Language of document : ECLI:EU:T:2021:393

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

30 juin 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’un manche avec une brossette – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑624/19,

Welter’s Co. Ltd, établie à Touliu (Taïwan), représentée par Me T. Meinke, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Söder, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 11 juillet 2019 (affaire R 2428/2018-5), concernant une demande d’enregistrement d’un signe tridimensionnel constitué par la forme d’un manche avec une brossette comme marque de l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 17 septembre 2019,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 10 décembre 2019,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 18 mai 2018, la requérante, Welter’s Co. Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe tridimensionnel suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent, notamment, de la classe 21 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Brosses ; matériaux pour la brosserie ; cure-dents ; peignes ; brosses à dents ; brossettes interdentaires pour nettoyer les dents ».

4        Par décision du 18 octobre 2018, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement de ladite marque pour les produits visés au point 3 ci-dessus, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

5        Le 12 décembre 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur.

6        Par décision du 11 juillet 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que, premièrement, le public pertinent en l’espèce était constitué, d’une part, du grand public et, d’autre part, du public spécialisé (artisans ou employés d’un cabinet dentaire) dans l’ensemble de l’Union européenne, faisant preuve d’une attention moyenne (point 16 de la décision attaquée), deuxièmement, le signe demandé concernait une marque tridimensionnelle, reproduite suivant différentes perspectives, montrant un objet allongé, fin, de couleur blanche, à l’extrémité duquel se trouvait une petite brosse formant une espèce de losange, tandis que l’extrémité libre du fin manche était aplatie, biseautée et présentait une surface striée, le manche lui-même comportant plusieurs rainures circulaires (point 17 de la décision attaquée), troisièmement, les caractéristiques citées par la requérante n’étaient pas propres à conférer au signe une fonction d’origine en tant que marque, dès lors que l’impression d’ensemble produite par le signe se limitait à la combinaison d’éléments fonctionnels et purement décoratifs (points 18 à 23 de la décision attaquée), de sorte que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 (point 25 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de « condamner l’EUIPO à inscrire la marque demandée au registre des marques de l’Union européenne pour les autres produits de la classe 21, à savoir [les] “brosses ; matériaux pour la brosserie ; cure-dents ; peignes ; brosses à dents ; brossettes interdentaires pour nettoyer les dents” ».

8        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

9        Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal, l’EUIPO fait valoir que le recours est irrecevable, dès lors que, d’une part, l’unique chef de conclusions présenté par la requérante serait lui-même irrecevable et, d’autre part, un exposé suffisamment clair des moyens invoqués, au sens de l’article 21, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, paragraphe 1, du même statut, et de l’article 177, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, ferait défaut, la requérante ne faisant grief de la violation d’aucune norme dans la requête.

10      Concernant le premier motif d’irrecevabilité invoqué par l’EUIPO, il ressort, certes, de la jurisprudence que le Tribunal est compétent, en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, pour réformer la décision de la chambre de recours. Cela étant, ce pouvoir de réformation vise à ce que le Tribunal adopte la décision que la chambre de recours aurait dû prendre, conformément aux dispositions du règlement 2017/1001, ce qui implique que la recevabilité d’une demande en réformation doit être appréciée au regard des compétences qui sont conférées à ladite chambre de recours [voir arrêt du 18 octobre 2016, Raimund Schmitt Verpachtungsgesellschaft/EUIPO (Brauwelt), T‑56/15, EU:T:2016:618, point 12 et jurisprudence citée].

11      À cet égard, dans le cadre d’un recours introduit à l’encontre d’une décision de l’examinateur, conformément à l’article 66, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, une chambre de recours ne peut être amenée à se prononcer, au regard des compétences qui lui sont conférées à l’article 71, paragraphe 1, du même règlement, que sur certaines des conditions d’enregistrement de la marque de l’Union européenne, à savoir soit sur la conformité de la demande d’enregistrement aux dispositions dudit règlement, soit sur le sort de l’opposition dont celle-ci peut faire l’objet [ordonnance du 30 juin 2009, Securvita/OHMI (Natur-Aktien-Index), T‑285/08, EU:T:2009:230, point 21].

