre les effets relatifs à la concurrence sur les prix constatés au considérant 429 de celle-ci, le chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille aurait également eu des effets négatifs sur la concurrence sur ce marché d’une manière plus générale.

548    Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle l’impact de la concentration sur le marché en question aurait été non significatif, il convient de la rejeter. À cet égard, si la hausse de part de marché est relativement peu importante, en comparaison de la part de marché que détenait déjà la requérante, c’est précisément parce que la requérante avait déjà une part de marché très élevée et bénéficiait de ce fait de la position dominante préexistante très forte décrite ci‑dessus et qu’Honeywell était le seul concurrent réalisant des ventes de moteurs sur ce marché au moment de l’adoption de la décision attaquée. La circonstance, relevée à bon droit par la Commission, que la concentration aurait éliminé toute concurrence sur les prix dans l’immédiat, du fait de la création d’un monopole dans le chef de l’entité fusionnée en ce qui concerne les avions actuellement en production ou ceux qui n’étaient pas encore en service mais pour lesquels l’avionneur avait déjà fait le choix du moteur, emporte la conséquence que l’impact de l’opération sur ce marché aurait dépassé celle qui résulterait normalement d’une hausse de parts de marché de [10 à 20] % à partir d’une part de marché inférieure. En effet, la disparition définitive d’Honeywell du marché en tant que fabricant de moteurs indépendant aurait changé non seulement le rapport de forces, mais la qualité même de la situation concurrentielle sur le marché, en modifiant la structure du marché de manière durable, voire même permanente. La seule concurrence, purement potentielle, qui subsisterait serait celle pour équiper les futures plates‑formes des avions régionaux de grande taille, livrée par les motoristes qui réalisent actuellement des ventes uniquement sur d’autres marchés voisins. Compte tenu de la durée du processus de développement d’un avion, une telle concurrence n’aurait pu produire des effets positifs pour les acheteurs d’avions régionaux de grande taille, par hypothèse, qu’au bout d’une période de plusieurs années après l’adoption de la décision attaquée.

549    Il y a lieu de rappeler, en outre, que, selon une jurisprudence constante en matière d’application de l’article 82 CE, la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, mais signifie seulement qu’il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (voir, par exemple, arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, point 114 supra, point 57, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 et T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1109). En outre, la notion d’exploitation abusive, au sens de l’article 82 CE, est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, point 91).

550    Or, dans une situation comme celle qui existait en l’espèce où la seule concurrence immédiate sur un marché donné est indirecte et déjà relativement faible, le fait pour une entreprise d’acquérir le seul concurrent qui réalise encore des ventes sur ce marché est particulièrement nuisible. Il y a lieu d’appliquer, par analogie, les principes susmentionnés élaborés dans le contexte de l’interdiction des abus de position dominante au cadre juridique voisin du contrôle des concentrations en considérant que plus la dominance d’une entreprise est importante, plus il lui incombe une responsabilité particulière de s’abstenir de toute action susceptible d’affaiblir davantage, ou à plus forte raison d’éliminer, la concurrence existant encore sur le marché.

551    Dès lors, il convient en principe de rejeter l’argumentation selon laquelle le fait pour une entreprise en position dominante d’acquérir son seul concurrent actuel sur un marché ne renforcerait pas cette position dominante de sorte qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun parce que la position sur le marché du concurrent est déjà faible et la concurrence qu’il livre est purement indirecte, c’est-à-dire de deuxième niveau. Dans de telles circonstances, il appartient aux parties à la concentration d’apporter des preuves démontrant l’inexistence de toute concurrence effective sur le marché avant l’opération. En l’absence de telles preuves, le juge communautaire ne saurait conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en se basant sur la disparition du dernier concurrent actuel pour considérer que la concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun.

552    Au considérant 431 de la décision attaquée, la Commission a relevé l’existence d’une forte croissance du marché des avions régionaux de grande taille, et l’importance de ce marché pour l’avenir de l’aviation. Elle a également constaté à cet égard, au considérant 20, que ces avions constituaient 14 % de la flotte européenne en 1992, mais 33 % de celle-ci en 1998. Il est évident que cette croissance sur le marché des avions se répercute directement sur celui des réacteurs qui les propulsent. En considérant que la fusion aurait des effets néfastes significatifs sur la concurrence dans le marché commun, la Commission était en droit de noter et de tenir compte de l’importance croissante dans le contexte plus large des marchés d’avions et de réacteurs en général du marché spécifique sur lequel un monopole serait créé par la fusion.

553    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission a exposé de manière adéquate, dans la décision attaquée, les effets anticoncurrentiels qu’aurait eu la concentration sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, surtout dans l’immédiat, en raison du chevauchement horizontal entre les activités des parties à la concentration sur ce marché. À cet égard la décision attaquée n’est donc entachée ni d’une erreur de droit relative à l’application des deux critères énoncés à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, ni d’un défaut de motivation. La Commission n’a pas non plus commis d’erreur de fait ou d’erreur manifeste d’appréciation en concluant que la concurrence sur ce marché aurait été entravée de manière significative en conséquence.

554    Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les considérants 432 à 434 de la décision attaquée consacrés aux effets – notamment aux effets de conglomérat – de la concentration sur les appels d’offres futurs relatifs au marché en cause. En effet, dès lors que la Commission a établi de manière distincte, dans la décision attaquée, que les deux critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 étaient remplis en ce qui concerne le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille en raison de l’impact immédiat du chevauchement horizontal résultant de la concentration, un tel examen serait superflu dans la présente procédure.

 Sur le rejet par la Commission de l’engagement relatif aux avions régionaux de grande taille

555    Il convient de relever que, dans le cadre du règlement n° 4064/89, la Commission n’est habilitée à accepter que des engagements de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, point 85 supra, point 318). Il convient de considérer à cet égard que des engagements structurels proposés par les parties ne remplissent ce critère que dans la mesure où la Commission est en mesure de conclure, avec certitude, qu’il sera possible de les exécuter et que les nouvelles structures commerciales qui en résultent seront suffisamment viables et durables pour que la création ou le renforcement d’une position dominante, ou les entraves à une concurrence effective, que les engagements ont pour finalité d’empêcher ne sera pas susceptible de se produire dans un avenir relativement proche.

556    En l’espèce, la Commission relève, au considérant 519 de la décision attaquée, que, si la cession de l’activité de fabrication de moteurs pour avions régionaux de grande taille d’Honeywell proposée par les parties pouvait être réalisée, elle serait suffisante, en principe, pour résoudre le problème concurrentiel identifié en ce qui concerne ce marché.

557    Toutefois, elle conclut qu’une telle cession serait difficile à réaliser essentiellement parce que […] s’y oppose pour des raisons pratiques et commerciales tenant, notamment, à l’absence de viabilité de l’entreprise qui résulterait de la cession envisagée […]

558    La Commission relève à cet égard, au considérant 520 de la décision attaquée, […] et qu’il n’est donc pas certain que la mesure corrective proposée soit effectivement capable d’éliminer le problème de concurrence constaté. Elle note également que l’engagement ne prévoit pas de solution de remplacement pour la cession. Au considérant 522, la Commission énumère, apparemment à titre subsidiaire, un certain nombre de problèmes pratiques qui ne sont pas réglés de manière suffisante par l’engagement en toute hypothèse.

559    Étant donné que la requérante se borne à affirmer devant le Tribunal que les prétendues difficultés posées par cet engagement soulevées par la Commission sont totalement dénuées de fondement, force est de constater qu’elle n’a apporté ni arguments concrets ni éléments de preuve susceptibles de mettre en cause le bien-fondé de l’appréciation de la Commission quant au caractère irréalisable de la cession proposée.

560    Il convient de souligner, en particulier, la circonstance relevée par la Commission au considérant 520 de la décision attaquée, sans être contredite à cet égard par la requérante, selon laquelle […] En effet, il ressort du point […] du document exposant les engagements proposés le 14 juin 2001 que […] Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où […], l’entité fusionnée aurait été libérée de son obligation vis‑à‑vis de la Commission sans que la cession soit réalisée, à condition d’avoir […]

561    Il résulte de ce qui précède que la Commission a légitimement pu considérer que l’engagement, tel qu’il a été proposé, ne pouvait être accepté. Dès lors, il n’y a pas lieu de tenir compte de cet engagement dans le cadre du présent recours.

 Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille

562    Quant à l’affirmation de la Commission, aux termes de laquelle les éléments de sa décision se renforcent mutuellement de sorte qu’il serait artificiel d’apprécier chaque marché de manière isolée (voir points 40 et 48 ci-dessus), il convient de relever que cette affirmation de nature générale ne trouve en tout cas aucune application dans le contexte des éléments examinés dans la présente section de l’arrêt. En particulier, dans la mesure où le Tribunal a constaté ci-dessus des erreurs entachant les appréciations de la Commission concernant le chevauchement vertical entre les démarreurs et les moteurs pour avions commerciaux de grande taille, ainsi que celles concernant les différents effets de conglomérat, aucune de ces erreurs n’a une incidence sur sa constatation relative au renforcement de la position dominante de la requérante sur le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille du fait du chevauchement horizontal résultant de la concentration, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché commun.

563    Il y a lieu de conclure, dans le contexte de la présente procédure, que le pilier de la décision attaquée relatif au renforcement d’une position dominante dans le chef de la requérante, résultant du chevauchement horizontal existant sur le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille entre les activités de fabrication des deux parties à la concentration, ayant comme conséquence que la concurrence sur ce même marché aurait été entravée de manière significative dans le marché commun, est établi à suffisance de droit.

2.     Sur les moteurs d’avions d’affaires

a)     Arguments des parties

564    La requérante considère que l’analyse de la Commission relative à la définition du marché pour les moteurs d’avions d’affaires comporte les mêmes vices que celle relative aux moteurs d’avions régionaux de grande taille. Les moteurs de GE et d’Honeywell ne seraient pas substituables, en raison de différences de poussée et de conception, et ce ni actuellement ni dans le futur. La Commission se fonderait alors sur les effets, non démontrés, de l’intégration verticale en ce qui concerne GECCAG. De plus, la Commission aurait rejeté à tort les engagements concernant le marché des réacteurs pour avions d’affaires.

565    La Commission renvoie, mutatis mutandis, à son analyse relative aux moteurs d’avions régionaux de grande taille et réaffirme que la concentration créerait une position dominante sur le marché des avions d’affaires en raison, notamment, de l’écart entre les parts de marché de l’entité issue de la concentration et celles de ses concurrents. La Commission fait remarquer également que les critiques de la requérante relatives au rejet des engagements concernant ce marché se limitent à de simples allégations et n’aboutissent à aucune conclusion quant à la validité de la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

566    En l’espèce, la Commission a défini un marché unique comprenant tous les avions d’affaires, tout en constatant, au considérant 32 de la décision attaquée, que, « du point de vue de la demande, les trois catégories d’aéronefs [lourds, moyens et légers] ne sont pas substituables entre elles, en raison de l’écart de prix et de coût d’exploitation, ainsi que des différents profils de mission auxquels chaque catégorie peut être affectée ». Si elle divise ce marché en trois « catégories » (sectors), elle précise qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer définitivement sur cette question de savoir si ces trois catégories sont des marchés distincts, puisque l’appréciation sous l’angle de la concurrence ne s’en trouvera pas affectée.

567    Au considérant 436 de la décision attaquée, la Commission rejette les arguments des parties à la concentration relatifs à la définition du marché en relevant que ceux-ci reposent sur une concurrence qui s’exerce plate-forme par plate-forme. La Commission relève que « ce n’est toutefois pas la manière dont les marchés de produits ont été définis dans le cas des avions d’affaires, [dès lors que] cela ne correspond pas aux principes qui en régissent la définition, en ce qu’il n’est pas tenu compte de la substituabilité [au niveau] de l’offre et de la demande ».

568    La principale argumentation de la requérante devant le Tribunal consiste dans une répétition des mêmes critiques avancées à l’égard de la définition du marché des avions régionaux de grande taille tenant en substance au fait que la Commission a défini les marchés pour les réacteurs en fonction des avions qu’ils propulsent et non pas en fonction de leurs propres caractéristiques. Comme il a été relevé ci‑dessus aux points 492 et suivants dans le contexte des avions régionaux de grande taille, la Commission a exposé, au considérant 9 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles il y a lieu de tenir compte de la concurrence entre les avions en définissant les marchés des réacteurs qui les propulsent.

569    Il convient de constater que la requérante n’a avancé devant le Tribunal aucune allégation précise relative à la définition du marché des avions d’affaires. Or, l’étendue matérielle du contrôle effectué par le juge communautaire étant déterminée, en principe, par les moyens et arguments avancés par le requérant dans sa requête, il n’y a pas lieu d’examiner cette question en l’espèce. En l’absence du moindre élément spécifique mettant en cause l’application aux avions d’affaires de l’analyse de la Commission en ce qui concerne la concurrence de deuxième niveau, il y a lieu de considérer, aux fins de la présente procédure, que la Commission n’a pas commis d’erreur de fait ni d’erreur manifeste d’appréciation en définissant le marché des moteurs pour avions d’affaires. Dans la mesure où la requérante renvoie de manière globale aux arguments avancés par elle à l’encontre de la définition du marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille, il y a lieu de rejeter ces arguments pour les mêmes raisons mutatis mutandis (voir points 492 et suivants ci-dessus).

570    Quant à la création d’une position dominante sur le marché des réacteurs pour avions d’affaires, la Commission s’appuie exclusivement, au considérant 435 de la décision attaquée, sur les chiffres relatifs aux parts de marché de l’entité fusionnée, pour conclure qu’une position dominante sera créée sur le marché. Elle relève, audit considérant que, « [s]ur le marché des réacteurs d’avions d’affaires, l’opération de concentration envisagée aura pour effet immédiat de créer un chevauchement horizontal qui entraînera la création d’une position dominante ». Elle invoque à cet égard le chiffre de [50 à 60] % (GE : [10 à 20] %, Honeywell : [40 à 50] %) pour l’ensemble du parc installé des moteurs sur ce marché, ainsi que celui de [80 à 90] % (GE : [10 à 20] %, Honeywell : [70 à 80] %) pour le parc installé des moteurs des seuls avions d’affaires de la catégorie moyenne encore en production, cette mesure de la part de marché étant appropriée, selon la Commission, pour apprécier la puissance commerciale des motoristes sur ce marché.

571    Il convient de relever à cet égard que le chiffre de [50 à 60] % pour l’ensemble du parc installé des moteurs sur le marché des avions d’affaires est indicatif, en principe, d’une position dominante. En effet, selon une jurisprudence constante, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 101 supra, point 41, et Endemol/Commission, point 115 supra, point 134). En outre, la Cour a jugé, dans son arrêt AKZO/Commission, point 115 supra (point 60), que tel était le cas, en l’espèce, d’une part de marché de 50 %.

