Language of document : ECLI:EU:T:2008:441

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

15 octobre 2008 (*)

« Agriculture – Concours financier communautaire – Irrégularité financière entachant la demande de paiement du solde – Décision de réduction du concours – Expiration du délai de prescription – Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire T‑375/05,

Azienda Agricola « Le Canne » Srl, établie à Rovigo (Italie), représentée par Mes G. Carraro et F. Mazzonetto, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Cattabriga et M. L. Visaggio, en qualité d’agents, assistés de MeA. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2005) 2939, du 26 juillet 2005, réduisant le solde restant dû d’un concours financier communautaire octroyé à la requérante pour la modernisation et l’aménagement de ses installations de pisciculture, ainsi qu’une demande d’indemnisation du préjudice découlant de cette réduction,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, E. Moavero Milanesi et L. Truchot (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par décision C (90) 1923/99, du 30 octobre 1990, adoptée sur le fondement du règlement (CEE) nº 4028/86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l’amélioration et l’adaptation des structures du secteur de la pêche et de l’aquaculture (JO L 376, p. 7), la Commission a accordé à la requérante un concours financier de 1 103 646 181  lires italiennes (LIT) (569 986 euros), soit 40 % du montant des dépenses éligibles de 2 759 115 453 LIT (1 424 964 euros), au titre de travaux de modernisation et d’aménagement de ses installations de pisciculture sises en Vénétie (projet IT/0016/90/02).

2        Un concours de 30 % des dépenses éligibles, soit 827 734 635 LIT (427 489 euros), était prévu à la charge de l’État italien.

3        Le 23 juin 1993, la Commission a payé à la requérante une première tranche de 343 117 600 LIT (177 206 euros).

4        Après l’achèvement du projet, la requérante a sollicité des autorités italiennes, le 1er août 1994, le paiement du solde du concours financier.

5        Après avoir procédé, le 1er février 1995, au contrôle de l’état final des travaux afférents au projet IT/0016/90/02, le ministère italien compétent a transmis à la requérante, le 3 juin 1995, un certificat de vérification de l’état final des travaux établi le 24 mai précédent.

6        Le certificat constatait l’existence, entre le projet et les travaux exécutés, de modifications dont l’importance aurait exigé l’approbation préalable des instances compétentes.

7        Le ministère a donc réduit à 1 049 556 101 LIT (542 050 euros) le montant des dépenses éligibles au concours au stade final du projet d’aménagement.

8        Le certificat précisait également que, à la suite de transferts de parts intervenus le 15 avril 1993, l’entreprise chargée des travaux d’aménagement, Girardello SpA, avait acquis 50 % du capital de la requérante.

9        Saisie de la demande de paiement du solde du concours en date du 5 juillet 1995, la Commission a, par ordre de paiement 12007/XIV‑A‑2 – 4/26, du 10 juillet 1995, payé à la requérante un solde de 419 822 440 LIT (216 820 euros), réduisant ainsi de 1 103 646 181 LIT (569 986 euros) à 762 940 040 LIT (394 026 euros), soit de 340 706 141 LIT (175 960 euros), le montant total du concours communautaire dû au titre des seuls travaux estimés conformes au projet initial, sur la base du certificat.

10      La requérante ayant contesté ce document et demandé son réexamen, la Commission a, par décision du 27 octobre 1995, indiqué aux autorités nationales qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur cette réduction.

11      Le recours en annulation formé par la requérante contre cette décision a été rejeté par arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997 Le Canne/Commission (T‑218/95, Rec. p. II‑2055).

12      Sur pourvoi de la requérante, la Cour a annulé cet arrêt pour erreur de droit, ainsi que la décision de réduction pour violation des formes substantielles (arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission, C‑10/98 P, Rec. p. I‑6831).

