Language of document : ECLI:EU:T:2022:183

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

30 mars 2022 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du fret aérien – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord entre la Communauté et la Suisse sur le transport aérien – Coordination d’éléments du prix des services de fret aérien (surtaxe carburant, surtaxe sécurité, paiement d’une commission sur les surtaxes) – Échange d’informations – Compétence territoriale de la Commission – Obligation de motivation – Affectation du commerce entre États membres – Contrainte étatique – Infraction unique et continue »

Dans l’affaire T‑342/17,

Deutsche Lufthansa AG, établie à Cologne (Allemagne),

Lufthansa Cargo AG, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne),

Swiss International Air Lines AG, établie à Bâle (Suisse),

représentées par Me S. Völcker, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Dawes et H. Leupold, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’article 1er de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 – Fret aérien), en tant qu’il vise les requérantes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, J. Schwarcz, C. Iliopoulos, D. Spielmann et Mme I. Reine, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 9 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Les requérantes, Deutsche Lufthansa AG (ci-après « Lufthansa ») et ses filiales Lufthansa Cargo AG et Swiss International Air Lines AG (ci-après « Swiss »), font partie du groupe Lufthansa, qui est actif sur le marché du fret aérien (ci-après le « fret »).

2        Dans le secteur du fret, des compagnies aériennes assurent le transport de cargaisons par voie aérienne (ci-après les « transporteurs »). En règle générale, les transporteurs fournissent des services de fret aux transitaires, qui organisent l’acheminement de ces cargaisons au nom des expéditeurs. En contrepartie, ces transitaires s’acquittent auprès des transporteurs d’un prix qui se compose, d’une part, de tarifs calculés au kilogramme et négociés soit pour une période longue (généralement une saison, c’est-à-dire six mois), soit de façon ponctuelle, et, d’autre part, de diverses surtaxes, qui visent à couvrir certains coûts.

3        Quatre types de transporteurs se distinguent : premièrement, ceux qui exploitent exclusivement des avions tout cargo, deuxièmement, ceux qui, sur leurs vols destinés aux passagers, réservent une partie de la soute de l’avion au transport de marchandises, troisièmement, ceux qui disposent à la fois d’avions-cargos et d’un espace réservé pour le fret dans la soute d’avions de transport de passagers (compagnies aériennes mixtes) et, quatrièmement, les intégrateurs, qui disposent d’avions-cargos fournissant à la fois des services de livraison express intégrés et des services de fret généraux.

4        Aucun transporteur n’étant en mesure de desservir, dans le monde, toutes les destinations majeures de fret à des fréquences suffisantes, la conclusion d’accords entre eux pour augmenter leur couverture du réseau ou améliorer leurs horaires s’est développée, y compris dans le cadre d’alliances commerciales plus vastes entre transporteurs. Parmi ces alliances figurait notamment, à l’époque des faits, l’alliance WOW, qui réunissait Lufthansa, SAS Cargo Group A/S (ci‑après « SAS Cargo »), Singapore Airlines Cargo Pte Ltd (ci-après « SAC ») et Japan Airlines International Co. Ltd (ci-après « Japan Airlines »).

A.      Procédure administrative

5        Le 7 décembre 2005, la Commission des Communautés européennes a reçu, au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3), une demande d’immunité introduite par les requérantes. Selon cette demande, des contacts anticoncurrentiels intensifs existaient entre plusieurs transporteurs, portant, notamment, sur :

–        la surtaxe carburant (ci-après la « STC »), qui aurait été introduite pour faire face au coût croissant du carburant ;

–        la surtaxe sécurité (ci-après la « STS »), qui aurait été introduite pour faire face au coût de certaines mesures de sécurité imposées après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

6        Les 14 et 15 février 2006, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs transporteurs, conformément à l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

7        Après les inspections, plusieurs transporteurs ont introduit une demande au titre de la communication de 2002 mentionnée au point 5 ci-dessus.

8        Le 19 décembre 2007, après avoir envoyé plusieurs demandes de renseignements, la Commission a adressé une communication des griefs à 27 transporteurs, dont les requérantes (ci-après la « communication des griefs »). Elle a indiqué que ces transporteurs avaient enfreint l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (ci-après l’« accord CE-Suisse sur le transport aérien »), en participant à une entente portant, notamment, sur la STC, la STS et un refus de paiement de commissions sur les surtaxes (ci-après le « refus de paiement de commissions »).

9        En réponse à la communication des griefs, ses destinataires ont soumis des observations écrites.

10      Une audition s’est tenue du 30 juin au 4 juillet 2008.

B.      Décision du 9 novembre 2010

11      Le 9 novembre 2010, la Commission a adopté la décision C(2010) 7694 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire COMP/39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision du 9 novembre 2010 »). Cette décision a pour destinataires 21 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 »), à savoir :

–        Air Canada ;

–        Air France-KLM (ci-après « AF-KLM ») ;

–        Société Air France (ci-après « AF ») ;

–        Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après « KLM ») ;

–        British Airways plc ;

–        Cargolux Airlines International SA (ci-après « Cargolux ») ;

–        Cathay Pacific Airways Ltd (ci-après « CPA ») ;

–        Japan Airlines Corp. ;

–        Japan Airlines ;

–        Lan Airlines SA ;

–        Lan Cargo SA ;

–        Lufthansa Cargo ;

–        Lufthansa ;

–        Swiss ;

–        Martinair Holland NV (ci-après « Martinair ») ;

–        Qantas Airways Ltd (ci-après « Qantas ») ;

–        SAS AB ;

–        SAS Cargo ;

–        Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden (ci-après « SAS Consortium ») ;

–        SAC ;

–        Singapore Airlines Ltd (ci-après « SIA »).

12      Les griefs retenus provisoirement à l’égard des autres destinataires de la communication des griefs ont été abandonnés.

13      La décision du 9 novembre 2010 décrivait, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, couvrant le territoire de l’EEE et de la Suisse, par laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret.

14      Le dispositif de la décision du 9 novembre 2010, pour autant qu’il concernait les requérantes, se lisait comme suit :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’EEE, pendant les périodes suivantes :

[…]

f)      [Lufthansa Cargo], du 14 décembre 1999 au 7 décembre 2005 ;

g)      [Lufthansa], du 14 décembre 1999 au 7 décembre 2005 ;

h)      [Swiss], du 2 avril 2002 au 7 décembre 2005 ;

[…]

Article 2

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont [coordonné] divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE, pendant les périodes suivantes :

[…]

l)      [Lufthansa Cargo], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

m)      [Lufthansa], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

n)      [Swiss], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

[…]

Article 3

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des pays tiers, pendant les périodes suivantes :

[…]

j)      [Lufthansa Cargo], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

k)      [Lufthansa], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

l)      [Swiss], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

[…]

Article 4

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse, pendant les périodes suivantes :

[…]

f)      [Lufthansa Cargo], du1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

g)      [Lufthansa], du1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

h)      [Swiss], du1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

[…]

Article 5

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées aux articles 1er à 4 [de la décision du 9 novembre 2010] :

[…]

j)      [Lufthansa Cargo et Lufthansa] conjointement et solidairement : 0 EUR ;

k)      [Swiss] : 0 EUR ;

l)      [Swiss et Lufthansa] conjointement et solidairement : 0 EUR ;

[…]

Article 6

Les entreprises visées aux articles 1er à 4 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.

