Language of document : ECLI:EU:T:2006:35

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

31 janvier 2006 (*)

« Police sanitaire – Médicaments vétérinaires – Produits contenant de la benzathine benzylpénicilline – Décision de la Commission ordonnant la suspension des autorisations de mise sur le marché – Compétence »

Dans l’affaire T‑251/03,

Albert Albrecht GmbH & Co. KG, établie à Aulendorf (Allemagne),

AniMedica GmbH, établie à Seden-Bösensell (Allemagne),

Ceva Tiergensundheit GmbH, établie à Düsseldorf (Allemagne),

Fatro SpA, établie à Bologne (Italie),

Laboratorios Syva, SA, établie à León (Espagne),

Laboratorios Virbac, SA, établie à Barcelone (Espagne),

Química Farmacéutica Bayer, SA, établie à Barcelone,

Univete Técnica Pecuaria Comercio Industria, Lda, établie à Lisbonne (Portugal),

Vétoquinol Especialidades Veterinarias, SA, établie à Madrid (Espagne),

Virbac SA, établie à Carros (France),

représentées par Mes D. Waelbroeck, U. Zinsmeister et N. Rampal, avocats,

parties requérantes,

soutenues par

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. H. Støvlbæk et M. Shotter, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2003) 1404 de la Commission, du 22 avril 2003, concernant la suspension des autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires contenant la substance benzathine benzylpénicilline destinés à être administrés par voie intramusculaire et/ou sous-cutanée aux animaux producteurs d’aliments,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mmes M. E. Martins Ribeiro et K. Jürimäe, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       La réglementation concernant la commercialisation des médicaments vétérinaires dans l’Union européenne a été codifiée par la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO L 311, p. 1, ci-après le « code VET » ou « VET »). Conformément à son article 97, le code VET est entré en vigueur le 18 décembre 2001.

2       Le code VET codifie, notamment, les dispositions de la directive 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1, ci-après la « directive 81/851 »), telle que modifiée par les directives 90/676/CEE du Conseil, du 13 décembre 1990 (JO L 373, p. 15), 93/40/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 31), et 2000/37/CE de la Commission, du 5 juin 2000 (JO L 139, p. 25, ci-après la « directive 81/851 modifiée »).

3       La directive 81/851 modifiée constitue la transposition, en matière vétérinaire, de la réglementation communautaire concernant les médicaments à usage humain figurant dans la deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée, notamment, par la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant les directives 65/65/CEE, 75/318/CEE et 75/319/CEE concernant les médicaments (JO L 214, p. 22) (ci-après la « directive 75/319 modifiée »). Cette directive 75/319 modifiée a fait, comme la directive 81/851 modifiée, l’objet d’une codification, par la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67, ci-après le « code HUM » ou « HUM »).

4       En particulier, les articles 16 à 23 quater de la directive 81/851 modifiée (correspondant aux articles 31 à 43 VET) constituent le pendant, libellé en termes presque identiques, dans le domaine des médicaments vétérinaires, des articles 8 à 15 quater de la directive 75/319 modifiée (correspondant aux articles 27 à 39 HUM), applicable dans le domaine des médicaments humains.

5       Il résulte de l’article 5 VET qu’aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément au code VET, ou par la Communauté, conformément au règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1). En vertu de son article 74, l’essentiel des dispositions du règlement n° 2309/93 est entré en vigueur le 1er janvier 1995.

 Procédures d’AMM

6       Il existe trois procédures d’AMM en matière de médicaments vétérinaires : la procédure communautaire décentralisée, la procédure communautaire centralisée et la procédure nationale.

7       La procédure communautaire décentralisée a été instaurée par la directive 93/40, à compter du 1er janvier 1995. Elle est régie par les articles 32 et 33 VET (correspondant aux articles 17 et 18 de la directive 81/851 modifiée) et est fondée sur le principe de la reconnaissance mutuelle.

8       Cette procédure débute par une demande d’AMM nationale adressée à un État membre (ci-après l’« État membre de référence »). La délivrance de cette AMM nationale s’opère au niveau national, dans des conditions harmonisées, fixées à l’origine par la directive 81/851, lesquelles conditions sont désormais codifiées, pour l’essentiel, dans les chapitres 1 (« Autorisation de mise sur le marché ») et 3 (« Procédure relative à l’autorisation de mise sur le marché ») du titre III VET (« Mise sur le marché »).

9       Le titulaire de l’AMM nationale ainsi délivrée en sollicite alors la reconnaissance dans un ou plusieurs autres États membres, conformément à l’article 32 VET, figurant dans le chapitre 4 (« Reconnaissance mutuelle des autorisations ») du titre III VET (ci-après le « chapitre 4 du titre III VET » ou le « chapitre 4 VET »). Ce ou ces États membres ne peuvent refuser cette reconnaissance que pour des motifs tirés d’un risque pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement (article 32, paragraphe 4, et article 33, paragraphe 1, VET). Si un tel risque est invoqué et si les États membres concernés ne se mettent pas d’accord sur les mesures à prendre concernant la demande de reconnaissance, le comité des médicaments vétérinaires (ci-après le « CMV »), relevant de l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (EMEA), est saisi d’une procédure d’avis (article 33, paragraphe 2, et article 36 VET) qui est suivie de la prise d’une décision obligatoire par la Commission ou le Conseil (articles 37, 38 et article 89, paragraphe 2, VET).

10     La procédure communautaire centralisée a été instituée par le règlement n° 2309/93. Selon cette procédure, la demande d’AMM est adressée à l’EMEA et mène à l’octroi d’une AMM, par décision, soit de la Commission, soit du Conseil, prise sur avis du CMV. Cette procédure est obligatoire pour les médicaments issus de certains procédés biotechnologiques et optionnelle pour d’autres médicaments innovants. Elle ne concerne pas le présent recours.

11     La procédure nationale résulte du rapprochement des législations nationales opéré par la directive 81/851. Seule procédure existante avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1995, des procédures communautaires centralisée et décentralisée, elle n’est plus d’application depuis le 1er janvier 1998, sauf lorsque le médicament est destiné à n’être commercialisé que dans un seul État membre [article 8 bis de la directive 81/851 (correspondant à l’article 22 VET), tel qu’inséré par l’article 1er, point 7, de la directive 93/40]. Désormais, le dépôt, pour un médicament déjà autorisé dans un État membre, d’une demande d’AMM dans un autre État membre entraîne automatiquement l’engagement de la procédure de reconnaissance mutuelle. La délivrance d’une AMM dans le cadre de la procédure nationale s’opère dans les conditions harmonisées évoquées au point 8 ci-dessus.

 Dispositions en cause dans la présente affaire

12     Le chapitre 4 (« Reconnaissance mutuelle des autorisations ») du titre III VET (« Mise sur le marché ») comporte les dispositions suivantes :

« Article 31 [correspondant à l’article 16 de la directive 81/851 modifiée]

1. En vue de faciliter l’adoption par les États membres d’une attitude commune en ce qui concerne l’autorisation des médicaments vétérinaires, sur la base des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité, et de permettre ainsi la libre circulation des médicaments vétérinaires dans la Communauté, il est institué un [CMV]. Le [CMV] relève de l’[EMEA].

2. En sus des autres responsabilités qui lui sont confiées par le droit communautaire, le [CMV] est chargé d’examiner toutes questions portant sur l’octroi, la modification, la suspension ou le retrait de l’[AMM] qui lui sont soumises selon les dispositions de la présente directive [...]

Article 32 [correspondant à l’article 17 de la directive 81/851 modifiée]

1. Avant de présenter une demande de reconnaissance d’une [AMM], le titulaire informe l’État membre qui a octroyé l’autorisation sur laquelle la demande est fondée (ci-après dénommé ‘l’État membre de référence’) qu’une demande sera déposée conformément à la présente directive et lui indique toutes additions au dossier original [...]

