Language of document : ECLI:EU:T:2023:490

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Erreur d’appréciation – Notion d’homme d’“affaires influent” – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑270/22,

Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy, demeurant à Ekaterinbourg (Russie), représenté par Mes G. Lansky, P. Goeth, A. Egger et E. Steiner, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Van Overmeire, MM. B. Driessen et V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 25 avril 2023,

rend le présent,

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31, ci-après la « décision attaquée »), et du règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1, ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en ce que ces actes inscrivent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

8        À la même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145/PESC (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement (UE) no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportaient un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tiraient avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissaient une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

9        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

10      Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

11      L’article 1er, paragraphe 1, sous d) et e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous f) et g), de cette même décision.

12      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel le contenu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

13      Dans ce contexte, le 9 mars 2022, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision attaquée et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement attaqué.

14      Par ces deux actes attaqués, le nom du requérant a été ajouté, respectivement, sur la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes en cause »), aux motifs suivants :

« [Le requérant] est président du conseil d’administration de PJSC Pipe Metallurgic Company et président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. Il soutient ainsi les autorités de la Fédération de Russie et des entreprises d’État, notamment les chemins de fer russes, Gazprom et Rosneft, et tire profit d’une coopération avec celles-ci. Il exerce donc des activités dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

Le 24 février 2022, à la suite des premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, Dmitry Alexandrovitch Pumpyanskiy, ainsi que 36 autres hommes d’affaires, ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche du [président] Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il fait partie des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

15      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2022 (JO 2022, C 114 I, p. 1), un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes attaqués. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes attaqués, en y joignant des pièces justificatives.

16      Par courriel du 19 avril 2022, le requérant a demandé de lui donner accès à tous les documents produits et détenus par le Conseil et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant, en vue d’élaborer une demande de réexamen.

17      Par lettre du 28 avril 2022, le Conseil a répondu à la demande du requérant visée au point 16 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 3051/2022, daté du 8 mars 2022 (ci-après le « dossier WK »).

 Conclusions des parties

18      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

19      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

I.      En droit

A.      Sur la demande de jonction

20      Lors de l’audience, le Conseil a formulé une demande de jonction avec l’affaire T‑272/22, Pumpyanskaya/Conseil, aux fins de la décision mettant fin à l’instance. Le requérant s’est opposé à cette demande, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

21      À cet égard, il convient de souligner qu’une telle demande avait déjà été formulée par le Conseil par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2023. Or, par décision du 10 mars 2023, le président de la première chambre avait décidé, les parties entendues, de joindre la présente affaire à l’affaire T‑272/22, Pumpyanskaya/Conseil, uniquement aux fins de la phase orale.

22      Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que la présente affaire ne se prête toujours pas à la jonction avec l’affaire T‑272/22, Pumpyanskaya/Conseil, aux fins de la décision mettant fin à l’instance.

23      La demande de jonction formulée par le Conseil lors de l’audience est donc rejetée.

B.      Sur le fond

24      À l’appui du recours, le requérant invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux et le second, d’une erreur manifeste d’appréciation.

25      Le Tribunal estime opportun d’examiner, d’abord, le second moyen.

1.      Sur le second moyen, tiré dune erreur manifeste dappréciation

26      En substance, le requérant fait valoir que le Conseil n’apporte pas d’éléments concrets, précis et concordants permettant de constituer une base factuelle suffisante afin d’étayer l’inscription de son nom sur les listes en cause.

27      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

28      Il importe de relever que ce moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

29      Par ailleurs, il ressort de la motivation des actes attaqués que le requérant s’était vu appliquer uniquement les deux critères suivants, ce que le Conseil a confirmé dans la duplique et lors de l’audience :

–        les « personnes physiques ou morales […] qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement no 269/2014 modifié ainsi que, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère f) »] ;

–        les « femmes et hommes d’affaires influents […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [et] les personnes physiques et morales […] qui leur sont associés » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié ainsi que, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère g) »].