572    La requérante n’a pas démontré ni même allégué l’existence de « circonstances exceptionnelles » au sens de l’arrêt AKZO/Commission, point 115 supra, en ce qui concerne le marché des avions d’affaires, de nature à infirmer la conclusion à laquelle la Commission est parvenue dans la décision attaquée, en se basant sur la part de marché qu’aurait eue l’entité fusionnée en ce qui concerne le parc global de moteurs installés, quant à la création d’une position dominante sur ce marché.

573    Il convient de relever, à toutes fins utiles, que le chiffre de [80 à 90] % indiqué au considérant 88 de la décision attaquée pour le parc installé des moteurs des seuls avions d’affaires de la catégorie moyenne encore en production, mesure particulièrement pertinente aux fins d’apprécier la puissance commerciale d’un motoriste selon la Commission (considérant 41 de la décision attaquée), indique clairement que l’entité fusionnée aurait dominé ce secteur à la suite de l’opération. Étant donné que la Commission n’a pas qualifié cette catégorie d’avions de marché distinct, cette constatation n’établit pas l’existence d’une position dominante, en tant que telle, sur un marché distinct au sens de l’article 2 du règlement n° 4064/89. Cette part de marché indique cependant que, sur certains secteurs du marché en cause, l’entité fusionnée aurait été encore plus forte que sur le marché en général, ce qui renforce la conclusion de la Commission quant à l’existence, après la fusion, d’une position dominante dans le chef de l’entité fusionnée sur le marché, apprécié globalement.

574    À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater qu’il n’est pas établi, dans le cadre de la présente procédure, que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion selon laquelle l’opération de concentration aurait créé une position dominante du fait du chevauchement horizontal entre l’activité de fabrication de moteurs pour avions d’affaires de la requérante et celles d’Honeywell.

575    Pour le surplus, la requérante critique explicitement le raisonnement de la Commission relatif au marché des avions d’affaires en ce qui concerne la prétendue influence de GECCAG en tant qu’acheteur en raison d’une politique d’achat préférentielle. Force est de constater que les éléments empiriques essentiels qui sous-tendent l’analyse de la Commission sur le comportement passé de GECAS (considérants 121 et suivants de la décision attaquée ainsi que points 182 et suivants ci-dessus) font défaut en ce qui concerne GECCAG. En l’absence d’une analyse approfondie dans la décision attaquée démontrant qu’il aurait été dans l’intérêt commercial de l’entité fusionnée d’adopter une politique d’achats spéculatifs d’avions par GECCAG avec une forte préférence voire une politique d’achat exclusive d’avions motorisés par elle-même et que, partant, l’adoption d’une telle politique était probable, il y a lieu de considérer que ce volet du raisonnement de la Commission n’est pas fondé en l’espèce.

576    En ce qui concerne l’analyse, aux considérants 443 et 444 de la décision attaquée, de la possibilité de ventes groupées affectant les avions d’affaires également critiquée par la requérante, il y a lieu de constater que de telles ventes étaient déjà possibles avant comme après la concentration, dès lors qu’Honeywell possédait déjà une position de force sur le marché des avions d’affaires ainsi que sur plusieurs marchés de produits avioniques et non avioniques pour ces aéronefs. En revanche, la part de marché de GE en ce qui concerne les réacteurs pour avions d’affaires avant la concentration était faible. Ainsi, à supposer même qu’il soit démontré que la pratique de ventes groupées soit probable dans le secteur des avions d’affaires à l’avenir, il n’est pas établi que la concentration en serait la cause principale, ni qu’elle provoquerait des effets significatifs à cet égard.

577    En toute hypothèse, il convient de relever que, pour les raisons exposées ci‑dessus aux points 399 et suivants, la Commission n’a pas rassemblé des preuves solides susceptibles d’établir que l’entité fusionnée aurait probablement eu recours à de telles pratiques. Dès lors, force est de constater que cette partie de la thèse de la Commission, relative à la future pratique de ventes groupées affectant les avions d’affaires, ne saurait être retenue comme une conséquence de l’opération notifiée qui aurait contribué à la création de la position dominante de l’entité fusionnée sur ce marché.

578    Il ressort de manière univoque de la section de la décision attaquée consacrée à l’analyse des effets sur la concurrence sur le marché des avions d’affaires (considérants 435 à 444) et, en particulier, du libellé de son considérant 437 que chacune des trois sections distinctes consacrées respectivement au chevauchement horizontal (considérants 435 à 437), à l’intégration verticale (considérants 438 à 442) et aux ventes groupées (considérants 443 et 444) est autonome et suffit à elle seule, d’après l’analyse de la Commission, à fonder sa conclusion quant à la création d’une position dominante sur ce marché du fait de l’opération de concentration. Ainsi, la constatation au point 574 ci-dessus relative au bien‑fondé de l’analyse de la Commission concernant le chevauchement horizontal sur ce marché n’est pas infirmée par les constatations aux points 575 à 577 ci-dessus.

579    En ce qui concerne la question de savoir si la position dominante ainsi créée aurait eu pour conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun, il suffit de constater que la requérante, si elle a insisté sur l’autonomie du deuxième critère d’une manière abstraite (voir points 84 et suivants ci-dessus), n’a avancé aucun argument pour contester le caractère significatif des effets sur le marché résultant du chevauchement horizontal décrit ci-dessus.

580    En toute hypothèse, il découle de la conclusion générale figurant au considérant 567 de la décision attaquée, qui mentionne explicitement chacun des marchés concernés par l’opération notifiée, que la Commission a considéré non seulement qu’une position dominante serait créée ou renforcée sur chacun de ces marchés mais également que, en conséquence, « une concurrence effective serait entravée de manière substantielle dans le marché commun » (voir point 90 ci‑dessus). Compte tenu des termes de ce considérant, la Commission a nécessairement conclu que la création d’une position dominante sur le marché des avions d’affaires, du fait que l’entité fusionnée aurait une part de marché de [50 à 60] % en ce qui concerne le parc installé de moteurs (considérant 88 de la décision attaquée), aurait pour conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun. En l’absence d’arguments spécifiques ou d’éléments de preuve indiquant l’absence d’une telle entrave, il y a lieu de considérer, aux fins de la présente procédure, que cette conclusion n’est pas entachée par une erreur manifeste d’appréciation.

581    Quant aux engagements proposés par la requérante le 14 juin 2001, il convient de relever que celui prévoyant la cession de l’activité de fabrication des moteurs ALF502/507 d’Honeywell est également pertinent pour l’appréciation du marché des avions d’affaires, ainsi que les deux parties principales l’ont confirmé avant l’audience en réponse à une question écrite du Tribunal, dans la mesure où ils motorisent non seulement les avions régionaux de grande taille de BAe Systems mais aussi un avion d’affaires […]

582    Il suffit de relever, à cet égard, que la requérante s’est bornée de nouveau à affirmer que les critiques de l’engagement en cause formulées par la Commission dans la décision attaquée sont dénuées de fondement. Ainsi, pour les raisons exposées aux points 555 et suivants ci-dessus, la Commission était en droit de rejeter cet engagement.

c)     Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des moteurs d’avions d’affaires

583    Il convient de relever que, malgré l’affirmation de la Commission selon laquelle les éléments de sa décision se renforcent mutuellement de sorte qu’il serait artificiel d’apprécier chaque marché de manière isolée (voir points 40 et 48 ci-dessus), cette affirmation de nature générale ne trouve en tout cas aucune application dans le contexte des éléments examinés dans la présente section de l’arrêt. En particulier, dans la mesure où le Tribunal a constaté ci-dessus des erreurs entachant les appréciations de la Commission concernant le chevauchement vertical entre les démarreurs et les moteurs pour avions commerciaux de grande taille, ainsi que celles concernant les différents effets de conglomérat, aucune de ces erreurs n’a une incidence sur sa constatation relative à la création de la position dominante de la requérante sur le marché des moteurs pour avions d’affaires du fait du chevauchement horizontal résultant de la concentration, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché commun.

584    Dès lors, il convient de conclure, dans le contexte de la présente procédure, que le pilier de la décision attaquée relatif à la création d’une position dominante pour l’entité issue de la concentration, résultant du chevauchement horizontal existant sur le marché des moteurs pour avions d’affaires entre les activités de fabrication des deux parties à la concentration, ayant comme conséquence que la concurrence sur ce même marché aurait été entravée de manière significative dans le marché commun, est établi à suffisance de droit.

3.     Sur les petites turbines à gaz marines

a)     Sur la définition du marché

 Arguments des parties

585    Selon la requérante, l’affirmation par la Commission de la création d’une position dominante dans ce secteur est viciée par une définition erronée du marché. Les turbines de GE et d’Honeywell ne seraient pas substituables. La Commission n’aurait avancé aucune preuve d’un exemple de concurrence entre GE et Honeywell.

586    La Commission rappelle que la décision attaquée, aux considérants 472 à 474, comporte déjà la réponse aux arguments de la requérante sur ce point et maintient que ces arguments ne sont pas conformes à la réalité. La Commission considère que les marchés des turbines à gaz ne doivent être définis que par la puissance, en l’occurrence inférieure à 10/15 mégawatts (MW), et par leur application industrielle ou marine. Le marché identifié ne peut être fractionné davantage et la concentration aurait donné naissance à un acteur bien plus grand que son premier concurrent.

 Appréciation du Tribunal

587    Il convient de rappeler d’abord que l’étendue matérielle du contrôle effectué par le juge communautaire est déterminée, en principe, par les moyens et arguments avancés par le requérant dans sa requête. Le seul élément du raisonnement de la Commission concernant les petites turbines à gaz marines contesté dans la requête est la définition du marché. Il y a lieu d’examiner si les arguments que la requérante avance à cet égard établissent l’existence d’une erreur de fait ou d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la Commission en ce qui a trait à sa définition du marché pertinent.

588    En revanche, dans la mesure où la requérante a cherché, dans la lettre du 21 juillet 2004, à élargir le débat en commentant des aspects de ce volet du raisonnement de la Commission autres que la définition du marché pertinent, ses observations sont constitutives d’un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure et sont, partant, irrecevables, comme la Commission le relève d’ailleurs à juste titre dans ses observations du 17 septembre 2004.

589    Dans la décision attaquée, la Commission expose, aux considérants 460 à 467, les raisons qui l’ont amenée à considérer que le marché pertinent était le marché mondial des petites turbines à gaz, à savoir celles d’une puissance de 0,5 MW à 10 MW, destinées aux applications marines. Ensuite, aux considérants 472 à 474, elle explique pourquoi les arguments spécifiques soulevés par les parties à la concentration, au cours de la procédure administrative, n’infirment pas cette conclusion.

590    Selon la requérante, ses turbines et celles d’Honeywell ne sont pas mutuellement substituables et elle soutient qu’il n’y a pas de concurrence entre ces turbines au sens d’une participation des deux entreprises aux mêmes appels d’offres.

591    Pour étayer sa thèse, la requérante renvoie, dans la note en bas de page n° 185 de la requête, à l’annexe 22 à sa réponse à la CG, cette réponse figurant, avec toutes ses annexes, en annexe à la requête.

592    Dans la mesure où la requérante renvoie à ladite annexe dans sa requête, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Italie/Commission, C‑178/00, Rec. p. I‑303, point 6 ; arrêts du Tribunal du 6 mai 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑195/95, Rec. p. II‑679, point 20 ; du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 66 ; ordonnance du Tribunal du 25 juillet 2000, RJB Mining/Commission, T‑110/98, Rec. p. II‑2971, point 23, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 10 avril 2003, Travelex Global and Financial Services et Interpayment Services/Commission, T‑195/00, Rec. p. II‑1677, point 26, et du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T‑157/01, non encore publié au Recueil, point 45 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 15 décembre 1961, Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19/60, 21/60, 2/61 et 3/61, Rec. p. 559, 588, et du 5 mars 1991, Grifoni/CEEA, C‑330/88, Rec. p. I‑1045, points 17 et 18). À cet égard, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, Rec. p. II‑1703, point 49). Ainsi, dans la mesure où des critiques avancées par la requérante dans le document en cause pourraient être considérées comme des griefs autonomes dirigés contre d’autres aspects de l’analyse dans la CG que la définition du marché pertinent, ces griefs ne doivent pas être pris en compte.

593    Par ailleurs, la requérante a mis en doute, à l’audience, la fiabilité des chiffres de part de marché de la requérante utilisés par la Commission dans la décision attaquée, en relevant que le chiffre de [10 à 20] % pour un marché qui serait, le cas échéant, défini en fonction d’une puissance de 0,5 à 5 MW, invoqué au considérant 470 de la décision attaquée, est impossible à concilier avec le chiffre de 25 à 30 % pour un marché plus large allant de 0,5 à 10 MW (considérant 470 également, in fine), dès lors que la requérante fabriquerait une seule turbine, la LM 500, relevant de ces deux marchés, d’une puissance de 4,5 MW.

594    Il suffit de constater que cette argumentation est distincte du moyen soulevé dans la requête mettant en cause la définition du marché des petites turbines à gaz, et qu’elle ne se retrouve pas, même en germe, dans la requête. Elle constitue dès lors un moyen autonome. Ce moyen, soulevé pour la première fois à l’audience, est donc irrecevable au titre de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, qui interdit aux parties de soulever des moyens nouveaux en cours d’instance. En toute hypothèse, la Commission ne se contredit pas au considérant 470 de la décision attaquée, dès lors qu’elle attribue explicitement l’affirmation quant au chiffre de 25 à 30 % d’un marché de 0,5 à 10 MW aux concurrents d’Honeywell.

595    En revanche, les éléments soulevés dans l’annexe 22 à la réponse à la CG ayant un rapport avec la définition du marché peuvent être considérés comme étayant et complétant le moyen soulevé dans la requête à l’égard de ce marché.

596    Afin de remettre en cause la définition du marché retenue par la Commission dans la CG, les parties à la concentration ont souligné, dans l’annexe 22 à leur réponse à celle-ci, les différences entre le modèle de turbine de GE, la LM 500, et les turbines d’Honeywell en termes de prix, de taille, de poids et de puissance.

