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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL

4 avril 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale CLEOPATRA – Motifs relatifs de refus – Intervention – Cocontractant de la partie requérante à l’origine de la demande de marque – Absence d’intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑482/23,

Afaaq Ahmad Qozgar, demeurant à Thiruvananthapuram (Inde), représenté par Me L. Pivec, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. E. Markakis, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

L’Oréal, établie à Clichy (France), représentée par Mes T. de Haan et S. Vandezande, avocats,

LE PRÉSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Afaaq Ahmad Qozgar, demande l’annulation et la réformation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 juin 2023 (affaire R 2509/2022-5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents et procédure

2        Le 14 novembre 2012, l’intervenante, L’Oréal, a obtenu auprès de l’EUIPO, l’enregistrement de la marque verbale de l’Union européenne CLEOPATRA pour, notamment, les « cosmétiques, produits de toilette à usage non médical, savons et savonnettes, savonnettes, savons liquides, gels douche, savons antitranspirants, savons désodorisants, savons (désinfectants) » compris dans la classe 3.

3        Par une demande déposée le 22 octobre 2019, le requérant a sollicité l’enregistrement de la marque verbale CLEOPATRA pour les « bandes de cire pour l’épilation, crèmes dépilatoires, cire à épiler, crème dépilatoire, produits dépilatoires, cires dépilatoires » compris dans la classe 3.

4        Le 7 avril 2020, l’intervenante a fait opposition contre l’enregistrement de la marque demandée sur le fondement de sa marque verbale de l’Union européenne CLEOPATRA, en invoquant l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

5        Par décision du 15 novembre 2022, la division d’opposition a rejeté la demande de marque du requérant compte tenu du risque de confusion.

6        Le 16 décembre 2022, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

7        Par la décision attaquée, la cinquième chambre de recours a rejeté le recours, écartant ce faisant la demande d’enregistrement de la marque demandée.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 août 2023, le requérant a introduit le présent recours. L’intervenante a déposé un mémoire en réponse le 8 novembre 2023 et l’EUIPO a déposé un mémoire en réponse le 13 novembre 2023.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 novembre 2023, la demanderesse en intervention, Luxury Cosmetics d.o.o., a demandé à être admise à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du requérant.

10      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 22 et 24 novembre 2023, l’EUIPO et l’intervenante se sont opposés à cette intervention, en faisant notamment valoir que la demanderesse en intervention n’avait pas un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

 En droit

11      La demanderesse en intervention fait valoir que sa représentante légale et unique actionnaire était titulaire des marques verbales croate et internationale CLEOPATRA, notamment pour les produits dépilatoires. Elle indique que sa représentante légale lui a transféré ces marques le 14 février 2022. La demanderesse en intervention soutient que la décision attaquée lui interdit de produire et de vendre des produits dépilatoires et épilatoires dans l’Union européenne, ainsi que cela ressort de l’accord de suspension du contrat de distribution du 17 avril 2020, conclu entre elle, sa représentante légale et actionnaire, le requérant et une société dont ce dernier est actionnaire, jusqu’à la décision finale sur l’opposition, ce qui a donc entraîné pour eux un manque à gagner. Elle en déduit qu’elle a un droit d’intervenir au sens de l’article 143, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure du Tribunal, lu conjointement avec l’article 40, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de pouvoir reprendre les ventes dans le cadre du contrat de distribution et, partant, d’exercer son droit à la libre circulation des marchandises sur l’ensemble du marché intérieur. Enfin, elle présente des preuves supplémentaires venant au soutien des arguments du requérant.

12      L’EUIPO et l’intervenante concluent au rejet de la demande d’intervention.

13      Aux termes de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

14      Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt ou de l’ordonnance mettant fin à l’instance [ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2022, EUIPO/Indo European Foods, C‑801/21 P, non publiée, EU:C:2022:1049, point 11, et ordonnance du 18 septembre 2019, Glimarpol/EUIPO – Metar (Outils pneumatiques), T‑748/18, EU:T:2019:687, point 14].

15      À cet égard, il convient notamment de vérifier si le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et si son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention [ordonnance du président de la Cour du 9 octobre 2018, Pologne/Commission, C‑181/18 P, non publiée, EU:C:2018:826, point 6 et ordonnance du 20 novembre 2019, Glaxo Group/EUIPO (Nuance de couleur pourpre), T‑187/19, non publiée, EU:T:2019:810, point 22].

16      Par ailleurs, il y a lieu d’ajouter que c’est au demandeur en intervention qu’il incombe d’apporter les éléments nécessaires pour prouver qu’il satisfait aux conditions découlant de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (voir ordonnance du 22 février 2023, PT Indonesia Ruipu Nickel and Chrome Alloy/Commission, T‑348/22, non publiée, EU:T:2023:84, point 11 et jurisprudence citée).