En outre, le titulaire de l’autorisation demande à l’État membre de référence d’élaborer un rapport d’évaluation pour le médicament vétérinaire concerné ou, au besoin, de mettre à jour le rapport d’évaluation s’il existe [...]

Au moment où la demande est présentée conformément au paragraphe 2, l’État membre de référence transmet le rapport d’évaluation à l’État membre ou aux États membres concernés par la demande.

2. Afin d’obtenir la reconnaissance, selon les procédures prévues au présent chapitre, par un ou plusieurs États membres de l’[AMM] délivrée par un État membre, le titulaire de l’autorisation soumet une demande à l’autorité compétente du ou des États membres concernés, ainsi que les informations et documents visés à l’article 12, à l’article 13, paragraphe 1, à l’article 14 et à l’article 25. Il atteste l’identité de ce dossier avec celui accepté par l’État membre de référence ou identifie les additions ou modifications qu’il contient [...]

3. Le titulaire de l’[AMM] communique la demande à l’[EMEA], l’informe des États membres concernés et des dates de dépôt des demandes et lui fait parvenir une copie de l’autorisation octroyée par l’État membre de référence. Il fait également parvenir à l’[EMEA] les copies de toutes les [AMM] accordées par les autres États membres pour le médicament vétérinaire en question et indique si une demande d’autorisation est déjà à l’examen dans un État membre.

4. Sauf dans le cas exceptionnel visé à l’article 33, paragraphe 1, chaque État membre reconnaît l’[AMM] octroyée par l’État membre de référence dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation. Il en informe l’État membre de référence, les autres États membres concernés par la demande, l’[EMEA] et le titulaire de l’[AMM].

Article 33 [correspondant à l’article 18 de la directive 81/851 modifiée]

1. Lorsqu’un État membre considère qu’il y a des motifs de supposer que l’[AMM] du médicament vétérinaire concerné peut présenter un risque pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement, il en informe immédiatement le demandeur, l’État membre de référence, les autres États membres concernés par la demande et l’[EMEA]. L’État membre motive sa position de façon détaillée et indique quelles mesures seraient susceptibles de corriger les insuffisances de la demande.

2. Tous les États membres concernés déploient tous leurs efforts pour se mettre d’accord sur les mesures à prendre concernant la demande. [...] Cependant, si les États membres ne sont pas parvenus à un accord dans le délai visé à l’article 32, paragraphe 4, ils en informent immédiatement l’[EMEA] en vue de la saisine du [CMV], pour application de la procédure prévue à l’article 36.

3. Dans le délai visé à l’article 32, paragraphe 4, les États membres concernés doivent fournir au [CMV] une description détaillée des questions sur lesquelles l’accord n’a pu se faire et les raisons du désaccord [...]

Article 34 [correspondant à l’article 19 de la directive 81/851 modifiée]

Lorsqu’un même médicament vétérinaire fait l’objet de plusieurs demandes d’[AMM], introduites conformément à l’article 12, à l’article 13, paragraphe 1, et à l’article 14, et que les États membres ont adopté des décisions divergentes concernant son autorisation, la suspension de celle-ci ou son retrait, un État membre ou la Commission ou le titulaire de l’[AMM] peut saisir le [CMV] pour application de la procédure prévue à l’article 36.

L’État membre concerné ou le titulaire de l’[AMM] ou la Commission identifie clairement la question soumise au [CMV] pour avis et, le cas échéant, en informe le titulaire.

Les États membres et le titulaire de l’[AMM] fournissent au [CMV] toutes les informations disponibles en rapport avec la question soulevée.

Article 35 [correspondant à l’article 20 de la directive 81/851 modifiée]

Dans des cas particuliers présentant un intérêt communautaire, les États membres ou la Commission ou le demandeur ou le titulaire de l’[AMM] peuvent saisir le [CMV] pour application de la procédure prévue à l’article 36 avant qu’une décision ne soit prise sur la demande, la suspension, le retrait de l’[AMM] ou sur toute autre modification des termes de l’[AMM] apparaissant nécessaire, notamment pour tenir compte des informations recueillies selon le titre VII.

L’État membre concerné ou la Commission identifient clairement la question soumise au [CMV] pour avis et en informent le titulaire de l’[AMM].

Les États membres et le titulaire de l’autorisation fournissent au [CMV] toutes les informations disponibles en rapport avec la question soulevée.

Article 36 [correspondant à l’article 21 de la directive 81/851 modifiée]

1. Lorsqu’il est fait référence à la procédure décrite au présent article, le [CMV] délibère et émet un avis motivé sur la question soulevée dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de soumission de la question.

[...]

3. Dans les cas visés aux articles 33 et 34, avant d’émettre son avis, le [CMV] offre au titulaire de l’[AMM] la possibilité de fournir des explications écrites ou orales.

Dans le cas visé à l’article 35, le titulaire de l’[AMM] peut être appelé à s’expliquer oralement ou par écrit.

[...]

4. L’[EMEA] informe immédiatement le titulaire de l’[AMM] lorsque, de l’avis du [CMV] :

–       la demande ne satisfait pas aux critères d’autorisation,

ou

–       le résumé des caractéristiques du produit proposé par le demandeur selon l’article 14 doit être modifié,

ou

–       l’autorisation doit être soumise à certaines conditions, eu égard aux conditions jugées essentielles pour un usage sûr et efficace du médicament vétérinaire y compris la pharmacovigilance,

ou

–       l’[AMM] doit être suspendue, modifiée ou retirée.

[...] [L]e titulaire peut notifier par écrit à l’[EMEA] son intention de former un recours [...] [L]e [CMV] examine [alors] si son avis doit être révisé et les conclusions rendues sur le recours sont annexées au rapport d’évaluation visé au paragraphe 5.

5. Dans les trente jours suivant son adoption, l’[EMEA] transmet l’avis final du [CMV] aux États membres, à la Commission et au titulaire de l’[AMM] du médicament vétérinaire, en même temps qu’un rapport décrivant l’évaluation du médicament vétérinaire et les raisons qui motivent ses conclusions.

[...]

Article 37 [correspondant à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 81/851 modifiée]

Dans les trente jours suivant la réception de l’avis, la Commission prépare un projet de décision concernant la demande, en tenant compte des dispositions du droit communautaire.

[...]

Dans le cas exceptionnel où le projet de décision n’est pas conforme à l’avis de l’[EMEA], la Commission joint également une annexe où sont expliquées en détail les raisons des différences.

Le projet de décision est transmis aux États membres et au demandeur.

Article 38 [correspondant à l’article 22, paragraphes 2 à 4, de la directive 81/851 modifiée]

1. Une décision définitive est arrêtée au sujet de la demande conformément à la procédure visée à l’article 89, paragraphe 2.

[...]

3. La décision visée au paragraphe 1 est adressée aux États membres concernés et communiquée au titulaire de l’[AMM]. Les États membres octroient ou retirent l’[AMM] ou apportent toute modification aux termes de cette autorisation qui peut être nécessaire pour la mettre en conformité avec la décision dans les trente jours suivant la notification de celle-ci. Ils en informent la Commission et l’[EMEA].

Article 39 [correspondant à l’article 23 de la directive 81/851 modifiée]

1. Toute demande, présentée par le titulaire de l’[AMM], de modifier l’[AMM] accordée selon les dispositions du présent chapitre, doit être soumise à tous les États membres qui ont déjà autorisé le médicament vétérinaire concerné.

[...]

2. En cas d’arbitrage soumis à la Commission, la procédure prévue aux articles 36, 37 et 38 s’applique mutatis mutandis aux modifications apportées à l’[AMM].

Article 40 [correspondant à l’article 23 bis de la directive 81/851 modifiée]

1. Quand un État membre considère que la modification des termes de l’[AMM] qui a été octroyée selon les dispositions du présent chapitre ou sa suspension ou son retrait sont nécessaires à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement, il en informe immédiatement l’[EMEA] pour application des procédures prévues aux articles 36, 37 et 38.

