Language of document : ECLI:EU:T:2005:445

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 décembre 2005 (*)

« Règlement (CE) n° 1829/2002 – Enregistrement d’une appellation d’origine – ‘feta’ – Recours en annulation – Qualité pour agir – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T-381/02,

Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de roquefort, établie à Millau (France), représentée par Mes M. Jacquot et O. Prost, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mmes P. Ormond et R. Caudwell, puis par Mme C. Jackson, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Iglesias Buhigues et Mme A.-M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

République hellénique, représentée par MM. V. Kontolaimos, I. Chalkias et Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) n° 1829/2002 de la Commission, du 14 octobre 2002, modifiant l’annexe du règlement (CE) n° 1107/96 en ce qui concerne la dénomination feta (JO L 277, p. 10),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, J. Azizi et Mme E. Cremona, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1, ci‑après le « règlement de base »), établit, selon son article 1er, les règles relatives à la protection communautaire des appellations d’origine et des indications géographiques dont peuvent bénéficier certains produits agricoles et certaines denrées alimentaires.

2        Selon l’article 2, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, une « appellation d’origine » est « le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire :

–        originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

–        dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée ».

3        L’article 2, paragraphe 3, du règlement de base prévoit :

« Sont également considérées comme des appellations d’origine, certaines dénominations traditionnelles, géographiques ou non, désignant un produit agricole ou une denrée alimentaire originaire d’une région ou d’un lieu déterminé et qui remplit les conditions visées au paragraphe 2[, sous a),] deuxième tiret. »

4        Aux termes de l’article 3 du règlement de base, les dénominations devenues génériques ne peuvent être enregistrées.

5        L’enregistrement comme appellation d’origine protégée de la dénomination d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire, doit, à cet effet, remplir les conditions posées par le règlement de base et, en particulier, être conforme à un cahier des charges défini à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement. Cet enregistrement confère à ladite dénomination une protection communautaire.

6        Les articles 5 à 7 du règlement de base établissent une procédure d’enregistrement d’une dénomination, dite « procédure normale », qui permet à tout groupement, défini comme une organisation de producteurs et/ou de transformateurs concernés par le même produit agricole ou par la même denrée alimentaire, ou sous certaines conditions, à toute personne physique ou morale d’introduire une demande d’enregistrement auprès de l’État membre dans lequel est située l’aire géographique concernée. L’État membre vérifie que la demande est justifiée et la transmet à la Commission. Celle-ci, si elle estime que la dénomination réunit les conditions pour être protégée, publie au Journal officiel des Communautés européennes les informations spécifiques qui sont détaillées à l’article 6, paragraphe 2, du règlement de base.

7        L’article 7 du règlement de base, dispose :

« 1. Dans un délai de six mois à compter de la date de publication au Journal officiel des Communautés européennes, prévue à l’article 6, paragraphe 2, tout État membre peut se déclarer opposé à l’enregistrement.

2. Les autorités compétentes des États membres veillent à ce que toute personne pouvant justifier d’un intérêt économique légitime soit autorisée à consulter la demande. En outre, conformément à la situation existant dans les États membres, ceux-ci peuvent prévoir que d’autres parties ayant un intérêt légitime peuvent y avoir accès.

3. Toute personne physique ou morale légitimement concernée peut s’opposer à l’enregistrement envisagé par l’envoi d’une déclaration dûment motivée à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel elle réside ou est établie. L’autorité compétente adopte les mesures nécessaires pour prendre en considération ces remarques ou cette opposition dans les délais requis.

[…] »

8        Si aucun État membre ne notifie à la Commission de déclaration d’opposition à l’enregistrement prévu, la dénomination est inscrite dans un registre tenu par la Commission, intitulé « Registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées ».

9        Si les États membres intéressés ne parviennent pas, en cas d’opposition recevable, à trouver un accord entre eux, conformément à l’article 7, paragraphe 5, du règlement de base, la Commission arrête une décision en application de la procédure de l’article 15 de ce même règlement (procédure du comité de réglementation). L’article 7, paragraphe 5, sous b), du règlement de base dispose que la Commission tient compte, aux fins de sa décision, « des usages loyalement et traditionnellement pratiqués et des risques effectifs de confusion ».

