Language of document : ECLI:EU:T:2008:292

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

15 juillet 2008 (*)

« Référé – Marchés publics – Procédure communautaire d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Recevabilité – Intérêt à agir – Perte d’une chance – Absence de préjudice grave et irréparable – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑195/08 R,

Antwerpse Bouwwerken NV, établie à Anvers (Belgique), représentée par Mes J. Verbist et D. de Keuster, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Manhaeve, en qualité d’agent, assisté de MM. Gelders, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires formée dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres lancée par la Commission pour la construction d’un bâtiment,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Par un avis de marché publié le 31 mai 2006, la Commission a lancé un appel d’offres, en application du titre V (« Passation des marchés publics ») de la première partie du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »), pour la construction d’une salle de production de matériaux de référence sur le terrain de l’Institut des matériaux et mesures de référence (IMMR) à Geel (Belgique).

2        À cette fin, elle a choisi d’attribuer le marché selon la procédure restreinte au sens de l’article 122, paragraphe 2, du règlement (CE, Euratom) nº 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci-après le « règlement d’exécution »). En vertu de cette disposition, le marché sur appel à la concurrence est restreint lorsque tous les opérateurs économiques peuvent demander à participer et que seuls les candidats satisfaisant les critères de sélection et qui y sont invités simultanément et par écrit par les pouvoirs adjudicateurs peuvent présenter une offre.

3        La requérante, Antwerpse Bouwwerken NV, et trois autres entreprises ont participé à cette procédure. Elles se sont vu transmettre le cahier des charges, dont l’annexe administrative prévoit, en son point 25, que le marché sera attribué à l’offre la moins disante, en précisant :

« [T]ous les prix demandés sur le métré récapitulatif doivent être indiqués sous peine d’exclusion. Cela vaut également pour d’éventuelles modifications du métré intervenant à la suite de remarques déposées en temps utile par les candidats. »

4        Le 21 septembre 2007, la requérante a déposé son offre. Le prix offert s’élevait à 10 315 112,32 euros.

5        Par courrier du 27 février 2008 – signé par un des assistants « Finance et contrats » de l’unité « Support de gestion » de la direction IMMR au sein de la direction générale « Centre commun de recherche » –, la Commission a informé la requérante que :

–        son offre avait été retenue pour l’attribution du marché, en attirant, toutefois, son attention sur le fait que cela ne créait aucune obligation à la charge de la Commission, étant donné que les services compétents de celle-ci pouvaient toujours renoncer au marché ou annuler la procédure de passation du marché, sans que la requérante puisse prétendre à une quelconque indemnisation ;

–        le contrat ne pouvait être signé qu’à l’expiration d’un délai de deux semaines et que la Commission se réservait le droit de suspendre sa signature pour examen complémentaire si les demandes ou commentaires formulés par des soumissionnaires écartés, ou toute autre information pertinente reçue, le justifiaient.

6        Par lettre du 12 mars 2008, signée par le même assistant « Finance et contrats », la Commission a informé la requérante que l’un des soumissionnaires écartés avait fourni des informations de nature à justifier la suspension de la signature du contrat, conformément à l’article 158 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution, tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) nº 478/2007 de la Commission, du 23 avril 2007 (JO L 111, p. 13).

7        Aux termes de cette disposition, le pouvoir adjudicateur peut suspendre la signature du contrat pour examen complémentaire lorsqu’il reçoit, dans un délai de quatorze jours à compter du lendemain de la date de notification simultanée des décisions d’attribution et de rejet des demandes, commentaires ou informations de la part des soumissionnaires écartés et que ces demandes, commentaires ou informations le justifient.

8        Par courrier du 29 avril 2008, signé par le chef de l’unité « Support de gestion » précitée, la Commission a informé la requérante que son offre n’avait finalement pas été retenue pour l’attribution du marché en cause, au motif que le prix offert par la requérante « était plus élevé que celui proposé par le soumissionnaire retenu » (ci-après la « décision du 29 avril 2008 »).

9        En réponse à une demande formulée par la requérante, la Commission lui a indiqué, par lettre du 6 mai 2008, les motifs supplémentaires suivants :

« Lors de la première évaluation de ce volumineux dossier, vous êtes apparu comme le vainqueur bien que votre prix fût sensiblement plus élevé que celui de l’attributaire actuel. La raison du rejet initial de ce candidat résidait dans le fait que, pour un petit poste de prix, le prix n’a pu être trouvé. Cela était également le cas des deux autres candidats. Par conséquent, ces offres ont, dans un premier temps, été considérées comme non conformes.