13      Après avoir, par avis du 23 novembre 1999, informé la requérante de la réouverture de la procédure de règlement du solde du concours, la Commission a réduit le montant de ce solde à concurrence de la somme précitée de 340 706 141 LIT (175 960 euros), par décision C (2000) 1754, du 11 juillet 2000.

14      Cette décision a elle-même été annulée, pour insuffisance de motivation, par l’arrêt du Tribunal du 5 mars 2002, Le Canne/Commission (T‑241/00, Rec. p. II‑1251, ci-après l’« arrêt Le Canne III »).

15      Par courrier du 24 mai 2002, la Commission a proposé à la requérante d’effectuer un contrôle sur place des travaux réalisés.

16      Les agents de la Commission ont donc procédé les 16 et 17 septembre 2002 à la vérification des aspects techniques et administratifs des travaux d’aménagement.

17      À l’issue du contrôle, ils ont constaté en définitive que les travaux exécutés, sans être en conformité avec le projet initial, étaient justifiés d’un point de vue technique et économique et pouvaient de ce fait être acceptés.

18      Lors de l’examen des justificatifs comptables, certaines transactions sont toutefois apparues suspectes aux agents de la Commission, car elles comportaient d’importants flux financiers entre la requérante et sa société mère Girardello.

19      Le dossier a alors été transmis le 13 janvier 2003 à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), en vue du contrôle des coûts déclarés par la requérante au titre des dépenses éligibles au concours financier.

20      Dans le cadre de l’enquête ouverte par l’OLAF le 31 janvier 2003, deux inspections sans préavis ont été effectuées sur place les 11 et 12 juin 2003, afin de vérifier la réalité des coûts du projet effectivement supportés par la requérante.

21      Le 9 avril 2003, la requérante a demandé à la Commission la convocation d’une réunion, avant de lui adresser, le 12 mai 2003, une mise en demeure au titre de l’article 232, deuxième alinéa, CE. La requérante invoquait l’obligation de la Commission d’adopter un acte à son égard aux fins de l’exécution de l’arrêt Le Canne III, passé en force de chose jugée.

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 août 2003, la requérante a introduit un recours visant, d’une part, à constater la carence dont aurait fait preuve la Commission en s’abstenant de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt Le Canne III et, d’autre part, à indemniser le préjudice résultant de cette abstention (affaire T‑276/03).

23      Par lettre du 15 septembre 2003, la Commission a fait observer à l’intéressée que 41 % des factures émises par Girardello ne correspondaient pas aux coûts qu’elle avait exposés.

24      Par lettre du 18 novembre 2003, la requérante a répondu que la différence entre les coûts du chantier et les montants facturés à concurrence de 265 688 484 LIT (137 217 euros), soit environ 11 % du montant total, correspondait à la marge bénéficiaire de Girardello.

25      Par lettre du 25 juin 2004, la Commission a précisé à la requérante que la qualité de bénéficiaire économique du projet d’aménagement qui devait être attribuée à Girardello en raison de ses liens financiers avec la requérante s’opposait à ce que ce bénéfice puisse être considéré comme un coût effectivement supporté par la requérante et soit, par conséquent, admis au bénéfice du concours financier.

26      La Commission a donc fait part à la requérante de son intention de procéder à une réduction du concours financier communautaire d’un montant estimé à 54 887 euros et l’a invitée à présenter ses observations sur ce point dans le délai d’un mois à compter de la réception de son courrier.

27      Par lettre du 22 juillet 2004, la requérante a proposé à la Commission une transaction comportant acquiescement de sa part à la réduction du solde du concours à concurrence de 54 887 euros, paiement par la Commission des intérêts moratoires sur ce solde à compter du 27 octobre 1995, désistement du recours en carence et reconnaissance par la Commission de la conformité au projet des modifications apportées.

