Language of document : ECLI:EU:T:2023:15

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

25 janvier 2023 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents concernant une procédure législative en cours – Groupes de travail du Conseil – Documents concernant une proposition législative ayant pour objet la modification de la directive 2013/34/UE relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises – Refus partiel d’accès – Recours en annulation – Intérêt à agir – Recevabilité – Article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection du processus décisionnel »

Dans l’affaire T‑163/21,

Emilio De Capitani, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me O. Brouwer, avocat, et Mme S. Gallagher, solicitor,

partie requérante,

soutenu par

Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents,

par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman, M.H.S. Gijzen et M. J. Langer, en qualité d’agents,

par

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

et par

Royaume de Suède, représenté par Mmes C. Meyer-Seitz et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Bauerschmidt et Mme K. Pavlaki, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de M. A. Kornezov (rapporteur), président, M. E. Buttigieg, Mme K. Kowalik-Bańczyk, MM. G. Hesse et D. Petrlík, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Emilio De Capitani, demande l’annulation de la décision SGS 21/000067 du Conseil de l’Union européenne, du 14 janvier 2021, par laquelle celui-ci lui a refusé l’accès à certains documents, portant le code « WK », échangés au sein des groupes de travail du Conseil dans le cadre de la procédure législative 2016/0107 (COD), ayant pour objet la modification de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil (JO 2013, L 182, p. 19) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 15 octobre 2020, le requérant a présenté, en vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), une demande d’accès à certains documents échangés au sein du groupe de travail « Droit des sociétés » du Conseil relatifs à la procédure législative 2016/0107 (COD), en cours au moment de la demande.

3        Le 10 novembre 2020, le Conseil a fait partiellement droit à cette demande, en communiquant au requérant sept documents et en refusant l’accès à l’intégralité de sept autres documents, à savoir ceux portant les références WK 6662/18, WK 14969/17 REV 1, WK 14969/17 INIT, WK 5230/17, WK 12197/17, WK 12197/17 REV1 et WK 10931/17 (ci-après les « documents litigieux »), au motif, en substance, que leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel du Conseil au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

4        Le 25 novembre 2020, le requérant a présenté au Conseil une demande confirmative dans laquelle il a réitéré sa demande d’accès aux documents litigieux.

5        Le 14 janvier 2021, le Conseil a adopté la décision attaquée par laquelle il a confirmé son refus de donner accès aux documents litigieux sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

 Conclusions des parties

6        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

7        Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

8        Les intervenants, le Royaume de Belgique, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède, déclarent soutenir les conclusions du requérant.

 En droit

 Sur la persistance de l’intérêt à agir du requérant

9        Sans soulever formellement, par acte séparé, une exception de non-lieu à statuer, le Conseil soutient que l’intérêt à agir du requérant a disparu en cours d’instance au motif que, par lettre du 14 juin 2021, le Conseil lui a communiqué l’intégralité des documents litigieux. Ainsi, le recours ne serait plus susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice au requérant et serait donc devenu sans objet.

10      Le requérant, soutenu à cet égard par le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède, conteste la disparition de son intérêt à agir en cours d’instance. D’une part, il fait valoir qu’il n’a pas eu accès aux documents litigieux en temps utile, c’est-à-dire à un stade qui lui aurait permis d’exercer pleinement et effectivement ses droits de citoyen européen dans une société démocratique en ce qui concernait la procédure législative en cause. D’autre part, il estime conserver un intérêt à agir consistant à ce que l’illégalité commise par le Conseil ne se reproduise pas à l’avenir.

11      À cet égard, il convient de rappeler que l’intérêt à agir d’une partie requérante doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 21 janvier 2021, Leino-Sandberg/Parlement, C‑761/18 P, EU:C:2021:52, point 32 et jurisprudence citée).

12      En l’occurrence, il n’est pas contesté que les documents litigieux ont été communiqués par le Conseil au requérant le 14 juin 2021, c’est-à-dire à la suite de l’introduction du présent recours. Pour autant, la décision attaquée n’a pas été formellement retirée par le Conseil, de sorte que le litige a conservé son objet (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 45, et du 21 janvier 2021, Leino-Sandberg/Parlement, C‑761/18 P, EU:C:2021:52, point 33 et jurisprudence citée).

13      Dès lors, il convient d’examiner, conformément à la jurisprudence de la Cour, citée au point 11 ci-dessus, si le requérant pouvait encore se prévaloir, en dépit de cette divulgation, d’un intérêt à agir, ce qui implique de déterminer si le requérant a obtenu, par ladite divulgation, pleine satisfaction au regard des objectifs qu’il poursuivait par sa demande d’accès aux documents concernés, ce qui implique de déterminer si cette divulgation a eu lieu en temps utile (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 47 et jurisprudence citée, et du 21 janvier 2021, Leino-Sandberg/Parlement, C‑761/18 P, EU:C:2021:52, point 34).

