Language of document : ECLI:EU:T:2024:25

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL(i) (quatrième chambre)

24 janvier 2024 (*)

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par l’Espagne – Corrections financières – Contrôles clés – Contrôles croisés et actualisation du SIGPAC – Article 5 du règlement délégué (UE) no 640/2014 – Articles 28 et 29 du règlement d’exécution (UE) no 809/2014 – Erreur manifeste d’appréciation – Contrôles sur place – Correction forfaitaire couvrant l’ensemble des lacunes constatées – Article 12 du règlement délégué (UE) no 907/2014 – Lignes directrices relatives au calcul des corrections financières »

Dans l’affaire T‑495/21,

Royaume d’Espagne, représenté par MM. L. Aguilera Ruiz et A. Ballesteros Panizo, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes J. Aquilina, F. Castilla Contreras et I. Galindo Martín, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak et I. Reine (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le Royaume d’Espagne demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2021/988 de la Commission, du 16 juin 2021, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2021, L 218, p. 9), en tant qu’elle concerne le remboursement des aides directes lié à la discipline financière et les dépenses qu’il a effectuées au titre des aides directes découplées concernant la communauté autonome du Pays basque (Espagne) pour les années de demande 2016 à 2018 (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Du 12 au 16 mars 2018, la Commission européenne a procédé à l’enquête AAA/2018/003 dans la communauté autonome du Pays basque, relative à la gestion des aides à la surface au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA).

3        Par lettre du 11 juillet 2018, la Commission a communiqué au Royaume d’Espagne ses conclusions sur l’enquête conformément à l’article 34, paragraphe 2, premier alinéa, de son règlement d’exécution (UE) no 908/2014, du 6 août 2014, portant modalités d’application du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59). La Commission y indiquait avoir constaté des carences dans des contrôles clés et proposait une correction forfaitaire de 10 %.

4        Le 11 octobre 2018, le Royaume d’Espagne a répondu à la communication des conclusions sur l’enquête en contestant les carences relevées par la Commission.

5        Le 4 février 2019, la Commission a convoqué les représentants du Royaume d’Espagne pour une réunion bilatérale devant se tenir le 14 février (ci-après la « réunion bilatérale »), en exposant une nouvelle fois les motifs pour lesquels elle considérait qu’il existait des carences dans des contrôles clés. Elle a également sollicité des informations complémentaires. Le 12 février 2019, le Royaume d’Espagne a répondu aux observations de la Commission figurant dans la lettre de convocation à la réunion bilatérale.

6        Le 27 mars 2019, la Commission a transmis le procès-verbal de la réunion bilatérale au Royaume d’Espagne (ci-après le « procès-verbal de la réunion bilatérale »). Le 16 avril 2019, le Royaume d’Espagne a formulé des observations sur le procès-verbal de la réunion bilatérale, qu’il a complétées le 23 mai.

7        Le 16 décembre 2019, la Commission a notifié au Royaume d’Espagne la communication officielle sur l’issue de l’enquête par laquelle elle maintenait sa position concernant la constatation de carences dans plusieurs contrôles clés (ci-après la « communication officielle »).

8        D’une part, la Commission a indiqué avoir constaté des carences dans la réalisation de contrôles croisés afin de vérifier les critères d’admissibilité de la parcelle déclarée, visés aux articles 28 et 29 de son règlement d’exécution (UE) no 809/2014, du 17 juillet 2014, établissant les modalités d’application du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les mesures en faveur du développement rural et la conditionnalité (JO 2014, L 227, p. 69). Pour certaines parcelles agricoles, principalement les pâturages permanents, la superficie maximale admissible n’aurait pas été correctement actualisée dans le système d’identification géographique des parcelles agricoles (SIGPAC) d’après la dernière orthophotographie disponible et une visite rapide sur le terrain n’aurait pas toujours été réalisée lorsque cela était nécessaire. En outre, lors des contrôles sur place, l’actualisation incorrecte de la superficie maximale admissible dans le SIGPAC aurait été confirmée.

9        D’autre part, la Commission a estimé que le Royaume d’Espagne n’avait pas toujours effectué des contrôles sur place adéquats afin de vérifier l’admissibilité des parcelles déclarées. En particulier, à la suite d’une vérification à l’écran pour l’année de demande 2017, la direction générale (DG) de l’agriculture et du développement rural de la Commission aurait réalisé un contrôle sur place de 23 parcelles au cours duquel des erreurs significatives auraient été relevées dans sept cas, soit 30 % des sites à risque.

10      En conséquence, la Commission proposait une correction forfaitaire au taux de 2 %, en application de l’article 12, paragraphe 8, de son règlement délégué (UE) no 907/2014, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les garanties et l’utilisation de l’euro (JO 2014, L 255, p. 18). Cette correction absorbait l’ensemble des corrections calculées et couvrait le risque lié à toutes les carences dans les contrôles clés.

11      Le 31 janvier 2020, le Royaume d’Espagne a formulé une demande de conciliation en vertu de l’article 40, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 908/2014.

12      Le 8 septembre 2020, l’organe de conciliation a rendu son rapport sur la tentative de conciliation, dans lequel il a constaté l’échec de cette tentative.

13      Dans sa position finale du 13 janvier 2021 (ci-après la « position finale »), la Commission a maintenu sa position exprimée dans la communication officielle en ce qui concerne l’existence de carences dans des contrôles clés, à savoir les contrôles croisés et les contrôles sur place, et confirmé vouloir appliquer une correction forfaitaire au taux de 2 %, conformément à ce qui avait été annoncé dans la communication officielle. Cette correction devait s’appliquer au régime de paiement de base, au paiement vert, au régime des jeunes agriculteurs et au régime des petits agriculteurs.