30      C’est donc à l’aune de ces deux critères uniquement qu’il y a lieu d’examiner les arguments du requérant.

a)      Considérations liminaires

31      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

32      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

33      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

34      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant.

b)      Sur les éléments de preuve produits par le Conseil

35      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a fourni le dossier WK comportant quatorze éléments de preuve. Il convient de relever qu’il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir :

–        un extrait du compte Twitter d’un journaliste de février 2022, (pièce no 1) ;

–        des articles de play the game de juin 2018 (pièce no 12), du Svoboda de février 2020 (pièce no 11), du Moscow Post d’avril 2020 (pièce no 5), de Ura News de mars 2021 (pièce no 13), de Forbes d’avril 2021 (pièce no 7), de Rogtec magazine de juin 2021 (pièce no 4) et de février 2022 (pièce no 3), du site d’information de la ville de Taganrog (Russie) d’octobre 2021 (pièce no 14), du Corriere della Sera de février 2022 (pièce no 2) ainsi que du Novayja gazeta de février 2022 (pièce no 10) ;

–        des pages extraites du site Internet officiel de PJSC Pipe Metallurgical Company (ci-après « TMK ») de décembre 2021 (pièce no 9) et du Financial times de février 2022 (pièce no 6) ;

–        des informations relatives au requérant figurant sur le site « wikipedia.org » de juillet 2014 (pièce no 8).

c)      Sur la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil

36      Le requérant remet en cause la fiabilité des éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé. En substance, ils seraient une compilation inconsistante d’articles de presse et de sites Internet de qualité médiocre n’ayant que très peu, voire pas du tout de rapport avec lui, sans doute rassemblés en utilisant un moteur de recherche. Or, une telle compilation ne saurait constituer des preuves suffisantes. Dans la réplique, le requérant ajoute que, puisque le Conseil prétend que le dossier WK est un document du SEAE, il pourrait être considéré qu’il n’y a pas de document du Conseil au sens strict et que le Conseil n’a donc fourni aucune preuve.

37      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée).

38      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 12 février 2020, Kibelisa Ngambasai/Conseil, T‑169/18, non publié, EU:T:2020:58, point 96 et jurisprudence citée).

39      En premier lieu, il convient de rejeter l’affirmation du requérant selon laquelle, en substance, il pourrait être considéré que le Conseil n’a fourni aucune preuve dès lors que le dossier WK émane du SEAE et non du Conseil lui-même. En effet, force est de constater que cette affirmation ne trouve aucun fondement ni dans la réglementation de l’Union en vigueur, ni dans la jurisprudence des juridictions de l’Union. Au contraire, à la lumière de la jurisprudence mentionnée aux points 37 et 38 ci-dessus, il y a lieu de considérer, d’une part, qu’aucune obligation de recueillir lui-même les éléments de preuve n’incombe au Conseil et, d’autre part, que lesdits éléments peuvent émaner de différentes sources, pour autant qu’il puisse leur être reconnu un caractère sensé et fiable, ainsi que le prétend à juste titre le Conseil.

40      En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, le Conseil ne s’est pas fondé sur une compilation inconsistante d’articles de presse et de sites Internet de qualité médiocre. Il a notamment produit des captures d’écran provenant du site Internet de TMK elle-même (pièce no 9) et du site d’information de la ville de Taganrog (pièce no 14). Par ailleurs, concernant la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil, il convient de constater que les articles de presse émanent de sources d’informations numériques d’origines variées, non seulement locales, comme The Moscow Post, le Novayja gazeta, le Svoboda ou encore le Rogtec magazine, mais également étrangères, telles que le Corriere della Sera ou encore The Financial Times qui sont des journaux dont la médiocrité est exclue. En outre, le Conseil a produit une page relayant des informations dépourvues de toute appréciation journalistique provenant du site Internet de TMK. Il convient encore de remarquer que ces différentes sources relayent des éléments d’informations qui se corroborent.

41      En troisième lieu, doit être rejetée l’affirmation non étayée du requérant selon laquelle les éléments de preuve du dossier WK n’ont que très peu, voire pas du tout de rapport avec lui. En effet, il suffit de constater que la plupart d’entre eux mentionnent directement le requérant. Quant aux autres, ils concernent TMK et le groupe Sinara, dont le requérant ne conteste pas avoir été, au moins jusqu’au 9 mars 2022, respectivement président du conseil d’administration et président et membre du conseil d’administration.

42      Ainsi, au vu de ce qui précède, et en l’absence d’élément dans le dossier susceptible de remettre en cause la fiabilité des sources utilisées par le Conseil, il y a lieu de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 37 ci-dessus.

43      Par conséquent, il convient d’examiner le bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, en commençant par le second de ces critères, relatif aux femmes et aux hommes d’affaires influents.

d)      Sur lapplication au requérant du critère g)

44      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le requérant reconnaît, au point 70 de la requête, qu’il ressort des motifs contenus dans les actes attaqués que le critère de l’« homme d’affaires influent » lui a été appliqué.

