Language of document : ECLI:EU:C:2005:432

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 juillet 2005 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Absence de caractère distinctif – Caractère distinctif acquis par l’usage – Usage en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci»

Dans l’affaire C-353/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume‑Uni), par décision du 25 juillet 2003, parvenue à la Cour le 18 août 2003, dans la procédure

Société des produits Nestlé SA

contre

Mars UK Ltd,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. C. Gulmann (rapporteur), P. Kūris et G. Arestis, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 janvier 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour Société des produits Nestlé SA, par Mme J. Mutimear, solicitor, et M. H. Carr, QC,

–       pour Mars UK Ltd, par Mme V. Marsland, solicitor, et M. M. Bloch, QC,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme E. O’Neill, en qualité d’agent, assistée de M. M. Tappin, barrister,

–       pour le gouvernement irlandais, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. N. B. Rasmussen et M. Shotter, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 janvier 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»), et 7, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1, ci‑après le «règlement»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Société des produits Nestlé SA (ci-après «Nestlé») à Mars UK Ltd (ci-après «Mars») au sujet d’une demande de Nestlé visant à l’enregistrement en tant que marque d’une partie d’un slogan constituant une marque enregistrée dont cette société est déjà titulaire.

 Le cadre juridique

3       Aux termes de l’article 2 de la directive, «[p]euvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises».

4       L’article 3 de la directive, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», est libellé comme suit:

«1.      Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

[…]

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

[…]

3.      Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 [sous b)] si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif […]»

5       Les articles 4 et 7, paragraphes 1, sous b), et 3, du règlement sont rédigés en des termes en substance identiques, respectivement, à ceux des articles 2 et 3, paragraphes 1, sous b), et 3, de la directive.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6       Le slogan «Have a break… Have a Kit Kat» («prenez une pause… prenez un Kit Kat») ainsi que le nom «Kit Kat» sont des marques enregistrées au Royaume-Uni dans la classe 30 définie par l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que modifié et révisé, à savoir pour des produits chocolatés, de la confiserie, des bonbons et des biscuits.

7       Le 28 mars 1995, Nestlé, titulaire de ces deux marques, a demandé l’enregistrement, au Royaume-Uni, de la marque HAVE A BREAK dans la classe 30.

8       Cette demande a fait l’objet d’une opposition de Mars, qui a invoqué, notamment, l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive.

9       Le 31 mai 2002, l’opposition a été accueillie sur le fondement de cette disposition et la demande d’enregistrement a été rejetée.

10     Nestlé a formé un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division. Le recours a été rejeté par décision du 2 décembre 2002.

11     Nestlé a interjeté appel de celle-ci devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division).

12     Cette juridiction considère, au regard des éléments du litige pendant devant elle, que la phrase «Have a break» est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque et que, par conséquent, les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive excluent, en principe, son enregistrement en tant que marque.

13     Elle estime qu’un enregistrement ne peut donc intervenir que sur le fondement de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, moyennant la preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage.

14     Elle relève que la demande d’enregistrement a été rejetée au motif que la phrase «HAVE A BREAK» a été utilisée essentiellement en tant que partie de la marque enregistrée HAVE A BREAK… HAVE A KIT KAT, et non, véritablement, en tant que marque indépendante.

15     Elle indique que, selon Nestlé, cette conception pourrait avoir des conséquences graves à l’égard des opérateurs qui entendent enregistrer des marques incluant des formes, dès lors que de telles marques sont rarement utilisées seules.

16     Elle fait valoir qu’une phrase semblable à un slogan associée à une marque peut, par sa répétition au fil du temps, créer une impression distincte et indépendante et donc acquérir un caractère distinctif par l’usage.

17     Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le caractère distinctif d’une marque visé à l’article 3, paragraphe 3, de la [directive] et à l’article 7, paragraphe 3, du [règlement] peut-il être acquis à la suite ou en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une autre marque ou en combinaison avec celle-ci?»

 Sur la question préjudicielle

18     En considération des indications contenues dans la décision de renvoi, la question posée doit être comprise comme visant uniquement à l’interprétation de la directive, le règlement n’étant pas applicable aux faits du litige au principal.

19     Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le caractère distinctif d’une marque visé à l’article 3, paragraphe 3, de la directive peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle‑ci.

20     Nestlé et le gouvernement irlandais considèrent que le caractère distinctif d’une marque peut, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, être acquis par suite de l’usage de cette marque en tant que partie d’une autre marque ou en combinaison avec celle-ci.

21     Mars, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes estiment qu’une marque ne peut pas acquérir un caractère distinctif uniquement par suite d’un usage en tant que partie d’une marque composée. Mars et la Commission admettent, en revanche, qu’elle peut acquérir un caractère distinctif par suite d’un usage en combinaison avec une autre marque. Le gouvernement du Royaume-Uni affirme que le caractère distinctif peut être acquis également par un usage de la marque comme élément physique.

22     À cet égard, il convient de rappeler que, au vu de l’article 2 de la directive, une marque présente un caractère distinctif lorsqu’elle est propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

23     En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive, une marque est refusée à l’enregistrement ou est susceptible d’être déclarée nulle lorsqu’elle est dépourvue de caractère distinctif.

24     Néanmoins, l’article 3, paragraphe 3, de la directive écarte l’application de cette dernière disposition si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui a été fait de la marque, celle-ci a acquis un caractère distinctif.

25     Qu’il soit intrinsèque ou acquis par l’usage, le caractère distinctif doit être apprécié par rapport, d’une part, aux produits ou services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé et, d’autre part, à la perception présumée d’un consommateur moyen de la catégorie de produits ou services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (arrêt du 18 juin 2002, Philips, C-299/99, Rec. p. I‑5475, points 59 et 63).

26     En ce qui concerne l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée doit être effectuée grâce à l’usage de la marque en tant que marque (arrêt Philips, précité, point 64).

27     Cette dernière condition, en cause dans le litige au principal, n’implique pas nécessairement, pour être remplie, que la marque dont l’enregistrement est demandé ait fait l’objet d’un usage indépendant.

28     En effet, l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient pas de restriction en ce sens, visant seulement «l’usage qui […] a été fait» de la marque.

29     L’expression «l’usage de la marque en tant que marque» doit donc être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée.

30     Or, une telle identification, et donc l’acquisition d’un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle-ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Dans les deux cas, il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée.

31     Il y a lieu de rappeler que les éléments susceptibles de démontrer que la marque est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné doivent être appréciés globalement et que, dans le cadre de cette appréciation, peuvent être pris en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit ou le service comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles (arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I‑2779, points 49 et 51).

32     En définitive, il convient de répondre à la question préjudicielle que le caractère distinctif d’une marque visé à l’article 3, paragraphe 3, de la directive peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle‑ci.

 Sur les dépens

33     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Le caractère distinctif d’une marque visé à l’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.