14      À cet égard, comme le font valoir, en substance, le requérant et la République de Finlande, par sa demande initiale du 15 octobre 2020 et par sa demande confirmative du 25 novembre 2020, le requérant a cherché à obtenir l’accès aux documents litigieux afin de connaître les positions exprimées par les États membres au sein du Conseil, ce dernier agissant en sa qualité de colégislateur, et de pouvoir, le cas échéant, en informer la société et susciter un débat à cet égard avant que cette institution n’établisse sa position dans la procédure législative en cause.

15      Or, en l’espèce, la divulgation des documents litigieux n’a eu lieu qu’après que le Conseil eut adopté, le 3 mars 2021, sa position de négociation dans ladite procédure et après l’accord convenu le 1er juin 2021, dans le cadre des trilogues interinstitutionnels.

16      La divulgation des documents litigieux n’a donc pas eu lieu en temps utile au regard des objectifs d’informer la société et de susciter un débat que le requérant poursuivait par sa demande d’accès auxdits documents, au sens de la jurisprudence citée au point 13 ci-dessus (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59, et du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 33). En effet, au moment de cette divulgation, la position du Conseil avait été arrêtée et un accord interinstitutionnel avait été atteint dans le cadre des trilogues. Si, certes, à ce moment, la procédure législative n’avait pas encore été formellement achevée, il n’en reste pas moins que, le plus souvent, les accords convenus dans le cadre des trilogues sont, par la suite, adoptés par les colégislateurs sans modifications substantielles (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 72).

17      Dès lors, par la divulgation des documents litigieux, le requérant n’a pas obtenu pleine satisfaction au regard des objectifs qu’il poursuivait par sa demande d’accès auxdits documents.

18      Partant, il y a lieu d’écarter l’argumentation du Conseil tirée d’une disparition de l’intérêt à agir du requérant en cours d’instance.

 Sur le fond

19      Le requérant présente, à l’appui du recours, deux moyens à titre principal, tirés, le premier, d’une méconnaissance de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 et d’un défaut de motivation concernant la question de savoir si la divulgation des documents litigieux porterait gravement atteinte au processus décisionnel et, le second, d’une méconnaissance de la même disposition et d’un défaut de motivation concernant l’absence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation desdits documents. Il soulève également, à titre subsidiaire, un troisième moyen, tiré de la méconnaissance de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 et d’un défaut de motivation.

20      Le premier moyen comporte, en substance, deux branches, concernant, la première, l’applicabilité de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 aux documents législatifs, et, la seconde, l’application en l’espèce de cette exception.

 Sur l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 aux documents législatifs

21      Le requérant fait valoir que, en refusant l’accès aux documents litigieux, lesquels seraient, en substance, des documents législatifs, sur la base de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, le Conseil a méconnu la nouvelle dimension constitutionnelle en matière d’accès aux documents établis dans le cadre des procédures législatives, instaurée par le traité FUE et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Ainsi, contrairement à l’ancien article 207, paragraphe 3, CE, qui autorisait jadis le Conseil à déterminer les cas dans lesquels il devait être considéré comme agissant en sa qualité de législateur afin de permettre un meilleur accès aux documents dans ces cas, tout en préservant l’efficacité de son processus de prise de décision, le traité FUE et la Charte ne mentionneraient plus une quelconque exception relative à la protection du processus décisionnel dans le cadre des procédures législatives. Il existerait donc des tensions juridiques entre, d’une part, l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, lequel aurait été adopté sur la base d’anciennes interprétations du principe de transparence découlant du traité CE, et, d’autre part, l’article 15, paragraphe 2, TFUE et l’article 42 de la Charte. Partant, le Conseil serait tenu de se conformer directement aux obligations que lui imposent le traité FUE et la Charte, lesquels ne lui conféreraient aucun pouvoir discrétionnaire l’autorisant à refuser l’accès à des documents établis dans le cadre d’une procédure législative.

22      Dans la réplique, le requérant précise que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ne serait plus applicable aux débats législatifs et aux documents qui y sont afférents. Il ajoute que d’autres exceptions, telles que celles prévues à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1049/2001 demeureraient, en revanche, pertinentes en ce qui concerne l’accès aux documents législatifs et que l’article 15, paragraphe 3, TFUE doit être compris comme faisant référence à ce type d’exceptions.

23      Le Conseil rétorque que le requérant confond deux dimensions différentes de la transparence législative, à savoir, d’une part, celle relative aux réunions du Parlement européen et du Conseil dans lesquelles leurs membres respectifs délibèrent sur des projets d’actes législatifs et, d’autre part, celle concernant l’accès aux documents relatifs aux procédures législatives. L’article 15, paragraphe 2, TFUE viserait cette première dimension et ne serait donc pas pertinent en l’espèce. En effet, cette disposition devrait être comprise comme faisant référence au Conseil dans sa composition comprenant les représentants au niveau ministériel, habilités à engager le gouvernement de l’État membre qu’ils représentent et à exercer le droit de vote, conformément à l’article 16, paragraphe 2, TUE. En revanche, la seconde dimension de la transparence législative, à savoir celle visée par l’article 15, paragraphe 3, TFUE, ne prévoirait pas de droit inconditionnel d’accès aux documents, y compris législatifs.