28      Les négociations entre parties n’ayant pas abouti, la Commission, par décision C (2005) 2939, du 26 juillet 2005, a réduit le concours communautaire initialement octroyé à la requérante de 569 986 à 518 063 euros, soit d’un montant de 51 923 euros, en donnant les raisons suivantes :

« […]

(3)      En date du 28 décembre 1992, la bénéficiaire a présenté aux autorités nationales compétentes le premier état d’avancement des travaux, d’où il ressortait que les dépenses totales encourues jusqu’alors s’élevaient à 921 465 000 LIT (475 897 euros). Suite à un contrôle sur place effectué par lesdites autorités, il s’est avéré que les prix unitaires demandés pour certains travaux étaient supérieurs aux prix du marché. Les autorités nationales ont, de ce fait, réduit les dépenses éligibles de 63 671 000 LIT (32 883 euros) pour en ramener le montant à 857 794 000 LIT (443 014 euros) […]

(13)      Par lettre du 18 novembre 2003, la bénéficiaire […] a fait valoir notamment que la différence entre les montants facturés par Girardello et les coûts résultant de la comptabilité analytique de celle-ci se justifiait par la structure même de ladite comptabilité. Un nouveau calcul des prix de revient du chantier Le Canne, tenant compte tant des coûts directs que des coûts indirects, a également été présenté. Il en résulterait une divergence entre coûts du chantier et montants facturés de 265 688 484 LIT, soit environ 11 % du montant total facturé, qui correspondrait à la marge bénéficiaire de Girardello.

[…]

(17)      En l’espèce, la qualité de bénéficiaire au sens économique du concours communautaire ne saurait être niée dans le chef de Girardello, au vu de ses relations financières avec la bénéficiaire, à partir du moment où la requérante est entrée dans la sphère d’influence du groupe Girardello, à savoir le 10 juin 1992, quelle que soit l’importance de la participation de celle-ci dans le capital de la requérante.

[…]

(19)      Il y a lieu par conséquent de réduire le concours communautaire octroyé pour le projet d’aménagement. Des dépenses éligibles totales […] de l 465 257 euros, il y a lieu de déduire le montant de 32 883 euros mentionné au considérant 3, ainsi que la somme de 137 217 euros mentionnée au considérant 13, ce qui ramène le montant total des dépenses éligibles à 1 295 157 euros. Compte tenu de la quote-part communautaire de 40 %, le montant de 569 986 euros prévu par la décision du 30 octobre 1990 précitée doit dès lors être réduit à 518 063 euros. »

29      Par arrêt du 25 janvier 2006 (Le Canne/Commission, T‑276/03, non publié au Recueil, points 36 à 39, 47 et 48), le Tribunal a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en carence de la requérante et a rejeté sa demande indemnitaire comme prématurée en ce qu’elle revenait à solliciter le contrôle de la légalité de la décision de réduction C (2005) 2939, du 26 juillet 2005.

 Procédure

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 octobre 2005, la requérante a introduit le présent recours.

31      En application de l’article 47, paragraphe 1, de son règlement de procédure, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire.

32      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

33      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit aux parties des questions auxquelles il a été répondu dans les délais impartis.

34      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 24 avril 2008.

 Conclusions des parties

35      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer nulle et non avenue la décision C (2005) 2939, du 26 juillet 2005, en ce qu’elle réduit le montant du concours financier communautaire initialement accordé ;

–        condamner la Commission à réparer le préjudice subi à concurrence du montant des quotes-parts du concours communautaire restant dû, majoré à raison du taux des intérêts débiteurs bancaires produits par le solde intégral des sommes initialement dues conformément à la décision d’octroi, à compter du 27 octobre 1995, date de la décision originaire de réduction du concours annulée, et jusqu’à complet paiement ;

–        condamner la Commission aux dépens.

36      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter intégralement le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens de l’instance.

 En droit

37      Le présent recours tend, en premier lieu, à l’annulation de la décision attaquée et, en second lieu, à l’indemnisation du préjudice financier provenant de cette réduction.