10      L’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement de base a trait au conflit entre une marque et une appellation d’origine ou une indication géographique. Il dispose à cet égard :

« 1. Lorsqu’une appellation d’origine ou une indication géographique est enregistrée conformément au présent règlement, la demande d’enregistrement d’une marque correspondant à l’une des situations visées à l’article 13 et concernant le même type de produit est refusée, à condition que la demande d’enregistrement de la marque soit présentée après la date de la publication prévue à l’article 6, paragraphe 2.

Les marques enregistrées contrairement au premier alinéa sont annulées.

Le présent paragraphe s’applique également quand la demande d’enregistrement d’une marque est déposée avant la date de la publication de la demande d’enregistrement prévue à l’article 6, paragraphe 2, à condition que cette publication soit faite avant l’enregistrement de la marque.

2. Dans le respect du droit communautaire, l’usage d’une marque […], enregistrée de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique peut se poursuivre nonobstant l’enregistrement d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, lorsque la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement par la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, à son article 3, paragraphe 1, [sous] c) et g), et à son article 12, paragraphe 2, [sous] b).

[…] »

11      L’article 17 du règlement de base instaure une procédure d’enregistrement, dite « procédure simplifiée », qui diffère de la procédure normale. Selon cette procédure, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou consacrées par l’usage, celles qu’ils désirent faire enregistrer en vertu du règlement de base. La procédure visée à l’article 15 du règlement de base s’applique mutatis mutandis. L’article 17, paragraphe 2, deuxième phrase, de ce règlement précise que la procédure d’opposition prévue à l’article 7 n’est pas applicable dans le cadre de la procédure simplifiée.

 Faits à l’origine du litige

12      Par lettre du 21 janvier 1994, le gouvernement hellénique a demandé à la Commission l’enregistrement de la dénomination « feta » en tant qu’appellation d’origine protégée conformément à l’article 17 du règlement de base.

13      Le 19 janvier 1996, la Commission a présenté au comité de réglementation institué par l’article 15 du règlement de base une proposition de règlement comportant une liste des dénominations susceptibles d’être enregistrées comme indications géographiques ou appellations d’origine protégées, conformément à l’article 17 du règlement de base. Dans cette liste figurait le terme « feta ». Le comité de réglementation ne s’étant pas prononcé sur cette proposition dans le délai qui lui était imparti, la Commission l’a soumise au Conseil, conformément à l’article 15, quatrième alinéa, du règlement de base, le 6 mars 1996. Le Conseil n’a pas statué dans le délai de trois mois prévu à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base.

14      En conséquence, conformément à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base, la Commission a arrêté, le 12 juin 1996, le règlement (CE) n° 1107/96 relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement [de base] (JO L 148, p. 1). Conformément à l’article 1er du règlement n° 1107/96, la dénomination « feta », figurant à l’annexe dudit règlement, dans la partie A, sous la rubrique « Fromages » et sous le nom de pays « Grèce », a été enregistrée comme appellation d’origine protégée.

15      Par arrêt du 16 mars 1999, Danemark e.a./Commission (C‑289/96, C‑293/96 et C‑299/96, Rec. p. I‑1541), la Cour a annulé le règlement n° 1107/96 pour autant qu’il procède à l’enregistrement de la dénomination « feta » en tant qu’appellation d’origine protégée. La Cour a retenu dans son arrêt que la Commission, lorsqu’elle avait examiné la question de savoir si « feta » constituait une dénomination générique, n’avait pas dûment tenu compte de l’ensemble des facteurs que l’article 3, paragraphe l, troisième alinéa, du règlement de base l’obligeait à prendre en considération.

16      À la suite de cet arrêt, la Commission a adopté, le 25 mai 1999, le règlement (CE) n° 1070/99 modifiant l’annexe du règlement n° 1107/96 (JO L 130, p. 18) supprimant la dénomination « feta » du registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées ainsi que de l’annexe du règlement n° 1107/96.

17      Après avoir postérieurement réexaminé la demande d’enregistrement du gouvernement hellénique, la Commission a soumis un projet de règlement au comité de réglementation, conformément à l’article 15, deuxième alinéa, du règlement de base, proposant d’enregistrer la dénomination « feta » sur le fondement de l’article 17 du règlement de base, en tant qu’appellation d’origine protégée, au registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées. Le comité n’ayant pas pris position sur ce projet dans le délai qui lui était imparti, la Commission l’a soumis au Conseil conformément à l’article 15, quatrième alinéa, du règlement de base.