Elles s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement visés aux articles 1er à 4, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »

C.      Recours contre la décision du 9 novembre 2010 devant le Tribunal

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2011, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation des articles 1er à 4 de la décision du 9 novembre 2010, en tant qu’ils les visaient. Les autres transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010, à l’exception de Qantas, ont également introduit devant le Tribunal des recours contre cette décision.

16      Par arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T‑9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T‑36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T‑48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France-KLM/Commission (T‑62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T‑63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), le Tribunal a annulé, en tout ou en partie, la décision du 9 novembre 2010 pour autant qu’elle visait, respectivement, Air Canada, KLM, Japan Airlines et Japan Airlines Corp., CPA, Cargolux, Latam Airlines Group SA (anciennement Lan Airlines) et Lan Cargo, SAC et SIA, les requérantes, British Airways, SAS Cargo, SAS Consortium et SAS, AF-KLM, AF et Martinair. Le Tribunal a estimé que cette décision était entachée d’un vice de motivation.

17      À cet égard, en premier lieu, le Tribunal a constaté que la décision du 9 novembre 2010 était entachée de contradictions entre ses motifs et son dispositif. Les motifs de cette décision décrivaient une seule infraction unique et continue, relative à toutes les liaisons couvertes par l’entente, à laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient participé. En revanche, le dispositif de ladite décision identifiait soit quatre infractions uniques et continues distinctes, soit une seule infraction unique et continue dont la responsabilité ne serait imputée qu’aux transporteurs qui, sur les liaisons visées par les articles 1er à 4 de la même décision, auraient directement participé aux comportements infractionnels visés par chacun desdits articles ou auraient eu connaissance d’une collusion sur ces liaisons, dont ils acceptaient le risque. Or, aucune de ces deux lectures du dispositif de la décision en question n’était conforme à ses motifs.

18      Le Tribunal a aussi rejeté comme étant incompatible avec les motifs de la décision du 9 novembre 2010 la lecture alternative de son dispositif proposée par la Commission, consistant à considérer que l’absence de mention de certains des transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 dans les articles 1er, 3 et 4 de cette décision pouvait s’expliquer, sans qu’il soit besoin de considérer que ces articles constataient des infractions uniques et continues distinctes, par le fait que lesdits transporteurs n’assuraient pas les liaisons couvertes par ces dispositions.

19      En deuxième lieu, le Tribunal a considéré que les motifs de la décision du 9 novembre 2010 contenaient d’importantes contradictions internes.

20      En troisième lieu, après avoir relevé qu’aucune des deux lectures possibles du dispositif de la décision du 9 novembre 2010 n’était conforme à ses motifs, le Tribunal a examiné si, dans le cadre d’au moins l’une de ces deux lectures possibles, les contradictions internes à ladite décision étaient de nature à porter atteinte aux droits de la défense des requérantes et à empêcher le Tribunal d’exercer son contrôle. S’agissant de la première lecture, retenant l’existence de quatre infractions uniques et continues distinctes, premièrement, il a jugé que les requérantes n’avaient pas été en situation de comprendre dans quelle mesure les éléments de preuve exposés dans les motifs, liés à l’existence d’une infraction unique et continue, étaient susceptibles d’établir l’existence des quatre infractions distinctes constatées dans le dispositif et qu’elles n’avaient donc pas davantage été en situation de pouvoir contester leur suffisance. Deuxièmement, il a jugé que les requérantes s’étaient trouvées dans l’impossibilité de comprendre la logique qui avait conduit la Commission à les considérer comme responsables d’une infraction, y compris pour des liaisons non assurées à l’intérieur du périmètre défini par chaque article de la décision du 9 novembre 2010.

D.      Décision attaquée

21      Le 20 mai 2016, à la suite de l’annulation prononcée par le Tribunal, la Commission a adressé une lettre aux transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 ayant introduit un recours contre cette dernière devant le Tribunal, les informant que sa direction générale (DG) de la concurrence entendait lui proposer d’adopter une nouvelle décision concluant qu’ils avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur toutes les liaisons mentionnées dans cette décision.

22      Les destinataires de la lettre de la Commission mentionnée au point 21 ci-dessus ont été invités à faire part de leur point de vue sur la proposition de la DG de la concurrence de la Commission dans un délai d’un mois. Tous, y compris les requérantes, ont fait usage de cette possibilité.

23      Le 17 mars 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 1742 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire AT.39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Ladite décision a pour destinataires 19 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés »), à savoir :

–        Air Canada ;

–        AF-KLM ;

–        AF ;

–        KLM ;

–        British Airways ;

–        Cargolux ;

–        CPA ;

–        Japan Airlines ;

–        Latam Airlines Group ;

–        Lan Cargo ;

–        Lufthansa Cargo ;

–        Lufthansa ;

–        Swiss ;

–        Martinair ;

–        SAS ;

–        SAS Cargo ;

–        SAS Consortium ;

–        SAC ;

–        SIA.

24      La décision attaquée ne retient pas de griefs à l’encontre des autres destinataires de la communication des griefs.

25      La décision attaquée décrit, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, par laquelle les transporteurs incriminés auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier par le biais de la STC, de la STS et du paiement d’une commission sur les surtaxes.

26      En premier lieu, au point 4.1 de la décision attaquée, la Commission a décrit les « [p]rincipes de base et [la] structure de l’entente ». Aux considérants 107 et 108 de cette décision, elle a indiqué que l’enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux entretenus sur une longue période entre les concurrents, concernant le comportement qu’ils avaient décidé, prévu ou envisagé d’adopter en rapport avec divers éléments du prix des services de fret, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions. Elle a souligné que ce réseau de contacts avait pour objectif commun de coordonner le comportement des concurrents en matière de tarification ou de réduire l’incertitude en ce qui concerne leur politique de prix (ci-après l’« entente litigieuse »).

27      Selon le considérant 109 de la décision attaquée, l’application coordonnée de la STC avait pour but de s’assurer que les transporteurs du monde entier imposent une surtaxe forfaitaire par kilo pour tous les envois concernés. Un réseau complexe de contacts, principalement bilatéraux, entre transporteurs aurait été institué dans le but de coordonner et de surveiller l’application de la STC, la date précise d’application étant souvent, selon la Commission, décidée au niveau local, le principal transporteur local prenant généralement la direction et les autres suivant. Cette approche coordonnée aurait été étendue à la STS, tout comme au refus de paiement de commissions, si bien que ces dernières seraient devenues des revenus nets pour les transporteurs et auraient constitué une mesure d’encouragement supplémentaire pour amener ceux-ci à suivre la coordination relative aux surtaxes.

