Language of document : ECLI:EU:C:2013:619

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 26 septembre 2013 (1)

Affaire C‑295/12 P

Telefónica SA,

Telefónica de España SAU

contre

Commission européenne


«Concurrence – Abus de position dominante – Ciseau tarifaire (compression des marges) – Prix de gros exigés par Telefónica SA sur le marché espagnol d’accès à large bande – Amende – Obligation de motivation de la Commission – Méthode de calcul – Principe de non-discrimination – Principe de proportionnalité – Pleine juridiction du Tribunal»






Table des matières


I –   Les antécédents du litige

II – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

III – La procédure devant la Cour

IV – Le pourvoi

A –   Sur la demande d’avoir accès à la transcription littérale ou à l’enregistrement de l’audience devant le Tribunal

B –   Sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à l’encontre de l’ensemble du pourvoi

C –   Sur le pourvoi

1.     Les moyens irrecevables dans leur totalité: les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

a)     Le deuxième moyen

b)     Le troisième moyen

c)     Le quatrième moyen

d)     Le cinquième moyen

2.     Les moyens qui devraient être rejetés parce que partiellement irrecevables et partiellement non fondés: les premier, sixième, septième et neuvième moyens

a)     Les premier et neuvième moyens

b)     Le sixième moyen

c)     Le septième moyen

i)     La première branche du septième moyen

ii)   La seconde branche du septième moyen

–       Le premier grief

–       Le deuxième grief

3.     Le huitième moyen (calcul du montant de l’amende) et le dixième moyen (méconnaissance de l’obligation d’exercer un contrôle de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions)

i)     La première branche du huitième moyen (deuxième et troisième arguments du premier grief et deuxième grief)

ii)   Les premier et quatrième arguments du premier grief, troisième et quatrième griefs de la première branche ainsi que le reste du huitième moyen et dixième moyen

–       Arguments des parties

–       Analyse

α)     La première partie: droits et obligations de la Commission

β)     La deuxième partie: pleine juridiction du Tribunal

αα)   La théorie sur le pouvoir de pleine juridiction

ββ)   L’application de la théorie sur le pouvoir de pleine juridiction au dossier en cause

V –   Conclusion

1.        La présente affaire a pour objet un pourvoi introduit par Telefónica SA (ci-après «Telefónica») et Telefónica de España SAU (ci-après «Telefónica de España») contre l’arrêt du Tribunal (2), par lequel ce dernier a rejeté leur recours en annulation de la décision C(2007) 3196 final de la Commission (3), ainsi que leur demande subsidiaire d’annulation ou de réduction du montant de l’amende.

I –    Les antécédents du litige

2.        Le Tribunal a résumé les antécédents du litige comme suit aux points 3 à 29 de l’arrêt attaqué:

«3      Le 11 juillet 2003, Wanadoo España SL (devenue France Telecom España SA) (ci-après ‘France Telecom’) a adressé une plainte à la Commission [...], alléguant que la marge entre les prix de gros que les filiales de Telefónica appliquaient à leurs concurrents pour la fourniture en gros d’accès à haut débit en Espagne et les prix de détail qu’elles appliquaient aux utilisateurs finals n’était pas suffisante pour que les concurrents de Telefónica puissent lui faire concurrence [...].

[...]

6      Le 4 juillet 2007, la Commission a adopté la décision attaquée, qui fait l’objet du présent recours.

7      En premier lieu, dans la décision attaquée, la Commission a identifié trois marchés de produits en cause, soit un marché de détail de haut débit et deux marchés de gros de haut débit [...].

[...]

15      Les marchés géographiques pertinents de gros et de détail sont, selon la décision attaquée, de dimension nationale (territoire espagnol) [...].

16      En deuxième lieu, la Commission a constaté que Telefónica occupait une position dominante sur les deux marchés de gros en cause [...]. Ainsi, pendant la période considérée, Telefónica aurait détenu le monopole de la fourniture du produit de gros régional et plus de 84 % du marché du produit de gros national [...]. Selon la décision attaquée [...], Telefónica serait également en position dominante sur le marché de détail.

17      En troisième lieu, la Commission a examiné si Telefónica avait abusé de sa position dominante sur les marchés en cause [...]. À cet égard, la Commission a considéré que Telefónica avait enfreint l’article 82 CE en imposant des prix inéquitables à ses concurrents sous la forme d’un ciseau tarifaire entre les prix de l’accès à haut débit de détail sur le marché ‘grand public’ espagnol et les prix de l’accès à haut débit de gros aux niveaux régional et national, durant la période comprise entre septembre 2001 et décembre 2006 [...].

[...]

25      Aux fins du calcul du montant de l’amende, la Commission a fait application, dans la décision [litigieuse], de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 [(4)] et de l’article 65, paragraphe 5, du traité [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les ‘lignes directrices de 1998’).

26      Premièrement, la Commission a évalué la gravité et l’impact de l’infraction ainsi que la taille du marché géographique en cause. Tout d’abord, s’agissant de la gravité de l’infraction, elle a considéré qu’il s’agissait d’un abus caractérisé de la part d’une entreprise détenant une position virtuellement monopolistique, devant être qualifié de ‘très grave’ au regard des lignes directrices de 1998 [...]. Aux considérants 744 à 750 de la décision [litigieuse], la Commission distingue notamment la présente affaire de la [...] décision [Deutsche Telekom (5)], dans laquelle l’abus de Deutsche Telekom consistant également en une compression des marges [(«margin squeeze») ou «ciseau tarifaire» (6)] n’avait pas été qualifié de ‘très grave’ au sens des lignes directrices de 1998. Ensuite, pour ce qui concerne l’impact de l’infraction constatée, la Commission a tenu compte du fait que les marchés en cause étaient d’une valeur économique considérable, qu’ils jouaient un rôle crucial dans la mise en place de la société de l’information et que l’impact de l’abus de Telefónica sur le marché de détail avait été significatif [...]. Enfin, s’agissant de la taille du marché géographique en cause, la Commission a notamment relevé que le marché espagnol du haut débit était le cinquième plus grand marché national du haut débit dans l’Union européenne et que, si les cas de [ciseau tarifaire] étaient nécessairement circonscrits à un seul État membre, il empêchait les opérateurs issus d’autres États membres d’entrer sur un marché en forte croissance [...].

27      Selon la décision [litigieuse], le montant de départ de l’amende, de 90 000 000 euros, tient compte du fait que la gravité de la pratique abusive s’est précisée au fil de la période considérée et, plus particulièrement, après l’adoption de la décision Deutsche Telekom [...]. Un facteur multiplicateur de 1,25 a été appliqué audit montant pour tenir compte de la capacité économique significative de Telefónica et pour assurer à l’amende un caractère suffisamment dissuasif, en sorte que le montant de départ de l’amende a été porté à 112 500 000 euros [...].

28      Deuxièmement, l’infraction ayant duré de septembre 2001 à décembre 2006, soit cinq ans et quatre mois, la Commission a majoré le montant de départ de l’amende de 50 %. Le montant de base de l’amende a ainsi été porté à 168 750 000 euros [...].

29      Troisièmement, au vu des éléments de preuve disponibles, la Commission a considéré que l’existence de certaines circonstances atténuantes pouvait être retenue en l’espèce dès lors que l’infraction avait à tout le moins été commise par négligence. Une réduction du montant de l’amende de 10 % a ainsi été accordée à Telefónica, ce qui a porté le montant de l’amende à 151 875 000 euros [...].»

II – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

3.        Dans leur recours devant le Tribunal, Telefónica et Telefónica de España ont invoqué, au soutien de leurs conclusions principales, tendant à l’annulation de la décision litigieuse, six moyens, tirés respectivement d’une violation des droits de la défense, d’erreurs de fait et de droit dans la définition des marchés de gros en cause, d’erreurs de fait et de droit dans l’établissement de leur position dominante sur les marchés en cause, d’erreurs de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne leur comportement abusif, d’erreurs de fait ou d’erreurs d’appréciation des faits et d’erreurs de droit en ce qui concerne leur comportement abusif ainsi que son impact anticoncurrentiel et, finalement, d’une application ultra vires de l’article 102 TFUE et d’une violation des principes de subsidiarité, de proportionnalité, de sécurité juridique, de coopération loyale et de bonne administration.

4.        À titre subsidiaire, les requérantes ont invoqué deux moyens tendant à l’annulation de l’amende ou à la réduction de son montant, tirés: i) d’erreurs de fait et de droit ainsi que d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 (7) et des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, et ii) d’erreurs de fait et de droit ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, d’individualisation des peines et de l’obligation de motivation, lors de la détermination du montant de l’amende. Le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens et le recours dans son ensemble.

III – La procédure devant la Cour

5.        Outre les requérantes et la Commission, trois parties intervenantes en première instance, à savoir l’Asociación de usuarios de servicios bancarios (Ausbanc Consumo, ci-après «Ausbanc»), France Telecom (plaignant à l’origine de la présente affaire) et la European Competitive Telecommunications Association (ci-après l’«ECTA») ont participé à la procédure écrite devant la Cour. Lors de l’audience qui s’est tenue le 16 mai 2013 – et a porté uniquement sur les septième, huitième et dixième moyens du pourvoi (concernant de prétendues erreurs de droit dans le calcul du montant de l’amende et l’obligation du Tribunal d’exercer un contrôle de pleine juridiction) – toutes ces parties ont présenté leurs observations.

IV – Le pourvoi

A –    Sur la demande d’avoir accès à la transcription littérale ou à l’enregistrement de l’audience devant le Tribunal

6.        Les requérantes et Ausbanc ont demandé que la Cour leur donne accès, en vertu de l’article 15 TFUE, à la transcription littérale ou à l’enregistrement de l’audience qui s’est tenue devant le Tribunal le 23 mai 2011. Je suis d’avis que ces demandes doivent être rejetées, la transcription littérale ou l’enregistrement de l’audience qui s’est tenue devant le Tribunal ne faisant pas partie du dossier transmis à la Cour en vertu de l’article 5, paragraphe 1er, des instructions au greffier du Tribunal.

B –    Sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à l’encontre de l’ensemble du pourvoi

7.        Force est de constater que: i) le pourvoi, formulé de façon confuse et peu structurée, est extrêmement long – la traduction française de la requête ne comptant pas moins de 133 pages, et ce en interligne simple, pour 492 points (8) – et répétitif, en présentant plusieurs centaines de moyens, branches, griefs, arguments et éléments d’arguments (ce qui constituerait, selon la Commission, un record dans l’histoire contentieuse de l’Union); ii) le pourvoi vise presque systématiquement à obtenir un nouvel examen des faits, sous le couvert d’allégations selon lesquelles le Tribunal aurait appliqué un «critère juridique erroné»; iii) les moyens sont souvent présentés comme de simples affirmations dénuées de toute motivation, et iv) les requérantes, d’une part, critiquent souvent la décision litigieuse et non l’arrêt attaqué et, d’autre part, lorsque leurs critiques s’adressent effectivement à l’arrêt attaqué, elles n’identifient pratiquement jamais les passages ou les points précis de cet arrêt qui contiendraient de prétendues erreurs de droit.

8.        Ces constatations et la difficulté, voire l’impossibilité, pour la Commission d’exercer ses droits de la défense ont inspiré l’exception d’irrecevabilité qu’elle a soulevée à l’encontre de l’ensemble du pourvoi. Même si je peux avoir quelque sympathie pour cette exception d’irrecevabilité – et d’ailleurs de nombreuses parties du pourvoi me paraissent manifestement irrecevables – il n’en demeure pas moins que le pourvoi en tant que tel ne peut être déclaré irrecevable dans son intégralité, dans la mesure où quelques-uns des moyens ou arguments du pourvoi (même si c’est à l’aune d’aiguilles dans une botte de foin) remplissent les exigences de recevabilité. Ces aiguilles soulèvent en outre des questions de principe, parfois inédites, concernant notamment l’obligation du Tribunal d’exercer un véritable contrôle de pleine juridiction.

9.        Partant, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à l’encontre du pourvoi dans son ensemble me paraît devoir être rejetée.

C –    Sur le pourvoi

1.      Les moyens irrecevables dans leur totalité: les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

10.      Ces moyens – tirés de prétendues erreurs de droit respectivement dans la définition des marchés en cause, l’appréciation de la position dominante et de l’abus de cette position ainsi que des effets de ce dernier sur la concurrence – m’apparaissent irrecevables en tant qu’ils contestent en substance des appréciations factuelles contenues dans l’arrêt du Tribunal. De plus, ces moyens n’indiquent que rarement les points ou sections de l’arrêt attaqué qui sont visés, alors que cette indication est exigée par une jurisprudence constante de la Cour, codifiée et confirmée par les articles 169, paragraphe 2, et 178, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.

a)      Le deuxième moyen

11.      Les requérantes allèguent (point 37 de la requête) que le Tribunal a erronément refusé de considérer, à titre principal, que le dégroupage de la boucle locale, le produit de gros national et le produit de gros régional faisaient partie du même marché de gros et, à titre subsidiaire, que les produits de gros national et régional faisaient partie du même marché de gros.

12.      J’estime que l’exception d’irrecevabilité, soulevée par la Commission, l’ECTA, France Telecom et Ausbanc, à l’encontre de l’ensemble du deuxième moyen, doit être accueillie. Premièrement, les griefs invoqués au soutien de ce moyen sont obscurs et énoncés de façon quasi inintelligible. Deuxièmement, ce moyen vise en réalité à contester des appréciations factuelles du Tribunal. Troisièmement, les requérantes soulèvent plusieurs éléments nouveaux non débattus en première instance, à savoir que la Commission n’aurait pas appliqué le «test SSNIP» (9), que la définition des marchés ne serait pas compatible avec la communication sur la définition des marchés (10), que la définition du marché nécessiterait une analyse empirique fondée sur un test de marché et/ou sur une étude économétrique et, enfin, que le test SSNIP devrait être appliqué dans un cadre temporel concret.

b)      Le troisième moyen

13.      Les requérantes critiquent (point 93 de la requête) le raisonnement du Tribunal sur la position dominante qu’elles détiennent sur les marchés de gros national et régional.

14.      Là aussi, j’estime que l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’ECTA, France Telecom et Ausbanc doit être accueillie, en ce que ce troisième moyen repose sur des allégations nouvelles et vise à contester des appréciations factuelles faites par le Tribunal qui l’ont amené à conclure à l’existence d’une position dominante. Les requérantes, en critiquant les points 149, 150, 162 et 163 de l’arrêt attaqué – en ce que le Tribunal se serait uniquement fondé sur les parts de marché élevées détenues par les requérantes pour constater l’existence d’une position dominante, en omettant erronément de tenir compte des pressions concurrentielles auxquelles celles-ci sont soumises sur un marché d’accès contestable – contestent des faits appréciés par le Tribunal au point 157 de l’arrêt attaqué, l’amenant à juger que le marché de gros en question n’était pas un marché contestable (11). Partant, ces arguments doivent être déclarés irrecevables.

c)      Le quatrième moyen

15.      Les requérantes allèguent (point 120 de la requête) en substance que le Tribunal a erronément constaté qu’elles avaient enfreint l’article 102 TFUE alors que les éléments constitutifs d’un refus abusif de livrer («refusal to deal») n’étaient pas réunis et que, ce faisant, il a violé leur droit de propriété ainsi que les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de légalité.

16.      Là encore, j’estime que l’exception d’irrecevabilité à l’encontre de l’ensemble du quatrième moyen – soulevée par la Commission, l’ECTA, France Telecom et Ausbanc – doit être accueillie dans la mesure où les arguments sur lesquels il repose: i) soit n’ont pas été débattus en première instance (par exemple, l’argument relatif à une prétendue violation du droit de propriété, qui semble être l’élément central de ce moyen, ou les arguments relatifs aux principes de proportionnalité et de sécurité juridique); ii) soit visent à contester des appréciations factuelles du Tribunal et demandent, en réalité, à la Cour de donner une nouvelle appréciation des faits; iii) soit ne sont pas clairement présentés (comme la contestation non motivée de la jurisprudence TeliaSonera Sverige (12)) ou ne précisent pas suffisamment les points visés de l’arrêt attaqué.

d)      Le cinquième moyen

17.      Par ce moyen (point 149 de la requête), les requérantes se bornent, en substance, après avoir résumé les deux tests de ciseau tarifaire appliqués par la Commission, à reprendre les critiques exposées à cet égard dans leur requête en première instance devant le Tribunal ainsi qu’à contester les réponses apportées par ce dernier aux points 199 à 265 de l’arrêt attaqué.

18.      En réalité, et très souvent sans avoir indiqué de manière précise les points de l’arrêt attaqué qu’elles visent, les requérantes cherchent à obtenir une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve tranchés par le Tribunal, prétention qui est clairement irrecevable au stade du pourvoi, sous réserve de dénaturation des preuves que les requérantes n’établissent pas.