45      Le motif retenu à l’égard du requérant qui se rattache au critère g) a trait au fait qu’il était président du conseil d’administration de TMK ainsi que président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara.

46      Il convient donc de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer ce motif d’inscription.

47      En premier lieu, il convient de relever que, de l’aveu même du requérant, il est le fondateur tant de TMK que du groupe Sinara, lesquels sont impliqués dans une multitude de secteurs économiques. D’une part, dans la requête, il indique que, « [a]près avoir décroché son diplôme universitaire en sciences métallurgiques, [il] a décidé de se lancer dans les affaires dans l’industrie métallurgique et d’y investir les revenus produits par ses activités. Il a acquis des sociétés de tuyauterie qui se trouvaient en grande détresse financière, en investissant ses fonds personnels dans l’achat d’actions auprès d’entrepreneurs privés. Il a ainsi créé [TMK] en faisant de ce groupe un opérateur international majeur ». D’autre part, dans la même requête, il souligne que, « [e]n 2000, il a entamé la création d’une nouvelle branche d’activités [à savoir le groupe] Sinara, pour gérer des actifs non liés à l’industrie métallurgique comme, par exemple, SKB Bank, un établissement financier privé qui traversait alors de grandes difficultés. En 2004, Sinara a lancé des activités de transport dans l’Oural et a ensuite commencé la production de locomotives électriques modernes. En 2006, le groupe a produit sa première locomotive et, en 2007, il entamait sa production de masse ».

48      En deuxième lieu, il y a lieu de relever que TMK est un producteur mondial de tuyaux en acier dans de nombreux secteurs et en particulier dans celui du pétrole et du gaz. Cela est corroboré par le point 21 de la requête dans lequel le requérant indique que « [l]es produits de TMK, qui sont utilisés dans le secteur de l’énergie, pour des applications industrielles et pour le transport de l’eau et des eaux usées, sont fournis dans plus de 80 pays à travers le monde [dont la] Russie ». Par ailleurs, au point 23 de la requête, le requérant souligne que le groupe Sinara « a participé à des projets de construction d’infrastructures et d’immeubles résidentiels, en particulier dans la région d’Ekaterinbourg et de Volgograd ». Ces éléments d’information se trouvent notamment dans les articles du Rogtec magazine (pièces nos3 et 4) et de Forbes (pièce no 7) dont il ressort que TMK et le groupe Sinara ont conclu différents contrats avec des entreprises d’État telles que Gazprom, Rosneft ou encore les chemins de fer russes. Or, ces contrats se justifient par les besoins de ces entreprises en la matière et par la place que TMK occupe dans le marché des tuyaux en acier, notamment pour les industries du pétrole et du gaz, mais aussi la place du groupe Sinara dans d’autres secteurs.

49      En troisième lieu, il y a lieu de constater que le requérant était, à tout le moins jusqu’au 9 mars 2022, président du conseil d’administration de TMK ainsi que président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. Ces éléments ne sont pas contestés par le requérant. Ils se trouvent par ailleurs sur la page extraite du site Internet « wikipedia.org » (pièce no 8), sur la page extraite du site Internet de TMK (pièce no 9) et dans l’article issu du site d’information de la ville de Taganrog (pièce no 14).

50      En quatrième et dernier lieu, il convient de souligner que le requérant a été présent lors d’une réunion du 24 février 2022 organisée par le président Poutine et réunissant plusieurs oligarques russes (pièces nos1 et 2) et qu’il a reçu l’ordre du 4e degré pour le « mérite à la patrie » (pièces nos8, 9 et 14). Or, bien que n’étant pas à eux-seuls déterminants, ces deux éléments corroborent le caractère influent du requérant.

51      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent en raison de ses fonctions au sein de TMK et du groupe Sinara.

52      En ce qui concerne la qualification du requérant d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, il convient de relever qu’il ressort des points 47 à 49 ci‑dessus que TMK et le groupe Sinara, deux entreprises fondées par le requérant, sont des acteurs majeurs dans une multitude de secteurs économiques, en particulier dans les secteurs de l’énergie, du transport et de la construction, et que toutes deux ont des relations commerciales avec plusieurs entreprises d’État.