28      Selon le considérant 110 de la décision attaquée, la direction générale du siège de plusieurs transporteurs aurait été soit directement impliquée dans les contacts avec les concurrents, soit régulièrement informée de ceux-ci. Dans le cas des surtaxes, les employés responsables du siège auraient été en contact mutuel lorsqu’un changement de niveau de la surtaxe était imminent. Le refus de paiement de commissions aurait également été confirmé à plusieurs reprises lors de contacts se tenant au niveau de l’administration centrale. Des contacts fréquents auraient également eu lieu au niveau local dans le but, d’une part, de mieux exécuter les instructions données par les administrations centrales et de les adapter aux conditions de marché locales et, d’autre part, de coordonner et de mettre en œuvre les initiatives locales. Dans ce dernier cas, les sièges des transporteurs auraient généralement autorisé l’action proposée ou en auraient été informés.

29      Selon le considérant 111 de la décision attaquée, les transporteurs auraient pris contact les uns avec les autres, soit de manière bilatérale, soit en petits groupes, soit, dans certains cas, en grands forums multilatéraux. Les associations locales de représentants de transporteurs auraient été utilisées, notamment à Hong Kong et en Suisse, pour discuter de mesures d’amélioration du rendement et pour coordonner les surtaxes. Des réunions d’alliances telles que l’alliance WOW auraient également été exploitées à ces fins.

30      En deuxième lieu, aux points 4.3, 4.4 et 4.5 de la décision attaquée, la Commission a décrit les contacts concernant, respectivement, la STC, la STS et le refus de paiement de commissions (ci-après les « contacts litigieux »).

31      Ainsi, premièrement, aux considérants 118 à 120 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STC comme suit :

« (118) Un réseau de contacts bilatéraux, impliquant plusieurs compagnies aériennes, a été institué fin 1999-début 2000, permettant un partage d’informations sur les actions des entreprises par les participants entre tous les membres du réseau. Les transporteurs prenaient régulièrement contact les uns avec les autres afin de discuter de toute question se posant en rapport avec la STC, notamment les modifications du mécanisme, les changements du niveau de la STC, l’application cohérente du mécanisme et les situations dans lesquelles certaines compagnies aériennes ne suivaient pas le système.

(119) Pour la mise en œuvre des STC au niveau local, un système par lequel les compagnies aériennes dominantes sur certaines liaisons ou dans certains pays annonçaient en premier le changement et étaient ensuite suivies par les autres, a souvent été appliqué […]

(120) La coordination anticoncurrentielle concernant la STC se déroulait principalement dans quatre contextes : en rapport avec l’introduction des STC au début 2000, la réintroduction d’un mécanisme de STC après l’annulation du mécanisme prévu par l’[Association du transport aérien international (IATA)], l’introduction de nouveaux seuils de déclenchement (augmentant le niveau maximal de la STC) et surtout le moment où les indices de carburant approchaient le seuil auquel une augmentation ou une diminution de la STC allait être déclenchée. »

32      Deuxièmement, au considérant 579 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STS comme suit :

« Plusieurs [transporteurs incriminés] ont discuté, entre autres, de leurs intentions d’introduire une STS […] De plus, le montant de la surtaxe et le calendrier d’introduction ont également été discutés. Les [transporteurs incriminés] ont en outre partagé des idées sur la justification à donner à leurs clients. Des contacts ponctuels concernant la mise en œuvre de la STS ont eu lieu pendant toute la période couvrant les années 2002 à 2006. La coordination illicite a eu lieu à la fois au niveau des administrations centrales et au niveau local. »

33      Troisièmement, au considérant 676 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les transporteurs incriminés avaient « continué à refuser de payer une commission sur les surtaxes et s[’étaient] confirmé mutuellement leur intention dans ce domaine lors de nombreux contacts ».

34      En troisième lieu, au point 4.6 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’appréciation des contacts litigieux. L’appréciation de ceux retenus contre les requérantes figure aux considérants 773 à 783 de cette décision.

35      En quatrième lieu, au point 5 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’application aux faits de l’espèce de l’article 101 TFUE, tout en précisant, à la note en bas de page no 1289 de cette décision, que les considérations retenues valaient également pour l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien. Ainsi, premièrement, au considérant 846 de ladite décision, elle a retenu que les transporteurs incriminés avaient coordonné leur comportement ou influencé la tarification, « ce qui rev[enai]t en définitive à une fixation de prix en rapport avec » la STC, la STS et le paiement d’une commission sur les surtaxes. Au considérant 861 de la même décision, elle a qualifié le « système général de coordination du comportement de tarification pour des services de fret » dont son enquête avait révélé l’existence d’« infraction complexe se composant de diverses actions qui [pouvaient] être qualifiées soit d’accord, soit de pratique concertée dans le cadre desquels les concurrents [avaie]nt sciemment substitué la coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence ».

36      Deuxièmement, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le « comportement en cause constitu[ait] une infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE ». Elle a ainsi considéré que les arrangements en cause poursuivaient un objectif anticoncurrentiel unique consistant à entraver la concurrence dans le secteur du fret au sein de l’EEE, y compris lorsque la coordination s’était déroulée au niveau local et avait connu des variations locales (considérants 872 à 876), portaient sur un « [p]roduit/services unique », à savoir « la fourniture de services de fret […] et leur tarification » (considérant 877), concernaient les mêmes entreprises (considérant 878), revêtaient une nature unique (considérant 879) et portaient sur trois composantes, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions, qui ont « fréquemment été discuté[e]s conjointement au cours du même contact avec les concurrents » (considérant 880).

37      Au considérant 881 de la décision attaquée, la Commission a ajouté que « la majorité des parties », dont les requérantes, étaient impliquées dans les trois composantes de l’infraction unique.

38      Troisièmement, au considérant 884 de la décision attaquée, la Commission a conclu au caractère continu de l’infraction en cause.

39      Quatrièmement, aux considérants 885 à 890 de la décision attaquée, la Commission a examiné la pertinence des contacts intervenus dans des pays tiers et des contacts concernant des liaisons que les transporteurs n’avaient jamais desservies ou qu’ils n’auraient pas pu légalement desservir. Elle a estimé que, au regard du caractère mondial de l’entente litigieuse, ces contacts étaient pertinents pour établir l’existence de l’infraction unique et continue. En particulier, d’une part, elle a relevé que les surtaxes étaient des mesures d’application générale qui n’étaient pas spécifiques à une liaison, mais avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons au départ et à destination de l’EEE et de la Suisse. Elle a indiqué que le refus de paiement de commissions revêtait également un caractère général. D’autre part, elle a considéré qu’aucune barrière insurmontable n’empêchait les transporteurs de fournir des services de fret sur les liaisons qu’ils n’avaient jamais desservies ou qu’ils n’auraient pas pu légalement desservir, notamment grâce aux accords qu’ils étaient en mesure de conclure entre eux.

