Language of document : ECLI:EU:T:2009:513

ORDONNANCE DU 16. 12. 2009 – AFFAIRE T-194/08

CATTIN / COMMISSION

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

16 décembre 2009 (*)

« Responsabilité non contractuelle – FED – Liste d’exportateurs éligibles pour obtenir le paiement de leurs créances vis-à-vis de la République centrafricaine – Absence d’inscription – Prescription – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑194/08,

R. Cattin & Cie, établie à Bimbo (République centrafricaine),

Yves Cattin, demeurant à Cadix (Espagne),

représentés par MB. Wägenbaur, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. A. Bordes, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite de la décision alléguée de la Commission de ne pas inscrire les requérants sur la liste des exportateurs éligibles pour obtenir le paiement de leurs créances vis-à-vis d’un organisme étatique de la République centrafricaine dans le cadre du Fonds européen de développement (FED),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérants, la société anonyme d’économie mixte de droit centrafricain R. Cattin & Cie (ci-après « Cattin »), d’une part, et M. Yves Cattin, d’autre part, sont respectivement société productrice et exportatrice de café en République centrafricaine et président directeur général de ladite société.

2        Jusqu’en 1986, les prix à l’exportation du café étant élevés, Cattin a contribué à la « Caisse de stabilisation » centrafricaine (ci-après la « Caistab »), organisme d’État de stabilisation des prix ayant pour mission de prélever des fonds auprès de ses membres, selon un certain barème, afin de stabiliser les fluctuations du prix d’exportation du café. À partir de 1987, le cours du café a chuté, entraînant la nécessité d’une intervention de la Caistab au profit de ses membres pour soutenir le prix du café à l’exportation. Cependant, la Caistab n’était pas en mesure de mener à bien cette intervention, le fonds de stabilisation alimenté par ses membres jusqu’en 1986 ayant été utilisé à d’autres fins. Face à cette situation, la République centrafricaine a décidé de se substituer à la Caistab en créant en 1987 le Soutien café, organisme étatique ayant pour mission de garantir aux exportateurs centrafricains un remboursement mensuel au prorata de leurs exportations. Le Soutien café s’est toutefois avéré dans l’incapacité de remplir sa mission et a demandé aux exportateurs, dont Cattin, d’avancer les montants dus tout en leur garantissant qu’ils seraient remboursés ultérieurement. À partir de 1990, le Soutien café n’a plus effectué de remboursement, provoquant une situation de crise pour l’exportation de café centrafricain, les opérateurs privés devenant quasi inactifs dans la filière café. Cattin, en particulier, a alors interrompu ses activités d’exportation de café.

3        En 1992, le ministère du Développement rural de la République centrafricaine a commandé un audit financier de la filière café auprès de la Société française de conseil en développement SEDES-CEGOS, une société d’audit, qui a déposé le 21 avril 1992 un rapport, financé par la Caisse centrale de coopération économique, organisme public français (ci-après le « rapport d’audit »).

4        Le rapport d’audit recommandait l’utilisation du système de stabilisation des recettes d’exportation (Stabex) comme nouvelle source de financement potentielle pour la filière café de la République centrafricaine.

5        Le Stabex est un système de compensations financières destiné à stabiliser les recettes à l’exportation pour certains produits d’origine agricole des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), introduit en 1975 par la première convention ACP-CEE, signée à Lomé le 28 février 1975 (JO 1976, L 25, p. 1), et aboli en 2000. Selon la quatrième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 15 décembre 1989, approuvée par la décision 91/400/CECA, CEE du Conseil et de la Commission, du 25 février 1991, concernant la conclusion de la quatrième convention ACP-CEE (JO L 229, p. 1), l’affectation des montants transférés aux États ACP récipiendaires, constitutifs de subventions, devait être décidée avec l’État ACP concerné dans un cadre d’obligations mutuelles (ci-après le « COM »), signé par la Commission des Communautés européennes et l’ordonnateur national (ci-après l’« ON ») de l’État ACP concerné. Lesdits transferts Stabex étaient imputés au budget du Fonds européen de développement (FED).

6        Concernant la situation des exportateurs de café de la République centrafricaine, le rapport d’audit contenait la « synthèse des résultats » suivante :

« De façon générale, les entreprises sont très endettées. Le retard du soutien auquel on peut ajouter la charge financière induite n’explique pas toujours l’endettement constaté. Il est certain qu[e ce retard du soutien] y a contribué. La réduction de certains postes du barème peut être à l’origine du déficit, mais il faut aussi retenir le manque de souplesse de certaines entreprises qui n’ont pas su s’adapter à la conjoncture (le cas exemplaire est celui de [Cattin] qui présente un déficit énorme en 1990).

[…]

Nous avons regroupé autour de […] et de [Cattin] leurs plantations satellites qui ont un solde de crédit de campagne à la [Banque de crédit agricole et de développement]. Dans le cas de [Cattin], il est vraisemblable que les sommes ont été détournées de leur objectif et ont servi à renflouer l’entreprise (en compte associé). »

7        Dans ses recommandations, le rapport d’audit indiquait, en ce qui concerne la capacité des sociétés concernées à reprendre leur activité dans le secteur du café et ses conséquences sur les choix du plan d’apurement et de relance qui y était proposé, ce qui suit :

« Deux sociétés arrivent en première ligne sur le plan de l’endettement :

[…]

[Cattin] : excessivement endettée (notamment vis-à-vis de la Banque de crédit agricole et de développement)

Le paiement des arriérés du soutien ne permettra pas à ces sociétés de reprendre leur activité dans la filière en apurant leurs dettes. Nous proposons d’écarter ces deux sociétés du [plan d’apurement], leurs problèmes devant être traités dans un autre cadre. »

8        Plusieurs COM ont successivement été conclus entre la République centrafricaine et la Commission concernant l’utilisation du Stabex pour le secteur du café en République centrafricaine (ci-après les « COM Stabex café »). Un premier COM Stabex café, intitulé « [COM] sur l’utilisation des transferts Stabex café de 1990 », a été signé le 16 octobre 1992 (ci-après le « COM Stabex café de 1990 »).

