Language of document : ECLI:EU:C:2021:257

ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)

26 mars 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 (Dublin III) – Article 27 – Voies de recours contre la décision de transfert – Caractère suspensif du recours – Article 29 – Modalités et délais des transferts – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33/UE – Article 18 – Mesure nationale attribuant à un demandeur ayant fait l’objet d’une décision de transfert une place dans une structure d’accueil spécifique au sein de laquelle les personnes hébergées bénéficient d’un accompagnement pour préparer leur transfert »

Dans l’affaire C‑134/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal du travail de Liège (Belgique), par décision du 22 février 2021, parvenue à la Cour le 4 mars 2021, dans la procédure

EV

contre

Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász (rapporteur), C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 27 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EV à l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) (Belgique) au sujet de la légalité d’une mesure attribuant à EV une place dans une structure d’accueil spécifique au sein de laquelle les personnes hébergées bénéficient d’un accompagnement pour préparer leur transfert vers l’État membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement Dublin III

3        L’article 1er du règlement Dublin III, intitulé « Objet », dispose :

« Le présent règlement établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride (ci-après dénommé “État membre responsable”). »

4        L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

b)      “demande de protection internationale”, une demande de protection internationale au sens de l’article 2, point h), de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)] ;

c)      “demandeur”, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ;

[...] »

5        L’article 26 dudit règlement, intitulé « Notification d’une décision de transfert », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l’État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l’État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. Si la personne concernée est représentée par un conseil juridique ou un autre conseiller, les États membres peuvent choisir de notifier la décision à ce conseil juridique ou à cet autre conseiller plutôt qu’à la personne concernée et, le cas échéant, de communiquer la décision à la personne concernée. »

6        Aux termes de l’article 27 du même règlement :

« 1.      Le demandeur [...] dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

[...]

3.      Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a)      le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b)      le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c)      la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l’exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en ménageant la possibilité d’un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l’exécution de la décision de transfert doit être motivée.

4.      Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision.

5.      Les États membres veillent à ce que la personne concernée ait accès à une assistance juridique et, si nécessaire, à une assistance linguistique.

6.      Les États membres veillent à ce qu’une assistance juridique soit accordée sur demande et gratuitement lorsque la personne concernée ne peut en assumer le coût. [...]

[...] »

7        L’article 29 du règlement Dublin III, concernant les modalités et les délais des transferts vers l’État membre responsable, prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.      Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

 La directive 2013/33/UE

8        L’article 7 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96), intitulé « Séjour et liberté de circulation », dispose :

« 1.      Les demandeurs peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée par cet État membre. La zone attribuée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive.

2.      Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande de protection internationale.

3.      Les États membres peuvent prévoir que, pour bénéficier des conditions matérielles d’accueil, les demandeurs doivent effectivement résider dans un lieu déterminé fixé par les États membres. Ces décisions, qui peuvent être à caractère général, sont prises au cas par cas et fondées sur le droit national.

[...] »

9        En vertu de l’article 18 de cette directive, intitulé « Modalités des conditions matérielles d’accueil » :

« 1.      Lorsque le logement est fourni en nature, il doit l’être sous une des formes suivantes ou en les combinant :

[...]

b)      des centres d’hébergement offrant un niveau de vie adéquat ;

[...]

3.      Lorsque les demandeurs sont hébergés dans les locaux et centres d’hébergement visés au paragraphe 1, points a) et b), les États membres tiennent compte des aspects liés au genre et à l’âge, ainsi que de la situation des personnes vulnérables.

[...]

6.      Les États membres font en sorte que les demandeurs ne soient transférés d’un logement à l’autre que lorsque cela est nécessaire. [...]

[...] »

 Le droit belge

 La loi du 15 décembre 1980

10      Le titre I bis de la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, du 15 décembre 1980 (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa rédaction applicable aux faits au principal (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »), intitulé « Le Conseil du Contentieux des étrangers », est divisé en cinq chapitres.

11      Le chapitre 1er, intitulé « Institution et juridiction du Conseil du Contentieux des étrangers », comprend, notamment, l’article 39/2 de la loi du 15 décembre 1980, qui prévoit que le demandeur de protection internationale peut introduire devant le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) un recours en annulation contre la décision de refus de séjour prise à son égard, assortie d’un ordre de quitter le territoire, lequel n’est pas suspensif.

12      Le chapitre 5, intitulé « La procédure », de ce même titre I bis de la loi du 15 décembre 1980 est subdivisé en trois sections. La section III, relative au « recours en annulation », comprend, notamment, une sous-section 3, intitulée « Le référé administratif », dans laquelle figure l’article 39/82 de cette loi, qui est rédigé comme suit :

« § 1er.      Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le [Conseil du contentieux des étrangers] est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.

