Language of document : ECLI:EU:T:2012:21

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

20 janvier 2012 (*)

« Recours en annulation – Concentrations – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché commun – Article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑315/10,

Groupe Partouche, établi à Paris (France), représenté par Me J.-J. Sebag, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Biolan, F. Ronkes Agerbeek et N. von Lingen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

La Française des jeux, établie à Boulogne-Billancourt (France),

et par

Groupe Lucien Barrière, établi à Paris,

représentés par Mes D. Théophile et P. Mèle, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 3333 de la Commission, du 21 mai 2010, déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) l’opération de concentration d’entreprises visant à l’acquisition par la Française des jeux et le Groupe Lucien Barrière du contrôle en commun de l’entreprise Newco (affaire COMP/M.5786 – Française des jeux/Groupe Lucien Barrière/JV),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. A. Dittrich (président), M. Prek (rapporteur) et Mme M. Kancheva, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, le Groupe Partouche, est un groupe français actif dans la gestion de casinos, l’hôtellerie, la restauration, la gestion de centres thermaux, de golfs et de plages. Il fournit également une offre de jeux de poker en ligne.

2        La Française des jeux (ci-après la « FDJ »), détenue à 72 % par l’État français, est l’opérateur historique exploitant les jeux de hasard et les pronostics sportifs en France. Le Groupe Lucien Barrière (ci-après le « GLB ») est actif dans les secteurs de la gestion de casinos, l’hôtellerie, la thalassothérapie, la restauration, la gestion de parcours de golf et l’évènementiel principalement en France.

3        Le 19 avril 2010, la Commission européenne a reçu notification, conformément à l’article 4 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), d’un projet de concentration par lequel la FDJ et le GLB allaient acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 139/2004, le contrôle en commun de l’entreprise Newco, par achat d’actions dans une société nouvellement créée constituant une entreprise commune. Selon la notification, la société nouvellement créée serait chargée de la conception et de l’exploitation d’un site Internet de poker en ligne et de la commercialisation de jeux de poker en ligne à la suite de l’ouverture du marché français à la concurrence.

4        Le 23 avril 2010, le requérant a fait part à la Commission de ses observations au sujet des risques potentiels d’entente et d’abus de position dominante auxquels il s’estimait exposé en France.

5        Le 27 avril 2010, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne une notice présentant l’opération notifiée, invitant les tiers intéressés à présenter leurs observations éventuelles et précisant que l’opération était susceptible d’être traitée selon la procédure simplifiée.

6        Excepté celles du requérant, la Commission n’a pas reçu d’autres observations de la part de tiers ou des États membres.

7        Par courrier électronique du 6 mai 2010, la Commission a répondu au requérant que les éléments soulevés dans son mémoire du 23 avril 2010 ne paraissaient pas conduire à des doutes motivés pour l’analyse de la transaction au niveau de l’Union européenne. Le requérant n’a pas répondu à ce courrier.

8        Le 21 mai 2010, la Commission a adopté la décision C (2010) 3333, du 21 mai 2010 (affaire COMP/M.5786 – Française des jeux/Groupe Lucien Barrière/JV, ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle a décidé de ne pas s’opposer à l’opération notifiée et de la déclarer compatible avec le marché intérieur et avec l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 139/2004. L’opération a été considérée comme relevant du point 5, sous a), de la Communication de la Commission relative à une procédure simplifiée de traitement de certaines opérations de concentration en application du règlement n° 139/2004 (JO 2005, C 56, p. 32). Le 31 mai 2010, la décision attaquée a été publiée sur le site Internet de la Commission.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 juillet 2010, le requérant a introduit le présent recours.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 10 novembre 2010, la FDJ et le GLB ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 21 janvier 2011, le président de la septième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Les intervenants ont déposé leur mémoire dans le délai imparti.

11      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission et les intervenants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

14      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

15      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure, la Commission, soutenue par les intervenants, soutient que le recours est irrecevable dans son intégralité faute de satisfaire aux conditions de l’article 44, paragraphe 1, du même règlement de procédure.