19.      Je donne ci-dessous quelques exemples:

–        les requérantes soutiennent que les opérateurs alternatifs utilisaient une combinaison optimale de produits de gros. En cela, elles remettent en question une constatation factuelle du Tribunal exprimée aux points 130, 195 et 280 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’utilisation d’une combinaison de produits de gros n’est pas avérée;

–        les requérantes (point 162 de la requête) critiquent apparemment le point 207 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits en constatant que l’utilisation effective de la boucle locale n’avait commencé qu’à la fin de l’année 2004. Selon les requérantes, d’une part, le Tribunal aurait dû distinguer deux périodes d’analyse avant et après cette date et, d’autre part, les concurrents auraient effectivement utilisé la boucle locale avant 2004. Or, cet argument n’identifie aucun élément concret du dossier qui aurait été dénaturé par le Tribunal. En tout état de cause, il ressort du dossier que les requérantes n’ont pas invoqué en première instance qu’une nouvelle période aurait commencé à partir de 2004;

–        les requérantes (point 167 de la requête) critiquent apparemment le point 217 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément présumé que l’allongement de la période de référence entraînerait des distorsions inacceptables, en ignorant les mécanismes correcteurs proposés par les requérantes et ce au mépris de la présomption d’innocence. Il suffit de remarquer à cet égard que le Tribunal s’est limité à résumer un argument des requérantes, sans émettre d’appréciation propre. En tout état de cause, l’argument relatif à la présomption d’innocence est soulevé par les requérantes pour la première fois dans le cadre du pourvoi;

–        les requérantes (point 178 et suivants de la requête) allèguent également que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’examen, aux points 233 à 264 de l’arrêt attaqué, de la méthode «période par période» mise en œuvre par la Commission dans la décision litigieuse. Ces arguments me paraissent irrecevables, en ce que les requérantes ont contesté devant le Tribunal non pas le principe du recours à la méthode «période par période», mais uniquement sa mise en œuvre par la Commission;

–        les requérantes allèguent (point 181 de la requête) également que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans le cadre de l’examen, aux points 234 à 244 de l’arrêt attaqué, des coûts des effectifs commerciaux. Elles soutiennent que le Tribunal aurait fait une application erronée du test du «concurrent aussi efficace», en omettant de prendre en compte la possibilité qu’un concurrent aussi efficace puisse sous-traiter ses services commerciaux. Cet argument est irrecevable en ce qu’il étend le pourvoi au-delà du débat de première instance par le biais de nouvelles allégations et invite la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits;

–        les requérantes (point 183 de la requête) critiquent apparemment le point 244 de l’arrêt, en ce que le Tribunal aurait erronément ignoré les estimations de coût incluses dans les tableaux de bord des requérantes, omis d’exercer un contrôle de pleine juridiction, adopté la norme des coûts moyens incrémentaux à long terme (CMILT) et utilisé les coûts actuels intégralement répartis de leur comptabilité pour évaluer les coûts marginaux de commercialisation. Ces arguments doivent également être rejetés en tant qu’ils invitent la Cour à revenir sur des appréciations factuelles contenues aux points 237 à 244 de l’arrêt attaqué;

–        les arguments des requérantes relatifs à l’examen de la longévité moyenne de la clientèle et portant sur les points 245 à 251 de l’arrêt attaqué sont irrecevables, en ce qu’ils reposent sur des allégations nouvelles;

–        en critiquant (point 188 de la requête) apparemment les points 256 et 257 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal aurait erronément rejeté le coût moyen pondéré du capital (WACC) qu’elles proposaient, ainsi que les points 259 à 264 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans l’examen de la prétendue double comptabilisation de plusieurs postes de coûts, les requérantes remettent en cause l’appréciation des preuves par le Tribunal (lequel a fondé sa conviction sur un examen global des éléments du dossier et du débat entre les parties);

–        les requérantes soutiennent (point 218 de la requête) également que le Tribunal aurait dû constater que la marge entre le prix de gros des intrants et le prix de détail était positive en l’espèce, ce qui aurait dû le conduire à exiger la démonstration des effets concrets ou un niveau de preuve particulièrement élevé des effets probables du comportement des requérantes. Cet argument – en tant qu’il apparaît pour la première fois dans le pourvoi – est irrecevable.

20.      Les requérantes invoquent ensuite trois arguments (points 220, 227 et 231 de la requête), visant apparemment les points 274 à 276 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé que les effets probables du comportement des requérantes avaient été établis alors que: a) la Commission aurait dû examiner si la rentabilité des opérateurs alternatifs aussi efficaces que les requérantes avait effectivement été réduite en raison des pratiques tarifaires de ces dernières; b) la Commission aurait dû analyser la relation entre les prix de gros et les prix de détail sur le marché pour déterminer si le ciseau tarifaire avait effectivement limité la capacité des opérateurs alternatifs de fixer des prix de détail, et c) la Commission aurait dû analyser la relation entre les prix de gros, les flux de trésorerie des opérateurs, et leur niveau d’investissement pour déterminer si le ciseau tarifaire avait effectivement limité la capacité d’investissement des opérateurs alternatifs. Ces trois arguments me paraissent irrecevables, dès lors qu’ils n’ont pas été soulevés en première instance et ont pour but d’ouvrir un débat sur les «effets concrets» du comportement des requérantes dans le cadre du pourvoi. La requête en première instance n’avait évoqué que la question des «effets probables» en ses points 191 à 199, critiquant la décision litigieuse en ce qu’elle aurait présumé de tels effets comme la conséquence nécessaire des résultats du test de ciseau tarifaire. Par ailleurs, lesdits arguments visent aussi à contester l’appréciation des faits par le Tribunal aux points 275 et 276 de l’arrêt attaqué.

21.      Il résulte de ce qui précède que les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens devraient être déclarés irrecevables.

2.      Les moyens qui devraient être rejetés parce que partiellement irrecevables et partiellement non fondés: les premier, sixième, septième et neuvième moyens

a)      Les premier et neuvième moyens

22.      Ces deux moyens se recoupent à tel point que, dans l’exposé de leur neuvième moyen, les requérantes reproduisent à l’identique une partie des développements exposés dans leur premier moyen. Partant, il convient d’examiner ensemble ces deux moyens. En premier lieu, les arguments des requérantes (point 12 de la requête) portent sur la durée disproportionnée de la procédure devant le Tribunal, allant du 1er octobre 2007 au 29 mars 2012, laquelle violerait leur droit fondamental à une protection juridictionnelle effective dans un délai raisonnable, garanti par les articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»). Les requérantes allèguent, à titre principal (point 14 de la requête), que la durée disproportionnée de la procédure justifie l’annulation de l’arrêt attaqué eu égard à son incidence sur la solution du litige, dans la mesure où elle les aurait empêchées de former un pourvoi ou d’adapter leur argumentation écrite avant que la Cour ne statue dans l’affaire TeliaSonera Sverige, précitée. Indépendamment du fait que je ne partage pas l’opinion des requérantes sur cette relation de cause à effet, je relève que, en toute hypothèse, elles se sont explicitement prononcées sur l’interprétation à donner à l’arrêt TeliaSonera Sverige, précité, lors de l’audience au Tribunal, laquelle s’est déroulée plusieurs mois après le prononcé dudit arrêt.

23.      Ensuite, les requérantes font valoir (point 15 de la requête), à titre subsidiaire, qu’elles doivent, en toute hypothèse, bénéficier d’une réduction du montant de l’amende conformément à la jurisprudence Baustahlgewebe/Commission (13).

24.      Avec la Commission, l’ECTA, France Telecom et Ausbanc, j’estime que la durée de la procédure devant le Tribunal, d’un peu moins de quatre années et six mois, n’est pas déraisonnable dans cette affaire (14) au regard, entre autres, des circonstances suivantes: i) la complexité technique du dossier (selon la Cour (15), «la complexité de l’affaire peut être retenue pour justifier un délai de prime abord trop long»); ii) deux recours ont été formés contre la décision litigieuse, l’un par les requérantes et l’autre par le Royaume d’Espagne, lesquels ont été examinés en parallèle par le Tribunal, ce qui a entraîné un allongement de la procédure; iii) les requérantes ont déposé – déjà au stade de la première instance – une requête d’une longueur démesurée et tout à fait inhabituelle, excédant largement le nombre maximal de pages recommandé par les instructions pratiques aux parties du Tribunal. Cette requête a dû être régularisée, ce qui a allongé la procédure écrite, et, malgré cela, la version régularisée de la requête, qui comptait près de 140 pages ainsi que des annexes abondantes et volumineuses, est restée démesurée en dépassant largement la longueur prévue dans lesdites instructions pratiques. Par la suite, les requérantes ont présenté une réplique de 112 pages accompagnées de 25 annexes, dans lesquelles elles ont en plus présenté de nouvelles allégations; iv) plusieurs parties intervenantes se sont présentées au cours de la procédure, de sorte que la procédure écrite s’est prolongée jusqu’au début de l’année 2009, et v) les requérantes ont enfin introduit de nombreuses demandes de traitement confidentiel vis-à-vis des parties intervenantes, rejetées dans leur grande majorité, mais qui ont également contribué à l’allongement de la procédure en obligeant le Tribunal à produire des versions expurgées de divers documents.

25.      En deuxième lieu, les requérantes critiquent (point 19 de la requête) les points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal décide que les annexes de la requête et de la réplique ne seront prises en considération que dans la mesure où elles étayent ou complètent des moyens ou arguments expressément invoqués dans le corps de leurs écritures, ainsi que les points 231, 250 et 262 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal déclare irrecevables, en application du principe préalablement énoncé, certains arguments étayés par des annexes et relatifs au calcul de la valeur terminale, à la longévité moyenne de la clientèle et à la double comptabilisation de plusieurs postes de coûts.

26.      Ces arguments me paraissent manifestement irrecevables dans leur ensemble, dès lors qu’ils ne précisent pas en quoi l’éventuelle irrégularité de procédure aurait porté atteinte à leurs intérêts ou leurs droits de la défense. De plus, d’une part, l’argument selon lequel le Tribunal aurait dû rejeter l’exception d’irrecevabilité dès lors que celle-ci n’avait été soulevée par la Commission qu’au stade de la duplique, et non dans son mémoire en défense, est dénué de fondement, étant donné que la régularité formelle des actes de procédure est une question d’ordre public qui peut être soulevée d’office par l’instance juridictionnelle, quelle que soit l’attitude de la défenderesse, laquelle peut, pour la même raison, la soulever à tout moment de la procédure. D’autre part, l’argument par lequel les requérantes critiquent le point 62 de l’arrêt attaqué – en ce que le Tribunal ne saurait exiger que la requête comporte tous les calculs économiques servant de base à ses arguments – est également non fondé. En effet, conformément à la jurisprudence, le Tribunal s’est contenté d’exiger au point 58 de l’arrêt attaqué que «les éléments essentiels» de fait et de droit ressortent, «à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même».

27.      En troisième lieu, les requérantes critiquent (point 24 de la requête) le point 182 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits et violé les droits de la défense en jugeant qu’elles n’avaient pas invoqué le caractère non indispensable des produits de gros dans le cadre de l’appréciation des effets de leur comportement. À titre principal, elles affirment qu’elles ont invoqué ledit caractère dans leur requête en première instance (points 106 et 108), dans leur mémoire en réplique (point 216) et à l’audience, tant dans le moyen relatif à l’applicabilité de l’article 102 TFUE en général que dans le cadre de l’appréciation des effets. Selon les requérantes, l’argumentation relative au caractère non indispensable des produits de gros constitue l’ampliation d’un moyen d’annulation déjà formulé dans la requête. Comme la Commission et France Telecom, je trouve que cet argument est inopérant. En effet, il suffit de constater que le raisonnement développé par le Tribunal, en particulier aux points 268 à 272, 274 à 281 et 389 à 410 de l’arrêt attaqué, ne se fonde pas sur le caractère indispensable ou non de l’intrant en cause.

28.      À titre subsidiaire, les requérantes ajoutent (point 28 de la requête) que l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal leur conférait en toute hypothèse le droit de produire un moyen nouveau se fondant sur un élément de droit ou de fait se révélant pendant la procédure, ce que constituerait l’arrêt TeliaSonera Sverige, précité, dès lors que la Cour y a clarifié les critères applicables à l’appréciation des effets d’un ciseau tarifaire. Or, en vertu d’une jurisprudence constante, applicable mutatis mutandis à une décision préjudicielle, un arrêt rejetant un recours ne justifie pas la production de moyens nouveaux (16).

29.      En quatrième lieu, les requérantes (point 33 de la requête) estiment que le Tribunal a violé leurs droits de la défense et la présomption d’innocence. À titre principal, elles estiment que le Tribunal a violé la présomption d’innocence en décidant que les éléments sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision litigieuse, mais qui ne figuraient pas dans la communication des griefs, ne doivent être écartés que si les requérantes démontrent que le résultat de la décision litigieuse en serait altéré. Selon les requérantes, le critère de preuve retenu par le Tribunal n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la «Cour eur. D. H.»).

30.      À mon avis, cet argument doit être déclaré irrecevable en ce que, d’une part, il n’indique pas de façon suffisamment précise les points de l’arrêt attaqué qui contiendraient l’erreur de droit dont l’annulation est demandée et, d’autre part, les points 86 à 109 de l’arrêt attaqué, qui analysent cette question en détail, procèdent à une appréciation factuelle qui n’est pas susceptible de pourvoi. J’ajoute que le point 78 de l’arrêt attaqué semble n’être qu’un obiter dictum d’un raisonnement fondé sur d’autres considérations décisives exposées aux points 79 et suivants, non contestées par les requérantes. Enfin, cet argument est dénué de fondement, dès lors que, d’une part, le critère appliqué par le Tribunal dans l’arrêt attaqué résulte d’une jurisprudence constante de la Cour (17), parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour eur. D. H. En effet, l’absence de communication d’un document ne constitue une violation des droits de la défense que lorsque la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief et que ce grief n’est prouvé que par ce document (18). Lorsque plusieurs éléments de preuve appuient spécifiquement une conclusion ou un grief, l’absence de l’un d’entre eux ne suffit pas pour l’écarter si d’autres la corroborent. De plus, la Commission ne s’est fondée sur aucun élément nouveau pour établir la responsabilité des requérantes, comme en attestent les points 103 et 107 de l’arrêt attaqué.

31.      À titre subsidiaire, elles estiment (point 36 de la requête) avoir démontré que le résultat de la décision litigieuse aurait pu être différent si les éléments de preuve nouveaux avaient été écartés. Elles soutiennent que, en ignorant ces arguments, le Tribunal a dénaturé les faits, commis une erreur manifeste d’appréciation ainsi qu’une erreur en droit en ce qui concerne les critères d’appréciation des preuves et, en outre, violé l’obligation de motivation. Ce grief me paraît à la fois irrecevable, dès lors qu’il repose sur des affirmations laconiques et générales, et dénué de fondement, dans la mesure où le Tribunal a effectivement examiné, aux points 88 à 109 de l’arrêt attaqué, le caractère prétendument nouveau de certains éléments de preuve et l’incidence de la prétendue absence d’accès à ces éléments. Par ailleurs, comme France Telecom, je pense que les éléments mentionnés par les requérantes n’ont été insérés dans la décision que dans le but de réfuter les arguments invoqués par celles-ci dans leur réponse à la communication des griefs, et que le Tribunal a considéré que la Commission ne s’était pas basée sur les documents en cause pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction (voir point 103 de l’arrêt attaqué).

32.      À la lumière de ce qui précède, les premier et neuvième moyens sont en partie irrecevables et en partie non fondés et devraient donc être rejetés.

b)      Le sixième moyen

33.      Par la première branche de ce moyen, les requérantes allèguent (point 242 de la requête) que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’examen, aux points 287 à 295 de l’arrêt attaqué, de la prétendue violation de l’interdiction d’action ultra vires de la Commission. Premièrement, elles affirment que le Tribunal a validé une interprétation erronée de la jurisprudence Bronner (19), en considérant que la Commission était compétente pour réglementer ex post les conditions de prix auxquelles est sujette l’utilisation d’infrastructures non indispensables. Or, ainsi que France Telecom et l’ECTA l’ont à juste titre souligné, cette argumentation est manifestement non fondée, dès lors qu’elle revient à soutenir que l’article 102 TFUE n’aurait pas vocation à s’appliquer lorsque les conditions fixées dans l’arrêt Bronner, précité, ne sont pas remplies.

34.      Deuxièmement, les requérantes critiquent (point 249 de la requête) apparemment le point 289 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait dénaturé leurs allégations, dans la mesure où elles n’auraient pas allégué que le droit de la concurrence ne s’appliquait pas à des «marchés instrumentaires», mais plutôt qu’il ne s’appliquait pas à une obligation d’accès imposée par le régulateur national. Force est de constater à cet égard que les requérantes n’identifient pas les éléments de leurs mémoires qui auraient été dénaturés ni les erreurs d’analyse qui auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, les requérantes ont bien affirmé en première instance que le droit de la concurrence ne pouvait s’appliquer à des «marchés instrumentaires» (point 241 de leur réplique). En tout état de cause, ce grief est inopérant, dès lors que les requérantes ne contestent pas que la réponse du Tribunal soit correcte en droit.

35.      Troisièmement, les requérantes critiquent (point 251 de la requête) apparemment le point 290 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal n’aurait pas remis en cause l’utilisation du concept d’«échelle d’investissement», qui aurait, par sa nature «réglementaire», conduit la Commission à ignorer la possibilité d’utiliser une combinaison de produits. Ce grief me paraît manifestement irrecevable en ce qu’il ne vise aucune erreur de droit et ne remet en cause aucune des observations faites par le Tribunal au point 290 de l’arrêt attaqué.

36.      Quatrièmement, les requérantes critiquent (point 253 de la requête) apparemment le point 293 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait dénaturé leurs allégations, dans la mesure où elles n’auraient pas contesté l’application de l’article 102 TFUE au marché des télécommunications, mais critiqué son utilisation par la Commission à des fins réglementaires. Cet argument est irrecevable en ce que les requérantes n’identifient pas les éléments de leurs mémoires qui auraient été dénaturés ni les erreurs d’analyse qui auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. En tout état de cause, à mon avis, le Tribunal n’a pas dénaturé les allégations des requérantes, lesquelles avaient effectivement soutenu qu’il n’y avait pas d’abus de position dominante dès lors que le droit des télécommunications poursuit des objectifs différents de celui du droit de la concurrence.