597    Il découle du considérant 473 de la décision attaquée que la Commission s’est fondée, en particulier, sur son enquête sur le marché pour rejeter les arguments de la requérante tenant aux différences entre les turbines des parties à la concentration. Elle relève en particulier, au considérant 473, ce qui suit :

« L’enquête menée sur le marché a pourtant explicitement montré que GE et [Honeywell] étaient rivales sur le marché défini ci-dessus. Celle-ci n’a pas fait apparaître que les différences entre les petites turbines à gaz marines de GE et de [Honeywell] (d’une puissance inférieure à 10 MW) étaient suffisamment significatives pour justifier une distinction entre différents marchés de produits. »

598    Étant donné que la conclusion fondée sur cette enquête est contestée dans la présente procédure, il incombe au Tribunal de vérifier en l’espèce que la Commission n’a pas commis d’erreur de fait ni d’erreur manifeste d’appréciation en déduisant des résultats de son enquête que ces différences n’infirmaient pas sa définition du marché. À cette fin, le Tribunal a demandé à la Commission, par voie d’une mesure d’organisation de la procédure, de produire les documents de son dossier auquel la requérante a eu accès qui appuient ou qui sont pertinents d’une autre manière pour les deux phrases citées au point précédent.

599    La Commission a produit trois documents en réponse à cette question, à savoir les réponses respectives de Rolls-Royce, d’UTC et de Solar Turbines. Elle soutient que ces réponses sont « représentatives » des résultats de son enquête sur le marché, dès lors qu’elles reflètent les opinions des trois principaux concurrents des parties à la concentration sur le marché en cause. La requérante n’a pas remis en cause le caractère représentatif de ces réponses, se bornant à relever des divergences entre elles et à critiquer leur valeur probante. En particulier, elle ne s’est pas référée aux réponses d’autres concurrents qui infirmeraient cette affirmation de la Commission.

600    La réponse de Rolls-Royce, du moins dans sa version non confidentielle produite devant le Tribunal, est ambiguë dans la mesure où elle indique, en réponse à la question portant le numéro 38 dans ce document, que seules la requérante et elle‑même sont présentes sur le marché en cause. Or, il est constant qu’Honeywell était présente, voire qu’elle avait une part de marché importante sur le marché des petites turbines à gaz marines. Il s’agit donc d’une omission manifeste dans le chef de Rolls-Royce. Quant à sa réponse à la question n° 40 dans le même document, elle indique l’existence d’une concurrence entre la requérante et Honeywell exclusivement sur le marché des petites turbines à gaz industrielles. Il convient de considérer que les réponses de Rolls-Royce à ces deux questions ne permettent pas de trancher la question de savoir si la requérante et Honeywell étaient en concurrence sur le marché des petites turbines à gaz marines.

601    Toutefois, il ressort également des réponses de Rolls-Royce aux questions n°s 32, 34 et 36 de la Commission que la définition d’un marché pour les petites turbines à gaz marines d’une puissance de 0,5 à 10 MW envisagée par la Commission était raisonnable et que, selon cette société, aucun « autre facteur » ni aucun « autre élément » n’était pertinent aux fins de la définition du marché en cause. Ces éléments de la réponse de Rolls-Royce corroborent donc la thèse de la Commission.

602    La réponse d’UTC, société mère de P & W, conforte la thèse de la Commission dans la mesure où elle confirme l’existence d’une concurrence entre les parties à la concentration. En réponse à la question n° 50, elle a affirmé explicitement que la requérante et Honeywell se livrent concurrence directement et indirectement en ce qui concerne les turbines à gaz marines et industrielles ayant une puissance de 0,5 à 15 MW.

603    Quant à la définition appropriée du marché, UTC indique, en réponse à la question n° 43, que les turbines industrielles ne peuvent être utilisées dans des applications marines et, en réponse à la question n° 44, que, malgré le fait que tout seuil destiné à distinguer les petites des grandes turbines à gaz marines serait relativement subjectif et quelque peu arbitraire, la valeur de 13 MW environ aurait parfois été utilisée. En réponse à la question n° 46 quant aux éventuels « autres éléments » pouvant avoir une incidence sur la définition du marché, elle soutient que les critères indiqués par la Commission relatifs à l’utilisation finale et à la puissance des turbines sont pertinents aux fins de la définition du marché. Ainsi, ces réponses étayent la distinction entre les petites turbines à gaz marines et les turbines à gaz industrielles et confirment l’opportunité d’une distinction entre les petites et les grandes turbines marines en fonction de leur puissance, un seuil approprié étant juste au-dessus de 10 MW.

604    Enfin, la réponse de Solar Turbines est incompatible avec la définition du marché retenue par la Commission dans la mesure où cette entreprise considère qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les turbines à gaz marines et les turbines à gaz industrielles (page numérotée 03812), ni en fonction de la puissance des turbines (page numérotée 03809). En revanche, force est de constater que, dans la mesure où Solar Turbines se prononce en faveur d’une définition du marché très large, sa thèse est également incompatible avec celle de la requérante selon laquelle les différences de taille et de poids entre les petites turbines de la requérante et celles d’Honeywell emportent la conséquence que ces produits ne relèvent pas du même marché.

605    En outre, Solar Turbines a affirmé, en réponse à la question n° 8 posée par la Commission, que la requérante et Honeywell étaient en concurrence pour la vente de turbines à gaz destinées aux applications industrielles et marines. Quant à l’argument de la requérante, avancé à l’audience, tiré du fait qu’en énumérant les différentes turbines des deux parties à la concentration Solar Turbines a omis la seule petite turbine à gaz marine de la requérante, à savoir la LM 500, il suffit de relever que cette liste de produits est explicitement non exhaustive dès lors qu’elle se termine par les mots « entre autres produits ». Ainsi, il ne saurait être déduit de cette omission que, contrairement à ce qu’elle affirme explicitement, Solar Turbines se référait exclusivement à d’autres turbines que celles qualifiées par la Commission de petites turbines à gaz marines.

606    Il ressort, par ailleurs, de l’annexe 22 à la CG susmentionnée que la requérante et Honeywell ont participé une fois au même appel d’offres au cours des cinq dernières années, l’offre de la requérante ayant pourtant été rejetée au motif qu’elle ne correspondait pas aux conditions techniques indiquées. Il y a lieu de relever à cet égard qu’il y a très peu d’appels d’offres sur le marché en cause dès lors que, selon cette même annexe, Honeywell a participé à six appels d’offres au total pendant cette même période et qu’elle en a remporté deux. Dès lors, le fait que les parties n’aient participé qu’une seule fois au même appel d’offres n’est pas en soi de nature à indiquer dans ce contexte que leurs produits respectifs ne relèvent pas du même marché.

607    À la lumière du contenu des trois réponses examinées ci-dessus, appréciées globalement, ainsi que du document figurant à l’annexe 22 à la réponse à la CG, il n’est pas établi, en l’espèce, que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, sur la base des éléments figurant dans son dossier, qu’il existait un marché mondial pour les turbines à gaz marines d’une puissance de 0,5 à 10 MW et que la requérante et Honeywell étaient toutes deux actives sur ce marché.

608    À la suite d’une question posée par le Tribunal à l’audience, et d’un échange écrit poursuivi dans le cadre de la réouverture de la procédure orale, il s’est avéré que le seul client sur le marché mondial des petites turbines à gaz situé dans l’EEE de chacune des parties à la concentration n’avait pas été interrogé par la Commission malgré le fait que la requérante avait indiqué son existence sur le formulaire de notification « CO ». Toutefois, cette circonstance, relevée par la requérante après l’audience, n’infirme pas la conclusion au point précédent, dès lors qu’il n’est pas démontré, ni même allégué par la requérante, que l’absence de consultation de son client ou de celui d’Honeywell ait pu fausser la définition du marché retenu par la Commission dans la décision attaquée.

609    En l’espèce, il n’est pas établi que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en raison de la manière dont elle a mené son enquête aux fins de définir le marché des petites turbines à gaz marines.

b)     Sur les engagements

 Arguments des parties

610    La requérante a proposé de céder la part d’Honeywell dans Vericor, entreprise commercialisant les turbines d’Honeywell. Devant le Tribunal, elle s’est bornée à affirmer à cet égard dans sa requête que les critiques de l’engagement soulevées par la Commission dans la décision attaquée étaient dénuées de tout fondement. Elle n’explique cependant pas pour quelles raisons ces critiques ne sont pas fondées et n’avance aucun élément de preuve à cet égard.

611    La Commission fait remarquer que les critiques de GE relatives au rejet des engagements se limitent à de simples allégations et n’aboutissent à aucune conclusion quant à la validité de la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

612    Ainsi qu’il a été relevé au point 555 ci-dessus, des engagements structurels proposés par les parties ne peuvent être acceptés que dans la mesure où la Commission est en mesure de conclure qu’il sera possible de les exécuter.

613    En ce qui concerne les petites turbines à gaz, les parties à la concentration notifiée ont proposé, dans la première série d’engagements du 14 juin 2001, de céder la participation de 50 % par Honeywell dans Vericor, l’entreprise commune à parts égales par l’intermédiaire de laquelle Honeywell commercialise ses petites turbines à gaz marines, et dans laquelle MTU détient les 50 % restants (voir considérant 494 de la décision).

614    Les objections soulevées par la Commission en ce qui concerne cet engagement étant exclusivement d’ordre pratique, il convient de constater que la Commission accepte implicitement, au considérant 518 de la décision attaquée, que le fait pour Honeywell de céder à MTU le contrôle exclusif de la compagnie qui commercialise ses turbines permettrait d’éviter la création d’une position dominante sur le marché ayant des conséquences néfastes sur la concurrence. À cet égard, l’argumentation avancée par la Commission à l’audience, selon laquelle cet engagement ne permettait pas d’éliminer le chevauchement horizontal sur ce marché, ne saurait modifier cette analyse du contenu de la décision elle-même.

615    Toutefois, la Commission relève, au considérant 518 de la décision attaquée, que la réalisation de la cession prévue par l’engagement est soumise à « toutes les autorisations nécessaires » dans le contexte du régime américain du contrôle des exportations. Elle considère, dès lors, qu’elle ne pouvait accepter l’engagement tel qu’il a été présenté, parce que dans l’hypothèse d’un refus d’autorisation de la part des autorités américaines compétentes celui-ci serait rempli en ce sens que l’entité fusionnée aurait fait tout ce qu’elle était tenue de faire, nonobstant le fait que la cession n’aurait pas été réalisée. La Commission relève, en outre, que l’engagement ne précise pas quelle était la nature des dispositions gouvernant l’octroi de l’approbation en question, et notamment s’il s’agit d’une compétence liée ou d’un pouvoir discrétionnaire. Elle ajoute qu’il existe également un problème en ce qui concerne « la hausse escomptée des coûts de production pour l’entreprise cédée dans le cas où l’acquéreur ne fabrique pas de moteurs d’hélicoptères », à la différence d’Honeywell.

616    Étant donné que la requérante se borne à affirmer, devant le Tribunal, que les prétendues difficultés posées par cet engagement qu’a soulevées la Commission sont totalement dénuées de fondement, force est de constater qu’elle n’a pas apporté d’arguments concrets ni d’éléments de preuve susceptibles de remettre en cause le bien-fondé de l’appréciation de la Commission quant à la possibilité de réaliser la cession proposée.

617    En particulier, il y a lieu de considérer que la Commission était en droit de refuser l’engagement proposé par les parties à la concentration étant donné que celui-ci n’a aucune valeur pratique en raison de son caractère hypothétique, puisque sa réalisation dépend entièrement de la décision des autorités d’un État tiers. Si la requérante ne pouvait garantir la réalisation de la condition, elle aurait dû proposer un engagement subsidiaire pour le cas où la cession devait se révéler irréalisable.

618    À la lumière de ce qui précède, il n’est pas établi en l’espèce que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’engagement, tel qu’il a été proposé par les parties à l’opération notifiée, ne pouvait être accepté dans les circonstances de l’espèce. Dès lors, il n’y a pas lieu de tenir compte de cet engagement et le fait qu’il a été proposé ne saurait donc avoir une incidence sur l’analyse du marché des petites turbines à gaz marines effectuée par la Commission dans la décision attaquée.

c)     Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des petites turbines à gaz marines

619    Il convient de relever que, malgré l’affirmation de la Commission selon laquelle les éléments de sa décision se renforcent mutuellement de sorte qu’il serait artificiel d’apprécier chaque marché de manière isolée (voir points 40 et 48 ci‑dessus), cette affirmation de nature générale ne trouve en tout cas aucune application dans le contexte des éléments examinés dans la présente section de l’arrêt. En particulier, dans la mesure où le Tribunal a constaté ci-dessus des erreurs entachant les appréciations de la Commission concernant le chevauchement vertical entre les démarreurs et les moteurs pour avions commerciaux de grande taille, ainsi que celles concernant les différents effets de conglomérat, aucune de ces erreurs n’a une incidence sur sa constatation relative à la création de la position dominante de la requérante sur le marché des petites turbines à gaz marines du fait du chevauchement horizontal résultant de la concentration, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché commun.

620    Il convient de conclure, dans le contexte de la présente procédure, que le pilier de la décision attaquée relatif à la création d’une position dominante dans le chef de la requérante, résultant du chevauchement horizontal existant sur le marché des petites turbines à gaz marines entre les activités de fabrication des deux parties à la concentration, ayant comme conséquence que la concurrence sur ce même marché aurait été entravée de manière significative dans le marché commun, est établi à suffisance de droit.

F –  Sur les moyens relatifs aux vices de procédure

621    La requérante soulève quatre griefs distincts dans le présent contexte tirés, respectivement, d’une prétendue violation de son droit d’accès à certains documents, de la tardiveté de l’accès à certains documents, de la brièveté du délai dont elle a disposé pour répondre à la CG et de prétendus vices de procédure relatifs au mandat du conseiller‑auditeur.

1.     Considérations liminaires

a)     Arguments des parties

622    La requérante rappelle d’abord que, conformément à la législation communautaire, à la jurisprudence et à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1, ci‑après la « charte »), le respect des droits de la défense est un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être garanti dans toutes les procédures, y compris les procédures devant la Commission en matière de concentrations. Le respect de ces droits exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission.

623    L’accès au dossier est l’une des garanties procédurales destinées à assurer l’exercice effectif du droit d’être entendu. De plus, le principe de l’égalité des armes suppose que l’entreprise concernée ait une connaissance du dossier égale à celle dont dispose la Commission dans la mesure où cette dernière n’a pas à décider quels sont les documents potentiellement utiles à la défense.

624    Les garanties de procédure seraient d’une importance primordiale en matière de concentrations. Premièrement, une procédure en la matière met en cause le droit fondamental de propriété. Deuxièmement, la décision de la Commission a, de facto, des implications définitives du fait de l’efficacité limitée d’un recours juridictionnel en raison des délais et du fait que la décision de la Commission détermine en pratique la réussite d’une concentration. Troisièmement, en suspendant une concentration, une procédure en la matière affecte négativement les intérêts des parties. Quatrièmement, les parties à une concentration sont vulnérables par rapport aux griefs des concurrents qui défendent leurs intérêts individuels. Cinquièmement, les pertes dues à une interdiction illégale d’une concentration ne sauraient être entièrement récupérées. Sixièmement, aucune mesure provisoire n’est disponible en pratique, car les entreprises ne pourraient fusionner sur une base provisoire.

