Language of document : ECLI:EU:T:2024:211

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

4 avril 2024 (*)

« Recours en annulation – Mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie – Interdiction de contracter des engagements juridiques avec une fiducie (un trust) d’intérêt public ou avec une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) – Article 2, paragraphe 2, de la décision d’exécution (UE) 2022/2506 – Acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution – Affectation directe – Recevabilité »

Dans l’affaire T‑138/23,

Semmelweis Egyetem, établie à Budapest (Hongrie), représentée par Mes P. Nagy et B. Karsai, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. E. Rebasti, G. Rugge et Mme L. Vétillard, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme M. J. Costeira, présidente, MM. U. Öberg (rapporteur) et P. Zilgalvis, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Semmelweis Egyetem, demande l’annulation de l’article 2, paragraphe 2, de la décision d’exécution (UE) 2022/2506 du Conseil, du 15 décembre 2022, relative à des mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie (JO 2022, L 325, p. 94, ci-après la « disposition attaquée »), par lequel celui-ci a décidé d’interdire la possibilité pour la Commission européenne, dans le cadre de l’exécution du budget de l’Union européenne en gestion directe ou indirecte, de contracter un engagement juridique avec une fiducie (un trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX de 2021 ou avec une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) d’intérêt public.

 Antécédents du litige

2        La requérante est une université de recherche en médecine et en sciences de la santé de Budapest (Hongrie). En 2021, ses droits constitutifs et ses droits de gestion ont été transférés à la fiducie (au trust) d’intérêt public Nemzeti Egészségügyi és Orvosképzésért Alapítvány, une fondation nationale pour la santé et l’enseignement médical. Cette dernière voit son activité régie, notamment, par les dispositions de la « a közfeladatot ellátó közérdekű vagyonkezelő alapítványokról szóló 2021. évi IX. törvény » (loi hongroise no IX de 2021, relative aux fiducies d’intérêt public investies d’une mission de service public, ci-après la « loi hongroise IX »).

3        Le 24 novembre 2021, la Commission a adressé à la Hongrie une demande d’informations en application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433 I, p. 1), à laquelle les autorités hongroises ont répondu le 27 janvier 2022.

4        Le 27 avril 2022, la Commission a adressé une notification écrite à la Hongrie conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 (ci-après la « notification »), dans laquelle elle a fait part de ses préoccupations et a présenté ses constatations concernant un certain nombre de problèmes liés aux procédures de passation des marchés publics en Hongrie, à la lutte contre la corruption, à l’efficacité des enquêtes et des poursuites portant sur les soupçons d’activités illégales.

5        Le 27 juin 2022, la Hongrie a répondu à la notification (ci-après la « première réponse »). Par lettres des 30 juin et 5 juillet 2022, la Hongrie a communiqué de plus amples informations pour compléter la première réponse. Le 19 juillet 2022, la Hongrie a également envoyé une lettre supplémentaire proposant un certain nombre de mesures correctives visant à remédier aux constatations de la notification.

6        La Commission a évalué les observations présentées dans la première réponse et a conclu qu’elles ne répondaient pas à ses préoccupations et constatations exposées dans la notification. De plus, la Commission a considéré que ni la première réponse, ni les lettres supplémentaires des 30 juin et 5 juillet 2022, ne contenaient d’engagement approprié à appliquer des mesures correctives adéquates dans le cadre du règlement 2020/2092.

7        Conformément à l’article 6, paragraphe 7, du règlement 2020/2092, la Commission a, le 20 juillet 2022, envoyé une lettre à la Hongrie (ci-après la « lettre d’intention ») afin d’informer cet État membre de son évaluation au titre du paragraphe 6 dudit article et des mesures que la Commission envisageait de proposer au Conseil de l’Union européenne pour adoption en vertu du paragraphe 9 dudit article, en l’absence d’engagement de la part de la Hongrie à prendre des mesures correctives adéquates. Dans la lettre d’intention, la Commission donnait à la Hongrie la possibilité de présenter ses observations, en particulier sur la proportionnalité des mesures envisagées.

8        La Hongrie a répondu à la lettre d’intention le 22 août 2022, et a présenté ses observations sur les constatations de la Commission, la procédure et la proportionnalité des mesures mentionnées dans la lettre d’intention. Bien qu’elle ait contesté les constatations de la Commission, elle a proposé certaines mesures correctives pour répondre aux préoccupations soulevées par la Commission. Le 13 septembre 2022, la Hongrie a envoyé à la Commission une lettre contenant des éclaircissements et des engagements supplémentaires en rapport avec les mesures correctives proposées.