37.      Cinquièmement, les requérantes critiquent (point 254 de la requête) apparemment le point 294 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits en constatant que seules les mesures adoptées en 2006 ont été notifiées à la Commission, alors que, d’une part, le Royaume d’Espagne a intégré le nouveau cadre réglementaire en 2003 avec la loi-cadre sur les télécommunications no 32/2003, du 3 novembre 2003 et que, d’autre part, la Commission a exercé un contrôle à travers les rapports de mise en place qu’elle publie depuis 1997. Or, ainsi que la Commission, l’ECTA et France Telecom l’ont à juste titre souligné, le Tribunal n’a dénaturé aucun fait puisque aucune mesure n’a été notifiée à la Commission avant 2006, ce que les requérantes ne contestent pas. Le fait que les autorités espagnoles ont agi dès avant 2006 dans le cadre du droit de l’Union est, en principe, dénué de pertinence, dès lors que l’argument des requérantes consistait à dire que la Commission aurait dû utiliser ses pouvoirs au titre du nouveau cadre réglementaire (point 291 de l’arrêt attaqué), mais que le Tribunal relève que ceux-ci ne pouvaient être utilisés avant la notification des mesures en 2006 (point 294 de l’arrêt attaqué).

38.      Par la deuxième branche de ce moyen, les requérantes allèguent (point 255 de la requête) que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’examen, aux points 296 à 308 de l’arrêt attaqué. Premièrement, elles critiquent (point 259 de la requête) apparemment le point 306 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait violé le principe de proportionnalité en s’abstenant d’examiner si la décision litigieuse était appropriée et nécessaire compte tenu des objectifs légitimes poursuivis également par l’autorité de régulation nationale [Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones (commission du marché des télécommunications espagnole), ci-après la «CMT»]. Elles arguent également d’une violation des droits de la défense, dans la mesure où le Tribunal les aurait contraintes à démontrer que l’action de la Commission était contraire au principe de proportionnalité, alors qu’il appartiendrait à la Commission de démontrer que son action était conforme audit principe. Je pense, en accord avec la Commission et l’ECTA, que cet argument est irrecevable, en ce qu’il n’a pas été invoqué devant le Tribunal.

39.      Deuxièmement, les requérantes critiquent (point 261 de la requête) apparemment le point 306 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait violé le principe de sécurité juridique en acceptant qu’un comportement conforme au cadre réglementaire puisse constituer une infraction à l’article 102 TFUE. Cet argument est également irrecevable dès lors que, devant le Tribunal, les requérantes se sont limitées à invoquer la violation du principe de sécurité juridique qui aurait découlé du fait que la Commission n’aurait pas examiné le comportement de la CMT.

40.      Troisièmement, les requérantes critiquent (point 264 de la requête) les points 299 à 304 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait manifestement dénaturé leurs allégations relatives au principe de subsidiarité, et ignoré que les objectifs poursuivis par le droit de la concurrence et par le cadre réglementaire des télécommunications sont identiques. Cet argument me paraît irrecevable en ce que les requérantes n’identifient pas leurs allégations que le Tribunal aurait dénaturées.

41.      Par la troisième branche de ce moyen, les requérantes critiquent (point 267 de la requête) l’examen effectué par le Tribunal de la prétendue violation par la Commission des principes de coopération loyale et de bonne administration. Elles visent plus précisément les points 313 et 314 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait dénaturé leurs allégations, dans la mesure où elles n’auraient pas reproché à la Commission de ne pas avoir consulté la CMT sur la communication des griefs, mais bien de ne pas avoir agi sur la base de tous les éléments de fait nécessaires pour se forger une opinion et de ne pas avoir coopéré de manière adéquate avec la CMT sur les bases et fondements de son action ainsi que sur son impact sur la réalisation des objectifs réglementaires. Ainsi, le Tribunal aurait erronément omis d’apprécier si, dans l’exercice de son obligation de collaboration et de bonne administration, la Commission avait analysé le motif et discuté avec la CMT de la finalité de son action et de sa méthode de calcul d’un ciseau tarifaire (à savoir le test que la CMT a appliqué). Cet argument me paraît manifestement irrecevable en ce que les requérantes n’identifient pas les éléments qui auraient été dénaturés ni les erreurs d’analyse qui auraient été commises. En outre, l’argument est manifestement dénué de tout fondement, dès lors que le Tribunal a constaté, ce que les requérantes n’ont pas contesté, d’une part, que la CMT avait effectivement été associée à la procédure administrative et, d’autre part, que les dispositions pertinentes du règlement no 1/2003 ne prévoient pas d’obligation pour la Commission de consulter les autorités réglementaires nationales.

42.      Il m’apparaît de tout ce qui précède que le sixième moyen est soit irrecevable, soit non fondé et devrait donc être rejeté.

c)      Le septième moyen

i)      La première branche du septième moyen

43.      Les requérantes allèguent (point 274 de la requête) que, dans le cadre de l’examen de la qualification de l’infraction en tant qu’«abus caractérisé» aux points 353 à 369 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a violé les principes de sécurité juridique et de légalité des peines garantis à l’article 7 de la CEDH et à l’article 49 de la Charte. Elles soulignent que, conformément à l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission (20), ces principes peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation jurisprudentielle d’une norme établissant une infraction, dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue de cette norme à cette époque dans la jurisprudence.

44.      Par leur premier grief (point 281 de la requête), intitulé «Existence de précédents clairs et prévisibles», les requérantes se contentent de résumer les points 357 à 368 de l’arrêt attaqué. Par leur deuxième grief (point 284 de la requête), elles critiquent le point 357 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal s’en serait remis à la marge d’appréciation de la Commission quant à l’opportunité d’infliger une amende, violant ainsi son obligation de contrôle de pleine juridiction établie à l’article 6 de la CEDH et à l’article 229 CE (devenu article 261 TFUE), ainsi que les principes de légalité et de sécurité juridique établis à l’article 7 de la CEDH. Par leur troisième grief (point 286 de la requête), elles critiquent apparemment les points 356 à 362 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément conclu que l’application de l’article 102 TFUE à leur comportement était fondée sur des précédents clairs et prévisibles. Par leur quatrième grief (point 302 de la requête), les requérantes critiquent apparemment les points 363 à 369 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément conclu que la méthodologie utilisée par la Commission pour déterminer l’existence d’un ciseau tarifaire était raisonnablement fondée sur des précédents clairs et prévisibles.

45.      L’ensemble de cette première branche me paraît irrecevable dans la mesure où les requérantes n’ont pas évoqué en première instance la question de l’existence ou non de précédents clairs pour contester le principe de l’imposition d’une amende, mais uniquement en rapport avec le montant de l’amende et l’existence d’un «abus caractérisé».

ii)    La seconde branche du septième moyen

46.      Les requérantes allèguent (point 310 de la requête) que le Tribunal aurait commis plusieurs erreurs de droit dans l’examen, aux points 319 à 352 de l’arrêt attaqué, de la qualification de leur comportement en tant qu’«infraction commise de propos délibéré ou par négligence grave» au sens de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

–       Le premier grief

47.      Premier argument: les requérantes critiquent apparemment les points 322 à 326 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément considéré qu’elles étaient en mesure de prévoir la définition de marché retenue par la Commission dans la décision litigieuse. Il suffit de constater, avec la Commission, que le Tribunal a appliqué les critères classiques de définition des marchés fondés sur la substituabilité, lesquels ne sauraient être considérés comme «imprévisibles». Par ailleurs, la prétendue imprévisibilité de la distinction entre marchés de gros régional et national est inopérante, dès lors que ces marchés étaient tous deux affectés par une position dominante et un ciseau tarifaire mis en place par les requérantes.

48.      De manière plus spécifique, les requérantes critiquent (point 317 de la requête) apparemment le point 323 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait, au mépris de la jurisprudence de la Cour eur. D. H. en matière de prévisibilité, jugé que les requérantes auraient dû recourir à des conseils éclairés, sans vérifier qu’elles l’aient effectivement fait et en présumant que lesdits conseils auraient coïncidé avec l’approche de la Commission. Force est de constater à cet égard que la jurisprudence n’a jamais accordé aucune importance au fait que l’entreprise ait ou non demandé conseil, ce qui supposerait que les entreprises restent impunies si elles ne demandent pas de conseils juridiques.

49.      Ensuite, les requérantes critiquent (point 319 de la requête) apparemment le point 326 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait méconnu le critère juridique de prévisibilité de la définition du marché et, par conséquent, celui de la prévisibilité des conséquences de leur comportement, en ne tenant pas compte du contexte et de certaines circonstances énoncées par les requérantes, telles que le fait que les précédents disponibles définissaient un marché unique, le fait que certains opérateurs utilisaient une combinaison d’intrants, le fait que les marchés de gros national et/ou régional n’existaient pas dans d’autres États membres, le fait que la directive 2002/21/CE (21) définissait un seul marché englobant l’infrastructure nationale et régionale, ou le fait que la CMT a elle-même confirmé cette position dans sa décision du 6 avril 2006. Ces allégations me paraissent irrecevables dès lors que, si les différentes circonstances précitées sont mentionnées dans le pourvoi, elles ne l’ont pas été en première instance aux fins de réfuter la prévisibilité des conséquences du comportement des requérantes (ni aux points 297 à 301 de la requête, ni aux points 271 à 275 de la réplique en première instance).

50.      Enfin, les requérantes critiquent (point 323 de la requête) apparemment le point 326 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé qu’elles ne pouvaient ignorer qu’elles détenaient une position dominante sur les marchés pertinents. Cette affirmation partirait d’une prémisse erronée selon laquelle les requérantes auraient raisonnablement dû prévoir la définition de marché adoptée par la Commission. Par ailleurs, les requérantes soutiennent que le Tribunal a utilisé un critère juridique erroné en procédant à une analyse au fond au lieu d’appliquer le critère de prévisibilité. Ces allégations sont irrecevables dès lors que, en première instance, les requérantes n’ont exprimé aucun doute sur le fait que leurs parts de marché pouvaient raisonnablement indiquer une position dominante, ni aux points 297 à 301 de la requête ni aux points 272 à 275 de la réplique.

51.      Deuxième argument: les requérantes critiquent apparemment les points 338 à 341 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé qu’elles étaient en mesure de prévoir que leur politique de prix était susceptible de constituer un comportement anticoncurrentiel.

52.      Tout d’abord, elles critiquent (point 330 de la requête) apparemment les points 339 et 340 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait appliqué un critère juridique erroné en procédant à une analyse au fond, visant à déterminer si la Commission pouvait légitimement intervenir ex post, au lieu de procéder à une analyse de prévisibilité, visant à déterminer si une telle intervention était raisonnablement prévisible, alors que les requérantes étaient soumises à une obligation de donner accès et à un contrôle approfondi de la part de la CMT. À mon avis, il est absolument évident et, partant, «prévisible» que l’existence d’une réglementation ou d’un certain suivi par des autorités sectorielles nationales ne prémunit pas contre l’application des traités (comme le souligne le point 340 de l’arrêt attaqué). Par ailleurs, l’arrêt Deutsche Telekom/Commission, précité (points 119, 124 et 127) a établi que la réglementation sectorielle pouvait être pertinente pour apprécier si l’entreprise connaissait le caractère illégal de son comportement, mais non pas pour établir le caractère délibéré ou négligent de ce dernier, une telle condition se trouvant remplie dès lors que l’entreprise ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité.

53.      Ensuite, les requérantes critiquent apparemment la première partie du point 341 de l’arrêt attaqué, portant sur le produit de gros régional, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits en considérant que les requérantes n’avaient pas contesté que la CMT avait examiné l’existence d’un ciseau tarifaire non pas sur la base des coûts historiques réels des requérantes, mais sur la base d’estimations ex ante. Les requérantes prétendent ainsi avoir soutenu dans leur requête en première instance (point 320) que la CMT n’avait pas souhaité utiliser la comptabilité de leurs coûts réels, préférant charger le consultant ARCOME d’élaborer un modèle basé sur les coûts d’un concurrent hypothétique, «raisonnablement efficace», et non sur ceux d’un concurrent «aussi efficace». Le Tribunal aurait ainsi erronément ignoré le fait que les requérantes pouvaient légitimement présumer que l’analyse de la CMT devait être plus précise qu’une analyse basée sur leurs propres coûts. Par ailleurs, le Tribunal aurait manifestement dénaturé les faits en omettant de considérer que les prix en cause avaient été soumis à un contrôle ex post. Je relève que les requérantes ne contestent pas la constatation factuelle selon laquelle la CMT n’a pas analysé l’éventuel ciseau tarifaire sur la base de données historiques réelles. Par ailleurs, les allégations selon lesquelles la CMT aurait eu recours au critère du concurrent «raisonnablement efficace», outre qu’elles ne sont pas étayées, sont manifestement irrecevables dès lors que les requérantes ne les ont jamais évoquées en première instance, alors même que la décision litigieuse, en son considérant 733, affirmait que la méthode utilisée par la CMT était celle de l’opérateur «aussi efficace». Ensuite, ces allégations sont en toute hypothèse dénuées de pertinence et inopérantes, puisque, comme indiqué au point 302 de l’arrêt attaqué, la CMT a déclaré à plusieurs reprises ne pas disposer de certaines informations nécessaires à l’examen du ciseau tarifaire, de sorte que les requérantes ne pouvaient s’attendre à ce que le contrôle de la CMT, fondé sur des estimations ex ante, les protégerait contre l’application du droit de la concurrence ex post, lequel s’appuie sur des données réelles et historiques. Enfin, le Tribunal n’a pas omis de prendre en considération le prétendu contrôle ex post, mais simplement considéré que ce contrôle n’ébranlait pas sa conclusion (points 303, 340, 347 et 348 de l’arrêt attaqué).

54.      Enfin, les requérantes critiquent (point 334 de la requête) apparemment la deuxième partie du point 341 de l’arrêt attaqué, portant sur le produit de gros national, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits en ignorant, d’une part, qu’elles avaient allégué que leurs infrastructures nationales faisaient partie d’un marché plus vaste comprenant la boucle locale et, à tout le moins, l’accès régional, soumis à une réglementation d’accès ex ante par la CMT et, d’autre part, qu’elles étaient soumises à un contrôle ex post de la CMT. Il suffit de relever à cet égard que l’existence ou l’absence d’un contrôle par la CMT est une question de fait et que les conclusions du Tribunal sont claires à cet égard. De toute façon, les arguments des requérantes sont inopérants, dès lors que le simple fait qu’existe un contrôle ex post potentiel ne saurait exclure l’application du droit de la concurrence.

–       Le deuxième grief

55.      Par ce grief (point 338 de la requête), les requérantes critiquent apparemment les points 343 à 352 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé que l’absence d’intervention de la Commission et les actions de la CMT n’avaient pu fonder chez les requérantes une confiance légitime dans le fait que leurs pratiques tarifaires étaient conformes à l’article 102 TFUE. Ces arguments m’apparaissent irrecevables, dès lors qu’ils constituent de simples critiques formulées à l’encontre de l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal.

56.      Il m’apparaît, à la lumière de ce qui précède, que le septième moyen doit être rejeté dans son ensemble parce que, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

3.      Le huitième moyen (calcul du montant de l’amende) et le dixième moyen (méconnaissance de l’obligation d’exercer un contrôle de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions)

57.      J’analyserai tout d’abord, pour proposer leur rejet, les deuxième et troisième arguments du premier grief et le deuxième grief de la première branche de ce huitième moyen. Je m’attacherai ensuite à l’analyse des premier et quatrième arguments du premier grief et aux autres griefs du huitième moyen ainsi qu’au dixième moyen qui, d’une manière ou d’une autre, se rattachent tous à la question de savoir si le Tribunal a bien exercé son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende.

i)      La première branche du huitième moyen (deuxième et troisième arguments du premier grief et deuxième grief)

58.      Par leur deuxième argument du premier grief, les requérantes (point 371 de la requête) critiquent apparemment le point 384 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait considéré à tort qu’elles se trouvaient dans une situation de monopole virtuel, ignorant ainsi certaines caractéristiques essentielles du marché, telles que la possibilité de répliquer les produits de gros, le caractère contestable du marché, la réglementation stricte à laquelle elles étaient soumises et les pressions concurrentielles indirectes. Comme cet argument n’a d’autre objectif que de remettre en cause l’appréciation des faits par le Tribunal, il est irrecevable.

59.      Ensuite, par leur troisième argument du premier grief, les requérantes (point 374 de la requête) critiquent apparemment le point 385 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé que la méthode de calcul du ciseau tarifaire résulte de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, alors que ladite méthode inclurait de nombreux éléments nouveaux tels que, entre autres, la présence d’un intrant non indispensable ou d’un marché en développement.

60.      Les requérantes répètent l’idée que la sanction n’était pas prévisible puisqu’il s’agissait dans leur cas d’un intrant (in casu «le réseau d’accès local de Telefónica») non essentiel (22) et renvoient de façon répétée à l’arrêt Bronner (23), au fait que les précédents concernaient exclusivement des «intrants essentiels» et à l’arrêt Industrie des poudres sphériques/Commission (24) (pour alléguer que la question de savoir si le prix devait être excessif ou prédateur n’appelait pas une réponse claire). En ce qui concerne l’arrêt Bronner, je constate que, en l’espèce, la question de savoir si la requérante était ou non tenue par une obligation de fourniture du produit ne se posait pas, puisque cette obligation existait déjà. Par ailleurs, il est clairement erroné d’affirmer que tous les précédents faisaient référence à des intrants essentiels. Par exemple, Telefónica omet de mentionner la décision National Carbonising, relative à un abus consistant en ce que l’on appelle aujourd’hui les «ciseaux tarifaires» (25). Dans l’affaire Napier Brown (26), la Commission a conclu à l’existence d’un abus de position dominante sous la forme d’un ciseau tarifaire alors que des alternatives au produit en amont étaient disponibles. En d’autres termes, la Commission n’a pas exigé dans cette affaire que l’intrant soit indispensable (27). La communication de la Commission relative à l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications (28), qui abordait déjà ce problème en 1998, n’exige pas non plus l’existence d’un intrant essentiel ou d’un prix excessif ou prédateur. En réalité, la question qui se posait devant le Tribunal était de savoir s’il existait des précédents qui auraient exigé que l’intrant soit essentiel et non le contraire.