16      La Commission et les intervenants font valoir que la requête n’est pas suffisamment claire. En effet, la requête ne contiendrait pas de critiques précises de la décision attaquée et ne spécifierait pas quelles règles matérielles du droit de l’Union auraient été violées par la Commission. Ainsi, elle ne permettrait pas à cette dernière de se défendre ni aux intervenants d’intervenir utilement à son soutien.

17      N’ayant pas déposé de réplique ni d’observations sur le mémoire en intervention, le requérant ne s’est pas exprimé sur ce point.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.

19      Selon une jurisprudence constante, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête même. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans la requête. Il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir ordonnance du Tribunal du 19 mai 2008, TF1/Commission, T‑144/04, Rec. p. II‑761, point 29, et la jurisprudence citée).

20      Plus particulièrement, s’il convient d’admettre que l’énonciation des moyens du recours n’est pas liée à la terminologie et à l’énumération du règlement de procédure et que la présentation de ces moyens, par leur substance plutôt que par leur qualification légale, peut suffire, c’est à la condition toutefois que lesdits moyens se dégagent de la requête avec suffisamment de netteté. En outre, la seule énonciation abstraite des moyens dans la requête ne répond pas aux exigences du règlement de procédure et les termes « exposé sommaire des moyens », qui y sont employés, signifient que la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé (ordonnance du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, Rec. p. II‑523, point 21).

21      En l’espèce, il convient de relever que la décision attaquée est clairement identifiée dans la requête et que les conclusions de cette dernière visent expressément l’annulation de cette décision et la condamnation de la Commission aux dépens.

22      En revanche, le Tribunal considère que le moyen et les griefs semblant ressortir de la requête ne répondent pas aux exigences de clarté et de précision requises par l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure.

23      Dans l’exposé sommaire des « moyens et principaux arguments » est indiqué ce qui suit :

« La commission aurait dû, selon les [considérants 11, 15, 18 et 19 et l’article 4] du règlement [n° 139/2004], […] renvoyer à l’État français l’examen de cette concentration notifiée de dimension communautaire menaçant d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire.

Faute de transmission, la non-opposition à l’opération arrêtée par la Commission, prive d’un recours spécifique les parties qui s’estiment lésées par cette concentration.

Il est donc demandé au Tribunal d’annuler la décision de la [C]ommission qui ne respecte par les principes de concurrence communautaires. »

24      Or, le requérant n’établit aucun lien entre, d’une part, la violation prétendue, notamment, de l’article 4 du règlement n° 139/2004 et, d’autre part, l’annulation de la décision attaquée pour non-respect des principes de concurrence de l’Union. En outre, le requérant ne précise aucunement quels principes la Commission aurait violé. Le texte de la requête n’offre pas plus d’éclaircissement à cet égard.

25      Par ailleurs, le requérant n’explicite nullement comment, « [f]aute de transmission, la non-opposition à l’opération arrêtée par la Commission, prive d’un recours spécifique les parties qui s’estiment lésées par cette concentration ».

26      Il ressort ainsi de l’exposé sommaire des « moyens et principaux arguments » de la requête qu’à l’appui de celle-ci le requérant soulève un seul moyen. Ce dernier est tiré de ce que la Commission aurait dû, selon les considérants 11, 15, 18 et 19 ainsi que l’article 4 du règlement n° 139/2004, renvoyer à l’Autorité française de la concurrence l’examen de la concentration en cause menaçant d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire.

27      Toutefois, les éléments essentiels de droit sur lesquels le recours se fonde ne ressortent pas de façon claire du texte de la requête.

28      Comme le font remarquer à juste titre la Commission et les intervenants, la requête ne formule pas de critiques précises sur le contenu de la décision attaquée. Elle constitue plutôt une répétition des observations du requérant sur la concentration notifiée, telles qu’elles ont été transmises à la Commission le 23 avril 2010, celles-ci revêtant la forme d’un mémoire qui reprenait la structure d’un recours envisagé devant l’Autorité française de la concurrence au sujet des risques potentiels d’entente et d’abus de position dominante auxquels le requérant s’estimait exposé en France (voir point 4 ci-dessus). Comme telle, la requête expose principalement la situation sur le marché national concerné et en particulier la législation nationale ainsi que les pratiques de la FDJ.