9        Le 18 septembre 2022, estimant que les mesures correctives proposées par la Hongrie ne répondaient pas de manière adéquate aux constatations figurant dans la notification et la lettre d’intention, de sorte que les conditions d’application du règlement 2020/2092 étaient réunies, la Commission a adopté une proposition de décision d’exécution du Conseil relative à des mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie.

10      Après avoir procédé à une évaluation et examiné les mesures correctives proposées par la Hongrie, le Conseil a conclu que lesdites mesures correctives, considérées dans leur ensemble, telles qu’elles avaient été adoptées et compte tenu de leurs détails et de l’incertitude qui en découlait quant à leur application dans la pratique, ne mettaient pas un terme aux violations recensées des principes de l’État de droit. Il a indiqué que, étant donné que les cas de non-conformité constatés concernaient des violations de nature systémique, ils nuisaient largement à la bonne gestion financière du budget de l’Union et à la protection des intérêts financiers de l’Union d’une manière suffisamment directe et que le risque qui en découlait pour le budget de l’Union restait élevé.

11      Le 15 décembre 2022, le Conseil a donc adopté la décision d’exécution 2022/2506, par laquelle il a, notamment, été décidé, à l’article 2, paragraphe 2, que « [l]orsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, conformément à l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement (EU, Euratom) 2018/1046, aucun engagement juridique n’est contracté avec une fiducie (un trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX de 2021 ou avec une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) d’intérêt public. »

12      La décision d’exécution 2022/2506 a pris effet le 16 décembre 2022.

 Conclusions des parties

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la disposition attaquée, dans la mesure où elle concerne la requérante ;

–        à titre subsidiaire, annuler la disposition attaquée dans son intégralité ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

14      Dans l’exception d’irrecevabilité, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant manifestement irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

15      Dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

16      En vertu de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément à l’article 130, paragraphe 7, dudit règlement, le Tribunal statue dans les meilleurs délais sur la demande ou, si des circonstances particulières le justifient, joint l’examen de celle-ci au fond.

17      Le Conseil soutient que le recours est manifestement irrecevable. À l’appui de l’exception d’irrecevabilité, il fait valoir, en substance, que la requérante ne justifie pas de sa qualité pour agir, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et que la décision d’exécution 2022/2506 ne peut pas être considérée comme un acte réglementaire qui la concerne directement et qui ne comporte pas de mesures d’exécution.

18      Plus précisément, le Conseil fait valoir que, si la disposition attaquée prévoit l’obligation pour la Commission et pour la Hongrie de ne pas contracter d’engagements juridiques avec certaines entités, elle n’affecte pas en soi la situation juridique de la requérante.

19      Ainsi, à la différence de la notion de « fiducie ([…] trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX de 2021 », la notion d’« entité détenue par une […] fiducie (un […] trust) d’intérêt public » devrait être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union et trouver une interprétation uniforme dans toute l’Union. Or, la décision d’exécution 2022/2506 aurait été adoptée sur le fondement du règlement 2020/2092, dans le but de protéger le budget de l’Union contre des situations de conflit d’intérêts auxquelles l’État membre concerné n’avait pas suffisamment remédié. Les conditions d’adoption des mesures qui sont prévues à l’article 4 dudit règlement devraient donc être respectées, y compris la condition selon laquelle il doit toujours exister un lien suffisamment direct entre la violation en cause et l’exécution du budget de l’Union.

20      Il reviendrait donc à la Commission et aux agences nationales, exerçant leur mission d’exécution du budget de l’Union, d’appliquer la disposition attaquée aux situations individuelles, ce qui exigerait une appréciation in concreto, une entité ne pouvant être qualifiée d’entité « détenue par une fiducie (un trust) d’intérêt public » que pour autant qu’elle est soumise à une influence et à un contrôle décisifs, de sorte que ses activités présentent le même risque de conflit d’intérêts que celui encouru par la fiducie (le trust) d’intérêt public elle(lui)-même.

21      Selon le Conseil, la disposition attaquée réserve une marge d’appréciation pour sa mise en œuvre, et ce même si une entité est nommément désignée dans la loi hongroise IX comme étant détenue par une fiducie (un trust) d’intérêt public.