 Sur le recours en annulation

38      Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque la violation de son droit d’être entendue, l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée, l’expiration du délai de prescription, la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt Le Canne III, le défaut de base légale de la décision attaquée, la violation des principes d’égalité, de proportionnalité, de raison et de libre circulation des capitaux, ainsi qu’un détournement de pouvoir.

39      Il convient d’examiner d’abord le moyen tiré de l’exception de prescription.

 Arguments des parties

40      La requérante soutient que le droit, pour la Commission, de procéder à une réduction du concours financier au motif de la présentation du bénéfice de Girardello comme une dépense éligible au concours financier est prescrit conformément à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1).

41      La requérante rappelle que, selon cette disposition, le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1, et que ce texte est indifféremment applicable aux irrégularités intentionnelles ou causées par négligence susceptibles de conduire à une sanction administrative et aux irrégularités ne justifiant que l’adoption d’une mesure administrative n’ayant pas le caractère d’une sanction.

42      Elle fait valoir que le certificat de vérification de l’état final des travaux, établi le 24 mai 1995, comportait tous les éléments permettant à la Commission de constater que le bénéfice de Girardello figurait au nombre des dépenses que la requérante estimait devoir être prises en compte au titre du concours financier. Ce certificat aurait en effet mentionné la cession du 15 avril 1993, par laquelle Girardello serait devenue l’associée majoritaire de la requérante, l’exécution des travaux soumis au contrôle technique confiée par celle-ci à Girardello, ainsi que le paiement régulier par la requérante des factures de Girardello.

43      La requérante invoque la jurisprudence de la Cour selon laquelle, pour interrompre le délai de prescription, un acte d’instruction ou de poursuite doit impérativement circonscrire avec suffisamment de précisions les opérations sur lesquelles portent des soupçons d’irrégularité (arrêt de la Cour du 24 juin 2004, Handlbauer, C‑278/02, Rec. p. I‑6171).

44      Or, la première décision de réduction du concours, datée du 27 octobre 1995, n’aurait pas fait état de l’exécution des travaux par Girardello. L’avis de réouverture de la procédure du 23 novembre 1999 aurait également passé sous silence l’irrégularité financière litigieuse et aurait été notifié à la requérante plus de quatre ans après le certificat du 24 mai 1995 et la décision de réduction précitée du 27 octobre 1995.

45      La Commission n’aurait soupçonné pour la première fois l’existence de l’irrégularité financière litigieuse que le 15 septembre 2003 ou, au plus tôt, lors du contrôle de l’OLAF des 11 et 12 juin 2003, en tout cas après l’expiration du délai de prescription.

46      La Commission considère que l’irrégularité, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement nº 2988/95, est constituée par la présentation par la requérante, au titre des dépenses éligibles au concours financier, du bénéfice réalisé par Girardello à la suite de l’exécution du projet de modernisation et d’aménagement.

47      La Commission estime que le délai de la prescription quadriennale fixé par l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, du règlement nº 2988/95 n’est pas applicable aux mesures administratives visées par l’article 4, catégorie dont relève la réduction du concours en cause, mais aux seules sanctions administratives prévues par l’article 5, paragraphe 1, à l’égard des irrégularités intentionnelles ou causées par négligence.

48      Elle ajoute que, pour autant que le règlement nº 2988/95 soit applicable, l’irrégularité en cause est « continue », au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, première phrase, du règlement nº 2988/95, de sorte que le délai de la prescription quadriennale court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin.

49      Toutefois, en l’espèce, l’irrégularité n’aurait pas pris fin, au sens de cette disposition, avec la déclaration à la Commission, par l’intermédiaire des autorités nationales, des dépenses exposées par la requérante. Elle se serait poursuivie durant toute la période au cours de laquelle la requérante avait maintenu sa demande de financement communautaire des sommes correspondant au bénéfice de Girardello.