2. Sans préjudice des dispositions de l’article 35, dans des cas exceptionnels, lorsqu’une action d’urgence est indispensable pour protéger la santé humaine ou animale ou l’environnement, et jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise, un État membre peut suspendre la mise sur le marché et l’utilisation du médicament vétérinaire concerné sur son territoire. Il informe la Commission et les autres États membres, au plus tard le jour ouvrable suivant, des raisons d’une telle mesure. »

 Faits à l’origine du litige

13     Les requérantes sont titulaires d’AMM, délivrées selon la procédure nationale, pour des médicaments vétérinaires contenant de la benzathine benzylpénicilline, un antibiotique utilisé dans les médicaments injectables pour des animaux producteurs d’aliments.

14     Par lettre du 3 octobre 2001, le Irish Medicines Board (conseil irlandais des médicaments) a notifié à l’EMEA une saisine du CMV au titre de l’article 20 de la directive 81/851 modifiée (correspondant à l’article 35 VET). Cette saisine faisait suite à la décision du Advisory Committee for Veterinary Medicines (comité consultatif pour les médicaments vétérinaires) du Irish Medicines Board de suspendre les AMM de trois médicaments du type susvisé, fondée sur le fait que le temps d’attente pour l’abattage des animaux traités était inadéquat et que des résidus de benzylpénicilline excédant la limite maximale de résidus (ci-après la « LMR ») demeuraient dans les tissus desdits animaux après l’expiration du temps d’attente. L’objet de la saisine du CMV était d’obtenir l’avis de l’EMEA sur la question de savoir si le temps d’attente devrait être allongé, du point de vue de l’intérêt communautaire à la préservation de la sécurité des consommateurs. La lettre du Irish Medecines Board précisait qu’il s’agissait d’une saisine d’action de classe (class-action referral), c’est-à-dire visant tous les médicaments vétérinaires injectables contenant la substance susvisée.

15     Par lettres du 15 novembre 2001, le CMV a informé les requérantes de l’engagement par l’Irlande de cette procédure de saisine. Dans ces lettres, le CMV demandait aux requérantes de répondre à certaines questions et de payer à l’EMEA une redevance de 10 000 euros en application de l’article 6 du règlement (CE) n° 297/95 du Conseil, du 10 février 1995, concernant les redevances dues à l’[EMEA] (JO L 35 p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2743/98 du Conseil, du 14 décembre 1998 (JO L 345, p. 3).

16     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2002, les requérantes ont introduit un recours en annulation des décisions, contenues dans les lettres du 15 novembre 2001, les enjoignant de répondre à certaines questions et de verser la redevance susmentionnée. Les requérantes s’étant, toutefois, par lettres des 12, 13, 24 et 31 août 2004, 18 novembre 2004 et 17 janvier 2005, désistées de ce recours, l’affaire a été radiée par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 8 mars 2005, Albrecht e.a./Commission et EMEA (T‑19/02, non publiée au Recueil).

17     Le 2 octobre 2002, le CMV a adopté son avis motivé, en application de l’article 36 VET. Dans cet avis, le CMV a proposé la suspension des AMM des médicaments vétérinaires contenant de la benzathine benzylpénicilline.

18     Au 21 octobre 2002, toutes les requérantes avaient, en vertu de l’article 36, paragraphe 4, dernier alinéa, VET, introduit un recours devant le CMV contre cet avis.

19     Le 15 janvier 2003, le CMV, après réexamen de son avis initial, a adopté son avis final, comportant la même proposition que l’avis initial, à savoir la suspension des AMM des médicaments vétérinaires contenant de la benzathine benzylpénicilline.

20     Le 22 avril 2003, la Commission a adopté, en vertu des articles 37 et 38 VET, la décision C (2003) 1404 concernant la suspension des AMM des médicaments vétérinaires contenant la substance benzathine benzylpénicilline destinés à être administrés par voie intramusculaire et/ou sous-cutanée aux animaux producteurs d’aliments (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a ordonné aux États membres concernés, énumérés à l’article 5 de ladite décision, de suspendre les AMM nationales, mentionnées à l’annexe I de ladite décision, délivrées pour les médicaments vétérinaires litigieux.

 Procédure et conclusions des parties

21     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 2003, les requérantes ont introduit le présent recours.

22     Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 novembre 2003, la République française a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions des requérantes. Par ordonnance du 18 décembre 2003, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La partie intervenante a déposé son mémoire en intervention le 16 février 2004.

23     La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 13 septembre 2004, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

24     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

25     Les parties principales ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 13 septembre 2005. La partie intervenante ne s’est pas présentée à l’audience, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

26     Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       subsidiairement, déclarer la décision attaquée inexistante ;

–       condamner la Commission aux dépens.

27     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       condamner les requérantes aux dépens.

28     La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

 En droit

29     Les requérantes font valoir trois moyens d’annulation. Le premier moyen est divisé en deux branches, l’une principale, l’autre subsidiaire. La première branche est tirée de l’incompétence de la Commission pour prendre, à l’issue d’une procédure de saisine du CMV au titre de l’article 35 VET, une décision contraignante en vertu des articles 37 et 38 VET. La seconde branche est prise de la limitation de la compétence décisionnelle de la Commission, au titre de l’article 35 VET, aux seuls médicaments autorisés selon la procédure de reconnaissance mutuelle. Le deuxième moyen est tiré de l’illégalité de l’engagement de la procédure de l’article 35 VET sous la forme d’une action de classe. Le troisième moyen est fondé sur l’absence d’intérêt communautaire en l’espèce.

30     Le Tribunal considère qu’il convient de procéder, d’abord, à l’examen de la première branche du premier moyen, tirée de l’incompétence de la Commission pour adopter, à l’issue d’une procédure de saisine du CMV au titre de l’article 35 VET, une décision contraignante fondée sur les articles 37 et 38 VET. 

 Arguments des parties

31     Les requérantes font valoir que la Commission ne pouvait pas prendre la décision attaquée, dès lors que l’article 35 VET ne lui attribuait pas la compétence pour adopter des décisions harmonisant, comme en l’espèce, des AMM nationales. Cela ressortirait des arrêts du Tribunal du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission (T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00, T‑84/00, T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, Rec. p. II‑4945, ci-après l’« arrêt Artegodan »), et du 28 janvier 2003, Laboratoires Servier/Commission (T‑147/00, Rec. p. II‑85, ci-après l’« arrêt Servier »), rendus dans le domaine des médicaments humains et dans le contexte de la directive 75/319 modifiée (citée au point 3 ci-dessus).

32     C’est en vain que la Commission prétendrait que l’arrêt Artegodan ne serait pas pertinent pour le cas d’espèce, aux motifs allégués, d’une part, que cet arrêt concernerait la procédure de l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée (auquel correspond, dans le domaine vétérinaire et à l’issue de la codification, l’article 40 VET), et non la procédure de l’article 12 de cette directive (auquel correspond l’article 35 VET), et, d’autre part, que la motivation de cet arrêt relative à cette dernière procédure serait un obiter dictum que la Cour n’aurait pas repris dans son arrêt du 24 juillet 2003, Commission/Artegodan e.a. (C‑39/03 P, Rec. p. I‑7885).

33     Les requérantes contestent l’interprétation défendue par la Commission, selon laquelle l’article 35 VET lui conférerait implicitement un pouvoir décisionnel sur la base d’une compétence générale de la Communauté pour adopter des décisions contraignantes dans les cas précis où l’intérêt communautaire est en jeu. En effet, en l’absence d’une disposition explicite conférant une telle compétence à la Commission, le principe énoncé à l’article 5, premier alinéa, CE, s’opposerait à l’interprétation de l’article 35 VET en ce sens qu’il habilite implicitement la Commission à adopter une décision contraignante selon la procédure des articles 37 et 38 VET.