40      Cinquièmement, au considérant 903 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le comportement litigieux avait pour objet de restreindre la concurrence « au moins au sein de l’U[nion], dans l’EEE et en Suisse ». Au considérant 917 de cette décision, elle a, en substance, ajouté qu’il n’était, dès lors, pas nécessaire de prendre en considération les « effets concrets » de ce comportement.

41      Sixièmement, aux considérants 922 à 971 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur l’alliance WOW. Au considérant 971 de cette décision, elle a conclu ce qui suit :

« Étant donné la teneur de l’accord d’alliance WOW et sa mise en œuvre, la Commission considère que la coordination des surtaxes entre les membres de l[’alliance] WOW s’est déroulée en dehors du cadre légitime de l’alliance, qui ne la justifie pas. Les membres avaient en réalité connaissance de l’illicéité d’une telle coordination. Ils étaient en outre au courant que la coordination des surtaxes impliquait plusieurs [transporteurs] qui ne participaient pas à l[’alliance] WOW. La Commission estime donc que les éléments probants concernant des contacts entre les membres de l[’alliance] WOW […] constituent la preuve de leur participation à l’infraction à l’article 101 du TFUE telle qu’elle est décrite dans la présente décision. »

42      Septièmement, aux considérants 972 à 1021 de la décision attaquée, la Commission a examiné la réglementation de sept pays tiers, dont plusieurs transporteurs incriminés soutenaient qu’elle leur imposait de se concerter sur les surtaxes, faisant ainsi obstacle à l’application des règles de concurrence pertinentes. La Commission a considéré que ces transporteurs étaient restés en défaut de prouver qu’ils avaient agi sous la contrainte desdits pays tiers.

43      Huitièmement, aux considérants 1024 à 1035 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter de manière sensible les échanges entre États membres, entre les parties contractantes à l’accord EEE et entre les parties contractantes à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

44      Neuvièmement, la Commission a examiné les limites de sa compétence territoriale et temporelle pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence dans le cas d’espèce. D’une part, aux considérants 822 à 832 de la décision attaquée, sous le titre « Compétence de la Commission », elle a, en substance, retenu qu’elle n’appliquerait pas, tout d’abord, l’article 101 TFUE aux accords et pratiques antérieurs au 1er mai 2004 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE (ci-après les « liaisons Union-pays tiers »), ensuite, l’article 53 de l’accord EEE aux accords et pratiques antérieurs au 19 mai 2005 concernant les liaisons Union-pays tiers et les liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés dans des pays tiers (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-pays tiers » et, conjointement avec les liaisons Union-pays tiers, les « liaisons EEE-pays tiers ») et, enfin, l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux accords et pratiques antérieurs au 1er juin 2002 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union et des aéroports suisses (ci-après les « liaisons Union-Suisse »). Elle a aussi précisé que la décision attaquée n’avait « nullement la prétention de révéler une quelconque infraction à l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] concernant les services de fret [entre] la Suisse [et] des pays tiers ».

45      D’autre part, aux considérants 1036 à 1046 de la décision attaquée, sous le titre « L’applicabilité de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons entrantes », la Commission a rejeté les arguments de différents transporteurs incriminés selon lesquels elle outrepassait les limites de sa compétence territoriale au regard des règles de droit international public en constatant et en sanctionnant une infraction à ces deux dispositions sur les liaisons au départ de pays tiers et à destination de l’EEE (ci-après les « liaisons entrantes » et, s’agissant des services de fret offerts sur ces liaisons, les « services de fret entrants »). En particulier, au considérant 1042 de cette décision, elle a rappelé comme suit les critères qu’elle estimait applicables :

« En ce qui concerne l’application extraterritoriale de l’article 101 du TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, ces dispositions sont applicables aux accords qui sont mis en œuvre au sein de l’U[nion] (théorie de la mise en œuvre) ou qui ont des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’U[nion] (théorie des effets). »

46      Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission a appliqué les critères en question aux faits de l’espèce :

« (1043) Dans le cas des services de fret [entrants], l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE sont applicables parce que le service lui-même, qui fait l’objet de l’infraction en matière de fixation de prix, doit être rendu et est en effet rendu en partie sur le territoire de l’EEE. De plus, de nombreux contacts par lesquels les destinataires ont coordonné les surtaxes et le [refus de] paiement de commissions ont eu lieu à l’intérieur de l’EEE ou ont impliqué des participants se trouvant dans l’EEE.

(1044) […] l’exemple cité dans la communication [consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1 et rectificatif JO 2009, C 43, p. 10)] n’est pas pertinent ici. La[dite] communication se rapporte à la répartition géographique du chiffre d’affaires entre les entreprises aux fins de déterminer si les seuils de chiffre d’affaires de l’article 1er du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises [(JO 2004, L 24, p. 1)] sont atteints.

(1045) En outre les pratiques anticoncurrentielles dans les pays tiers en ce qui concerne le transport du fret […] vers l’Union et l’EEE sont susceptibles d’avoir des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’Union et de l’EEE, étant donné que les coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées sont, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE. En l’espèce, les pratiques anticoncurrentielles éliminant la concurrence entre les transporteurs qui offrent des services de fret [entrants] étaient susceptibles d’avoir de tels effets également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers.

(1046) Enfin, il convient de souligner que la Commission a découvert une entente au niveau mondial. L’entente a été mise en œuvre mondialement et les arrangements de l’entente concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE. Les arrangements de l’entente étaient, dans de nombreux cas, organisés au niveau central et le personnel local ne faisait que les appliquer. L’application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente. »

47      En cinquième lieu, au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’entente litigieuse avait débuté le 7 décembre 1999 et duré jusqu’au 14 février 2006. Au même considérant, elle a précisé que cette entente avait enfreint :

–        l’article 101 TFUE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre des aéroports au sein de l’Union ;

–        l’article 101 TFUE, du 1er mai 2004 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-pays tiers ;

–        l’article 53 de l’accord EEE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre les aéroports au sein de l’EEE (ci-après les « liaisons intra-EEE ») ;

–        l’article 53 de l’accord EEE, du 19 mai 2005 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers ;

–        l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du 1er juin 2002 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-Suisse.

48      En ce qui concerne les requérantes, la Commission a retenu que la durée de l’infraction s’étendait du 14 décembre 1999 au 7 décembre 2005 pour Lufthansa et du 2 avril 2002 au 7 décembre 2005 pour Swiss.

49      S’agissant de la détermination de l’amende à infliger, la Commission a retenu que Lufthansa avait été la première entreprise à l’informer d’une entente secrète dans le secteur du fret et que, au vu de son attitude, il convenait de lui accorder l’immunité de toutes amendes qui lui auraient autrement été infligées dans le cadre de la présente affaire.

50      Le dispositif de la décision attaquée, pour autant qu’il concerne le présent litige, se lit comme suit :

« Article premier

En coordonnant leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de [fret] dans le monde entier en ce qui concerne la [STC], la [STS] et le paiement d’une commission sur les surtaxes, les entreprises suivantes ont commis l’infraction unique et continue suivante à l’article 101 [TFUE], à l’article 53 de [l’accord EEE] et à l’article 8 de [l’accord CE-Suisse sur le transport aérien] en ce qui concerne les liaisons suivantes et pendant les périodes suivantes.