14      Le 16 juin 2021, la Commission a adopté la décision attaquée par laquelle elle a écarté du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par le Royaume d’Espagne au titre notamment, d’une part, du remboursement des aides directes lié à la discipline financière et, d’autre part, de celui des aides directes découplées pour les années de demande 2016 à 2018 en faisant application d’un taux forfaitaire de 2 %. S’agissant du remboursement des aides directes lié à la discipline financière, la Commission a imposé une correction financière d’un montant de 9 136,29 euros pour l’exercice financier 2018. La correction forfaitaire relative aux aides directes découplées, qui visait explicitement toutes les carences pour les années de demande concernées, s’élevait à un montant de 686 287,55 euros pour l’exercice financier 2017, à un montant de 681 436,46 euros pour l’exercice financier 2018 et à un montant de 679 613,13 euros pour l’exercice financier 2019. Au total, la correction forfaitaire en cause s’élevait ainsi à 2 056 473,43 euros.

15      Les motifs des corrections imposées au Royaume d’Espagne dans la décision attaquée sont résumés dans le rapport de synthèse (2021)2203608 de la Commission (ci-après le « rapport de synthèse »), concernant les résultats des inspections de la Commission dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité régie par l’article 52 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) n° 352/78, (CE) n° 165/94, (CE) n° 2799/98, (CE) n° 814/2000, (CE) n° 1200/2005 et n° 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13).

 Conclusions des parties

16      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en tant qu’elle concerne le remboursement des aides directes lié à la discipline financière et les dépenses qu’il a effectuées au titre des aides directes découplées concernant la communauté autonome du Pays basque pour les années de demande 2016 à 2018 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

 En droit

18      À l’appui de son recours, le Royaume d’Espagne soulève deux moyens.

19      Le premier moyen comporte, en substance, deux branches, tirées, la première, de la violation de l’article 5 du règlement délégué (UE) no 640/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1306/2013 en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les conditions relatives au refus ou au retrait des paiements et les sanctions administratives applicables aux paiements directs, le soutien au développement rural et la conditionnalité (JO 2014, L 181, p. 48), et des articles 28 et 29 du règlement d’exécution no 809/2014 ainsi que de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation et, la seconde, de la violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation s’agissant de la correction forfaitaire imposée.

20      Le second moyen est tiré, en substance, de la violation de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 ainsi que des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes telles qu’elles figurent dans la communication C(2015) 3675 final de la Commission, du 8 juin 2015 (ci-après les « lignes directrices relatives au calcul des corrections financières »).

21      Le Tribunal examinera, en premier lieu, la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 5 du règlement délégué no 640/2014 et des articles 28 et 29 du règlement d’exécution no 809/2014 ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’identification de carences dans les contrôles croisés. Le Tribunal examinera, en second lieu, pris ensemble, la seconde branche du premier moyen et le second moyen, relatifs à la correction financière forfaitaire appliquée par la Commission.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 5 du règlement délégué no 640/2014 et des articles 28 et 29 du règlement d’exécution no 809/2014 ainsi que de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’identification de carences dans les contrôles croisés

22      Le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance, que les carences constatées lors de l’enquête menée par la Commission, visée au point 2 ci-dessus, ne sauraient être qualifiées de carences significatives affectant le fonctionnement efficace des contrôles croisés compte tenu du nombre limité de parcelles qui ont fait l’objet d’une visite sur le terrain par la Commission. Le fait que des erreurs aient été constatées pour deux des quatre terrains ayant fait l’objet d’une telle visite, aboutissant à l’inadmissibilité d’une surface de 0,58 ha, ne démontrerait nullement que le processus d’actualisation du SIGPAC ne fonctionnait pas correctement ou de manière adéquate, mais refléterait tout au plus des carences ponctuelles. Dans son rapport, l’organe de conciliation n’aurait d’ailleurs pas constaté une absence systématique et absolue d’inspections physiques sur le terrain en cas de doutes sur la photo-interprétation d’une orthophotographie. Ce rapport constaterait uniquement que des inspections rapides n’ont pas été systématiquement réalisées.

23      En outre, la Commission aurait elle-même indiqué que les carences constatées n’étaient pas significatives, de sorte que le taux de 50 % d’erreurs constaté dans l’échantillon vérifié sur le terrain ne pouvait pas être « extrapolé à l’ensemble de la population ». De plus, les vérifications de la Commission à l’écran puis dans le cadre des inspections rapides sur le terrain auraient permis de valider 99,86 % de la superficie maximale admissible. Les divergences ponctuelles constatées dans le cadre de l’enquête de la Commission auraient également été corrigées dans le SIGPAC 2018.

24      Par ailleurs, selon le Royaume d’Espagne, il n’existerait aucun rapport automatique entre la qualité du SIGPAC et les contrôles sur place. La faible qualité des contrôles sur place effectués par les autorités nationales compétentes ne signifierait pas nécessairement que le SIGPAC est déficient. Or, afin d’apprécier la gravité des carences relevées, la Commission se serait fondée sur des données relatives aux contrôles sur place. En outre, la Commission elle-même appliquerait un critère selon lequel la marge maximale doit être de 2 % de sorte que si le pourcentage de superficie totale modifiée est inférieur à cette marge maximale, on ne pourrait pas considérer qu’il existe une carence dans les contrôles clés générant un risque pour le FEAGA.

25      Au vu de ces éléments, la Commission n’aurait pas démontré l’existence de doutes sérieux et raisonnables concernant la qualité et la suffisance des contrôles clés en cause exercés au Pays basque au regard de la réglementation de l’Union.

26      Le Royaume d’Espagne fait également valoir que l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 impose à la Commission de respecter le principe de proportionnalité lorsqu’elle exclut certains montants du financement de l’Union. Or, au vu du nombre très limité de parcelles contrôlées, et compte tenu du fait que le SIGPAC était actualisé à plus de 99 %, la Commission ne pourrait pas conclure à la non-conformité du système de contrôles croisés.