625    Les décisions adoptées en violation de ces garanties procédurales essentielles devraient être annulées si les parties ont subi un préjudice potentiel (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931), sous peine de violer l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). En effet, d’une part, en matière de concentration, la Commission ne saurait être considérée comme indépendante et impartiale dès lors qu’elle est, à la fois, législateur, exécutif, plaignant et juge de sa propre affaire. D’autre part, des irrégularités de procédure ne sauraient être régularisées devant le Tribunal, dont le rôle se limite à un contrôle juridictionnel (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 98).

626    En réponse au mémoire en défense de la Commission, GE souligne la nature particulière des procédures en matière de concentrations qui induit un niveau de protection différent, mais pas nécessairement supérieur ou inférieur au niveau offert en matière d’infraction. En particulier, la Commission n’aurait pas correctement apprécié les intérêts en cause en ce qui concerne le moment où les intéressés directs peuvent être entendus et l’équilibre à trouver dans la protection des secrets d’affaires.

627    La Commission reconnaît l’importance des droits de la défense dans les procédures en matière de concurrence. Cependant, elle relève que la requérante semble être plus gênée par la procédure de contrôle des concentrations elle-même et par la procédure de contrôle juridictionnel que par la manière dont la Commission a mené la procédure administrative en l’espèce.

628    Selon la Commission, GE invoque à tort l’article 6 de la CEDH. D’une part, les principes inscrits dans la CEDH sont garantis par les principes généraux de droit communautaire. D’autre part, le droit d’opérer une concentration ne constitue pas un droit fondamental et, si une distinction devait être faite, un tel droit n’exige pas un degré de protection supérieur à celui offert dans une procédure aboutissant à des sanctions.

b)     Appréciation du Tribunal

629    Il convient de relever, à titre liminaire, que la procédure d’accès au dossier dans les affaires de concurrence a pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles elle est parvenue sur la base de ces éléments. Le droit d’accès au dossier se justifie par la nécessité d’assurer aux entreprises en cause la possibilité de se défendre utilement contre les griefs formulés contre elles dans ladite communication (arrêt Endemol/Commission, point 115 supra, point 65).

630    Néanmoins, l’accès à certains documents peut être refusé, notamment aux documents ou parties de ceux-ci contenant des secrets d’affaires d’autres entreprises, aux documents internes de la Commission, aux informations permettant d’identifier les plaignants qui souhaitent ne pas voir révélée leur identité, ainsi qu’aux renseignements communiqués à la Commission sous réserve d’en respecter le caractère confidentiel (arrêt BPB Industries et British Gypsum/Commission, point 306 supra, point 29, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, points 26 et 27).

631    En revanche, le Tribunal a déjà constaté que, si les entreprises ont droit à la protection de leurs secrets d’affaires, ce droit doit néanmoins être mis en balance avec la garantie des droits de la défense (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, point 98). Ainsi, la Commission peut être tenue de concilier des intérêts opposés par la préparation de versions non confidentielles de documents contenant des secrets d’affaires ou d’autres données sensibles (arrêt ICI/Commission, précité, point 103). Le Tribunal estime que les mêmes principes sont applicables à l’accès aux dossiers dans les affaires de concentration examinées dans le cadre du règlement n° 4064/89, même si l’application de ces principes peut raisonnablement être conditionnée par l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale dudit règlement (arrêts Kaysersberg/Commission, point 84 supra, point 113, et Endemol/Commission, point 115 supra, points 67 et 68). Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’y a pas lieu d’appliquer un niveau de protection différente ou plus extensive en ce qui concerne les droits de la défense en matière de contrôle des concentrations qu’en matière infractionnelle.

632    En outre, il découle de la jurisprudence que les droits de la défense ne sont violés du fait d’une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment », T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 852 à 860). Ainsi, le non-respect des règles en vigueur ayant pour finalité de protéger les droits de la défense n’est susceptible de vicier la procédure administrative que s’il est établi que celle-ci aurait pu aboutir à un résultat différent en son absence (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, point 516 supra, point 56, et arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 549 supra, points 340 et 430).

633    Pour autant que les violations des droits de la défense invoquées en l’espèce sont en rapport avec les piliers du raisonnement de la Commission que le Tribunal a considéré ci-dessus comme n’étant pas établis à suffisance de droit, elles ne peuvent avoir une incidence sur l’issue de la présente procédure. En effet, à supposer même que de telles violations des droits de la défense soient établies, elles ne sauraient ébranler que les piliers du raisonnement de la Commission auxquels ils se rapportent et que le Tribunal a déjà écartés pour d’autres raisons. Il convient, dès lors, de déterminer à quel aspect du raisonnement de la Commission il se rapporte pour chaque allégation avancée par la requérante.

2.     Sur l’accès à certains documents

a)     Arguments des parties

634    Selon la requérante, la Commission n’a pas donné accès à des documents cruciaux ou à certains éléments de ceux-ci au motif qu’ils étaient confidentiels. Elle aurait fondé la décision attaquée sur des documents non divulgués ou n’aurait pas donné accès à des documents potentiellement utiles à la défense de GE (arrêt AEG/Commission, point 506 supra, points 24 à 30, et arrêt Ciment, point 632 supra). La Commission serait obligée d’établir une liste complète de tous les documents obtenus. Or, malgré les demandes de la requérante, la Commission n’a jamais pu certifier que le dossier était complet. Il ne serait pas admissible que la Commission ne donne accès qu’aux documents sur lesquels elle s’appuie et refuse l’accès à des documents qui, potentiellement, peuvent servir à la défense.

635    En particulier, premièrement, la Commission n’aurait révélé l’existence de plaintes qu’après la CG et n’aurait donné accès à leur contenu que par le biais d’un résumé de onze lignes reprenant les préoccupations de certaines compagnies aériennes, mais non des autres acteurs de l’industrie. Ce résumé de témoignages anonymes prétendument à charge n’aurait pas permis à GE d’en contester le contenu ou l’utilisation. Or, le rôle crucial de ces plaintes dans la décision finale ressortirait clairement de déclarations de la Commission et du considérant 391 de la décision attaquée. En outre, ces plaintes auraient pu contenir des éléments pouvant être potentiellement utilisés pour la défense de GE. GE précise qu’il est impossible, pour elle ou pour le Tribunal, de déterminer le rôle précis que ces preuves ont joué dans la décision attaquée. En conséquence, la décision attaquée devrait être annulée pour ce seul motif (arrêt Solvay/Commission, point 625 supra, points 93 et suivants).

636    Deuxièmement, GE n’aurait pu avoir accès aux observations faites par des tiers auprès de la Commission, notamment Rolls-Royce le 2 avril 2001 et UTC les 30 janvier, 21 février et 22 mars 2001. Il semblerait que d’autres tiers aient fait de telles observations sans que GE en soit informée.

637    Troisièmement, la Commission aurait accordé trop extensivement la confidentialité à l’égard de nombre d’observations de tiers communiquées à la requérante qui étaient à ce point occultées qu’il était pratiquement impossible pour la requérante d’examiner ou d’apprécier ces documents de manière utile. En particulier, seraient concernées la réponse de Rolls-Royce à la lettre de la Commission du 21 mars 2001, les observations d’UTC du 24 avril 2001 et les observations d’ILFC. Il serait hautement douteux que toutes ces informations masquées puissent effectivement être qualifiées de secrets d’affaires.

638    Quatrièmement, GE n’aurait pas eu un accès complet au rapport du professeur Choi fondant la théorie de la Commission sur les ventes groupées mixtes. Le fait que la Commission ait finalement abandonné ce modèle n’excuserait pas un tel comportement. En premier lieu, la Commission aurait maintenu les conclusions tirées de ce modèle dans la décision attaquée (considérants 349 à 355) bien qu’elle n’ait fourni aucune autre preuve alternative de celles-ci. En deuxième lieu, en raison de cet accès limité, si la requérante a été en mesure de convaincre la Commission d’abandonner ce modèle, elle n’aurait pas été mise en mesure de convaincre la Commission de l’inapplicabilité de la théorie des ventes groupées mixtes, théorie essentielle de la décision attaquée. En troisième lieu, le modèle Choi aurait servi de base aux questions envoyées aux tiers.

639    Malgré des demandes répétées et la suggestion que ses économistes soient tenus à la confidentialité, la requérante n’aurait jamais pu obtenir la communication des données utilisées dans ce modèle du fait du refus de Rolls-Royce, commanditaire dudit modèle. La Commission aurait pourtant eu l’obligation, conformément à sa communication relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d’accès au dossier dans les cas d’application des articles [81] et [82] du traité CE, des articles 65 et 66 du traité CECA et du règlement n° 4064/89 (JO 1997, C 23, p. 3, ci-après la « communication sur l’accès au dossier »), notamment ses points I A 2, II A 1.3 et I B, de ne pas tenir compte de la demande de confidentialité de Rolls-Royce afin de garantir les droits de la défense.

640    En outre, la requérante n’aurait pu obtenir la communication de l’identité d’économistes externes mandatés par la Commission pour examiner le modèle Choi, ni celle de leurs rapports, dont l’existence ressortirait de la note en bas de page n° 175 et des points 567 et 568 de la CG. En réponse à une question du Tribunal, la Commission a produit, dans le cadre de ses réponses du 26 avril 2004, le rapport d’un économiste, le professeur Vives, engagé par elle pour la conseiller dans le cadre de la procédure administrative dans la présente affaire, ainsi que des courriers électroniques échangés par le professeur Vives et des fonctionnaires de la Commission et le contrat sur la base duquel ce dernier a été engagé par la Commission. La requérante a relevé à l’audience que ces documents auraient pu être utilisés par elle dans sa défense, notamment dans la mesure où le professeur Vives a critiqué certains aspects du raisonnement de la Commission.

641    La Commission aurait aussi refusé de manière répétée à GE l’accès aux données (ou aux études de marché), issues de questions posées aux concurrents sur la base du modèle Choi, qui fondent apparemment les points 567 et 568 de la CG, ou même de fournir un certain accès aux données exposant les informations sensibles éventuellement par le biais de fourchettes chiffrées.

642    Cinquièmement, GE aurait été dans l’incapacité d’exercer un droit d’accès correct à l’égard de documents qualifiés de documents internes. Parmi les 96 documents que la Commission a qualifiés de non accessibles pour ce motif, il s’avérerait que dix d’entre eux sont décrits comme étant des télécopies émanant de tiers, et donc que leur confidentialité était illégale. Or, la Commission a produit, le 18 mai 2004, en réponse à une question du Tribunal, onze documents non confidentiels et des résumés non confidentiels de trois documents confidentiels qui avaient été classés de manière erronée comme des documents internes. La requérante a fait référence à certains de ces documents à l’audience et a relevé que le fait pour elle de ne pas y avoir eu accès, au stade de la procédure administrative, a constitué une violation inadmissible de ses droits de la défense devant aboutir à l’annulation de la décision attaquée.

643    Sixièmement, la requérante n’aurait pas été en mesure de présenter ses observations sur celles soumises par des tiers, au cours de l’évaluation du marché, sur la base desquelles la Commission a rejeté les engagements structurels, notamment en ce qui concerne les moteurs d’avions régionaux de grande taille, les petites turbines à gaz marines et les démarreurs. Elle souligne, à cet égard, que toutes les cessions ont été rejetées sur la base des allégations faites par ses concurrents.

644    La Commission affirme que GE a été en mesure de connaître tous les griefs formulés contre elle par ses services, en particulier grâce à la CG, ce qui aurait suffi, d’ailleurs, à lui permettre de se défendre utilement en l’espèce.

645    S’agissant des plaintes reçues par la Commission, la requérante aurait été informée de la substance des reproches qui ont été formulés. La Commission rappelle que, en tout état de cause, elle ne peut s’appuyer que sur les preuves qu’elle mentionne. La communication de l’identité de leurs auteurs et du contenu des plaintes n’aurait d’ailleurs rien ajouté de significatif à la connaissance de l’affaire par les parties et à leur possibilité de se défendre. Cela serait particulièrement vrai de la mention d’une compagnie aérienne au considérant 391 de la décision attaquée dont seul le contenu de l’affirmation avait un intérêt.

646    S’agissant du modèle Choi, c’est précisément en raison de problèmes procéduraux soulevés par GE que la Commission se serait refusée à s’appuyer sur ce modèle dont les données chiffrées relevaient du secret d’affaires.

647    Quant aux observations de tierces parties, les exposés de Rolls-Royce et d’UTC visés par la requérante n’étaient rien d’autre que le résumé des inquiétudes qu’elles avaient déjà exprimées et ne contenaient aucun élément qui aurait pu être mis à la disposition de GE. En ce qui concerne la suppression de certains passages confidentiels, la Commission rappelle que les rapports concurrentiels entre les parties à la concentration, d’une part, et ILFC, Rolls-Royce et UTC, d’autre part, expliquent le fait que des informations relevaient du secret d’affaires.

648    S’agissant de l’évaluation du marché, vu l’insuffisance des engagements, la Commission relève qu’elle a procédé à une simple vérification technique, notamment auprès de tiers, et les résultats de celle-ci ont été communiqués à GE. De plus, la requérante n’avait pas à répondre aux préoccupations des tiers mais à celles de la Commission.

b)     Appréciation du Tribunal

649    La Commission relève, à juste titre, qu’il y a lieu de distinguer entre les éléments exclusivement à charge et les documents à décharge ou qui contiennent des éléments à décharge en ce qui concerne l’accès au dossier. Les éléments à charge ne sont pertinents que pour autant que la Commission les reprenne à son compte, auquel cas leur communication est essentielle, mais s’ils ne sont pas repris ainsi, leur non‑communication n’a aucune incidence sur la licéité de la procédure. En revanche, s’il s’avère qu’une requérante n’a pas eu accès, au stade de la procédure administrative, à un document à décharge, à savoir un élément qui aurait pu être utile pour sa défense et qui aurait pu, dès lors, faire aboutir la procédure administrative à un résultat différent dans l’hypothèse où la partie requérante aurait pu s’en prévaloir, le raisonnement dans la décision attaquée affecté par ce document doit, en principe, être considéré comme entaché d’un vice.

650    Il y a lieu de rappeler également que, selon la jurisprudence, une demande de traitement confidentiel peut justifier le refus d’accès à des documents émanant de tiers, tels que des plaintes, dans une procédure en matière de concurrence. En effet, la Cour a relevé dans son arrêt du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, point 630 supra, qu’une entreprise en position dominante sur le marché est susceptible d’adopter des mesures de rétorsion à l’encontre des concurrents, des fournisseurs ou des clients qui ont collaboré à l’instruction menée par la Commission et que, dans de telles conditions, les entreprises tierces qui remettent à la Commission, au cours des enquêtes effectuées par elle, des documents dont elles estiment que leur remise serait susceptible d’être à l’origine de représailles à leur égard ne peuvent le faire qu’en sachant que leur demande de confidentialité sera prise en considération. Elle a donc conclu que c’était à juste titre que le Tribunal avait considéré que la Commission a pu en refuser l’accès en se fondant sur leur caractère confidentiel (voir également, à cet égard, arrêt Endemol/Commission, point 115 supra, points 66 et suivants).