1)      Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [intra-EEE], pendant les périodes suivantes :

[…]

k)      [Lufthansa Cargo], du 14 décembre 1999 au 7 décembre 2005 ;

l)      [Lufthansa], du 14 décembre 1999 au 7 décembre 2005 ;

m)      [Swiss], du 2 avril 2002 au 7 décembre 2005 ;

[…]

2)      Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en ce qui concerne les liaisons [Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :

[…]

k)      [Lufthansa Cargo], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

l)      [Lufthansa], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

m)      [Swiss], du 1er mai 2004 au 7 décembre 2005 ;

[…]

3)      Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [EEE sauf Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :

[…]

k)      [Lufthansa Cargo], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

l)      [Lufthansa], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

m)      [Swiss], du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005 ;

[…]

4)      Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en ce qui concerne les liaisons [Union-Suisse], pendant les périodes suivantes :

[…]

k)      [Lufthansa Cargo], du 1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

l)      [Lufthansa], du 1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

m)      [Swiss], du 1er juin 2002 au 7 décembre 2005 ;

[…]

Article 2

La décision […] du 9 novembre 2010 est modifiée comme suit :

à l’article 5, les [sous] j), k) et l) sont abrogés.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction unique et continue visée à l’article 1er de la présente décision et en ce qui concerne British Airways […], également pour les aspects des articles 1er à 4 de la décision […] du 9 novembre 2010 qui sont devenus définitifs :

[…]

j)      [Lufthansa Cargo] et [Lufthansa] conjointement et solidairement : 0 EUR ;

k)      [Swiss] : 0 EUR ;

l)      [Swiss et Lufthansa] conjointement et solidairement : 0 EUR ;

[…]

Article 4

Les entreprises visées à l’article 1er mettent immédiatement fin à l’infraction unique et continue visée audit article, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.

Elles s’abstiennent également de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

Sont destinataires de la présente décision :

[…]

[Lufthansa Cargo]

[…]

[Lufthansa]

[…]

[Swiss]

[…] »

II.    Procédure et conclusions des parties

51      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.

52      La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 29 septembre 2017.

53      Les requérantes ont déposé la réplique au greffe du Tribunal le 30 novembre 2017.

54      La Commission a déposé la duplique au greffe du Tribunal le 1er mars 2018.

55      Le 24 avril 2019, sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant une formation de jugement élargie.

56      Le 21 juin 2019, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties. Ces dernières ont répondu dans le délai imparti.

57      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 juillet 2019.

58      Par ordonnance du 31 juillet 2020, le Tribunal (quatrième chambre élargie), considérant qu’il était insuffisamment éclairé et qu’il y avait lieu d’inviter les parties à présenter leurs observations concernant un argument sur lequel elles n’avaient pas débattu, a ordonné la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 113 du règlement de procédure.

59      Les parties ont, dans le délai imparti, répondu à une série de questions posées par le Tribunal le 4 août 2020, puis soumis des observations sur leurs réponses respectives.

60      Par décision du 28 septembre 2020, le Tribunal a clos de nouveau la phase orale de la procédure.

61      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

62      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

63      Dans la requête, les requérantes indiquent invoquer cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation tenant à l’ambiguïté de la délimitation de l’étendue géographique de l’infraction unique et continue, le deuxième, d’une violation de l’article 11 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien et du principe de courtoisie internationale, le troisième, d’une application rétroactive abusive du règlement no 1/2003, le quatrième, d’une violation de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien tenant à une application erronée de la notion d’infraction unique et continue et, le cinquième, d’une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE pour autant que la décision attaquée analyse les contacts intervenus à l’extérieur tant de l’EEE que de la Suisse (ci-après les « contacts extra-EEE/Suisse ») comme des infractions autonomes.

64      À cet égard, il importe de rappeler que, si les parties déterminent l’objet du litige, qui ne peut être modifié par le juge de l’Union, il appartient à ce dernier d’interpréter les moyens par leur substance plutôt que par leur qualification et de procéder, par conséquent, à la qualification des moyens et des arguments de la requête (voir arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 51 et jurisprudence citée).

65      Or, il ressort de l’examen de la substance des écritures des requérantes que les deuxième et troisième moyens présentés dans la requête se recoupent très largement en ce qu’ils portent, tous deux, sur la prise en compte de contacts litigieux qui échappaient prétendument à la compétence de la Commission. Quant au cinquième moyen présenté dans la requête, il convient d’observer qu’il s’articule en trois branches disparates, dont certaines ne présentent entre elles qu’un lien ténu. Ces branches sont prises, la première, de l’incompétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes, la deuxième, d’erreurs dans l’appréciation de l’affectation du commerce entre États membres et, la troisième, d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers.

66      Dans ces conditions, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le Tribunal estime qu’il y a lieu de considérer que les requérantes soulèvent, en substance, six moyens, tirés :

–        le premier, d’une violation de l’obligation de motivation tenant à l’ambiguïté de la délimitation de l’étendue géographique de l’infraction unique et continue (premier moyen dans la requête) ;

–        le deuxième, de la violation de l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du principe de courtoisie internationale et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale (deuxième et troisième moyens dans la requête) ;

–        le troisième, d’une violation de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien tenant à une application erronée de la notion d’infraction unique et continue (quatrième moyen dans la requête) ;

–        le quatrième, de l’incompétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes (première branche du cinquième moyen dans la requête) ;

–        le cinquième, d’une appréciation erronée de l’affectation du commerce entre États membres (deuxième branche du cinquième moyen dans la requête) ;

–        le sixième, d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers (troisième branche du cinquième moyen dans la requête).

67      Le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, le premier moyen, ensuite, le quatrième moyen, puis le moyen relevé d’office, tiré de l’incompétence de la Commission, au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, pour constater et sanctionner une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés en Suisse (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-Suisse »), et, enfin, les deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens successivement.

A.      Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

68      Les requérantes soutiennent, en substance, que l’article 1er de la décision attaquée est entaché d’un vice de motivation tenant à l’ambiguïté de la délimitation de l’étendue géographique de l’infraction unique et continue. Il ressortirait du paragraphe introductif de cet article que les transporteurs incriminés ont coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret « dans le monde entier ». À l’inverse, l’article 1er, sous a) à d), de la décision attaquée semblerait limiter le constat formel d’une infraction à des périodes déterminées et à quelques liaisons spécifiques, qui auraient toutes un lien avec l’EEE, sans toutefois détailler les comportements constitutifs des différentes infractions en cause.

69      Les motifs de la décision attaquée ne permettraient pas de résoudre cette ambiguïté. La décision attaquée compterait ainsi de nombreuses références au caractère mondial de l’infraction. En particulier, le considérant 1210 de la décision attaquée, qui ne serait pas entaché d’une erreur de plume évidente, indiquerait que la « portée géographique de l’infraction était mondiale ». À l’inverse, la décision attaquée décrirait aussi une infraction visant à entraver la concurrence dans le secteur du fret au sein de l’Union, de l’EEE et en Suisse. La communication des griefs et le résumé de la décision attaquée que propose la Commission se limiteraient, eux aussi, à décrire une infraction s’étendant au territoire de l’EEE et de la Suisse.