18      Le Conseil n’ayant pas statué sur le projet dans le délai prévu à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base, la Commission a arrêté, le 14 octobre 2002, le règlement (CE) n° 1829/2002 modifiant l’annexe du règlement n° 1107/96 en ce qui concerne la dénomination « feta » (JO L 277, p. 10, ci-après le « règlement attaqué »). En vertu de ce règlement, la dénomination « feta » a de nouveau été enregistrée en tant qu’appellation protégée et elle a été ajoutée à l’annexe du règlement n° 1107/96, dans la partie A, sous les rubriques « Fromages » et « Grèce ».

 Procédure

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

20      Par lettre du 30 janvier 2003, la Commission a demandé la suspension de l’affaire jusqu’au prononcé de l’arrêt dans les affaires C‑465/02 et C‑466/02.

21      Par lettre du 24 février 2003, la requérante a fait savoir qu’elle ne s’opposait pas à la demande de suspension.

22      Par décision du 19 mars 2003, le Tribunal a rejeté la demande de suspension et a ordonné la poursuite de la procédure.

23      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 26 mai 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Le 7 juillet 2003, la requérante a déposé ses observations écrites sur cette exception.

24      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 16 avril et 2 mai 2003, la République hellénique et Syndesmos Ellinikon Viomichanion Galaktokomikon Proïonton (SEV-GAP) (Association des industries grecques de produits laitiers) ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

25      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2003, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 avril 2003, la Région Languedoc-Roussillon a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

27      Par ordonnance du 26 août 2003, la République hellénique et le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admises à intervenir.

28      Par lettre du 19 septembre 2003, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a fait savoir qu’il renonçait à déposer un mémoire en intervention.

29      Le 6 octobre 2003, la République hellénique a déposé son mémoire en intervention au soutien des conclusions de la Commission.

30      Par lettre du 17 août 2004, la Région Languedoc-Roussillon a informé le Tribunal de son intention de retirer son intervention.

31      Par ordonnance du 19 octobre 2004, la Région Languedoc-Roussillon a été radiée de l’affaire en tant que demanderesse en intervention.

 Conclusions des parties

32      Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué en ce qu’il enregistre la dénomination « feta » ;

–        condamner la Commission aux dépens.

33      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

34      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        déclarer le recours recevable ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      Dans son mémoire en intervention, la République hellénique conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable.

 En droit

36      Par le présent recours, la requérante, une organisation interprofessionnelle composée de la Fédération régionale des syndicats des éleveurs de brebis et de la Fédération des syndicats des industriels de roquefort, demande l’annulation du règlement attaqué. Elle invoque en particulier une violation des articles 2, 3 et 17 du règlement de base ainsi qu’une violation des principes de proportionnalité et de confiance légitime.

37      La Commission et la République hellénique, intervenant à son soutien, estiment que le recours est irrecevable au motif que la requérante n’a pas qualité pour agir au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. La République hellénique soutient, en outre, que le recours a été introduit hors délai.

38      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier pour statuer sur l’exception soulevée par la Commission sans ouvrir la procédure orale.

 Sur la fin de non-recevoir soulevée par la République hellénique relatif à la tardiveté du recours

39      La République hellénique soutient que le recours est irrecevable au motif qu’il a été introduit hors délai. Le règlement attaqué ayant été publié le 15 octobre 2002 et le recours n'ayant été introduit que le 18 décembre 2002, le délai de deux mois prévu à l'article 230, cinquième alinéa, CE, n'aurait pas été respecté.

40      Force est de constater que cette fin de non‑recevoir est manifestement non fondée. En effet, le délai de recours ne commence à courir, conformément à l'article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, qu'à la fin du quatorzième jour suivant la publication de l'acte en cause. À cela s'ajoute le délai de distance prévu à l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, soit dix jours supplémentaires. Partant, le présent recours a été introduit dans les délais.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la requérante

 Arguments des parties

41      La Commission soutient que le recours vise un règlement ayant une portée générale, au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE, et que la requérante n’est pas individuellement concernée par le règlement attaqué.