9        Le COM Stabex café de 1990 était orienté vers l’apurement des dettes de la République centrafricaine vis-à-vis des opérateurs, dettes accumulées entre 1987 et 1990, en contrepartie de l’engagement de cette dernière de réaliser progressivement la libéralisation de la filière café et visait, notamment, la relance de l’activité d’exportation de café. Il partait du principe de ne financer les arriérés de soutien qu’aux opérateurs qui souhaitaient et avaient la capacité de rester actifs dans la filière café, en reprenant les exportations. Il mentionnait, à cet égard, « l’hypothèse de ne payer […] les arriérés de soutien qu’aux seuls opérateurs qui souhaitent rester actifs dans la filière café durant les prochaines campagnes (en écartant, donc, dans un premier temps, les opérateurs en liquidation ou trop endettés pour continuer à être actifs dans la filière). »

10      Le point 5 du COM Stabex café de 1990 stipulait ce qui suit :

« [Le gouvernement de la République centrafricaine] et la [Commission] conviennent que les ressources des transferts [Stabex] 90 seront utilisées en priorité pour mettre en œuvre et appuyer les mesures à court terme et à moyen terme pour restructurer la filière café. Ces mesures visent principalement à […] compenser financièrement les pertes subies par les opérateurs qui souhaitent rester actifs à l’avenir dans la filière. »

11      Le versement des fonds Stabex dans le cadre du COM Stabex café de 1990 s’est effectué par le biais de contrats-plans que cinq exportateurs centrafricains avaient signés avec le gouvernement de la République centrafricaine. Cattin ne figurait pas parmi ces cinq exportateurs.

12      Une lettre du 13 novembre 1993 de Cattin au chef de la délégation de la Commission en République centrafricaine (ci-après le « chef de délégation »), fait référence à un entretien avec ledit chef de délégation, intervenu le 9 novembre 1993, et évoque le souhait de Cattin de réintégrer la filière café dans le cadre des COM Stabex café afin de lui permettre de rembourser ses dettes et d’entreprendre dans les meilleurs délais son projet de restructuration et de diversification agro-industrielle. Il y est également expliqué que Cattin était en restructuration, ce qui aurait sensiblement réduit son endettement, de sorte que le rapport d’audit n’était plus d’actualité.

13      Un nouveau COM Stabex café, intitulé « [COM] sur l’utilisation des transferts Stabex café 1991 » (ci-après le « COM Stabex café de 1991 »), a été signé le 20 janvier 1995, concernant, notamment, l’utilisation des ressources résiduelles disponibles au titre du COM Stabex café de 1990.

14      Les 6 et 19 février 1998, un troisième COM Stabex café, intitulé « [COM] pour l’utilisation des transferts Stabex café 1992-1993 », a été signé (ci-après le « COM Stabex café des années 1992-1993 »). Il ne prévoyait plus de dispositions spécifiques relatives au règlement des dettes propres à la Caistab et reprises par la République centrafricaine et au désendettement corrélatif des opérateurs, mais se focalisait sur la création d’un environnement productif et commercial plus compétitif, d’une part, et sur la réduction des coûts de transports, d’autre part. Comme les deux précédents, le COM Stabex café des années 1992-1993 indiquait que l’utilisation des reliquats, montants des transferts Stabex non utilisés dans la mise en œuvre des COM et restant ainsi disponibles sur des comptes à double signature, était décidée conjointement par la République centrafricaine et la Commission.

15      Par lettre du 14 décembre 1998, l’ON a fait savoir à Cattin qu’il ne lui avait pas répondu dans un délai raisonnable, car « le traitement de ce dossier ne [pouvait] se faire en dehors de la situation fiscale de l’entreprise et plus particulièrement de la liquidation de la [Banque de crédit agricole et de développement] qui s’achèvera[it] probablement en fin d’année ».

16      Le 19 décembre 2000, Cattin a envoyé une lettre à la direction générale (DG) « Développement » de la Commission, dont il ressort qu’elle allait inciter la République centrafricaine à lancer une demande visant à obtenir des transferts Stabex afin de recouvrer sa créance sur la Caistab, de pouvoir honorer ses dettes et relancer ses activités. Ce courrier était suivi le lendemain par une lettre au ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération internationale de la République centrafricaine, comportant une demande de saisie officielle de la délégation de la Commission en République centrafricaine (ci-après la « délégation ») pour requérir, après réexamen de la situation de Cattin au regard des interventions financières dans le cadre des COM Stabex café successifs, le règlement de sa créance sur la Caistab.

17      Dans une lettre du 14 septembre 2001 adressée à la délégation, l’ON a évoqué différentes hypothèses d’utilisation des ressources du FED disponibles, dont le « paiement des dettes de [Cattin] ». Par ailleurs, lors d’un entretien, le 23 octobre 2001, avec le directeur général adjoint de la DG « Développement », le Premier ministre de la République centrafricaine a également évoqué le souhait que 1,5 million de francs CFA, à prélever sur les reliquats Stabex, soient remboursés à Cattin pour une relance de l’exportation industrielle de café.

18      Par lettre du 7 décembre 2001, la délégation a informé l’ON qu’elle « ne [possédait] aucun élément qui lui permettrait de donner suite à ce dossier » en ajoutant que, « sur la base d’une demande précise de [Cattin], fondée sur un dossier complet et circonstancié, la [cellule d’appui à l’ON] pourrait étudier les éventuels droits de cette société dans le cadre des COM Stabex en vigueur » et que « la [délégation] rest[ait] disponible pour examiner le dossier par la suite dans le contexte des procédures habituelles ».

19      Par lettre du 15 février 2002, l’ON a répondu à la délégation. Se basant sur les éléments fournis par Cattin, l’ON sollicitait, « pour le compte de [Cattin], le déblocage d’un montant de 2 286 735,26 euros par addendum sur les reliquats des COM Stabex ».

20      Le chef de délégation a rejeté cette demande. Ainsi qu’il ressort d’une lettre du 12 juin 2002 de Cattin à l’Office de coopération EuropAid de la Commission, Cattin a été informée des raisons de ce rejet lors d’une réunion avec EuropAid, le 21 mars 2002. Il ressort de la lettre du 12 juin 2002 que les raisons fondant ledit rejet résident, en substance, dans le fait que le rapport d’audit n’avait pas été financé par les Communautés européennes, que Cattin avait une créance sur la Caistab et non sur l’État centrafricain ou sur le Stabex, ainsi que dans le fait que la recommandation du rapport d’audit d’exclure Cattin du COM Stabex café avait été adoptée, de fait, par les autorités centrafricaines.