27      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne.

28      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient à la Commission, aux fins de prouver l’existence d’une violation des règles de l’organisation commune des marchés agricoles, non pas de démontrer d’une façon exhaustive l’insuffisance des contrôles effectués par les administrations nationales ou l’irrégularité des chiffres transmis par elles, mais de présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces contrôles ou de ces chiffres (voir arrêt du 15 octobre 2014, Danemark/Commission, C‑417/12 P, EU:C:2014:2288, point 81 et jurisprudence citée).

29      Une fois qu’un élément de doute sérieux a été établi par la Commission, il n’incombe pas à celle-ci de procéder à des contrôles et à des vérifications supplémentaires. C’est l’État membre concerné qui, dans une telle situation, doit présenter des preuves détaillées et complètes de la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres afin de démontrer, à tout le moins, que les carences relevées par la Commission étaient ponctuelles et ne présentaient pas un caractère systémique. À défaut de présentation d’une telle preuve, les constatations de la Commission ne peuvent être infirmées et doivent être considérées comme exactes (arrêt du 2 avril 2020, Commission/Espagne, C‑406/19 P, non publié, EU:C:2020:276, points 54 et 56).

30      En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 13 ci-dessus, la Commission a constaté des carences dans deux contrôles clés effectués au Pays basque par les autorités nationales compétentes. Il s’agissait, d’une part, de carences dans la réalisation de contrôles croisés afin de vérifier les critères d’admissibilité de la parcelle déclarée et, d’autre part, de carences dans les contrôles sur place.

31      S’agissant des carences dans la réalisation de contrôles croisés, qui sont contestées par le Royaume d’Espagne dans le cadre du présent moyen, la Commission s’est fondée, en substance, sur un double constat. D’une part, des erreurs avaient été constatées sur deux des quatre parcelles ayant fait l’objet de visites rapides sur le terrain en raison des doutes qu’elles soulevaient dans le cadre de la photo-interprétation des orthophotographies à l’écran, de sorte que 50 % des sites sélectionnés en raison de doutes lors de l’interprétation à l’écran n’étaient pas correctement repris dans le SIGPAC. D’autre part, les contrôles sur place effectués par la DG de l’agriculture et du développement rural auraient permis de confirmer que l’actualisation de la surface maximale admissible mentionnée dans le SIGPAC était incorrecte, des erreurs significatives ayant été constatées dans près de 30 % des sites ayant fait l’objet de contrôles sur place.

32      Il convient de souligner, à l’instar de la Commission, que le Royaume d’Espagne n’a pas contesté les erreurs constatées par la Commission lors des visites rapides sur le terrain, ni les carences dans les contrôles sur place. Il fait uniquement valoir que de telles erreurs revêtent une nature ponctuelle et qu’elles ne sont pas significatives.

33      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de l’apurement des comptes du FEAGA, les États membres jouent un rôle primordial en ce qu’ils doivent permettre de garantir que ce fonds ne finance que les interventions effectuées conformément aux dispositions du droit de l’Union dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles (arrêt du 2 avril 2020, Commission/Espagne, C‑406/19 P, non publié, EU:C:2020:276, point 47).

34      Dans ce cadre, la Cour a jugé que le fait qu’une carence a été constatée par la Commission dans deux des quatre dossiers d’organisations de producteurs qu’elle a contrôlés sur un total de 140 dossiers constituait un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable, au sens de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, que la Commission éprouvait à l’égard du caractère suffisant des contrôles effectués par les administrations de l’État membre concerné (arrêt du 2 avril 2020, Commission/Espagne, C‑406/19 P, non publié, EU:C:2020:276, point 53).

35      Aussi, le nombre limité de parcelles qui ont fait l’objet d’un contrôle ainsi que le nombre limité d’erreurs constatées sur l’ensemble des interventions du FEAGA concernées par des contrôles ne permettent pas d’écarter en soi l’existence d’un doute sérieux et raisonnable.

36      En outre, des contrôles sur place ont été effectués sur 23 parcelles et ont révélé des erreurs sur sept d’entre elles, soit 30 % des parcelles contrôlées. Ainsi qu’il ressort de la communication officielle et de la position finale, la Commission a considéré que si la qualité des contrôles sur place est insuffisante, de sorte qu’ils n’identifient pas correctement les erreurs dans le SIGPAC, ces erreurs ne sont pas corrigées et le processus d’actualisation du SIGPAC n’est pas complet.

37      De même, le rapport de synthèse indique qu’il existait une surestimation persistante de la surface admissible dans le SIGPAC des parcelles de pâturage, s’élevant respectivement à 4,13 %, 9,28 % et 8,24 % pour les années de demandes 2016 à 2018, ce que le Royaume d’Espagne ne conteste pas. Compte tenu des erreurs significatives relevées sur sept des vingt-trois parcelles visitées, les contrôles sur place effectués par les autorités nationales compétentes ne répondaient pas aux normes en vigueur, de sorte que la surface maximale admissible dans le SIGPAC en était affectée. Selon la Commission, cela rendait le fonctionnement des contrôles croisés inefficace également pour les agriculteurs n’ayant pas fait l’objet de contrôles sur place.

38      Dès lors, la Commission était en droit de considérer que la surestimation persistante de la surface admissible dans le SIGPAC démontrait que celle-ci présentait un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouvait à l’égard des contrôles en question.

39      La Commission a également expliqué que des divergences avaient été constatées entre les informations figurant dans le SIGPAC et les résultats des visites sur le terrain en ce qui concerne les pâturages permanents. Selon la Commission, de telles divergences devraient être peu nombreuses d’une année à l’autre, précisément en raison du caractère permanent desdits pâturages. Or, le Royaume d’Espagne n’a apporté aucun élément de nature à remettre en cause cette affirmation. En outre, ainsi qu’il ressort du point 37 ci-dessus, les divergences constatées par la Commission en l’espèce étaient significatives.