34     En outre, l’article 31, paragraphe 1, VET ne permettrait pas d’interpréter l’article 35 VET en ce sens qu’il établirait une procédure d’arbitrage ou que l’avis du CMV lierait les États membres. L’article 31, paragraphe 1, VET se limiterait, au contraire, à énoncer que le CMV a été institué en vue de faciliter l’adoption de décisions communes par les États membres. Il ne permettrait pas de conclure que les avis du CMV doivent automatiquement être suivis d’une décision contraignante de la Commission.

35     Les États membres ne sauraient se voir indirectement privés de leur compétence relative aux AMM purement nationales du fait que l’un d’eux, ou le titulaire ou le demandeur de l’AMM, ou encore la Commission déciderait d’engager la procédure de l’article 35 VET. La notion d’intérêt communautaire figurant dans cette disposition permettrait seulement de justifier la saisine du CMV, mais pas un transfert de compétence décisionnelle au profit de la Commission.

36     En tout état de cause, la nature consultative de la procédure au titre de l’article 35 VET n’affecterait pas l’objectif premier du code VET, à savoir la protection de la santé publique, que garantirait l’obligation pour les autorités nationales de suspendre ou de retirer les AMM lorsque, notamment, le médicament est nocif ou que le temps d’attente entre la dernière administration du médicament vétérinaire à l’animal et l’obtention des denrées alimentaires provenant de cet animal est insuffisant.

37     Pour ces raisons, les requérantes ne voient aucune raison de s’écarter de la position retenue par l’arrêt Artegodan.

38     La République française, si elle soutient les requérantes pour déclarer que la Commission n’a pas de compétence décisionnelle dans le contexte de l’article 35 VET, n’avance toutefois pas d’arguments à cet égard dans le cadre de la présente branche du premier moyen, mais seulement dans celui de la seconde branche dudit moyen.

39     La Commission fait valoir, tout d’abord, s’agissant de l’arrêt Artegodan, que, en statuant sur le pourvoi introduit contre cet arrêt, la Cour a tranché, dans son arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra, un point de droit concernant l’interprétation à donner à l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée (auquel correspond l’article 40 VET). La Cour ne se serait pas prononcée sur la question de savoir si la Commission pouvait fonder une décision contraignante sur l’article 12 de cette directive (auquel correspond l’article 35 VET). En effet, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Artegodan aurait porté sur une procédure différente qui n’intéresserait en rien le Tribunal dans la présente espèce. Les motifs de l’arrêt Artegodan relatifs à la procédure de l’article 12 susvisé et, plus généralement, ceux relatifs à l’économie du chapitre III de la directive 75/319 modifiée seraient, par conséquent, des obiter dicta. En outre, il ressortirait clairement du point 47 de l’arrêt Commission/Artegodan e.a., précité, que la Cour était, au moins, disposée à envisager l’hypothèse selon laquelle l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée serait applicable à des AMM ayant « fait l’objet d’une autre procédure d’harmonisation », mais que l’harmonisation opérée par la décision de la Commission du 9 décembre 1996, évoquée aux points 17 et 20 à 25 de l’arrêt Artegodan, ne satisfaisait pas aux conditions de cet article parce qu’elle n’était que partielle. Ces observations, qu’elles soient considérées comme des obiter dicta ou comme faisant partie intégrante de l’arrêt de la Cour, mettraient en évidence le fait que la Cour se serait écartée du raisonnement de l’arrêt Artegodan.

40     Quant à l’arrêt Servier, il aurait été rendu avant l’arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra. Dans la mesure où il conviendrait d’apprécier l’importance à accorder au raisonnement du Tribunal dans l’arrêt Artegodan à la lumière de l’arrêt sur pourvoi, toute référence à l’arrêt Servier serait dépourvue de pertinence.

41     Au-delà de ces arguments relatifs à la pertinence des arrêts Artegodan et Servier pour la présente affaire, la Commission invite le Tribunal à s’écarter de la solution dégagée dans l’arrêt Artegodan.

42     Le Tribunal aurait, dans cet arrêt, examiné la question de l’interprétation de l’article 12 de la directive 75/319 en termes de compétence. Or, un tel examen ne devrait être entrepris qu’avec la plus grande prudence. En effet, à l’exception de la République française, ce ne seraient pas les États membres qui auraient soulevé cette question de compétence dans la présente espèce, mais les titulaires d’AMM affectés par la décision attaquée. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les États membres n’ont donné compétence à la Communauté pour adopter des décisions contraignantes que lorsque l’intérêt communautaire est en jeu.

43     Les requérantes chercheraient à présenter la question de la compétence en termes tranchés : d’un côté, les AMM purement nationales, qui seraient du ressort des États membres, et, de l’autre, les AMM relevant des procédures communautaires décentralisée et centralisée, qui seraient du ressort de la Communauté. Or, une telle distinction de base ne serait pas fondée.

44     La Commission considère, au contraire, que la compétence communautaire est acquise à l’égard des AMM même purement nationales, dès lors que l’intérêt communautaire est en jeu. La seule question serait de savoir si, dans chaque cas particulier, cet intérêt existe.

45     Elle relève, en s’appuyant sur les considérants 2 et 3 VET, ainsi que sur l’article 31, paragraphe 1, VET, qu’elle qualifie de disposition centrale du chapitre 4 VET, que la finalité du code VET est non seulement de sauvegarder la santé publique, mais aussi de permettre la libre circulation des médicaments dans la Communauté.

46     L’attitude commune dont il s’agirait de faciliter l’adoption par les États membres, aux termes de l’article 31, paragraphe 1, VET, ne serait pas seulement celle relevant de la procédure de reconnaissance mutuelle. Rien dans l’article 31, paragraphe 1, VET n’indiquerait que, pour certaines des procédures du chapitre 4 VET (articles 32, 33, 39 et 40 VET), les autorités communautaires auraient jugé nécessaire de prévoir une décision contraignante de la Commission tandis que, pour d’autres procédures du même chapitre (articles 34 et 35 VET), il ne serait pas possible d’imposer une telle attitude commune, mais seulement d’y aspirer. D’ailleurs, outre le fait que les décisions nationales divergentes susceptibles d’être adoptées à l’issue d’une procédure au titre de l’article 35 VET non suivie d’une décision contraignante de la Commission ne constitueraient pas des décisions communes au sens de l’article 31 VET, de telles décisions ne sauraient être considérées comme permettant la libre circulation des médicaments dans la Communauté. Quant au verbe « faciliter », utilisé dans l’article 31, paragraphe 1, VET, il ne signifierait pas, contrairement à ce que suggéreraient les requérantes, que les avis du CMV ne doivent pas être automatiquement suivis d’une décision contraignante, mais refléterait seulement le fait que ce n’est pas le CMV qui adopte la décision contraignante.

47     Le fait que l’ouverture de la procédure au titre de l’article 35 VET ne soit qu’une faculté et non une obligation n’aurait aucune incidence sur la possibilité pour la Commission d’adopter une décision contraignante, lorsque cette faculté a été exercée. Une fois la procédure au titre de l’article 35 VET engagée, l’existence d’un intérêt communautaire devrait être confirmée, ce qui ne pourrait être fait que par une décision contraignante de la Commission. Cette appréciation serait d’ordre politique et ne pourrait être effectuée et entérinée que dans le cadre du processus décisionnel prévu par le code VET. Cette interprétation serait conforme au double objectif énoncé aux considérants 2 et 3 VET, ainsi qu’avec la base juridique du code VET qu’est l’article 95 CE. La Commission ne voit pas comment l’efficacité de la procédure de l’article 35 VET pourrait être assurée par une interprétation qui limiterait son champ d’application à la consultation du CMV, laissant chaque État membre libre de décider des mesures à prendre sur la base de l’avis du CMV, et ne permettant donc pas d’exclure qu’un produit continue d’être commercialisé dans certains États membres, malgré les risques signalés dans l’avis du CMV.