29      Ainsi, au point 42 de la requête, le requérant soutient que la concentration en cause « ne saurait être admise […] sans examen des effets prévisibles sur la situation concurrentielle du marché ».

30      Or, au vu de l’exposé des « moyens et principaux arguments » (voir point 23 ci-dessus) et en l’absence d’autres arguments, il ne saurait être déduit de cette affirmation que le requérant entende reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné les effets de la concentration en cause sur la concurrence sur le marché français des jeux en ligne. En effet, le requérant ne semble aucunement contester ni le choix de la Commission de traiter cette concentration par procédure simplifiée ni une quelconque erreur manifeste d’appréciation dans le cadre de cette procédure. Par ailleurs, le requérant n’indique pas quelle disposition, quel principe ou quelle jurisprudence la Commission aurait ainsi violé.

31      Force est de constater que les autres griefs du requérant ne sont pas non plus formulés de manière claire et non équivoque.

32      Ainsi, d’une part, au point 26 de la requête, le requérant soutient qu’en raison de la situation sur le marché national des jeux en ligne, telle qu’il l’a décrite, la concentration en cause devrait être interdite et, en conséquence, la décision attaquée devrait être annulée. D’autre part, au point 5 de la requête, il fait valoir qu’« à défaut d’opposition » à la concentration en cause, la Commission « aurait à tout le moins dû renvoyer cette opération à l’examen des autorités nationales française[s], compte tenu de son impact sur la situation concurrentielle, dans le secteur concerné », en France.

33      S’agissant du premier grief, le requérant n’explique pas, là encore, quelle disposition la Commission aurait violée en ne s’opposant pas à la concentration notifiée en raison de ses effets sur la concurrence sur le marché national.

34      Quant au second grief, celui-ci se rattache effectivement à ce qui semble être l’unique moyen présenté au soutien de la requête. Cela ressort aussi des conclusions de la requête, dans le cadre desquelles le requérant fonde sa demande d’annulation de la décision attaquée sur la violation prétendue, notamment, de l’article 4 du règlement n° 139/2004. Toutefois, il convient de relever que le requérant n’explique pas pour quelles raisons l’absence de renvoi aux autorités nationales françaises devrait entraîner l’annulation de la décision attaquée (voir notamment point 24 ci-dessus).

35      Par ailleurs, à supposer même que le texte de la requête puisse être interprété en ce sens que le requérant entend faire valoir que la Commission aurait dû soit s’opposer à la concentration en cause, soit renvoyer l’examen de celle-ci aux autorités françaises, force est de constater que la requête ne contient aucune indication concernant la disposition prévoyant une telle obligation qui incomberait à la Commission. Notamment, le requérant n’explicite pas en quoi la situation concurrentielle sur le marché national des jeux en ligne serait de nature à imposer à la Commission d’agir d’une telle manière.

36      Ainsi, le requérant réduit la Commission et le Tribunal à procéder par voie de conjectures quant aux raisonnements et aux considérations précises, tant factuelles que juridiques, qui pourraient être de nature à avoir sous-tendu ses affirmations. Or, c’est, notamment, une telle situation, source d’insécurité juridique et incompatible avec une bonne administration de la justice, que l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure a pour objet de prévenir (ordonnance TF1/Commission, point 19 supra, point 57).

37      Au surplus et en tout état de cause, le Tribunal constate que, en l’espèce, les annexes ne contiennent pas davantage que le corps de la requête une quelconque précision utile à cet égard. Par ailleurs, il convient de relever que le requérant se réfère de manière générale à des pièces annexées à la requête sans préciser des passages concrets venant à l’appui de ses affirmations qui, pour la plupart, traitent de la situation concurrentielle sur le marché national.

38      Il résulte de ces constatations que l’exposé sommaire des « moyens et principaux arguments » ainsi que les conclusions du requérant ne sont pas suffisamment étayés pour permettre au Tribunal de se prononcer. Par conséquent, la requête ne satisfait pas aux exigences minimales de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

39      Au vu de tout ce qui précède, le recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

40      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

41      Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et les intervenants, conformément aux conclusions de ces derniers.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Groupe Partouche supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, la Française des jeux et le Groupe Lucien Barrière.

Fait à Luxembourg, le 20 janvier 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       A. Dittrich


* Langue de procédure : le français.