70      La Commission n’ayant jamais eu recours, même dans des circonstances comparables, à l’expression « dans le monde entier » dans sa pratique décisionnelle, il serait d’autant plus difficile de comprendre si la phrase introductive est censée faire partie du constat formel de l’infraction unique et continue ou doit être comprise comme une simple formulation inadéquate convenant davantage aux motifs qu’au dispositif de la décision attaquée.

71      L’éventuel caractère factuel de la référence à l’étendue mondiale de l’entente litigieuse dans la phrase introductive de l’article 1er de la décision attaquée ne serait d’aucun secours pour la Commission. En effet, les éléments factuels relèveraient des motifs de la décision, et non de son dispositif. Ce serait d’autant plus vrai que le dispositif d’une décision constatant l’existence d’une entente devrait être particulièrement clair et précis au vu de l’éventualité d’actions en dommages et intérêts devant les juridictions nationales.

72      Or, cette ambiguïté placerait les requérantes dans une situation intenable d’insécurité juridique et porterait atteinte à leurs droits de la défense. En effet, interpréter l’article 1er de la décision attaquée comme visant une infraction de portée mondiale serait susceptible d’être très préjudiciable aux requérantes dans le cadre d’une action en dommages et intérêts. À l’inverse, interpréter l’article 1er de la décision attaquée de manière plus restrictive exposerait les requérantes au risque qu’une juridiction nationale saisie d’une telle action adopte un point de vue différent.

73      Au stade de la réplique, les requérantes ajoutent, en substance, que, s’il était considéré que l’infraction unique et continue n’était pas d’étendue mondiale, il pourrait être suffisant de n’annuler l’article 1er de la décision attaquée qu’en tant qu’il vise l’existence d’une coordination « dans le monde entier ».

74      La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

75      À cet égard, il convient de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective est un principe général du droit de l’Union aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce principe, qui correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, exige que le dispositif d’une décision par laquelle la Commission constate des violations aux règles de concurrence soit particulièrement clair et précis et que les entreprises tenues pour responsables et sanctionnées soient en mesure de comprendre et de contester l’attribution de cette responsabilité et l’imposition de ces sanctions, telles qu’elles ressortent des termes dudit dispositif (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 31 et jurisprudence citée).

76      C’est, en effet, par le dispositif de ses décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions qu’elle sanctionne. S’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est ainsi en principe le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient de l’interpréter en ayant recours aux motifs de la décision (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 32 et jurisprudence citée).

77      En l’espèce, il y a d’emblée lieu d’observer que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas conclu, dans le dispositif de la décision attaquée, à l’existence d’une infraction de dimension mondiale. La référence à la coordination du comportement des transporteurs incriminés « en matière de tarification pour la fourniture de services de fret […] dans le monde entier » dans le paragraphe introductif de l’article 1er de cette décision n’est qu’un constat de faits que la Commission a qualifiés aux paragraphes 1 à 4 du même article d’infraction aux règles de concurrence applicables sur les liaisons dont elle a estimé qu’elles relevaient, aux périodes en cause, de sa compétence. Il s’agit des liaisons intra-EEE entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006 (paragraphe 1), des liaisons Union-pays tiers entre le 1er mai 2004 et le 14 février 2006 (paragraphe 2), des liaisons EEE sauf Union-pays tiers entre le 19 mai 2005 et le 14 février 2006 (paragraphe 3) et des liaisons Union-Suisse entre le 1er juin 2002 et le 14 février 2006 (paragraphe 4).

78      Il s’ensuit que le dispositif de la décision attaquée n’est entaché ni d’une contradiction ni d’un manque de clarté ou de précision.

79      Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que les motifs de la décision attaquée confortent cette conclusion. Ces motifs font ainsi référence, d’une part, à une infraction aux règles de concurrence applicables dont la portée géographique est limitée à des types de liaisons déterminés (considérants 1146 et 1187) et, d’autre part, à une « entente mondiale » (considérants 74, 112, 832 et 1300), de « caractère mondial » (considérant 887) ou « mise en œuvre mondialement » (considérant 1046).

80      Le considérant 1210 de la décision attaquée déroge, il est vrai, à la règle, en ce qu’il fait référence à « la portée géographique de l’infraction [qui] était mondiale ». Il y a cependant lieu de constater que le contexte dans lequel s’inscrit cette référence isolée à une infraction mondiale tend à démontrer qu’il s’agit d’une simple erreur de plume et qu’il faut lire « la portée géographique de l’entente [litigieuse] était mondiale ». En effet, ladite référence est suivie des phrases suivantes :

« Aux fins de déterminer la gravité de l’infraction, cela signifie que l’entente [litigieuse] couvrait l’ensemble de l’EEE et la Suisse. Cela inclut les services de fret […] sur les liaisons dans les deux directions entre des aéroports situés dans l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en dehors de l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en Suisse et entre des aéroports situés sur le territoire de parties contractantes à l’EEE qui ne sont pas des États membres et des aéroports situés dans des pays tiers. »

81      En conséquence, loin d’être contradictoire avec la motivation de la décision attaquée, le constat tenant à l’existence d’une coordination tarifaire pour la fourniture de services de fret dans le monde entier reflète la position exprimée par la Commission, tout au long de la décision attaquée, sur la portée géographique de l’entente litigieuse.

82      Le présent moyen doit donc être rejeté.

B.      Sur le quatrième moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes

83      Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission n’était pas compétente pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants, ce que celle-ci conteste.

84      Il convient de rappeler que, s’agissant d’un comportement adopté en dehors du territoire de l’EEE, la compétence de la Commission au regard du droit international public pour constater et sanctionner une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 53 de l’accord EEE peut être établie au regard du critère de la mise en œuvre ou, comme en sont convenues les requérantes lors de l’audience, au regard du critère des effets qualifiés (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 40 à 47, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, points 95 à 97).

85      Ces critères sont alternatifs et non cumulatifs (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 98 ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 62 à 64).

86      Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission s’est, comme le reconnaissent en substance les requérantes, fondée tant sur le critère de la mise en œuvre que sur le critère des effets qualifiés pour établir au regard du droit international public sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes.

87      Les requérantes invoquant une erreur dans l’application de chacun de ces deux critères, le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner d’abord si la Commission était fondée à se prévaloir du critère des effets qualifiés. Conformément à la jurisprudence citée au point 85 ci-dessus, ce n’est que dans la négative qu’il conviendra de vérifier si la Commission pouvait s’appuyer sur le critère de la mise en œuvre.

88      Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant que les contacts extra-EEE/Suisse s’agissant des services de fret entrants étaient susceptibles d’avoir des effets immédiats, substantiels et prévisibles sur le territoire du marché intérieur ou au sein de l’EEE. Les requérantes soulèvent, en substance, deux griefs à l’appui de leur argumentation.