50      À supposer même que l’irrégularité ait un caractère instantané, la prescription n’aurait pu, en tout état de cause, commencer à courir avant que la Commission n’ait pris ou n’ait été mise en mesure de prendre connaissance des faits constitutifs de l’irrégularité.

51      Les informations contenues dans le certificat de vérification de l’état final des travaux n’auraient pas permis à la Commission de constater l’irrégularité financière reprochée à la requérante dans sa lettre du 15 septembre 2003. Le certificat n’aurait pas précisé que les factures délivrées à la requérante et présentées par Girardello comme justificatifs des dépenses éligibles incluaient sa marge bénéficiaire. La Commission n’aurait eu connaissance de ces données qu’au moment du contrôle sur place de septembre 2002, puis lors du nouveau contrôle effectué en juin 2003, ce qui lui aurait permis d’en faire état dans sa lettre du 15 septembre 2003.

52      Même si la prescription avait commencé à courir en 1995, il conviendrait encore d’appliquer l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, première phrase, du règlement nº 2988/95, aux termes duquel la prescription est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité.

53      À cet égard, le certificat, daté du 24 mai 1995, l’ordre de paiement 12007/XIV‑A‑2 – 4/26, du 10 juillet 1995, la première décision de réduction, datée du 27 octobre 1995, les mémoires en défense et la duplique déposés dans l’affaire T‑218/95, précitée, à supposer que le délai de prescription ait continué à courir pendant cette instance, l’avis de réouverture de la procédure du 23 novembre 1999, les contrôles sur place des 16 et 17 septembre 2002 et des 11 et 12 juin 2003, les lettres du 15 septembre 2003 et du 25 juin 2004, ainsi que la décision attaquée, datée du 26 juillet 2005, constitueraient autant d’actes interruptifs de prescription, dès lors qu’ils concourent à la vérification de la régularité d’ensemble de l’exécution du projet.

54      La Commission ajoute que, s’il est vrai que, pour pouvoir être considérés comme interruptifs de prescription, les actes accomplis par l’autorité compétente doivent avoir un contenu suffisamment précis pour que l’administré comprenne l’objet de l’enquête diligentée par cette autorité, aucun doute n’existait, en l’espèce, sur le fait que tous ces actes d’instruction n’avaient et ne pouvaient avoir pour objet que de vérifier l’exécution régulière du projet tant sur le plan technique que sur le plan financier.

55      À cet égard, la Commission souligne qu’elle n’avait pas achevé le contrôle de la régularité de l’exécution du projet, ainsi qu’elle y était tenue, avant de verser le solde du concours, en vertu de l’article 8 du règlement (CEE) n° 1116/88 de la Commission, du 20 avril 1988, relatif aux modalités d’exécution des décisions de concours pour des projets concernant des actions communautaires pour l’amélioration et l’adaptation des structures du secteur de la pêche, de l’aquaculture et de l’aménagement de la bande côtière (JO L 112, p. 1).

56      Enfin, la Commission précise que le financement du projet litigieux a été octroyé à la requérante dans le cadre d’un programme d’orientation pluriannuel au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de l’article 11, paragraphe 2, premier tiret, et de l’article 2 du règlement nº 4028/86.

57      Or, l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, deuxième phrase, du règlement nº 2988/95 dispose que le délai de prescription s’étend en tout cas, pour les programmes pluriannuels, jusqu’à la clôture définitive du programme. En conséquence, l’expiration du délai de prescription ne pourrait être invoquée tant que les projets relevant de ce programme n’ont pas fait l’objet d’une clôture comptable définitive.

58      En l’espèce, certains projets présentés au titre du programme aquaculture de l’Italie, dont relève le projet d’aménagement de la requérante, ne seraient pas encore clos d’un point de vue comptable. Il s’ensuivrait que ce programme pluriannuel n’est pas encore terminé et que le projet de la requérante n’a été clos que par la décision attaquée, de sorte qu’aucune prescription ne pourrait être invoquée en l’occurrence.