61.      De plus, l’argument allégué par les requérantes en première instance (point 341 de la requête) selon lequel le caractère «non essentiel» de l’intrant dans son cas n’était pas évident est même inopérant puisque la Commission n’a nullement conclu au caractère «essentiel» de cet intrant, cette caractéristique n’étant pas une condition du raisonnement qu’elle applique pour établir l’existence d’un abus. En ce qui concerne l’arrêt Industrie des poudres sphériques/Commission, précité, il suffit de relever que les requérantes insistent simplement sur le fait que leur lecture de l’arrêt est la bonne, sans entrer réellement dans un débat sur l’interprétation conjointe qu’en donnent la Commission et le Tribunal.

62.      En ce qui concerne l’argument des requérantes sur d’autres éléments nouveaux utilisés par la Commission et qu’aurait ignorés le Tribunal, il suffit de constater son irrecevabilité, car, en première instance, il n’avait été soulevé qu’en vue de réduire l’amende et non pour contester le fait que la Commission pouvait l’imposer. En outre, en ce qui concerne plus spécifiquement l’argument portant sur les marchés en développement, les décisions Wanadoo Interactive (29) et Deutsche Telekom concernaient également des marchés qui étaient en pleine croissance, de sorte qu’il était clair que cette circonstance per se ne suffisait pas à exclure l’existence d’un abus.

63.      Enfin, par leur deuxième grief, les requérantes critiquent apparemment les points 377 à 407 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait commis plusieurs erreurs de droit dans son appréciation des effets concrets de l’abus en cause et plus spécifiquement (apparemment en tout cas): i) les points 394 à 398 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans son appréciation de l’évolution de leur part de marché sur le marché de détail (point 380 de la requête); ii) le point 399 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait dénaturé les faits en tant que la Commission avait elle-même reconnu dans la décision litigieuse que deux opérateurs avaient atteint une part de marché de plus de 1 % (Wanadoo España et Ya.com) (point 385 de la requête); iii) le point 401 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément jugé que le rythme de croissance supérieur des requérantes sur le marché de gros était un indice concret d’exclusion de leurs concurrents (point 390 de la requête); iv) le point 407 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément considéré que la Commission pouvait à bon droit considérer que le niveau élevé des prix de détail en Espagne constituait un indice crédible de l’impact concret de leur comportement sur le marché espagnol, alors que la Commission n’aurait pas établi un lien de causalité entre l’abus en question et le niveau élevé des prix de détail (point 393 de la requête), et v) le point 409 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément considéré que la Commission pouvait à bon droit considérer que le faible taux de pénétration de la large bande en Espagne constituait un indice crédible de l’impact concret de leur comportement sur le marché espagnol, en ignorant d’autres facteurs invoqués par les requérantes qui expliqueraient ce faible taux (point 399 de la requête).

64.      J’estime que l’exception d’irrecevabilité soulevée à l’encontre de ce deuxième grief dans son ensemble par la Commission et France Telecom doit être accueillie. En effet, ce grief repose sur des allégations non évoquées en première instance et invite la Cour à réexaminer des éléments de fait. En tout état de cause, le Tribunal applique le critère adéquat, à savoir la présence d’«indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence» (point 390 de l’arrêt attaqué), et les requérantes se bornent à contester le caractère suffisant des indices, sans pour autant invoquer une quelconque dénaturation.

ii)    Les premier et quatrième arguments du premier grief, troisième et quatrième griefs de la première branche ainsi que le reste du huitième moyen et dixième moyen

65.      Je vais exposer les arguments des parties avant d’en faire une synthèse pour isoler la question essentielle posée à la Cour dans ce pourvoi.

–       Arguments des parties

66.      Par le premier argument du premier grief (point 362 de la requête), les requérantes critiquent apparemment les points 382 à 387 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans la qualification de la nature de l’infraction au regard des lignes directrices de 1998 pour le calcul des amendes. Il aurait notamment considéré qu’un constat de non-violation du principe de sécurité juridique impliquait nécessairement l’existence d’un «abus caractérisé». Selon les requérantes, leur raisonnement relatif au principe de sécurité juridique visait à démontrer qu’elles n’étaient pas en mesure de prévoir que leur comportement était illégal, alors que celui relatif à l’abus caractérisé visait à établir qu’il ne s’agissait pas d’un abus évident ou «clear-cut» au regard des lignes directrices de 1998. Les requérantes ajoutent qu’elles pouvaient légitimement douter de la nature abusive de leur comportement.

67.      La Commission soutient en substance que le Tribunal aborde la question de savoir s’il y a «abus caractérisé» en répondant de manière extrêmement détaillée, aux points 353 à 369 de l’arrêt attaqué, à chacun des arguments soulevés en première instance, pour conclure que les précédents étaient suffisamment clairs.

68.      Par le quatrième argument du premier grief, les requérantes (point 375 de la requête) critiquent inter alia le point 386 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait erronément refusé de qualifier l’infraction de «grave» au lieu de «très grave» pour la période antérieure à la publication de la décision Deutsche Telekom.

69.      La Commission soutient qu’il convient de lire l’arrêt attaqué dans son intégralité et que le Tribunal a conclu que l’infraction était «très grave» indépendamment de la décision Deutsche Telekom.

70.      Dans un troisième grief, les requérantes (point 409 de la requête) critiquent apparemment les points 412 et 413 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait violé le principe de non-discrimination en jugeant que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, même en présence de précédents très similaires, tels que pour leur dossier les décisions Wanadoo Interactive et Deutsche Telekom.

71.      Selon la Commission, ce grief ne fait apparaître aucune erreur de droit, étant donné qu’aucune règle de droit n’empêcherait qu’une infraction dont la portée est limitée à un État membre soit qualifiée de «très grave». Elle renvoie par ailleurs au point 413 de l’arrêt attaqué où le Tribunal aurait mis en évidence des différences significatives avec les affaires antérieures, lesquelles n’auraient jamais été contestées par les requérantes.

72.      Par leur quatrième grief, les requérantes (point 414 de la requête) critiquent apparemment les points 415 à 420 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait omis de prendre en compte l’intensité variable de la gravité de l’infraction au cours de la période infractionnelle.

73.      La Commission affirme en substance avoir reconnu, aux considérants 750 et 760 de la décision litigieuse, que l’infraction avait été «moins grave» pendant certaines périodes, ce qui démontrerait que l’intensité variable de la gravité a été prise en compte dans le calcul du montant de l’amende. La Commission souligne également qu’une ventilation en deux périodes distinctes est hors de propos puisque le Tribunal estime que l’infraction est très grave durant les deux périodes.

74.      Dans la deuxième branche de leur huitième moyen, les requérantes invoquent une violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des peines. Par leur premier grief, les requérantes (point 424 de la requête) critiquent apparemment les points 424 à 427 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait décidé, en violation du principe de non-discrimination, que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence.

75.      La Commission rappelle avoir démontré en première instance les différences entre la présente affaire et les affaires citées par les requérantes et ajoute qu’elle a le pouvoir d’augmenter le niveau des amendes, en particulier lorsque le niveau précédent ne s’est pas révélé dissuasif. En conséquence, le fait que le montant de base soit très supérieur à celui imposé dans les décisions Wanadoo Interactive ou Deutsche Telekom ne serait pas pertinent pour apprécier la légalité du montant de base en l’espèce.

76.      Par leur deuxième grief, les requérantes (point 428 de la requête) critiquent apparemment les points 428 à 432 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal, sans exercer un contrôle de pleine juridiction afin de vérifier le caractère proportionné de la sanction et donc, en violation du principe de proportionnalité, se serait simplement rangé derrière la marge d’appréciation qu’aurait la Commission dans la fixation du montant des amendes.

77.      La Commission observe en substance que le Tribunal ne fait pas seulement référence à la marge d’appréciation de la Commission, mais vérifie effectivement au point 432 de l’arrêt attaqué si l’amende est disproportionnée.

78.      Par leur troisième grief, les requérantes (point 432 de la requête) critiquent apparemment le point 433 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait omis d’exercer un contrôle de pleine juridiction afin de vérifier si le principe de l’effet dissuasif de l’amende avait indûment prévalu sur le principe de l’individualisation des peines.

79.      La Commission avoue ne pas apercevoir l’erreur de droit alléguée par les requérantes. Elle souligne, d’une part, qu’aucun principe juridique n’affirme que l’«effet individuel» doive primer sur l’«effet dissuasif général» et, d’autre part, que la décision litigieuse expliquait de façon extrêmement circonstanciée la raison pour laquelle l’amende était adaptée aux circonstances de l’espèce.

80.      Enfin, par leur quatrième grief, les requérantes (point 435 de la requête) critiquent apparemment les points 434 et 435 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait violé l’obligation de motivation en jugeant que la Commission n’était pas tenue de motiver avec un soin particulier sa décision d’imposer une amende sensiblement plus élevée que dans les décisions Wanadoo Interactive et Deutsche Telekom.

81.      La Commission fait valoir en substance que, dans la mesure où les requérantes font grief au Tribunal d’avoir vérifié que les données «figuraient» dans la décision litigieuse, le quatrième grief ne révèle aucune erreur de droit puisque, dans le cadre de la motivation, il y a lieu de vérifier si la Commission fournit des motifs suffisants et non si elle produit des preuves au soutien de ses motifs.

82.      Dans la troisième branche de leur huitième moyen, les requérantes (points 439 et 440 de la requête) soutiennent que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’examen, aux points 437 à 443 de l’arrêt attaqué, de la majoration du montant de base de l’amende à des fins de dissuasion.

83.      La Commission et France Telecom observent tout d’abord que les points 437 à 443 de l’arrêt attaqué réfutent avec précision les arguments soulevés par les requérantes. Ensuite, la Commission souligne que les juridictions de l’Union ont confirmé la légalité de la pratique consistant à majorer l’amende infligée aux grandes entreprises, comme dans les arrêts Showa Denko/Commission et Lafarge/Commission (30). Enfin, la Commission ajoute que la majoration de 25 % est très inférieure à celle traditionnellement appliquée par la Commission.

84.      Dans la quatrième branche de leur huitième moyen, qui est formellement incluse au sein de la troisième branche dans le pourvoi, les requérantes (point 445 de la requête) allèguent en substance que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’examen, aux points 444 à 452 de l’arrêt attaqué, de la qualification de son comportement en tant qu’«infraction de longue durée».

85.      S’agissant de la fin de l’infraction, la Commission souligne qu’aucun élément du dossier fourni par les requérantes ne faisait état de modifications de prix entre juin et décembre 2006.

86.      Dans la cinquième branche de leur huitième moyen, qui est formellement incluse au sein de la troisième branche dans le pourvoi, les requérantes (point 453 de la requête) allèguent en substance que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’examen, aux points 453 à 461 de l’arrêt attaqué, de la réduction de l’amende au titre de circonstances atténuantes.

87.      En ce qui concerne la négligence, la Commission fait valoir que le Tribunal évalue avec soin cet aspect au point 458 de l’arrêt attaqué, qui doit être lu à la lumière de l’ensemble de l’arrêt attaqué. Quant au caractère nouveau, la Commission estime que le Tribunal était en droit, au point 461 de l’arrêt attaqué, de renvoyer aux points 356 à 368 dudit arrêt puisqu’il y avait déjà apprécié la gravité de l’infraction et qu’une circonstance atténuante contribue également à apprécier cette gravité.

88.      Par leur dixième moyen, les requérantes (point 474 de la requête) allèguent que le Tribunal a violé l’article 229 CE (devenu article 261 TFUE) en méconnaissant son obligation d’exercer un contrôle de pleine juridiction sur les sanctions.

89.      La Commission soutient que chacune des allégations formulées au dixième moyen a été réfutée de manière circonstanciée dans ses réponses aux autres moyens.

–       Analyse

90.      Comme on peut le constater à la lecture des arguments des parties, les premier (en ses premier et quatrième arguments), troisième et quatrième griefs de la première branche du huitième moyen, les premier, deuxième, troisième et quatrième griefs de la deuxième branche du huitième moyen, ainsi que ses troisième, quatrième et cinquième branches et enfin le dixième moyen se recoupent très largement. En effet, tous les arguments des requérantes relatifs au calcul de l’amende visent en substance l’exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction, le respect des principes de proportionnalité, de non-discrimination et d’individualisation des peines. Je vais donc analyser ci-après la question de savoir si, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a effectivement exercé son pouvoir de pleine juridiction ainsi qu’il y est obligé ou s’il s’est contenté à tort de se retrancher derrière la marge d’appréciation de la Commission.

 α)     La première partie: droits et obligations de la Commission

91.      Si, à l’intérieur d’une même décision de la Commission, la jurisprudence exige, pour le respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité, que la même méthode de calcul soit utilisée à l’égard de tous les membres du cartel (31), il est vrai que la Cour a itérativement jugé que «la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique applicable aux amendes en matière de droit de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires n’ont qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence de discriminations» (32).

92.      Ainsi, «le fait que la Commission, dans le passé, a imposé des amendes se situant à un niveau déterminé pour certaines catégories d’infractions ne saurait l’empêcher de les fixer à un niveau plus élevé, si un relèvement des sanctions est jugé nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union, celle-ci restant uniquement définie par le règlement (CE) no 1/2003» (33). Le Tribunal a ajouté (34) que «[l]a Commission ne saurait, en effet, être obligée de fixer des amendes avec une cohérence parfaite par rapport à celles fixées dans d’autres affaires».

93.      La Cour a, en effet, souligné que «la mise en œuvre de ladite politique exige que la Commission puisse adapter le niveau des amendes en fonction des impératifs de la politique en la matière» (35), notamment quand les niveaux précédemment appliqués ne se sont pas révélés dissuasifs.

94.      Toujours selon la Cour, il convient d’ajouter que «la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte» (36).

95.      Il est encore indiqué de citer la jurisprudence du Tribunal, qui a été appelé à se prononcer sur ces questions. Ce dernier a observé à juste titre, dans l’arrêt Archer Daniels Midland/Commission, que, «[s]’agissant des comparaisons […] avec d’autres décisions de la Commission rendues en matière d’amendes, il en découle que ces décisions ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables avec celles de l’espèce» (37) (c’est moi qui souligne).

96.      Dans l’arrêt Tréfilunion/Commission(dit entente des «Treillis soudés») (38), le Tribunal a justement précisé que, «bien qu’il soit souhaitable que les entreprises – afin de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause – puissent connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le mode de calcul de l’amende qui leur a été infligée, sans être obligées, pour ce faire, d’introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission – ce qui serait contraire au principe de bonne administration –, dans le cas d’espèce et compte tenu de la jurisprudence citée, des éléments contenus dans la décision et du manque de coopération de la requérante […] le grief concernant le manque de motivation ne saurait être retenu» (c’est moi qui souligne).

97.      Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l’a à juste titre relevé dans sa jurisprudence, «à chaque fois que la Commission décide d’imposer des amendes en vertu du droit de la concurrence, elle est tenue de respecter les principes généraux de droit, parmi lesquels figurent les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels qu’interprétés par les juridictions de l’Union» (39).

98.      En résumant les considérations qui précèdent, je constate que l’obligation de motivation de la Commission, dont l’importance est encore confirmée par la jurisprudence récente Chalkor/Commission et KME Germany e.a./Commission (dite entente des «Marché des tubes industriels/sanitaires en cuivre») ainsi que celle de la Cour eur. D. H. (40), est au cœur de la pertinence pour l’appréciation du respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité, d’une comparaison de la décision litigieuse avec les décisions antérieures de la Commission en ce qu’elles imposent une amende.

99.      Tout d’abord, dans l’arrêt Sarrió/Commission (41), précité, au point 73 la Cour a dit pour droit que, «au regard de la jurisprudence mentionnée aux points 341 et 342 de l’arrêt attaqué [(42)], les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. En l’absence de tels éléments, la décision serait viciée pour défaut de motivation».

100. Ensuite, au point 76 de cet arrêt, la Cour ajoute que, «[c]ertes, la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation. Toutefois, il lui est loisible d’assortir sa décision d’une motivation allant au-delà des exigences rappelées au point 73 du présent arrêt, entre autres en indiquant les éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes infligées à l’encontre de plusieurs entreprises ayant participé, avec une intensité variable, à l’infraction» (c’est moi qui souligne).

101. Enfin, la Cour a jugé, au point 77 de cet arrêt, que, «[en] effet, il peut être souhaitable que la Commission use de cette faculté pour permettre aux entreprises de connaître en détail le mode du calcul de l’amende qui leur est infligée. De façon plus générale, cela peut servir la transparence de l’action administrative et faciliter l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction, qui doit lui permettre d’apprécier, au-delà de la légalité de la décision [litigieuse], le caractère approprié de l’amende infligée. Cependant, cette faculté […] n’est pas de nature à modifier l’étendue des exigences découlant de l’obligation de motivation» (c’est moi qui souligne).

102. S’il ressort clairement de cette jurisprudence que la communication par la Commission du mode de calcul de l’amende ne représente qu’une faculté «souhaitable» ne relevant stricto sensu pas de l’obligation de motivation, laquelle n’exige que l’indication des éléments d’appréciation qui ont permis à la Commission de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (43), il faut se demander si cela implique que la Commission puisse à la fois se taire sur la méthode du calcul de l’amende et ne pas expliquer de manière détaillée une augmentation drastique d’une amende imposée par rapport à des précédents très comparables, et ce à la lumière des arrêts précités Chalkor et KME ainsi que Menarini, en tant que ces derniers ont précisé la portée de l’obligation de pleine juridiction qui incombe au Tribunal.