89      En premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas démontré que la coordination sur les services de fret entrants avait pu avoir des effets directs au sein du marché intérieur. Au contraire, le considérant 917 de la décision attaquée indiquerait que la Commission « ne procède à aucune appréciation des effets anticoncurrentiels ». La Commission reconnaîtrait d’ailleurs que son argumentation est purement fondée sur l’existence d’une restriction par objet.

90      L’argument de la Commission figurant au considérant 1045 de la décision attaquée selon lequel la coordination sur les services de fret entrants aurait pu entraîner une hausse significative des coûts de transport aérien ne serait pas fondé et n’établirait pas en quoi les consommateurs de l’Union auraient pu être touchés de manière immédiate, substantielle et prévisible. La Commission serait restée en défaut d’examiner la question de savoir si l’augmentation des surtaxes était compensée par la diminution du taux de fret par un effet de vases communicants. Une analyse circonstanciée aurait révélé que l’effet sur les consommateurs de l’EEE serait « indirect-indirect », en ce qu’il serait le résultat de deux niveaux de « répercussions ». Ensuite, la Commission n’aurait apporté aucune explication solide quant à la manière dont la coordination sur les services de fret entrants aurait pu avoir une incidence sur la concurrence entre transporteurs au sein de l’EEE. La Commission s’appuierait aussi sur l’allégation non étayée selon laquelle le cas d’espèce impliquerait des pratiques éliminant toute forme de concurrence entre les transporteurs de services de fret entrants. Enfin, une éventuelle augmentation du prix des marchandises importées du fait de la hausse des coûts de transport aérien constituerait un préjudice économique, et non une restriction de concurrence.

91      Par ailleurs, au stade de la réplique, les requérantes font valoir que la Commission ne pouvait fonder sa compétence sur le règlement (CE) no 411/2004 du Conseil, du 26 février 2004, abrogeant le règlement (CEE) no 3975/87 et modifiant le règlement (CEE) no 3976/87 ainsi que le règlement no 1/2003, en ce qui concerne les transports aériens entre la Communauté et les pays tiers (JO 2004, L 68, p. 1). Toutefois, elles ont renoncé à cet argument lors de l’audience, ce dont il a été pris acte au procès-verbal.

92      En second lieu, toujours au stade de la réplique, les requérantes ajoutent que la Commission ne saurait s’appuyer sur l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 50), pour soutenir qu’elle était compétente au titre du critère des effets qualifiés au seul motif que la coordination sur les services de fret entrants faisait partie intégrante de l’infraction unique et continue. En particulier, d’une part, la restriction de concurrence n’aurait lieu qu’au point de vente, soit à l’extérieur de l’EEE. D’autre part, l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 50), porterait sur un cas d’application de l’article 102 TFUE et aurait concerné des pratiques dont l’effet anticoncurrentiel aurait été de maintenir ou d’accroître le pouvoir de marché d’une entreprise dominante dans l’Union. En pareil cas, il existerait un objectif commun qui crée un lien entre l’intégralité du comportement infractionnel et l’effet anticoncurrentiel. À l’inverse, dans un cas d’application de l’article 101 TFUE tel que celui de l’espèce, l’infraction unique reposerait sur un objectif commun et sur des liens de connexité.

93      La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

94      Dans la décision attaquée, la Commission s’est, en substance, appuyée sur trois motifs autonomes pour retenir que le critère des effets qualifiés était satisfait en l’espèce.

95      Les deux premiers motifs figurent au considérant 1045 de la décision attaquée. Ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse aux questions écrites et orales du Tribunal, ces motifs portent sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément. Le premier motif tient à ce que les « coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées [étaie]nt, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE ». Le deuxième motif concerne les effets de la coordination relative aux services de fret entrants « également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers ».

96      Le troisième motif figure au considérant 1046 de la décision attaquée et concerne, comme il ressort des réponses de la Commission aux questions écrites et orales du Tribunal, les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

97      Le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner tant les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément que ceux de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble, en commençant par les premiers.

1.      Sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément

98      Il convient d’examiner d’abord le bien-fondé du premier motif sur lequel se fonde la conclusion de la Commission selon laquelle le critère des effets qualifiés est satisfait en l’espèce (ci-après l’« effet en cause »).

99      À cet égard, il convient d’emblée d’observer que cet examen doit s’effectuer au regard de l’ensemble des contacts relatifs aux services de fret entrants, et non, comme les écritures des requérantes pourraient le laisser entendre, des seuls contacts extra-EEE/Suisse. En effet, d’une part, il ressort de la jurisprudence que la localisation d’un contact n’est pas déterminante aux fins de l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 16). D’autre part, il n’existe aucune raison de considérer que les services de fret entrants ne pourraient être discutés qu’à l’extérieur de l’EEE ou de la Suisse.

100    Cela étant posé, il convient de rappeler que, comme il ressort du considérant 1042 de la décision attaquée, le critère des effets qualifiés permet de justifier l’application des règles de concurrence de l’Union et de l’EEE au regard du droit international public lorsqu’il est prévisible que le comportement litigieux produise un effet immédiat et substantiel dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, EU:T:1999:65, point 90).

101    En l’espèce, les requérantes contestent tant la pertinence de l’effet en cause (voir points 102 à 121 ci-après) que son caractère prévisible (voir points 123 à 139 ci-après), son caractère substantiel (voir points 140 à 150 ci-après) et son caractère immédiat (voir points 151 à 162 ci-après).

a)      Sur la pertinence de l’effet en cause

102    Il ressort de la jurisprudence que le fait pour une entreprise participant à un accord ou à une pratique concertée d’être située dans un État tiers ne fait pas obstacle à l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, dès lors que cet accord ou cette pratique produit ses effets, respectivement, dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11).

103    L’application du critère des effets qualifiés a précisément pour objectif d’appréhender des comportements qui n’ont, certes, pas été adoptés sur le territoire de l’EEE, mais dont les effets anticoncurrentiels sont susceptibles de se faire sentir dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 45).

104    Ce critère n’exige pas d’établir que le comportement litigieux a « effectivement eu une incidence » sur le marché ou sur la concurrence. Au contraire, selon la jurisprudence et comme en sont d’ailleurs convenues les requérantes dans la réplique, il suffit de tenir compte de l’effet probable de ce comportement sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 51).

105    Il incombe, en effet, à la Commission d’assurer la protection de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE contre les menaces à son fonctionnement effectif.

106    En présence d’un comportement dont la Commission a, comme en l’espèce, considéré qu’il révélait un degré de nocivité à l’égard de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE tel qu’il pouvait être qualifié de restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, l’application du critère des effets qualifiés ne saurait pas non plus exiger la démonstration des effets concrets que suppose la qualification d’un comportement de restriction de concurrence « par effet » au sens de ces dispositions.