24      Dans la duplique, le Conseil soutient que l’argument du requérant selon lequel l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 ne pourrait plus s’appliquer aux documents élaborés dans le cadre d’une procédure législative après l’entrée en vigueur du traité FUE et de la Charte constituerait une « nouvelle exception d’illégalité » soulevée pour la première fois au stade de la réplique et, dès lors, un moyen nouveau, devant être déclaré irrecevable. Il demande, en outre, dans l’hypothèse où ce « nouveau moyen » devrait être considéré comme étant recevable, qu’une mesure d’organisation de la procédure soit adoptée en application de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal afin d’inviter le Parlement et la Commission européenne à prendre position sur la prétendue illégalité de ladite disposition.

25      Interrogé sur ce point dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le requérant conteste la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, en faisant valoir, en substance, que la requête exposait déjà clairement l’argument selon lequel, depuis l’entrée en vigueur du traité FUE et de la Charte, il existerait une tension juridique entre l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 et le droit primaire, notamment l’article 15, paragraphe 2, TFUE, et que, partant, le Conseil devait se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu du droit primaire en rendant les documents législatifs accessibles au public.

–       Sur la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil

26      Selon une jurisprudence constante concernant l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou avec les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse [voir arrêt du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement/Commission, T‑380/17, EU:T:2020:471, point 87 (non publié) et jurisprudence citée].

27      En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans la requête, le requérant a clairement soutenu que l’article 15, paragraphe 2, TFUE et l’article 42 de la Charte devaient être interprétés en ce sens qu’ils ne conféraient au Conseil « aucun pouvoir discrétionnaire » pour refuser l’accès aux documents établis dans le cadre d’une procédure législative, que cette institution était tenue de se conformer « directement » aux obligations que lui imposaient les traités et que, dès lors, ladite institution avait procédé, dans le cas d’espèce, à une interprétation excessivement large de l’exception relative à la protection du processus décisionnel prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. Il a, en outre, fait valoir l’existence d’une « tension juridique » entre, d’une part, cette dernière disposition et, d’autre part, le traité FUE et la Charte.

28      Dans la réplique, le requérant ne fait que développer davantage ce volet de son argumentaire, en réponse aux arguments avancés par le Conseil dans le mémoire en défense. Il soutient notamment que l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 « ne peut plus s’appliquer » aux documents législatifs, puisque l’article 15, paragraphe 2, TFUE impose « directement » au législateur de l’Union européenne une obligation de transparence en ce qui concerne le processus législatif.

29      Il s’ensuit que le requérant n’a procédé, dans la réplique, qu’à une ampliation, tout au plus, d’un moyen énoncé dans la requête, qui doit être admise par le juge de l’Union.

30      Par ailleurs, contrairement à ce que prétend le Conseil, le requérant ne soulève aucune exception d’illégalité à l’encontre de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, ainsi qu’il l’a d’ailleurs confirmé lors de l’audience. En effet, par son argumentaire, le requérant ne considère pas que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 est illégal en tant que tel, car contraire au traité FUE et à la Charte, mais que cette disposition doit être interprétée à la lumière du traité FUE et de la Charte en ce sens qu’elle ne trouve pas à s’appliquer aux documents législatifs, tout en demeurant pleinement applicable à d’autres types de documents.

31      Pour le reste, il y a lieu de constater que, conformément à l’article 82 du règlement de procédure, une copie de la requête et du mémoire en défense a été transmise au Parlement et à la Commission pour leur permettre de constater si l’inapplicabilité de l’un de leurs actes était invoquée au sens de l’article 277 TFUE. Étant donné que l’argumentaire du requérant figurait déjà clairement dans la requête, il y a lieu de considérer que le Parlement et la Commission ont décidé de ne pas intervenir dans la présente affaire en toute connaissance de cause. Dès lors, il n’y a pas lieu de donner suite à la demande du Conseil visant à l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure à cet égard.

32      Partant, la fin de non-recevoir et la demande du Conseil visant à l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure doivent être écartées.

–       Sur le fond

33      Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où la divulgation de ce document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie ladite divulgation.

34      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 21 et 22 ci-dessus, le requérant soutient, en substance, que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ne saurait trouver à s’appliquer pour refuser l’accès aux documents échangés au sein des groupes de travail du Conseil dans le cadre d’une procédure législative à la suite de l’entrée en vigueur du traité FUE et de la Charte.

35      À cet égard, il convient d’observer que le Conseil ne conteste pas la nature législative des documents litigieux.