103. En effet, je rappelle que la Cour a, d’abord, précisé au point 60 de l’arrêt Chalkor/Commission, précité, que «[l]es lignes directrices, dont la Cour a jugé qu’elles énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement [(44)], se limitent à décrire la méthode d’examen de l’infraction suivie par la Commission et les critères que celle-ci s’oblige à prendre en considération pour fixer le montant de l’amende».

104. Dans ce contexte, aux termes du point 61 de l’arrêt Chalkor/Commission, précité (ainsi qu’aux termes du point 128 de l’arrêt KME Germany e.a./Commission, précité), «l’obligation de motivation des actes de l’Union revêt une importance toute particulière et il incombe à la Commission de motiver sa décision et, notamment, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération. […] La présence d’une motivation doit être vérifiée d’office par le juge» (c’est moi qui souligne).

105. Je rappelle également que la jurisprudence de la Cour (45) précise «que, si une décision de la Commission se plaçant dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante peut être motivée d’une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, lorsqu’elle va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite» (c’est moi qui souligne). Sans cette explicitation, le contrôle de pleine juridiction est rendu beaucoup plus difficile.

106. Enfin, je constate que la motivation de la Commission apparaît nettement plus transparente et détaillée quand elle «propose» une amende ou une astreinte [dans la procédure en double manquement (article 260, paragraphe 2, TFUE)] que quand elle «décide» elle-même d’une amende (dans la procédure en droit de la concurrence) (46).

 β)     La deuxième partie: pleine juridiction du Tribunal


 αα)   La théorie sur le pouvoir de pleine juridiction

107. Dès le traité de Rome du 25 mars 1957 (47), la Cour de justice a reçu en matière de sanctions, une compétence bien particulière: la pleine juridiction. Elle lui permet, notamment en matière de droit de la concurrence, non pas seulement d’annuler ou de confirmer une amende et son montant mais d’augmenter ou de diminuer celui-ci.

108. Comme le dit la Cour au point 130 de l’arrêt KME Germany e.a./Commission, précité, «[l]e contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui était reconnue au juge de l’Union par l’article 17 du règlement no 17 et qui l’est maintenant par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée [(48)]» (c’est moi qui souligne).

109. Sans que les textes du traité ou des règlements conférant cette compétence à la Cour de justice aient changé (49), les principes généraux du droit de l’Union, l’entrée en vigueur de la Charte (qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, a désormais la même valeur juridique que les traités) et la jurisprudence tant de la Cour eur. D. H. que de la Cour, ont confirmé qu’à propos notamment des amendes imposées par la Commission en matière de concurrence, la compétence de pleine juridiction imposait à la Cour (50) d’effectuer sa propre appréciation à cet égard.

110. Il ressort notamment de l’arrêt de la Cour eur. D. H. Menarini, précité, que le contrôle de «pleine juridiction» implique le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise ainsi que la compétence de se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont le Tribunal se trouve saisi.

111. Le juge Pinto de Albuquerque, dans son opinion dissidente dans la même affaire, relève à juste titre que, «[s]ur le plan des principes, l’application des sanctions publiques déborde les fonctions traditionnelles de l’administration et doit relever d’un juge. Si la vérification des conditions de fait de l’application d’une sanction publique pouvait être réservée à un organe administratif, sans un contrôle postérieur rigoureux de la part des tribunaux, lesdits principes [de séparation des pouvoirs et de la légalité des sanctions] auraient été totalement faussés» (c’est moi qui souligne).

112. De la même façon, les arrêts précités Chalkor et KME ont clairement constaté que le contrôle de pleine juridiction du Tribunal implique un contrôle tant de droit que de fait ainsi que le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision litigieuse et de modifier le montant des amendes (51).

113. Comme l’a relevé l’avocat général Kokott (52), la question de savoir si le Tribunal a bien exercé son contrôle de pleine juridiction est «un véritable problème de droit […]. Il s’agit de la portée des exigences juridiques relatives à l’examen par le Tribunal d’une allégation de discrimination et, en particulier, de l’étendue du contrôle que le Tribunal met en œuvre à cet égard vis‑à‑vis de la Commission. Cette question, qui continue à faire débat, fait actuellement l’objet d’une attention de plus en plus soutenue, en particulier au regard de la [Charte]. […] L’article 47 de cette charte […] garantit le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, qui est également reconnu comme un principe général du droit de l’Union [(53)], […] Ce droit fondamental comporte, entre autres, le droit de faire contrôler les décisions administratives par un tribunal indépendant dans le cadre d’une procédure équitable» (c’est moi qui souligne).

114. De plus, conformément à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, relatif aux principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, le juge de l’Union est tenu de garantir l’effectivité du principe selon lequel «[l’]intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction».

115. De surcroît, la Cour eur. D. H. a également jugé que le contrôle d’une sanction administrative implique que le juge vérifie et analyse de façon détaillée l’adéquation de la sanction par rapport à l’infraction commise, en tenant compte des paramètres pertinents, y compris de la proportionnalité de la sanction même et, le cas échéant, qu’il remplace cette dernière (voir arrêt Menarini, précité, points 64 à 66).

116. De la même manière, en droit de l’Union, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union (et est consacré par la Charte), exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (54).

117. Dans le cadre des procédures de mise en œuvre des règles de concurrence, l’application du principe de proportionnalité implique que l’amende infligée à une société ne soit pas démesurée par rapport aux objectifs poursuivis par la Commission et que son montant soit proportionné à l’infraction, en tenant compte, notamment, de sa gravité. À cette fin, le Tribunal doit examiner tous les éléments pertinents, tels que le comportement de l’entreprise et le rôle joué par celle-ci dans l’établissement de la pratique anticoncurrentielle, sa taille, la valeur des marchandises concernées ou encore le profit qu’elle a pu tirer de l’infraction commise ainsi que l’objectif de dissuasion recherché et les risques que présentent les infractions de ce type pour les objectifs de l’Union.

118. Autrement dit, le Tribunal doit pleinement exercer sa compétence de pleine juridiction dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité du montant de l’amende (55).

119. Par ailleurs, le principe de non-discrimination «exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié» (56).

120. Cela implique deux choses. Tout d’abord que la motivation de la Commission rende possible l’exercice par le Tribunal de son appréciation du caractère proportionné et non discriminatoire de l’amende. Comme le dit la Cour, «la motivation exigée par l’article 253 CE [désormais article 296 TFUE] doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle» (57) (c’est moi qui souligne), dans le cas qui nous occupe, le contrôle de pleine juridiction.

121. Cela implique ensuite que l’appréciation du Tribunal soit suffisamment indépendante de celle adoptée par la Commission, dans la mesure où il ne peut pas s’en remettre au seul montant fixé par la Commission – de façon relativement abstraite, comme semble l’être le montant de base dans la présente affaire – ni se sentir lié par les calculs de cette dernière ou les considérations qu’elle avait prises en compte dans la détermination de cette amende (58).

122. Ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre dans l’affaire Volkswagen/Commission (59) (dans laquelle le pourvoi a été rejeté par la Cour), «[e]n effet, il appartient au Tribunal, dans le cadre de sa compétence en la matière, d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce afin de déterminer le montant de l’amende» (c’est moi qui souligne). Dans ledit arrêt, le Tribunal – au vu de l’ensemble des circonstances et considérations et statuant dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction – a estimé justifié de ramener le montant de l’amende de 102 000 000 écus à 90 000 000 euros.

123. Comme l’a très justement relevé l’avocat général Mengozzi (60), «les conditions dans lesquelles les juges [de l’Union] peuvent exercer une pleine juridiction ne peuvent pas être définies par des lignes directrices de la Commission qui constituent un acte d’organisation interne de cette institution» et qui ne constituent que de la «soft law» (61), alors que, comme l’écrit l’avocat général Bot (62), en réalité, le Tribunal «se limite trop souvent à examiner si la Commission a correctement appliqué la méthodologie qu’elle a fixée [elle-même] dans ses lignes directrices [alors que] la fixation du montant de l’amende n’implique normalement pas d’appréciations économiques complexes qui devraient être réservées à la Commission et soumises à un contrôle juridictionnel restreint».

124. Un argument est souvent soulevé à l’encontre de l’approche préconisée dans les présentes conclusions, à savoir que Tribunal ne doit ou ne peut pas «s’immiscer» dans la fixation de l’amende, et de ce fait dans la politique de la concurrence, qui relève de la seule responsabilité de la Commission. Je ne partage pas ce raisonnement dès lors que le Tribunal ne se prononce que sur une affaire particulière. La Commission garde donc toutes ses compétences pour définir et appliquer sa politique générale dans d’autres dossiers.

125. Je déduis de ce qui précède et plus particulièrement sur la base des points 62 de l’arrêt Chalkor/Commission, précité, et 129 de l’arrêt KME Germany e.a./Commission, précité, que, à mon sens, lors de son contrôle, le Tribunal ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ou la seule erreur manifeste d’appréciation qu’elle aurait commise en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices de 1998 ou l’évaluation de ces éléments, pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait ou ne pas exiger que la Commission explique le changement de sa politique d’amende dans une affaire spécifique.

126. En tout état de cause, selon la jurisprudence de la Cour – même si le Tribunal peut à la limite, le cas échéant, se référer «au ‘pouvoir d’appréciation’, à la ‘marge d’appréciation substantielle’ ou à la ‘large marge d’appréciation’ de la Commission [ce que selon moi il ne devrait plus faire], de telles mentions [ne peuvent] pas empêch[er] le Tribunal d’exercer le contrôle plein et entier, en droit et en fait, auquel il est tenu» (63) (c’est moi qui souligne).

127. Au point 78 de son arrêt Chalkor/Commission, précité, la Cour juge que «le Tribunal ne s’est pas limité à ce contrôle de conformité aux lignes directrices, mais a contrôlé lui-même, au point 145 de l’arrêt attaqué, l’adéquation de la sanction».

128. La Cour a aussi rappelé dans l’arrêt SCA Holding/Commission (64) que «le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 172 du traité CE [désormais article 261 TFUE] et 17 du règlement no 17 [article 31 du règlement no 1/2003], le caractère approprié du montant des amendes. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision n’est pas comme telle requise en vertu de l’obligation de motivation prévue à l’article 190 du traité [désormais article 296 TFUE]» (c’est moi qui souligne).

129. Le Tribunal doit donc estimer par lui-même si l’amende est adéquate et proportionnée et est obligé de constater par lui-même que tous les éléments pertinents aux fins du calcul de l’amende ont été effectivement pris en considération par la Commission, étant entendu que le Tribunal doit également être à ce titre en mesure de revenir aux faits et aux circonstances avancés par les requérants devant lui (65).

130. Le Tribunal a d’ailleurs déjà raisonné dans cette direction à l’occasion de certains dossiers.

131. Dans l’arrêt Romana Tabacchi (66) (lequel n’a pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour), il a estimé à juste titre que «[l]a compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE [désormais article 261 TFUE], au Tribunal par l’article 31 du règlement no 1/2003 habilite ce dernier, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, compte tenu de toutes les circonstances de fait, en modifiant notamment l’amende infligée lorsque la question du montant de celle-ci est soumise à son appréciation. […] par nature, la fixation d’une amende par le Tribunal n’est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, le Tribunal n’est pas lié par les calculs de la Commission ni par ses lignes directrices lorsqu’il statue en vertu de sa compétence de pleine juridiction […] mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce» (c’est moi qui souligne).

132. Aux points 283 à 285 dudit arrêt, le Tribunal conclut que, «[c]ompte tenu de ces circonstances, le Tribunal considère qu’une amende d’un montant de 2,05 millions d’euros, telle qu’infligée par la Commission le 20 octobre 2005, est de nature à entraîner, en tant que telle, la mise en liquidation de la requérante et, par voie de conséquence, sa disparition du marché, laquelle paraît, par ailleurs, susceptible d’avoir des répercussions importantes, évoquées par la requérante dans le cadre de son cinquième moyen […]. Au vu des considérations qui précèdent, compte tenu notamment de l’effet cumulatif des illégalités précédemment constatées ainsi que de la faible capacité financière de la requérante, le Tribunal considère qu’il sera fait une juste appréciation de toutes les circonstances de l’espèce en fixant le montant final de l’amende infligée à la requérante à 1 million d’euros. En effet, une amende d’un tel montant permet de réprimer efficacement le comportement illégal de la requérante, d’une manière qui n’est pas négligeable et qui reste suffisamment dissuasive. Toute amende supérieure à ce montant serait disproportionnée au regard de l’infraction reprochée à la requérante appréciée dans son ensemble […]. Dans la présente affaire, une amende d’un montant de 1 million d’euros constitue la juste sanction du comportement qui est reproché à la requérante» (c’est moi qui souligne) (67).

133. Dans l’arrêt Groupe Danone/Commission (dit entente du «Marché belge de la bière»), précité, la Cour a rejeté un moyen de pourvoi tiré d’une prétendue violation par le Tribunal de la règle ne ultra petita, à l’occasion d’une modification par ce dernier des modalités d’application du coefficient pour circonstances atténuantes en l’absence de toute conclusion à ce sujet, au simple motif que, dès lors que la question du montant de l’amende était soumise à son appréciation, le Tribunal était habilité, dans le cadre de l’application de l’article 229 CE (désormais article 261 TFUE) et du règlement nº 17, auquel a succédé le règlement no 1/2003, à supprimer, à réduire ou à augmenter le montant de l’amende infligée par la Commission (68).

134. Ainsi que l’a souligné à juste titre l’avocat général Mengozzi (69), cette appréciation se comprend aisément si l’on conçoit la fonction de la compétence de pleine juridiction comme une garantie supplémentaire au bénéfice des entreprises d’un contrôle d’intensité maximale par un tribunal indépendant et impartial du montant de l’amende qui leur est infligée. Cette qualification de la pleine juridiction du Tribunal comme «garantie supplémentaire» a déjà été confirmée par la Cour dans le cadre de la définition de l’étendue des droits de la défense des entreprises devant la Commission à l’égard de l’imposition des amendes (70).

135. Je suis également d’accord avec l’avocat général Mengozzi lorsqu’il dit dans ses conclusions dans l’affaire Commission/Tomkins, précitée, que cette qualification ne peut que signifier que, moyennant contestation du montant de l’amende devant le Tribunal, les entreprises, en pleine connaissance du montant précis fixé par la Commission, ont la possibilité de soulever toute critique, aussi bien sur le plan de la légalité que de l’opportunité, sur le calcul de ce montant effectué par la Commission, de façon à pouvoir influencer par tout moyen de défense, au-delà des contraintes inhérentes au contrôle de légalité, la conviction du juge quant au montant approprié de l’amende (71). Or, ainsi qu’il l’ajoute à juste titre, pour que cette fonction de garantie supplémentaire soit effective, le Tribunal doit être autorisé (72), à tenir compte de toutes les circonstances de fait, y compris, par exemple, des circonstances postérieures à la décision contestée devant lui (73), ce que les contraintes inhérentes au contrôle de légalité ne lui permettraient, en principe, pas (74).

136. Je mentionne aussi l’arrêt du Tribunal dans l’affaire Siemens Österreich e.a./Commission (dite entente des «Appareillages de commutation à isolation gazeuse») (75), où prenant appui sur le principe d’individualité des peines et des sanctions, le Tribunal a jugé «[que, à] cet égard, contrairement à ce que la Commission prétend […], elle ne saurait déterminer librement les montants à payer solidairement. En effet, il découle du principe d’individualité des peines et des sanctions […] que chaque société doit pouvoir déduire de la décision qui lui impose une amende à payer solidairement avec une ou plusieurs autres sociétés la quote-part qu’elle devra supporter dans sa relation avec ses codébiteurs solidaires, une fois la Commission désintéressée. À cette fin, la Commission doit notamment préciser les périodes pendant lesquelles les sociétés concernées sont (co)responsables des comportements infractionnels des entreprises ayant participé à l’entente et, le cas échéant, le degré de responsabilité desdites sociétés pour ces comportements […]. Dès lors, en l’espèce, la Commission devait tenir compte des constatations qu’elle a faites, au considérant 468 de la décision [en cause dans ladite affaire], quant aux périodes de responsabilité commune des différentes sociétés faisant partie de l’entreprise VA Tech pour fixer les montants à payer solidairement par ces sociétés. Ces montants doivent refléter, dans toute la mesure du possible, le poids des différentes parts de la responsabilité que partagent lesdites sociétés, telles qu’identifiées audit considérant».

137. Le Tribunal a alors procédé à une analyse détaillée de la décision de la Commission et a censuré à la fois la sélection des destinataires de l’amende et la détermination des montants desquels ils étaient respectivement redevables.

138. Au point 166 de son arrêt, sans faire référence à une quelconque marge d’appréciation de la Commission, il a conclu «que, en tenant pour solidairement responsables Reyrolle, SEHV et Magrini du payement d’une amende d’un montant excédant clairement leur responsabilité commune, en ne tenant pas pour solidairement responsables Siemens Österreich et KEG du payement d’une partie de l’amende infligée à SEHV et à Magrini et en ne faisant pas supporter à Reyrolle seule une partie de l’amende qui lui a été infligée, la Commission a violé le principe d’individualité des peines et des sanctions».

139. Un autre exemple se trouve dans l’arrêt du Tribunal Brasserie nationale e.a./Commission (76), où ce dernier a jugé «[qu’i]l incombe […] au Tribunal de contrôler si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par la requérante».

140. Dans son arrêt Parker Pen/Commission (77), rendu avant l’existence des lignes directrices, à la suite d’une analyse de l’amende en question, le Tribunal a conclu «que l’amende de 700 000 écus infligée à la requérante [n’était] pas adéquate, eu égard notamment au faible chiffre d’affaires concerné par l’infraction, et qu’il [était] justifié, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de ramener à 400 000 écus le montant de l’amende infligée à Parker».