22      La décision d’exécution 2022/2506 supposerait donc l’adoption de mesures d’exécution supplémentaires, de la part de l’Union ou des États membres, concrétisant la notion générale et abstraite d’« entité détenue par une fiducie (un trust) ». De telles mesures prendraient la forme de décisions par lesquelles la Commission ou les agences nationales décident, à la suite d’une appréciation autonome, si elles contractent ou non des engagements juridiques en vue d’effectuer le paiement des fonds de l’Union. Ce n’est qu’à ce stade qu’une personne physique ou morale pourrait décider de former un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE, cette dernière décision constituant un acte dont elle serait le destinataire.

23      Le Conseil ajoute que, sans préjudice de la responsabilité de la Commission en matière d’exécution du budget de l’Union et de la disponibilité des fonds, l’État membre concerné reste tenu de remplir ses obligations d’exécution des programmes de l’Union, dont Erasmus + et Horizon Europe, afin de garantir la protection des destinataires et des bénéficiaires finaux, conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092. La situation juridique des bénéficiaires individuels des fonds de l’Union ne serait donc pas déterminée de manière définitive et automatique par la mesure établie par la disposition attaquée. Elle résulterait plutôt de choix politiques supplémentaires nécessaires pour respecter l’obligation concurrente imposée à l’État membre concerné par ledit règlement de protéger les destinataires et les bénéficiaires finaux.

24      Le Conseil fait également valoir que la disposition attaquée ne s’applique pas automatiquement, mais requiert l’adoption d’une décision spécifique de la Commission ou d’agences nationales, à l’égard d’une mesure budgétaire spécifique.

25      La requérante fait notamment valoir qu’elle est directement concernée par la disposition attaquée et que celle-ci ne comporte pas de mesures d’exécution.

26      Le Tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence constante que le recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE est ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 62 et jurisprudence citée).

27      En effet, l’esprit des traités est de s’assurer d’ouvrir un recours direct contre toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique (voir arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 24 et jurisprudence citée). Ainsi, les dispositions des traités concernant le droit d’agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 222 ; du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission, T‑528/93, T‑542/93, T‑543/93 et T‑546/93, EU:T:1996:99, point 60, et ordonnance du 10 septembre 2020, Cambodge et CRF/Commission, T‑246/19, EU:T:2020:415, point 36).

28      Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 110 ; voir, également, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 190 et jurisprudence citée].

29      Or, l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un État de droit. En effet, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice [arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 62, et du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 48].

30      Selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (voir arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 59 et 91 et jurisprudence citée, et du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑244/16 P, EU:C:2018:177, point 39 et jurisprudence citée).

31      En l’espèce, la requérante n’est pas la destinataire de la décision d’exécution 2022/2506, qui est adressée à la Hongrie. Sa qualité pour agir peut néanmoins être reconnue si elle relève de l’une des deux hypothèses mentionnées au point 30 ci-dessus.

32      Ainsi, le Tribunal examinera si le présent recours vise un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution et qui concerne directement la requérante.

 Sur l’existence d’un acte réglementaire

33      La notion d’acte réglementaire, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, englobe les actes de portée générale, à l’exclusion des actes législatifs (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 58 à 61).

34      Une décision ayant pour destinataire un État membre revêt une portée générale lorsqu’elle s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir, en ce sens, ordonnance du 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑503/07 P, EU:C:2008:207, point 71).

35      En l’espèce, la décision d’exécution 2022/2506, qui a pour destinataire la Hongrie, n’est pas un acte législatif, dès lors qu’elle n’a pas été adoptée selon la procédure législative ordinaire décrite à l’article 294 TFUE ou selon une procédure législative spéciale, telle que définie à l’article 289, paragraphe 2, TFUE.

36      La décision d’exécution 2022/2506 a une portée générale en ce qu’elle s’applique à la généralité des opérateurs économiques intéressés, à savoir notamment à l’égard de toute personne physique ou morale relevant du champ d’application de la disposition attaquée.

37      La décision d’exécution 2022/2506 constitue donc un acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

 Sur l’absence de mesures d’exécution

38      À titre liminaire, le Tribunal relève que, par ses arguments, le Conseil se limite à alléguer l’absence d’affectation directe de la requérante, en raison du fait que l’interdiction établie par la disposition attaquée ne s’appliquerait pas automatiquement, mais ne pourrait prendre effet que si la Commission ou les agences nationales adoptent une décision spécifique affectant la situation de la requérante, en rapport avec une mesure budgétaire spécifique. Il ajoute que seul cet acte d’exécution budgétaire spécifique serait susceptible de faire l’objet d’un recours devant la juridiction appropriée.