[...]

Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3.

[...]

§ 4.      Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle.

Lorsque l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, en particulier lorsqu’il est maintenu dans un lieu déterminé visé aux articles 74/8 et 74/9 ou est mis à la disposition du gouvernement, il peut, s’il n’en a pas encore demandé la suspension par la voie ordinaire, demander la suspension de l’exécution en extrême urgence de cette mesure dans le délai visé à l’article 39/57, § 1er, alinéa 3.

[...] »

 La loi sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers

13      L’article 11, § 1, de la loi sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers, du 12 janvier 2007 (Moniteur belge du 7 mai 2007, p. 24027) prévoit, dans certaines conditions, l’attribution contraignante d’une place dans une structure d’accueil pour les demandeurs d’asile. Selon l’article 12, § 2, de cette loi, la Fedasil peut d’office modifier le lieu d’accueil d’un demandeur d’asile.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Le 16 septembre 2020, le requérant au principal, de nationalité géorgienne, a introduit une demande de protection internationale en Belgique.

15      Dans l’attente d’une décision sur sa demande, il a été hébergé dans un centre d’accueil de la Croix-Rouge, situé à Rocourt (Belgique).

16      Les autorités belges ont adressé une requête aux fins de prise en charge aux autorités néerlandaises. Cette requête a été acceptée le 9 octobre 2020.

17      L’Office des étrangers (Belgique) a adopté une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire, qui a été notifiée au requérant au principal le 21 décembre 2020. Aux termes de cette décision, il lui était indiqué que le Royaume des Pays-Bas était responsable de l’examen de son dossier et lui était fait ordre de quitter le territoire belge et de se rendre aux Pays-Bas.

18      Le 14 janvier 2021, le requérant au principal a introduit un recours en annulation contre cette décision de transfert devant le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique).

19      Par décision du 11 janvier 2021, la Fedasil a, en considération de la décision de transfert, modifié le lieu d’accueil du requérant au principal, en l’affectant de manière contraignante à une structure d’accueil spécifique sise à Mouscron (Belgique), afin qu’il bénéficie de l’accompagnement prévu pour l’organisation de son transfert vers l’État membre responsable.

20      Le requérant au principal a introduit un recours en référé devant le tribunal du travail de Liège (Belgique) contre cette décision.

21      Par ordonnance de référé du 15 janvier 2021, confirmée le 4 février 2021, le tribunal du travail de Liège a ordonné, à titre provisoire, le maintien de l’hébergement du requérant au principal au centre d’accueil de la Croix-Rouge de Rocourt.

22      Le 14 janvier 2021, le requérant au principal a introduit un recours au fond contre la décision de la Fedasil. À l’appui de ce recours, il a fait valoir que celle-ci portait atteinte à son droit à un recours suspensif contre la décision de refus de séjour.

23      La juridiction de renvoi indique que l’article 27 du règlement Dublin III garantit au demandeur un recours effectif contre la décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire national.

24      Elle souligne toutefois que l’introduction d’un recours n’a pas, en droit national, un effet suspensif automatique sur l’exécution de l’ordre de quitter le territoire. Ce n’est que dans le cadre du référé administratif que le demandeur peut solliciter la suspension de cette exécution, dans un contexte d’urgence absolue, c’est-à-dire en cas d’exécution imminente d’un tel ordre de quitter le territoire.

25      Selon la juridiction de renvoi, l’issue du litige au principal suppose de déterminer au préalable si et à quelle condition le recours contre une décision de transfert a un effet suspensif. À cet égard, elle explique que, s’il fallait reconnaître un tel effet, l’introduction d’un recours aurait pour conséquence de faire temporairement obstacle au transfert du demandeur concerné vers un autre État membre, de sorte que le déplacement de celui-ci vers un centre spécifique aux fins de la préparation du transfert serait prématuré.

26      Elle s’interroge, en conséquence, sur le point de savoir si une décision de modification du lieu d’accueil obligatoire, telle que celle en cause au principal, qui doit, de son point de vue, être regardée comme étant un début d’exécution de la décision de transfert, est conforme à l’article 27 du règlement Dublin III.

27      C’est au regard de ces considérations que le tribunal du travail de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Un recours organisé en droit interne au bénéfice d’un demandeur d’asile invité à faire examiner sa demande de protection internationale dans un autre État membre ne présentant aucun caractère suspensif et ne pouvant acquérir un tel caractère qu’en cas de privation de liberté en vue du transfert imminent constitue–t–il un recours effectif au sens de l’article 27 du [règlement Dublin III] ?