141. Dans l’affaire Ventouris/Commission (dite entente des «Ferries grecs»), précitée, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi, le Tribunal a conclu, cette fois après l’introduction des lignes directrices, que l’amende en question devait être diminuée pour des raisons d’équité et de proportionnalité. Dès lors que, dans une décision unique, la Commission avait sanctionné deux infractions distinctes, ces deux raisons d’équité et de proportionnalité commandaient qu’une entreprise n’ayant participé qu’à une seule infraction soit condamnée moins sévèrement que celles ayant participé aux deux. Selon le Tribunal, en ayant calculé les amendes à partir d’un montant de base unique pour toutes les entreprises, modulé en fonction de leur taille respective, mais sans faire aucune distinction en fonction de leur participation à une ou à deux des infractions sanctionnées, la Commission a fait subir à l’entreprise n’ayant été déclarée responsable que d’avoir participé à une seule infraction une amende disproportionnée par rapport à l’importance de l’infraction commise (78).

142. En revanche (et ce après les arrêts précités Chalkor et KME ainsi que Menarini!), le Tribunal a conclu dans l’affaire Dow Chemical/Commission (dite entente du «Caoutchouc chloroprène») (79) que, «en l’espèce, il ne s’agit pas, à ce stade, pour le Tribunal, en l’absence de toute constatation d’illégalité de la décision [litigieuse], comme c’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu l’arrêt BASF et UCB/Commission [(80)] de recalculer le montant de l’amende infligée à la requérante, mais de contrôler la légalité de l’application, par la Commission, des lignes directrices de 2006 à sa situation» (c’est moi qui souligne), approche que l’on retrouve dans l’arrêt attaqué.

143. Je relève qu’un véritable contrôle de l’amende par le Tribunal dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction est d’autant plus nécessaire que le montant des amendes infligées par la Commission ne cesse de croître. Sans vouloir être exhaustif, je cite que quelques exemples: dans l’affaire Microsoft (qui a été évoquée par la Commission à l’audience), Microsoft s’est vu infliger une amende de 497 millions d’euros en 2004, à laquelle se sont ajoutées une astreinte de 280,5 millions d’euros en 2006, une astreinte de 899 millions d’euros en 2008 ainsi qu’une amende de 561 millions d’euros en 2013 (81). Pour sa part, Intel a reçu une amende de 1,06 milliard d’euros (82). L’amende de Saint-Gobain en 2008 était de 896 millions d’euros (avec 1,38 milliard d’euros pour l’entente «Verre automobile» au total) (83), celle de Siemens en 2007 était de plus de 396 millions d’euros (avec 750 millions d’euros pour l’entente «Appareillages de commutation à isolation gazeuse» au total) (84). Dans l’entente des fabricants d’ascenseurs, les amendes étaient au total de presque un milliard d’euros (85). Enfin, en 2012 la Commission a infligé une amende de 1,47 milliard d’euros aux deux cartels entre des producteurs de tubes cathodiques pour téléviseurs et écrans d’ordinateur (86).

144. En ce qui concerne l’importance du contrôle par le Tribunal du calcul d’amendes préconisée dans les présentes conclusions, je pourrais rappeler ce que l’avocat général Tizzano a dit dans l’affaire Dansk Rørindustri e.a./Commission, précitée (87), où il note que son examen dans cette affaire «fait précisément apparaître que la méthode de calcul appliquée par la Commission présente un certain risque sous l’angle de l’équité du système […]. Il ne nous semble pas en effet pleinement cohérent avec les exigences d’individualisation et de gradation de la «peine» […] que dans les présents cas d’espèce, une partie des opérations de calcul revête un caractère essentiellement formel et abstrait et donc ne se répercute pas concrètement sur le montant final de l’amende. On ne peut pas non plus ignorer que, pour le même motif, l’objectif d’une plus grande transparence, poursuivi par les lignes directrices, risque de ne pas être pleinement atteint […]. De surcroît, ce durcissement [de la politique de la Commission en matière d’amendes qui est plus rigoureuse et s’est traduite par une augmentation du niveau des amendes], étant fondé sur une méthodologie de calcul basée sur des montants forfaitaires, risque de frapper principalement les petites et moyennes entreprises […]. Ainsi donc se profilent les contours d’une situation nouvelle et plus problématique par rapport à la phase au cours de laquelle la méthodologie suivie par la Commission n’entraînait pas, en principe, un dépassement, en cours de calcul de la limite de 10 % du chiffre d’affaires global, en sorte qu’elle rendait plus aisée et immédiate la prise en compte, dans le montant de l’amende, de l’ensemble des circonstances factuelles […]. Il convient dès lors de se demander si les conséquences signalées du nouveau cours de la politique des amendes ne rendent pas opportun quelque infléchissement qui permettrait de garantir dans tous les cas des résultats conformes aux exigences d’équité et au caractère raisonnable de la sanction» (c’est moi qui souligne).

145. Ces critiques incisives de l’avocat général Tizzano dans ladite affaire démontrent clairement qu’il est non pas souhaitable ou loisible mais carrément nécessaire que le Tribunal exerce complètement (88) et indépendamment son contrôle des amendes de la Commission (89).

 ββ)   L’application de la théorie sur le pouvoir de pleine juridiction au dossier en cause

146. Pour évaluer le contrôle de l’amende par le Tribunal et les moyens des requérantes portant sur la violation des principes de proportionnalité, de non-discrimination, d’individualisation des peines ainsi que sur l’obligation de motivation de la Commission sur le montant de l’amende, il faut revenir à la décision litigieuse.

147. Au considérant 756 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que la pratique abusive pouvait être qualifiée d’infraction très grave, même si elle n’était pas nécessairement d’une gravité uniforme pendant toute la période infractionnelle. Au considérant 757, la Commission s’est contentée de dire que le montant de base de l’amende à imposer aux requérantes, pour refléter la gravité de l’infraction, devait – «au vu des circonstances spécifiques de l’affaire» – être fixée au montant de 90 millions d’euros.

148. Devant le Tribunal, les requérantes ont soutenu que la Commission avait violé les principes d’individualisation des peines, de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que son obligation de motivation en fixant le montant de base de l’amende à 90 millions d’euros. En premier lieu, ce montant de base de l’amende infligée à Telefónica sur la base de la gravité de l’infraction représenterait le deuxième montant de base le plus élevé jamais imposé en matière d’abus de position dominante. D’autre part, ce montant aurait été respectivement neuf et dix fois supérieur au montant de base de l’amende imposée en 2003 à Deutsche Telekom et à Wanadoo Interactive pour des pratiques d’abus de position dominante dans le même secteur, alors que: i) ces deux décisions comme celle condamnant Telefónica ont été adoptées sur la base des lignes directrices de 1998 et qu’elle faisaient donc application des mêmes règles de calcul; ii) les conduites en cause dans ces trois affaires se seraient déroulées de manière partiellement simultanée et seraient de nature similaire, et iii) les trois affaires concernent les marchés de l’accès à l’Internet en France, en Allemagne et en Espagne, lesquels présentent de fortes similitudes en termes de dimension, d’importance économique et de phase de croissance. La disproportion manifeste entre le montant de base retenu pour Telefónica et ceux retenus pour Wanadoo Interactive et Deutsche Telekom serait encore aggravée du fait que, dans le cas de Telefónica, le montant de base a été majoré de 25 % à titre d’effet dissuasif, majoration qui n’a pas été appliquée à Wanadoo Interactive ni à Deutsche Telekom, en dépit de la dimension de ces entreprises. Compte tenu de l’effet dissuasif, le montant de l’amende infligée à Telefónica eu égard à la gravité de l’infraction (112,5 millions d’euros) est en fin de compte respectivement 12,5 fois et 11,25 fois supérieur à l’amende infligée à Wanadoo Interactive et à Deutsche Telekom respectivement pour des pratiques d’abus de position dominante de nature analogue, voire plus graves.

149. Par ailleurs, selon les requérantes, le caractère excessif du montant de base de 90 millions d’euros de l’amende infligée à Telefónica était encore plus évident si on le comparait à celui fixé dans l’affaire Deutsche Post AG en 2001 (90). Dans cette affaire, la Commission a retenu un montant de base de 12 millions d’euros seulement, alors qu’elle avait reconnu notamment: i) que l’infraction devait être qualifiée de «grave»; ii) que les rabais de fidélité accordés par des entreprises en position dominante «ont déjà été condamnés à plusieurs reprises par la Cour», et iii) que «la politique de rabais et de prix pratiquée par [Deutsche Post AG] a eu des répercussions négatives très importantes sur la concurrence», permettant à [Deutsche Post AG] de conserver une part du marché allemand de l’envoi de colis pour la vente par correspondance qui s’est maintenue à plus de 85 %.

150. Qu’en dit le Tribunal?

151. Premièrement, en ce qui concerne le principe de non-discrimination, aux points 424 à 427 de l’arrêt attaqué (quatre points seulement), le Tribunal rejette les arguments des requérantes en considérant tout simplement que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et ne peut avoir qu’un caractère indicatif.

152. Deuxièmement, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, aux points 428 à 432 de l’arrêt attaqué (cinq points au total), le Tribunal rejette les arguments des requérantes en se limitant à relever en substance que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. En fait, le Tribunal reprend sur ce point les explications de la Commission sur la qualification de l’infraction de «très grave» et, dans un seul point (432), il «analyse» et conclut que le montant de départ de 90 millions d’euros n’est pas disproportionné.

153. Troisièmement, en ce qui concerne le principe d’individualisation des peines, au (seul) point 433 de l’arrêt attaqué, le Tribunal rappelle la jurisprudence, selon laquelle pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles à la réalisation des objectifs de l’Union. La dissuasion doit être à la fois spécifique et générale. Tout en réprimant une infraction individuelle, l’amende s’inscrit aussi dans le cadre d’une politique générale de respect par les entreprises des règles de concurrence. Le Tribunal conclut qu’il ressort de la décision litigieuse que, en l’espèce, l’amende a été calculée en tenant compte de la situation propre de Telefónica. Partant, les requérantes ne sauraient prétendre que l’effet dissuasif général de l’amende aurait été l’«objectif premier et ultime de l’amende».

154. Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation de l’obligation de motivation et d’une protection juridictionnelle effective, aux points 434 et 435 de l’arrêt attaqué (soit deux points seulement), le Tribunal rejette les arguments des requérantes et affirme simplement que la Commission n’aurait pas méconnu les exigences minimales en la matière dans la mesure où elle aurait indiqué les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. De plus, le Tribunal ajoute encore une fois que, la pratique décisionnelle de la Commission ne servant pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, celle-ci ne serait pas tenue d’indiquer les raisons pour lesquelles le montant de base de l’amende infligée aux requérantes était significativement supérieur au montant des amendes infligées à Wanadoo Interactive et à Deutsche Telekom.

155. À la lecture de ces 12 points (sur 465!) (91), lesquels d’ailleurs ne comportent pratiquement aucune analyse proprement dite de la part du Tribunal, je pense que ce dernier n’a manifestement pas, au regard des principes de non-discrimination, de proportionnalité, d’individualisation des peines et au regard de l’obligation de motivation de la Commission sur le montant de l’amende, exercé le contrôle de pleine juridiction auquel il est tenu.

156. Sur la prétendue violation du principe de non-discrimination, le Tribunal se contente de renvoyer au caractère indicatif du montant des amendes infligées par la Commission dans des décisions antérieures, mais s’abstient de relever que, en l’espèce, certaines décisions antérieures de la Commission contenaient des indications particulièrement précieuses. D’autant plus que la Commission n’avait pas révélé (ce qui selon la Cour eût été souhaitable et selon moi ici nécessaire) de méthode de calcul du montant de base de 90 millions d’euros ni suffisamment motivé la différence entre ce montant et celui imposé dans d’autres décisions aux caractéristiques très similaires telles que Deutsche Telekom et Wanadoo Interactive.

157. Le Tribunal en a même oublié sa propre jurisprudence puisqu’il avait observé au point 316 de l’arrêt Archer Daniels Midland/Commission, précité (confirmé d’ailleurs dans l’arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 262, postérieur à l’arrêt attaqué), que, «[s]’agissant des comparaisons […] avec d’autres décisions de la Commission rendues en matière d’amendes, il en découle que ces décisions ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables avec celles de l’espèce» (c’est moi qui souligne). Il est en effet évident que, si, en principe, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, cette argumentation trouve sa limite dans le principe de non-discrimination en vertu duquel des situations comparables ne sauraient être traitées de manière différente (92).

158. Le principe «d’égalité de sanction pour un même comportement» est d’ailleurs énoncé dans les lignes directrices de 1998 (93) et il s’applique en particulier lorsque les circonstances conduisant à infliger une amende, telles que les marchés concernés, le type d’infraction, les produits, les entreprises ou la période infractionnelle sont effectivement similaires ce qui semble bien être le cas ici, sauf si – sur base ou non de données complémentaires fournies par la Commission à la demande du Tribunal – le contraire était démontré.

159. En l’occurrence, le Tribunal aurait au moins dû exiger de la Commission qu’elle explique très clairement pourquoi elle a imposé un montant de départ de 90 millions d’euros en l’espèce (et comment elle est arrivée à ce montant), alors i) qu’il s’agit de la deuxième amende la plus élevée après celle infligée à Microsoft [décision C(2004) 900], et que le montant de départ en l’espèce dépassait de plus de 40 % le troisième montant de départ le plus élevé (celui d’AstraZeneca (94)), alors que, notamment, dans ces deux dernières affaires, le marché géographique en cause s’étendait au-delà du territoire d’un État membre; ii) que le montant litigieux était 4,5 fois supérieur au montant minimal prévu dans les lignes directrices de 1998 pour le calcul des amendes dans le cas d’infractions «très graves», et iii) que ledit montant est respectivement dix et neuf fois plus élevé que «le montant de base» imposé à Deutsche Telekom et à Wanadoo Interactive, pour des pratiques, des marchés, des produits, des entreprises similaires.

160. Sur le degré de gravité de l’infraction («grave» ou «très grave») les requérantes avaient allégué devant le Tribunal que: i) les abus de position dominante commis sur un marché géographique limité au territoire d’un État membre avaient été qualifiés jusque-là de graves et que ii) les éléments invoqués par la Commission pour justifier la référence au point de vue géographique (taille du marché espagnol et difficulté pour les opérateurs étrangers d’entrer sur le marché) étaient également présents dans les décisions Deutsche Telekom et Wanadoo Interactive, dans lesquelles, pourtant, l’infraction n’a pas été qualifiée de «très grave» contrairement à l’appréciation de la Commission dans leur dossier, et ce même pour la période antérieure à la publication de la décision Deutsche Telekom. Là encore, le Tribunal se borne à affirmer que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Pourtant, si la Commission se base sur la taille du marché afin de qualifier l’infraction de «très grave», le Tribunal n’aurait-il pas dû prendre en compte le fait que, pour des marchés d’une étendue supérieure (France et Allemagne), elle n’a pas estimé ce critère suffisant pour qualifier l’infraction de «très grave»?

161. De plus, si le critère permettant de définir une infraction comme étant «très grave» au sens des lignes directrices de 1998 est celui de savoir si l’abus en cause est caractérisé («clear-cut»), il est impossible de conclure en ce sens sans se référer à tout le moins à la pratique décisionnelle de la Commission. En réalité, les lignes directrices de 1998 font elles-mêmes référence à la pratique décisionnelle de la Commission aux fins de clarifier la notion d’infraction «très grave» (95). De plus, la décision litigieuse justifie la qualification d’abus caractérisé sur la base de la pratique décisionnelle de la Commission (96). Le Tribunal confond ainsi la jurisprudence relative au prétendu caractère indicatif du montant des amendes infligées dans des décisions antérieures et l’interprétation des lignes directrices de 1998 aux fins d’établir le caractère peu grave, grave ou très grave de l’infraction. Celles-ci utilisent en effet un critère, celui de «l’abus caractérisé», pour sanctionner les comportements dont l’illégalité ne fait aucun doute, ce qui, concernant les pratiques abusives, ne peut être constaté que par référence à des précédents.

162. Par ailleurs, je suis d’accord avec le quatrième grief de la première branche du huitième moyen des requérantes (point 414 de la requête), où elles critiquent les points 415 à 420 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a omis de prendre en compte l’intensité variable de la gravité de l’infraction au cours de la période infractionnelle. À cet égard, on peut critiquer les constats exprimés par le Tribunal aux points 418 et 419 de l’arrêt attaqué, selon lesquels la Commission a considéré à bon droit que l’infraction devait être qualifiée de «très grave» pour toute la période concernée et que, en dépit de la qualification de «très grave» pour toute ladite période, la Commission avait effectivement tenu compte de l’intensité variable de l’infraction dans la fixation du montant de départ de l’amende. Partant, le Tribunal a violé son obligation d’exercer un contrôle de pleine juridiction en omettant de vérifier si le montant de base de l’amende avait effectivement pris en compte la gravité variable de l’infraction, en ce qui concerne en particulier la période précédant la publication de la décision Deutsche Telekom.

163. Au sujet de la prétendue violation des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines, le Tribunal est particulièrement bref et se réfère exclusivement à des réflexions très générales: à la marge d’appréciation de la Commission (point 430 de l’arrêt attaqué), à la logique forfaitaire des lignes directrices de 1998 (point 431), à l’obligation de la Commission de fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction en appliquant ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée, mais sans jamais vérifier si l’application de ces éléments était effectivement cohérente et objectivement justifiée dans l’affaire en cause. Il conclut au point 432 de l’arrêt attaqué que, «[e]u égard au fait, d’une part, que l’abus de Telefónica doit être considéré comme un abus caractérisé pour lequel il existe des précédents, qui compromet l’objectif de l’achèvement d’un marché intérieur pour les réseaux et les services de télécommunications et, d’autre part, que ledit abus a eu un impact significatif sur le marché de détail espagnol (considérants 738 à 757 de la décision [litigieuse]), un montant de départ de l’amende de 90 millions d’euros ne saurait être considéré comme disproportionné».