651    Il convient d’examiner ensuite les défauts d’accès spécifiques allégués par la requérante.

652    Premièrement, en ce qui concerne les plaintes des compagnies aériennes, il convient de relever d’abord qu’elles devaient, par leur nature, contenir des éléments à charge. Ainsi, conformément à la distinction établie ci-dessus, ce n’est que dans la mesure où la Commission a repris leur contenu dans la CG qu’elles étaient pertinentes. En outre, la Commission affirme devant le Tribunal, notamment dans ses réponses écrites du 26 avril 2004 aux questions de ce dernier, que toutes ces compagnies aériennes, sans exception, avaient demandé l’anonymat. Dès lors, l’accès n’a été donné qu’à un résumé de ces informations (voir point 3 du rapport du conseiller-auditeur).

653    Dans la mesure où les compagnies aériennes ont spécifiquement demandé l’anonymat et la confidentialité de leurs plaintes, il y a lieu de considérer que la Commission était en droit d’y donner accès aux parties notifiantes sous forme d’un résumé. Cet accès limité représente en effet une solution équilibrée, entérinée d’ailleurs par la jurisprudence, permettant de concilier, dans la mesure du possible, les intérêts opposés des parties notifiantes, d’une part, et de la Commission et des plaignants, d’autre part (voir, par analogie, arrêt « Ciment », point 632 supra, points 142 à 144 et 147, et la jurisprudence citée). Dans la mesure où la requérante allègue que ces plaintes ont pu contenir des éléments ponctuels qu’elle aurait pu invoquer à décharge, mentionnés parmi les éléments à charge, force est de constater que le bien-fondé de cette allégation ne pourrait être vérifié sans violer la confidentialité des plaintes en cause et, partant, l’équilibre susmentionné, dès lors que leur production devant le Tribunal nécessiterait également, en principe, leur transmission à la requérante, conformément à l’article 67, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure.

654    Le simple fait pour la requérante d’alléguer que les plaintes en cause ont pu contenir des éléments qu’elle aurait pu invoquer à décharge ne saurait remettre en cause la solution équilibrée retenue par la Commission en l’espèce, consistant à donner accès à un résumé des problèmes soulevés par les plaignants. De même, dans la mesure où la requérante met en cause le caractère adéquat du résumé de onze lignes auquel elle a eu accès en l’espèce, le 24 mai 2001, il convient de rappeler que, dans l’hypothèse où la Commission aurait éventuellement omis d’autres griefs soulevés dans lesdites plaintes, elle n’a pas pu s’appuyer sur ces derniers dès lors qu’elle ne les avait pas inclus dans le résumé. Ainsi, rien ne s’opposait, en l’espèce, à ce que la Commission refuse l’accès pour cause de confidentialité aux plaintes des compagnies aériennes, contenant en principe des éléments à charge, sans que le juge communautaire vérifie lui-même le contenu de celles-ci.

655    À la lumière de ce qui précède, le bref résumé fourni par la Commission des inquiétudes exprimées par les compagnies aériennes dans leurs plaintes a satisfait aux exigences en matière de droits de la défense des parties à une opération de concentration notifiée, compte tenu, en particulier, de la nécessité de mettre en balance, dans une telle situation, les intérêts opposés de celles-ci et des tiers.

656    Toutefois, la requérante avance des critiques spécifiques concernant la plainte d’une compagnie aérienne qu’il convient d’examiner séparément. En effet, la requérante relève que la Commission s’est appuyée expressément, au considérant 391 de la décision attaquée, sur les affirmations d’une grande compagnie aérienne européenne (a major European airline), contenues dans un document qu’elle n’a pas pu consulter, selon lesquelles « chaque fois que Boeing fixe le prix d’un B737, GE intervient en proposant des offres intéressantes sur les produits et services auxiliaires en matière de moteurs, les pièces détachées, l’assistance financière et les autres articles de GE afin de persuader la compagnie aérienne de choisir l’avion propulsé par GE ». Étant donné que la Commission a choisi d’utiliser cette affirmation dans la décision attaquée, elle aurait normalement dû fournir aux parties notifiantes, au stade de la procédure administrative, une version non confidentielle ou un résumé spécifique du document dont elle tire cette information.

657    En toute hypothèse, il convient de relever que, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a produit, dans le cadre de ses réponses du 26 avril 2004, une version non confidentielle du compte rendu établi par un fonctionnaire de la Commission lors de la réunion durant laquelle l’affirmation en cause a été faite par des représentants de la compagnie aérienne en question. Or, la requérante, invitée à indiquer en quoi l’absence d’accès à ce résumé avait affecté sa capacité de se défendre en l’espèce, a relevé à l’audience que ce document est beaucoup moins affirmatif que l’allégation qu’il est censé étayer.

658    Il y a lieu de constater, en effet, que la Commission a exagéré la portée de cet élément de preuve dans la décision attaquée dans la mesure où elle en a déduit que la requérante intervenait auprès des compagnies aériennes « chaque fois » que Boeing communiquait un prix à l’une d’elles en proposant des offres intéressantes sur toute une série de produits et de services. En réalité, il découle seulement dudit compte rendu que CFMI avait fait une proposition intéressante à la compagnie aérienne en question concernant des éléments des produits et services auxiliaires non précisés lors d’une commande concernant le B737 et que l’existence d’exclusivité au niveau du moteur ne fait pas nécessairement obstacle à ce que le motoriste fasse des concessions ou une offre concernant des éléments auxiliaires lors d’une commande.

659    À la lumière de cette exagération, il y a lieu de constater qu’un accès à ce document au cours de la procédure administrative aurait permis à la requérante de relever que la Commission n’était pas en droit de faire cette affirmation spécifique concernant le B737.

660    Toutefois, force est de constater que ladite affirmation est tout à fait marginale dans le contexte plus large de la décision attaquée dans son ensemble et ne constitue certainement pas le soutien nécessaire de son dispositif, d’autant plus qu’elle est explicitement présentée dans la décision attaquée comme reposant sur un seul élément de preuve et constitue donc un exemple plutôt qu’une constatation d’application générale. Ainsi, sans qu’il soit besoin que le Tribunal se prononce sur la question de savoir si l’absence d’un accès plus large à cet élément était susceptible de constituer une violation des droits de la défense dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de relever qu’une telle violation n’aurait pu changer ni le cours de la procédure administrative, ni, surtout, son issue.

661    Concernant l’allégation de la requérante selon laquelle il existe également des observations faites par d’« autres acteurs de l’industrie » (other industry players) auxquelles elle n’a pas eu accès, la Commission a confirmé, dans ses réponses écrites du 26 avril 2004 aux questions du Tribunal, que toutes ces observations ont été rendues accessibles aux parties notifiantes, du moins dans une version non confidentielle sauf en ce qui concerne un seul document, à savoir les illustrations relatives à la présentation d’un tel acteur qui a refusé de fournir une version non confidentielle de celle-ci. La Commission a relevé devant le Tribunal qu’elle ne s’est pas appuyée de manière spécifique sur les inquiétudes exprimées par l’entreprise en cause, lesquelles étaient couvertes de toute façon par celles exprimées par les compagnies aériennes, et qu’elle a fourni, dans lesdites réponses du 26 avril 2004, un résumé concernant ces inquiétudes. La requérante n’a pas indiqué, à la lumière de ce résumé, en quoi l’absence d’accès à ce résumé au stade de la procédure administrative aurait pu changer le cours de celle-ci, ni, à plus forte raison, son issue.

662    Deuxièmement, en ce qui concerne l’accès aux observations faites par des tiers auprès de la Commission, notamment par Rolls-Royce le 2 avril 2001 et UTC les 30 janvier, 21 février et 22 mars 2001, la Commission affirme devant le Tribunal que ces présentations orales ne contenaient pas d’éléments supplémentaires par rapport aux autres observations des mêmes entreprises auxquelles la requérante a eu accès, ces présentations n’étant qu’un résumé des inquiétudes exprimées par ailleurs dans leurs observations écrites. La Commission réitère que, en toute hypothèse, la requérante n’était tenue de répondre qu’aux seuls griefs retenus dans la CG. Il convient de relever, en effet, que ces présentations n’ont été invoquées ni dans la CG ni dans le décision attaquée. De plus, il ressort explicitement de la lettre d’UTC du 3 mai 2001, invoquée par la requérante, que celle-ci a explicitement demandé un traitement confidentiel pour les présentations en cause.

663    Au vu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, relevées au point précédent, et compte tenu du fait que les deux entreprises en cause sont des concurrents de la requérante qui se sont exprimés dans leurs observations écrites pour s’opposer fermement à l’opération, il n’y a aucune raison de remettre en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle ces présentations sont des résumés qui n’ajoutent rien aux éléments auxquels la requérante avait eu accès. En outre, il n’y a aucune raison de considérer que ces documents pourraient contenir des éléments à décharge plutôt que des éléments uniquement à charge. En effet, la requérante n’avance pas une telle allégation, affirmant au contraire dans sa réplique que ces présentations étaient susceptibles de lui porter préjudice. Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu notamment du fait que la production de certains des documents en cause aurait violé la confidentialité demandée à la Commission par leurs auteurs, l’affirmation par la Commission concernant le contenu de ces éléments peut être acceptée par le Tribunal comme exacte, dans la présente procédure. Conformément à la distinction entre les documents à charge et à décharge établie au point 649 ci-dessus, il n’était pas nécessaire que la requérante ait accès à ces éléments afin qu’elle puisse se défendre utilement devant la Commission, celle-ci ne les ayant pas invoqués dans la CG ni ensuite dans la décision attaquée.

664    Quant à l’allégation selon laquelle il semblerait que d’autres tiers aient fait de telles observations sans que GE en soit informée, elle n’est étayée que par une référence non spécifiée à une annexe à la requête qui contient plus de 30 documents différents et le Tribunal n’est donc pas en mesure d’identifier sur quoi cette allégation se base, ni de quelles entreprises il s’agit. Cette allégation non étayée par des éléments spécifiques ne saurait être retenue.

665    Troisièmement, à l’égard des observations de tiers auxquelles la Commission a donné accès sous forme non confidentielle, en particulier la réponse de Rolls‑Royce à la lettre de la Commission du 21 mars 2001, les observations d’UTC du 24 avril 2001 et les observations d’ILFC, il convient de constater d’abord que la Commission a affirmé explicitement dans son mémoire en défense que les présentations orales de Rolls-Royce et d’UTC (société-mère de P & W) portaient sur les inquiétudes de ces entreprises et sont donc des éléments à charge. En outre, la Commission a également relevé, dans son mémoire en défense, que ces trois sociétés, toutes concurrentes de la requérante, avaient demandé un traitement confidentiel pour les données occultées.

666    Il convient de considérer que la jurisprudence issue de l’arrêt BPB Industries et British Gypsum/Commission, point 630 supra, ainsi que le raisonnement exposé ci-dessus aux points 650 et 652 et suivants mènent à la conclusion selon laquelle la Commission était en droit de restreindre l’accès aux éléments en cause comme elle l’a fait. Ainsi, elle n’a pas non plus violé les droits de la défense des parties notifiantes du fait de son traitement de l’accès à ces présentations et autres documents émanant de tiers.

667    Quatrièmement, dans la mesure où la requérante prétend ne pas avoir eu accès complet au rapport du professeur Choi fondant la théorie de la Commission sur les ventes groupées mixtes, il suffit de constater, ainsi que l’a fait le conseiller‑auditeur dans son rapport du 28 juin 2001, que la Commission a choisi de ne pas s’appuyer sur le modèle Choi, précisément parce qu’elle ne pouvait révéler les données utilisées à la requérante du fait de leur nature confidentielle au regard de son concurrent Rolls-Royce [voir point 2 du rapport du conseiller‑auditeur du 28 juin 2001 (JO 2004, C 42, p. 11)]. Dans ces conditions, il convient de constater que le refus par la Commission, fondée sur une demande de confidentialité de la part de Rolls-Royce, de donner accès aux données sur lesquelles ce modèle était basé n’a eu aucune incidence sur l’issue de la procédure administrative. En toute hypothèse, étant donné que le Tribunal a jugé ci-dessus que le volet du raisonnement de la Commission concerné par le modèle Choi n’était pas établi, la présente allégation, à supposer même qu’elle soit établie à suffisance de droit, ne saurait aboutir à l’annulation de la décision attaquée (voir point 633 ci-dessus).

668    La requérante a allégué devant le Tribunal qu’elle n’avait pas pu obtenir la communication de l’identité d’économistes externes mandatés par la Commission dans la présente affaire, ni celle de leurs rapports dont l’existence ressortirait de la note en bas de page n° 175 et des points 567 et 568 de la CG. En réponse à une question du Tribunal, la Commission a produit, dans le cadre de ses réponses du 26 avril 2004, le rapport d’un économiste, le professeur Vives, engagé par elle pour la conseiller dans le cadre de la procédure administrative dans la présente affaire, ainsi que des courriers électroniques échangés par le professeur Vives et des fonctionnaires de la Commission et le contrat sur la base duquel ce dernier a été engagé par la Commission.

669    La requérante a relevé à l’audience que ces documents auraient pu être utilisés par elle dans sa défense, notamment dans la mesure où le professeur Vives a critiqué certains aspects du raisonnement de la Commission. Dans cette mesure, ces documents constitueraient des éléments à décharge.

670    Toutefois, il ressort du libellé et du ton des courriers électroniques en cause, ainsi que du contrat par lequel la Commission a engagé le professeur Vives, et notamment l’annexe III de celui-ci, que le rôle de ce dernier était non pas de fournir des éléments de preuve susceptibles d’être invoqués à titre autonome par la Commission, voire, le cas échéant, par une partie à la procédure administrative, mais plutôt de commenter les autres preuves économiques ainsi que les constatations de nature économique faites dans la CG. Ainsi que la Commission l’a relevé à l’audience, ce rôle est joué désormais par son économiste en chef, économiste interne travaillant au sein de la Commission, mais, en l’absence d’un tel poste à l’époque des faits, la Commission a eu recours à un économiste externe pour remplir cette fonction. La Commission soutient, à juste titre, qu’il serait formaliste de faire dépendre le statut des conseils donnés en l’espèce de la seule question de savoir si l’économiste qui les a donnés était, ou non, externe ou interne vis-à-vis de la Commission.

