Language of document : ECLI:EU:T:1999:256

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

14 octobre 1999 (1)

«Politique agricole commune — Aide alimentaire — Procédure d'adjudication — Paiement des adjudicataires en fruits autres que ceux spécifiés dans l'avis d'adjudication»

Dans les affaires jointes T-191/96 et T-106/97,

CAS Succhi di Frutta SpA, société de droit italien, établie à Castagnaro (Italie), représentée par Mes Alberto Miele, avocat au barreau de Padoue, Antonio Tizzano et Gian Michele Roberti, avocats au barreau de Naples, et Carlo Scarpa, avocat au barreau de Venise,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Paolo Ziotti, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Alberto Dal Ferro, avocat au barreau de Vicence, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation des décisions de la Commission C (96) 2208, du 6 septembre 1996 (affaire T-191/96), modifiant la décision du 14 juin 1996, et C (96) 1916, du 22 juillet 1996 (affaire T-106/97), relatives à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l'Arménie et de l'Arzerbaïdjan, prévue par le règlement (CE) n° 228/96,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. Potocki, président, C. W. Bellamy et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 février 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique, faits et procédure

1.
    Le 4 août 1995, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1975/95 relatif à des actions de fourniture gratuite de produits agricoles destinés aux populations de la Géorgie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, du Kirghizstan et du Tadjikistan (JO L 191, p. 2, ci-après «règlement n° 1975/95»). Les deux premiers considérants de ce règlement énoncent «qu'il convient de prévoir la mise à la disposition de la Géorgie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, du Kirghizstan et du Tadjikistan de produits agricoles afin d'améliorer les conditions de ravitaillement en tenant compte de la diversité des situations locales tout en ne compromettant pas l'évolution vers un approvisionnement selon les règles du marché», et que «la Communauté dispose de produits agricoles en stocks à la suite de mesures d'intervention et qu'il convient, à titre exceptionnel, d'écouler en priorité ces produits pour réaliser l'action envisagée».

2.
    Aux termes de l'article 1er du règlement n° 1975/95:

«Il est procédé, dans les conditions fixées par le présent règlement, à des actions pour la fourniture gratuite en faveur de la Géorgie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, du Kirghizstan et du Tadjikistan de produits agricoles à déterminer, disponibles à la suite de mesures d'intervention; en cas d'indisponibilité temporaire des produits à l'intervention, ceux-ci peuvent être mobilisés sur le marché communautaire afin de respecter les engagements de la Communauté.»

3.
    L'article 2 du règlement n° 1975/95 dispose:

«1. Les produits sont fournis en l'état ou après transformation.

2. Les actions peuvent également porter sur des denrées alimentaires disponibles ou pouvant être obtenues sur le marché moyennant la fourniture en paiement de produits provenant des stocks d'intervention appartenant au même groupe de produits.

3. Les frais de fourniture, y compris de transport et, le cas échéant, de transformation sont déterminés par procédure d'adjudication ou, pour des raisons liées à l'urgence ou à des difficultés d'acheminement, par une procédure de gré à gré.

[...]»

4.
    Par la suite, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2009/95, du 18 août 1995, portant dispositions applicables pour la fourniture gratuite de produits agricoles détenus dans les stocks d'intervention, destinés à la Géorgie, à l'Arménie, à l'Azerbaïdjan, au Kirghizstan et au Tadjikistan, prévue par le règlement n° 1975/95 (JO L 196, p. 4, ci-après «règlement n° 2009/95»).

5.
    Le deuxième considérant du règlement n° 2009/95 indique:

«[...] les fournitures gratuites sont prévues sous forme de produits agricoles livrés en l'état à partir des stocks d'intervention mais aussi sous forme de produits non disponibles à l'intervention appartenant au même groupe de produits; [...] il convient donc de prévoir les modalités spécifiques applicables pour la fourniture de produits transformés; [...] il convient notamment de prévoir que le paiement de ces fournitures peut être effectué en matières premières provenant des stocks d'intervention.»

6.
    L'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 2009/95 dispose:

«L'adjudication peut porter sur la quantité de produits à enlever physiquement dans les stocks d'intervention, en paiement de la fourniture de produits transformés appartenant au même groupe de produits au stade de livraison à déterminer dans l'avis d'adjudication.»

7.
    Selon l'article 6, paragraphe 1, sous e), 1), du règlement n° 2009/95, pour être valable, l'offre doit comporter, en cas d'application de l'article 2, paragraphe 2, «la quantité de produits proposée exprimée en tonnes (poids net) en échange d'une tonne nette de produit fini dans les conditions et au stade de livraison prévus dans l'avis d'adjudication».

8.
    Selon l'article 6, paragraphe 2, du règlement n° 2009/95:

«Une offre qui n'est pas présentée conformément aux dispositions du présent article, qui ne répond que partiellement aux conditions du règlement de l'adjudication, ou qui contient des conditions autres que celles fixées dans le présent règlement, peut conduire au refus de l'offre.»

9.
    Selon l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 2009/95, les avis d'adjudication déterminent notamment:

«—    les clauses et conditions complémentaires,

—    la définition des lots,

[...]

—    les principales caractéristiques physiques et technologiques des différents lots,

[...]».

10.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 2009/95, dans le cas d'une adjudication prévue à l'article 2, paragraphe 2, l'avis comporte notamment:

«—    le lot ou le groupe de lots à prendre en paiement de la fourniture,

—    les caractéristiques du produit transformé à fournir: nature, quantité, qualité, conditionnement, etc».