21      Par lettre du 17 juillet 2002 adressée au chef de délégation, l’ON a réitéré sa demande dans les termes suivants :

« Il est vrai que ce dossier de créances Cattin remonte au moment de la faillite de l’[Agence de développement des zones caféières] et que, par ailleurs, un [rapport d’audit] avait émis un avis mitigé sur les créances Cattin. Cependant, après examen et analyse de ce dossier, le gouvernement continue à estimer qu’il pourrait être apporté une solution au règlement de ce dossier en recourant à une partie des fonds [du COM Stabex café 1992-1993] et le cas échéant Stabex Bois. »

22      Par lettre du 1er octobre 2002, le chef de délégation a répondu à l’ON ce qui suit :

« Après analyse approfondie [du dossier de Cattin] par la Commission, il a été conclu qu’il n’y a[vait] pas d’éléments nouveaux depuis la tenue de l’audit financier de la filière café […] en 1992 qui permettraient un traitement favorable de ce dossier dans le cadre du [Stabex]. J’espère qu’une fois cette affaire clarifiée, nous [pourrons] relancer nos efforts conjoints afin de compléter l’exécution des [Stabex] en cours sur la base des actions prévues dans les [COM] respectifs. »

23      Par lettre du 2 janvier 2003, Cattin a repris contact avec EuropAid. Au cours d’une réunion tenue le 10 janvier 2003 avec M. S., chef d’unité, Cattin a informé EuropAid que le rapport d’audit contenait des inexactitudes et que le consultant responsable de l’audit ne l’avait à aucun moment contactée.

24      Dans une lettre du 17 janvier 2003, M. S. a écrit à Cattin ce qui suit :

« Nous avons pris connaissance, lors de notre réunion du 10 janvier, de votre dossier, qui montre bien que les dettes de [Cattin] résultent du non-paiement du soutien garanti par le [g]ouvernement [c]entrafricain aux exportateurs de café. Nous avons par ailleurs pris bonne note de votre fax du 10 janvier qui nous est parvenu hier. Nous transmettons votre demande au service compétent de la [Commission…] »

25      Dans une lettre du 30 janvier 2003, la délégation a suggéré à l’ON d’utiliser le reliquat du COM Stabex café des années 1992-1993 pour le paiement des pensions. Le 10 février 2003, l’ON a adressé au chef de délégation une requête proposant l’affectation du reliquat du COM Stabex café des années 1992-1993 à l’apurement de pensions civiles et militaires.

26      Dans une note interne du 10 mars 2003, le chef de délégation a communiqué à EuropAid ce qui suit :

« Par notre note [interne du 21 janvier 2003], nous informions le siège que nos recherches nous avaient permis de déterminer (i) que le dossier présenté par [Cattin] ne contenait aucun élément lui permettant de se prévaloir d’une créance sur le FED, et (ii) que, par conséquent, le problème n’était pas, pour la Commission, de nature contentieuse […] Je constate aujourd’hui que, à travers [la note interne de l’unité ‘questions juridiques’, celle-ci] confirme notre analyse. La suite à donner à l’affaire Cattin était donc, pour l’ON, de déterminer si l’utilisation des reliquats du [COM Stabex café des années 1992-1993] pour satisfaire la demande de M. Cattin, était bien conforme à ses priorités politiques et budgétaires […] L’opération d’apurement des arriérés de pension est actuellement en cours et se terminera dans quelques semaines. Cette décision marque de manière définitive qu’un débours en faveur de [Cattin] n’était pas la priorité politique du gouvernement [centrafricain] quant à l’utilisation des reliquats du COM […] J’ai pris bonne note de votre recommandation qu’un expert soit dépêché afin de se pencher une fois pour toutes sur la ‘question Cattin’. Je partage votre sentiment que cette approche était, en l’absence d’une indication claire des priorités du gouvernement [centrafricain], la plus à même de clore rapidement cette affaire. Je vous remercie pour cette suggestion. Cependant, il est clair que les récents développements rendent superfétatoire une telle mission [d’expertise]. D’une part, parce que l’[ON] a tranché contre le paiement à [Cattin] ; d’autre part, parce que l’opération d’apurement des arriérés de pension consommera toutes les disponibilités du COM. »

27      Par lettre du 23 avril 2003, le comptable de Cattin a envoyé à celle-ci une analyse détaillée de l’état des dettes et de la créance sur l’État centrafricain au titre du Soutien café de Cattin.

28      Par lettre du 7 mai 2003, Cattin a fourni à M. S. l’analyse chiffrée exhaustive de son dossier.

29      Par lettre du 22 mai 2003 adressée à Cattin, EuropAid a répondu que son intervention n’était plus utile, du fait de la décision conjointe de la Commission et de l’ON. Il se référait, à cet égard, à la note interne du 10 mars 2003, qui était jointe en annexe à ladite lettre.

30      Le dossier de Cattin a ensuite été discuté lors d’une réunion tenue le 23 mars 2007 entre des représentants de la République centrafricaine, le cabinet du membre de la Commission compétent et M. Cattin. La réunion a été suivie d’un échange de courriers, dont une lettre du 30 octobre 2007 de M. S. à Cattin, qui indiqu[ait] ce qui suit :

« […] Compte tenu de l’ancienneté des faits sur laquelle [repose] votre requête, j’ai demandé à mon service d’effectuer un examen approfondi, en consultation avec les autres services concernés de la [Commission]. Je tiens à vous assurer qu’une réponse vous sera adressée dans les meilleurs délais […] »

31      Enfin, dans une lettre du 11 décembre 2007, M. S. a indiqué aux représentants de Cattin ce qui suit :

« [C]e dossier a déjà fait l’objet de nombreux contacts entre votre entreprise et les services de la [Commission]. Lors de ces contacts, ou indirectement dans le contexte des échanges des services de la [Commission] avec les [autorités centrafricaines], les services de la [Commission] vous ont régulièrement informés de l’absence d’une créance quelconque de votre part vis-à-vis de fonds gérés par la [Commission…] Il ressort du dossier que la ‘créance’ dont vous faites mention dans votre lettre serait liée au comportement d’un organisme centrafricain ayant été mis en liquidation il y a de nombreuses années. Le fait que des fonds tirés du mécanisme [Stabex] auraient contribué au début des années [90] à l’apurement de certaines dettes liées à la faillite dudit organisme n’implique pas pour autant la naissance d’une créance quelconque sur des fonds [Stabex] ou a fortiori sur la Commission pour les entreprises en question […] »

 Procédure et conclusions des parties

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mai 2008, les requérants ont introduit le présent recours.