42      La requérante estime que le recours est recevable.

43      Elle soutient, en premier lieu, qu’elle est recevable à agir parce qu’elle est habilitée à défendre les intérêts de ses membres dans le cadre de la présente procédure. Elle considère qu’il ressort de ses statuts qu’elle a notamment pour objet « la défense des intérêts économiques communs aux éleveurs de brebis et aux fabricants de roquefort ». Selon la requérante, l’objectif de ces statuts et les moyens qui lui sont conférés pour le réaliser sont suffisamment larges pour englober le présent recours. De plus, la requérante serait une organisation interprofessionnelle, reconnue comme telle par un décret français, qui aurait notamment pour objet la régulation du marché du lait de brebis dans le bassin de production de Roquefort et, à ce titre, défendrait les intérêts de tous les éleveurs et de tous les industriels transformateurs de ce lait. La requérante ajoute qu’un mandat ad hoc a été délivré à son président lui conférant le pouvoir d’ester en justice en son nom dans le cadre du présent recours.

44      La requérante prétend, en deuxième lieu, que ses membres sont individuellement affectés par le règlement nº 1829/2002. En effet, selon la requérante, en dehors des producteurs grecs de fromage feta à base de lait de brebis qui peuvent continuer à utiliser la dénomination « feta », les producteurs français, regroupés en son sein, sont les seuls qui aient une production réellement significative et commercialisée de fromage feta fabriqué à base de lait de brebis. Les membres de la requérante formeraient ainsi, de par cette spécificité, un « cercle fermé » d’opérateurs au sens de la jurisprudence.

45      En troisième lieu, la requérante fait valoir que les producteurs français de fromage Feta à base de lait de brebis ont déposé et utilisent effectivement des marques contenant le terme « feta ». Ainsi, la requérante soutient que, à l’instar de ce qui a été jugé dans l’affaire Codorníu (arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorníu/Conseil, C‑309/89, Rec. p. I‑1853), l’enregistrement de ces marques conduit à individualiser ses membres.

46      En quatrième lieu, la requérante estime que, dans la mesure où un producteur de fromage feta a fait l’objet d’un financement communautaire, au titre du règlement (CEE) nº 355/77 du Conseil, du 15 février 1977, concernant une action commune pour l’amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 51, p. 1), la Commission aurait du tenir compte de la situation particulière de ce producteur dont la situation serait caractérisée par rapport à tout autre opérateur.

47      Enfin, la requérante fait valoir que le recours par la Commission à la procédure simplifiée visée à l’article 17 du règlement de base l’a privée des garanties procédurales prévues par la procédure normale qui, conformément à l’article 7 du règlement de base, accorde à toute personne physique ou morale légitimement concernée la possibilité de s’opposer à l’enregistrement envisagé.

 Appréciation du Tribunal

48      L’article 230, quatrième alinéa, CE dispose que toute personne, physique ou morale, peut former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement, la concernent directement et individuellement.

49      Selon une jurisprudence constante, le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question (ordonnances de la Cour du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C‑10/95 P, Rec. p. I‑4149, point 28, et du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C‑87/95 P, Rec. p. I‑2003, point 33). Un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit ses effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière abstraite (voir arrêt du Tribunal du 10 juillet 1996, Weber/Commission, T‑482/93, Rec. p. II‑609, point 55, et la jurisprudence citée).

50      En l’espèce, le règlement attaqué assure à la dénomination « feta » la protection des appellations d’origine prévue par le règlement de base.

51      Cette protection consiste dans le fait de réserver l’utilisation de la dénomination « feta » aux fabricants originaires de l’aire géographique décrite, dont les produits respectent les exigences géographiques et qualitatives imposées à la fabrication de feta dans le cahier des charges. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, le règlement attaqué, loin de s’adresser à des opérateurs déterminés, tels que la requérante, reconnaît à toutes les entreprises dont les produits satisfont aux exigences géographiques et qualitatives prescrites le droit de les commercialiser sous la dénomination susvisée et refuse ce droit à toutes celles dont les produits ne remplissent pas ces conditions, lesquelles sont identiques pour toutes les entreprises. Le règlement attaqué s’applique aussi bien à tous les fabricants – présents et à venir – de feta légalement autorisés à employer cette dénomination qu’à tous ceux qui auront l’interdiction de l’utiliser au terme de la période transitoire. Il ne vise pas uniquement les producteurs des États membres, mais produit également ses effets juridiques à l’égard d’un nombre inconnu de fabricants de pays tiers souhaitant importer du fromage feta dans la Communauté, aujourd’hui ou à l’avenir (ordonnance du Tribunal du 6 juillet 2004, Alpenhain-Camembert-Werk e.a./Commission, T‑370/02, non encore publiée au Recueil, point 54).