2)      Le recours effectif prévu à l’article 27 du [règlement Dublin III] doit-il s’entendre comme s’opposant uniquement à la mise en œuvre d’une mesure de transfert contraint durant l’examen du recours dirigé contre ladite décision de transfert ou comme portant interdiction de toute mesure préparatoire à un éloignement, comme le déplacement dans un centre assurant la mise en place d’un trajet de retour à l’égard des demandeurs d’asile invités à faire examiner leur demande d’asile dans un autre pays européen ? »

 La procédure devant la Cour

28      La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour ou à la procédure accélérée prévue à l’article 105 de ce règlement de procédure.

29      Par décision du 16 mars 2021, la cinquième chambre a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence, les conditions de l’urgence prévues à l’article 107 du règlement de procédure n’étant pas réunies. Par une décision du même jour, la demande tendant à ce que cette affaire soit soumise à la procédure accélérée a également été rejetée. En revanche, ce même 16 mars 2021, le président de la Cour a décidé de faire juger ladite affaire par priorité, conformément à l’article 53, paragraphe 3, de ce règlement de procédure.

 Sur les questions préjudicielles

30      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment décider, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque, notamment, la réponse à une question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable. En outre, en vertu de l’article 53, paragraphe 2, de ce règlement de procédure, lorsqu’une demande préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

31      Il y a lieu de faire application de ces dispositions dans la présente affaire.

 Sur la seconde question

32      Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre adopte, à l’égard d’un demandeur ayant introduit un recours contre une décision de transfert vers un autre État membre au sens de l’article 26, paragraphe 1, de ce règlement, des mesures préparatoires à ce transfert, telles que l’attribution d’une place dans une structure d’accueil spécifique au sein de laquelle les personnes hébergées bénéficient d’un accompagnement pour préparer leur transfert.

33      Conformément à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, le demandeur dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. En outre, il ressort de l’article 27, paragraphes 3 à 6, de ce règlement que, en vue d’assurer l’effectivité de cette voie de recours, le demandeur d’asile doit, notamment, bénéficier de la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours et doit également disposer d’une assistance juridique (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 50).

34      Si, en application de cet article 27, le droit à un recours effectif doit au moins être assorti de la possibilité donnée au demandeur de solliciter la suspension de l’exécution de la décision de transfert, cette disposition ne fait toutefois pas obligation aux États membres de prévoir dans leur droit que l’introduction d’un tel recours entraîne automatiquement la suspension de l’exécution.

35      En effet, il ressort de l’article 27, paragraphe 3, sous c), du règlement Dublin III que le législateur de l’Union, en précisant que les États membres prévoient que la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours, reconnaît que les États membres peuvent décider que l’introduction d’un recours contre une décision de transfert ne suffit pas, par elle-même, à suspendre le transfert, qui peut dès lors avoir lieu sans attendre l’examen de ce recours, pour autant que la suspension n’a pas été sollicitée ou que la demande de suspension a été rejetée (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 59).

36      Cependant, il convient de relever, premièrement, que, tout en prévoyant un droit à un recours effectif et la possibilité de demander la suspension de l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours, ni cette disposition ni aucune autre disposition du règlement Dublin III ne prohibe l’adoption de mesures, telles que celle en cause au principal, lesquelles, en tant que telles, ne constituent pas le début de la procédure d’exécution de la décision de transfert, au sens de ce règlement.

37      En effet, de telles mesures doivent être regardées non comme des mesures d’exécution du transfert mais comme des mesures préparatoires à la procédure d’exécution, dès lors que leur mise en œuvre n’aboutit pas à ce que la personne concernée quitte le territoire de l’État membre requérant. Du reste, elles ne portent pas atteinte à la liberté du demandeur d’aller et venir, ni à l’exercice des droits procéduraux que celui-ci tire du règlement Dublin III.

38      En outre, des mesures telles que celle en cause au principal ne sont pas par elles‑mêmes de nature à influer sur le sens de la décision à intervenir en ce qui concerne le recours contre la décision de transfert, ce que la juridiction de renvoi ne prétend au demeurant pas.

39      Il convient également de relever que l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que le transfert du demandeur de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue « dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans les six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne ou de la décision définitive sur le recours [...] lorsque l’effet suspensif est accordé ». Une telle disposition implique que le transfert du demandeur doit intervenir le plus tôt possible, dès que les conditions juridiques pour ce faire sont réunies.