39      Or, la condition relative à l’absence de mesures d’exécution ne se confond pas avec celle de l’affectation directe. La question de savoir si une réglementation applicable laisse ou non un pouvoir d’appréciation à la Commission, aux agences exécutives de l’Union ou aux autorités nationales n’est donc pas pertinente pour déterminer si la disposition attaquée comporte des mesures d’exécution (voir, en ce sens, ordonnance du 14 juillet 2015, Forgital Italy/Conseil, C‑84/14 P, non publiée, EU:C:2015:517, points 43 et 44, et arrêt du 12 septembre 2013, Valeo Vision/Commission, T‑457/11, non publié, EU:T:2013:414, point 74).

40      Selon la jurisprudence, l’expression « qui ne comportent pas de mesures d’exécution », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, doit être interprétée à la lumière de l’objectif de cette disposition. Il consiste, ainsi qu’il ressort de sa genèse, à éviter qu’un particulier soit contraint d’enfreindre le droit pour pouvoir accéder au juge. Or, lorsqu’un acte réglementaire produit directement des effets sur la situation juridique d’une personne physique ou morale sans requérir des mesures d’exécution, cette dernière risquerait d’être dépourvue d’une protection juridictionnelle effective si elle ne disposait pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union aux fins de mettre en cause la légalité de cet acte réglementaire. En effet, en l’absence de mesures d’exécution, une personne physique ou morale, bien que directement concernée par l’acte en question, ne serait en mesure d’obtenir un contrôle juridictionnel de cet acte qu’après avoir violé les dispositions dudit acte en se prévalant de l’illégalité de celles-ci dans le cadre des procédures ouvertes à son égard devant les juridictions nationales (arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 27, et du 28 octobre 2020, Associazione GranoSalus/Commission, C‑313/19 P, non publié, EU:C:2020:869, point 31).

41      La Cour a, par ailleurs, itérativement jugé que, aux fins d’apprécier si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE. Il est donc sans pertinence de savoir si l’acte en question comporte des mesures d’exécution à l’égard d’autres justiciables (arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 30, et du 28 octobre 2020, Associazione GranoSalus/Commission, C‑313/19 P, non publié, EU:C:2020:869, point 38).

42      Ainsi, la notion de « mesures d’exécution » implique, d’une part, l’adoption d’un acte, soit par les institutions, organes ou organismes de l’Union, soit par les États membres, qui soit susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et, d’autre part, que les effets juridiques de l’acte attaqué ne se matérialiseront, à l’égard des requérants, que par l’intermédiaire de ces mesures d’exécution (arrêt du 27 avril 2022, Roos e.a./Parlement, T‑710/21, T‑722/21 et T‑723/21, EU:T:2022:262, point 46).

43      À cela s’ajoute que le Tribunal a déjà jugé que peuvent seulement constituer des mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, des mesures que les organes ou organismes de l’Union ou les autorités nationales adoptent dans le cours normal des affaires. Si, dans le cours normal des affaires, les organes ou organismes de l’Union et les autorités nationales n’adoptent aucune mesure pour mettre en œuvre l’acte réglementaire et pour concrétiser ses conséquences pour chacun des opérateurs concernés, cet acte réglementaire ne comporte pas de mesures d’exécution (arrêt du 14 janvier 2016, Doux/Commission, T‑434/13, non publié, EU:T:2016:7, point 44).

44      Pour vérifier si l’acte attaqué comporte des mesures d’exécution, il convient de se référer exclusivement à l’objet du recours et, dans le cas où un requérant ne demande que l’annulation partielle d’un acte, ce sont seulement les mesures d’exécution que cette partie de l’acte comporte éventuellement qui doivent le cas échéant être prises en considération (arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 31).

45      En l’espèce, le présent recours ne vise pas l’intégralité de la décision d’exécution 2022/2506 mais uniquement la disposition attaquée. Il y a donc lieu de déterminer si ladite disposition comporte des mesures d’exécution à l’égard de la requérante, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 41 à 44 ci-dessus.