11.
    La Commission a adopté ensuite le règlement (CE) n° 228/96, du 7 février 1996, relatif à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan (JO L 30, p. 18, ci-après «règlement n° 228/96»).

12.
    Les premier et deuxième considérants du règlement n° 228/96 exposent:

«[...] le règlement (CE) n° 1975/95 prévoit que les actions de fourniture de produits agricoles peuvent porter sur des denrées alimentaires disponibles ou pouvant être obtenues sur le marché moyennant la fourniture en paiement de produits disponibles à la suite de mesures d'intervention;

[...] pour répondre à des demandes des pays bénéficiaires portant sur des jus de fruits et des confitures de fruits, il convient d'ouvrir une adjudication pour la détermination des conditions les plus avantageuses pour la fourniture de tels produits et de prévoir le paiement de l'adjudicataire en fruits retirés du marché à la suite d'opérations de retrait, en application des articles 15 et 15 bis du règlement (CEE) n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des

marchés dans le secteur des fruits et légumes [JO L 118, p. 1], modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1363/95 de la Commission [JO L 132, p. 8].»

13.
    Selon l'article 1er du règlement n° 228/96:

«Il est procédé à une adjudication pour la fourniture d'un maximum de 1 000 tonnes de jus de fruits, 1 000 tonnes de jus de fruits concentrés et 1 000 tonnes de confitures de fruits, comme indiqué à l'annexe I, selon les modalités prévues au règlement n° 2009/95, et notamment son article 2, paragraphe 2, et conformément aux dispositions spécifiques du présent règlement.»

14.
    L'annexe I du règlement n° 228/96 contient les précisions suivantes:

Lot n° 1    Produit à fournir: 500 tonnes net de jus de pommes

        Produit à retirer: pommes

Lot n° 2    Produit à fournir: 500 tonnes net de jus de pommes concentré à 50 %

        Produit à retirer: pommes

Lot n° 3    Produit à fournir: 500 tonnes net de jus d'oranges

        Produit à retirer: oranges

Lot n° 4    Produit à fournir: 500 tonnes net de jus d'oranges concentré à 50 %

        Produit à retirer: oranges

Lot n° 5    Produit à fournir: 500 tonnes net de confitures de fruits divers

        Produit à retirer: pommes

Lot no 6    Produit à fournir: 500 tonnes net de confitures de fruits divers

        Produit à retirer: oranges.

Pour chacun des lots, la date de livraison est fixée au 20 mars 1996.

15.
    Par lettre du 15 février 1996, la requérante a soumis une offre pour les lots n°s 1 et 2, proposant d'enlever en paiement de la fourniture de ses produits pour chacun de ces deux lots 12 500 tonnes et 25 000 tonnes de pommes.

16.
    Les sociétés Trento Frutta SpA (ci-après «Trento Frutta») et Loma GmbH (ci-après «Loma») ont offert, respectivement, de retirer 8 000 tonnes de pommes pour le lot n° 1 et 13 500 tonnes de pommes pour le lot n° 2. En outre, Trento Frutta a indiqué que, en cas d'insuffisance de pommes, elle était disposée à recevoir des pêches.

17.
    Le 6 mars 1996, la Commission a adressé à l'Azienda di Stato per gli Interventi nel Mercato Agricolo (organisme d'intervention italien, ci-après «AIMA»), avec copie à Trento Frutta, la note n° 10663 indiquant qu'elle avait adjugé les lots n°s 1, 3, 4, 5 et 6 à cette dernière. Selon cette note, Trento Frutta recevrait en paiement, à titre prioritaire, les quantités suivantes de fruits retirés du marché:

Lot n° 1    8 000 tonnes de pommes ou, à titre d'alternative, 8 000 tonnes de pêches;

Lot n° 3    20 000 tonnes d'oranges ou, à titre d'alternative, 8 500 tonnes de pommes ou 8 500 tonnes de pêches;

Lot n° 4    32 000 tonnes d'oranges ou, à titre d'alternative, 13 000 tonnes de pommes ou 13 000 tonnes de pêches;

Lot n° 5     18 000 tonnes de pommes ou, à titre d'alternative, 18 000 tonnes de pêches;

Lot n° 6    45 000 tonnes d'oranges ou, à titre d'alternative, 18 000 tonnes de pommes ou 18 000 tonnes de pêches.

18.
    Le 13 mars 1996, la Commission a adressé à l'AIMA la note n° 11832 l'informant de ce qu'elle avait adjugé le lot n° 2 à Loma contre le retrait de 13 500 tonnes de pommes.

19.
    L'AIMA a, conformément au règlement n° 228/96, pris les mesures nécessaires à l'exécution des notes n°s 10663 et 11832 de la Commission, précitées, par circulaire n° 93/96, du 21 mars 1996, qui reprenait le contenu de celles-ci.

20.
    Le 14 juin 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 1453, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après «décision du 14 juin 1996»). Selon le deuxième considérant de ladite décision, depuis l'adjudication, les quantités de produits en cause retirés du marché étaient négligeables par rapport aux quantités nécessaires, alors que la campagne de retrait était pratiquement achevée. Il était donc nécessaire, afin de mener à terme cette opération, de permettre aux entreprises adjudicataires qui le souhaitaient de prendre en paiement, en remplacement des pommes et des oranges, d'autres produits retirés du marché dans des proportions préétablies qui reflètent l'équivalence de transformation des produits en question.