36      Dans ce contexte, il importe de souligner que le droit primaire de l’Union établit une relation de principe étroite qui lie les procédures législatives aux principes de publicité et de transparence (arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 77).

37      C’est précisément la transparence dans le processus législatif qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens de l’Union et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59).

38      Les principes de publicité et de transparence sont donc inhérents aux procédures législatives de l’Union (arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 81).

39      Pour autant, cela ne signifie pas que le droit primaire de l’Union prévoit un droit inconditionnel d’accès aux documents législatifs.

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 42 de la Charte énonce que tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, quel que soit leur support.

41      Les explications relatives à la Charte, publiées au Journal officiel de l’Union européenne du 14 décembre 2007 (JO 2007, C 303, p. 17), lesquelles doivent être prises dûment en considération lors de l’interprétation de la Charte par les juridictions de l’Union (voir cinquième considérant du préambule de la Charte), indiquent ce qui suit :

« Le droit garanti à [l’article 42] a été repris de l’article 255 du traité CE, sur la base duquel le règlement […] no 1049/2001 a ensuite été adopté. La Convention européenne a étendu ce droit aux documents des institutions, organes et agences en général, quelle que soit leur forme (voir l’article 15, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Conformément à l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, le droit d’accès aux documents est exercé dans les conditions et limites prévues à l’article 15, paragraphe 3, du traité [FUE] ».

42      Il s’ensuit que le droit d’accès aux documents, consacré à l’article 42 de la Charte, s’exerce « dans les conditions et limites prévues à l’article 15, paragraphe 3 », TFUE.

43      Cette interprétation est, en outre, conforme à l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, aux termes duquel les droits reconnus par la Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

44      Aux termes de l’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE, tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, quel que soit leur support, « sous réserve des principes et des conditions qui seront fixés conformément au présent paragraphe ». Le deuxième alinéa dudit paragraphe précise que « [l]es principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par voie de règlements par le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire ».

45      L’article 15, paragraphe 3, cinquième alinéa, TFUE, énonce que le Parlement et le Conseil assurent la publicité des documents relatifs aux procédures législatives « dans les conditions prévues par les règlements visés au deuxième alinéa » dudit paragraphe. Bien qu’elle mette ainsi en exergue le principe de publicité des documents législatifs, cette disposition ne prévoit pas pour autant que ces derniers doivent être rendus publics dans tous les cas et sans exception aucune, ce dont témoigne le renvoi aux « conditions » que les règlements peuvent prévoir à cet effet.

46      Il s’ensuit que le droit d’accès aux documents des institutions, y compris aux documents législatifs, des citoyens de l’Union et de toute personne résidant ou ayant son siège sur le territoire de l’Union s’exerce selon les principes généraux, les limites et les conditions fixés par voie de règlements. En effet, l’article 15, paragraphe 3, TFUE n’exclut pas les documents législatifs de son champ d’application.

47      Partant, les dispositions du traité FUE et de la Charte régissant le droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union prévoient que l’exercice de ce droit peut être soumis à des limites et à des conditions, prévues par voie de règlements, y compris en ce qui concerne l’accès à des documents législatifs.

48      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments avancés par le requérant.

49      Premièrement, l’argument du requérant selon lequel le règlement no 1049/2001 serait, en quelque sorte, devenu obsolète du fait qu’il a été adopté sur la base du traité CE et ne tiendrait donc pas compte des modifications apportées par le traité FUE et par la Charte ne saurait prospérer. En effet, comme cela a été rappelé au point 41 ci-dessus, les explications relatives à la Charte précisent que le droit garanti à l’article 42 « a été repris de l’article 255 du traité CE, sur la base duquel [ledit règlement] a ensuite été adopté ». Cette précision fait ainsi état de la continuité qui existe en la matière entre le traité CE et le traité FUE ainsi que du caractère toujours pertinent de ce règlement à la suite de l’entrée en vigueur de traité FUE et de la Charte. Si les auteurs de la Charte avaient voulu régir le droit d’accès aux documents de façon substantiellement différente de celle en vigueur sous l’empire du traité CE, ils l’auraient indiqué dans les explications relatives à celle-ci.

50      Deuxièmement, le requérant fait valoir que l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens que les « limites » au droit d’accès aux documents visées par cette disposition ont vocation à s’appliquer à d’autres types d’exceptions, tels que ceux prévus à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1049/2001, mais pas aux fins de la protection du processus décisionnel au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du même règlement.