52      Dès lors, le règlement attaqué constitue une mesure de portée générale au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE. Il s’applique à des situations déterminées objectivement et produit ses effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière abstraite (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 15 septembre 1998, Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, T‑109/97, Rec. p. II‑3533 ; du 26 mars 1999, Biscuiterie-confiserie LOR et Confiserie du Tech/Commission, T‑114/96, Rec. p. II‑913, points 27 à 29 ; du 9 novembre 1999, CSR Pampryl/Commission, T‑114/99, Rec. p. II‑3331, points 42 et 43, et Alpenhain-Camembert-Werk e.a./Commission, point 51 supra, point 55). Cette portée générale résulte au demeurant de l’objet de la réglementation en cause, à savoir protéger, erga omnes et dans l’ensemble de la Communauté européenne, des indications géographiques et des appellations d’origine valablement enregistrées.

53      Toutefois, il n’est pas exclu qu’une disposition qui a, par sa nature et sa portée, un caractère normatif puisse concerner individuellement une personne physique ou morale.

54      À cet égard, il convient de rappeler qu'une association professionnelle constituée pour la défense et pour la représentation des intérêts de ses membres est recevable à introduire un recours en annulation dans trois types de situation, à savoir, premièrement, lorsqu’une disposition légale lui reconnaît expressément une série de facultés à caractère procédural, deuxièmement, lorsque l’association représente les intérêts d’entreprises qui, elles-mêmes, seraient recevables à agir, et troisièmement, lorsque l’association, elle-même, est individualisée en raison de l’atteinte à ses intérêts propres en tant qu’association, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (voir ordonnance du Tribunal du 8 septembre 2005, ASAJA/Conseil, T‑295/04 à T‑297/04, non encore publiée au Recueil, point 50).

55      En l’espèce, la requérante ne prétend pas être recevable en raison de l’affectation de ses intérêts propres, mais soutient uniquement que le recours est recevable au titre des deux premières situations.

56      En ce qui concerne la première situation visée, à savoir l’existence d’une disposition légale reconnaissant expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural, la requérante fait valoir qu’elle bénéficie d’un droit de nature procédurale conféré par la réglementation communautaire, notamment par l’article 7 du règlement de base. Elle estime, en outre, que, si la procédure normale d’enregistrement de l’appellation « feta » avait été suivie par la Commission, elle aurait bénéficié d’un droit d’opposition.

57      Cette argumentation ne saurait prospérer. Force est de constater, en effet, que le règlement de base ne reconnaît aucun droit de nature procédurale au bénéfice propre des associations professionnelles telles que la requérante.

58      En outre, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà jugé que le règlement de base n’établit pas de garanties procédurales spécifiques, au niveau communautaire, en faveur des particuliers (ordonnances Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, point 52 supra, point 67, et Alpenhain-Camembert-Werk e.a./Commission, point 51 supra, point 67).

59      La Cour a confirmé cette jurisprudence dans son ordonnance du 26 octobre 2000, Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission (C‑447/98 P, Rec. p. I‑9097, points 71 à 73 ; voir, également, en ce sens, ordonnance du 30 janvier 2002, La Conqueste/Commission, C‑151/01 P, Rec. p. 1179, points 43 et 44).

60      Il s’ensuit que l’argument tiré de l’existence de droits procéduraux soit dans le chef de l’association elle-même, soit dans le chef de ses membres n’est pas de nature à individualiser la requérante.

61      En ce qui concerne la deuxième hypothèse dans laquelle une association peut former un recours en annulation, il convient de vérifier, d’une part, si la requérante représente, conformément à ses statuts, dans le cadre du présent recours, les intérêts de ses membres et, d’autre part, si ceux-ci seraient recevables à agir.

62      À cet égard, il convient, à titre liminaire, de relever que, conformément à l’article 1er de ses statuts, les membres de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de roquefort sont, d’une part, la Fédération régionale des syndicats des éleveurs de brebis et, d’autre part, la Fédération des syndicats des industriels de roquefort. Le premier membre est constitué d’un regroupement de syndicats communaux et intercommunaux d’éleveurs de brebis, et le second regroupe le Syndicat aveyronnais des fabricants de fromage de roquefort et la Chambre syndicale des industriels de roquefort.