21.
    L'article 1er de la décision du 14 juin 1996 dispose que les produits retirés du marché sont mis à la disposition des adjudicataires (à savoir Trento Frutta et Loma) à leur demande, selon les coefficients d'équivalence suivants:

a)    1 tonne de pêches pour 1 tonne de pommes,

b)    0,667 tonne d'abricots pour 1 tonne de pommes,

c)    0,407 tonne de pêches pour 1 tonne d'oranges,

d)    0,270 tonne d'abricots pour 1 tonne d'oranges.

22.
    Cette décision a été adressée à la République italienne, à la République française, à la République hellénique et au royaume d'Espagne.

23.
    Le 22 juillet 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 1916, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après «décision du 22 juillet 1996»). Selon le troisième considérant de ladite décision, la quantité disponible de pêches et d'abricots ne serait pas suffisante pour terminer l'opération et il était opportun de permettre, en outre, de substituer des nectarines aux pommes devant être enlevées par les adjudicataires.

24.
    L'article 1er de la décision du 22 juillet 1996 dispose que les produits retirés du marché sont mis à la disposition de Trento Frutta et de Loma, à leur demande, selon le coefficient d'équivalence de 1,4 tonne de nectarines pour 1 tonne de pommes.

25.
    Cette décision a été adressée à la République italienne.

26.
    Par recours introduit devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio, et notifié à l'AIMA le 24 juillet 1996, la requérante a demandé l'annulation de la circulaire n° 93/96 de l'AIMA, précitée.

27.
    Le 26 juillet 1996, au cours de la réunion organisée à sa demande avec les services de la direction générale Agriculture de la Commission (DG VI), la requérante a présenté ses objections à la substitution d'autres fruits aux pommes et aux oranges autorisée par la Commission, et a obtenu une copie de la décision du 14 juin 1996.

28.
    Le 2 août 1996, la requérante a fait parvenir à la Commission le rapport technique n° 94, réalisé par le Dipartimento Territorio e Sistemi Agro-Forestali de l'université de Padoue, sur les coefficients d'équivalence économique de certains fruits aux fins de la transformation en jus.

29.
    Le 6 septembre 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 2208, modifiant la décision de la Commission du 14 juin 1996, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après «décision du 6 septembre 1996»). Suivant le deuxième considérant de ladite décision, afin de réaliser une substitution

des produits plus équilibrée, sur l'ensemble de la période de retrait des pêches, entre les pommes et les oranges utilisées pour la fourniture de jus de fruits aux populations du Caucase, d'une part, et les pêches retirées du marché pour le paiement de ces fournitures, d'autre part, il était opportun de modifier les coefficients établis dans la décision du 14 juin 1996. Les nouveaux coefficients devaient s'appliquer uniquement aux produits qui n'avaient pas encore été retirés par les adjudicataires en paiement des fournitures.

30.
    Aux termes de l'article 1er de la décision du 6 septembre 1996, l'article 1er, sous a) et sous c), de la décision du 14 juin 1996 était modifié comme suit:

«a)    0,914 tonne de pêches pour 1 tonne de pommes,

[...]

c)    0,372 tonne de pêches pour 1 tonne d'oranges».

31.
    Cette décision a été adressée à la République italienne, à la République française, à la République hellénique et au royaume d'Espagne.

32.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 1996, la requérante a introduit un recours en annulation de la décision du 6 septembre 1996. Cette affaire a été inscrite sous le numéro T-191/96.

33.
    Par ordonnance du 26 février 1997, CAS Succhi di Frutta/Commission (T-191/96 R, Rec. p. II-211), le président du Tribunal a rejeté une demande de suspension de l'exécution de la décision du 6 septembre 1996, introduite par la requérante le 16 janvier 1997.

34.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 avril 1997, la requérante a introduit un recours en annulation de la décision du 22 juillet 1996, en faisant valoir qu'elle n'avait reçu copie de ladite décision que le 30 janvier 1997, dans le cadre de la procédure en référé. Cette affaire a été inscrite sous le numéro T-106/97.

35.
    Par ordonnance du 20 mars 1998, le président de la deuxième chambre du Tribunal a rejeté une demande introduite par Allione Industria Alimentare SpA aux fins d'être autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la requérante dans l'affaire T-191/96 (Rec. p. II-575).

36.
    Par ordonnance du 14 octobre 1998, le président de la deuxième chambre du Tribunal a ordonné la jonction des affaires T-191/96 et T-106/97 aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

37.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalable. Toutefois, il a invité la Commission à indiquer par écrit avant l'audience quel était l'état des

stocks de pommes disponibles auprès des organismes d'intervention au moment des faits. La Commission a déféré à cette invitation dans le délai imparti. L'audience s'est déroulée le 10 février 1999.

Conclusions

38.
    Dans l'affaire T-191/96, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du 6 septembre 1996, modifiant la décision du 14 juin 1996;

—    condamner la Commission aux dépens.

39.
    Dans l'affaire T-106/97, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du 22 juillet 1996;

—    condamner la Commission aux dépens.

40.
    Dans ces deux affaires, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, non fondé;

—    condamner la partie requérante aux dépens.

Affaire T-191/96

Sur la recevabilité

Arguments des parties

41.
    La Commission fait valoir que le recours est irrecevable au double motif que la requérante n'est pas directement et individuellement concernée par la décision du 6 septembre 1996, et qu'elle n'a aucun intérêt à obtenir son annulation.

42.
    La Commission souligne tout d'abord que la requérante ne conteste pas l'adjudication des lots pour lesquels elle a présenté une offre. Elle fait valoir que l'acte attaqué en l'espèce n'a pas prévu le remplacement des pommes et des oranges par des pêches mais se borne à modifier les coefficients d'équivalence entre ces fruits, cette substitution ayant été autorisée par la décision du 14 juin 1996.