53      S’agissant de TMK, il ressort des pièces nos3, 4, 7, et 10 qu’elle est un producteur mondial de tuyaux en acier dans de nombreux secteurs, qu’elle fournit ces tuyaux principalement à l’industrie pétrolière et gazière, en particulier à Rosneft et à Gazprom, et qu’elle a conclu des accords de collaboration avec ces entreprises d’État, notamment pour le développement de nouveaux produits. Par ailleurs, dans la requête, le requérant indique que, au cours de l’exercice 2020, les revenus du groupe TMK se sont élevés à environ 222 milliards de roubles russes. En outre, la page extraite du Financial times (pièce no 6), dont le contenu n’est pas contesté par le requérant, précise que TMK a réalisé un revenu net de 1,95 milliard de roubles russes en 2021 et emploie plus de 39 000 personnes.

54      S’agissant du groupe Sinara, le requérant indique, au point 24 de la requête, que les revenus de ce groupe se sont globalement élevés à environ 1,2 milliard d’euros pendant l’exercice 2020. En outre, la pièce no 4 décrit sa participation au forum économique international organisé à Saint-Pétersbourg (Russie) en 2021 au cours duquel il a signé plusieurs accords avec des entreprises d’État concernant le financement et la mise en œuvre de grands projets pour le développement des infrastructures de transport. Sont notamment cités des accords d’intention avec les chemins de fer russes, un accord pour financer le projet de modernisation du réseau de tramway de Taganrog avec l’entreprise d’État VEB.RF ainsi qu’un contrat conclu entre une filiale de Rosneft et une filiale du groupe Sinara. Par ailleurs, cette même pièce mentionne des réunions organisées au cours de ce forum entre la direction du groupe Sinara et les dirigeants d’un certain nombre de régions russes ainsi que de grandes entreprises du secteur de l’énergie et de la construction de machines en Russie.

55      Quant aux pièces nos 4, 10 et 14, elles confirment que le groupe Sinara a noué des relations commerciales avec des entreprises d’État et qu’il a une présence significative dans de nombreux secteurs, tels que la production de masse de locomotives électriques, le développement d’infrastructures de transport ou encore le développement de nanotechnologies.

56      Partant, eu égard, d’une part, aux fonctions du requérant au sein de TMK et du groupe Sinara et, d’autre part, aux nombreux secteurs d’activités de ces deux entreprises, à savoir le pétrole, le gaz, les machines ferroviaires, le secteur financier et la construction, il y a lieu de considérer que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

57      Certes, il est vrai que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définit la notion de « source substantielle de revenus ». Il convient cependant de relever que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable. De même, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés à ce gouvernement. Toutefois, il est indéniable que les secteurs d’activés dans lesquels ces deux entreprises sont impliquées, à savoir, en particulier, les secteurs du pétrole et du gaz fournissent, directement, ou à tout le moins, indirectement, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

58      Il y a donc lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

59      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par le requérant.

60      En premier lieu, le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas compte du fait que, d’une part, il avait démissionné de ses fonctions au sein de TMK et du groupe Sinara à compter du 9 mars 2022 et que, d’autre part, il avait cédé les actions qu’il détenait dans ces deux entreprises respectivement le 1er et le 3 mars 2022.

61      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêts du 14 avril 2021, Al Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 69, et du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 49).

62      S’agissant de l’argument du requérant tiré de sa démission, il ne peut qu’être rejeté. En effet, il suffit de constater que, à tout le moins jusqu’au jour de l’adoption des actes attaqués, le requérant était président du conseil d’administration de TMK et président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. Dès lors que sa démission, à la supposer établie, ne précède pas l’adoption des actes attaqués, il ne saurait valablement soutenir que le Conseil a fondé les actes attaqués sur des faits erronés alors que, jusqu’au jour de leur adoption, ces faits étaient corrects. En conséquence, conformément à la jurisprudence citée au point 61 ci-dessus, et ainsi que l’a réitéré le Conseil lors de l’audience, la démission du requérant ne saurait être prise en considération dans le cadre du présent recours en ce qu’il vise l’annulation des actes attaqués.

63      S’agissant de l’argument du requérant tiré de la cession de ses actions, il ne saurait non plus prospérer. En effet, indépendamment de la question de savoir si le requérant a réellement cédé ses actions de TMK et du groupe Sinara les 1er et 3 mars 2022, il y a lieu de rappeler que c’est en raison de ses fonctions de président du conseil d’administration de TMK, ainsi que président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara, que le Conseil a considéré que le requérant était un homme d’affaires influent au sens du critère g). Contrairement à ce qu’a prétendu le requérant lors de l’audience, les motifs des actes attaqués ne reposent ni sur le contrôle de TMK ou du groupe Sinara par le requérant, ni sur le fait qu’il en était l’actionnaire. Dès lors, quand bien même le requérant aurait effectivement cédé ses actions de ces deux entreprises peu de temps avant l’adoption des actes attaqués, cela n’aurait aucune incidence sur la légalité des actes attaqués.