671    Il convient de considérer, à cet égard, que la Commission est en droit de s’entourer de différents avis, y compris des avis d’experts externes, aux fins de vérifier la justesse de son analyse. Dans la mesure où la Commission ne s’appuie pas sur l’avis d’un tel expert dans sa CG et dans sa décision finale en tant qu’élément étayant une thèse retenue à l’encontre d’une entreprise, celui-ci reste une simple opinion exprimée par une seule personne et ne revêt aucune signification particulière dans le contexte de la procédure administrative. Une telle opinion, même exprimée par un expert, ne saurait dès lors être considérée comme un élément à charge ou à décharge.

672    En toute hypothèse, si les documents en cause avaient été considérés comme faisant partie du dossier de la Commission proprement dit, ils auraient été classés comme des documents internes, vu leur statut et leur contenu, de sorte que la requérante n’y aurait pas eu accès. De plus, les seuls arguments tirés par la requérante des documents concernant le professeur Vives devant le Tribunal consistent, en substance, dans le fait que celui-ci s’est fait l’écho de certains arguments qu’elles ont elles-mêmes avancés au stade de la procédure administrative et devant le Tribunal. Le fait pour la requérante d’avoir eu accès à ces documents ne lui aurait donc pas permis d’avancer des arguments différents sur le fond que ceux qu’elle a avancés en fait. En tout état de cause, la plupart de ces arguments concernent le modèle Choi, qui a été abandonné par la Commission, et portent, en outre, sur le volet de la décision attaquée relatif aux ventes groupées que le Tribunal a déjà jugé non établi en l’espèce (voir, à cet égard, point 633 ci-dessus).

673    Compte tenu de toutes ces considérations, il y a lieu de considérer que les droits de la défense de la requérante n’ont pas été violés du fait que les documents concernant les prises de position du professeur Vives dans ces échanges avec les fonctionnaires de la Commission, y compris son rapport, ne lui ont pas été communiqués au stade de la procédure administrative.

674    Cinquièmement, quant aux documents internes prétendument constitués par des communications reçues de tiers, la Commission a produit, le 18 mai 2004, en réponse à une question du Tribunal, onze documents non confidentiels, et des résumés non confidentiels de trois documents confidentiels qui avaient tous été classés de manière erronée comme des documents internes. Les trois documents confidentiels seraient des éléments à charge dans la mesure où ils émanent de tiers qui étaient opposés à la concentration. Quant aux onze documents non confidentiels, la Commission a admis que certains de ces documents pourraient être qualifiés d’éléments à décharge dans la mesure où ce sont des lettres envoyées par des avionneurs et des compagnies aériennes exprimant le point de vue selon lequel la concentration n’aurait pas d’effets néfastes pour la concurrence. Toutefois, elle relève que ces documents ne sont pas étayés par des éléments spécifiques susceptibles d’indiquer concrètement l’absence de tels effets, la plupart d’entre eux étant des lettres très brèves rédigées de manière quasi identiques.

675    À l’audience, le Tribunal a demandé à la requérante d’indiquer quels arguments elle aurait pu avancer au stade de la procédure administrative si elle avait eu accès aux documents en cause. Celle-ci a relevé que, sous réserve d’une seule exception, elle s’appuyait non pas sur les arguments qu’elle aurait pu avancer, mais sur le fait que la Commission n’a pas pris en compte les documents, comme ceux qui sont en cause en l’espèce, qui militaient contre sa thèse quant à l’incompatibilité de la concentration avec le marché commun. En particulier, la requérante a relevé à l’audience […], contrairement à l’impression donnée par la Commission […], au considérant […] de la décision attaquée.

676    Il suffit de constater, à cet égard, que les documents en question faisaient partie du dossier de la Commission et l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission n’en a pas tenu compte n’est étayée par aucune preuve. En effet, il ne peut être déduit de la circonstance que ces documents ont été classés comme des documents internes plutôt que comme des documents reçus de tiers, au stade de la constitution du dossier auquel l’accès a été donné, que la Commission ne les a pas pris en considération. Si cette erreur de classement a éventuellement pu priver la requérante de la possibilité d’avancer certains arguments, elle n’a pas privé la Commission elle-même de l’opportunité de considérer ces documents au même titre que tous les autres documents figurant au dossier. Ainsi, cette argumentation de la requérante ne saurait établir l’existence d’une violation des droits de la défense.

677    Quant à l’affirmation spécifique figurant au considérant […] de la décision attaquée, elle porte sur le fait, dont l’exactitude n’est pas niée par la requérante, que […] Le fait […], comme le relève la requérante, […] n’invalide pas la démarche de la Commission consistant à citer l’article en question dans la décision attaquée pour étayer la partie de sa thèse relative à […]

678    En revanche, la requérante prétend, en ce qui concerne un seul document, la lettre de […] adressée au membre de la Commission alors en charge de la concurrence, qu’il aurait concrètement aidé la requérante à se défendre au stade de la procédure administrative. Elle relève que, dans cette lettre, un client important de la requérante et d’Honeywell exprime le point de vue selon lequel l’engagement comportemental accepté par la Commission dans le cadre de la concentration entre Allied Signals et Honeywell, en 1999, a réellement empêché Honeywell de pratiquer des ventes groupées à la suite de cette opération.

679    Il suffit de rappeler, à cet égard, que, au point 470 ci-dessus, le volet du raisonnement de la Commission relatif aux ventes groupées a été jugé comme non établi dans son ensemble. Ainsi, le raisonnement de la Commission au sujet duquel la requérante prétend qu’elle aurait été mieux placée pour attaquer si elle avait eu accès à la lettre de […] ayant déjà été jugé non établi, la violation des droits de la défense invoquée par la requérante à cet égard ne saurait avoir une incidence sur l’issue de la présente procédure.

680    Sixièmement, la requérante allègue qu’elle n’a pas eu accès aux observations des tiers recueillies au cours de la vérification technique des engagements et l’évaluation de marché de ceux-ci, sur la base desquelles la Commission a rejeté les engagements structurels, notamment en ce qui concerne les moteurs d’avions régionaux de grande taille, les petites turbines à gaz marines et les démarreurs. Elle prétend qu’elle n’a donc pas eu l’occasion de répondre aux allégations, faites par ses concurrents dans le cadre de leurs réponses, selon lesquelles, notamment, les entreprises qui auraient été créées du fait de l’exécution de certains engagements structurels n’auraient pas été viables.

681    Il convient de relever d’abord que la Commission n’a procédé qu’à une simple vérification technique des engagements et non à une enquête de marché parce qu’elle considérait que les engagements dans leur ensemble étaient clairement insuffisants pour résoudre les problèmes concurrentiels résultant de l’opération de concentration notifiée.

682    De plus, la Commission relève qu’elle a communiqué à la requérante par courrier électronique du 22 juin 2001 un résumé, annexé au mémoire en défense en l’espèce, exposant les résultats de sa vérification technique affectant les différents engagements proposés par les parties à l’opération notifiée, et notamment les engagements structurels concernant les chevauchements horizontaux. La requérante soutient à cet égard qu’elle a répondu audit courrier électronique par un document de seize pages, le 26 juin 2001, et elle relève qu’elle avait également répondu aux questions posées par la Commission dans le cadre de sa vérification technique par des documents des 14 et 22 juin 2001.

683    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la requérante a effectivement eu l’occasion de répondre à celles des critiques des engagements faites par des tiers qui ont été retenues par la Commission avant que celle-ci ne les ait reprises dans la décision attaquée. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, de telles critiques ne sont pertinentes que dans la mesure où elles sont reprises par la Commission et utilisées par celle-ci, le cas échéant, pour justifier le rejet d’engagements.

684    De plus, compte tenu du stade tardif de la procédure auquel les observations en question ont été déposées, après la dernière date pour le dépôt d’engagements, il y a lieu de considérer que la Commission n’était pas tenue de donner accès aux nouveaux éléments du dossier à ce stade de la procédure. En effet, conformément au calendrier strict prévu par le règlement n° 4064/89 et compte tenu de l’impératif de célérité qui caractérise les procédures régies par celui‑ci, l’imposition d’une telle obligation après la dernière date pour le dépôt des engagements risquerait de ne pas laisser à la Commission un délai de réflexion suffisant pour analyser l’ensemble du dossier et rédiger sa décision finale. En fournissant aux parties le résumé susmentionné, la Commission a mis les parties à l’opération en mesure de défendre leurs intérêts de manière adéquate dans les circonstances de l’espèce et a donc respecté pleinement les droits de la défense.

685    Il convient de relever, en outre, que la requérante n’a produit devant le Tribunal aucun des trois documents mentionnés au point 682 ci-dessus, qu’elle affirme avoir déposés au stade de la procédure administrative. De plus, ainsi que cela a été relevé ci-dessus (voir, en particulier, points 555 et suivants, 581 et suivants et 612 et suivants), elle n’a pas avancé, devant le Tribunal, des arguments susceptibles d’indiquer en quoi le rejet des engagements structurels, notamment ceux concernant les marchés des moteurs pour avions régionaux de grande taille, les petites turbines à gaz marines et les démarreurs, n’était pas fondé, se bornant à affirmer à cet égard, sans plus, que ce rejet était complètement injustifié.

686    Dans ces conditions, il y a lieu de constater, aux fins de la présente procédure, que l’absence d’accès auxdites observations de tiers n’a pas eu d’incidence sur la capacité de la requérante de se défendre, dès lors que, devant le Tribunal, elle n’avance même pas d’arguments pour mettre en cause les raisons avancées, dans le résumé de la vérification technique, et reprises, en substance, dans la décision attaquée pour rejeter les engagements structurels en question.

687    Ainsi, en l’espèce, aucune violation des droits de la défense ayant une incidence possible sur l’issue de la procédure administrative n’a été établie du fait des défaillances alléguées par la requérante concernant l’accès qu’elle a eu au dossier administratif de la Commission.

3.     Sur l’accès tardif au dossier

a)     Arguments des parties

688    La requérante précise, à titre liminaire, que le règlement n° 4064/89, notamment son article 18, paragraphes 1 et 3, prévoit le droit d’être entendu, et donc d’avoir accès au dossier, à tous les stades de la procédure, c’est-à-dire dès l’ouverture de la procédure en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement. À cet égard, elle rappelle que la décision d’ouverture n’est pas simplement un acte préparatoire, mais une décision juridique emportant des effets de droit. Ce droit légal d’être entendu à tous les stades de la procédure correspondrait à l’obligation qui pèse sur la Commission en vertu de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 de ne pas maintenir la procédure au-delà de ce qui est strictement nécessaire, au principe général de droit communautaire concernant les décisions faisant grief et au principe d’égalité des armes.

689    Le refus de la Commission face aux demandes d’accès de GE au cours des deux mois précédant l’adoption de la CG aurait constitué une violation des droits de GE, avec des effets potentiellement négatifs importants. Premièrement, il y aurait eu une inégalité des armes, notamment au cours de la première phase de la procédure après l’ouverture de celle-ci empêchant GE de présenter des preuves appropriées ou des engagements permettant une clôture rapide de la procédure. Deuxièmement, cette inégalité des armes aurait été aggravée par l’exigence de la Commission selon laquelle la requérante a dû fournir une réponse complète à la décision d’ouverture sans avoir eu accès au dossier et par le fait que la Commission n’a pas répondu aux questions de la requérante. Troisièmement, le manque de connaissance de la position de la Commission et du contenu du dossier n’aurait pas permis à GE de présenter des engagements appropriés afin de mettre un terme à la procédure. Quatrièmement, durant la période cruciale couvrant les mois de mars et avril 2001, les concurrents auraient eu des rapports directs avec la Commission alors que leurs droits sont plus limités que ceux des parties en vertu de l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89. Cinquièmement, la CG aurait été fondée sur la réponse de GE à la décision d’ouverture, adoptée alors que GE n’avait pas eu accès au dossier. Or, cette CG était en réalité, en l’espèce, une décision finale comme le confirmerait sa quasi-identité avec la décision finale. Dès lors, les garanties procédurales offertes à GE se seraient avérées être le simple respect d’une condition technique et ne s’apparentaient pas, en fait, à une opportunité réelle de modifier l’opinion de la Commission.

690    Alors que la Commission disposait d’un grand nombre de documents fournis par des tiers avant l’adoption de la décision d’ouverture, elle n’aurait divulgué ces documents qu’après le 8 mai 2001, malgré les demandes antérieures de GE. À cet égard, la Commission ne saurait invoquer sa communication sur l’accès au dossier aux termes de laquelle « toute demande d’accès déposée antérieurement à la date de la communication des griefs est en principe irrecevable », dès lors qu’elle est tenue de respecter les disposition du règlement n° 4064/89.

691    La Commission considère que la thèse de GE néglige la nature et la finalité de l’accès au dossier dans les affaires de concentration. Tant dans les textes réglementaires que dans la jurisprudence du Tribunal, le droit d’être entendu ne porte que sur les objections que la Commission entend retenir. Une décision d’ouverture n’a pas pour but d’adresser des objections aux parties, mais simplement d’énoncer de manière provisoire les doutes sérieux que nourrit la Commission l’incitant à lancer la seconde phase de l’enquête.

b)     Appréciation du Tribunal

692    Il suffit, pour rejeter ce moyen, de rappeler, comme le fait la Commission, que, selon une jurisprudence bien établie, le droit d’être entendu dans les procédures en matière de concurrence ne porte que sur les objections que la Commission entend retenir (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑10/92 à T‑12/92 et T‑15/92, Rec. p. II‑2667, point 38, et Endemol/Commission, point 115 supra, point 65).

693    Ainsi, étant donné qu’une décision d’ouverture au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89 n’a pas pour but d’adresser des objections aux parties, mais simplement d’énoncer de manière provisoire les doutes sérieux que nourrit la Commission l’incitant à lancer la seconde phase de l’enquête, la requérante ne saurait prétendre que l’absence d’accès au dossier avant l’envoi de la communication des griefs a porté atteinte à la possibilité pour elle de se défendre. Le fait que la requérante a eu l’occasion, en effet, de présenter ses observations écrites et orales sur la CG en l’espèce, après avoir eu accès au dossier administratif de la Commission, lui a permis d’exprimer son point de vue sur les griefs retenus en temps utile.

694    Il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante tiré du fait que, selon l’article 18, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 4064/89 et l’arrêt Kaysersberg/Commission, point 84 supra (points 105 à 107), les parties à une opération de concentration ont le droit de faire valoir leur point de vue à tout stade de la procédure de contrôle de la concentration. Si les termes de l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement signifient effectivement que ces parties doivent être en mesure de présenter des observations dès l’ouverture de la procédure, ils n’impliquent pas que la Commission doive donner accès à son dossier administratif à ce stade plus précoce. La nécessité pour les parties d’avoir accès au dossier administratif de la Commission afin de pouvoir se défendre, en définitive, contre les griefs soulevés par la Commission dans sa CG ne doit pas être interprétée comme obligeant la Commission à leur donner accès à son dossier par tranches tout au long de la procédure, ce qui représenterait une charge disproportionnée pour l’institution.