46      La disposition attaquée institue l’interdiction de contracter des engagements juridiques avec, notamment, les entités détenues par les fiducies (trusts) d’intérêt public établi(e)s sur la base de la loi hongroise IX. Elle n’attribue donc pas à la Commission ni à une quelconque autre autorité, organe ou organisme, le pouvoir d’adopter des décisions ou des mesures contraignantes.

47      Il ressort au contraire clairement du libellé de la disposition attaquée que l’interdiction de contracter des engagements juridiques avec les entités concernées est autosuffisante et a pour conséquence immédiate, à compter du 16 décembre 2022, date à laquelle la décision d’exécution 2022/2506 a pris effet, d’interdire de contracter avec ces entités tout engagement juridique, sans que la Commission ou, ainsi que le soutient le Conseil, les agences exécutives de l’Union ou les autorités nationales ne doivent adopter de « mesures d’exécution supplémentaires » ou de « décisions spécifiques ».

48      Or, la requérante est précisément une « entité détenue » par une fiducie d’intérêt public établie sur la base de la loi hongroise IX. En effet, l’annexe 1 de la loi hongroise IX, qui fait partie intégrante de ladite loi et qui s’intitule « fiducies [trusts] d’intérêt public exerçant des missions publiques et leurs missions publiques », comporte, en sa partie A, une liste de « fiducies [trusts] d’intérêt public créé(e)s par l’État et exerçant des missions publiques et leurs missions publiques », dans laquelle sont reprises 30 fiducies (trusts). Pour 21 d’entre-elles, sont également mentionnées l’entité à l’égard de laquelle elles exercent leurs droits en tant que « fondatrices, propriétaires et détentrices ».

49      Parmi les fiducies (trusts) listé(e)s à l’annexe 1 partie A, de la loi hongroise IX, Nemzeti Egészségügyi és Orvosképzésért Alapítvány, y est mentionnée au point 18 comme exerçant ses droits en tant que « fondatrice, propriétaire et détentrice » de la requérante, assurant la mise en œuvre de ses conditions de fonctionnement et de ses objectifs de développement institutionnel.

50      La requérante est donc mentionnée dans l’annexe 1, partie A, de la loi hongroise IX en tant qu’entité détenue par une fiducie (trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de ladite loi. Par ailleurs, force est de constater que le Conseil a reconnu que la requérante doit être considérée comme une entité détenue par une fiducie (un trust) d’intérêt public, au sens de la loi hongroise IX.

51      Ainsi, la Commission et les agences exécutives de l’Union ainsi que, le cas échéant, les autorités nationales, sont tenues, dans le cours normal des affaires, de respecter l’interdiction de contracter des engagements juridiques avec cette entité ou avec la requérante. La matérialisation des effets juridiques de cette interdiction ne nécessite donc aucune mesure d’exécution puisque l’entrée en vigueur de la décision d’exécution 2022/2506 fait à elle seule obstacle à la conclusion de tels engagements juridiques.

52      Certes, le Conseil soutient que l’interdiction établie par la disposition attaquée ne s’appliquerait pas automatiquement, mais nécessiterait une décision spécifique, par exemple en refusant expressément de conclure une convention de subvention dans le cadre d’un appel à propositions Erasmus ou Horizon.

53      Le Tribunal rappelle toutefois qu’il serait artificiel d’exiger d’un opérateur qu’il demande un acte d’exécution dans le seul but de pouvoir contester celui-ci devant les juridictions nationales, lorsqu’il est évident qu’une telle demande résultera nécessairement en un refus (voir arrêts du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 90 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 102 et jurisprudence citée). Il convient d’éviter que des requérants soient contraints d’adopter un comportement voué, avec une certitude absolue, à l’échec pour accéder au juge (ordonnance du 12 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission, T‑866/19, non publiée, EU:T:2021:480, point 75). L’argumentation du Conseil à cet égard ne saurait donc convaincre.

54      Partant, il y a lieu de conclure que la disposition attaquée constitue une disposition réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution à l’égard de la requérante, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

 Sur l’affectation directe de la requérante

55      Selon la jurisprudence, l’exigence selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux conditions soient cumulativement réunies, à savoir que l’acte contesté, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de la partie requérante et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 43 et jurisprudence citée).

56      Il en va de même lorsque la possibilité pour ses destinataires de ne pas donner suite à un acte de l’Union est purement théorique, leur volonté de tirer des conséquences conformes à celui-ci ne faisant aucun doute (voir arrêt du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 44 et jurisprudence citée).