63      Par conséquent, les membres de la requérante sont des fédérations de syndicats et non des producteurs de fromage. Toutefois, les arguments avancés par la requérante pour établir que les membres qu’elle représenterait sont recevables se rapportant non seulement à ses membres que sont les fédérations de syndicats, mais également à des producteurs individuels de fromage, qui sont à leur tour membres desdites fédérations, la recevabilité du recours sera examinée pour les deux hypothèses.

64      S’agissant des fédérations de syndicats, force est de constater que la requérante n’a avancé aucun élément de nature à démontrer que celles-ci seraient recevables à agir aux fins du présent recours.

65      En outre, ces fédérations ne font que défendre les intérêts généraux de leurs membres, agissant dans le secteur du fromage, respectivement les producteurs de lait de brebis au sein de la Fédération régionale des syndicats des éleveurs de brebis et les transformateurs, au sein de la Fédération des syndicats des industriels de roquefort. Les intérêts propres de ces deux fédérations ne sont pas mis en cause par le règlement attaqué, qui ne les atteint pas en raison de certaines qualités qui leur seraient particulières ou d’une situation de fait qui les caractériserait par rapport à toute autre personne.

66      Les fédérations de syndicats membres de la requérante ne sont donc pas individuellement concernées par le règlement attaqué qui s’applique à des situations déterminées objectivement et produit ses effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière abstraite.

67      Par conséquent, les deux fédérations membres de l’association requérante ne sont pas recevables à agir.

68      S’agissant des producteurs individuels de fromage qui sont membres des fédérations à leur tour membres de la requérante, il convient d’examiner, tout d’abord, la question de savoir si la requérante les représente valablement aux fins du présent recours.

69      À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante invoque à plusieurs reprises dans ses écritures la représentation d’intérêts généraux, distincts des intérêts individuels de certains de ses membres. Ainsi, dans sa requête, la requérante se borne à faire valoir qu’elle a pour fonction d’organiser la collecte et le contrôle de qualité du lait de brebis, de réguler le marché du lait, de faire de la publicité collective et d’assurer un système de péréquation de prix du lait entre les différents utilisateurs. De même, dans ses observations sous l’exception d’irrecevabilité, elle souligne qu’elle ne « défend […] pas les intérêts de telle ou telle entreprise ou de tel ou tel éleveur ». Elle soutient, en outre, que son action « vise, en particulier, à assurer un débouché aux éleveurs de lait de brebis et aux producteurs du bassin de Roquefort ».

70      Par ailleurs, l’objet social de la requérante, défini à l’article 4 de ses statuts, énonce des objectifs généraux visant l'étude et la défense des intérêts économiques communs aux éleveurs de brebis et aux fabricants de roquefort.

71      Il s’ensuit, d’une part, qu’il n’apparaît pas que la requérante ait pour mission de défendre en justice les intérêts des certains producteurs de feta, et, d’autre part, que, au vu tant de ses statuts que de ses écritures, la requérante n’est pas chargée de la défense des intérêts particuliers de certains producteurs de fromage feta qui sont membres de fédérations à leur tour membres de la requérante, mais exclusivement de la protection des intérêts généraux et collectifs dans le secteur du marché du lait de brebis du bassin de Roquefort et de l’appellation « roquefort ».

72      Dans ces conditions, la requérante ne saurait être considérée comme représentant valablement les intérêts de certains producteurs de feta aux fins du présent recours.

73      À titre surabondant, à supposer que la requérante puisse valablement représenter, conformément à ses statuts, des producteurs individuels de fromages, il convient, ensuite, de vérifier si ces producteurs sont recevables à agir en annulation contre le règlement attaqué et, en particulier, s’ils ont un intérêt à agir et s’ils sont individuellement concernés par le règlement attaqué.

74      À cet égard, en ce qui concerne, premièrement, les allégations de la requérante selon lesquelles seuls les producteurs français, regroupés en son sein, auraient une production réellement significative de fromage feta fabriqué à base de lait de brebis et que, de ce fait, ces producteurs formeraient un cercle fermé et seraient individualisés, il convient de noter que l’argumentation de l’association requérante est dénuée de pertinence.