48     La Commission, en s’appuyant sur des considérations relatives au mécanisme de codification, suggère que le titre du chapitre 4 VET, à savoir « Reconnaissance mutuelle des autorisations », qui remplace l’ancien titre « Comité des médicaments vétérinaires », devrait, à l’instar de cet ancien titre, être compris dans un sens large, c’est-à-dire comme ne couvrant pas uniquement la procédure de l’article 32 VET, laquelle ne serait qu’un mécanisme spécifique de reconnaissance mutuelle déclenché à l’initiative du titulaire de l’AMM, mais également les autres procédures du chapitre 4 VET, dont celle de l’article 35 VET.

49     Enfin, la Commission conteste l’importance que le Tribunal aurait accordée, au point 146 de l’arrêt Artegodan, à la différence, quant aux informations requises, entre les procédures des articles 11 et 12 de la directive 75/319 modifiée et la procédure de l’article 10, paragraphe 2, de cette directive. Ces divergences n’indiqueraient pas une différence essentielle entre ces procédures, de nature à confirmer le caractère purement consultatif des procédures des articles 34 et 35 VET.

50     Pour toutes ces raisons, la Commission considère que l’efficacité pratique de la procédure de l’article 35 VET implique qu’elle soit accompagnée d’une décision contraignante. La Commission estime qu’il en serait de même, pour les mêmes raisons, de la procédure de l’article 34 VET.

 Appréciation du Tribunal

51     Par la première branche du premier moyen d’annulation, les requérantes contestent la compétence de la Commission pour, à la suite d’une saisine du CMV au titre de l’article 35 VET, prendre, en application des articles 37 et 38 VET, une décision contraignante à l’égard des États membres.

52     Il y a lieu de relever que cette question a fait l’objet de considérations dans les arrêts Artegodan et Servier, à l’occasion de procédures analogues à celle de l’espèce, intervenues non pas dans le contexte des médicaments vétérinaires et de la directive 81/851 modifiée, mais dans celui des médicaments à usage humain et de la directive 75/319 modifiée.

53     Dans l’arrêt Artegodan, le Tribunal a annulé trois décisions de la Commission ordonnant le retrait d’AMM, octroyées selon la procédure nationale, pour certains médicaments anorexigènes.

54     Les AMM nationales concernées dans cette affaire avaient fait l’objet d’une modification par les États membres concernés, à la suite d’une décision de la Commission du 9 décembre 1996, fondée sur l’article 14 de la directive 75/319 modifiée (correspondant aux articles 37 et 38 VET) et prise après avis du comité des spécialités pharmaceutiques (ci-après le « CSP ») saisi au titre de l’article 12 de cette directive (correspondant à l’article 35 VET) (ci-après la « décision du 9 décembre 1996 ») (points 17 et 20 à 25 de l’arrêt Artegodan).

55     La Commission, estimant que lesdites AMM avaient été partiellement harmonisées par la décision du 9 décembre 1996 (points 107 et 120 de l’arrêt Artegodan), a considéré qu’elles ne relevaient plus de la compétence exclusive des États membres et que cette décision avait eu pour effet de transférer à la Communauté la compétence pour décider, désormais, de leur retrait, modification ou suspension.

56     C’est ainsi que, par plusieurs décisions du 9 mars 2000 (ci-après les « décisions du 9 mars 2000 »), qui sont les décisions attaquées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Artegodan, la Commission, agissant sur le fondement de saisines par des États membres au titre de l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée et à l’issue de la procédure régie par les articles 13 et 14 de cette directive (auxquels correspondent, respectivement, l’article 36 VET et les articles 37 et 38 VET), a ordonné, pour des motifs de santé publique, le retrait desdites AMM.

57     Par l’arrêt Artegodan, le Tribunal a annulé ces décisions.

58     Le Tribunal a, tout d’abord, relevé qu’il était constant entre les parties que les AMM des médicaments visés par les décisions du 9 mars 2000 avaient été octroyées et, le cas échéant, renouvelées selon les procédures nationales respectivement applicables dans les divers États membres concernés, et non selon la procédure de reconnaissance mutuelle assortie de procédures d’arbitrage, prévue par le chapitre III de la directive 75/319 modifiée (point 113 de l’arrêt Artegodan).

59     Le Tribunal en a déduit que, « [e]n faisant abstraction de la décision du 9 décembre 1996, ces autorisations revêtaient ainsi un caractère purement national » et que « leur suspension, leur modification ou leur retrait relevaient dès lors, au moment de l’adoption des décisions [du 9 mars 2000], de la compétence exclusive des États membres concernés, laquelle présente, en principe, un caractère résiduel à la suite de l’institution de la procédure de reconnaissance mutuelle par la directive 93/39 » (point 114 de l’arrêt Artegodan). Selon l’interprétation faite par le Tribunal de la réglementation communautaire, cette compétence exclusive des États membres « se limite, depuis le 1er janvier 1995, d’une part, à l’octroi et à la gestion des AMM des médicaments uniquement commercialisés dans un seul État membre et, d’autre part, à la gestion des autorisations purement nationales octroyées avant cette date ou au cours de la période de transition comprise entre le 1er janvier 1995 et le 31 décembre 1997 » (point 116 de l’arrêt Artegodan).

60     Le Tribunal a, ensuite, examiné la question de savoir si, à la suite de leur modification conformément à la décision du 9 décembre 1996, les AMM des médicaments en cause relevaient du champ d’application de l’article 15 bis, paragraphe 1, de la directive 75/319 modifiée, qui constitue la base juridique sur le fondement de laquelle la Commission a adopté les décisions du 9 mars 2000. Constatant que cette disposition vise seulement les AMM octroyées selon les dispositions du chapitre III de ladite directive, c’est-à-dire selon la procédure de reconnaissance mutuelle, le Tribunal l’a interprétée en ce sens que « la modification, la suspension ou le retrait de telles [AMM], à l’initiative d’un État membre en vue d’assurer la protection de la santé publique, relèvent de la compétence exclusive de la Commission, statuant après avis du CSP selon les procédures régies par les articles 13 et 14 de la directive 75/319 [modifiée] », tandis que, « [à] l’inverse, la modification, la suspension et le retrait des AMM qui ne relèvent pas du champ de l’article 15 bis demeurent en principe soumis à la compétence exclusive des États membres » (point 121 de l’arrêt Artegodan).

61     Le Tribunal a considéré que le libellé des articles 12 et 15 bis de la directive 75/319 modifiée ne fournissant aucune indication précise, il convenait de vérifier si, dans le système du chapitre III de cette directive et à la lumière des objectifs poursuivis par celle-ci, l’article 15 bis, paragraphe 1, pouvait être interprété en combinaison avec l’article 12 dans le sens qu’il vise également les AMM nationales harmonisées dans le cadre de l’article 12 (point 125 de l’arrêt Artegodan).

62     À cette fin, le Tribunal a examiné la question de savoir quelle autorité est compétente pour statuer après avis du CSP saisi au titre de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, article qui se limite à prévoir expressément l’application de la procédure consultative régie par l’article 13 de la même directive et ne vise pas également l’article 14 de cette directive. Il a jugé, à cet égard, que l’article 12 de la directive 75/319 modifiée « a vocation à s’appliquer dans le domaine résiduel de la compétence exclusive des États membres ou lors de l’octroi de l’AMM initiale d’un médicament par l’État membre de référence » (point 142 de l’arrêt Artegodan) et qu’il « ne peut pas être interprété dans le sens qu’il habilite implicitement la Commission à adopter une décision contraignante, selon la procédure prévue par l’article 14 » de la même directive (point 147 de l’arrêt Artegodan), et ce contrairement à l’article 10, paragraphe 2, qui, bien que renvoyant lui aussi à la procédure consultative prévue à l’article 13, s’insère toutefois dans un cadre différent, celui de la procédure de reconnaissance mutuelle (points 130 à 133 de l’arrêt Artegodan). Le Tribunal est parvenu à ces conclusions par le biais d’une démarche interprétative fondée, notamment, sur l’économie du chapitre III de la directive 75/319 modifiée et sur les objectifs de celle-ci.