40      De plus, la position finale indique que les contrôles sur place effectués par l’organisme de certification en Espagne avaient révélé une erreur extrapolée supplémentaire par rapport au pourcentage indiqué dans la déclaration de gestion établie par l’organisme payeur espagnol en vertu de l’article 7, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1306/2013. En effet, cet organisme de certification avait renouvelé les contrôles sur place dans cinquante-cinq cas se rattachant à l’année de demande 2018. Dans douze de ces cas, une différence avait été détectée, entraînant un taux d’erreur extrapolé de 0,77 % de plus comparé au taux de 1,42 % indiqué dans la déclaration de gestion, ce qui représentait une différence supérieure à 50 %. Cet élément, qui n’est pas davantage contesté par le Royaume d’Espagne, est de nature à renforcer les doutes de la Commission quant à l’actualisation correcte du SIGPAC.

41      Au vu des éléments qui précèdent, il convient de considérer que la Commission pouvait conclure, à juste titre, à l’existence d’un doute sérieux et raisonnable, au sens de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, quant à l’actualisation suffisante du SIGPAC et à l’efficacité des contrôles croisés qui reposent sur celle-ci. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 29 ci-dessus, il appartenait donc au Royaume d’Espagne de démontrer que les carences constatées étaient ponctuelles et ne présentaient pas un caractère systémique.

42      À cet égard, premièrement, le Royaume d’Espagne ne peut pas s’appuyer sur l’argument selon lequel les erreurs constatées lors des visites rapides sur place effectuées par la DG de l’agriculture et du développement rural ne concernent qu’une superficie très limitée et selon lequel plus de 99 % des parcelles contrôlées à l’écran auraient été validées par l’auditeur de la Commission.

43      En effet, il ressort des réponses du Royaume d’Espagne à la communication des conclusions sur l’enquête du 11 octobre 2018 que, dans le cadre de l’examen à l’écran de la photo-interprétation du SIGPAC, l’auditeur de la Commission avait sélectionné de manière aléatoire une zone devant faire l’objet d’une telle vérification à l’écran. L’auditeur n’a donc pas procédé à la vérification de l’ensemble des parcelles recensées dans le SIGPAC.

44      De plus, ainsi que la Commission l’a expliqué, compte tenu du nombre de systèmes d’identification des parcelles agricoles dans l’Union et du nombre de parcelles concernées, il ne saurait être exigé des auditeurs qu’ils effectuent un contrôle exhaustif du système d’identification des parcelles agricoles dans chaque État membre et, en particulier, du SIGPAC afin de vérifier si toutes les données renseignées dans ce système sont correctes. En l’espèce, il ressort du dossier que les auditeurs ont procédé à un examen à l’écran du SIGPAC pendant environ une heure et ont sélectionné, parmi plus de 1 780 parcelles différentes correspondant à un total de 1 147 ha, un échantillon de quatre parcelles qui soulevaient des doutes quant à la photo-interprétation des orthophotographies disponibles. Le simple fait que d’autres parcelles n’ont pas été sélectionnées n’implique nullement que celles-ci auraient été validées à l’écran. En tout état de cause, le Royaume d’Espagne n’apporte aucun élément de preuve susceptible d’étayer son argument.

45      L’affirmation, contenue dans la lettre d’invitation à la réunion bilatérale, selon laquelle « l’échantillon n’était pas représentatif », de sorte que les chiffres ne pouvaient et « ne devaient pas être extrapolés à l’ensemble de la population », ne remet pas davantage en cause l’existence de carences dans les contrôles croisés. En effet, d’une part, la lettre d’invitation à la réunion bilatérale précise, immédiatement après la phrase litigieuse, que les erreurs constatées dans deux des quatre parcelles en cause démontraient néanmoins une actualisation insuffisante du SIGPAC en raison de l’absence de visites rapides sur le terrain en cas de doutes. La Commission invitait donc les autorités espagnoles à calculer le risque pour le FEAGA au vu des carences dans ce contrôle clé, calculs que ces autorités n’ont toutefois pas fournis à la Commission. D’autre part, la conclusion de la Commission selon laquelle il existerait des carences dans les contrôles croisés repose également sur les erreurs constatées lors des contrôles sur place effectués par la DG de l’agriculture et du développement rural, confirmant que l’actualisation de la surface maximale admissible mentionnée dans le SIGPAC était incorrecte.

46      De plus, comme l’indique à bon droit la Commission, la question de l’extrapolation des chiffres concerne le calcul de la correction financière infligée à la suite du constat de l’existence d’une carence, et non l’existence de la carence elle-même. Cela ressort, notamment, de l’article 52, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1306/2013, qui prévoit que lorsque les montants indûment dépensés ne peuvent être mis en évidence en déployant des efforts proportionnés, la Commission peut appliquer des corrections extrapolées ou forfaitaires. L’application d’une correction financière au moyen d’une extrapolation est également prévue à l’article 12, paragraphe 3, du règlement délégué no 907/2014, dans des conditions précises.

47      Deuxièmement, il est vrai que, dans son rapport, l’organe de conciliation n’a pas constaté une absence systématique et absolue d’inspections physiques sur le terrain en cas de doutes sur la photo-interprétation d’une orthophotographie, mais uniquement que des inspections rapides n’avaient pas été systématiquement réalisées.