33      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à verser à Cattin, au titre du préjudice matériel prétendument subi, la somme de 18 946 139 euros et, au titre du préjudice moral prétendument subi, d’une part, par Cattin, d’autre part, par M. Cattin en son nom personnel, respectivement la somme de 100 000 euros et de 150 000 euros, majorée des intérêts ;

–        condamner la Commission aux dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

35      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la demande des requérants sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

36      La Commission soutient que le recours est prescrit depuis 1997. Elle réfute l’argument des requérants selon lequel le prétendu réexamen de leur dossier aurait fait naître un nouveau délai de recours qui n’aurait commencé à courir qu’avec la lettre du 22 mai 2003. Selon elle, les requérants lui reprochent la non-éligibilité de Cattin au remboursement de sa créance sur le Soutien café. Or, cette exclusion résulterait du rapport d’audit. Le COM Stabex café de 1990, qui donne suite à ce rapport d’audit, aurait été signé entre la République centrafricaine et la Commission en octobre 1992. En conséquence, le présent recours, intenté le 21 mai 2008, serait prescrit, conformément à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

37      À titre subsidiaire, elle fait valoir que, même si un nouveau délai de prescription de cinq ans était né à la suite du prétendu réexamen du dossier, l’action aurait dû être introduite avant le 14 janvier 2008, car ledit délai aurait commencé à courir à partir de la prise de connaissance par Cattin du courrier adressé par la délégation à l’ON le 1er octobre 2002, rejetant la demande de ce dernier visant à utiliser les reliquats disponibles des fonds Stabex au paiement de Cattin. Selon la Commission, les requérants admettent avoir pris connaissance de ce courrier, au plus tard le 15 janvier 2003.

38      Les requérants contestent que leur recours soit prescrit.

39      À titre principal, ils font valoir que le délai de prescription de cinq ans a expiré le 22 mai 2008. Leur recours, introduit la veille, ne serait donc pas prescrit.

40      Premièrement, les requérants allèguent que, dans la lettre du 7 décembre 2001, la Commission a accepté de réexaminer la question du bien-fondé de l’exclusion de Cattin du remboursement de sa créance et ses éventuels droits audit remboursement dans le cadre du COM Stabex café en vigueur. Ce faisant, elle aurait accepté de rouvrir un débat sur le préjudice subi par Cattin, qui n’aurait donc pas été définitif à ce stade. Dans la lettre du 22 mai 2003, elle aurait définitivement clôturé le dossier. Ce serait seulement à ce moment-là qu’un préjudice concret et définitif serait né, déclenchant le délai de prescription de cinq ans.

41      Deuxièmement, les requérants soutiennent dans la réplique qu’il convient de distinguer leur exclusion du COM Stabex café de 1990, à la suite du rapport d’audit, de l’examen de leur dossier par la Commission entre 2001 et 2003. Les requêtes introduites successivement à partir de 2001 par l’ON auprès de la Commission s’inscriraient dans des cadres procéduraux, légaux et factuels distincts. Quant au cadre procédural, la Commission aurait marqué son accord avec l’examen du dossier de Cattin par son courrier du 7 décembre 2001. Quant au cadre légal, les requérants font valoir que la Commission a accepté, dans la lettre du 7 décembre 2001, d’étudier les éventuels droits de Cattin dans le cadre des COM Stabex en vigueur, c’est-à-dire, dans ce cas particulier, dans le cadre du COM Stabex café des années 1992-1993. Quant au cadre factuel distinct, à la suite de la lettre du 7 décembre 2001, Cattin aurait communiqué à la Commission des éléments factuels postérieurs au rapport d’audit ainsi que les points de vue favorables que divers fonctionnaires de la Commission auraient exprimés à son égard. Les éléments en cause illustreraient d’une part, l’évolution de la situation financière de Cattin depuis le rapport d’audit et, d’autre part, les lacunes et inexactitudes affectant ledit rapport. Par ailleurs, il ressortirait des annexes de la requête que certains fonctionnaires de la Commission auraient recommandé une expertise pour prendre définitivement position sur le dossier de Cattin. Enfin, il résulterait de la lettre du 17 janvier 2003 que M. S. avait compris que les dettes de Cattin résultaient du non-paiement du soutien garanti par la République centrafricaine aux exportateurs de café et, implicitement, que le rapport d’audit était entaché d’erreurs. Dans cette même lettre, M. S. aurait d’ailleurs indiqué qu’il transmettrait la demande des requérants au service compétent et à la délégation.

42      Troisièmement, une comparaison s’imposerait avec le cas du réexamen d’un acte faisant grief et devenu définitif, car le destinataire d’une telle décision serait en droit d’amener l’administration à la réexaminer s’il existait un fait nouveau et substantiel. Or, si, dans un tel cas, l’administration ne saurait opposer à ce destinataire l’expiration d’un délai de recours d’ordre public, elle devrait, à plus forte raison, être empêchée d’invoquer la prescription lorsqu’elle se voit confrontée, après avoir réexaminé un dossier, à un recours en indemnité au sens de l’article 235 CE et de l’article 288, paragraphe 2, CE, sachant, comme le prétendent les requérants, que ce délai de prescription n’est pas d’ordre public.

43      Quatrièmement, les requérants font valoir que, en acceptant de réexaminer le dossier, la Commission a, à tout le moins implicitement, renoncé à son droit de faire valoir la prescription.