695    Quant aux similarités notées par la requérante entre la CG et la décision attaquée, il ne peut être déduit de cette circonstance que la CG était en réalité une décision finale. En effet, une telle présomption reviendrait à considérer que la Commission ne peut jamais estimer, au moment de l’adoption de sa décision finale, qu’il y a lieu de maintenir sa position adoptée provisoirement au stade de l’envoi de la CG.

696    En ce qui concerne l’argument de la requérante aux termes duquel l’absence d’un accès plus précoce au dossier l’a privée de la possibilité de présenter des engagements appropriés afin de mettre un terme à la procédure, il convient de relever, premièrement, que la requérante était déjà informée, surtout après l’adoption de la décision d’ouverture au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), des principaux doutes de la Commission quant à la compatibilité de l’opération avec le marché commun, de sorte qu’elle pouvait déjà commencer à préparer, voire à présenter des propositions d’engagements. D’ailleurs, la requérante prétend qu’elle a effectivement présenté de telles propositions à un stade précoce de la procédure. Ensuite, la requérante a eu l’occasion de présenter des engagements après avoir reçu la CG et après avoir eu accès au dossier administratif, disposant, pour ce faire, d’un délai supplémentaire de treize jours selon ses propres écrits, après la date de l’audition.

4.     Sur la brièveté du délai offert à GE pour l’examen du dossier

a)     Arguments des parties

697    Selon la requérante, le délai fixé pour sa réponse à la communication des griefs était inacceptablement court à la lumière de l’octroi tardif d’un accès au dossier, du volume des documents à examiner et de l’ampleur de l’affaire. La Commission n’a accordé à GE que onze jours ouvrables, plus un, pour examiner les observations de tiers figurant dans le dossier de la Commission, qui comportaient plus de 3 500 pages, quatre jours ouvrables supplémentaires pour se préparer à l’audience orale et treize jours supplémentaires pour présenter des engagements appropriés. L’effectivité de ce délai aurait encore été amoindrie par le temps perdu pour obtenir un accès complet au dossier, par le refus de la Commission d’accorder un tel accès, par l’inadéquation de l’index des documents avec ces derniers, ainsi que par le grand nombre de pages manquantes du dossier et le non‑respect par la Commission de sa propre procédure interne relative à la classification des documents, exposée dans la communication sur l’accès au dossier, y compris la non-fourniture d’un résumé décrivant le contenu des documents relevant de la catégorie des documents non accessibles.

698    Selon GE, ce délai aurait été insuffisant pour lui permettre de répondre à la CG, de se préparer à l’audition et de fournir des engagements appropriés. La brièveté de ce délai constituerait une pratique déloyale, contraire au principe d’égalité des armes en ce qu’elle n’aurait pas mis la requérante en mesure d’exercer ses droits de la défense à chaque stade de la procédure. À cet égard, GE considère que la Commission n’a pas justifié la brièveté du délai en cause devant le Tribunal.

699    La Commission rappelle l’impératif de célérité qui caractérise la procédure en matière de concentration. Les deux semaines accordées à GE, augmentées d’un jour à sa demande, devraient s’apprécier dans cette perspective et ce délai ne constituerait pas une violation des droits de la défense. La suggestion de GE, selon laquelle la Commission aurait dû faire part plus tôt de ses griefs, ne serait pas conciliable avec le fait qu’une grande partie des préoccupations de la Commission était connue dès avant la notification et que GE a répondu à la décision d’ouverture.

b)     Appréciation du Tribunal

700    Il convient de relever que le règlement n° 4064/89 impose des délais stricts à la Commission pour prendre une décision définitive sur chaque opération notifiée. En particulier, conformément à l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement, les décisions visées à l’article 6, paragraphe 1, d’ouvrir ou non une procédure dite « phase II » à l’égard d’une opération notifiée doivent intervenir dans un délai maximal d’un mois. Par ailleurs, les décisions prises au terme d’une telle procédure, en application de l’article 8, paragraphe 3, doivent intervenir dans un délai maximal de quatre mois à compter de la date de son engagement.

701    Pour que la Commission puisse respecter le calendrier ainsi prévu par le règlement n° 4064/89, il est nécessaire que les délais intermédiaires fixés à chaque stade de la procédure soient brefs également. Cette circonstance rend moins favorables, par définition, les conditions dans lesquelles tous les participants à la procédure doivent travailler, mais le gain en termes de célérité de la procédure dans son ensemble a été considéré par le législateur comme justifiant ces sacrifices, notamment pour tenir compte de l’intérêt commercial des parties à une opération notifiée à mener à bien leur projet aussi rapidement que possible. À cet égard, le Tribunal a déjà eu l’occasion de relever qu’il est nécessaire de tenir compte, en appréciant les prétendues violations des droits de la défense dans le contexte d’une procédure relevant du règlement n° 4064/89, de l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale dudit règlement (voir, en ce sens, arrêts Kaysersberg/Commission, point 84 supra, point 113, et Endemol/Commission, point 115 supra, point 68).

702    Il convient de relever également que, en vertu de l’article 21 du règlement n° 447/98, applicable notamment au délai pour répondre à une communication des griefs fixé conformément à l’article 13 du même règlement, la Commission tient compte du temps nécessaire pour élaborer les déclarations et de l’urgence de l’affaire. Ainsi, il appartient à la Commission de concilier, dans la mesure du possible, les droits de la défense des parties notifiantes et la nécessité susmentionnée d’adopter rapidement une décision définitive.

703    Dans ces conditions, les parties à une opération notifiée ne sauraient invoquer la brièveté des délais dont elles ont disposé dans le cadre de cette procédure que pour autant que ces délais ne soient pas proportionnés à la durée de la procédure dans son ensemble.

704    En l’espèce, il est constant que les parties à l’opération ont disposé d’un délai de onze jours ouvrables, plus un jour supplémentaire accordé à leur demande, pour préparer leur réponse écrite à la CG. Il convient de relever également, à cet égard, le fait que la requérante a disposé de quatre jours ouvrables supplémentaires pour préparer ses arguments avant l’audition des 29 et 30 mai 2001. Dans l’hypothèse où elle se serait rendu compte, pendant cette période supplémentaire, qu’un élément essentiel lui avait échappé au moment de la rédaction de sa réponse écrite à la CG, elle aurait pu l’invoquer oralement.

705    De plus, comme le relève la Commission, une partie significative des préoccupations de la Commission étaient connues dès avant la notification ou, à tout le moins, après l’adoption de la décision au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89. Ainsi, la requérante a pu les traiter dans un premier temps dans sa réponse à cette décision, document détaillé de plus de 100 pages, sur la base des documents dont elle disposait à l’époque. Il s’ensuit que le délai de douze jours ouvrables pour répondre à la CG doit être apprécié comme la continuation d’un débat qui était engagé entre la Commission et la requérante depuis quelque temps et non pas comme un délai de réponse à des griefs entièrement inconnus et inattendus avant l’envoi de ce document.

706    Compte tenu de toutes ces circonstances, il y a lieu de considérer que ces délais n’étaient pas disproportionnés par rapport à la durée totale de quatre mois pendant laquelle la procédure de deuxième phase devait être menée à bien dans son ensemble.

707    En outre, la requérante n’a pas expliqué de manière concrète et spécifique en quoi le caractère bref du délai dont elle a disposé l’a empêchée de se défendre utilement en l’espèce.

708    En particulier, elle n’a pas indiqué dans ses mémoires écrits quels sont les aspects de la CG qu’elle n’a pas été en mesure de commenter utilement dans sa réponse à celle-ci. De nouveau, en réponse à une question orale du Tribunal visant à établir sur quels points particuliers la requérante avait été privée de la possibilité de se défendre, elle s’est bornée à affirmer à l’audience que son moyen concernait le caractère insuffisant, en général, du délai en question.

709    Il convient de constater également, à cet égard, que la réponse des parties à la concentration à la CG est un document détaillé de 47 pages, accompagné d’annexes volumineuses, dont plusieurs documents contenant des arguments supplémentaires des parties à la concentration sur des marchés particuliers. En principe, et en l’absence d’allégations spécifiques susceptibles d’établir le contraire, cette circonstance est incompatible avec l’affirmation selon laquelle la requérante n’a pas été en mesure de répondre de manière adéquate à la CG.

710    En ce qui concerne les arguments tenant à une prétendue mauvaise organisation par la Commission de l’accès au dossier, la requérante n’avance pas non plus d’exemples ni d’argumentation spécifique pour étayer ses allégations selon lesquelles l’inadéquation de l’index des documents avec ces derniers et le « grand nombre de pages manquantes du dossier » a écourté de fait la période dont elle a disposé pour répondre à la CG.

711    Quant aux arguments relatifs à l’accès au dossier et à l’absence d’un sommaire du contenu des documents inaccessibles, ils ne sont pertinents dans le cadre du présent moyen que dans la mesure où la requérante en déduit qu’elle a perdu du temps précieux du fait de ses tentatives de résoudre ces problèmes, alors qu’elle aurait dû pouvoir le consacrer à l’étude du dossier lui-même. Toutefois, si le fait d’écrire les différentes lettres et courriers électroniques, auxquels la requérante fait référence, a certes dû occuper un des ses avocats pendant un certain temps, le fait de faire ces démarches ne l’a pas empêchée d’examiner simultanément, le cas échéant par l’intermédiaire d’autres avocats, les nombreux documents auxquels elle avait déjà accès.

712    Le seul document que la requérante invoque spécifiquement à cet égard est la déclaration […] qu’elle n’aurait reçue que le 17 mai 2001, soit trois jours avant la date limite pour le dépôt de sa réponse à la CG. Or, en dehors du fait que la requérante a pu commenter ce document utilement, éventuellement dans sa réponse à la CG, et à tout le moins à l’audition devant la Commission, il suffit de constater que ce document n’a pas été invoqué par la Commission dans la décision attaquée. Ainsi, à supposer même qu’il soit établi que la requérante n’ait pas disposé d’un délai suffisant pour l’examiner avant de répondre à la CG, cette circonstance n’a pas eu d’incidence préjudiciable de son point de vue sur l’issue de la procédure administrative.

713    Ainsi, il y a lieu de relever de nouveau que la requérante n’a pas expliqué de manière concrète quels éléments ou arguments elle n’a pas pu avancer utilement au stade de la procédure administrative du fait des prétendues entraves à sa défense invoquées dans ce contexte. Elle n’a donc pas établi que ses droits de la défense ont été violés dans les circonstances du cas d’espèce du fait de la brièveté du délai qui lui a été accordé pour répondre à la CG.

5.     Sur le respect du mandat du conseiller-auditeur

a)     Arguments des parties

714    La requérante considère que les nouvelles règles relatives au conseiller‑auditeur, adoptées par la Commission le 23 mai 2001 par sa décision 2001/462/CE, CECA, relative au mandat des conseillers‑auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), étaient applicables en l’espèce, comme l’aurait reconnu le conseiller-auditeur dans sa lettre du 19 juin 2001. L’application concrète de ces nouvelles règles aurait permis à la requérante de mieux défendre ses droits, non seulement en termes d’objectivité de la procédure, mais également en ce qui concerne un accès adéquat à l’ensemble des documents nécessaires. Le moyen d’irrecevabilité soulevé à cet égard par la Commission ne reposerait sur aucune base juridique et devrait donc être rejeté.

715    Le fait que le conseiller-auditeur ait agi en vertu des anciennes règles, et notamment aurait été désigné en vertu de ces règles, rendrait illégales et nulles ses décisions. Une telle irrégularité entraînerait l’inexistence de la décision attaquée ou, à tout le moins, son annulation. L’application des anciennes règles aurait privé GE de la protection de la charte et de la CEDH qui garantissent son droit d’être entendue.

716    La Commission considère que le présent moyen est irrecevable dans la mesure où GE n’identifie pas les règles qui n’auraient pas été appliquées ni comment ces règles lui auraient permis de se défendre plus efficacement. En tout état de cause, les nouvelles règles en cause étaient d’application et l’ont été. L’adoption de la décision 2001/462 n’a pas mis fin aux mandats des conseillers‑auditeurs en charge d’une affaire. En toute hypothèse, le conseiller-auditeur doit assurer le respect des règles substantielles, et une violation à cet égard doit être démontrée, ce qui n’est pas le cas. En réalité, cette erreur aurait été provoquée par l’omission, au dernier moment, d’une clause dans la décision 2001/462 prévoyant son entrée en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel. En conséquence, la décision est entrée en vigueur dès son adoption, contrairement à ce qui avait été prévu par les services de la Commission.

b)     Appréciation du Tribunal

717    Il convient de relever d’emblée que le présent moyen satisfait aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et ne saurait être rejeté comme irrecevable. En effet, si la présentation du moyen dans la requête est, certes, peu détaillée, le contenu du moyen est clair et celui-ci a été complété, notamment par un nombre limité d’allégations factuelles, au stade de la réplique.

718    Il est constant, en l’espèce, que la décision 2001/462 est entrée en vigueur le jour de son adoption, le 23 mai 2001, et la décision 94/810 CECA, CE, du 12 décembre 1994, relative au mandat des conseillers‑auditeurs dans le cadre des procédures de concurrence devant la Commission (JO L 330, p. 67), a donc été abrogée à cette même date. Si la décision 2001/462 prévoit à son article 1er que la Commission « nomme un ou plusieurs conseillers-auditeurs », son article 2, paragraphe 1, précise que « toute interruption, cessation de fonctions ou transfert de celui-ci, quelle que soit la procédure mise en œuvre, fait l’objet d’une décision motivée de la Commission ». Cette décision n’a pas prévu explicitement des mesures transitoires concernant un conseiller-auditeur en fonction au moment de son entrée en vigueur.

719    Si le statut du conseiller-auditeur a été modifié par l’entrée en vigueur de la décision 2001/462, notamment dans la mesure où, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, il est désormais rattaché, sur le plan administratif, au membre de la Commission en charge de la concurrence au lieu de l’être à la direction générale de la concurrence, il ressort clairement de cette décision que la nouvelle fonction de conseiller-auditeur se substitue directement à l’ancienne fonction du même nom au titre de la décision 94/810. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, en l’absence d’une décision mettant fin à son mandat conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2001/462, l’ancien conseiller-auditeur est resté en fonction après l’entrée en vigueur de cette décision, contrairement à l’argumentation de la requérante.