164. Alors que la jurisprudence du Tribunal (97) exige que l’amende soit calculée en tenant compte de la situation propre de l’entreprise concernée, ce qui implique de vérifier si, dans les faits de cette affaire, le principe de l’effet dissuasif de l’amende avait indûment prévalu sur le principe d’individualisation des peines, le Tribunal, au point 433 de l’arrêt attaqué, se contente de constater tout simplement que l’amende a été «calculée en l’espèce en tenant compte de la situation propre de Telefónica».

165. Il arrive à ces conclusions sans accorder aucune importance à plusieurs éléments qui auraient dû éveiller son attention et plus particulièrement: i) que les décisions Deutsche Telekom, Wanadoo Interactive et Telefónica ont été adoptées sur la base des lignes directrices de 1998, c’est-à-dire en faisant application des mêmes règles de calcul; ii) que les comportements examinés dans les trois affaires ont eu lieu de façon partiellement simultanée et sont de nature (très) similaire (98): des pratiques de prix prédateurs dans le cas de Wanadoo Interactive et des pratiques de ciseau tarifaire dans les cas de Deutsche Telekom et Telefónica; iii) que les trois affaires concernent les marchés d’accès à Internet en France, en Allemagne et en Espagne qui présentent de fortes similitudes en termes de taille et d’importance économique; iv) que les entreprises sanctionnées dans les trois affaires sont les opérateurs historiques de télécommunications (ou une filiale de l’un d’eux dans le cas de Wanadoo Interactive) avec des chiffres d’affaires très comparables (99), et v) que certains éléments pouvaient même plaider, au moins en théorie, pour un montant de base inférieur en comparaison avec celui imposé dans l’affaire Deutsche Telekom où: a) les prix de gros étaient supérieurs à ses prix de détail, ce qui permettait à Deutsche Telekom d’être consciente de l’existence d’un ciseau tarifaire sans avoir à tenir compte des coûts; b) le régulateur allemand a constaté l’existence de marges négatives; c) les produits concernés étaient des infrastructures essentielles, et d) selon les requérantes, la réglementation espagnole était plus stricte que la réglementation allemande pendant la période litigieuse (100) (même si ce dernier point est contesté par la Commission).

166. La Commission a bien soutenu devant la Cour que «la conclusion que tire le Tribunal au point 432 se fonde sur un examen détaillé des ‘éléments du dossier’ et des allégations des parties» et que le Tribunal a effectivement bien vérifié si l’amende était disproportionnée. En réponse à une question de la Cour posée à l’audience sur ces «éléments du dossier», le représentant de la Commission a simplement dit qu’il pensait «que par ces éléments du dossier, il [fallait] comprendre les documents, les éléments de preuve, les examens judiciaires apportés par [les parties]», en expliquant en substance que les 90 millions d’euros de montant de base se situaient à la moyenne (une «sorte de voie médiane», a-t-il dit) entre le point de départ fixé dans les lignes directrices de 1998 à savoir 20 millions d’euros et le montant de base de 185 millions d’euros dans l’affaire Microsoft, précitée. Il est difficile de trouver dans cet argument une explication convaincante de l’énorme augmentation du montant de base par rapport à des dossiers similaires et ce d’autant plus qu’il s’agit du deuxième montant de base le plus élevé après celui appliqué dans l’affaire Microsoft. Par ailleurs, même si ces questions ont été discutées à l’audience devant le Tribunal (comme le soutient la Commission), il n’en reste pas moins que cela ne ressort pas de l’arrêt attaqué.

167. En ce qui concerne la majoration du montant de base de l’amende à des fins de dissuasion (points 437 à 443 de l’arrêt attaqué), (ce qui aurait dû amener le Tribunal à s’interroger sur la justification par le même objectif de dissuasion de l’augmentation importante du montant de base) le Tribunal a, au point 439, simplement validé le raisonnement de la Commission par de simples renvois généraux à des considérants de la décision litigieuse, sans pour autant examiner le caractère approprié du facteur multiplicateur de 1,25, et ce à nouveau sans exercer un véritable contrôle de pleine juridiction. Le Tribunal n’a pas analysé dans cette partie non plus la comparaison avec les décisions Deutsche Telekom et Wanadoo Interactive, dans lesquelles l’amende n’avait pas été majorée au titre d’un effet dissuasif, en omettant ainsi d’appliquer la jurisprudence selon laquelle l’obligation de motivation doit être plus explicite, dès lors que «la décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes» (voir note 45 des présentes conclusions).

168. De plus, au point 441 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas correctement analysé l’éventuelle violation du principe de non-discrimination, en tant que le chiffre d’affaires des requérantes était effectivement comparable à celui de Wanadoo Interactive et de Deutsche Telekom (101), auxquelles la Commission n’avait pas estimé opportun d’imposer une majoration de l’amende à titre dissuasif. Or, le Tribunal se retranche audit point à nouveau derrière la jurisprudence selon laquelle la pratique décisionnelle ne saurait servir de cadre juridique aux amendes.

169. Le Tribunal me paraît commettre la même erreur dans l’examen, aux points 444 à 452 de l’arrêt attaqué, de la qualification du comportement des requérantes en tant qu’«infraction de longue durée». En effet, aux points 448 à 450 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas distingué les deux périodes infractionnelles (ce qui, à mon avis, était nécessaire), l’une se situant avant et l’autre après la décision Deutsche Telekom ni apprécié la gravité de l’infraction au regard de chaque période. Le Tribunal se réfère aux points 356 à 369 ainsi qu’au point 419 de l’arrêt attaqué et se contente de dire que le «montant de départ de l’amende […] [reflète] déjà les différentes intensités de l’infraction». Or, comme je l’ai indiqué, il n’est pas du tout clair que (et comment) le montant de départ reflète effectivement ou non ces différentes intensités. En tout état de cause, le Tribunal ne l’analyse pas. Or, le Tribunal ne conteste pas le fait que, dans la décision Deutsche Telekom, la Commission avait estimé que la variation de la gravité de l’infraction pendant la période examinée impliquait i) de requalifier de «grave» l’infraction jugée «très grave» a priori, et justifiait, de surcroît, ii) une réduction de l’amende majorée, au titre de sa durée. Elle avait en effet considéré que la marge de manœuvre limitée dont Deutsche Telekom disposait pour ajuster ses tarifs à partir de l’année 2002 justifiait de qualifier l’infraction de «peu grave» à partir de cette date, et qu’il n’y avait donc pas lieu d’appliquer une majoration de l’amende après cette date (102).

170. Enfin, au point 461 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se réfère, dans son examen du prétendu caractère nouveau de l’affaire, à son raisonnement relatif à l’existence de précédents clairs et prévisibles. À cet égard, le Tribunal a appliqué un critère manifestement erroné, à savoir celui de la sécurité juridique, et a ignoré que l’une des circonstances atténuantes définies par les lignes directrices de 1998 est l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel de son comportement. Or, je pense qu’un tel doute raisonnable a pu exister au moins jusqu’au mois d’octobre 2003, date de publication de la décision Deutsche Telekom, dans la mesure où les requérantes ont pu ne pas être en mesure de percevoir les limites de la confiance légitime qu’un opérateur dominant pouvait avoir dans l’action de la CMT. C’est le Tribunal lui-même qui reconnaît au point 361 de l’arrêt attaqué que, «ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 735 de la décision attaquée, la décision Deutsche Telekom constitue également un précédent qui clarifie les conditions d’application de l’article 82 CE au regard d’une activité économique soumise à une régulation sectorielle ex ante spécifique».

171. Le seul argument des requérantes dans cette partie du pourvoi qui ne me paraît pas fondé concerne la date de fin de l’infraction. Les requérantes (point 449 de la requête) critiquent le point 451 de l’arrêt attaqué, arguant du fait que le Tribunal semble avoir accepté que la Commission n’avait prouvé l’existence de l’infraction que jusqu’au terme du premier semestre 2006. Par conséquent, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve en jugeant que les requérantes n’avaient pas apporté la preuve qu’il n’y avait pas eu de ciseau tarifaire au cours du second semestre 2006, alors qu’il appartenait à la Commission d’établir l’existence de l’infraction. Or, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit à ce sujet, étant donné qu’aucun élément du dossier fourni par les requérantes ne faisait état de modifications de prix entre juin et décembre 2006. Il y a donc eu non pas un renversement de la charge de la preuve, mais une décision fondée sur les données figurant dans le dossier. En effet, la Commission a rapporté la preuve, dans sa décision, que les produits de gros national et régional n’avaient subi aucune modification jusqu’au 21 décembre 2006, et que les prix de détail étaient restés inchangés depuis le mois de septembre 2001, et cela sans que les requérantes aient fait valoir une quelconque modification des coûts pris en considération par la Commission (point 451 de l’arrêt attaqué).

172. Il résulte de ce qui précède que le huitième moyen ainsi que le dixième moyen me paraissent devoir être en grande partie accueillis dans la mesure où le Tribunal n’a pas exercé son pouvoir de pleine juridiction commettant ainsi des erreurs de droit dans l’examen de la prétendue violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des peines ainsi que de l’obligation de motivation.

173. Je ne prétends pas qu’il y a eu violation de ces principes, mais que le Tribunal n’a pas correctement vérifié au titre de sa compétence de pleine juridiction si la décision de la Commission sur l’amende était ou non conforme à ces principes.

174. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. En l’espèce, le litige n’est pas en état d’être jugé.

V –    Conclusion

175. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante:

1)         L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España /Commission (T‑336/07), est annulé en tant que le Tribunal n’a pas exercé son pouvoir de pleine juridiction dans le cadre de l’examen de l’amende infligée par la Commission européenne à Telefónica SA et Telefónica de España SAU.

2)         L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)         Les dépens sont réservés.


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission (T‑336/07, ci-après l’«arrêt attaqué»).


3 –      Décision du 4 juillet 2007 relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (affaire COMP/38.784 – Wanadoo España contre Telefónica, ci-après la «décision litigieuse»).


4 –      Règlement du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204).


5 –      Décision 2003/707/CE de la Commission, du 21 mai 2003, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (Affaires COMP/C 1/37.451, 37.578, 37.579 – Deutsche Telekom AG) (JO L 263, p. 9, ci-après la «décision Deutsche Telekom»). À cet égard, voir arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, Rec. p. I‑9555), ainsi que les conclusions de l’avocat général Mazák dans cette affaire.


6 –      Dans les présentes conclusions, j’utiliserai exclusivement les termes «ciseau tarifaire».


7 –      Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO L 1, p. 1), applicable à partir du 1er mai 2004.


8 –      Soit une requête devant la Cour (qui ne devrait contenir que des arguments de droit) plus longue que la requête régularisée devant le Tribunal! De plus, on y trouve des points quasi inintelligibles comme le point 298 qui contient une phrase de 121 mots.


9 –      «SSNIP» pour «small but significant and non-transitory increase in price» (test de l’augmentation faible mais significative et non transitoire des prix).


10 –      Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit [de l’Union] de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5).


11 –      C’est-à-dire un marché sur lequel les clients et les concurrents de Telefónica pouvaient reproduire son réseau, en sorte qu’ils se trouvaient en mesure d’exercer une pression concurrentielle effective indépendamment de leurs parts de marché.


12 –      Arrêt du 17 février 2011 (C‑52/09, Rec. p. I‑527).


13 –      Arrêt du 17 décembre 1998 (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 141).


14 –      Je note que les questions de principe liées au problème de la durée de la procédure devant le Tribunal seront à nouveau tranchées par la grande chambre de la Cour dans l’affaire Kendrion/Commission (C‑50/12, pendante devant la Cour, les conclusions de l’avocat général Sharpston ayant été rendues le 30 mai 2013), à savoir inter alia la portée de l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité (dans lequel la Cour a réduit l’amende eu égard à la durée excessive de la procédure devant le Tribunal), au regard de l’arrêt du 16 juillet 2009, Der GrünePunkt – Duales System Deutschland/Commission (C‑385/07 P, Rec. p. I‑6155) (où aucune amende n’avait été infligée et où la Cour a indiqué à la requérante qu’elle pouvait introduire un recours en indemnité devant le Tribunal).


15 –      Arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, points 116 et 117 ainsi que jurisprudence citée).


16 –      Un arrêt de la Cour confirmant la validité d’un acte des institutions de l’Union ne saurait être considéré comme un élément qui permette d’invoquer un moyen nouveau, étant donné qu’il ne fait que confirmer une situation juridique connue des requérantes au moment de l’introduction de leur recours (voir arrêt du 1er avril 1982, Dürbeck/Commission, 11/81, Rec. p. 1251, point 17).


17 –      Voir arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 71 à 73 et jurisprudence citée), et du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission (C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, point 104).


18 –      La Commission a expliqué dans ses mémoires devant le Tribunal (point 15 du mémoire en défense) que les allégations de Telefónica étaient manifestement inopérantes, puisque tous les points sur lesquels Telefónica a affirmé ne pas avoir eu l’occasion de s’exprimer étaient des éléments de motivation surabondants.


19 –      Arrêt du 26 novembre 1998 (C‑7/97, Rec. p. I‑7791).


20 –      Arrêt du 28 juin 2005 (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425).


21 –      Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (JO L 108, p. 33).


22 –      Points 276, 289, 293, 295, 330, 336, 366, 371, 374 et 482 de la requête.


23 –      Points 276, 288, 289, 295 et 298 de la requête.


24 –      Voir points 295 et 482 de la requête et arrêt du Tribunal du 30 novembre 2000 (T‑5/97, Rec. p. II‑3755).


25 –      Décision dans laquelle la Commission a adopté des mesures conservatoires et a expliqué les conditions qui doivent être remplies pour que ce comportement puisse être considéré comme abusif [décision 76/185/CECA de la Commission, du 29 octobre 1975, adoptant des mesures conservatoires concernant le National Coal Board, la National Smokeless Fuels Ltd et la National Carbonizing Company Ltd (JO 1976, L 35, p. 6)].


26 –      Voir décision 88/518/CEE de la Commission, du 18 juillet 1988, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (IV/30.178 – Napier Brown – British Sugar) (JO L 284, p. 41, considérant 66).


27 –      Il peut être observé que, selon l’arrêt TeliaSonera Sverige, précité (point 69), c’est dans le cadre de l’appréciation des effets de la compression des marges que le caractère indispensable du produit peut être pertinent. Voir également conclusions de l’avocat général Mazák dans cette affaire.


28 –      JO 1998, C 265, p. 2 (points 117 à 119).


29 –      Décision de la Commission du 16 juillet 2003 relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (affaire COMP/38.233 – Wanadoo Interactive, ci-après la «décision Wanadoo Interactive»). À cet égard, voir arrêt du 2 avril 2009, France Télécom/Commission (C‑202/07 P, Rec. p. I‑2369), ainsi que conclusions de l’avocat général Mazák dans cette affaire. Néanmoins, ainsi que ce dernier l’a noté dans ses conclusions (point 57) dans l’affaire TeliaSonera Sverige, précitée, «alors que les marchés dynamiques ou en forte croissance ne sont pas exonérés de l’application de l’article 102 TFUE, il n’en demeure pas moins que, si cela se justifie, la Commission [devrait] intervenir sur de tels marchés en adoptant une prudence particulière, modifiant, en cas de nécessité, [son] approche standard, comme cela a été fait avec succès dans l’affaire Wanadoo [Interactive]».


30 –      Respectivement, arrêts du 29 juin 2006 (C‑289/04 P, Rec. p. I‑5859), et du 17 juin 2010 (C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361).


31 –      Voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, dit entente du«Carton» (C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, points 91 à 101).


32 –      Arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, point 104). Voir aussi arrêts du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission (C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 205), et du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission (C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 233).


33 –      Voir arrêt Tomra Systems e.a./Commission, précité (point 105) et, dans le même sens, Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité (point 227).


34 –      Voir arrêt du Tribunal du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission (T‑155/06, Rec. p. II‑4361, point 314).


35 –      Voir arrêt de la Cour Tomra Systems e.a./Commission, précité (point 106) et, dans le même sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, dit «Pioneer» (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109).


36 –      Voir arrêt de la Cour Tomra Systems e.a./Commission, précité (point 107) ainsi que, dans le même sens, arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission (C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33).


37 –      Arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006 (T‑59/02, Rec. p. II‑3627, point 316 et jurisprudence citée). Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt du Tribunal du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission (T‑360/09, point 262). Je remarque que ledit arrêt Archer Daniels Midland/Commission a été annulé par la Cour pour des raisons qui ne tiennent nullement à ce point (arrêt du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843).


38 –      Arrêt du Tribunal du 6 avril 1995 (T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 142).


39 –      Voir, entre autres, arrêts du Tribunal Archer Daniels Midland/Commission, précité, (point 315); du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission (T‑138/07, Rec. p. II‑4819, point 105), ainsi que du 12 décembre 2012, Novácke chemické závody/Commission (T‑352/09, point 44).


40 –      Arrêts du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission (C‑389/10 P, Rec. p. I‑13125); KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, Rec. p. I‑12789, ci-après l’«arrêt KME e.a./Commission»), et Chalkor/Commission (C‑386/10 P, Rec. p. I‑13085) (ci-après, tous les trois ensemble, les «arrêts Chalkor et KME»), ainsi que arrêt de la Cour eur. D. H., A. Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011 (requête no 43509/08).


41 –      J’ajoute que cette jurisprudence a été réaffirmée notamment par les arrêts du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission (C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, points 149 et 150), ainsi que du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 463 et 464).


42 –      À savoir ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission (C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54), et arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission (T‑49/95, Rec. p. II‑1799, point 51).