 Appréciation du Tribunal

59      Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement nº 2988/95, est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.

60      En l’espèce, la réduction litigieuse du concours est motivée par l’irrégularité constituée par la présentation d’une demande de paiement du solde du concours comportant des dépenses qui n’étaient pas éligibles au concours financier, en ce qu’elles incluaient la marge bénéficiaire réalisée par Girardello au titre de l’exécution du projet, en dépit de la qualité de bénéficiaire économique du concours que lui conféraient ses liens financiers avec la requérante.

61      Cette irrégularité emporte obligation du bénéficiaire du concours de rembourser le montant indûment perçu, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement nº 2988/95, ou, comme en l’espèce, réduction à due concurrence du solde du concours restant dû.

62      C’est à tort que la Commission soutient que le délai de la prescription quadriennale fixé par l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 2988/95 n’est pas applicable aux mesures administratives, au sens de l’article 4, telles que la réduction du concours contestée.

63      Il convient de relever au préalable que, en l’absence de dispositions transitoires déterminant l’application dans le temps des dispositions du règlement nº 2988/95, son article 3 s’applique à toute action en réduction d’un concours financier diligentée après le 26 décembre 1995, date de son entrée en vigueur, même à l’égard d’une irrégularité qui serait survenue avant cette date (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 10 avril 2003, Département du Loiret/Commission, T‑369/00, Rec. p. II‑1789, point 51).

64      Quant au fond, il résulte de la jurisprudence que cette disposition est applicable aussi bien aux irrégularités intentionnelles ou causées par négligence et pouvant conduire aux sanctions administratives de l’article 5, du règlement nº 2988/95 qu’aux irrégularités justifiant uniquement l’adoption d’une mesure administrative visée à l’article 4 du même texte, telle que la réduction d’un concours financier (arrêt du Tribunal du 13 mars 2003, José Martí Peix/Commission, T‑125/01, Rec. p. II‑865, point 79, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 2 décembre 2004, José Martí Peix/Commission, C‑226/03 P, Rec. p. I‑11421).

65      Contrairement à ce que soutient la Commission, cette irrégularité ne peut être considérée comme continue ou répétée, au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, première phrase, du règlement n° 2988/95.

66      L’irrégularité en cause s’est matérialisée instantanément par la présentation par la requérante, à titre de justificatifs des travaux admis au concours, des factures établies par Girardello et dont les parties ne contestent pas qu’elles incluent la marge bénéficiaire de cette société.

67      L’irrégularité en cause étant consommée dès la présentation du dossier aux autorités nationales aux fins du règlement du solde du concours, il importe peu que la requérante ait maintenu ou réitéré sa demande de paiement.

68      En conséquence, l’article 3, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 2988/95, aux termes duquel le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité, doit recevoir application.

69      En l’espèce, il en résulte que ce délai court à compter du 1er août 1994, date à laquelle la requérante a présenté la demande de paiement intégral du solde du concours aux autorités nationales et non du jour où la Commission a eu connaissance de l’irrégularité financière litigieuse.

70      Il y a lieu de déterminer si, ayant ainsi couru à compter du 1er août 1994, le délai de prescription quadriennale a été interrompu par les actes d’instruction ou de poursuite de l’irrégularité litigieuse, au sens de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, première phrase, du règlement nº 2988/95, ultérieurement adoptés par la Commission.

71      À cet égard, il convient de relever que la lettre du 15 septembre 2003 est le premier acte de la Commission porté à la connaissance de la requérante et comportant des soupçons d’irrégularités suffisamment déterminés (arrêt Handlbauer, précité, point 41).

72      À cette date, toutefois, la prescription quadriennale des actes d’instruction de l’irrégularité financière litigieuse était déjà acquise à la requérante.

73      La Commission ne peut soutenir que les différents actes qu’elle a adoptés avant cette date ont interrompu la prescription, au motif qu’ils révèlent la volonté de l’autorité compétente de contrôler les aspects tant techniques que financiers des opérations réalisées par la bénéficiaire dans le cadre d’un seul financement.