Pendant la période de statu quo prévue à l’article 158 bis du règlement [d’exécution], les autres candidats ont indiqué que les prix manquants se trouvaient bien dans leurs offres. Par conséquent, la période de statu quo a été suspendue pour examen complémentaire. Il est ressorti de la nouvelle analyse que les prix initialement manquants étaient en effet indiqués et que ces sociétés avaient donc déposé une offre conforme. Il y avait donc lieu de procéder à une nouvelle évaluation de toutes les offres. Étant donné que l’une de ces sociétés avait présenté l’offre la moins disante, elle a été désignée comme attributaire du marché. »

10      En outre, par lettre du 15 mai 2008, la Commission a communiqué à la requérante une copie du rapport d’évaluation du 5 novembre 2007, dans lequel le comité d’évaluation l’avait présentée comme étant le candidat le mieux placé, ainsi qu’une copie du rapport d’évaluation du 23 avril 2008, dans lequel un candidat initialement non retenu était désigné comme étant le candidat le mieux placé (ci-après le « soumissionnaire retenu »).

11      S’agissant du rapport d’évaluation du 5 novembre 2007, il y est énoncé expressément :

« [Le soumissionnaire retenu] a donné un prix unitaire pour le poste 03.09.15 B, mais a oublié de l’inclure dans le prix global. 973,76 euros devraient être ajoutés, ce qui donne un nouveau total de 9 728 946,14 euros.

[Le soumissionnaire retenu] a également oublié de donner un prix unitaire pour le poste E 9.26.

[…]

L’offre [de la requérante] ne comporte aucun oubli.

[…]

Étant donné que [le soumissionnaire retenu] et […] ont tous oublié d’indiquer des prix pour certains postes, leurs offres doivent être considérées comme non conformes. Par conséquent, la seule offre conforme a été déposée par [la requérante]. »

12      Le rapport d’évaluation du 23 avril 2008 énonce, quant à lui :

« [Le soumissionnaire retenu] a oublié de donner un prix unitaire pour le poste E 9.26. Toutefois, dans une lettre explicative, ils ont indiqué que le prix pouvait être déduit du poste E 9.13 (903,69 euros), car il s’agit exactement du même poste. Sur la base de cette explication […], 903,69 euros devraient être ajoutés à l’offre initiale […] cette situation devrait être considérée comme constituant une clarification […] »

13      Ce dernier rapport contient la décision du 23 avril 2008 attribuant le marché en cause au soumissionnaire retenu (ci-après la « décision du 23 avril 2008 »). Selon cette décision, l’offre de la requérante n’apparaît que comme étant la troisième offre la moins disante.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2008, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation des décisions des 23 et 29 avril 2008 (voir points 8 et 13 ci-dessus), d’une part, et à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour le préjudice subi par la requérante, d’autre part. Elle reproche à la Commission, en substance, d’avoir violé la réglementation pertinente en permettant au soumissionnaire retenu de modifier son offre, après l’ouverture des offres soumises, par l’insertion du prix pour un poste que cette société avait initialement omis d’indiquer.

15      Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal ainsi que la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution des décisions des 23 et 29 avril 2008 ;

–        au cas où le contrat litigieux aurait déjà été conclu, suspendre son exécution jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur l’affaire au principal ;

–        arrêter toute mesure provisoire utile ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 11 juin 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le Tribunal peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant lui ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

18      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

19      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

20      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Sur la recevabilité

21      Ainsi qu’il ressort de la décision du 23 avril 2008, l’offre déposée par la requérante n’est que la troisième offre la moins disante. La Commission en déduit que la demande en référé est irrecevable à défaut d’intérêt à agir pour la requérante. En effet, à supposer même que l’offre du soumissionnaire retenu soit écartée de la procédure de passation du marché en cause, la requérante n’en tirerait aucun profit, étant donné que le marché serait attribué non à la requérante, mais à l’entreprise ayant remis la deuxième offre la moins disante.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, pour que des mesures provisoires, comme celles sollicitées par la présente demande en référé, puissent être ordonnées, la partie requérante doit, notamment, apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir, en ce sens, ordonnance du président de la deuxième chambre de la Cour du 31 juillet 1989, S./Commission, 206/89 R, Rec. p. 2841, point 8, et ordonnance du président du Tribunal du 27 mars 2003, Linea CIG/Commission, T‑398/02 R, Rec. p. II‑1139, points 44 et 45). Selon une jurisprudence bien établie, un tel intérêt suppose que l’action en justice puisse, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intentée (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 30 avril 2007, EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission, T‑387/04, Rec. p. II‑1195, point 96, et la jurisprudence citée).