63     Prenant acte du fait que la décision du 9 décembre 1996 avait été exécutée par les États membres concernés, le Tribunal a considéré, enfin, qu’il y avait toutefois lieu de vérifier si, dans l’économie du chapitre III de la directive 75/319 modifiée, des AMM harmonisées par ces derniers, à la suite de la consultation du CSP saisi au titre de l’article 12 de ladite directive, pouvaient néanmoins être assimilées à des AMM octroyées selon les dispositions dudit chapitre III (point 148 de l’arrêt Artegodan).

64     À cet égard, le Tribunal a considéré que, « en l’absence de disposition explicite, le principe, énoncé à l’article 5, premier alinéa, CE, en vertu duquel la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées, s’oppose à l’interprétation de l’article 15 bis, paragraphe 1, de la directive 75/319 [modifiée] dans le sens que l’harmonisation de certaines AMM, conformément à un avis non liant du CSP au titre de l’article 12 de cette directive, peut avoir pour effet de dessaisir les États membres concernés de leur compétence, en entraînant l’application de la procédure d’arbitrage prévue par l’article 15 bis pour l’adoption de toute décision ultérieure relative à la suspension ou au retrait de ces autorisations » (point 150 de l’arrêt Artegodan). Il a donc jugé que, « dans l’économie de la directive 75/319 [modifiée], la notion d’AMM octroyée selon les dispositions du chapitre III de cette directive, visée à l’article 15 bis, paragraphe 1, ne peut pas être interprétée dans le sens qu’elle englobe également les autorisations harmonisées à la suite de la consultation du CSP au titre de l’article 12 » (point 155 de l’arrêt Artegodan).

65     Le Tribunal en a conclu que les décisions du 9 mars 2000 étaient privées de base légale et que le moyen tiré de l’incompétence de la Commission était fondé. 

66     Dans l’arrêt Servier, le Tribunal a appliqué, dans une situation similaire, la solution dégagée dans l’arrêt Artegodan (voir, en particulier, les points 57 à 63 de l’arrêt Servier, qui se réfèrent expressément à l’arrêt Artegodan).

67     Les arrêts Artegodan et Servier ont fait l’objet de pourvois introduits par la Commission, cette dernière faisant grief au Tribunal, notamment, de lui avoir dénié la compétence pour prendre, à l’issue d’une procédure engagée au titre de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, une décision en application de l’article 14 de cette directive.

68     Par son arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra, la Cour, statuant en formation plénière, a rejeté le pourvoi contre l’arrêt Artegodan, en fondant son appréciation non pas sur l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, mais sur l’article 15 bis de cette directive, qui constitue la base légale des décisions du 9 mars 2000. La Cour a ainsi énoncé :

« 44. [...] il convient de relever que les décisions [du 9 mars 2000] ont été arrêtées sur le seul fondement de l’article 15 bis de la directive 75/319 [modifiée].

45. Selon son libellé, l’article 15 bis de la directive 75/319 [modifiée] s’applique aux AMM qui ont été octroyées selon les dispositions du chapitre III de ladite directive.

46. Or, le Tribunal a constaté, sans que la Commission le conteste, que les AMM dont le retrait a été ordonné par les décisions [du 9 mars 2000] ont été initialement octroyées dans le cadre de procédures purement nationales.

47. À supposer que la finalité de l’article 15 bis de la directive 75/319 [modifiée] commande une interprétation large qui permette de l’appliquer à des AMM qui n’ont pas été octroyées dans le cadre du chapitre III mais qui ont fait l’objet d’une autre procédure d’harmonisation, il devient nécessaire en l’espèce de rechercher si la décision [du 9 décembre] 1996 peut être considérée comme ayant réalisé une telle harmonisation.

48. Or, il est constant que la décision [du 9 décembre] 1996 s’est bornée à ordonner la modification de certains termes des AMM initiales, à savoir le contenu des informations cliniques devant figurer, parmi d’autres données, dans le résumé des caractéristiques du produit, conformément à l’article 4 bis, point 5, de la directive [65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 22, p. 369)].

49. Une telle modification partielle ne saurait équivaloir à une autorisation octroyée selon les dispositions du chapitre III de la directive 75/319 [modifiée].

50. Dès lors, il importe peu que cette modification partielle des AMM des médicaments en cause ait résulté de l’exécution d’une décision contraignante ou d’une harmonisation mise en oeuvre de manière volontaire par les États membres.

51. Il s’ensuit que l’article 15 bis de la directive 75/319 [modifiée] ne pouvait servir de base légale aux décisions [du 9 mars 2000].

52. Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens et arguments avancés par la Commission, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que la Commission était incompétente pour arrêter les décisions [du 9 mars 2000] et que celles-ci devaient en conséquence être annulées. »

69     Par son ordonnance du 1er avril 2004, Commission/Laboratoires Servier (C‑156/03 P, non publiée au Recueil), la Cour, suivant le raisonnement adopté dans l’arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra, a rejeté, pour les mêmes motifs, le pourvoi contre l’arrêt Servier comme étant manifestement non fondé (points 38 à 48 de l’ordonnance).

70     Le Tribunal constate que, du fait du rejet du pourvoi contre l’arrêt Artegodan, cet arrêt est, désormais, définitif. Il ressort des motifs de cet arrêt, transposés, mutatis mutandis, dans le domaine des médicaments vétérinaires, que la saisine du CMV au titre de l’article 35 VET ne peut aboutir à une décision finale contraignante de la Commission au titre des articles 37 et 38 VET, mais seulement à un avis du CMV.

71     Le Tribunal constate, toutefois, que la Cour n’a pas pris expressément position sur ces motifs de l’arrêt Artegodan.

72     C’est dans ce contexte que la Commission conteste la pertinence de la solution dégagée par l’arrêt Artegodan pour la présente affaire et fait valoir qu’il conviendrait, en tout état de cause, de revenir sur la position retenue par cet arrêt.

73     Il convient, en premier lieu, d’examiner l’argument de la Commission selon lequel l’arrêt Artegodan est dépourvu de pertinence pour la présente espèce – au motif que la procédure en cause dans cet arrêt a porté sur l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée et non sur l’article 12 de cette directive –, voire même a été remis en cause par la Cour.

74     Il est, certes, exact que les décisions du 9 mars 2000, attaquées dans l’affaire Artegodan, ont été prises sur le fondement de l’article 15 bis de la directive 75/319 modifiée, et que la Cour n’a pas abordé la question de la compétence de la Commission pour, à la suite d’une saisine au titre de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, adopter la décision du 9 décembre 1996.

75     Pour autant, si cela peut signifier que, pour la Cour, les motifs de l’arrêt Artegodan, relatifs à l’absence de compétence décisionnelle de la Commission dans le contexte de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, n’étaient pas indispensables à la solution du litige dans l’affaire Artegodan, mais constituaient des obiter dicta, cela n’implique pas que ces motifs aient été considérés par elle comme erronés ou encore qu’ils soient dépourvus de pertinence pour la présente espèce.

76     En effet, le fait que, au point 50 de l’arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra, la Cour ait énoncé qu’il « import[ait] peu que [la] modification partielle des AMM des médicaments en cause [opérée à la suite de la décision du 9 décembre 1996] ait résulté de l’exécution d’une décision contraignante ou d’une harmonisation mise en oeuvre de manière volontaire par les États membres » ne signifie pas que la Cour a remis en cause le raisonnement du Tribunal en ce qui concerne l’absence de compétence de la Commission pour prendre une décision finale à la suite d’une saisine du CSP au titre de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée. Cette considération de la Cour signifie seulement que celle-ci n’a pas, dans son examen du pourvoi, tranché cette question.