720    Cette interprétation des textes susmentionnés est renforcée par la nécessité objective qui existait, quant à la fonction de conseiller-auditeur, d’assurer une continuité fonctionnelle conformément au principe de bonne administration. Il convient de relever que l’entrée en vigueur de la décision 2001/462 est nécessairement intervenue au moment où certaines procédures étaient déjà en cours. Si l’effet de l’entrée en vigueur de la décision 2001/462, combiné avec l’absence de nomination d’un nouveau conseiller‑auditeur, était qu’aucune personne n’était habilitée à assurer cette fonction, il était impossible de poursuivre ces procédures, ce qui aurait privé aussi bien les dispositions du règlement n° 4064/89 que celles de la décision 2001/462 de leur effet utile en ce qui concerne ces procédures. Dès lors, il y a lieu de considérer que le conseiller‑auditeur en fonction au moment de l’entrée en vigueur de la décision 2001/462 est demeuré habilité à assurer cette fonction jusqu’à nouvel ordre, à tout le moins aux fins de clore les procédures telles que celle en cause dans le cas d’espèce, dont il était déjà saisi.

721    En ce qui concerne l’application des dispositions de la décision 2001/462, la Commission ne nie pas qu’une erreur de droit a été commise par le conseiller‑auditeur à cet égard quant aux règles en vigueur au moment de l’audition. En revanche, elle s’appuie sur l’absence de conséquences juridiques ou concrètes de cette erreur, dès lors que la procédure appliquée par le conseiller‑auditeur en pratique était conforme aussi bien aux anciennes règles, qu’il croyait appliquer, qu’aux nouvelles règles qu’il devait appliquer.

722    La Commission relève, à juste titre, que la requérante n’a pas été en mesure d’identifier une disposition spécifique de la décision 2001/462 que le conseiller‑auditeur aurait violée, ni une disposition sur la base de laquelle celui-ci aurait été susceptible d’adopter une position différente de celle qu’il a adoptée en fait s’il avait su qu’il devait appliquer la décision 2001/462.

723    Les seules questions concrètes soulevées par la requérante, à cet égard, concernent le refus du conseiller-auditeur d’ordonner la production intégrale du modèle Choi et des données qui y sont utilisées ainsi que celle des plaintes et observations reçues de parties tierces. Or, force est de constater que, pour les raisons exposées ci-dessus aux points 649 et suivants, l’accès au dossier a été considéré suffisant dans les circonstances du cas d’espèce en ce qui concerne les plaintes et observations en cause. Par conséquent, la position prise par le conseiller-auditeur à cet égard n’a nullement empêché la requérante de se défendre en l’espèce. Quant au modèle Choi, le conseiller-auditeur a relevé, dans son rapport du 28 juin 2001, que la Commission ne s’appuyait plus, à cette date, sur ledit modèle (voir également, à cet égard, points 2 et 3 du rapport du conseiller-auditeur du 28 juin 2001). En toute hypothèse, il convient de rappeler, à cet égard, que le Tribunal a déjà écarté, aux points 399 et suivants ci-dessus, le raisonnement de la Commission concernant les ventes groupées, de sorte qu’une éventuelle constatation d’irrégularité concernant l’accès à ce modèle ne saurait avoir une incidence sur l’issue de la présente procédure.

724    La requérante relève que la décision 2001/462 affirme, en son considérant 2, que « la Commission doit veiller à ce que le droit d’être entendu soit garanti dans ses procédures de concurrence, eu égard notamment à la [charte] ». Elle invoque à cet égard, en particulier, son droit d’être entendu au titre de l’article 41, paragraphe 2, de la charte, son droit d’accès aux documents au titre de ses articles 41 et 42, son droit à un procès équitable au titre de son article 47 et, enfin, l’obligation expresse de respecter le principe de proportionnalité dans toute limitation des droits fondamentaux, au titre de son article 52.

725    Il suffit de relever, à cet égard, que le contenu effectif de tous les droits spécifiques mentionnés au point précédent étaient déjà protégés en droit communautaire avant l’adoption de la charte, qui, selon son propre préambule, ne fait que les réaffirmer. En effet, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I‑1759, point 33, et arrêt la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 14). À cet effet, la Cour et le Tribunal s’inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La Convention européenne des droits de l’homme revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l’article F, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne (devenu article 6, paragraphe 2, UE), « l’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

726    De même, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire et exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés, est bien établi en droit communautaire (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13 ; du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C‑133/93, C‑300/93 et C‑362/93, Rec. p. I‑4863, point 41, et du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C‑157/96, Rec. p. I‑2211, point 60).

727    Ainsi, en l’espèce, il ne saurait être déduit de la référence à la charte, au considérant 2 de la décision 2001/462, que le conseiller-auditeur était tenu d’appliquer les droits invoqués par la requérante d’une manière différente après l’entrée en vigueur de cet acte.

728    La requérante invoque également des affirmations générales de la Commission relatives au renforcement des droits de la défense devant résulter de la réforme du mandat du conseiller-auditeur, notamment dans le livre vert ayant précédé l’adoption de la décision 2001/462. Or, il ne découle pas de ces affirmations que le conseiller-auditeur aurait eu un comportement différent, lors de l’audition devant la Commission, que celui qu’il a eu en fait. Le conseiller-auditeur a lui‑même affirmé, dans sa lettre à la requérante du 19 juin 2001, que l’audition a été organisée d’une manière qui respectait les exigences de la décision 2001/462 en matière de respect des droits de la défense. Il convient de relever, en particulier, que le conseiller-auditeur a donné aux parties à la concentration l’occasion de déposer des observations écrites à la suite de celle-ci, conformément à ce que prévoit l’article 12, paragraphe 4, de la décision 2001/462.

729    La seule allégation spécifique avancée par la requérante à cet égard concerne la possibilité que le conseiller‑auditeur ait pu considérer qu’il était nécessaire d’exclure le modèle Choi des débats au stade de l’audition devant la Commission, au motif que les parties à la concentration n’avaient pu examiner les données utilisées dans celui-ci. En l’absence d’une référence à des dispositions spécifiques de la décision 2001/462 modifiant les critères que le conseiller-auditeur devait appliquer pour prendre sa décision à cet égard, cet argument ne saurait être retenu. En tout état de cause, ainsi que cela a été rappelé au point 723 ci-dessus, la Commission a abandonné le modèle Choi avant d’adopter la décision attaquée.

730    Si, au moment de l’audition dans la présente affaire, les 29 et 30 mai 2001, le conseiller-auditeur se trompait effectivement quant aux règles applicables, il n’y a pas lieu de considérer, en l’espèce, que cette erreur ait eu des conséquences pour la capacité de la requérante de se défendre de sorte que le déroulement de la procédure aurait pu être différente.

731    En ce qui concerne le déroulement de la procédure administrative, après l’audition, le conseiller-auditeur a appliqué les nouvelles dispositions de la décision 2001/462 au moment où il a fait son rapport le 28 juin 2001. Ainsi, en prenant position définitivement sur les différentes questions procédurales soulevées par les parties à l’opération notifiée, il a donc tenu compte les règles procédurales réellement applicables. Étant donné que, dans ledit rapport, il a examiné de nouveau la question de savoir si les droits de la défense avaient été respectés en l’espèce et, en particulier, celle de savoir si l’accès au dossier avait été conforme aux règles applicables, il y a lieu de conclure qu’il a réparé les éventuels vices résultant de sa méprise antérieure avant l’adoption de la décision attaquée.

 Conclusion générale

732    Il y a lieu de constater, dans le cadre de la présente procédure, que la Commission a validement conclu dans la décision attaquée que, à la suite de la concentration, la position dominante préexistante de la requérante sur le marché des moteurs d’avions régionaux de grande taille serait renforcée et que des positions dominantes seraient créées dans le chef de l’entité résultant de la fusion sur les marchés des moteurs pour avions d’affaires et des petites turbines à gaz marines (voir, respectivement, points 489 et suivants, 566 et suivants et 587 et suivants). Il ressort également de la décision attaquée que, sur chacun de ces marchés, la création ou le renforcement d’une position dominante aurait eu comme conséquence qu’une concurrence effective aurait été entravée de manière significative dans le marché commun. En outre, aucune de ces conclusions n’est affectée par les griefs procéduraux avancés par la requérante en l’espèce (points 621 à 731 ci-dessus).

733    En revanche, si la Commission a validement considéré dans la décision attaquée que la requérante était en position dominante, avant la concentration, sur le marché des réacteurs d’avions commerciaux de grande taille, elle n’a pas établi à suffisance de droit que des positions dominantes seraient créées ou renforcées dans le chef de l’entité fusionnée en raison du chevauchement vertical entre les démarreurs d’Honeywell et les réacteurs d’avions commerciaux de grande taille de la requérante, ni en raison de la combinaison des produits avioniques et non avioniques d’Honeywell avec la puissance financière et commerciale du groupe GE, ni, enfin, en raison des possibilités de grouper les ventes de moteurs de la requérante avec les produits avioniques et non avioniques d’Honeywell (voir, respectivement, points 286 et suivants, 325 et suivants et 399 et suivants).

734    Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il n’y a pas lieu d’annuler une décision constatant l’incompatibilité d’une opération notifiée avec le marché commun au motif que la requérante a établi l’existence d’une ou plusieurs erreurs entachant l’analyse retenue en ce qui concerne un ou plusieurs marchés, dès lors qu’il ressort néanmoins de cette même décision que la concentration notifiée remplissait les critères d’incompatibilité de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 relatifs à un ou plusieurs autres marchés (voir, notamment, points 45 à 48 ci‑dessus). Ainsi, la Commission ayant validement constaté dans la décision attaquée que lesdits critères étaient remplis pour trois marchés différents, à savoir celui des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, celui des réacteurs pour avions d’affaires et celui des petites turbines à gaz marines, il n’y a pas lieu d’annuler la décision attaquée en l’espèce. Dès lors, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

735    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions et la partie défenderesse ainsi que les parties intervenantes, Rolls-Royce et Rockwell Collins, ayant conclu à la condamnation de la partie requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la partie défenderesse et par les parties intervenantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission et par les parties intervenantes.

Pirrung

Tiili

Meij

Vilaras

 

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung


Cadre juridique

Antécédents du litige

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

A –  Questions liminaires

1.  Sur la demande de jonction

2.  Sur l’articulation entre les différents piliers justifiant la conclusion de la Commission quant à l’incompatibilité de la concentration avec le marché commun

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur les engagements proposés

4.  Sur le standard de preuve et l’étendue du contrôle effectué par le juge communautaire

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Considérations générales

Traitement des effets de conglomérat

Traitement des facteurs susceptibles de dissuader l’entité fusionnée d’adopter certains comportements prévus dans la décision attaquée

5.  Sur l’absence de démonstration relative à l’entrave significative à une concurrence effective

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur la position dominante préexistante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

1.  Introduction

2.  Arguments des parties

3.  Appréciation du Tribunal

a)  Observations liminaires

b)  Sur les parts de marché

Sur l’attribution des parts de marché de CFMI à la requérante

–  Introduction

–  Analyse de l’organisation interne de CFMI

–  Analyse de la position concurrentielle de GE, de CFMI et de Snecma

–  Synthèse et conclusion sur l’attribution des parts de marché de CFMI à la requérante

Sur les parts de marché relevées par la Commission pour apprécier la puissance des fabricants présents sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–  Considérations relatives à la nature du marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–  Considérations relatives aux marchés de l’après-vente (aftermarkets)

–  Considérations relatives à la notion de « standardisation » sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–  Sur la mesure des parts de marché retenues par la Commission aux fins d’apprécier la puissance de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–  Traitement du Boeing 737

Conclusion sur les parts de marchés

c)  Intégration verticale – GE Capital et GECAS

Introduction

Influence commerciale de GECAS

–  Sur la politique « GE-only » de GECAS

–  Sur la position commerciale de GECAS

Puissance financière de GE Capital

Considérations relatives à l’exercice par GECAS et GE Capital de leur influence sur les clients de la requérante sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

–  Sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales sur les avionneurs

–  Sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales sur les compagnies aériennes

–  Conclusion sur l’exercice par GE de l’influence résultant de la puissance de ses filiales

Considérations relatives aux chiffres concernant l’évolution des parts de marché de la requérante après le commencement par GECAS de son activité d’achat et de leasing d’avions

Conclusion sur l’intégration verticale

d)  Situation concurrentielle sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille

e)  Absence ou faiblesse de pression concurrentielle et commerciale

Pression exercée par les concurrents

–  Sur la position de P & W

–  Sur la position de Rolls-Royce

Pression exercée par les acheteurs

f)  Conclusion sur la position dominante

C –  Sur le chevauchement vertical

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

3.  Conclusion

D –  Sur les effets de conglomérat

1.  Sur la puissance financière et l’intégration verticale

a)  Arguments des parties

Sur la puissance financière

Sur l’intégration verticale

b)  Appréciation du Tribunal

Introduction

Sur la probabilité du comportement futur prévu par la Commission

–  Sur les produits SFE-standard

–  Sur les produits BFE et SFE-option

Sur la création de positions dominantes sur les marchés des produits avioniques et non avioniques à l’avenir

Conclusion

2.  Sur les ventes groupées

a)  Arguments des parties

Observations liminaires

Sur l’existence de ventes groupées pures ou techniques

Sur l’existence de ventes groupées mixtes

b)  Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

Sur les ventes groupées en général

Sur les ventes groupées pures

Sur les ventes groupées techniques

Sur les ventes groupées mixtes

–  Sur les pratiques antérieures

–  Sur les analyses économiques

–  Sur le caractère stratégique des comportements prévus

Conclusion

E –  Sur les chevauchements horizontaux

1.  Sur les moteurs d’avions régionaux de grande taille

a)  Arguments des parties

Sur la définition du marché et l’existence d’une position dominante préexistante sur le marché pertinent

Sur les effets de la concentration sur le marché en cause

Sur le rejet de l’engagement structurel relatif aux réacteurs pour avions régionaux de grande taille

b)  Appréciation du Tribunal

Sur la définition du marché

Sur la position dominante préexistante de la requérante

Sur le renforcement de la position dominante

Sur les effets du renforcement de la position dominante sur la concurrence

Sur le rejet par la Commission de l’engagement relatif aux avions régionaux de grande taille

Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des moteurs pour avions régionaux de grande taille

2.  Sur les moteurs d’avions d’affaires

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

c)  Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des moteurs d’avions d’affaires

3.  Sur les petites turbines à gaz marines

a)  Sur la définition du marché

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur les engagements

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

c)  Conclusion sur le chevauchement horizontal affectant le marché des petites turbines à gaz marines

F –  Sur les moyens relatifs aux vices de procédure

1.  Considérations liminaires

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur l’accès à certains documents

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur l’accès tardif au dossier

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur la brièveté du délai offert à GE pour l’examen du dossier

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur le respect du mandat du conseiller-auditeur

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Conclusion générale

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais.


1 – Données confidentielles occultées.