64      En second lieu, le requérant fait valoir que, même en considérant qu’il occupait ses fonctions au sein de TMK et du groupe Sinara au jour de l’adoption des actes attaqués, cela ne permettrait pas pour autant de conclure qu’il exerce des activités dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. En substance, premièrement, il a prétendu, lors de l’audience, que le critère g) ne saurait lui être appliqué à défaut d’un contrôle de sa part sur TMK et sur le groupe Sinara. Dès lors qu’il n’exerçait plus un tel contrôle avant l’adoption des actes attaqués, ses seules fonctions au sein de ces deux entreprises ne suffiraient pas pour que les conditions d’application du critère g) soient remplies. Deuxièmement, il soutient que les éléments produits par le Conseil ne permettraient pas de démontrer en quoi TMK et le groupe Sinara apporteraient une source « substantielle » de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Troisièmement, il relève que, en tout état de cause, le Conseil ne saurait se fonder uniquement sur le paiement des impôts par ces deux sociétés dès lors qu’un tel paiement constitue une obligation légale. Quatrièmement, dans la réplique, il ajoute, en substance, que l’article 3 du règlement no 269/2014 modifié doit être interprété en ce sens que ce sont les revenus générés par les personnes inscrites du fait de leurs activités qui sont visés, et non les revenus générés par les secteurs économiques. Selon lui, il faut donc que le gouvernement russe tire matériellement profit des revenus fournis par la personne inscrite.

65      Premièrement, il y a lieu de rejeter l’argument selon lequel le critère g) ne saurait s’appliquer à défaut d’un contrôle exercé par le requérant sur TMK et sur le groupe Sinara. En effet, indépendamment de son caractère non étayé et du fait que le requérant ne conteste pas qu’il exerçait un tel contrôle jusqu’au début du mois de mars 2022, il suffit de constater que cet argument ne trouve aucun fondement dans le libellé du critère g). Au contraire, des fonctions telles que celles exercées par le requérant au sein de ces deux entreprises permettent, à elles seules, de le qualifier d’homme d’affaires influent au sens dudit critère.

66      Deuxièmement, il convient de relever que l’argument soulevé par le requérant dans la réplique, et réitéré lors de l’audience, repose sur une lecture erronée de l’article 3 du règlement no 269/2014 modifié. En effet, le libellé de cette disposition ne laisse place à aucun doute quant au fait que les revenus visés sont ceux des secteurs économiques et non des femmes ou des hommes d’affaires influents. Ainsi que le souligne à juste titre le Conseil aux points 48 et 49 de la duplique, cette lecture de la disposition précitée est d’ailleurs corroborée par les différentes versions linguistiques, et notamment par les versions anglaise, allemande, italienne, néerlandaise et hongroise.

67      Troisièmement, il y a lieu de rejeter l’argument selon lequel le Conseil ne pouvait se fonder, uniquement, sur la circonstance que TMK et le groupe Sinara payaient des impôts, dès lors que cet argument manque en fait. À cet égard, il suffit de constater que les actes attaqués se fondent, principalement, sur la circonstance que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

68      Quatrièmement, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que fait valoir le requérant, le Conseil a apporté un faisceau d’indices permettant de considérer que les secteurs dans lesquels TMK et le groupe Sinara étaient actifs apportaient une source substantielle de revenus au gouvernement russe. En effet, les secteurs de l’industrie pétrolière et gazière, dans lesquels TMK exerce son activité en tant que société spécialisée dans la production de tuyaux en acier sont deux secteurs spécifiques de l’économie russe, dont font partie les grandes entreprises d’État Gazprom et Rosneft avec qui TMK a conclu des accords commerciaux et qui bénéficient du savoir-faire de TMK pour développer leurs activités. D’autre part, ces deux secteurs occupent une place particulièrement importante et représentent, à eux seuls, nécessairement des sources substantielles de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

69      Par conséquent, au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, en raison de sa qualité d’homme d’affaires influent au sens du critère g), est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, l’inscription de son nom sur ces listes est fondée.