12      Il est également vrai qu’il a déjà été jugé qu’une chambre de recours n’était pas compétente pour connaître d’une demande visant à ce qu’elle enregistre une marque de l’Union européenne [voir ordonnance du 17 mai 2017, Piper Verlag/EUIPO (THE TRAVEL EPISODES), T‑164/16, non publiée, EU:T:2017:352, point 24 et jurisprudence citée], de sorte que la mesure visée dans le chef de conclusions en cause ne figure pas parmi celles pouvant être prises par le Tribunal au titre de son pouvoir de réformation, consacré à l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 [voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, EU:T:2004:223, point 19 et jurisprudence citée].

13      Si l’unique chef de conclusions devait être interprété comme visant la réformation de la décision attaquée, il serait donc irrecevable, comme le fait valoir à juste titre l’EUIPO.

14      Toutefois, il convient de juger qu’il ressort du contenu de la requête que, par l’unique chef de conclusions, la requérante demande non seulement la réformation de la décision attaquée, mais aussi l’annulation de cette dernière [voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2013, Budziewska/OHMI – Puma (Félin bondissant), T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584, point 18 et jurisprudence citée]. En effet, ceci ressort tant du point 2 de la requête selon lequel la requérante « [conteste] la légalité de la décision attaquée » que de l’acte déposé au greffe du Tribunal le 10 mars 2020, par lequel la requérante clarifie, notamment, qu’elle demande l’annulation de la décision attaquée.

15      Il s’ensuit que, dans la mesure où l’unique chef de conclusions de la requérante doit être interprété comme visant également l’annulation de la décision attaquée, il est recevable. Le premier motif d’irrecevabilité invoqué par l’EUIPO doit donc être rejeté dans cette mesure.

16      S’agissant du second motif d’irrecevabilité invoqué par l’EUIPO, il ressort de la jurisprudence que ce dernier a citée que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 177, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, contenir l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même [voir ordonnance du 4 juillet 2018, Lackmann Fleisch- und Feinkostfabrik/EUIPO (Купеческая), T‑236/18, non publiée, EU:T:2018:413, point 3 et jurisprudence citée].

17      En l’espèce, il ressort du point 2 de la requête que la requérante « [conteste] la légalité de la décision attaquée » et de son point 4 qu’elle est d’avis que l’« on ne saurait dénier tout caractère distinctif à la marque tridimensionnelle demandée pour les produits » visés au point 3 ci-dessus. Étant donné que l’examinateur avait rejeté l’enregistrement de la marque demandée pour lesdits produits sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, pour cause d’absence de caractère distinctif (voir point 4 ci-dessus), et que la chambre de recours a, en substance, confirmé cette appréciation dans la décision attaquée (voir point 6 ci-dessus), il ressort de manière suffisamment claire et précise de la requête que la requérante soulève un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

18      Il convient, par ailleurs, d’observer que l’EUIPO lui-même a bien compris la requête en ce sens. En effet, celui-ci a consacré une section entière, intitulée « [a]rticle 7, paragraphe 1, [sous] b), du règlement […] 2017/1001 » (points 21 à 50 de son mémoire en réponse), aux arguments avancés par la requérante dans la requête. Il s’ensuit que la requête était suffisamment claire et précise pour permettre à l’EUIPO de préparer sa défense.

19      Il s’ensuit que le second motif d’irrecevabilité invoqué par l’EUIPO doit également être rejeté.

 Sur le fond

20      La requérante invoque, en substance, un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Selon elle, la chambre de recours n’était pas fondée à soutenir que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif, au sens de ladite disposition.

21      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante et fait valoir que la marque demandée est bien dépourvue de caractère distinctif.

22      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

23      Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

24      Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Toutefois, dans le cadre de l’application de ces critères, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou sur celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif s’agissant d’une marque tridimensionnelle que s’agissant d’une marque verbale ou figurative (arrêts du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 30, et du 20 octobre 2011, Freixenet/OHMI, C‑344/10 P et C‑345/10 P, EU:C:2011:680, points 45 et 46).

25      Dans ces conditions, plus la forme dont l’enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de ladite disposition (arrêts du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 31).