40      Ainsi, l’adoption de mesures préparatoires au transfert apparaît être en cohérence avec les dispositions de l’article 29 du règlement Dublin III, en ce que lesdites mesures ont pour objet de préparer le transfert du demandeur dans les meilleurs délais en cas de rejet de son recours contre la décision de transfert.

41      Secondement, l’adoption de mesures préparatoires telles que celle en cause au principal ne contrevient pas non plus aux dispositions de la directive 2013/33, laquelle a pour objet de régir les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, y compris ceux à qui une décision de transfert en application du règlement Dublin III a été notifiée (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Cimade et GISTI, C‑179/11, EU:C:2012:594, point 50).

42      À cet égard, l’obligation pour les États membres de ne transférer les demandeurs d’un logement à un autre que « lorsque cela est nécessaire », prévue à l’article 18, paragraphe 6, de la directive 2013/33, ne s’oppose pas à ce qu’un demandeur soit affecté, après l’adoption d’une décision de transfert, vers un nouveau logement d’accueil dispensateur de services en vue d’accompagner ce transfert, nonobstant la circonstance que le demandeur a introduit un recours contre cette décision de transfert.

43      En effet, il ne saurait être fait grief à l’État membre requérant de considérer que le changement de logement du demandeur est nécessaire du fait de la modification de sa situation administrative, liée à la décision de transfert, ainsi que des contraintes qui en découlent pour cet État membre.

44      Cela étant, il convient de préciser que les informations fournies aux demandeurs et les entretiens réalisés avec ceux-ci dans le centre d’accueil ouvert vers lequel ils ont été dirigés ne peuvent être tels qu’ils seraient susceptibles d’exercer une pression indue sur les demandeurs de protection internationale afin qu’ils renoncent à exercer leurs droits procéduraux qu’ils tirent du règlement Dublin III.

45      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 27 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre adopte, à l’égard d’un demandeur ayant introduit un recours contre une décision de transfert vers un autre État membre au sens de l’article 26, paragraphe 1, de ce règlement, des mesures préparatoires à ce transfert, telles que l’attribution d’une place dans une structure d’accueil spécifique au sein de laquelle les personnes hébergées bénéficient d’un accompagnement pour préparer leur transfert.

 Sur la première question

46      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit la possibilité pour le demandeur de solliciter la suspension de l’exécution de la décision de transfert uniquement lorsque cette décision est mise à exécution et que le demandeur est exposé à un risque de transfert imminent.

47      En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 26 mars 2020, A. P. (Mesures de probation), C‑2/19, EU:C:2020:237, point 25 et jurisprudence citée].

48      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 26 mars 2020, A. P. (Mesures de probation), C‑2/19, EU:C:2020:237, point 26 et jurisprudence citée].

49      En l’espèce, d’une part, il résulte de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi est uniquement tenue de « vérifier si l’aide matérielle octroyée à EV au sein du centre de Mouscron lui fournira les mêmes conditions matérielles et juridiques que son accueil dans un autre centre, ce de façon à lui permettre d’exercer, dans les mêmes conditions, son droit à un recours effectif » contre la décision de transfert qui lui a été notifiée.

50      D’autre part, ainsi qu’il a été indiqué au point 37 de la présente ordonnance, des mesures telles que celle en cause au principal ne constituent pas des mesures d’exécution d’une décision de transfert au sens du règlement Dublin III.

51      Il s’ensuit que la question relative au caractère suspensif du recours contre une décision de transfert n’est pas pertinente au regard du litige au principal, de sorte qu’il doit être constaté que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

52      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt du 30 septembre 2020, CPAS de Liège (C‑233/19, EU:C:2020:757), dès lors que, en l’espèce, le lien entre le litige au principal, qui porte sur l’affectation d’un demandeur à un centre d’hébergement dispensateur de services en vue du transfert, et l’application de l’article 27 du règlement Dublin III est inexistant. Il n’est, par conséquent, pas nécessaire pour la résolution du litige au principal que la juridiction de renvoi tranche la question relative au caractère effectif du recours en annulation introduit devant une autre juridiction. 

53      Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la première question est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) ordonne :

L’article 27 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre adopte, à l’égard d’un demandeur ayant introduit un recours contre une décision de transfert vers un autre État membre au sens de l’article 26, paragraphe 1, de ce règlement, des mesures préparatoires à ce transfert, telles que l’attribution d’une place dans une structure d’accueil spécifique au sein de laquelle les personnes hébergées bénéficient d’un accompagnement pour préparer leur transfert.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.