43.
    Or, le fait que ces coefficients d'équivalence soient plus ou moins favorables aux adjudicataires ne pourrait concerner individuellement que ceux-ci. La situation de

la requérante, au regard de la décision du 6 septembre 1996, ne différerait en rien de celle de n'importe quel opérateur du secteur concerné autre que les adjudicataires du marché (voir, notamment, ordonnance du Tribunal du 29 juin 1995, Cantina cooperativa fra produttori vitivinicoli di Torre di Mosto/Commission, T-183/94, Rec. p. II-1941, point 49).

44.
    La jurisprudence relative à la contestation d'une procédure d'adjudication et, notamment, l'arrêt de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission (92/78, Rec. p. 777), ne serait pas pertinente. La décision du 6 septembre 1996 serait un acte indépendant de l'avis d'adjudication, adopté postérieurement à l'adjudication du marché, à laquelle il n'apporterait aucune modification. En effet, les adjudicataires seraient bien les soumissionnaires qui ont proposé de recevoir en paiement la plus faible quantité de pommes. Dans ces circonstances, la participation de la requérante à l'adjudication en question ne lui conférerait aucune qualité particulière, par rapport à toute autre tierce personne, au regard de la décision du 6 septembre 1996.

45.
    Par ailleurs, la seule circonstance qu'un acte serait susceptible d'exercer une influence sur les rapports de concurrence existants dans le marché en cause ne saurait suffire pour que tout opérateur économique se trouvant dans une quelconque relation de concurrence avec le destinataire de l'acte puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par ce dernier (arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania/Commission, 10/68 et 18/68, Rec. p. 459, point 7).

46.
    De plus, la décision contestée ayant modifié les coefficients d'équivalence fixés dans la décision du 14 juin 1996 dans le sens souhaité par la requérante, celle-ci n'aurait aucun intérêt à en demander l'annulation, puisque cette annulation aurait pour effet de rétablir les coefficients précédents (voir ordonnances du Tribunal du 15 mars 1995, Cantine dei colli Berici/Commission, T-6/95 R, Rec. p. II-647, point 29, et du 29 juin 1995, Cantine dei colli Berici/Commission, T-6/95, non publiée au Recueil, point 46).

47.
    La Commission souligne, enfin, que les moyens soulevés par la requérante auraient pu être dirigés contre la décision du 14 juin 1996, qui lui était plus défavorable, mais qu'elle n'a pas attaquée dans les délais prescrits.

48.
    La requérante soutient qu'elle est directement concernée par la décision contestée. Elle serait également individuellement concernée par la décision contestée, en premier lieu, à titre de soumissionnaire (arrêt Simmenthal/Commission, précité, points 25 et 26) et, en second lieu, en raison du préjudice économique extrêmement grave qu'elle aurait subi du fait de l'attribution à des concurrents, en paiement des fournitures, de fruits de substitution et en quantité excessive. Elle souligne que la décision litigieuse a été adoptée à la suite d'un réexamen complet de la situation effectuée par la Commission à sa demande.

49.
    La requérante soutient également qu'elle conserve un intérêt à poursuivrel'annulation de la décision attaquée, même si l'adjudication du marché en faveur de ses concurrents a été pleinement exécutée (arrêt Simmenthal/Commission précité, point 32).

Appréciation du Tribunal

50.
    L'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE) ouvre, en son quatrième alinéa, aux personnes physiques ou morales la possibilité de former un recours en annulation contre les décisions dont elles sont destinataires et contre celles qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, les concernent directement et individuellement.

51.
    Selon une jurisprudence constante, les sujets, autres que les destinataires d'une décision, ne sauraient prétendre être individuellement concernés, au sens de cette disposition, que si la décision en cause les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle dont le serait le destinataire (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 199; voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Arbeitsgemeinschaft Deutscher Luftfahrt-Unternehmen et Hapag Lloyd Fluggesellschaft/Commission, T-86/96, non encore publié au Recueil, point 42, et la jurisprudence citée).

52.
    Il est constant, en l'espèce, que la requérante a participé à l'adjudication des lots n°s 1 et 2, et que le lot n° 1 a été adjugé à Trento Frutta.

53.
    Par ailleurs, la Commission ne conteste pas que sa note n° 10663 du 6 mars 1996, précitée, contient des éléments qui ne correspondent pas aux conditions posées dans l'avis d'adjudication prévu par le règlement n° 228/96, en ce qu'elle prévoit, notamment, la substitution de pêches aux pommes et aux oranges comme mode de paiement des fournitures de Trento Frutta. Ladite note apporte donc une modification aux modalités de paiement prévues pour les différents lots.

54.
    La modification des modalités de paiement prévues pour les différents lots a été entérinée par la décision du 14 juin 1996 à l'égard de tous les adjudicataires. Par la suite, la requérante a demandé à la Commission de réexaminer cette décision. A cette fin, une réunion entre les services de la DG VI et la requérante a eu lieu le 26 juillet 1996, à la suite de laquelle celle-ci a fait parvenir à la Commission le rapport technique n° 94 (points 27 à 28, ci-dessus).

55.
    A la lumière des éléments nouveaux ainsi portés à sa connaissance et d'un réexamen de l'ensemble de la situation, notamment, du niveau du prix des pêches sur le marché communautaire constaté par ses services à la mi-août 1996 (voir le document de travail de la DG VI, annexe 11 au mémoire en défense), la

Commission a adopté la décision litigieuse du 6 septembre 1996, prévoyant de nouveaux coefficients d'équivalence entre les pêches, d'une part, et les pommes ou les oranges, d'autre part.