23      En l’espèce, il ressort du rapport d’évaluation du 23 avril 2008 que l’offre déposée par la requérante (prix global offert : 10 295 995,37 euros) n’est que la troisième offre la moins disante, de sorte qu’une éviction du soumissionnaire retenu n’aurait pas comme conséquence automatique que le marché serait attribué à la requérante. Toutefois, s’agissant de l’entreprise placée en deuxième position (prix global offert : 10 140 841,12 euros), le même rapport d’évaluation précise qu’elle avait, tout comme le soumissionnaire retenu, omis d’indiquer le prix pour certains postes, mais que son offre avait néanmoins été qualifiée par la Commission de conforme aux règles, compte tenu des éclaircissements apportés par cette entreprise.

24      À supposer donc que l’offre du soumissionnaire retenu soit entachée du vice que la requérante lui attribue du fait que cette offre aurait fait l’objet d’une modification ultérieure illégale (voir point 14 ci-dessus), l’offre placée en deuxième position serait susceptible d’être entachée précisément du même vice. Par conséquent, dans l’hypothèse où la décision attribuant le marché au soumissionnaire retenu devrait être déclarée illégale pour cette raison, la Commission pourrait être juridiquement empêchée de l’attribuer à l’entreprise placée en deuxième position, dont l’offre serait susceptible d’être entachée de la même illégalité. Dans ces circonstances, l’entreprise placée en deuxième position ne saurait être un obstacle à ce que le marché revienne à la requérante. Les mesures sollicitées par la présente demande, si elles étaient adoptées, pourraient donc lui procurer un bénéfice.

25      Il s’ensuit que la requérante dispose d’un intérêt à agir et que sa demande en référé est recevable.

 Sur le fond

 Arguments des parties

–       Sur le fumus boni juris

26      La requérante reproche à la Commission, en substance, d’avoir violé les dispositions combinées de l’article 91 du règlement financier ainsi que des articles 122, 138 et 148 du règlement d’exécution et d’avoir enfreint les principes de transparence et d’égalité de traitement des soumissionnaires.

27      En effet, l’offre du soumissionnaire retenu aurait été incomplète, le métré n’ayant pas été entièrement rempli, du fait qu’il manquait un prix pour le poste E 9.26. Cette offre n’aurait donc pas été conforme à la prescription essentielle du point 25 de l’annexe administrative du cahier des charges, selon lequel tous les prix unitaires demandés devaient être indiqués sous peine d’exclusion de l’offre. Or, au lieu d’écarter le soumissionnaire retenu de la procédure, la Commission lui aurait, en violation des règles régissant les appels d’offres, permis de modifier son offre après son dépôt en déclarant que le prix manquant était identique à celui du poste E 9.13 et pouvait donc être déduit de ce dernier. Selon la requérante, cette modification de l’offre ne saurait être qualifiée de simple éclaircissement, étant donné qu’elle ne portait pas sur un élément déjà présent dans l’offre, mais consistait à compléter un prix unitaire manquant.

28      Par ailleurs, il ne serait pas correct de prétendre que le prix du poste E 9.26 pouvait être aisément déduit du prix du poste E 9.13. La description de ces deux postes serait, certes, identique (« centrale de commutation semi-automatique »), mais cette description apparaîtrait également dans d’autres postes, à savoir les postes E 9.05, E 9.22, E 9.31, E 9.37 et E 9.43. Or, les prix de tous ces postes ne seraient aucunement identiques. L’offre du soumissionnaire retenu aurait donc dû être écartée.

29      La Commission estime que son comportement n’est entaché d’aucune illégalité, la réglementation pertinente n’interdisant nullement tout contact entre le pouvoir adjudicataire et les soumissionnaires après l’ouverture des offres. Ainsi, l’article 148, paragraphe 3, du règlement d’exécution permettrait au pouvoir adjudicateur, dans le cas où une offre donnerait lieu à des demandes d’éclaircissement ou s’il s’agit de corriger des erreurs matérielles manifestes dans la rédaction de l’offre, de prendre l’initiative d’un contact avec le soumissionnaire, étant entendu que ce contact ne peut conduire à une modification des termes de l’offre.