75      En effet, selon une jurisprudence constante, la portée générale et, partant, la nature normative d’un acte ne sont pas remises en cause par la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en relation avec la finalité de cet acte (arrêt de la Cour du 11 juillet 1968, Zuckerfabrik Watenstedt/Conseil, 6/68, Rec. p. 595, 605 et 606, et ordonnance du Tribunal du 29 juin 1995, Cantina cooperativa fra produttori vitivinicoli di Torre di Mosto e.a./Commission, T‑183/94, Rec. p. II‑1941, point 48).

76      Tel est le cas en l’espèce, puisque le règlement attaqué affecte, sans distinction, tous les producteurs présents et à venir désireux de commercialiser du fromage sous la dénomination « feta » dans la Communauté. Les producteurs de fromage à base de lait de brebis ou de fromage roquefort sont donc affectés de la même manière que toutes les autres entreprises dont les produits ne sont pas davantage conformes aux exigences des dispositions du règlement attaqué.

77      En ce qui concerne, deuxièmement, les allégations de la requérante selon lesquelles certains de ses membres, producteurs de fromage feta, auraient déposé et utilisé des marques contenant le terme « feta », à savoir les marques « Salakis- Feta brebis », « Valbreso feta » et « Salakis, la Feta au bon lait de brebis », dont l’utilisation serait remise en cause par le règlement attaqué, force est de constater que le règlement attaqué ne porte pas atteinte à un droit spécifique, au sens de la jurisprudence (voir ordonnance du Tribunal du 30 janvier 2001, La Conqueste/Commission, T‑215/00, Rec. p. II‑181, point 39, et la jurisprudence citée), acquis par les producteurs de fromage feta, titulaires de marques comprenant le terme « feta ».

78      En effet, les titulaires de ces marques ne sont pas privés, en raison de l’adoption du règlement attaqué, de la possibilité d’utiliser leur droit de marque dans la mesure où, conformément à l’article 14, paragraphe 2, du règlement de base, l’usage de ces marques, sous réserve qu’elles soient enregistrées de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’appellation « feta », peut se poursuivre, nonobstant l’enregistrement de cette appellation d’origine. Ce n’est que dans l’hypothèse où les marques encourent les motifs de nullité ou de déchéance prévus par la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 40, p. 1), que leurs titulaires pourraient être privés du droit de les utiliser.

79      En ce qui concerne les marques contenant le terme « feta » enregistrées postérieurement à la demande d’enregistrement de l’appellation « feta », il y a lieu de relever, en premier lieu, que les titulaires de telles marques ne peuvent invoquer l’arrêt Codorníu/Conseil (point 45 supra), dans la mesure où, contrairement aux faits ayant donné lieu à cet arrêt, les marques en cause n’ont pas été enregistrées et employées pendant une longue période avant l’adoption du règlement enregistrant l’appellation « feta ».

80      Dès lors, le règlement attaqué ne porte pas atteinte à un droit spécifique des producteurs de fromage de feta, issu de l’enregistrement de marques comprenant le terme « feta », susceptible de les individualiser par rapport à tout autre opérateur.

81      En ce qui concerne, troisièmement, l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait dû tenir compte de la situation d’un producteur qui aurait bénéficié d’un financement communautaire, il suffit de constater que la requérante n’a pas indiqué en vertu de quelles dispositions spécifiques la Commission se devait de tenir compte de la situation de ce producteur particulier (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C‑390/95 P, Rec. p. I‑769, point 25). À supposer même que tel soit le cas, il ne peut, en tout état de cause, être déduit de la seule constatation que la Commission a l’obligation de se renseigner sur les répercussions que l’acte en cause risque d’avoir sur certaines entreprises que celles-ci sont individuellement concernées au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen, C‑142/00 P, Rec. p. I‑3483, point 75).

82      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante, d’une part, ne bénéficie pas de droits procéduraux propres et, d’autre part, ne représente pas les intérêts de membres qui seraient recevables aux fins du présent recours dès lors que, selon ses statuts, elle n’a pas pour mission de défendre en justice les intérêts des producteurs de feta et qu’elle est chargée de la protection d’intérêts exclusivement collectifs et non de représenter un seul de ses membres en tant que titulaire d’une marque, et que ces producteurs ne seraient, en tout état de cause, pas recevables à agir.

83      Le présent recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

84      Partant, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention de SEV-GAP.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu, au vu des conclusions de la Commission, de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

86      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. En l’espèce, il y a lieu de condamner la République hellénique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3)      La République hellénique ainsi que le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 13 décembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.