56.
    Par conséquent, la décision litigieuse doit être considérée comme une décision autonome, prise après une demande de la requérante, sur la base d'éléments nouveaux, et elle modifie les conditions de l'adjudication en ce qu'elle prévoit, avec des coefficients d'équivalence différents, la substitution de pêches aux pommes et aux oranges comme mode de paiement des adjudicataires, et cela malgré les contacts qui ont eu lieu entre-temps entre les parties.

57.
    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la requérante est individuellement concernée par la décision litigieuse. Elle l'est, en premier lieu, en sa qualité de soumissionnaire non retenu en ce que l'une des conditions importantes de l'adjudication — celle concernant le mode de paiement des fournitures en cause — a été ultérieurement modifiée par la Commission. En effet, un tel soumissionnaire n'est pas individuellement concerné seulement par la décision de la Commission qui détermine le sort, favorable ou défavorable, de chacune des offres présentées à la suite de l'avis d'adjudication (arrêt Simmenthal/Commission, précité, point 25). Il conserve également un intérêt individuel à veiller à ce que les conditions de l'avis d'adjudication soient respectées lors de la phase d'exécution de l'adjudication elle-même. En effet, l'absence d'indication par la Commission, dans l'avis d'adjudication, de la possibilité pour les adjudicataires d'obtenir d'autres fruits que ceux prévus en paiement de leurs fournitures, a privé la requérante de la possibilité de soumettre une offre différente de celle qu'elle avait présentée, et de disposer ainsi de la même chance que Trento Frutta.

58.
    En second lieu, dans les conditions spécifiques de l'espèce, la requérante est individuellement concernée par la décision litigieuse du fait que celle-ci a été adoptée à la suite du réexamen de l'ensemble de la situation, fait à sa demande et à la lumière, notamment, des données supplémentaires qu'elle a présentées à la Commission.

59.
    La requérante est également directement concernée par la décision litigieuse, dès lors que la Commission n'a laissé aucune marge d'appréciation aux autorités nationales quant aux modalités d'exécution de cette décision (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 13 mai 1971, International Fruit Company/Commission, 41/70, 42/70, 43/70 et 44/70, Rec. p. 411, points 25 à 28).

60.
    Il convient de rejeter, par ailleurs, l'argument tiré de ce que la requérante n'a pas attaqué dans les délais prescrits la décision du 14 juin 1996, dès lors que la décision litigieuse ne saurait être considérée comme un acte purement confirmatif de celle-ci. En effet, comme il a été constaté ci-dessus, la Commission a accepté, à la demande de la requérante, de réexaminer sa décision du 14 juin 1996, et la décision litigieuse a été adoptée à la suite de ce réexamen. Par ailleurs, la décision litigieuse fixe des coefficients d'équivalence différents et se base sur des éléments

nouveaux. Dans ces conditions, le recours de la requérante ne saurait être déclaré irrecevable de ce chef (voir arrêts du Tribunal du 3 mars 1994, Cortes Jimenez e.a./Commission, T-82/92, RecFP p. II-237, point 14, du 15 octobre 1997, IPK/Commission, T-331/94, Rec. p. II-1665, point 24, du 8 juillet 1998, Aquilino/Conseil, T-130/96, RecFP p. II-1017, point 34, et du 21 octobre 1998, Vicente-Nuñez/Commission, T-100/96, RecFP p. II-1779, points 37 à 42).

61.
    Il convient de rejeter également l'argument selon lequel la requérante n'aurait aucun intérêt à agir dès lors que l'annulation de la décision litigieuse aurait pour seul effet de rétablir les coefficients, moins favorables pour elle, prévus dans la décision du 14 juin 1996.

62.
    En effet, il n'y a pas lieu de présumer, aux fins d'apprécier la recevabilité du présent recours, qu'un arrêt d'annulation de la décision du 6 septembre 1996 aurait pour seul effet de faire renaître les coefficients d'équivalence prévus par la décision du 14 juin 1996, eu égard, notamment, à l'obligation de la Commission de prendre les mesures que comporte l'exécution du présent arrêt, conformément à l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) (voir l'arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris/Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, points 27 à 32).

63.
    En tout état de cause, il ressort du point 32 de l'arrêt Simmenthal/Commission, précité, que, même dans l'hypothèse où une décision d'adjudication aurait été pleinement exécutée en faveur d'autres compétiteurs, un soumissionnaire conserve un intérêt à voir annuler une telle décision, soit pour obtenir de la Commission une remise en état adéquate de sa situation, soit pour amener la Commission à apporter, à l'avenir, les modifications appropriées au régime des adjudications, au cas où celui-ci serait reconnu contraire à certaines exigences juridiques. Cette jurisprudence est transposable au cas d'espèce, d'autant plus qu'il est constant que les opérations visées par l'avis d'adjudication en cause n'avaient pas encore été pleinement exécutées lors de l'adoption de la décision litigieuse.

64.
    Il découle de ce qui précède que le recours est recevable.

Sur le fond

65.
    Au soutien de ses conclusions en annulation de la décision du 6 septembre 1996, la requérante invoque sept moyens tirés, respectivement: 1) de la violation du règlement n° 228/96 et des principes de transparence et d'égalité de traitement; 2) de la violation des règlements n°s 1975/95 et 2009/95; 3) d'un détournement de pouvoir; 4) d'erreurs manifestes d'appréciation; 5) de la violation de l'article 39 du traité CE (devenu article 33 CE) et du paragraphe 3, de l'article 40 du traité CE (devenu après modification, article 34 CE), ainsi que du règlement n° 1035/72, du 18 mai 1972, précité; 6) d'un défaut de motivation; 7) de l'inadéquation manifeste du mécanisme de remplacement.