26      Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35 et jurisprudence citée).

27      Afin d’apprécier si une marque est ou non dépourvue de caractère distinctif, il convient de prendre en considération l’impression d’ensemble qu’elle produit. Cela ne saurait toutefois impliquer qu’il n’y ait pas lieu de procéder, dans un premier temps, à un examen successif des différents éléments de présentation utilisés pour cette marque. En effet, il peut être utile, au cours de l’appréciation globale, d’examiner chacun des éléments constitutifs de la marque concernée (voir arrêt du 25 octobre 2007, Develey/OHMI, C‑238/06 P, EU:C:2007:635, point 82 et jurisprudence citée).

28      En l’espèce, comme le relève la chambre de recours au point 16 de la décision attaquée, les produits visés au point 3 ci-dessus, pour lesquels elle a considéré que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, à savoir les « brosses ; matériaux pour la brosserie ; cure-dents ; peignes ; brosses à dents ; brossettes interdentaires pour nettoyer les dents » compris dans la classe 21, s’adressent, d’une part, au grand public et, d’autre part, au public spécialisé (artisans ou employés d’un cabinet dentaire) dans l’ensemble de l’Union. La chambre de recours a précisé que, s’agissant de biens d’usage quotidien se situant plutôt dans le secteur des bas prix, le niveau d’attention de ce public devait être qualifié de moyen. Les parties ne remettent pas en cause cette appréciation de la chambre de recours, qui doit donc être entérinée.

29      S’agissant du signe demandé, il est constant qu’il s’agit d’un signe tridimensionnel constitué par la forme du produit lui-même dont six différentes perspectives sont présentées.

30      La chambre de recours a considéré, au point 17 de la décision attaquée, que ces six illustrations montraient un objet allongé, fin, de couleur blanche, à l’extrémité duquel se trouvait une petite brosse formant une espèce de losange. Elle a indiqué que l’extrémité libre du fin manche était aplatie, biseautée et présentait une surface striée, et que le manche lui-même comportait plusieurs rainures circulaires.

31      La requérante avance quatre aspects du signe demandé, qui impliquent, selon elle, que celui-ci diverge, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur des produits en cause. Comme il ressort du point 18 de la décision attaquée, ces aspects sont les mêmes que ceux que la requérante avait déjà avancés devant la chambre de recours.

32      Au point 19 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que ces éléments ou caractéristiques n’étaient pas propres à conférer à la forme une fonction d’origine en tant que marque. Selon la chambre de recours, la forme du signe demandé était semblable à celle d’un cure-dents, d’une petite brosse ou d’un petit peigne. En outre, selon la chambre de recours, tous ces éléments avaient un rôle purement fonctionnel ou décoratif.

33      S’agissant du rôle purement fonctionnel allégué par la chambre de recours, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement 2017/1001 que sont refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Cependant, il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours n’a pas invoqué l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement 2017/1001 et qu’elle s’est fondée sur la seule base de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 en alléguant que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif. Par conséquent, il convient d’apprécier le bien-fondé de la décision attaquée au regard du seul article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Il ressort toutefois de la jurisprudence que cela n’empêche pas de tenir compte du principe selon lequel des éléments perçus par le public pertinent comme remplissant avant tout un rôle technique et fonctionnel ne seront pas perçus comme une indication de l’origine commerciale des produits concernés [voir arrêt du 18 janvier 2013, FunFactory/OHMI (Vibrateur), T‑137/12, non publié, EU:T:2013:26, point 27 et jurisprudence citée]. Dans cette mesure, c’est à tort que la requérante avance que le rôle fonctionnel de la forme du produit faisant l’objet de la marque demandée est dénué de pertinence sur le plan juridique.

34      Ainsi, il y a lieu de vérifier si la chambre de recours était fondée à considérer que les caractéristiques mises en avant par la requérante remplissent avant tout un rôle technique et fonctionnel.

35      En premier lieu, la requérante insiste sur la disposition et la forme des petites brosses en plastique disposées perpendiculairement au manche. Celles-ci seraient tout à fait inhabituelles et sans précédent, de sorte que la forme dont l’enregistrement est demandé divergerait totalement des habitudes du secteur et de toute norme potentielle.