48      Toutefois, comme l’indique à bon droit la Commission, cet argument ne remet pas en cause le fait que des visites rapides n’ont pas été effectuées systématiquement lorsqu’elles étaient nécessaires, c’est-à-dire en cas de doutes quant à l’interprétation de l’orthophotographie. Dès lors qu’une photographie soulevait objectivement des doutes, ceux-ci auraient dû être dissipés par une inspection rapide sur le terrain, conformément à l’article 24, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 809/2014. Aux termes de cette disposition, l’autorité compétente procède à des inspections physiques sur le terrain au cas où la photo-interprétation d’orthophotographies (aériennes ou satellitaires) ne fournit pas de résultats permettant de tirer des conclusions définitives, à la satisfaction de l’autorité compétente, quant à l’admissibilité ou la dimension correcte de la surface faisant l’objet de contrôles administratifs ou de contrôles sur place.

49      De plus, le Royaume d’Espagne ne conteste pas que les quatre parcelles sélectionnées par l’auditeur avaient soulevé des doutes quant à l’interprétation de l’orthophotographie disponible et que le SIGPAC n’était pas correctement actualisé pour deux de ces quatre parcelles. À cela s’ajoutent les carences dans les contrôles sur place, qui ne sont pas davantage contestées par le Royaume d’Espagne.

50      Troisièmement, le Royaume d’Espagne ne saurait tirer argument du fait que, à la suite des visites rapides sur le terrain, les erreurs constatées sur deux des quatre parcelles visitées ont été rectifiées dans le SIGPAC 2018. En effet, une telle rectification, qui ne concerne qu’un échantillon de parcelles contrôlées, ne permet pas de conclure que, pour l’ensemble des autres parcelles non contrôlées, le SIGPAC avait été actualisé correctement et qu’une visite rapide sur le terrain avait été organisée en cas de doutes. Le Royaume d’Espagne n’a d’ailleurs pas fourni d’indications étayées au Tribunal sur les mesures qui auraient été adoptées à cet effet.

51      Pour le même motif, le Royaume d’Espagne ne saurait se prévaloir du fait que les résultats des contrôles sur place auraient été correctement intégrés dans le SIGPAC, d’autant plus que la Commission a également constaté des carences dans lesdits contrôles qui, de surcroît, n’ont pas été contestées en l’espèce.

52      Quatrièmement, s’il est vrai que les contrôles croisés et les contrôles sur place ne se confondent pas, il n’en demeure pas moins que, en l’espèce, les résultats des contrôles sur place effectués par les services de la Commission ont mis en évidence un nombre élevé d’erreurs en ce qui concerne la surface maximale admissible de plusieurs parcelles de pâturage, telle que renseignée dans le SIGPAC.

53      Ainsi que la Commission l’a indiqué, en substance, dans la communication officielle et la position finale, l’efficacité des contrôles croisés repose sur une actualisation correcte du SIGPAC. Si le SIGPAC contient des erreurs liées aux résultats de contrôles sur place de qualité insuffisante, les contrôles croisés qui seraient effectués, notamment, entre les parcelles agricoles déclarées dans la demande et les informations figurant dans ce système, au sens de l’article 29, paragraphe 1, sous c), du règlement d’exécution no 809/2014, ne permettent pas de vérifier l’admissibilité en l’état des surfaces au régime de paiements directs ou à la mesure de développement rural, contrairement à ce que prévoit cette disposition.

54      Partant, en l’espèce, la Commission pouvait se fonder sur le résultat des contrôles sur place effectués par ses services pour confirmer l’existence de carences dans les contrôles croisés.

55      Cinquièmement, le Royaume d’Espagne ne saurait pas davantage soutenir que si le pourcentage de superficie totale modifiée à la suite de contrôles sur place est inférieur à une marge de 2 %, il n’existerait aucune carence dans de tels contrôles générant un risque pour le FEAGA.

56      En effet, il ressort de l’article 5, paragraphe 3, du règlement délégué no 640/2014, relatif à l’identification des parcelles agricoles dans le système intégré de gestion et de contrôle, que les États membres veillent à ce que la superficie maximale admissible par parcelle de référence visée au paragraphe 2, sous a), de cet article soit correctement quantifiée, dans une marge maximale de 2 %, tenant ainsi compte du contour et de l’état de la parcelle de référence.

57      Comme l’indique la Commission, la marge de 2 % s’applique pour chaque parcelle de référence, et ne constitue pas un taux moyen d’erreur admissible sur la totalité des parcelles contrôlées. L’argument du Royaume d’Espagne manque donc en droit.

58      Par ailleurs, il n’est nullement exclu que les superficies maximales admissibles d’autres parcelles, qui n’ont pas fait l’objet d’une visite rapide sur le terrain ou de contrôles sur place, aient fait l’objet d’une surestimation excédant la marge de 2 %. Le Royaume d’Espagne n’a pas fourni d’indications étayées au Tribunal permettant d’écarter une telle possibilité.

59      De plus, comme l’a fait valoir à bon droit la Commission, l’obligation des États membres d’assurer le bon fonctionnement et l’actualisation du SIGPAC ainsi que la qualité des contrôles croisés n’est pas soumise à un seuil quantitatif. En effet, comme le reconnaît le Royaume d’Espagne, l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 ne fixe pas de seuil minimal en ce qui concerne les cas constatés de non-conformité.

60      Partant, le Royaume d’Espagne n’a pas apporté de preuves détaillées et complètes de la réalité de ses contrôles et de ses chiffres afin de démontrer que les carences relevées par la Commission étaient ponctuelles et ne présentaient pas un caractère systémique. Les arguments du Royaume d’Espagne relatifs à une erreur manifeste d’appréciation de la Commission et à une violation de l’article 5 du règlement délégué no 640/2014 doivent donc être rejetés, ainsi que les arguments tirés de la violation des articles 28 et 29 du règlement d’exécution no 809/2014, qui ne sont pas davantage étayés. De même, le Royaume d’Espagne n’a nullement démontré que la Commission aurait méconnu le principe de proportionnalité en constatant des carences dans les contrôles croisés.