43 –      Il peut être relevé, à cet égard, que les lignes directrices de 2006 représentent une certaine avancée, dans la mesure où il y est entre autres indiqué que le montant de base sera fixé par référence à la valeur des ventes. Voir la communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003» (JO 2006, C 210, p. 2, points 12 à 26).


44 –      Arrêt 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 91).


45 –      Voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 155), lequel cite, notamment, arrêts du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission (73/74, Rec. p. 1491, point 31), ainsi que du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret (C‑295/07 P, Rec. p. I‑9363, point 44). Voir, également, arrêts du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission (C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 15), et du 8 novembre 2001, Silos (C‑228/99, Rec. p. I‑8401, point 28), ainsi que, en ce sens, arrêt du 20 novembre 1997, Moskof (C‑244/95, Rec. p. I‑6441, point 54).


46 –      Si la Commission n’a pas de problème avec la communication de la méthode du calcul de la sanction dans les procédures de double manquement – en gardant néanmoins une marge d’appréciation dans la fixation du coefficient applicable à chaque critère – il est difficilement défendable qu’elle refuse d’être transparente lors du calcul d’amende en matière d’ententes (ce qui permettrait au Tribunal d’exercer pleinement son pouvoir de pleine juridiction). Voir également De Bronett, G.-K., Ein Vergleich zwischen Kartellgeldbußen gegen Unternehmen und «Pauschalbeträgen» gegen Mitgliedstaaten wegen Verstoß gegen EU-Recht, ZWeR 2013, pp. 38‑53. Par ailleurs, l’existence même des lignes directrices de la Commission indique bien que la marge d’appréciation de cette dernière n’est nullement illimitée. À cet égard, l’approche suivie aux États-Unis me paraît la meilleure, dans la mesure où les «sentencing guidelines» (lignes directrices sur les condamnations) permettent de prédire le niveau de l’amende (et la durée de la peine de prison) avec un degré assez élevé de précision (voir le Sentencing Reform Act 1984 et le US Sentencing Commission Guidelines Manual sur www.ussc.gov, ainsi que Whish, R., et Bailey, D., Competition Law, Oxford, 7e éd., 2012, p. 276).


47 –      Aux termes de son article 172, «[l]es règlements établis par le Conseil en vertu des dispositions du présent Traité peuvent attribuer à la Cour de justice une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements». Aux termes de l’article 17 du règlement no 17, «[l]a Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article 172 du traité sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée».


48 –      Voir aussi point 63 de l’arrêt Chalkor/Commission, précité, et, dans le même sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité (point 692).


49 –      Aux termes de l’article 261 TFUE, «[l]es règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, et par le Conseil en vertu des dispositions des traités peuvent attribuer à la Cour de justice de l’Union européenne une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements». En vertu de l’article 31 du règlement no 1/2003, «[l]a Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée».


50 –      Aujourd’hui au Tribunal dans le cadre des recours introduits contre les décisions de la Commission imposant une amende.


51 –      Voir arrêt Chalkor/Commission, précité (point 65).


52 –      Voir ses conclusions présentées dans l’affaire Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (arrêt du 19 juillet 2012, C‑628/10 P et C‑14/11 P, points 95 et suiv.).


53 –      Voir arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, Rec. p. I‑13849, points 30 et 31); du 28 juillet 2011, Samba Diouf (C‑69/10, Rec. p. I‑7151, point 49), et KME e.a./Commission, précité (point 92). Voir, également, ordonnance du 1er mars 2011, Chartry (C‑457/09, Rec. p. I‑819, point 25).


54 –      Voir, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13); du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a. (C‑133/93, C‑300/93 et C‑362/93, Rec. p. I‑4863, point 41), et du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C‑189/01, Rec. p. I‑5689, point 81).


55 –      Je me rallie ici aux points 103 à 131 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire E.ON Energie/Commission (arrêt du 22 novembre 2012, C‑89/11 P, où il fait notamment référence à la jurisprudence de la Cour eur. D. H. Schmautzer c. Autriche du 23 octobre 1995, série A no 328‑A; Valico S.R.L. c. Italie du 10 janvier 2001, Recueil des arrêts et décisions 2006‑III, et Menarini, précité). Certes – alors que dans ses conclusions il a proposé d’annuler l’arrêt du Tribunal en tant que ce dernier n’avais pas exercé son pouvoir de pleine juridiction dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de l’amende infligée à E.ON Energie et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur la proportionnalité de ladite amende – la Cour, pour sa part, a rejeté le pourvoi. Néanmoins, en lisant ledit arrêt de la Cour, on peut constater que la Cour n’est pas en désaccord avec l’avocat général Bot sur les principes, mais elle démontre que – en l’occurrence – le Tribunal avait exercé son pouvoir de pleine juridiction et avait pu constater sans commettre d’erreur de droit que l’amende était proportionnée. Sachant que la Commission aurait pu infliger à E.ON Energie une amende de 10 % de son chiffre d’affaires annuel si elle avait établi l’existence de pratiques anticoncurrentielles, le Tribunal avait estimé que l’amende de 38 millions d’euros infligée pour bris de scellé, représentant 0,14 % du chiffre d’affaires annuel de E.ON Energie, ne pouvait être considérée comme excessive au regard de la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de cette sanction.


56 –      Arrêt du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil (C‑227/04 P, Rec. p. I‑6767, point 63).


57 –      Arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité (point 147).


58 –      Voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission (C‑338/00 P, Rec. p. I‑9189).


59 –      Arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000 (T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 347 et jurisprudence citée). L’arrêt de la Cour est cité à la note précédente.


60 –      Voir Mengozzi, P., «La compétence de pleine juridiction du juge communautaire», Liber Amicorum en l’honneur de Bo Vesterdorf, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 219 à 236.


61 –      Dans ce contexte, voir, également, Nehl, H. P., «Kontrolle kartellrechtlicher Sanktionsentscheidungen der Kommission durch die Unionsgerichte», dans Immenga, U. et Körber, T. (éd.), Die Kommission zwischen Gestaltungsmacht und Rechtsbindung, Nomos, 2012, p. 139 et 140 («[d]ie mit dieser Neuorientierung einhergehende Rückbesinnung des Gerichtshofs auf das ‘hard law’ anstelle des ‘soft law’ zum Zweck der gerichtlichen Kontrolle der Ausübung des Ermessens der Kommission bei der Geldbußenbemessung ist sehr zu begrüßen»).


62 –      Voir son article «La protection des droits et des garanties fondamentales en droit de la concurrence» dans De Rome à Lisbonne: mélanges en l’honneur de Paolo Mengozzi, Bruylant, 2013, p. 175 à 192.


63 –      Voir arrêt KME Germany e.a./Commission, précité (point 136). Même pour le contrôle de légalité et les appréciations économiques complexes, le point 94 de l’arrêt KME e.a./Commission, précité, précise que, «[s]’agissant du contrôle de légalité, la Cour a jugé que si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge de l’Union doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées […]» (c’est moi qui souligne). De même la Cour AELE, dans son arrêt Posten Norge (arrêt du 18 avril 2012, E‑15/10, points 100 et 101) a jugé que «it must be recalled that Article 6(1) ECHR requires that subsequent control of a criminal sanction imposed by an administrative body must be undertaken by a judicial body that has full jurisdiction. Thus, the Court must be able to quash in all respects, on questions of fact and of law, the challenged decision (see, for comparison, European Court of Human Rights Janosevic v. Sweden, no 34619/97, § 81, Reports of Judgments and Decisions 2002‑VII, and [Menarini, précité], § 59). Therefore, when imposing fines for infringement of the competition rules, [EFTA Surveillance Authority (ESA)] cannot be regarded to have any margin of discretion in the assessment of complex economic matters which goes beyond the leeway that necessarily flows from the limitations inherent in the system of legality review […] Furthermore […] in a case which is covered by the guarantees of the criminal head of Article 6 ECHR, the question whether the evidence is capable of substantiating the conclusions drawn from it by the competition authority must be answered having regard to the presumption of innocence. Thus, although the Court may not replace ESA’s assessment by its own and, accordingly, it does not affect the legality of ESA’s assessment if the Court merely disagrees with the weighing of individual factors in a complex assessment of economic evidence, the Court must nonetheless be convinced that the conclusions drawn by ESA are supported by the facts» (c’est moi qui souligne).


64 –      Arrêt du 16 novembre 2000 (C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 55).


65 –      Cette lecture des arrêts précités Chalkor et KME ainsi que Menarini est également soutenue notamment par Wesseling, R., et van der Woude, M., «The lawfulness and acceptability of enforcement of European cartel law», World Competition, vol. 35, numéro 4 (2012), p. 573 à 598.


66 –      Arrêt du Tribunal du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission (T‑11/06, Rec. p. II‑6681, points 265 et 266). Voir, dans le même sens, arrêts Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité (point 692); du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, point 61), ainsi que du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 86).


67 –      Voir aussi arrêts du 11 décembre 2003, Ventouris/Commission (T‑59/99, Rec. p. II‑5257), et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181).


68 –      Voir arrêt Groupe Danone/Commission, précité (points 56 et 61 à 63).


69 –      Voir ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins (C‑286/11 P, point 40). Voir également Mengozzi, P., «La compétence de pleine juridiction du juge communautaire», op. cit., p. 227.


70 –      Voir Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité (point 445). Voir également, notamment, arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 235), et du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission (T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 200).


71 –      L’avocat général Mengozzi rappelle à juste titre (à la note 20 de ses conclusions) que la Cour a confirmé à plusieurs reprises que le contrôle du Tribunal sur les amendes infligées par la Commission vise à vérifier le caractère approprié du montant retenu eu égard aux circonstances du litige dont il est saisi. Voir, à cet égard, notamment, arrêts du 16 novembre 2000, Cascades/Commission (C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 42 et 48), ainsi que Mo och Domsjö/Commission (C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, points 42 et 48).


72 –      Conformément à la jurisprudence de la Cour mentionnée à la note 66 des présentes conclusions.


73 –      Voir, à cet égard, arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, Rec. p. 223, points 51 et 52), et Baustahlgewebe/Commission, précité (point 141), ainsi que arrêts du Tribunal Tokai Carbon e.a./Commission, précité (point 274), et du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission (T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 227).


74 –      L’avocat général Mengozzi ajoute que cela permet aussi de comprendre pourquoi, par exemple, dans son arrêt du 28 mars 1984, Officine Bertoli/Commission (8/83, Rec. p. 1649, point 29), la Cour a jugé que, bien que le moyen invoqué par la requérante à l’appui de sa demande de réduction du montant de l’amende ne puisse être accueilli, certaines circonstances particulières à cette affaire justifiaient une réduction pour des motifs d’équité.


75 –      Arrêtdu 3 mars 2011 (T‑122/07 à T‑124/07, Rec. p. II‑793, voir notamment points 153 et 154). Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi actuellement pendant devant la Cour (affaires jointes C‑231/11 P à C‑233/11 P (Commission/Siemens Österreich e.a.). Les conclusions de l’avocat général Mengozzi ont été présentées le 19 septembre 2013.


76 –      Arrêt du 27 juillet 2005 (T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 170).


77 –      Arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994 (T‑77/92, Rec. p. II‑549, points 94 et 95).


78 –      Voir, également, arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Putters International/Commission (T‑211/08, Rec. p. II‑3729); du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission (T‑43/92, Rec. p. II‑441); Tokai Carbon e.a./Commission, précité, et du 16 juin 2011, Bavaria/Commission (T‑235/07, Rec. p. II‑3229), affaires dans lesquelles le Tribunal a substitué sa propre appréciation à celle de la Commission ou a analysé le caractère approprié de l’amende.


79 –      Arrêt du 2 février 2012, T‑77/08 (point 148). Actuellement cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi pendant devant la Cour (voir affaire C‑179/12 P).


80 –      Arrêt du 12 décembre 2007 (T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949).


81 –      Respectivement, décisions C(2004) 900 de la Commission, du 24 mars 2004, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (affaire COMP/C‑3/37.792 – Microsoft), C(2005) 4420 final de la Commission, du 12 juillet 2006, C(2008) 764 final de la Commission, du 27 février 2008, fixant le montant définitif de l’astreinte infligée à Microsoft Corp. par la décision «Microsoft», précitée, et C(2013) 1210 final de la Commission, du 6 mars 2013.


82 –      Décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, dans l’affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel.


83 –      Décision C(2008) 6815 final de la Commission, du 12 novembre 2008, dans l’affaire COMP/39.125 – Verre automobile.


84 –      Décision C(2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, dans l’affaire COMP/F/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse.


85 –      Décision C(2007) 512 final de la Commission, du 21 février 2007, dans l’affaire COMP/E‑1/38.823 – Ascenseurs et escaliers mécaniques.


86 –      Décision C(2012) 8839 final de la Commission, du 5 décembre 2012, dans l’affaire COMP/39.437 – Tubes pour téléviseurs et écrans d’ordinateur.


87 –      Voir points 129 à 133 de ses conclusions dans cette affaire.


88 –      En effet, «l’adjonction à la Cour du Tribunal et l’institution d’un double degré de juridiction, d’une part, visaient à améliorer la protection juridictionnelle des justiciables, notamment pour les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes, et, d’autre part, avaient pour but de maintenir la qualité et l’efficacité du contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique [de l’Union]» (arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 41).


89 –      À titre d’exemple d’un exercice complet de la compétence de pleine juridiction, référence peut être faite au United Kingdom Competition Appeal Tribunal (CAT), en tant qu’il effectue sa propre appréciation du montant de l’amende sur la base d’une approche très exhaustive, prenant l’affaire dans son ensemble (voir, notamment, arrêts no 1114/1/1/09 Kier Group plc v OFT [2011] CAT 3, et no 1099/1/2/08 National Grid plc v Gas and Electricity Markets Authority [2009] CAT 14).


90 –      Décision 2001/354/CE de la Commission, du 20 mars 2001, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] (Affaire COMP/35.141 – Deutsche Post AG) (JO L 125, p. 27).


91 –      Il est vrai que «la concision est le secret d’un bon mot d’esprit» («brevity is the soul of wit») (Shakespeare, Hamlet, 1602), mais la pleine juridiction requiert plus qu’un bon mot d’esprit!


92 –      Concernant la détermination du montant de l’amende, voir notamment arrêt Nintendo/Commission (T‑13/03, Rec. p. II‑975, point 170).


93 –      Voir lignes directrices de 1998, Section 1, A, dernier point.


94 –      Décision C (2005) 1757 final de la Commission, du 15 juin 2005, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/A.37.507/F3 – AstraZeneca).


95 –      Voir lignes directrices de 1998, section 1, A.


96 –      «Comme cela a été établi dans la section A.1 ci-dessus, l’abus de Telefónica n’est pas nouveau mais est au contraire un abus caractérisé pour lequel il existe des précédents. En particulier, après l’affaire Deutsche Telekom (publiée en octobre 2003) les conditions de l’application de l’article 82 à une activité économique relevant d’une régulation sectorielle ex ante spécifique étaient dans une large mesure clarifiées et connues de Telefónica» (considérant 740 de la décision litigieuse).


97 –      Arrêt du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission (T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947, point 528).


98 –      Ainsi que l’avocat général Mazák l’a noté dans ses conclusions (note 41) dans l’affaire TeliaSonera Sverige, précitée, «[u]ne partie de la doctrine a suggéré que l’affaire Deutsche Telekom/Commission (précitée […]) aurait plutôt dû être analysée comme étant une affaire portant sur des prix prédateurs, alors que l’affaire France Télécom/Commission ([Wanadoo Interactive,précitée]) aurait dû être une affaire de [ciseau tarifaire] (lors de la procédure orale, la Commission n’était pas en désaccord avec ce point; cependant, elle a signalé qu’elle avait décidé de traiter France Télécom comme une affaire de prix prédateurs, étant donné que l’entité en aval (Wanadoo [Interactive]) n’appartenait pas à 100 % à France Télécom)».


99 –      Selon les requérantes, en 2006, la dernière année de l’infraction présumée, le chiffre d’affaires du groupe Telefónica était de 52 901 millions d’euros, celui du groupe France Telecom de 46 630 millions d’euros en 2002, et celui de Deutsche Telekom s’élevait à 55 838 millions d’euros en 2003.


100 –      Telefónica a insisté dans sa réplique au point 284 que la réglementation espagnole était plus stricte que la réglementation allemande pendant la période litigieuse, compte tenu, notamment, du fait que i) le système retail minus appliqué par la CMT avait précisément pour objectif d’éviter le phénomène de ciseau tarifaire contrairement au système de prix maximaux pratiqué en Allemagne pendant la période de l’infraction, système qui permettait d’appliquer des compensations entre différents produits appartenant à une même «corbeille», et du fait que ii) jusqu’au mois de novembre 2003, la CMT fixait les prix de détail (tandis que l’autorité allemande fixait des prix de détail maximaux et non fixes) et, par la suite, devait approuver, ex ante, toutes les initiatives de prix de détail de Telefónica appliqués aux nouveaux services et aux promotions et que, pour ce faire, elle vérifiait l’existence d’une marge suffisante entre les prix de gros et les prix de détail.


101 –      Le Tribunal se contente d’une simple référence à la puissance économique de Telefónica. Or, ainsi qu’il est indiqué à la note 99 des présentes conclusions, les chiffres d’affaires étaient très comparables. En termes de capitalisation boursière, Deutsche Telekom et Telefónica étaient aussi dans une situation comparable, selon les sources citées par la Commission dans la décision litigieuse (voir page 22 du rapport annuel de Telefónica, cité à la note 791 de la décision litigieuse. La capitalisation boursière de Telefónica et celle de Deutsche Telekom s’élevaient respectivement à 74 113 et à 70 034 millions de dollars en 2005, et à 104 722 et 80 371 millions de dollars en 2006).


102 –      Décision Deutsche Telekom (points 206, 207 et 211).