44      Cinquièmement, les requérants affirment ne pas avoir introduit de recours en indemnité jusqu’en 1997, au motif qu’ils se seraient fiés à la condition que le chef de délégation leur aurait indiquée lors de la réunion du 9 novembre 1993, à savoir que la liquidation de la Banque de crédit agricole et de développement (BCAD) était un préalable à toute requête visant le paiement de la créance de Cattin. Ils relèvent, par ailleurs, que l’ON avait également indiqué dans la lettre du 14 décembre 1998 que la liquidation de la BCAD était un préalable à toute réintégration de Cattin. La BCAD ayant été liquidée en 2000, ils auraient, par courrier du 19 décembre 2000, entamé une nouvelle démarche auprès de la Commission. Selon les requérants, la Commission ne pourrait pas invoquer la prescription, car il s’agirait alors d’une application de l’adage venire contra factum proprium.

45      Enfin, les requérants rejettent l’argument avancé par la Commission selon lequel, dans l’hypothèse où le réexamen du dossier de Cattin aurait fait naître un nouveau délai de prescription de cinq ans, celui-ci aurait commencé à courir le 15 janvier 2003. Ils avancent qu’il ne ressortait ni de la lettre du 1er octobre 2002, ni des courriers ultérieurs du chef de délégation que le dossier ait été définitivement clôturé. Par ailleurs, dans la lettre du 2 janvier 2003, ils auraient rappelé à EuropAid que, lors de la réunion du 21 mars 2002, ce dernier aurait évoqué la possibilité de faire réexaminer la situation par un nouvel expert. Une réunion et un échange de courriers auraient eu lieu par la suite. Dans une note interne du 10 mars 2003, le chef de délégation aurait fait observer que l’envoi d’un expert serait la façon la plus à même de clore rapidement le dossier de Cattin, ce dont les requérants auraient été informés par la lettre du 22 mai 2003. Celle-ci ferait état de développements récents concernant le COM Stabex café des années 1992-1993, de nature à mettre un point final à l’affaire Cattin. Ils en déduisent que c’est la note interne du 10 mars 2003 qui doit être considérée comme mettant un point final à l’affaire Cattin et insistent sur le fait qu’ils n’en ont été informés que par la lettre du 22 mai 2003.

46      À titre subsidiaire, les requérants soutiennent que, dans la lettre du 30 octobre 2007, M. S. a indiqué qu’EuropAid allait effectuer un examen approfondi, en consultation avec les autres services de la Commission. De plus, dans la lettre du 11 décembre 2007, EuropAid aurait fait état d’un examen soigneux déjà intervenu. Ils estiment, dès lors, que le dossier de Cattin a ainsi été réexaminé une nouvelle fois par la Commission, déclenchant par conséquent un nouveau délai de prescription de cinq ans.

 Appréciation du Tribunal

47      La Commission fait valoir que la demande en réparation est prescrite, car formée tardivement.

48      Il y a lieu de rappeler que l’article 46 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, dispose :

« Les actions contre les Communautés en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente des Communautés. Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans le délai de deux mois prévu à l’article 230 [CE…] ; les dispositions de l’article 232, deuxième alinéa, [CE…] sont, le cas échéant, applicables. »

49      Selon la jurisprudence, le délai de prescription ainsi prévu ne saurait commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation. Ces conditions sont l’existence d’un comportement illégal des institutions, la réalité du préjudice allégué et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 10 ; arrêts du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T‑20/94, Rec. p. II‑595, point 107, et du 31 janvier 2001, Jansma/Conseil et Commission, T‑76/94, Rec. p. II‑243, point 76). La condition relative à l’existence d’un préjudice certain est remplie dès lors que le préjudice est imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même s’il ne peut pas encore être chiffré avec précision (arrêt de la Cour du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission, 281/84, Rec. p. 49, point 14, et ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03, Rec. p. II‑5839, point 106). En outre, la prescription ne peut courir qu’à partir du moment où le préjudice pécuniaire s’est effectivement réalisé [arrêt de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, point 33].

50      Les requérants font valoir que la Commission a commis plusieurs illégalités. Premièrement, ils invoquent la violation du droit d’être entendu, au motif que la Commission aurait fait sien le rapport d’audit sans qu’ils aient été entendus au stade de sa rédaction, et en refusant de le faire réexaminer. Deuxièmement, le principe de la présomption d’innocence aurait été violé à cause du fait que la Commission aurait fait siennes les recommandations du rapport d’audit sans les entendre. Troisièmement, ils font valoir que les droits de la défense les concernant ainsi que le principe de la présomption d’innocence ont été violés après le réexamen du dossier en 2001, car la Commission ne leur aurait pas donné l’occasion de se défendre quant aux allégations du rapport d’audit. Quatrièmement, ils invoquent la violation de leur droit à une protection juridictionnelle effective. Cinquièmement, la Commission aurait violé le principe de sécurité juridique dans la mesure où ils auraient été maintenus dans un état d’incertitude. En effet, ils n’auraient jamais été informés officiellement du rapport d’audit et n’auraient pas reçu de réponse à leur demande de réintégration du 13 novembre 1993. Sixièmement, la Commission aurait violé l’obligation de motivation. Septièmement, ils invoquent un traitement arbitraire et discriminatoire et une violation des principes de diligence et de bonne administration, au cours de la période allant des mois d’avril 1992 à mai 2003.

51      Concernant le préjudice, les requérants demandent réparation d’un préjudice matériel et d’un préjudice moral.

52      Il y a lieu d’examiner s’il y a prescription s’agissant de ces deux types de préjudices.

 Sur le préjudice matériel

53      Premièrement, le préjudice matériel prétendument subi par Cattin serait constitué, selon la requête, de sa créance initiale sur le Soutien café d’un montant équivalent à 1 330 464 euros au 30 avril 1992 et, compte tenu des intérêts annuels, à 9 946 139 euros au 31 décembre 2007. Deuxièmement, il comprendrait des pertes financières et économiques résultant de la mise en veille de l’entreprise, ayant entraîné l’obligation de payer des primes de licenciement et des coûts issus de l’abandon forcé des plantations satellites, chiffré à 3 millions d’euros pour le volet agricole et à 6 millions d’euros pour le volet industriel. Troisièmement, les requérants réclament un dédommagement pour le manque à gagner résultant du prétendu « anéantissement » du projet de diversification de Cattin entamé en 1986, avant la crise du café de la même année, et déjà très avancé au début des années 90. Ledit manque à gagner ne pourrait toutefois pas encore être chiffré de manière exacte à ce stade.