36      À cet égard, la chambre de recours a considéré, au point 19 de la décision attaquée, que cette petite brosse située à une extrémité du manche servait à nettoyer des objets ou des parties du corps, par exemple les dents. De petites brosses similaires pourraient être trouvées notamment dans les brossettes interdentaires utilisées pour nettoyer les espaces interdentaires.

37      En deuxième lieu, la requérante relève que l’autre extrémité de la forme n’est pas seulement aplatie, mais également biseautée et qu’elle présente une surface striée.

38      S’agissant de cette autre extrémité, la chambre de recours a relevé, au point 20 de la décision attaquée, qu’elle servait également à nettoyer des objets ou des parties du corps. Cette extrémité biseautée et plate serait donc particulièrement adaptée à l’élimination d’impuretés, notamment dans les espaces interdentaires.

39      En troisième lieu, la requérante considère que la forme du manche est spéciale, car présentant plusieurs rétrécissements circulaires de chaque côté du cure-dents, au niveau de la jonction avec les extrémités de celui-ci.

40      Concernant ce point, la chambre de recours a considéré, au point 20 de la décision attaquée, que les rainures du manche pouvaient également servir une finalité, étant donné qu’elles permettaient que les doigts puissent mieux tenir la brosse et ne glissent pas.

41      En quatrième lieu, la requérante considère que les onze petites brosses transverses qui, vues du dessus, sont disposées à peu près en losange le long du « mât d’antenne » forment une sorte d’« antenne », induisant ainsi un effet de reconnaissance prononcé, dès lors que cette partie serait unique sur le marché et particulièrement remarquable.

42      À cet égard, la chambre de recours a considéré, au point 19 de la décision attaquée, que cette forme de la brosse « en losange » ou « analogue à une antenne » ne s’expliquait également que par des considérations purement fonctionnelles. De par sa forme en losange, la pointe de la brosse présenterait un diamètre réduit. Les poils seraient en fait plus courts à la pointe de la brosse. Par conséquent, il serait plus facile, par exemple, d’introduire la brosse dans les espaces interdentaires. Elle se prêterait donc particulièrement bien au nettoyage d’espaces interdentaires importants ou d’appareils dentaires fixes. Ce serait la raison pour laquelle il existerait sur le marché des brossettes interdentaires coniques présentant les mêmes caractéristiques.

43      Comme le fait valoir à juste titre, en substance, l’EUIPO, la requérante n’avance aucun argument concret pour contester ces constats de la chambre de recours selon lesquels ces quatre aspects de la marque demandée, mis en avant par la requérante, remplissent, pour l’essentiel, un rôle technique et fonctionnel. Étant donné que ces considérations de la chambre de recours ne paraissent pas entachées d’erreurs, la chambre de recours ne saurait être critiquée pour en avoir conclu, en substance, que, au vu de leur rôle avant tout fonctionnel, ces caractéristiques ne seront pas perçues comme une indication de l’origine commerciale des produits concernés.

44      Aux points 21 et 22 de la décision attaquée, la chambre de recours a, en outre, considéré qu’aucune des caractéristiques de la forme demandée ne permettait aux consommateurs de la percevoir comme des « brosses ; cure-dents ; peignes ; brosses à dents ; brossettes interdentaires pour nettoyer les dents » divergeant de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Selon la chambre de recours, les « matériaux pour la brosserie » pouvaient également comprendre des peignes et des brosses servant à l’alignement, au grattage ou au nettoyage des poils à traiter. Ladite forme présenterait un écart négligeable par rapport à celle des « cure-dents », des « brosses » et des « peignes » qui pourraient être trouvés communément dans le commerce. À cet égard, la chambre de recours s’est référée aux reproductions de « cure-dents », de « peignes » et de « brosses » de forme similaire que l’examinateur avait identifiées sur Internet.