66.
    Il convient d'examiner le premier moyen, tiré de la violation du règlement n° 228/96, ainsi que des principes de transparence et d'égalité de traitement.

Arguments des parties

67.
    La requérante fait valoir que, en autorisant l'adjudicataire à retirer, en paiement de la fourniture, un produit différent de celui prévu par le règlement n° 228/96, la Commission a violé ce règlement, ainsi que les principes de transparence et d'égalité de traitement.

68.
    La Commission souligne, tout d'abord, que l'objet de la réglementation en cause est de fournir une aide humanitaire aux populations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan en utilisant les produits retirés du marché par les organismes d'intervention pour soutenir le prix des produits agricoles. Dans ce cadre, la possibilité de remplacer les fruits indiqués à l'annexe I du règlement n° 228/96 par d'autres fruits retirés du marché découlerait des premier et deuxième considérants de ce règlement, ainsi que des règlements n°s 1975/95 et 2009/95.

69.
    En effet, les premier et deuxième considérants du règlement n° 228/96, ainsi que le deuxième considérant du règlement n° 1975/95, prévoiraient seulement que les fruits remis en paiement aux adjudicataires proviendraient des stocks de fruits retirés du marché à la suite des mesures d'intervention, sans préciser que ces fruits donnés en paiement aux adjudicataires doivent être visés expressément dans l'avis d'adjudication. En particulier, l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 1975/95, ainsi que l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 2009/95 n'exigeraient pas que les fruits retirés des stocks d'intervention soient identiques à ceux devant être fournis par les adjudicataires, mais simplement qu'ils doivent appartenir «au même groupe de produits».

70.
    Par ailleurs, une telle obligation ne serait pas conciliable avec les besoins réels des États bénéficiant de l'aide en cause. Ainsi, si l'un d'eux a besoin de jus d'orange et s'il n'y a pas suffisamment d'oranges retirées du marché, il serait évident que les adjudicataires seraient payés avec d'autres fruits. De même, en paiement de la fourniture de confitures de fruits divers faisant l'objet des lots n°s 5 et 6 du règlement n° 228/96, le produit à retirer serait des oranges ou des pommes.

71.
    Le remplacement, après l'adjudication, des fruits à recevoir en paiement ne constituerait nullement une violation des principes d'égalité de traitement et de transparence en ce qu'il n'aurait eu aucune influence sur le déroulement de la procédure d'adjudication. En effet, les soumissionnaires auraient tous concouru dans les mêmes conditions, à savoir celles prévues par le règlement n° 228/96 et son annexe I. Le remplacement des fruits ayant eu lieu après l'adjudication, il n'aurait pas eu la moindre influence sur le déroulement de l'opération.

Appréciation du Tribunal

72.
    Dans le cadre de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), la Cour a jugé que, lorsqu'une entité adjudicatrice a fixé des prescriptions dans le cahier des charges, le respect du principe d'égalité de traitement des soumissionnaires exige que toutes les offres y soient conformes afin de garantir une comparaison objective des offres (arrêts de la Cour du 22 juin 1993, Commission/Danemark, C-243/89, Rec. p. I-3353, point 37, et du 25 avril 1996, Commission/Belgique, C-87/94, Rec. p. I-2043, point 70). De surcroît, il a été jugé que la procédure de comparaison des offres doit respecter, à tous ses stades, tant le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires que celui de la transparence afin que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation de leurs offres (arrêt Commission/Belgique, précité, point 54).

73.
    Cette jurisprudence est transposable en l'espèce. Il en résulte que la Commission était tenue de préciser clairement dans l'avis d'adjudication l'objet et les conditions de l'adjudication, et de se conformer rigoureusement aux conditions énoncées, afin que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation de leurs offres. En particulier, la Commission ne pouvait pas modifier postérieurement les conditions de l'adjudication, et notamment celles portant sur l'offre à présenter, d'une façon non prévue par l'avis d'adjudication lui-même, sans porter atteinte au principe de transparence.

74.
    Ainsi qu'il a été constaté ci-dessus, la décision litigieuse permet aux adjudicataires, à savoir Trento Frutta et Loma, de prendre en paiement de leurs fournitures des produits autres que ceux visés par l'avis d'adjudication et, notamment, des pêches en remplacement des pommes et des oranges.

75.
    Une telle substitution n'est pas prévue par l'avis d'adjudication tel qu'il résulte du règlement n° 228/96. En effet, il ressort de l'annexe I de ce règlement, interprété selon l'article 15, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2009/95 (voir points 9 à 13 ci-dessus), que seuls les produits cités, à savoir, pour ce qui est des lots n°s 1, 2 et 5, des pommes, et, en ce qui concerne les lots n°s 3, 4 et 6, des oranges, pouvaient être retirés par les adjudicataires en paiement des fournitures.

76.
    Par ailleurs, il ressort de l'article 6, paragraphe 1, sous e), 1), du règlement n° 2009/95 (voir point 7 ci-dessus) qu'une offre, pour être valable, devait comporter la quantité de produits demandée par le soumissionnaire en paiement de la fourniture de produits transformés dans les conditions prévues par l'avis d'adjudication.

77.
    La substitution des pêches aux pommes ou aux oranges en paiement des fournitures concernées ainsi que la fixation des coefficients d'équivalence entre ces fruits constituent donc une modification importante d'une condition essentielle de l'avis d'adjudication, à savoir les modalités de paiement des produits à fournir.