61      Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche du premier moyen et sur le second moyen, relatifs à la correction financière forfaitaire appliquée par la Commission

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation

62      Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, le Royaume d’Espagne soutient que, en imposant une correction forfaitaire de 2 %, la Commission a méconnu le principe de proportionnalité, tel qu’exprimé par l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013. Il fait également valoir que l’imposition d’une telle correction dans la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation.

63      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne.

64      Premièrement, le Royaume d’Espagne ne saurait faire valoir que, en appliquant une correction forfaitaire de 2 % en l’espèce, la Commission a méconnu l’obligation de motivation qui lui incombe. En effet, par son argumentation, le Royaume d’Espagne conteste la représentativité des erreurs constatées par la Commission et vise, en réalité, à remettre en cause le bien-fondé des motifs invoqués par la Commission pour justifier l’application d’une telle correction forfaitaire.

65      Or, le grief tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation doit être distingué de celui tiré de l’inexactitude des motifs de la décision. Ce dernier aspect relève de l’examen de la légalité au fond de la décision et non de la violation des formes substantielles et ne peut donc constituer une violation de l’article 296 TFUE (voir arrêt du 19 juin 2015, Italie/Commission, T‑358/11, EU:T:2015:394, point 88 et jurisprudence citée).

66      En tout état de cause, les décisions de la Commission en matière d’apurement de conformité sont prises sur le fondement d’un rapport de synthèse ainsi que d’une correspondance entre elle et l’État membre concerné. Dans ce contexte particulier d’élaboration des décisions de conformité, la motivation d’une décision doit être considérée comme suffisante dès lors que l’État destinataire a été étroitement associé au processus d’élaboration de cette décision et qu’il connaissait les raisons pour lesquelles la Commission estimait ne pas devoir mettre à la charge des fonds en cause les sommes litigieuses (arrêt du 16 février 2017, Roumanie/Commission, T‑145/15, EU:T:2017:86, point 45). En l’espèce, d’une part, le Royaume d’Espagne a été étroitement associé au processus d’élaboration de la décision attaquée, comme en témoignent les différentes pièces du dossier. D’autre part, il ressort notamment de la communication officielle ainsi que de la position finale que la Commission a suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles il convenait d’appliquer une correction forfaitaire de 2 %. Partant, il ne saurait être conclu, sans autre argumentation, que la Commission a méconnu son obligation de motivation en l’espèce.

67      Deuxièmement, il convient de constater que l’argument tiré de la violation du principe de proportionnalité repose sur la prémisse qu’il n’existait pas de carence systémique dans les contrôles croisés, présentant un risque pour le FEAGA, compte tenu du faible nombre de parcelles contrôlées par la Commission dans le cadre de son enquête. Or, ainsi qu’il ressort du point 60 ci-dessus, le Royaume d’Espagne n’a nullement démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant à l’existence de telles carences.

68      En outre, en l’espèce, les carences ayant justifié l’application d’une correction forfaitaire, en particulier les carences dans les contrôles croisés, concernaient non pas des contrôles secondaires, mais bien des contrôles clés au sens de l’article 12, paragraphe 6, du règlement délégué no 907/2014, à savoir des vérifications nécessaires pour établir l’admissibilité de l’aide et l’application correspondante de réductions et de sanctions.

69      Cependant, après avoir initialement proposé une correction forfaitaire de 10 % dans ses conclusions sur l’enquête, la Commission a finalement réduit ce pourcentage à 2 % dans la décision attaquée.

70      D’une part, il ressort du point 3 de la position finale, qui renvoie à la position de la Commission exprimée dans la communication officielle, que celle-ci a fait application de l’article 12, paragraphe 8, du règlement délégué no 907/2014 compte tenu des chiffres que le Royaume d’Espagne avait accepté de lui communiquer. La Commission a estimé qu’elle ne pouvait placer celui-ci dans une situation moins favorable que s’il n’avait fourni aucune indication chiffrée, et a donc retenu le plus bas taux forfaitaire pour décider des montants à exclure du financement de l’Union conformément à l’article 52 du règlement no 1306/2013.

71      D’autre part, ainsi qu’il ressort de la section 3.2 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, le pourcentage de 2 % appliqué par la Commission en l’espèce constitue le pourcentage de correction forfaitaire le plus faible applicable en cas de carence.

72      Aux termes de la section 3.2 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, ce pourcentage de 2 % est appliqué lorsqu’un État membre effectue correctement les contrôles clés, mais omet complètement d’effectuer un ou deux contrôles secondaires, compte tenu du risque plus faible de préjudice financier pour le budget de l’Union et de la moindre gravité de l’infraction.

73      Il ne saurait donc être reproché à la Commission d’avoir imposé une correction forfaitaire disproportionnée au vu des carences constatées.

74      Par conséquent, la seconde branche du premier moyen n’est pas fondée.

 Sur le second moyen, tiré, en substance, de la violation de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 et des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières

75      Dans le cadre du second moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que la Commission ne pouvait pas se fonder sur les carences dans les contrôles croisés et les contrôles sur place pour lui imposer une correction forfaitaire. En effet, il n’existerait aucune carence systémique dans les contrôles croisés susceptible de justifier une telle correction. De plus, s’agissant des carences dans les contrôles sur place, le Royaume d’Espagne aurait précisé et quantifié le risque pour le FEAGA dans le cadre de la procédure.

76      Ainsi, en appliquant la correction forfaitaire au taux de 2 %, la Commission aurait méconnu les principes posés par l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 et aurait outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation. 

77      Le Royaume d’Espagne ajoute que le retard dans la communication des chiffres évaluant le risque pour le FEAGA ne lui est pas imputable. En effet, le délai entre la convocation à la réunion bilatérale, reçue le 5 février 2019, et la tenue de cette réunion le 14 février aurait été extrêmement court. Le Royaume d’Espagne aurait néanmoins fourni les informations demandées par la Commission la veille de cette réunion, mais la Commission n’en aurait pas tenu compte. En outre, la Commission aurait poursuivi ses contrôles sur place après la réunion bilatérale. L’organisme payeur espagnol n’aurait donc pas été en mesure d’effectuer un calcul détaillé du risque pour ce fonds avant que la Commission communique le résultat final de ses contrôles et le montant proposé de la correction dans la communication officielle. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas respecté le délai de six mois prévu à l’article 34, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 908/2014 pour remettre officiellement ses conclusions au Royaume d’Espagne.