74      D’une part, ni la première décision de réduction du concours, datée du 27 octobre 1995, ni l’avis de réouverture de la procédure de règlement du solde du 23 novembre 1999, qui se rapportent au défaut de conformité des travaux exécutés au regard du projet initialement approuvé, n’expriment le moindre soupçon à l’égard de l’irrégularité financière litigieuse.

75      D’autre part, la prescription était en tout état de cause acquise à la requérante à la date des deux contrôles sur place effectués les 16 et 17 septembre 2002 et les 11 et 12 juin 2003, à supposer qu’ils aient été de nature à interrompre le délai de prescription.

76      La Commission n’est pas davantage fondée à exciper de l’inachèvement de la procédure de contrôle portant sur la régularité d’ensemble de l’exécution du projet à laquelle elle était tenue de procéder, en vertu de l’article 8 du règlement nº 1116/88, avant d’effectuer le paiement du solde du concours.

77      En effet, dans le domaine des contrôles et des sanctions des irrégularités commises en droit communautaire, le législateur communautaire a, en adoptant le règlement nº 2988/95, posé une série de principes généraux et exigé que, en règle générale, l’ensemble des règlements sectoriels, tels que le règlement n° 1116/88 invoqué par la Commission, respectent ces principes (arrêt de la Cour du 11 mars 2008, Jager, C‑420/06, non encore publié au Recueil, point 61), au nombre desquels figure le délai de prescription quadriennale.

78      De même, la prescription ne peut être écartée en application de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, deuxième phrase, du règlement nº 2988/95, qui étend le délai de prescription jusqu’à la clôture définitive des programmes pluriannuels, au motif que tous les projets relevant du programme pluriannuel d’aquaculture de l’Italie visé par cette disposition n’auraient pas fait l’objet d’une clôture comptable définitive.

79      L’application de cette norme se heurte au principe général de droit communautaire du délai raisonnable qui doit être respecté dans le cadre des procédures administratives (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 35, et Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec. p. I‑8831, point 40 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec. p. II‑3987, point 229).

80      En l’espèce, il incombait à la Commission de se prononcer sur la demande de paiement du solde de la requérante dans un délai raisonnable à compter de sa transmission par les autorités italiennes.

81      Or, le Tribunal ne peut tenir pour raisonnable le laps de temps de plus de dix ans écoulé entre le 5 juillet 1995, date de la réception, par la Commission, de la demande de paiement du solde du concours communautaire, et le 26 juillet 2005, date de l’adoption de la décision attaquée, en l’absence d’actes ayant interrompu la prescription.

82      Il convient d’ajouter que la prorogation du délai de prescription prévue par la disposition en cause conduirait en l’espèce, en violation du principe général du délai raisonnable, à subordonner la prescription de l’instruction ou des poursuites, par la Commission, d’une irrégularité affectant l’exécution d’un projet à la clôture définitive, par cette même institution, du programme pluriannuel dont ce projet fait partie, d’autant que cette clôture, dont la Commission a, au demeurant, déclaré qu’elle n’était pas encore réalisée en l’espèce, pourrait être de surcroît conditionnée par l’achèvement d’autres projets individuels que le projet litigieux.

83      Il y a donc lieu d’accueillir le moyen tiré de l’exception de prescription et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante, d’annuler la décision attaquée, en ce qu’elle réduit le solde du concours, au motif que le bénéfice réalisé par Girardello au titre de l’exécution des travaux afférents au projet IT/0016/90/02 a été imputé aux dépenses éligibles à ce concours.

84      Cette annulation est prononcée sans préjudice de la réduction du concours opérée par la Commission en raison de la surfacturation visée au troisième considérant de la décision attaquée (voir point 28 ci-dessus), dont la matérialité n’a pas été contestée par la requérante.