78.
    Or, contrairement à ce qu'elle affirme, aucun des textes cités par la Commission, notamment les premier et deuxième considérants du règlement n° 228/96, et l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 1975/95 (points 3 et 12 ci-dessus), n'autorise, même implicitement, une telle substitution. Il n'est pas non plus prévu de substitution dans l'hypothèse, avancée par la Commission, où les quantités de fruits dans les stocks d'intervention seraient insuffisantes et où les fruits de substitution fournis en paiement aux adjudicataires appartiendraient au «même groupe de produits» que leurs fournitures.

79.
    Par ailleurs, la décision litigieuse prévoit non seulement la substitution de pêches aux pommes et aux oranges, mais elle fixe aussi des coefficients d'équivalence par référence à des événements survenus postérieurement à l'adjudication, à savoir le niveau des prix des fruits concernés sur le marché à la mi-août 1996 alors que la prise en compte de tels éléments, postérieurs à l'adjudication, pour déterminer les modalités de paiement applicables aux fournitures en cause n'est nullement prévue dans l'avis d'adjudication.

80.
    En outre, les données fournies par la Commission en cours d'instance (voir l'annexe 3 au mémoire en défense et la réponse de la Commission aux questions du Tribunal) ne justifient pas que, au moment de l'adoption de la décision litigieuse, il existait une indisponibilité de pommes dans les stocks d'intervention, de nature à empêcher l'exécution des opérations visées par l'avis d'adjudication.

81.
    A supposer même qu'une telle indisponibilité de pommes pouvant être retirées ait existé au niveau communautaire, il n'en reste pas moins qu'il incombait à la Commission de prévoir, dans l'avis d'adjudication, les conditions précises d'une substitution de fruits à ceux prévus en paiement des fournitures en cause, afin de respecter les principes de transparence et d'égalité de traitement. A défaut, il revenait à la Commission d'ouvrir une nouvelle procédure d'adjudication.

82.
    Il résulte de ce qui précède que la décision litigieuse viole l'avis d'adjudication prévu par le règlement n° 228/96, ainsi que les principes de transparence et d'égalité de traitement, et qu'elle doit donc être annulée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par la requérante.

Affaire T-106/97

83.
    Il convient d'examiner la recevabilité du recours.

Arguments des parties

84.
    La Commission soutient que le recours introduit le 9 avril 1997, l'a été après l'expiration du délai prévu par l'article 173, cinquième alinéa, du traité, lequel aurait commencé à courir le 31 octobre 1996.

85.
    En effet, la requérante aurait certainement eu connaissance du contenu de la décision du 22 juillet 1996 lors de l'audience du 31 octobre 1996 devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio. A cette date (et même dix jours avant, soit le 21 octobre 1996, selon le mémoire de l'AIMA), l'AIMA aurait versé au dossier de l'affaire pendante devant cette juridiction la note n° 29903 de la Commission du 23 juillet 1996 (annexe 11 à la défense dans l'affaire T-106/97). Cette note reprendrait le contenu de la décision du 22 juillet 1996 et, en particulier, le coefficient d'équivalence entre les pommes et les nectarines. Le texte de cette décision y aurait même été annexé.

86.
    Dans sa requête dans l'affaire T-191/96 (point 12), déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 1996, la requérante aurait d'ailleurs prétendu savoir que le 22 juillet 1996 avait été adoptée une décision de la Commission qui étendait, par rapport à la décision du 14 juin 1996, la «possibilité de substitution» des fruits. La requérante aurait également démontré qu'elle connaissait le contenu de la décision du 22 juillet 1996, en faisant expressément référence, au point 23 de la requête dans l'affaire T-191/96, aux «fruits en question (pommes et oranges, d'une part, pêches et abricots et nectarines, d'autre part)».

87.
    Le fait que la requérante n'ait pas demandé une copie de la note n° 29903 du 23 juillet 1996, précitée, dans le cadre de la procédure devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio, et qu'elle ne se soit pas préoccupée d'obtenir la communication de ce document, alors qu'elle avait engagé contre l'AIMA une action concernant l'adjudication en cause, constituerait une grave négligence et ne saurait être invoqué pour justifier le non respect du délai de recours dans la présente affaire.

88.
    A supposer même que la requérante n'ait pas effectivement pris connaissance du texte intégral de la décision du 22 juillet 1996, elle aurait, de toute façon, dû le demander formellement à la Commission (arrêt du Tribunal du 29 mai 1991, Bayer/Commission, T-12/90, Rec. p. II-219; ordonnances de la Cour du 5 mars 1993, Ferriere Acciaierie Sarde/Commission, C-102/92, Rec. p. I-801, points 17 et suivants, et du Tribunal du 10 février 1994, Frinil/Commission, T-468/93, Rec. p. II-33, points 31 et suivants).

89.
    La requérante fait valoir qu'elle n'a eu connaissance du texte de la décision du 22 juillet 1996 que lorsque la Commission a présenté son mémoire en défense dans l'affaire T-191/96, le 30 janvier 1997.

90.
    Au cours de la réunion du 26 juillet 1996 avec les services de la DG VI, la requérante aurait explicitement demandé des informations sur une éventuelle décision qui aurait étendu la possibilité de substitution de fruits à ceux prévus dans l'avis d'adjudication. Toutefois, elle n'aurait reçu aucune précision des fonctionnaires présents.