30      Selon la Commission, le cas d’espèce correspond à la situation envisagée dans cette disposition, les offres autres que celle de la requérante ayant donné lieu à des demandes d’éclaircissement. L’éclaircissement apporté par le soumissionnaire retenu n’aurait entraîné aucune modification des termes de l’offre remise par cette société, mais n’aurait consisté qu’à corriger et à préciser ladite offre, et ce sur la base d’un élément qui y figurait déjà.

31      Dans la mesure où la requérante soutient que la description des postes E 9.13 et E 9.26 apparaît également dans les postes E 9.05, E 9.22, E 9.31, E 9.37 et E 9.43, sans que les prix offerts pour ces cinq derniers postes soient identiques, la Commission rétorque que, malgré l’identité de la description, il s’agit là de deux catégories de postes nettement différentes : les postes E 9.13 et E 9.26 concerneraient la commutation de gaz combustibles, alors que les postes E 9.05, E 9.22, E 9.31, E 9.37 et E 9.43 concerneraient celle de gaz non combustibles. Or, tant le soumissionnaire retenu que la requérante auraient offert un même prix pour tous les postes à l’intérieur de chacune des deux catégories concernées. Par conséquent, il aurait été admissible de déduire, par voie d’éclaircissement, le prix du poste E 9.26 de celui indiqué pour le poste E 9.13.

32      La Commission ajoute que le fait d’omettre de remplir un seul poste dans le métré récapitulatif ne saurait être qualifié de violation d’une disposition essentielle, le cahier des charges avec ses annexes étant un document extrêmement volumineux et le métré demandant l’indication du prix d’environ 1 500 postes. Le principe de proportionnalité s’opposerait donc à une approche trop sévère en la matière, et ce d’autant plus que le poste E 9.26 en question ne représenterait que 0,0092 % de la valeur totale du marché. Enfin, il conviendrait de tenir compte de la différence sensible de prix total entre l’offre de la requérante (10 295 995,37 euros) et celle du soumissionnaire retenu (9 729 849,83 euros), à savoir 566 145,54 euros. La Commission invoque, à cet égard, le principe d’économie en tant que principe général de bonne gestion financière (article 27 et considérants 3 et 11 du règlement financier).

–       Sur l’urgence

33      La requérante fait valoir qu’elle risque de subir un préjudice grave et irréparable si les mesures provisoires demandées ne sont pas prises. En effet, sans l’adoption de ces mesures, l’arrêt prononcé dans la procédure au principal n’aurait plus aucun effet utile étant donné que, au moment de l’annulation des décisions attaquées, le contrat litigieux serait déjà conclu avec le soumissionnaire retenu et aurait déjà reçu une exécution partielle. En outre, cet arrêt, même s’il annulait lesdites décisions, ne réparerait pas entièrement le préjudice causé à la requérante, ce préjudice ne pouvant être réduit à un dommage financier et chiffrable.

34      Dans ce contexte, la requérante précise que, à la suite de la « décision du 27 février 2008 lui attribuant le marché », elle a adapté son planning de travail (notamment en affectant des effectifs à ce projet spécifique) à l’exécution du contrat litigieux, en annulant des projets sur le marché local et surtout en n’acceptant plus de nouveaux contrats. Elle souligne encore la pénurie importante sur le marché du travail d’ouvriers et d’ingénieurs spécialisés qui sont indispensables pour réaliser des marchés comme le contrat litigieux. Au cas où la requérante ne pourrait pas exécuter ledit contrat, elle se verrait obligée de mettre temporairement son personnel spécialisé au chômage technique, ce qui signifierait que ce personnel qualifié serait débauché par ses concurrents ou la quitterait de sa propre initiative, mettant ainsi en danger l’existence de celle-ci.

35      La requérante ajoute que l’attribution du marché en cause constitue, compte tenu de sa spécificité du point de vue technique, une référence importante pour les marchés suivants ayant un objet identique ou similaire. La perte de cette référence représenterait également pour la requérante un préjudice irréparable. Non seulement la spécificité de ce marché (techniques de laboratoire), mais également le maître d’ouvrage, à savoir la Commission, seraient d’une importance significative. D’un point de vue commercial, un maître d’ouvrage prestigieux représenterait une référence excellente pour les adjudicataires dans la perspective de projets futurs.