17      En l’espèce, il convient de souligner que la demanderesse en intervention a conclu un contrat de distribution avec, premièrement, son actionnaire unique et représentante légale, deuxièmement, une société dont le requérant est actionnaire et, troisièmement, le requérant lui-même (ci-après le « contrat de distribution »). À cet égard, d’une part, il ressort des termes du contrat de distribution que la société dont le requérant est actionnaire était désignée en tant que distributeur des produits dépilatoires et épilatoires de la demanderesse en intervention pour les pays de l’Union européenne non couverts par les enregistrements croate et international de la marque verbale CLEOPATRA, et que le requérant était autorisé à solliciter, en son nom propre, l’enregistrement de la marque demandée. D’autre part, il convient de constater que les parties au contrat de distribution sont convenues, le 17 avril 2020, de suspendre celui-ci à la suite de la procédure d’opposition déclenchée par l’intervenante le 7 avril 2020.

18      Pour justifier d’un intérêt à la solution du litige, la demanderesse en intervention fait valoir que la décision attaquée lui interdit de produire et de vendre ses produits dépilatoires et épilatoires dans les pays de l’Union européenne précités, ainsi que cela ressortirait de l’accord de suspension du contrat de distribution. Dès lors, la décision attaquée l’empêcherait de reprendre ledit contrat, de sorte qu’elle entraînerait un manque à gagner et enfreindrait la libre circulation de ses marchandises sur l’ensemble du marché intérieur.

19      Toutefois, premièrement, comme le souligne l’EUIPO, la décision attaquée ne fait que statuer sur l’opposition en cause entre le requérant et l’intervenante, qui concerne la marque demandée à l’égard de laquelle la demanderesse en intervention n’a revendiqué aucun droit. De plus, dans cette même décision, la chambre de recours n’a adressé aucune injonction à la demanderesse en intervention s’agissant des produits qu’elle commercialise. Partant, la possibilité pour la demanderesse en intervention de fabriquer ou de vendre un produit, ou d’user de son droit à la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur, n’est pas susceptible de dépendre directement de la décision du Tribunal dans la présente affaire.

20      Deuxièmement, il convient de constater que la suspension du contrat de distribution résulte directement d’un choix contractuel concrétisé dans l’accord conclu par la demanderesse en intervention avec, notamment, le requérant, le 17 avril 2020, soit postérieurement à l’introduction de la procédure d’opposition visant la marque demandée. Même si cet accord de suspension est lié à ladite procédure d’opposition et s’applique jusqu’à l’adoption d’une décision finale sur cette opposition, il ne constitue qu’une conséquence indirecte de la décision attaquée. Partant, la solution au présent litige n’est pas en soi de nature à affecter directement la possibilité pour la demanderesse en intervention de reprendre la mise en œuvre du contrat de distribution et de commercialiser ses produits sur le territoire de l’Union européenne.

21      Troisièmement, à supposer que la demanderesse en intervention se prévale du risque que, en cas de rejet du présent recours, l’intervenante intente une action devant les juridictions compétentes visant à interdire à la demanderesse en intervention de commercialiser certains produits, pareille interdiction ne pourrait se matérialiser, le cas échéant, qu’en présence d’une telle action et ne découlerait donc pas directement de la solution du présent litige.

22      Les répercussions que la décision à intervenir dans la présente affaire pourrait avoir, le cas échéant, sur les relations contractuelles ou sur la vente des produits de la demanderesse en intervention ne sont, par suite, qu’indirectes.

23      Quatrièmement, enfin, l’argument de la demanderesse en intervention tiré de preuves supplémentaires venant au soutien des arguments du requérant concerne le bien-fondé du recours et doit donc être rejeté comme inopérant aux fins de l’appréciation de l’intérêt à la solution du litige de ladite demanderesse, sans qu’il soit besoin d’examiner si ces preuves sont ou non recevables.

24      Il résulte de ce qui précède que l’intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas été établi. Partant, la demande d’intervention doit être rejetée.

 Sur les dépens

25      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de la demanderesse en intervention, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

26      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

27      En l’espèce, il convient d’ordonner que la demanderesse en intervention supporte ses propres dépens, ainsi que ceux de l’EUIPO afférents à la présente demande d’intervention, conformément aux conclusions de celui-ci. L’intervenante supportera ses propres dépens afférents à la présente demande d’intervention, conformément à ses conclusions.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de Luxury Cosmetics d.o.o. est rejetée.

2)      Luxury Cosmetics supportera les dépens de l’EUIPO afférents à la procédure en intervention, ainsi que ses propres dépens.

3)      L’Oréal supportera ses propres dépens afférents à la procédure en intervention.

Fait à Luxembourg, le 4 avril 2024.

Le greffier

 

Le président faisant fonction

V. Di Bucci

 

I. Gâlea


*      Langue de procédure : l’anglais.