45      En particulier, la chambre de recours a renvoyé au produit « Brush Sticks » de la marque Dontodent qui comporterait une brosse conique très similaire :

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46      Le fait que le produit dont la forme fait l’objet du signe demandé associe la fonction d’un cure-dents classique à celle d’une brossette interdentaire ne conduirait pas à ce que la forme dans son ensemble soit perçue comme possédant un caractère distinctif. Il s’agirait, au contraire, d’une variante mineure de formes courantes, dont les composants auraient tous un rôle purement fonctionnel ou décoratif. Dans l’ensemble, la configuration demandée ne présenterait pas de particularités en ce qui concerne la catégorie pertinente des produits.

47      Au regard de ces considérations de la chambre de recours énoncées sur la base de représentations de produits similaires, c’est à tort que la requérante reproche à celle-ci de n’avoir pas même apporté un commencement de preuve du caractère habituel du signe demandé. En effet, comme l’avance à juste titre l’EUIPO, la requérante ne conteste pas que les produits faisant l’objet de ces représentations sont effectivement proposés sur le marché et elle n’expose pas en quoi l’objet représenté par le signe demandé différerait de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur mises en évidence par ces représentations.

48      Dans ce contexte, c’est également à juste titre que l’EUIPO relève que, en ce que la requérante affirme qu’il suffirait que la forme du produit dont l’enregistrement en tant que marque tridimensionnelle est demandé diffère nettement de la forme typique du produit en cause, elle semble vouloir appliquer un standard légèrement différent que celui retenu par la jurisprudence, à savoir que seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 (voir point 25 ci-dessus). En effet, dans la mesure où la requérante fait valoir que la marque demandée se démarque de la forme couramment employée dans le secteur, il y a lieu de rappeler, à l’instar de l’EUIPO, que la marque demandée doit diverger, de manière significative, de l’ensemble des formes qui correspondent aux normes ou aux habitudes du secteur.

49      Or, comme il a été constaté aux points 43 et 47 ci-dessus, la requérante n’avance pas d’arguments concrets pour contester, de manière étayée, d’une part, le constat de la chambre de recours selon lequel les quatre aspects de la marque demandée mis en avant par la requérante remplissent, pour l’essentiel, un rôle technique et fonctionnel et, d’autre part, que les représentations de produits auxquelles s’est référée la chambre de recours font état de ce que la marque demandée ne constitue qu’une variante mineure de formes courantes et, de ce fait, ne diverge pas, de manière significative, des normes ou des habitudes du secteur.

50      En effet, c’est à juste titre que la chambre de recours a insisté, en particulier, sur le fait que le produit « Brush Sticks » de la marque « Dontodent » était très semblable au produit dont la forme fait l’objet du signe demandé. Les différences entre ces deux produits sont effectivement marginales et donnent l’impression que la marque demandée ne constitue en réalité qu’une variante d’une des formes habituelles de ce type de produits, ce qui ne suffit pas pour établir que la marque demandée n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 32).

51      Le produit représenté par le signe demandé étant ainsi fortement semblable au produit « Brush Sticks », il y a, en outre, lieu de rejeter l’argument de la requérante tiré de ce que la forme qu’elle a choisie serait originale. C’est également à tort que la requérante fait valoir qu’il n’existerait aucune raison de favoriser la concurrence en refusant d’accorder au signe demandé la protection du droit des marques. Le refus d’enregistrement d’une marque ne favorise pas la concurrence, mais empêche le demandeur d’obtenir l’avantage d’un droit exclusif.

52      Dans la mesure où la requérante renvoie à des décisions antérieures des chambres de recours ou d’autres instances de l’EUIPO concernant l’enregistrement de marques, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que l’EUIPO est tenu d’exercer ses compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe d’égalité de traitement et le principe de « bonne administration ». Eu égard à ces deux derniers principes, l’EUIPO doit, dans le cadre de l’instruction d’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens. Cela étant, les principes d’égalité de traitement et de « bonne administration » doivent se concilier avec le respect de la légalité. Par conséquent, la personne qui demande l’enregistrement d’un signe en tant que marque ne saurait invoquer à son profit une illégalité éventuelle commise en faveur d’autrui afin d’obtenir une décision identique. Au demeurant, pour des raisons de sécurité juridique et, précisément, de bonne administration, l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet afin d’éviter que des marques ne soient enregistrées de manière indue. Cet examen doit avoir lieu dans chaque cas concret. En effet, l’enregistrement d’un signe en tant que marque dépend de critères spécifiques, applicables dans le cadre des circonstances factuelles du cas d’espèce, destinés à vérifier si le signe en cause ne relève pas d’un motif de refus (voir arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, points 73 à 77 et jurisprudence citée).