78      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne.

79      En l’espèce, le Royaume d’Espagne conteste l’application d’une correction forfaitaire de 2 %, en lieu et place d’une correction ponctuelle, aux motifs qu’il n’existait pas de carences dans les contrôles croisés et que la Commission disposait de données chiffrées en ce qui concerne les carences relatives à la qualité des contrôles sur place. Le Royaume d’Espagne considère ainsi, en substance, que la correction forfaitaire de 2 % imposée dans la décision attaquée doit être remplacée par une correction ponctuelle, fondée sur les chiffres fournis par celui-ci au cours de la procédure d’apurement.

80      En premier lieu, s’agissant des carences dans les contrôles croisés, ainsi qu’il ressort du point 61 ci-dessus, les arguments du Royaume d’Espagne concernant l’absence de telles carences et l’irrégularité de la correction forfaitaire de 2 % appliquée en raison de ces carences, invoqués dans le cadre du premier moyen, ont été rejetés. En outre, il n’est pas contesté entre les parties que le Royaume d’Espagne n’a pas fourni à la Commission des chiffres permettant d’évaluer de manière plus précise le risque pour le FEAGA résultant des carences dans les contrôles croisés, bien que la Commission ait sollicité de tels chiffres au cours de la procédure administrative ayant mené à l’adoption de la décision attaquée.

81      À titre surabondant, il convient encore de relever que la Commission précise, dans le rapport de synthèse, que la correction forfaitaire pour les carences dans les contrôles croisés est justifiée par le fait que le constat ne concerne pas nécessairement tous les agriculteurs dont les paiements découplés ont été déclarés au FEAGA, par exemple les agriculteurs qui ne déclarent pas les pâturages au prorata et à propos desquels elle ne dispose d’aucune information ou quantification. Or, le Royaume d’Espagne n’apporte pas d’élément pour contredire cette affirmation ou pour démontrer qu’il était possible, en déployant des efforts proportionnés, de quantifier les pertes résultant de la carence dans les contrôles croisés.

82      Comme le montre l’analyse ci-dessus, la correction forfaitaire de 2 % imposée en raison des carences dans les contrôles croisés n’étant entachée d’aucune illégalité, elle demeure justifiée et proportionnée.

83      En second lieu, il convient de rappeler que, parmi les trois types de corrections prévus par l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013, à savoir une correction « ponctuelle », une correction « extrapolée » et une correction « forfaitaire », cette dernière présente un caractère résiduel. Une correction ponctuelle est à appliquer lorsque des montants précis qui ont été indûment dépensés peuvent être mis en évidence (arrêt du 19 décembre 2019, Grèce/Commission, T‑14/18, non publié, EU:T:2019:888, point 95). Inversement, une correction forfaitaire n’est appliquée que lorsque le préjudice financier causé à l’Union ne peut pas être déterminé plus précisément (arrêt du 8 novembre 2018, Lituanie/Commission, T‑34/16, non publié, EU:T:2018:753, point 162).

84      Au vu de ce qui précède, en vertu de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013, la Commission ne peut appliquer des corrections forfaitaires que lorsque, en raison de la nature du cas ou parce que l’État membre n’a pas fourni les informations nécessaires, il n’est pas possible, en déployant des efforts proportionnés, de déterminer plus précisément le préjudice financier causé à l’Union.

85      À cet égard, en ce qui concerne la qualité des contrôles sur place, il ressort de la section 12.1.4.1 du rapport de synthèse que la quantification du risque pour le FEAGA effectuée par le Royaume d’Espagne ne tenait pas compte de l’effet des recouvrements. En effet, selon l’article 63 du règlement no 1306/2013 et l’article 7 du règlement d’exécution no 809/2014, les erreurs détectées lors des contrôles sur place au cours de l’année de demande 2017 auraient dû entraîner une évaluation de la nécessité d’engager des recouvrements rétroactifs de paiements indus et des montants dus au titre des sanctions infligées au cours des années précédentes. Par conséquent, selon la Commission, la quantification du risque pour l’année de demande 2017 aurait également dû inclure une évaluation de l’impact du non-recouvrement concernant les années de demande 2015 et 2016. De même, le chiffre correspondant à l’année de demande 2018 aurait également dû inclure, selon la Commission, une évaluation de l’impact du non-recouvrement concernant les années de demande 2015 à 2017.

86      La Commission a ainsi considéré que les montants proposés par le Royaume d’Espagne ne pouvaient pas être acceptés au motif que ces autorités avaient sous-estimé le risque pour le FEAGA.

87      Il convient également de rappeler que, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 908/2014, afin de déterminer les montants à exclure du financement de l’Union, la Commission se fonde sur ses propres conclusions et prend en considération les informations mises à disposition par les États membres, pour autant que ces dernières soient fournies dans les délais fixés par la Commission dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité effectuée en application de l’article 52 du règlement no 1306/2013 et en conformité avec cet article 34.

88      L’article 34, paragraphe 6, du règlement d’exécution no 908/2014 prévoit que les informations communiquées par l’État membre après la communication officielle de la Commission peuvent être prises en compte uniquement dans deux hypothèses : lorsqu’il est nécessaire d’éviter la surestimation brute du préjudice financier causé au budget de l’Union, et dans le cas où la transmission tardive des informations est dûment justifiée par des facteurs externes et ne compromet pas l’adoption en temps voulu par la Commission de la décision en vertu de l’article 52 du règlement no 1306/2013.