77     Quant au fait que, au point 47 de son arrêt, la Cour a envisagé, à côté des AMM octroyées dans le cadre du chapitre III de la directive 75/319 modifiée, l’éventualité d’AMM ayant fait l’objet « d’une autre procédure d’harmonisation », il ne signifie pas, contrairement à ce que suggère la Commission, que la Cour se serait écartée du raisonnement du Tribunal. La Cour s’est limitée, après avoir constaté que les AMM en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Artegodan n’avaient pas été octroyées dans le cadre du chapitre III de la directive 75/319 modifiée (point 46 de l’arrêt de la Cour), à procéder à une pure supposition, selon laquelle la finalité de l’article 15 bis de cette directive pourrait commander une interprétation large de cette disposition qui permettrait d’appliquer cette disposition à des AMM non octroyées dans le cadre du chapitre III mais qui auraient fait l’objet d’une autre procédure d’harmonisation. Ce faisant, la Cour n’a nullement voulu s’écarter du raisonnement du Tribunal.

78     Il apparaît donc que les motifs de l’arrêt Artegodan, tout obiter dicta qu’ils puissent paraître à la lumière de l’arrêt Commission/Artegodan e.a., point 32 supra, ne sont pas désavoués par ce dernier et qu’ils sont pertinents pour la présente affaire.

79     L’argument de la Commission tiré de l’absence de pertinence pour l’espèce de l’arrêt Artegodan doit donc être rejeté.

80     Il convient, en second lieu, d’examiner si, comme le soutient la Commission, l’article 35 VET (correspondant à l’article 12 de la directive 75/319 modifiée) doit être interprété comme permettant à celle-ci de prendre, au titre des articles 37 et 38 VET (correspondant à l’article 14 de la directive 75/319 modifiée), une décision contraignante à l’égard des États membres, s’agissant d’AMM purement nationales.

81     Dans l’arrêt Artegodan, le Tribunal a répondu par la négative, en énonçant qu’il ne ressortait ni du libellé, ni de la finalité de l’article 12 de la directive 75/319 modifiée, ni même du système instauré par le chapitre III de cette directive, que la Commission était compétente pour prendre une décision à l’issue d’une procédure de saisine engagée au titre dudit article 12. Le Tribunal a relevé que cette disposition avait vocation à s’appliquer dans le domaine de la compétence résiduelle des États membres, c’est-à-dire à l’égard des AMM purement nationales, et qu’il était, dès lors, logique que cet article prévoit uniquement la possibilité de consulter le CSP (le CMV dans la présente affaire) au titre de l’article 13 de la directive 75/319 modifiée (correspondant à l’article 36 VET) (point 142 de l’arrêt Artegodan).

82     Le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu, à l’occasion de la présente affaire relative à la réglementation applicable aux médicaments vétérinaires, de remettre en cause cette interprétation opérée par le Tribunal dans le contexte similaire de la réglementation applicable aux médicaments humains.

83     Tout d’abord, les modifications apportées par la directive 93/40 au libellé de l’article 20 de la directive 81/851 telle que modifiée par la directive 90/676 ne permettent pas de considérer que cet article, ainsi amendé, a institué une procédure d’arbitrage.

84     En effet, ces modifications de l’article 20 de la directive 81/851 telle que modifiée par la directive 90/676 (correspondant à l’article 35 VET) ont consisté, notamment, à étendre le droit de saisir le CMV à la Commission et au demandeur ou au titulaire de l’AMM, alors que ce droit était auparavant limité aux États membres.

85     Quant aux autres modifications apportées à l’article 20, susvisé, par la directive 93/40 [élargissement de la possibilité de saisine pour « toute autre modification des termes de l’AMM », nécessité d’identifier clairement la question soumise pour avis, d’en informer la « personne responsable de la mise sur le marché du médicament vétérinaire » (le « titulaire de l’AMM » dans la version codifiée à l’article 35 VET), et obligation pour les États membres et ce responsable de fournir au CMV toutes les informations disponibles en rapport avec cette question], elles n’indiquent pas qu’un transfert de compétence décisionnelle a été opéré au profit de la Communauté.

86     Compte tenu des considérations qui précèdent, desquelles il ressort que les modifications apportées par la directive 93/40 au libellé de l’article 20 de la directive 81/851 telle que modifiée par la directive 90/676 ne permettent pas de conclure à un transfert de compétence s’agissant des AMM purement nationales au profit de la Communauté, il y a lieu de considérer, dans le même sens que les appréciations en matière de médicaments à usage humain portées par le Tribunal dans l’arrêt Artegodan (point 139 de cet arrêt), qu’une telle compétence ne peut être reconnue à la Commission que si elle découle clairement de la finalité de l’article 35 VET (correspondant à l’article 20 de la directive 81/851 modifiée) ou ressort de manière explicite du système défini dans le chapitre 4 VET (correspondant au chapitre IV de la directive 81/851 modifiée).

87     À cet égard, le Tribunal considère, comme il l’a déjà indiqué dans l’arrêt Artegodan s’agissant de la directive 75/319 modifiée (point 140 de l’arrêt Artegodan), que, à la différence de l’article 33, paragraphe 2, VET (correspondant à l’article 18, paragraphe 2, de la directive 81/851 modifiée), qui se rapporte à la procédure de reconnaissance mutuelle et doit, de ce fait, être interprété conformément à la finalité de cette procédure, telle qu’elle est définie au considérant 7 VET, l’article 35 VET, tout comme l’article 34 VET, ne s’inscrit pas parmi les dispositions encadrant la procédure de reconnaissance mutuelle. En effet, cette dernière procédure est expressément régie par les articles 32 et 33 VET (correspondant aux articles 17 et 18 de la directive 81/851 modifiée), en ce qui concerne l’octroi des AMM, et par les articles 39 et 40 VET (correspondant aux articles 23 et 23 bis de la directive 81/851 modifiée), pour ce qui est de la gestion de ces AMM.

88     Cette appréciation du Tribunal quant à la portée de l’article 35 VET n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission tiré de considérations relatives au mécanisme de codification et au sens à donner, dans ce cadre, au titre du chapitre 4 VET (voir point 48 ci-dessus).

89     En effet, le libellé du titre du chapitre 4 VET, dans lequel l’article 35 VET s’insère, et le fait que ce titre remplace un titre antérieur qu’il serait prétendument convenu d’interpréter largement ne commandent nullement la conclusion que propose la Commission, selon laquelle la procédure de l’article 35 VET devrait déboucher sur une décision contraignante de la Commission. En effet, le fait que l’article 35 VET figure dans un chapitre renommé « Reconnaissance mutuelle des autorisations » n’a pas pour effet de faire de cette disposition un mécanisme de reconnaissance mutuelle, c’est-à-dire fondé sur une obligation de reconnaissance lorsque les conditions de cette reconnaissance sont réunies. Si la procédure des articles 32 et 33 VET constitue bien un tel mécanisme contraignant (voir point 86 ci-dessus et point 140 de l’arrêt Artegodan), l’article 35 VET prévoit seulement, quant à lui, un mécanisme visant à faciliter l’adoption de décisions communes par les États membres, dans le domaine de leur compétence exclusive en matière d’AMM purement nationales et dans des cas particuliers présentant un intérêt communautaire.

90     L’appréciation du Tribunal quant à la portée de l’article 35 VET ne saurait non plus être remise en cause par les considérations de la Commission relatives à la portée de l’article 31 VET (correspondant à l’article 16 de la directive 81/851 modifiée) (voir les points 45 et 46 ci-dessus).

91     À cet égard, le Tribunal considère, d’une part et à l’instar des appréciations déjà portées en matière de médicaments humains dans l’arrêt Artegodan (point 141 de cet arrêt), que l’article 31 VET (correspondant à l’article 16 de la directive 81/851 modifiée) ne permet pas d’interpréter l’article 35 VET dans le sens qu’il institue une procédure d’arbitrage communautaire ou que l’avis émis par le CMV lie les États membres. En effet, l’article 31 VET se limite à énoncer que le CMV a été institué en vue de faciliter l’adoption de décisions communes par les États membres en ce qui concerne l’AMM des médicaments.