85      En vertu de l’article 233 CE, il appartiendra donc à la Commission de payer à la requérante le montant du solde du concours, en incluant le bénéfice de Girardello dans les dépenses éligibles au concours financier.

86      Le solde restant dû en vertu du présent arrêt produit en principe des intérêts moratoires à compter du 5 juillet 1995, date à partir de laquelle la Commission aurait dû légalement liquider ce solde si elle ne l’avait pas erronément réduit, dans un premier temps, pour un motif pris du défaut de conformité des travaux, mais abandonné en définitive (voir point 17 supra), puis, dans un second temps, en raison de l’irrégularité financière litigieuse dont l’instruction était prescrite lorsqu’elle a été engagée.

87      Il convient toutefois de relever que la requérante n’a réclamé le paiement d’intérêts qu’à compter du 27 octobre 1995, date de la première décision de réduction du concours.

88      Il s’ensuit que la Commission doit les intérêts moratoires produits par le solde du concours restant dû en exécution du présent arrêt à compter du 27 octobre 1995 et jusqu’à parfait paiement.

89      Ces intérêts doivent être calculés au taux de 8 % du 27 octobre 1995 au 31 décembre 1998, puis, à compter du 1er janvier 1999 et jusqu’à complet paiement, sur la base des taux successivement fixés par la Banque centrale européenne (BCE) pour les opérations principales de refinancement, majorés de deux points.

 Sur le recours en indemnité

 Arguments des parties

90      La requérante allègue en substance avoir subi un préjudice financier constitué par un découvert bancaire, majoré des intérêts débiteurs.

91      La Commission conteste à la requérante tout droit de créance sur le solde du concours, à défaut de preuve du respect des conditions prescrites pour l’exécution du projet d’aménagement. L’institution nie par ailleurs tant l’existence d’un préjudice que celle d’un lien de causalité entre le comportement qui lui est reproché et ce préjudice.

 Appréciation du Tribunal

92      La demande d’indemnisation ne saurait prospérer, dès lors que la requérante se borne à alléguer l’existence d’un découvert bancaire et d’intérêts débiteurs sans en indiquer, ne serait-ce qu’approximativement, le montant.

93      La requérante aurait dû, au contraire, chiffrer la somme réclamée ou, à tout le moins, indiquer, avec suffisamment de précision, les éléments de fait permettant d’évaluer le montant du préjudice invoqué ou faire état de circonstances particulières qui auraient pu la dispenser de fournir ces précisions (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 1er juillet 1994, Osório/Commission, T‑505/93, RecFP p. I‑A‑79 et II‑581, points 34 et 35).

94      En outre, la requérante ne démontre nullement l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et le comportement reproché à la Commission.

95      En particulier, la requérante n’établit pas avoir dû payer des intérêts bancaires débiteurs au titre de découverts ou d’emprunts qu’elle aurait été dans l’obligation de contracter afin de compenser le solde illégalement retenu du concours restant dû en vertu du présent arrêt.

96      Ainsi, la liste, présentée en annexe 36 à la requête, des différents taux d’intérêts bancaires débiteurs pratiqués par la banque de la requérante de 1995 à 2002 ne prouve pas que ces taux aient été appliqués aux découverts ou aux emprunts invoqués.

97      Il s’ensuit que le recours en indemnité doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

98      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

99      La Commission ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C  (2005) 2939 de la Commission, du 26 juillet 2005, est annulée en ce qu’elle réduit le concours financier communautaire octroyé à Azienda Agricola « Le Canne » Srl pour le projet IT/0016/90/02 en raison de l’imputation aux dépenses éligibles à ce concours du bénéfice réalisé par Girardello SpA au titre de l’exécution des travaux afférents à ce projet.

2)     Le recours en indemnité est rejeté.

3)     La Commission est condamnée aux dépens.

Forwood

Moavero Milanesi

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 octobre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’italien.