91.
    Bien que le mémoire de l'AIMA déposé dans le cadre de la procédure devant le juge administratif italien ait mentionné, en annexe, la note n° 29903 du 23 juillet 1996, précitée, la requérante n'aurait pas reçu copie de ce document et elle n'en aurait pas demandé, considérant qu'il s'agissait d'une note analogue aux autres, relatives au remplacement des pommes et des oranges par des pêches et des abricots. Par ailleurs, les observations de l'AIMA n'auraient contenu aucune référence à la décision du 22 juillet 1996, et celle-ci n'aurait pas davantage été évoquée à l'occasion de l'audience du 31 octobre 1996.

92.
    Par lettre du 5 septembre 1997 répondant à une demande de la requérante, l'AIMA aurait d'ailleurs indiqué qu'elle ne trouvait pas trace dans ses dossiers de «la décision de la Commission qui aurait été adoptée le 22 juillet 1996» (annexe 3 à la réplique dans l'affaire T-106/97).

Appréciation du Tribunal

93.
    Au point 12 de sa requête dans l'affaire T-191/96, la requérante a affirmé que, lors de la réunion du 26 juillet 1996 (voir point 27 ci-dessus), elle avait appris que la Commission avait permis aux adjudicataires de retirer, en paiement des fournitures en cause, des fruits autres que ceux prévus par l'avis d'adjudication, par deux décisions distinctes, respectivement datées des 14 juin et 22 juillet 1996, dont la seconde, qui ne lui avait pas été communiquée, aurait «encore étendu la possibilité de substitution».

94.
    Il en résulte que, le 26 juillet 1996, la requérante a eu connaissance de l'adoption par la Commission le 22 juillet 1996 d'une décision qui étendait la possibilité de substitution de fruits aux pommes et aux oranges prévue par la décision du 14 juin 1996.

95.
    Ensuite, dans son mémoire du 21 octobre 1996 déposé devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (annexe 4 à la réplique dans l'affaire T-191/96), l'AIMA a précisé:

«Il est un fait que les paramètres de conversion contestés entre les fruits (pommes, oranges, pêches, abricots et nectarines) utilisés en paiement des fournitures, à reconnaître en faveur de Trento Frutta et de Loma, dérivent de décisions communautaires (voir note n° 24700 du 20.6.96 et n° 29903 du 23.7.96) que l'AIMA devait nécessairement appliquer, en en informant les intéressés.»

96.
    Ce mémoire indique que la note de la Commission n° 29903 du 23 juillet 1996 y était annexée. Il n'est pas contesté que ladite note reprend le contenu de la décision de la Commission du 22 juillet 1996.

97.
    L'audience devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio s'est tenue le 31 octobre 1996.

98.
    Il en résulte que, à la date du 31 octobre 1996 au plus tard, la requérante avait connaissance, à tout le moins, du fait que la Commission avait adopté une décision permettant la substitution des nectarines aux fruits prévus en paiement des fournitures effectuées par Trento Frutta et Loma, et que le contenu de cette décision était repris dans une note de la Commission n° 29903 du 23 juillet 1996.

99.
    Cette constatation est confirmée par le fait que, au point 23 de sa requête dans l'affaire T-191/96, déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 1996, la requérante a fait référence à la possibilité de substitution des nectarines aux fruits visés par l'avis d'adjudication.

100.
    Même si, comme elle l'affirme, la requérante n'a pas eu connaissance du texte intégral de la décision du 22 juillet 1996 avant le 30 janvier 1997, date du dépôt du mémoire en défense dans l'affaire T-191/96, auquel une copie de cette décision était annexée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient à celui qui a connaissance de l'existence d'un acte qui le concerne d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable (ordonnance Ferriere Acciaierie Sarde/Commission, précitée, point 18).

101.
    Or, en l'espèce, il n'est pas établi que la requérante a demandé à la Commission de lui fournir le texte intégral de la décision du 22 juillet 1996, que ce soit après la réunion du 26 juillet 1996, ou bien après le dépôt du mémoire de l'AIMA devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio le 21 octobre 1996, ou bien encore après l'audience devant cette juridiction le 31 octobre 1996.

102.
    Dans ces circonstances, la requérante n'est pas fondée à prétendre que le point de départ du délai de recours doit être fixé à la date du 30 janvier 1997. En effet, il ressort de ce qui précède qu'un délai raisonnable pour demander le texte intégral de la décision du 22 juillet 1996 était nettement dépassé bien avant cette date.

103.
    Il s'ensuit que le recours, introduit le 9 avril 1997, doit être considéré comme tardif et, partant, irrecevable.

Sur les dépens

104.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Selon l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusion, ou pour des motifs exceptionnels.

105.
    La Commission ayant succombé en ses conclusions dans l'affaire T-191/96 et la requérante ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de l'instance dans cette affaire. En ce qui concerne la procédure en référé dans l'affaire T-191/96 R, le Tribunal estime, à la lumière de l'ordonnance du président du Tribunal du 26 février 1997, qu'il y a lieu d'ordonner que chaque partie supportera ses propres dépens.

106.
    En revanche, la requérante ayant succombé en ses conclusions dans l'affaire T-106/97, la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens y afférents.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision C (96) 2208 de la Commission du 6 septembre 1996 est annulée.

2)    Le recours dans l'affaire T-106/97 est rejeté comme irrecevable.

3)    La Commission est condamnée aux dépens dans l'affaire T-191/96. Chaque partie supportera ses propres dépens dans l'affaire T-191/96 R. La requérante est condamnée aux dépens se rapportant à l'affaire T-106/97.

Potocki

Bellamy
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 octobre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Potocki


1: Langue de procédure: l'italien.