70      Or, selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision [voir arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, sous pourvoi, EU:T:2022:298, point 178 (non publié) et jurisprudence citée].

71      Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause le critère f), de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

2.      Sur le premier moyen, tiré dune violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux

72      Le requérant fait valoir, en substance, que l’inscription de son nom sur les listes en cause constitue une limitation injustifiée, arbitraire et disproportionnée de ses droits fondamentaux, au rang desquels figurent, notamment, le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, ainsi que le droit de propriété. Il ajoute que, en l’absence de lien entre les élites du Kremlin et lui, et dès lors qu’il a cédé ses actions de TMK et du groupe Sinara, l’inscription de son nom sur les listes en cause ne participerait aucunement à la réalisation des objectifs du règlement no 269/2014, consistant à exercer une pression sur les autorités russes. Dans la réplique, il fait valoir que, au contraire, étant donné le retour forcé en Russie de nombreux hommes d’affaires, dont il fait partie, sous l’effet des sanctions adoptées par le Conseil dans le règlement no 269/2014 modifié, le gouvernement russe peut escompter une nette augmentation des recettes fiscales et des investissements réalisés en Russie ces prochaines années, grâce à tous ceux qui avaient auparavant placé l’essentiel de leurs intérêts privés et professionnels en Europe. Le maintien de mesures restrictives le concernant serait donc ni nécessaire ni approprié.

73      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

74      Il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications est consacré à l’article 7 de la Charte.

75      En l’espèce, les mesures restrictives en cause constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété, du droit au respect de leur vie privée et familiale, du domicile et des communications. Toutefois, elles entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée et familiale, le domicile et les communications du requérant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 115 et jurisprudence citée).

76      Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

77      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

78      Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

79      En l’espèce, ces quatre conditions sont remplies.

80      En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les actes attaqués comportent pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). De plus, dans le cadre de l’examen du second moyen, il a été établi que l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfaisait à la charge de la preuve qui lui incombait et permettait légitimement d’inscrire le nom du requérant sur les listes en cause (voir points 35 à 71 ci-dessus).

81      En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » desdits droits fondamentaux, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et sont réversibles (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑551/18, non publié, EU:T:2021:453, point 96 et jurisprudence citée).

82      Tout d’abord, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées.

83      Ensuite, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. En outre, dans la mesure où les actes attaqués n’ont pas pour effet de confisquer les biens du requérant, il y a lieu de considérer que de telles mesures ne revêtent aucun caractère pénal.

84      Enfin, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

85      En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

86      La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

87      En l’espèce, en ce qui concerne le caractère apte à réaliser les objectifs poursuivis des mesures en cause, il y a lieu de relever, d’une part, que, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, les conséquences négatives résultant de leur application au requérant ne sont pas manifestement démesurées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 116).

88      Il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de l’examen du second moyen, il a été établi que les mesures restrictives à l’égard du requérant étaient justifiées au motif que sa situation permettait de considérer qu’il remplissait les conditions requises pour l’application du critère g), dès lors qu’il était un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

89      D’autre part, le fait que le requérant n’ait pas de lien avec les élites du Kremlin, ou qu’il n’ait pas eu un rôle direct dans des actions menées à l’encontre de l’Ukraine est sans pertinence, puisqu’il ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais en raison du fait qu’il est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour ce gouvernement.

90      En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée). Par ailleurs, force est de constater que le requérant est resté en défaut d’indiquer quelles mesures moins contraignantes le Conseil aurait pu adopter.

91      De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée, l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

92      De même, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

93      Enfin, la présence du nom du requérant sur les listes en cause ne saurait être qualifiée de disproportionnée en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité. En effet, ces listes font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 185 et jurisprudence citée).

94      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel, en substance, l’effet des mesures restrictives adoptées serait bénéfique au gouvernement russe en raison du retour forcé en Russie de nombreux hommes d’affaires, dont le requérant (voir point 72 ci-dessus). En effet, il suffit de constater à cet égard que cet argument n’est nullement étayé et qu’il ne saurait être exclu que les hommes d’affaires faisant l’objet desdites mesures se rendent dans d’autres pays que la Russie.

95      Il y a donc lieu d’en conclure que les restrictions des droits fondamentaux du requérant, qui découlent des mesures restrictives en cause, ne sont pas disproportionnées et ne peuvent pas entraîner l’annulation des actes attaqués.

96      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le premier moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

97      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.