92     Le Tribunal considère, d’autre part, que ces considérations de la Commission ne retirent rien au fait que le code VET, s’il vise, effectivement, la sauvegarde de la santé publique par des moyens ne freinant pas le développement de l’industrie et les échanges de médicaments entre États membres, ne saurait, pour autant, en l’absence de dispositions explicites en ce sens et compte tenu du principe, énoncé à l’article 5, premier alinéa, CE, en vertu duquel la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées, priver les États membres de leur compétence exclusive s’agissant des AMM octroyées dans le cadre de procédures purement nationales. Ainsi, en l’absence de telles dispositions explicites, l’article 35 VET doit se comprendre comme ne mettant pas en cause les compétences exclusives des États membres, mais comme visant, par la procédure consultative qu’il permet de mettre en œuvre au niveau communautaire, à orienter l’exercice de ces compétences nationales dans un sens commun.

93     La Commission conteste également la position des requérantes relative au caractère facultatif de la procédure de l’article 35 VET et au fait que, si une décision de la Commission avait été nécessaire à l’issue de cette procédure, l’article 35 VET aurait comporté une obligation et non une faculté de saisir le CMV. Selon la Commission, l’efficacité de la procédure de l’article 35 VET ne peut être assurée par une interprétation qui limite son champ d’application à la consultation du CMV, laissant chaque État membre libre de décider des mesures à prendre à la suite de l’avis du CMV (voir point 47 ci-dessus).

94     Il est vrai que le fait que la saisine du CMV soit une faculté (« peuvent saisir ») et non une obligation, ne détermine pas nécessairement, en soi, l’attribution de la compétence décisionnelle ultérieure. On pourrait, ainsi, envisager que la Commission soit compétente pour prendre une décision contraignante alors même que l’engagement de la procédure n’est qu’une faculté et que cette faculté peut être exercée non seulement par les États membres, mais également par la Commission elle-même, ou encore par le titulaire ou le demandeur de l’AMM en cause.

95     Cependant, compte tenu des conséquences de cette approche, et, en particulier, du fait que la procédure de l’article 35 VET entraînerait alors des transferts de compétence au profit de la Commission dans des conditions pouvant échapper totalement aux États membres, le Tribunal considère qu’il faudrait, à tout le moins, des dispositions explicites en ce sens. En l’absence de telles dispositions, les États membres ne sauraient se voir dépossédés de leur compétence exclusive, de façon imprévisible, par l’effet d’une saisine consultative opérée par la Commission, ou le titulaire ou le demandeur de l’AMM.

96     Cette considération est confortée par le fait que, dans la procédure au titre de l’article 35 VET et à la différence de la procédure de reconnaissance mutuelle (voir l’article 33, paragraphe 2, VET), la saisine du CMV n’est précédée d’aucune concertation préalable permettant aux États membres de s’accorder entre eux et donc d’éviter le recours à l’arbitrage contraignant de la Commission.

97     Dans ces conditions, la circonstance que les autorités communautaires ont prévu une faculté et non une obligation de saisine doit être interprétée en ce sens qu’il s’agit, par la procédure de l’article 35 VET, de donner la possibilité à un État membre, s’il estime se trouver en présence d’un cas particulier présentant un intérêt communautaire, d’obtenir un avis au niveau communautaire avant de se prononcer. La référence, dans l’article 35 VET, à l’intérêt communautaire ne vise donc pas, en l’absence de dispositions explicites en ce sens, à manifester l’existence d’une compétence communautaire, mais simplement à éviter que le CMV soit encombré de questions ne soulevant pas un tel intérêt.

98     En outre, il est significatif de relever, comme le fait d’ailleurs le Tribunal dans l’arrêt Artegodan en matière de médicaments humains (point 143 de l’arrêt), que la référence à l’intérêt communautaire figurait déjà dans la directive 81/851 dans ses versions antérieures à l’entrée en vigueur de la procédure de reconnaissance mutuelle (article 22 de la directive 81/851 dans sa rédaction initiale et article 20 de la directive 81/851 telle que modifiée par la directive 90/676), c’est-à-dire à une époque où les États membres avaient une compétence générale en matière de délivrance et de gestion des AMM et où il n’existait pas de compétence communautaire. Cette constatation conforte la considération selon laquelle la notion d’intérêt communautaire ne saurait, dans l’espèce, fonder un transfert de compétence au profit de la Commission, en l’absence de dispositions explicites dans ce sens.

99     S’agissant de la préoccupation de la Commission selon laquelle l’efficacité de la procédure de l’article 35 VET ne serait pas assurée par une interprétation qui limiterait son champ d’application à la consultation du CMV et susciterait, donc, le risque que des médicaments continuent d’être commercialisés dans certains États membres malgré l’avis du CMV, elle méconnaît le fait que les États membres ont, en tout état de cause et en application de l’article 83, paragraphe 1, sous a) et d), VET, l’obligation de suspendre ou de retirer l’AMM de tout médicament vétérinaire qui apparaîtrait comme nocif dans les conditions d’emploi indiquées ou dont le temps d’attente indiqué se révèlerait insuffisant pour garantir que les denrées alimentaires provenant de l’animal traité ne contiennent pas de résidus pouvant présenter des dangers pour la santé des consommateurs.

100   Par ailleurs, le fait que la directive 93/40 et le code VET ont été adoptés sur le fondement de dispositions du traité relatives au rapprochement des législations des États membres et qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, à savoir, pour la directive 93/40, l’article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), inséré en 1987 dans le traité par l’Acte unique européen, et, pour le code VET, l’article 95 CE, n’implique nullement, en soi, qu’une compétence décisionnelle doive être reconnue à la Commission à la suite d’une saisine du CMV en application de l’article 35 VET. La réponse à la question de l’existence d’une telle compétence dépend des termes mêmes des dispositions de la directive 93/40 et du code VET. Le Tribunal relève, à cet égard, que la directive 90/676, tout en étant fondée, également, sur l’article 100 A du traité CE, n’a pas non plus instauré une telle compétence communautaire.

101   Le Tribunal relève, enfin, que suivre la position de la Commission et, donc, lui reconnaître compétence pour prendre une décision contraignante à l’issue de la procédure au titre de l’article 35 VET entraînerait la conséquence que la Commission, étant elle-même habilitée à saisir le CMV au titre de cette disposition, pourrait faire entrer dans le champ de la compétence communautaire  tous les cas d’AMM nationales qu’elle considère comme étant des cas particuliers présentant un intérêt communautaire.

102   Cette perspective méconnaîtrait la compétence résiduelle exclusive des États membres en matière d’AMM purement nationales.

103   En définitive, se trouvent conciliés l’objectif du code VET, qui est la sauvegarde de la santé publique par des moyens ne freinant pas le développement de l’industrie et les échanges de médicaments au sein de la Communauté, et le maintien, en l’absence de dispositions explicites contraires, d’une compétence résiduelle exclusive des États membres pour l’octroi et la gestion des AMM purement nationales.

104   Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de conclure que l’article 35 VET ne peut pas être interprété en ce sens qu’il habilite implicitement la Commission à adopter une décision contraignante selon la procédure prévue par les articles 37 et 38 VET.

105   Par conséquent, c’est illégalement que, dans la présente affaire, la Commission, à la suite d’une saisine du CMV au titre de l’article 20 de la directive 81/851 modifiée (correspondant à l’article 35 VET), a adopté, sur le fondement des articles 37 et 38 VET, la décision attaquée.

106   Dès lors, il convient d’accueillir le premier moyen d’annulation, pris en sa première branche, et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens d’annulation.

 Sur les dépens

107   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérantes.

108   Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française, partie intervenante au soutien des requérantes, supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2003) 1404 de la Commission, du 22 avril 2003, concernant la suspension des autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires contenant la substance benzathine benzylpénicilline destinés à être administrés par voie intramusculaire et/ou sous-cutanée aux animaux producteurs d’aliments est annulée.

2)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérantes.

3)      La République française supportera ses propres dépens.

Vilaras

Martins Ribeiro

Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 janvier 2006.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Vilaras


* Langue de procédure : l’anglais.