36      La Commission estime que, par ces arguments, la requérante n’a établi ni la gravité ni le caractère irréparable du préjudice invoqué. La présente demande en référé devrait donc être rejetée pour défaut d’urgence.

 Appréciation du juge des référés

37      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

38      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187 ; du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, Rec. p. II‑3485, point 124, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée).

39      Lorsque le préjudice dépend de la survenance de plusieurs facteurs, il suffit qu’il apparaisse comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, point 71 ; voir, également, en ce sens, ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, points 32 à 34, et du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67]. La partie requérante demeure cependant tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance Arizona Chemical e.a./Commission, précitée, point 72 ; voir, également, ordonnance HFB e.a./Commission, précitée, point 67).

40      Il convient donc d’examiner si, en l’espèce, la requérante a démontré avec un degré de probabilité suffisant qu’elle subira un préjudice grave et irréparable si les mesures provisoires qu’elle sollicite ne lui sont pas octroyées.

41      S’agissant de la gravité du préjudice invoqué en l’espèce, il importe de rappeler que ce dernier serait subi à l’occasion d’une procédure d’appel d’offres pour l’attribution d’un marché. Or, une telle procédure a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît le plus conforme aux critères de sélection prédéterminés. L’autorité communautaire qui institue une telle procédure dispose, par ailleurs, d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise de la décision de passer le marché (arrêts du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 147 ; du 26 février 2002, Esedra/Commission, T‑169/00, Rec. p. II‑609, point 95, et du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, Rec. p. II‑205, point 50).

42      Une entreprise qui participe à une telle procédure n’a, dès lors, jamais la garantie absolue que le marché lui sera adjugé, mais doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face (voir, en ce sens, ordonnance du juge des référés du Tribunal du 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, T‑211/07 R, non publiée au Recueil, point 41).

43      Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, point 150).

44      En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante (voir, en ce sens, ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, points 151 et 156, et la jurisprudence citée).

45      En l’espèce, force est de constater que la requérante ne produit pas les éléments permettant de considérer, compte tenu en particulier de sa taille, que la perte qu’elle risque de subir serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires. Dès lors, au regard des éléments figurant dans la demande en référé, le juge des référés n’est pas en mesure de considérer que, pour la requérante, la perte d’une chance de percevoir les revenus résultant de l’exécution du marché en cause serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires.

46      Il en va de même du préjudice financier subi du fait que la requérante aurait, à la suite de la lettre du 27 février 2008 (voir point 5 ci-dessus), adapté son planning de travail à l’exécution du contrat litigieux, en annulant des projets sur le marché local et en n’acceptant plus de nouveaux contrats. À défaut d’éléments chiffrés produits par la requérante, le juge des référés ne saurait vérifier ni la réalité ni la gravité des actes par lesquels la requérante aurait elle-même été conduite à amplifier les conséquences négatives des décisions des 23 et 29 avril 2008.

47      Par ailleurs, tout préjudice causé par des actes que la requérante aurait pris en s’attendant à l’attribution du marché en cause résulterait de son propre comportement négligent. En effet, dans sa lettre du 27 février 2008 précitée, la Commission avait expressément attiré l’attention de la requérante sur le caractère précaire et révocable de cette « attribution ». En outre, la requérante, en opérateur économique prudent et averti, est censée connaître l’article 101 du règlement financier, aux termes duquel « le pouvoir adjudicateur peut, jusqu’à la signature du contrat, soit renoncer au marché, soit annuler la procédure de passation du marché, sans que les candidats ou les soumissionnaires puissent prétendre à une quelconque indemnisation ».

48      Or, selon une jurisprudence bien établie (voir ordonnance du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T‑350/00 R, Rec. p. II‑493, point 59, et la jurisprudence citée), l’urgence à ordonner une mesure provisoire doit résulter des effets produits par l’acte litigieux et non d’un manque de diligence du demandeur de ladite mesure. En effet, il incombe à ce dernier, au risque de devoir supporter lui-même le préjudice comme faisant partie des « risques de l’entreprise », de faire preuve d’une diligence raisonnable pour en limiter l’étendue.