89      Or, d’une part, il ressort du rapport de synthèse que les chiffres communiqués par le Royaume d’Espagne étaient incomplets. De plus, ils ne portaient que sur les années de demande 2017 et 2018, alors que, dans la décision attaquée, la Commission a imposé une correction forfaitaire au Royaume d’Espagne, non seulement pour les années de demande 2017 et 2018, mais aussi pour l’année de demande 2016.

90      Le Royaume d’Espagne n’a toutefois apporté aucune réponse à l’argument de la Commission relatif au caractère incomplet des montants communiqués, et n’a fourni aucune explication pour ce qui concerne l’année de demande 2016.

91      D’autre part, il convient de constater que, comme l’a souligné la Commission dans la position finale, le Royaume d’Espagne a fourni les chiffres relatifs aux carences dans les contrôles sur place tardivement, dans sa demande de médiation auprès de l’organe de conciliation, après la réception de la communication officielle. Selon la Commission, un tel retard n’était pas justifié au regard de l’article 34, paragraphe 6, sous b), du règlement d’exécution no 908/2014.

92      À cet égard, le Royaume d’Espagne se contente de reprocher à la Commission d’avoir elle-même été à l’origine du retard en cause et d’avoir méconnu certains délais au cours de la procédure administrative.

93      Or, tout d’abord, en ce qui concerne le délai assez court entre la convocation à la réunion bilatérale le 5 février 2019 et la tenue de cette réunion le 14 février, il convient de relever que le Royaume d’Espagne avait déjà connaissance, bien avant cette convocation, des carences constatées par la Commission dans les contrôles sur place. En effet, celles-ci étaient détaillées dans les conclusions de l’enquête qui lui avaient été communiquées le 11 juillet 2018, soit près de sept mois avant ladite convocation. De plus, ces conclusions invitaient déjà explicitement le Royaume d’Espagne à fournir une évaluation chiffrée du risque pour le FEAGA lié à ces carences.

94      Dans la convocation à la réunion bilatérale, la Commission a souligné que, s’agissant des carences dans la qualité des contrôles sur place, le Royaume d’Espagne n’avait fourni, à cette date, que des chiffres incomplets, voire erronés. La Commission a ainsi demandé au Royaume d’Espagne de corriger ces chiffres et de fournir les chiffres manquants.

95      Il convient d’ajouter que, comme l’indique la Commission, dans ses observations sur le procès-verbal de la réunion bilatérale, le Royaume d’Espagne n’a pas non plus fourni de calcul plus précis du risque lié aux carences dans la qualité des contrôles sur place.

96      Ensuite, le Royaume d’Espagne n’étaye pas son argument selon lequel la Commission aurait poursuivi ses contrôles sur place après la réunion bilatérale, et le dossier ne contient aucun élément probant à cet égard. Pour sa part, la Commission a expliqué que l’enquête avait été clôturée près de onze mois avant la réunion bilatérale. Le Royaume d’Espagne ne saurait donc soutenir que, pour ce motif, l’organisme payeur espagnol n’aurait pas été en mesure d’effectuer un calcul détaillé du risque pour le FEAGA avant que la Commission communique le résultat final de ses contrôles et le montant proposé de la correction dans la communication officielle.

97      Enfin, comme elle l’indique à bon droit et compte tenu du fait qu’elle avait demandé des informations complémentaires au Royaume d’Espagne après la réunion bilatérale, la Commission était tenue d’envoyer la communication officielle au Royaume d’Espagne non pas dans le délai de six mois prévu à l’article 34, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement d’exécution no 908/2014, mais bien dans le délai prévu à l’article 34, paragraphe 5, de ce règlement. Cette dernière disposition prévoit que lorsque la Commission demande à un État membre de lui communiquer des informations supplémentaires, le délai prévu à l’article 34, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 908/2014 court à nouveau à partir de la réception par la Commission des informations demandées. Or, le Royaume d’Espagne ne soutient pas que ce dernier délai aurait été méconnu.

98      Ainsi, il n’est nullement démontré que la communication tardive à la Commission de chiffres plus précis sur le montant de la correction à appliquer en raison des carences dans les contrôles sur place serait imputable à des facteurs externes, au sens de l’article 34, paragraphe 6, sous b), du règlement d’exécution no 908/2014.

99      Par conséquent, pour les carences dans les contrôles sur place, les arguments avancés par le Royaume d’Espagne ne permettent pas de conclure que la Commission aurait commis une erreur de droit en écartant l’application d’une correction financière ponctuelle calculée sur la base des chiffres fournis par celui-ci.

100    Au demeurant, ainsi qu’il ressort des points 10 et 70 ci-dessus, la Commission n’a nullement ignoré les chiffres communiqués par le Royaume d’Espagne. À cet égard, elle a estimé que la correction forfaitaire de 2 % absorbait l’ensemble des corrections chiffrées et couvrait le risque pour le FEAGA lié à toutes les carences constatées dans les contrôles clés.

101    La Commission a considéré que le risque pour le FEAGA était suffisamment couvert par la correction forfaitaire de 2 % et qu’il n’était pas nécessaire d’imposer une correction ponctuelle distincte pour les carences dans les contrôles sur place. Dès lors que cette conclusion n’est contredite ni par le Royaume d’Espagne ni par les éléments du dossier, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir méconnu l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013.

102    Par conséquent, le second moyen n’est pas fondé.

103    Au vu de tout ce qui précède, il convient de rejeter le recours.

 Sur les dépens

104    L’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

105    Le Royaume d’Espagne ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Półtorak

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 janvier 2024.

Signatures


i      « Les points 1 et 16 du présent texte ont fait l’objet d’une modification d’ordre linguistique, postérieurement à sa première mise en ligne ».


*Langue de procédure : l’espagnol.