57      S’agissant de la première des deux conditions cumulatives devant être remplies pour qu’une affectation directe de la requérante soit constatée, il convient notamment de déterminer quels sont les effets juridiques de la décision attaquée. À cet égard, il y a lieu de s’attacher notamment à son objet, à son contenu, à sa portée, à sa substance ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel elle est intervenue [arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 66].

58      S’agissant de la seconde des deux conditions cumulatives, laquelle implique d’apprécier si un acte laisse à ses destinataires une marge d’appréciation en vue de sa mise en œuvre, il y a lieu d’examiner les effets juridiques produits par les dispositions de cet acte, qui sont visées par le recours, sur la situation de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE (voir arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 98 et jurisprudence citée).

59      Par ailleurs, la seule circonstance que, pour l’application de l’acte dont l’annulation est demandée, intervienne une mesure nationale d’exécution ne permet pas d’exclure que le particulier requérant puisse être considéré comme étant directement concerné par l’acte en cause, à la condition, toutefois, que l’État membre chargé de la mise en œuvre de celui-ci ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation autonome quant à l’imposition desdits effets à ce particulier (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 74, et du 18 octobre 2023, Zippo Manufacturing et Zippo/Commission, T‑402/20, EU:T:2023:640, point 33 et jurisprudence citée).

60      Dans une telle situation, l’intervention de la décision nationale présente un caractère d’automaticité et la situation juridique du requérant doit être considérée comme étant directement affectée par la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, EU:C:2009:529, points 45 et 46 et jurisprudence citée).

61      En l’espèce, en ce qui concerne la condition en vertu de laquelle la mesure contestée doit produire directement des effets sur la situation juridique de la requérante, le Tribunal rappelle que, aux termes de la disposition attaquée, lorsque « la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, conformément à l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement […] 2018/1046, aucun engagement juridique n’est contracté avec une fiducie (un trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX de 2021 ou avec une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) d’intérêt public. »

62      La disposition attaquée fait ainsi expressément référence à la loi hongroise IX lorsqu’elle dispose que les fiducies (trusts) avec lesquels aucun engagement juridique ne peut être contracté sont celles (ceux) établi(e)s sur la base de ladite loi, ce que les parties ne contestent pas. Les parties s’opposent en revanche quant à la question de savoir si la notion d’« entité détenue » par de telles fiducies (de tels trusts) doit être interprétée conformément au droit hongrois ou si, au contraire, il s’agit d’un concept autonome du droit de l’Union.

63      Le Tribunal estime que cette question est inopérante, dès lors qu’il résulte d’une lecture littérale des termes « une entité détenue par une telle fiducie (un tel trust) » que les entités détenues par une fiducie (un trust) d’intérêt public qui est établi(e) sur la base de la loi hongroise IX sont expressément visées par la disposition attaquée.

64      Or, la requérante est une entité détenue par une fiducie d’intérêt public établie sur la base de la loi hongroise IX, ainsi qu’il ressort des points 48 à 50 ci-dessus.

65      Dans ces circonstances, la disposition attaquée produit directement des effets sur la situation juridique de la requérante en instituant une interdiction de contracter des engagements juridiques avec elle, en tant qu’entité détenue par une fiducie (un trust) d’intérêt public établi(e) sur la base de la loi hongroise IX.

66      La disposition attaquée affecte ainsi nécessairement la possibilité pour la requérante de contracter des engagements juridiques, dans le cadre de l’exécution, par la Commission, du budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, conformément à l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).

67      En outre, il convient de préciser que, à supposer même que la notion d’« entité détenue » par une fiducie (un trust) d’intérêt public puisse correspondre à des entités détenues par des fiducies (trusts) autres que celles mentionnées dans l’annexe 1 de la loi hongroise n° IX, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur l’issue du litige puisque, comme indiqué au point 49 ci-dessus, la fiducie détenant la requérante figure dans ladite annexe.

68      Par conséquent, la première condition de l’affectation directe est remplie.

69      En ce qui concerne la seconde condition tirée de l’absence de marge d’appréciation des destinataires chargés de la mise en œuvre de la mesure du droit de l’Union contestée, le Tribunal déduit du libellé clair de la disposition attaquée, et notamment de l’usage de l’indicatif présent, que cette disposition fait peser, en des termes impératifs, une interdiction, dans le cadre de l’exécution du budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, de contracter des engagements juridiques avec les fiducies (trusts) d’intérêt public établi(e)s sur la base de la loi hongroise IX ou avec les entités détenues par de telles fiducies (de tels trusts) d’intérêt public, telle que la requérante.