51      Toutefois, l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE fait référence aux « limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice [du] droit d’accès aux documents », sans qu’aucune autre précision ni distinction soit faite en ce qui concerne la nature de ces limites. Partant, rien ne permet de conclure que les dispositions du traité FUE et de la Charte excluent par principe que l’accès à des documents législatifs puisse être refusé au motif que leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution en cause, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

52      Troisièmement, le requérant invoque, au soutien de sa thèse, l’article 15, paragraphe 2, TFUE. Aux termes de cette disposition, « [l]e Parlement européen siège en public, ainsi que le Conseil lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif. »

53      Il résulte du terme « siéger » que l’article 15, paragraphe 2, TFUE consacre le principe de publicité des débats législatifs lors des sessions du Parlement et du Conseil. En revanche, cette disposition ne concerne pas le droit d’accès aux documents ni les limites et les conditions pour l’exercice de ce droit, lesquels sont régis par l’article 15, paragraphe 3, TFUE et par l’article 42 de la Charte.

54      Le contexte normatif dans lequel s’inscrit le droit d’accès aux documents corrobore la conclusion figurant au point 47 ci-dessus.

55      En effet, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 1er TUE, ce traité « marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens ». L’article 10, paragraphe 3, TUE, prévoit, quant à lui, que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union et que les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens. De même, l’article 15, paragraphe 1, TFUE, énonce que, « [a]fin de promouvoir une bonne gouvernance, et d’assurer la participation de la société civile, les institutions, organes et organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture ».

56      L’ensemble de ces dispositions confirme que le principe d’ouverture, bien qu’il soit d’une importance fondamentale pour l’ordre juridique de l’Union, n’est pourtant pas absolu.

57      Enfin, le juge de l’Union a déjà eu l’occasion de préciser qu’il reste loisible aux institutions de l’Union de refuser, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à certains documents de nature législative dans des cas dûment justifiés (arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 112).

58      De même, dans son arrêt du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe (C‑280/11 P, EU:C:2013:671, points 36 à 40 et 62), la Cour a jugé, en substance, que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 avait vocation à s’appliquer aux documents législatifs et que, lors de l’application de cette disposition, le Tribunal devait tenir compte de l’équilibre entre le principe de transparence et la préservation de l’efficacité du processus décisionnel du Conseil.

59      Quant à l’argument du requérant selon lequel la jurisprudence relative à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 était fondée sur le traité CE et aurait donc été dépassée par le traité FUE, il suffit de constater que l’arrêt mentionné au point 57 ci-dessus a, quant à lui, été rendu à propos d’une décision prise bien après l’entrée en vigueur du traité FUE.

60      Enfin, si le requérant mentionne également l’article 41 de la Charte, cette disposition est dépourvue de pertinence pour la solution du présent litige, dès lors qu’elle concerne le droit d’accès de toute personne « au dossier qui la concerne ». Or, il est constant que les documents litigieux ne concernent pas spécifiquement le requérant.

61      Pour conclure, si, certes, l’accès aux documents législatifs doit être aussi large que possible, il n’en reste pas moins que les dispositions des traités et de la Charte invoquées par le requérant ne sauraient être interprétées en ce sens qu’elles excluent, par principe, que l’accès à de tels documents puisse être refusé au motif que leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution au cause, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

62      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur l’application au cas d’espèce de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001

63      Le requérant, soutenu par l’ensemble des intervenants, fait valoir, en substance, que le Conseil n’a pas démontré que la divulgation des documents litigieux porterait concrètement et effectivement atteinte à son processus décisionnel et que le risque d’une telle atteinte était raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique.

64      Le Conseil conteste les arguments du requérant en reprenant, en substance, les motifs retenus dans la décision attaquée.

65      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté de créer une Union dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le considérant 2 dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières.

66      À cette fin, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès qui soit le plus large possible (voir arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 58 et jurisprudence citée).

67      Ce droit n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Plus spécifiquement, et en conformité avec son considérant 11, le règlement no 1049/2001 prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (voir arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 59 et jurisprudence citée).

68      Dès lors que de telles exceptions dérogent au principe d’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (voir arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 61 et jurisprudence citée).

69      Lorsqu’une institution, un organe ou un organisme de l’Union saisi d’une demande d’accès à un document décide de rejeter cette demande sur le fondement de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par cette exception, le risque d’une telle atteinte devant être raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique (arrêts du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 51, et du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, points 63 à 65).

70      Selon la jurisprudence, l’atteinte au processus décisionnel au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 est « grave » lorsque, notamment, la divulgation des documents visés a un impact substantiel sur le processus décisionnel. L’appréciation de la gravité dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment des effets négatifs sur le processus décisionnel invoqués par l’institution quant à la divulgation des documents visés (arrêts du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 75 ; du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 71, et du 9 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, T‑516/11, non publié, EU:T:2014:759, point 62).