54      De plus, dans la réplique, les requérants font état, d’une part, d’un préjudice constitué par « la privation de salaire et la radiation par la ‘Caisse des Français de l’Étranger’ dont le calcul exact sera fourni si le Tribunal le souhaite » et, d’autre part, d’un préjudice d’un montant de 2 286 735,26 euros, et à tout le moins représentant la perte de la chance de se voir accorder un tel montant.

55      À titre liminaire, il y a lieu de déclarer la demande de réparation irrecevable en ce qu’elle concerne le manque à gagner résultant du prétendu abandon du projet de diversification de Cattin, en raison du non-respect des exigences prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. En effet, il convient de relever que la requête ne contient aucune indication concernant l’étendue de ce préjudice. Or, il est de jurisprudence constante que, en vertu de cette disposition, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03, Rec. p. II‑5839, point 120, et la jurisprudence citée).

56      Quant aux préjudices dont il est fait état dans la réplique (voir point 54 ci-dessus), force est de constater qu’il s’agit de préjudices différents de ceux dont la réparation a été demandée dans la requête.

57      Concernant le préjudice d’un montant de 2 286 735,26 euros, et à tout le moins représentant la perte de la chance de se voir accorder un tel montant, il importe de relever qu’il s’agit d’un montant bien inférieur aux 18 946 139 euros de préjudice matériel dont le remboursement est réclamé dans la requête. Les requérants n’indiquent toutefois pas vouloir limiter leur demande en indemnité à ce nouveau montant. Au contraire, il résulte de la réplique qu’ils maintiennent ce qui est indiqué dans la requête en ce qui concerne le préjudice. Il ressort également de la réplique que les requérants avancent ce montant en réponse aux arguments de la Commission selon lesquels le préjudice dont ils recherchent le dédommagement s’est concrétisé en 1992 et que leur action est donc prescrite. En effet, le montant de 2 286 735,26 euros correspond à celui sollicité par l’ON dans sa lettre du 15 février 2002 (voir point 19 ci-dessus).

58      Or, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la partie requérante a l’obligation de définir l’objet du litige et de présenter ses conclusions dans l’acte introductif d’instance. Si l’article 48, paragraphe 2, du même règlement permet, dans certaines circonstances, la production de moyens nouveaux en cours d’instance, cette disposition ne peut, en aucun cas, être interprétée comme autorisant la partie requérante à saisir le Tribunal de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l’objet du litige (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T‑28/90, Rec. p. II‑2285, point 43, et du 12 juillet 2001, T. Port/Conseil, T‑2/99, Rec. p. II‑2093, point 34 ; voir également, par analogie, arrêt de la Cour du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 3). Dans ces circonstances, la demande en indemnité est irrecevable en ce qui concerne le préjudice visé au point précédent.

59      Concernant le préjudice prétendument constitué de « la privation de salaire et de la radiation par la ‘Caisse des Français de l’Étranger’ », dont aucune indication quant à l’étendue n’est fournie, dès lors qu’il est également avancé pour la première fois dans la réplique, il y a lieu de déclarer la demande en réparation irrecevable à cet égard, conformément à la jurisprudence citée au point précédent.

60      Quant aux deux autres préjudices matériels allégués, à savoir, d’une part, la créance initiale de Cattin sur le Soutien café et, d’autre part, les pertes financières et économiques résultant de la mise en veille de Cattin, il convient de constater qu’elles résultent du non-remboursement, par le biais des fonds Stabex, de la créance de Cattin sur le Soutien café. Force est de constater que cela est la conséquence directe du fait que Cattin n’a pas figuré sur la liste des exportateurs éligibles au paiement de leur créance au moment où la Commission et la République centrafricaine ont signé le COM Stabex café de 1990, le 16 octobre 1992.

61      Rien dans le dossier n’indique que la perte financière causée par les préjudices matériels allégués serait survenue à une date postérieure au 16 octobre 1992. Par conséquent, il doit être retenu que c’est au plus tard le 16 octobre 1992 que les conditions permettant aux requérants de réclamer la réparation desdits préjudices étaient réunies, notamment la possibilité de démontrer leur caractère certain. Le délai de prescription de cinq ans a donc commencé à courir le 17 octobre 1992.

62      Force est de constater l’absence de démarche de la part des requérants envers la Commission, dans les cinq années qui ont suivi le début de la période de prescription, pouvant être qualifiée de « demande préalable » au sens de l’article 46 du statut de la Cour et ayant pu interrompre le délai de cinq ans au sens de cette disposition.

63      La première démarche des requérants postérieure au 16 octobre 1992 résulte de l’envoi de la lettre du 13 novembre 1993 au chef de délégation, dans laquelle ils font état d’une réunion avec ce dernier ayant eu lieu le 9 novembre 1993. Or, il importe de relever que cette lettre ne contient pas de demande en réparation. Il n’en découle d’ailleurs aucunement que les requérants contestaient le contenu du rapport d’audit et l’exclusion de Cattin du COM Stabex café de 1990. Elle fait seulement état de la volonté de Cattin de réintégrer la filière café, parce que les conditions économiques décrites à son égard dans le rapport d’audit n’auraient plus été d’actualité. Par ailleurs, à supposer même qu’elle ait dû être considérée comme une demande préalable, il y aurait lieu de constater qu’elle n’a pas été suivie d’un recours sur le fondement des articles 230 CE ou 232 CE. Dans ces circonstances, ladite lettre est sans effet sur le délai de prescription de cinq ans en cause.

64      La deuxième démarche postérieure au 16 octobre 1992 de la part des requérants auprès de la Commission a consisté en l’envoi d’une lettre du 19 décembre 2000, faisant état d’une réunion du 12 décembre de la même année à Bruxelles, confirmant le souhait de Cattin d’obtenir le règlement de sa créance, et annonçait une démarche prochaine de la République centrafricaine en ce sens. Or, cette lettre est intervenue après l’expiration du délai de prescription de cinq ans mentionné au point 61 ci-dessus. Elle n’a donc pas pu l’interrompre.

65      Dès lors, le délai de prescription de cinq ans est arrivé à expiration le 17 octobre 1997 sans avoir été interrompu, concernant les deux préjudices matériels allégués. L’action en responsabilité non contractuelle en cause en l’espèce, introduite le 21 mai 2008, est donc prescrite à leur égard.