70      La disposition attaquée est conçue comme une disposition revêtue d’un caractère contraignant à l’égard de la Commission et des autorités en charge de l’exécution du budget de l’Union en gestion directe ou indirecte. Elle ne prévoit l’exercice d’aucun pouvoir d’appréciation ni l’adoption de mesures nationales pour que l’interdiction en cause entre en vigueur et soit ainsi appliquée aux entités concernées, dont la requérante.

71      Il en résulte que la mise en œuvre de la disposition attaquée a un caractère purement automatique et obligatoire à compter du 16 décembre 2022, date à laquelle la décision d’exécution 2022/2506 a pris effet, découlant de la seule réglementation de l’Union, sans que la Commission chargée de sa mise en œuvre, une agence exécutive de l’Union ou une autorité nationale, ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation à cet égard.

72      Par conséquent, la seconde des deux conditions cumulatives de l’affectation directe est également remplie.

73      Les arguments du Conseil relatifs à l’obligation pour la Hongrie de protéger les destinataires et les bénéficiaires finaux des fonds de l’Union, conformément à l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092, ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

74      En effet, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 que les États membres concernés par l’obligation de protéger les destinataires et les bénéficiaires finaux des fonds de l’Union sont ceux visés au paragraphe 1, point b), dudit article. Or, cette disposition porte sur l’exécution du budget de l’Union en gestion partagée entre la Commission et les autorités nationales.

75      Le considérant 63 de la décision d’exécution 2022/2506, qui renvoie à cet article pour préciser que ladite décision est sans incidence sur les obligations de la Hongrie à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires des fonds de l’Union, doit donc s’entendre comme renvoyant aux obligations de cet État membre dans le cadre de l’exécution du budget de l’Union en gestion partagée avec la Commission.

76      Or, le présent recours tend à l’annulation de la disposition attaquée, qui porte interdiction de contracter des engagements juridiques avec certaines entités lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, conformément à l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement 2018/1046, et non en gestion partagée, sur le fondement du paragraphe 1, point b), dudit article.

77      L’argumentation du Conseil à cet égard est donc inopérante.

78      En tout état de cause, à supposer même que l’application de la disposition attaquée nécessite l’intervention d’une mesure nationale d’exécution, il ressort de la jurisprudence citée au point 59 ci-dessus que cette seule circonstance ne permet pas d’exclure que la requérante puisse être considérée comme étant directement concernée par ladite disposition, à la condition, toutefois, que les autorités chargées de la mise en œuvre de celle-ci ne disposent d’aucun pouvoir d’appréciation autonome. Dans une telle situation, l’intervention de la mesure d’exécution présente un caractère d’automaticité et la situation juridique de la requérante doit être considérée comme étant directement affectée par la disposition attaquée.

79      Or, ainsi que relevé aux points 69 à 71 ci-dessus, le libellé de la décision d’exécution 2022/2506 ne laisse subsister aucun doute quant aux conséquences à tirer de la disposition attaquée. La Commission et les autorités chargées de l’exécution du budget de l’Union en gestion directe ou indirecte sont tenues par une interdiction claire, précise et expresse de contracter des engagements juridiques avec les fiducies (trusts) d’intérêt public établi(e)s sur la base de loi hongroise IX et les entités détenues par de telles fiducies (de tels trusts) d’intérêt public, qui résulte directement de ladite disposition, sans pouvoir bénéficier d’une marge d’appréciation autonome à cet égard.

80      Partant, depuis l’entrée en vigueur de la disposition attaquée, la Commission et les autorités chargées de l’exécution du budget de l’Union en gestion directe ou indirecte sont tenues de respecter l’interdiction en cause et ne sauraient contracter un engagement juridique avec une entité telle que la requérante.

81      La condition relative à l’affectation directe de la requérante est donc également remplie.

82      Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil doit être rejetée sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, sans qu’il soit besoin d’examiner si la requérante est directement et individuellement concernée par la disposition attaquée.

 Sur les dépens

83      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance ne mettant pas fin à l’instance, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      L’exception d’irrecevabilité est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 4 avril 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. J. Costeira


*      Langue de procédure : l’anglais