71      En l’espèce, les documents litigieux sont des documents échangés au sein du groupe de travail « Droit des sociétés » du Conseil. En particulier, les documents WK 5230/17, du 8 mai 2017, WK 10931/17, du 6 octobre 2017, WK 12197/17, du 27 octobre 2017 et WK 12197/17 REV1, du 18 juillet 2018, contiennent des commentaires et des modifications textuelles concrètes proposés par les délégations des États membres concernant l’ensemble de la proposition législative en cause, sous forme de tableaux récapitulatifs. Les documents WK 14969/17, du 19 décembre 2017, et WK 14969/17 REV 1, du 8 janvier 2018, contiennent des notes de la présidence du Conseil adressées au groupe de travail en cause dans lesquelles celle-ci a relevé, notamment, des erreurs de références croisées dans la proposition législative, proposé des modifications visant à clarifier le libellé d’une disposition et fait valoir un point devant encore faire l’objet de débats, à savoir celui de trouver une rédaction plus adéquate pour certaines dispositions afin d’éviter le risque de contournement de l’application de la directive pour certaines entreprises. Le document WK 6662/18, du 1er juin 2018, contient, quant à lui, unе invitation de la présidence à une réunion du groupe de travail visant à continuer le travail sur la proposition législative en cause, qui précise que les délégations sont conviées à prendre position notamment sur les propositions figurant dans les documents précédents.

72      Dans la décision attaquée, le Conseil a justifié son refus d’accès aux documents litigieux par plusieurs considérations.

73      Premièrement, au point 9 de la décision attaquée, le Conseil a souligné que le sujet de la transparence fiscale des entreprises multinationales était « hautement sensible » d’un point de vue politique.

74      À cet égard, il ressort de la version intégrale des documents litigieux, désormais divulgués, que ceux-ci comportent des propositions et des amendements de textes normatifs qui s’insèrent dans le jeu normal du processus législatif. Or, le Conseil n’identifie, que ce soit dans la décision attaquée ou devant le Tribunal, aucun aspect concret et spécifique de ces documents qui revêtirait un caractère particulièrement sensible.

75      De surcroît, il convient de relever, comme le rappelle d’ailleurs le Conseil lui-même dans la décision attaquée, que, dans ses conclusions du 18 décembre 2014, le Conseil européen a estimé qu’il était « urgent de redoubler d’efforts dans la lutte contre l’évasion fiscale et la planification fiscale agressive, à la fois au niveau mondial et au niveau de l’Union européenne » et que le Parlement avait adopté une résolution, le 16 décembre 2015, contenant des recommandations à la Commission en vue de favoriser la transparence, la coordination et la convergence des politiques en matière d’impôt sur les sociétés au sein de l’Union [2015/2010(INL)]. Ces documents témoignent de la grande importance pour les citoyens européens du sujet de la transparence fiscale des entreprises multinationales, ce qui milite plutôt en faveur d’un accès aussi large que possible aux documents législatifs s’y rapportant, et non en faveur d’un accès restreint. En effet, l’accès à l’ensemble des informations qui constituent le fondement de l’action législative de l’Union est une condition de l’exercice effectif par les citoyens de l’Union de leurs droits démocratiques, reconnus notamment à l’article 10, paragraphe 3, TUE (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 92).

76      Par conséquent, bien que se rapportant à des sujets d’une certaine importance, caractérisés, possiblement, par leur difficulté tant politique que juridique, rien dans la décision attaquée ne permet de considérer que le contenu des documents litigieux revêtait un caractère particulièrement sensible au sens où un intérêt fondamental de l’Union ou des États membres aurait été mis en cause en cas de divulgation (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 97 et jurisprudence citée). Par ailleurs, devant le Tribunal, le Conseil ne précise pas non plus les aspects concrets du contenu de ces documents qui revêtiraient un caractère particulièrement sensible.

77      Deuxièmement, au point 21 de la décision attaquée, le Conseil a fait valoir que la proposition législative en cause faisait l’objet de discussions en cours et que les documents litigieux n’étaient pas exhaustifs et ne reflétaient pas nécessairement les positions définitives des État membres.

78      À cet égard, il convient de rappeler que le caractère préliminaire des discussions relatives à la proposition législative en cause ne permet pas de justifier, en tant que tel, l’application de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. En effet, cette disposition ne fait pas de distinction en fonction de l’état d’avancement des discussions. Elle envisage de manière générale les documents qui ont trait à une question sur laquelle l’institution concernée « n’a pas encore pris de décision », par opposition à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, qui envisage le cas où l’institution concernée a pris une décision. En l’espèce, le caractère préliminaire des discussions en cours, comme le fait que ces propositions n’aient pas encore fait l’objet d’un consensus ou d’un compromis au sein du Conseil, ne permettent donc pas de caractériser une atteinte grave au processus décisionnel (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, EU:T:2011:105, points 75 et 76, et du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 100).