49      Il convient d’ajouter que le préjudice d’ordre financier allégué par la requérante ne saurait être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. La requérante n’a, notamment, pas allégué qu’elle serait empêchée d’obtenir une telle compensation par voie d’un éventuel recours en indemnité en vertu de l’article 288 CE (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 10 novembre 2004, European Dynamics/Commission, T‑303/04 R, Rec. p. II‑3889, point 72, et la jurisprudence citée). Au contraire, dans son recours au principal, elle a expressément formulé des conclusions visant à condamner la Commission à lui réparer le préjudice subi.

50      Dans ce contexte, il résulte d’une jurisprudence récente de la Cour que, lorsque le Tribunal accorde des dommages et intérêts sur la base de la valeur économique attribuée au préjudice subi en raison d’un manque à gagner, cette réparation est en principe susceptible de satisfaire à l’exigence d’assurer la réparation intégrale du préjudice individuel que la partie concernée a effectivement subi du fait des actes illégaux particuliers dont elle a été victime (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, non encore publié au Recueil, point 76).

51      Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause au principal, il pourra être attribué une valeur économique au préjudice qu’elle a subi en raison de la perte de la chance de remporter l’appel d’offres litigieux, valeur économique qui est susceptible de satisfaire à l’obligation de réparation intégrale du dommage individuel effectivement subi (voir, en ce sens, ordonnance Vakakis/Commission, précitée, point 67).

52      À la lumière de ce qui précède, les mesures provisoires demandées ne se justifieraient, dans les circonstances de l’espèce, que s’il apparaissait que, en l’absence de telles mesures, la requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même ou de modifier de manière irrémédiable sa position sur le marché (voir, en ce sens, ordonnance European Dynamics/Commission, précitée, point 73).

53      Or, la requérante n’a pas apporté la preuve que, en l’absence des mesures provisoires sollicitées, elle risquerait d’être placée dans une telle situation.

54      En effet, d’une part, elle s’est abstenue de fournir des données relatives à sa taille et à sa situation financière (voir point 45 ci-dessus). D’autre part, si la requérante fait valoir que, au cas où elle ne pourrait pas exécuter le contrat litigieux, son personnel spécialisé serait débauché par ses concurrents ou la quitterait de sa propre initiative, mettant ainsi en danger l’existence de la requérante, il y a lieu de constater qu’il s’agit là d’une pure affirmation qui n’est étayée par aucun élément de preuve susceptible de conduire le juge des référés à conclure que l’existence de la requérante sera mise en péril jusqu’à ce que le Tribunal statue sur l’affaire au principal.

55      La requérante soutient encore que le préjudice qu’elle subira ne saurait être réduit à un dommage financier et chiffrable, mais revêt aussi un caractère non financier. Ainsi, elle allègue que l’attribution du marché en cause constituerait, compte tenu de sa spécificité du point de vue technique, une référence importante pour les marchés suivants ayant un objet identique ou similaire et que la perte de cette référence représenterait pour la requérante un préjudice irréparable, d’autant plus qu’un maître d’ouvrage prestigieux, tel que la Commission, représenterait une référence excellente pour un adjudicataire dans la perspective de projets futurs.

56      Pour autant que la requérante entende invoquer ainsi une atteinte à sa réputation, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que l’élimination d’un soumissionnaire, en vertu des règles de la soumission, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une entreprise a été illégalement écartée d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, son exclusion est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, point 126, et la jurisprudence citée).

57      Enfin, s’agissant de la prétendue perte d’une référence majeure à la suite de la perte du marché en cause et de la prétendue difficulté de soumissionner utilement à l’avenir dans le cadre de projets semblables, ainsi que la Commission le fait observer à juste titre, la requérante n’a pas encore acquis de référence par l’existence de la seule lettre du 27 février 2008 qui lui « attribuait » provisoirement le marché en cause, une telle référence n’étant créée que lorsque le contrat a été signé et que le marché a été complètement et convenablement exécuté. En tout état de cause, la requérante n’a pas démontré que cette référence lui était indispensable ni qu’elle serait empêchée à l’avenir de mener à bien d’autres projets de même envergure. Elle n’a en outre pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’elle serait empêchée de participer aux futurs appels d’offres lancés par la Commission en relation avec l’IMMR.

58      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas établi avec le degré de probabilité requis que, si le juge des référés ne lui accorde pas les mesures provisoires qu’elle sollicite, elle subira un préjudice grave et irréparable.

59      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 15 juillet 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le néerlandais.