66      Les requérants n’avancent pas d’arguments pouvant remettre en cause une telle conclusion.

67      Premièrement, leur argument selon lequel la Commission a accepté, dans la lettre du 7 décembre 2001, de réexaminer la question du bien-fondé de l’exclusion de Cattin, rouvrant ainsi le débat sur le préjudice subi par Cattin, qui n’aurait donc pas été définitif à ce stade, doit être rejeté. En effet, même si la Commission avait réexaminé entre 2001 et 2003 le bien-fondé de l’exclusion de Cattin de tout remboursement en 1992-1993, cela ne changerait rien au fait que le préjudice matériel, dont les requérants recherchent la réparation, s’est concrétisé en 1992. Il n’est donc pas lié à d’éventuels comportements fautifs de la part de la Commission dans le cadre de ce prétendu réexamen.

68      À cet égard, la conviction des requérants quant à une éventuelle clôture de leur dossier, qui est intervenue, selon eux, par la lettre du 22 mai 2003, ne peut que demeurer sans incidence sur la détermination de la date du début du délai de prescription.

69      En effet, il ressort de la jurisprudence que la prescription a pour fonction de concilier la protection des droits de la personne lésée et le principe de sécurité juridique. La durée du délai de prescription a été déterminée en tenant compte notamment du temps nécessaire à la partie prétendument lésée pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel et pour vérifier les faits susceptibles d’être invoqués au soutien de ce recours (ordonnance de la Cour du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, C‑136/01 P, Rec. p. I‑6565, point 28).

70      Par ailleurs, les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE, et, partant, les règles de prescription qui régissent les actions tendant à la réparation desdits dommages, ne sauraient être fondées sur des critères autres que strictement objectifs. En effet, s’il en allait différemment, cela risquerait de porter atteinte au principe de sécurité juridique sur lequel s’appuient précisément les règles de prescription et qui exige que les règles du droit soient claires et précises (voir arrêt de la Cour 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, Rec. p. I‑5341, point 59, et la jurisprudence citée).

71      En outre, empêcher le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de la Communauté de commencer à courir aussi longtemps que la partie prétendument lésée n’a pas personnellement acquis la conviction d’avoir subi un préjudice a pour conséquence de faire varier le moment de l’extinction de ladite action selon la perception individuelle que pourrait avoir chaque partie de la réalité du dommage, ce qui s’inscrit en contradiction avec l’exigence de sécurité juridique nécessaire pour l’application des délais de prescription (arrêt Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., point 70 supra, point 60). Il s’ensuit que, comme la Commission le relève à juste titre, il ne saurait être permis qu’une personne lésée puisse à son gré introduire régulièrement des demandes de réexamen de son cas particulier et ainsi éviter l’application du délai de prescription à son action concernant un dommage allégué qui se serait produit bien antérieurement.

72      Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument avancé dans la réplique selon lequel il convient de distinguer l’exclusion des requérants du COM Stabex café de 1990 et du COM Stabex café de 1991, à la suite du rapport d’audit, de l’examen de leur dossier entrepris par la Commission entre 2001 et 2003, en ce que ce dernier concernerait une procédure distincte, des périodes distinctes et un cadre légal et factuel distinct, il y a lieu de constater que les requérants remettent effectivement en cause certains comportements de la Commission en les considérant comme spécifiquement liés à l’époque du prétendu réexamen, tels que la violation des droits de la défense et du principe de la présomption d’innocence qui seraient intervenues après le réexamen du dossier en 2001, en substance, parce que la Commission n’aurait pas donné l’occasion à Cattin de se défendre au regard des allégations du rapport d’audit.

73      Force est toutefois de constater qu’aucun des préjudices matériels dont la réparation est demandée n’est spécifiquement lié à des comportements qui auraient été constatés pendant la période de réexamen, car lesdits préjudices remontent tous à l’absence d’inscription initiale de Cattin sur la liste des exportateurs éligibles au paiement de leur créance. En effet, même dans l’hypothèse où la Commission aurait accepté, le cas échéant, de réintégrer Cattin dans le COM Stabex dans les années 2000, une telle réintégration aurait procuré un avantage économique à Cattin, mais certainement pas la réparation de la totalité du dommage subi depuis l’absence d’inscription initiale de Cattin. Or, il ressort de ce qui précède que la demande indemnitaire en cause vise précisément la réparation de dommages matériels nés en 1992. Par ailleurs, comme indiqué au point 59 ci-dessus concernant le préjudice, évalué à 2 286 735,26 euros dans la réplique, correspondant au montant sollicité par l’ON dans la lettre du 15 février 2002, et, à tout le moins, de la perte de la chance de se voir accorder un tel montant, il s’avère que la demande en indemnité est irrecevable en ce qui le concerne, car les conclusions de la requête ne contenaient pas une telle demande.

74      En tout état de cause, même si le traitement du dossier de Cattin par la Commission, durant la période allant de 2001 à 2003, a pu causer un préjudice indépendant de celui né en 1992-1993 et faire naître un nouveau délai de prescription de cinq ans, c’est par la lettre du 1er octobre 2002 (voir point 22 ci-dessus) que la Commission a notifié à l’ON le refus de sa demande. Les requérants ont, en tout cas, pris connaissance de ladite lettre le 15 janvier 2003. En effet, la lettre du comptable de Cattin du 23 avril 2003 évoque le « [troisième] et dernier refus » qui aurait été communiqué à Cattin le 15 janvier 2003, ce que les requérants ne contestent d’ailleurs pas, même s’ils évoquent l’existence de courriers postérieurs internes et externes de la Commission.

75      Le fait que les requérants aient eu des contacts ultérieurs avec EuropAid ne modifie rien au fait que la lettre du 1er octobre 2002 manifeste la prise de position de la Commission sur la demande de l’ON quant à l’utilisation des reliquats et qu’ils en ont été informés au plus tard le 15 janvier 2003. Les conditions permettant aux requérants de réclamer la réparation d’un éventuel préjudice à cet égard étaient donc réunies bien avant que ne commence la période de cinq ans précédant le 21 mai 2008, date à laquelle la présente action en responsabilité a été introduite. Celle-ci est donc tardive. De plus, aucun des contacts ultérieurs décrits aux points 23 à 30 ci-dessus ne saurait conduire à un résultat différent, compte tenu du fait qu’il ne s’agit en aucun cas de demandes suivies d’un recours sur le fondement des articles 230 CE ou 232 CE au sens de l’article 46 du statut de la Cour.