79      De même, selon la jurisprudence, une proposition est, par nature, faite pour être discutée et n’a pas vocation à rester inchangée à la suite de cette discussion. L’opinion publique est parfaitement à même de comprendre que l’auteur d’une proposition est susceptible d’en modifier le contenu par la suite. Précisément pour les mêmes raisons, l’auteur d’une demande d’accès à des documents législatifs dans le cadre d’une procédure en cours aura pleinement conscience du caractère provisoire des informations y figurant et du fait que celles-ci ont vocation à être modifiées tout au long des discussions dans le cadre des travaux préparatoires du groupe de travail du Conseil, jusqu’à ce qu’un accord sur l’ensemble du texte soit trouvé (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 102 et jurisprudence citée). En témoigne tout particulièrement l’objectif poursuivi en l’espèce par la demande d’accès, en ce que le requérant cherchait à connaître les positions exprimées par les États membres au sein du Conseil précisément afin de susciter un débat à cet égard avant que cette institution n’établisse sa position dans la procédure législative en cause (voir point 14 ci-dessus).

80      Troisièmement, le Conseil a relevé, au point 22 de la décision attaquée, que les éléments figurant dans les documents litigieux étaient le résultat de « négociations difficiles » entre les États membres et faisaient ressortir les difficultés qu’il devait encore résoudre avant de pouvoir parvenir à un accord.

81      Pourtant, dans la décision attaquée, le Conseil ne précise pas quels « éléments » concrets et spécifiques des documents litigieux auraient été sources de difficultés telles que leur divulgation aurait pu porter gravement atteinte à son processus décisionnel. Du reste, le motif selon lequel certaines des propositions de modification reflétées dans les documents litigieux devaient encore être discutées avant qu’un accord ne soit obtenu est trop général et susceptible de s’appliquer à tout document de nature législative élaboré ou échangé dans le cadre d’un groupe de travail du Conseil.

82      Quatrièmement, au point 23 de la décision attaquée, le Conseil a fait valoir que les documents litigieux contenaient des discussions libres et franches entre les États membres, dont la divulgation à ce stade des « négociations » nuirait à la confiance mutuelle qui préside aux travaux des groupes de travail du Conseil.

83      Pourtant, le Conseil n’a produit aucun élément tangible susceptible de démontrer que, s’agissant de la procédure législative en cause, l’accès aux documents litigieux aurait nui à la coopération loyale que se doivent les États membres. Le risque invoqué paraît ainsi hypothétique. Qui plus est, dès lors que les États membres extériorisent, dans le cadre des groupes de travail du Conseil, leur position respective sur une proposition législative donnée et sur l’évolution qu’elles acceptent de la voir prendre, le fait que ces éléments soient ensuite, sur demande, communiqués n’est pas, en soi, susceptible de faire obstacle à la coopération loyale que les États membres et les institutions sont obligés d’exercer entre eux en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, points 103 et 104).

84      Si, par le motif invoqué au point 23 de la décision attaquée, le Conseil a fait allusion à un risque de pressions publiques, comme il le soutient dans le mémoire en défense, il convient de rappeler que, dans un système fondé sur le principe de la légitimité démocratique, les colégislateurs doivent répondre de leurs actes à l’égard du public. L’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques présuppose la possibilité de suivre en détail le processus décisionnel au sein des institutions participant aux procédures législatives et d’avoir accès à l’ensemble des informations pertinentes (arrêt du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, EU:T:2011:105, point 69). En outre, l’article 10, paragraphe 3, TUE énonce que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union et que les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens. Ainsi, la manifestation de l’opinion publique à l’égard de telle ou telle proposition législative fait partie intégrante de l’exercice des droits démocratiques des citoyens de l’Union (arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 98).

85      Si la jurisprudence reconnaît que le risque de pressions extérieures peut constituer un motif légitime pour restreindre l’accès aux documents liés au processus décisionnel, il faut cependant que la réalité de telles pressions extérieures soit acquise avec certitude et que la preuve soit apportée que le risque d’affecter substantiellement la décision à prendre est raisonnablement prévisible en raison desdites pressions extérieures. Or, aucun élément tangible du dossier ne permet d’établir, en cas de divulgation des documents litigieux, la réalité de telles pressions extérieures. Partant, rien dans le dossier dont dispose le Tribunal ne suggère que, s’agissant de la procédure législative en cause, le Conseil pouvait raisonnablement s’attendre à une réaction excédant ce qui peut être attendu du public par n’importe quel membre d’un organe législatif présentant un amendement à un projet de loi (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, EU:T:2011:105, point 74, et du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 99).

86      Cinquièmement, aux points 23 et 24 de la décision attaquée, le Conseil a expliqué que la divulgation des documents litigieux porterait gravement atteinte à l’efficacité de son processus décisionnel et diminuerait les chances de parvenir à un accord.

87      Toutefois, le motif invoqué aux points 23 et 24 de la décision attaquée reste trop général, en ce que le Conseil n’explique pas en quoi l’accès aux documents litigieux porterait gravement atteinte, de manière concrète, effective et non hypothétique, aux possibilités de parvenir à un accord sur la proposition législative en cause.