53      En l’espèce, il s’est avéré que, contrairement à ce qui a pu être le cas de certaines demandes antérieures d’enregistrement de signes tridimensionnels constitués par la forme du produit en tant que marques, la chambre de recours était fondée à considérer que la présente demande d’enregistrement se heurtait au motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Dans ces circonstances, la requérante ne peut pas utilement invoquer, aux fins d’infirmer cette conclusion, des décisions antérieures de l’EUIPO.

54      En tout état de cause, c’est à juste titre que l’EUIPO fait valoir, en substance, que la requérante se limite, pour l’essentiel, à faire référence à des décisions antérieures des chambres de recours ou d’autres instances de l’EUIPO concernant l’enregistrement de marques sans pour autant indiquer précisément les motifs qui pourraient remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours dans la décision attaquée.

55      Dans la mesure où la requérante se réfère, de manière plus circonstanciée, à la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 25 octobre 2004 (affaire R 278/2004‑4), il suffit de constater, à l’instar de l’EUIPO, que cette décision concernait une demande d’enregistrement non pas d’une marque tridimensionnelle constituée par le produit lui-même, mais plutôt d’une marque figurative. Or, si la jurisprudence a clarifié que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont, en principe, pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, elle a néanmoins développé des règles spécifiques qui ne sont applicables qu’à cette première catégorie de marques (voir points 24 et 25 ci-dessus).

56      C’est également à juste titre que l’EUIPO fait valoir que la troisième chambre de recours n’a pas pu établir, dans sa décision du 4 avril 2001 (affaire R 321/2000‑3), mentionnée par la requérante, un principe général selon lequel toute marque de forme comportant des rainures serait reconnue comme distinctive par les consommateurs pertinents. En effet, en l’espèce, la chambre de recours a pu constater à bon droit que les rainures du manche pouvaient également servir une finalité, étant donné qu’elles permettaient que les doigts puissent mieux tenir la brosse et ne glissent pas, et que ces rainures, au vu de leur rôle plutôt fonctionnel, n’étaient pas perçues comme une indication de l’origine commerciale des produits concernés (voir points 39, 40 et 43 ci-dessus).

57      S’agissant de la marque allemande mentionnée par la requérante, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que les enregistrements d’ores et déjà effectués dans des États membres ne constituent que des éléments qui, sans être déterminants, peuvent seulement être pris en considération aux fins de l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne [arrêts du 16 février 2000, Procter & Gamble/OHMI (Forme d’un savon), T‑122/99, EU:T:2000:39, point 61, et du 19 septembre 2001, Henkel/OHMI (Tablette ronde rouge et blanc), T‑337/99, EU:T:2001:221, point 58]. Par suite, le seul renvoi à l’enregistrement de cette marque nationale ne saurait infirmer les appréciations de la chambre de recours.

58      Enfin, en ce qui concerne la référence faite par la requérante à l’arrêt du 14 décembre 2011, Vuitton Malletier/OHMI – Friis Group International (Représentation d’un dispositif de verrouillage) (T‑237/10, non publié, EU:T:2011:741), il ressort, certes, en substance, du point 79 de cet arrêt qu’un minimum de caractère distinctif suffit pour justifier l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit lui-même. Cependant, c’est à juste titre que l’EUIPO fait valoir que, en l’espèce, un tel minimum de caractère distinctif fait défaut.

59      Au vu de tout ce qui précède, il y a donc lieu de conclure que la chambre de recours n’a pas commis d’erreurs en considérant que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Par suite, il convient de rejeter le moyen unique tiré d’une violation de cette disposition comme non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

61      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Welter’s Co. Ltd est condamnée aux dépens.

Collins

Kreuschitz

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.