76      Troisièmement, il y a également lieu de rejeter l’argument des requérants tiré d’une comparaison avec l’obligation de réexamen d’un acte faisant grief devenu définitif dans le cas de faits nouveaux substantiels, qui donne alors lieu à un nouveau délai de recours en annulation contre la décision après réexamen, comparaison dont les requérants déduisent que, a fortiori, ils devraient pouvoir bénéficier d’un nouveau délai de recours pour introduire une action en indemnité. En effet, même s’il y avait eu réexamen, cela ne changerait rien au fait que les requérants demandent la réparation de préjudices pour lesquels le délai de prescription a commencé à courir en 1992. Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la conviction personnelle des requérants quant à une éventuelle clôture de leur dossier ne peut que demeurer sans incidence sur l’application du délai de prescription.

77      Quatrièmement, ainsi que la Commission le relève à juste titre, il ne ressort pas de la lettre du 7 décembre 2001, adressée à l’ON, que la Commission aurait renoncé à son droit d’invoquer la prescription en cas d’action en responsabilité non contractuelle de la part de Cattin. L’argument des requérants se rapportant à ce courrier ne peut donc qu’être écarté.

78      Cinquièmement, l’argument selon lequel les requérants auraient attendu, conformément aux indications données par la Commission, la liquidation de la BCAD en 2000 avant d’entreprendre de nouvelles démarches envers la Commission doit également être rejeté. Les requérants soutiennent, en substance, que la Commission les a induits en erreur quant à leur possibilité d’obtenir une réintégration dans le COM Stabex avant la liquidation de la BCAD. Le chef de délégation leur aurait notamment indiqué au cours de la réunion du 9 novembre 1993 (voir point 12 ci-dessus) que la liquidation de la BCAD, auprès de laquelle Cattin avait beaucoup de dettes, était une condition préliminaire à sa réintégration dans le COM Stabex. Force est toutefois de constater que le dossier ne contient aucune preuve de la mention d’une telle condition par la Commission. Les requérants se prévalent uniquement, au stade de la réplique, de la lettre du 14 décembre 1998. Or, ladite lettre ne saurait être considérée comme susceptible d’interrompre l’écoulement du délai de recours, car il n’en ressort pas que la condition de la liquidation de la BCAD dont fait état l’ON aurait été indiquée par la Commission. Par ailleurs, il ressort de l’analyse qui précède que le préjudice des requérants était devenu certain bien avant cette date. En tout état de cause, il convient de rappeler que ce n’est pas la conviction personnelle des requérants quant à la réalité du dommage qui permet de déterminer la fixation du début du délai de prescription (arrêt Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., point 70 supra, points 59 et 60).

79      Il résulte de tout ce qui précède que l’action en responsabilité extracontractuelle des requérants est prescrite à l’égard des préjudices matériels allégués.

 Sur le préjudice moral

80      Le préjudice moral subi par Cattin serait constitué, d’une part, d’une atteinte à sa réputation due aux commentaires « diffamatoires » contenus dans le rapport d’audit et, d’autre part, d’un état d’incertitude causé par la longueur de la période de dix ans entre le rapport d’audit et la lettre du 22 mai 2003 « lui signifiant la clôture définitive de son dossier », l’absence de réponse à sa demande du 13 novembre 1993 et à certaines demandes introduites par la République centrafricaine ainsi que les efforts considérables déployés en vain tout au long de cette période pour démontrer les vices du rapport d’audit et obtenir une contre-expertise. Une compensation de 100 000 euros est demandée en réparation dudit préjudice. Pour sa part, M. Cattin demande un dédommagement de 150 000 euros pour le préjudice moral lié, d’une part, à l’« anéantissement » de sa vie professionnelle causé par les allégations « diffamatoires » du rapport d’audit et, d’autre part, à l’« humiliation » à laquelle il aurait été exposé tout au long du réexamen de son dossier par la Commission jusqu’au moment où il a dû apprendre, par le courrier du 22 mai 2003, qu’une contre-expertise aurait été le meilleur moyen de clore l’affaire, mais qu’il était trop tard pour en faire une.

81      Force est de constater que la prétendue atteinte à la réputation de Cattin et de M. Cattin a été causée, selon les requérants, par le rapport d’audit. Or, il ressort du dossier que les requérants ont été informés de l’existence du rapport d’audit et de son contenu au plus tard le 13 novembre 1993, date à laquelle Cattin a adressé une lettre au chef de délégation faisant référence au rapport d’audit. Il y a donc lieu de considérer que la prétendue atteinte à la réputation s’est concrétisée au plus tard à cette date, qui constitue ainsi le début du délai de prescription de cinq ans relatif à l’introduction d’un recours en indemnité. De plus, il n’existe aucune demande des requérants envers la Commission qui ait pu interrompre ce délai de cinq ans au sens de l’article 46 du statut de la Cour. Le présent recours, introduit le 21 mai 2008, est donc tardif.

82      Concernant le préjudice constitué par le prétendu état d’incertitude des requérants entre 1993 et la lettre du 22 mai 2003, force est de constater que, même si les requérants avancent un état d’incertitude continu jusqu’au 22 mai 2003, il ressort de l’analyse qui précède qu’ils ont pris connaissance du refus de la Commission quant à une éventuelle inclusion de Cattin dans le COM Stabex café et l’utilisation des reliquats après « réexamen » le 15 janvier 2003. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de considérer qu’un état d’incertitude à cet égard ait pu exister au-delà de cette date. Pour être recevable, la demande en réparation qui y était afférente aurait donc dû être introduite dans un délai de cinq ans commençant à courir à cette même date. Il s’ensuit que, compte tenu également du fait qu’il n’existe aucune demande des requérants envers la Commission qui aurait pu interrompre ce délai de cinq ans au sens de l’article 46 du statut de la Cour, le présent recours est tardif.

83      Il découle de tout ce qui précède que le recours est prescrit dans son entièreté et ne peut donc qu’être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant manifestement irrecevable.

2)      R. Cattin & Cie et M. Yves Cattin supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 16 décembre 2009.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       O. Czúcz


* Langue de procédure : le français.