88      Sixièmement, aux points 25 et 27 de la décision attaquée, le Conseil a souligné que l’intérêt public légitime justifiant la divulgation des documents litigieux ne l’emportait pas sur la nécessité tout aussi légitime de protéger le processus décisionnel.

89      Par le motif invoqué aux points 25 et 27 de la décision attaquée, le Conseil semble confondre, comme le fait valoir le requérant, deux étapes distinctes dans l’application de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. En effet, ce n’est que si l’institution concernée considère que la divulgation d’un document porterait concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel en cause qu’il lui incombe de vérifier, dans un second temps, si un intérêt public supérieur ne justifie pas malgré tout la divulgation du document visé. En d’autres termes, ce n’est que dans ce contexte qu’il incombe au Conseil de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le considérant 2 dudit règlement, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, par analogie, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 45).

90      Septièmement, au point 26 de la décision attaquée, le Conseil a indiqué que le refus de divulguer un nombre limité des documents visés par la demande du requérant ne reviendrait pas à dénier aux citoyens la possibilité d’être informés du processus décisionnel en cause.

91      À cet égard, à l’instar du requérant, et comme l’a d’ailleurs admis le Conseil, le motif invoqué au point 26 de la décision attaquée n’est pas un critère pertinent afin d’apprécier si les conditions de refus au titre de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 sont remplies. En effet, le simple fait que l’accès à certains documents relatifs à la même procédure législative a été accordé ne peut pas justifier le refus d’accès à d’autres documents.

92      Huitièmement, le Conseil fait valoir, au point 28 de la décision attaquée, que, « à la suite d’une évaluation spécifique du contenu et du contexte » des documents litigieux, il a conclu qu’il existait des raisons objectives démontrant qu’il y avait un risque raisonnablement prévisible que la divulgation desdits documents porte une atteinte grave au processus décisionnel en cause.

93      Toutefois, cette prétendue « évaluation spécifique du contenu et du contexte » des documents litigieux ne ressort pas de la décision attaquée, de sorte que le risque d’atteinte grave au processus décisionnel n’est étayé par aucun élément tangible, concret et spécifique.

94      Enfin, dans ses écritures devant le Tribunal, le Conseil ajoute qu’il y a lieu de distinguer les documents élaborés dans le cadre des trilogues ayant fait l’objet de l’arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement (T‑540/15, EU:T:2018:167), des documents litigieux. Selon lui, les premiers interviennent à un stade de la procédure législative où il a déjà arrêté sa position sur une proposition législative, tandis que les seconds se rapportent à des discussions au sein des groupes de travail entre fonctionnaires des délégations des États membres intervenant au « niveau technique ». En l’espèce, ces derniers concerneraient des travaux préparatoires et seraient dénués d’engagement politique tant qu’ils ne sont pas soumis, en tant que tels, au Comité des représentants permanents (Coreper), ni ultérieurement à l’une des formations ministérielles du Conseil.

95      Si, par cet argument, le Conseil cherche à justifier un accès moins large aux documents établis par ses groupes de travail en raison de leur caractère prétendument « technique », tout d’abord, force est de relever que le caractère « technique » ou non d’un document n’est pas un critère pertinent aux fins de l’application de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. Ensuite, et en tout état de cause, le contenu même des documents litigieux démontre qu’ils comportent des propositions normatives de divers textes législatifs et qu’ils s’insèrent, dès lors, dans le jeu normal du processus législatif. Les documents litigieux ne revêtent donc aucun caractère « technique ». Enfin, les membres des groupes de travail du Conseil sont investis d’un mandat des États membres qu’ils représentent et ils expriment, lors des délibérations sur une proposition législative donnée, la position de leur État membre au sein du Conseil, lorsque ce dernier agit en sa qualité de colégislateur. Le fait que lesdits groupes de travail ne soient pas autorisés à arrêter la position définitive de cette institution ne signifie pourtant ni que leurs travaux ne s’inscrivent pas dans le jeu normal du processus législatif, ce que le Conseil ne conteste d’ailleurs pas, ni que les documents qu’ils établissent soient d’ordre « technique ».

96      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’aucun des motifs retenus par le Conseil dans la décision attaquée ne permet de considérer que la divulgation des documents litigieux porterait gravement atteinte, de manière concrète, effective et non hypothétique, au processus législatif au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

97      Partant, il y a lieu d’accueillir la seconde branche du premier moyen et, par voie de conséquence, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens et griefs avancés au soutien du recours.

 Sur les dépens

98      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le requérant, conformément aux conclusions de celui-ci.

99      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Royaume de Belgique, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision SGS 21/000067 du Conseil de l’Union européenne, du 14 janvier 2021, est annulée.

2)      Le Conseil supportera ses propres dépens et ceux exposés par M. Emilio De Capitani.

3)      Le Royaume de Belgique, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Hesse

 

      Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 janvier 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.