107    À cet égard, il convient de rappeler que le critère des effets qualifiés est ancré dans le libellé de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, qui tendent à appréhender les accords et les pratiques qui limitent le jeu de la concurrence, respectivement, dans le marché intérieur et au sein de l’EEE. Ces dispositions interdisent, en effet, les accords et les pratiques des entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, respectivement, « à l’intérieur du marché intérieur » et « à l’intérieur du territoire couvert par [l’accord EEE] » (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 42).

108    Or, il est de jurisprudence constante que l’objet et l’effet anticoncurrentiel sont des conditions non pas cumulatives, mais alternatives pour apprécier si un comportement relève des interdictions énoncées aux articles 101 TFUE et 53 de l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 28 et jurisprudence citée).

109    Il en résulte que, comme l’a relevé la Commission au considérant 917 de la décision attaquée, la prise en considération des effets concrets du comportement litigieux est superflue, dès lors que l’objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 496, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 55).

110    Dans ces conditions, interpréter le critère des effets qualifiés comme semblent le préconiser les requérantes, en ce sens qu’il exigerait la preuve des effets concrets du comportement litigieux même en présence d’une restriction de concurrence « par objet », reviendrait à assujettir la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE à une condition qui ne trouve pas de fondement dans le texte de ces dispositions.

111    Les requérantes ne sauraient par conséquent valablement reprocher à la Commission d’avoir commis une erreur en retenant que le critère des effets qualifiés était satisfait, alors même que celle-ci avait, aux considérants 917, 1190 et 1277 de la décision attaquée, indiqué ne pas être tenue de procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels du comportement litigieux au vu de l’objet anticoncurrentiel de ce dernier. Elles ne sauraient pas davantage déduire de ces considérants que la Commission n’a effectué aucune analyse des effets produits par ledit comportement dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE aux fins de l’application de ce critère.

112    En effet, au considérant 1045 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, était susceptible d’accroître le montant des surtaxes et, en conséquence, le prix total des services de fret entrants et que les transitaires avaient répercuté ce surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE, qui avaient dû payer pour les marchandises qu’ils avaient achetées un prix plus élevé que celui qui leur aurait été facturé en l’absence de ladite infraction.

113    Or, les requérantes sont restées en défaut de démontrer que le surcoût dont les expéditeurs étaient susceptibles d’avoir dû s’acquitter et le renchérissement des marchandises importées dans l’EEE qui pouvait en résulter ne comptaient pas parmi les effets dont la Commission était fondée à tenir compte aux fins de l’application du critère des effets qualifiés. C’est, en effet, à tort que les requérantes avancent que le comportement litigieux, en tant qu’il portait sur les liaisons entrantes, n’était pas susceptible de restreindre la concurrence dans l’EEE, au motif que celle-ci ne s’exerçait que dans les pays tiers où sont établis les transitaires qui s’approvisionnaient en services de fret entrants auprès des transporteurs incriminés.

114    À cet égard, il convient de relever que l’application du critère des effets qualifiés doit s’effectuer au regard du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 13).

115    En l’espèce, il ressort des considérants 14, 17 et 70 de la décision attaquée et des réponses des parties aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal que les transporteurs vendent exclusivement ou presque leurs services de fret à des transitaires.

116    Or, s’agissant des services de fret entrants, la quasi-totalité de ces ventes s’effectue au point d’origine des liaisons en cause, à l’extérieur de l’EEE, où sont établis lesdits transitaires. Il ressort, en effet, des réponses orales des requérantes aux questions écrites du Tribunal qu’elles n’ont réalisé, entre 2004 et 2005, qu’une proportion négligeable de leurs ventes de services de fret entrants auprès de clients implantés dans l’EEE.

117    Il convient, cependant, d’observer que, si les transitaires achètent ces services, c’est notamment en qualité d’intermédiaires, pour les consolider dans un lot de services dont l’objet est, par définition, d’organiser le transport intégré de marchandises vers le territoire de l’EEE au nom d’expéditeurs. Ainsi qu’il ressort du considérant 70 de la décision attaquée, ces derniers peuvent notamment être les acheteurs ou les propriétaires des marchandises transportées. Il est donc à tout le moins vraisemblable qu’ils soient établis dans l’EEE.

118    Il s’ensuit que, pour peu que les transitaires répercutent sur le prix de leurs lots de services l’éventuel surcoût résultant de l’entente litigieuse, c’est notamment sur la concurrence que se livrent les transitaires pour capter la clientèle de ces expéditeurs que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle concerne les liaisons entrantes, est susceptible d’avoir une incidence et, par suite, c’est dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE que l’effet en cause est susceptible de se matérialiser.

119    En conséquence, le surcoût dont les expéditeurs sont susceptibles d’avoir dû s’acquitter et le renchérissement des marchandises importées dans l’EEE qui peut en avoir résulté comptent parmi les effets produits par le comportement litigieux sur lesquels la Commission était fondée à s’appuyer aux fins de l’application du critère des effets qualifiés.

120    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument, avancé pour la première fois lors de l’audience, selon lequel considérer que l’effet en cause est pertinent aux fins de l’application du critère des effets qualifiés pourrait conduire à des conflits de compétence. À l’appui de cet argument, les requérantes citent l’exemple d’une entente entre fabricants de teintures chinois, qui vendent leurs produits à des fabricants de textiles en Chine, lesquels répercutent le surcoût sur leurs clients en Europe. Selon les requérantes, cet exemple présente « une question d’extraterritorialité et, dans ce cas-là, c’est l’autorité de concurrence chinoise qui doit traiter la question ».

121    À cet égard, il suffit de rappeler qu’il n’existe pas de principe de droit international public qui interdise aux autorités publiques de différents États de poursuivre et de condamner une personne physique ou morale pour les mêmes faits que ceux pour lesquels ladite personne a déjà été jugée dans un autre État (arrêt du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, EU:C:2006:431, point 58).

122    Conformément à la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus, la question est donc de savoir si cet effet présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis.

b)      Sur le caractère prévisible de l’effet en cause

123    L’exigence de prévisibilité vise à assurer la sécurité juridique en garantissant que les entreprises concernées ne puissent être sanctionnées du fait d’effets qui résulteraient, certes, de leur comportement, mais dont elles ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils surviennent (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Otis Gesellschaft e.a., C‑435/18, EU:C:2019:651, point 83).

124    Satisfont ainsi à l’exigence de prévisibilité les effets dont les parties à l’entente en cause doivent raisonnablement savoir, dans les limites des choses généralement connues, qu’ils surviendront, par opposition aux effets qui procèdent d’un déroulement parfaitement inhabituel de circonstances et, de ce fait, d’un enchaînement atypique de causes (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 42).

125    Or, il ressort des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée qu’il est, en l’espèce, question d’un comportement collusoire de fixation horizontale des prix, dont l’expérience montre qu’il entraîne notamment des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51).

126    Il ressort également des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée que ce comportement se rapportait à la STC, à la STS et au refus de paiement de commissions.

127    En l’espèce, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que la fixation horizontale de la STC et de la STS entraînerait l’augmentation du niveau de celles-ci. Comme il ressort des considérants 874, 879 et 899 de la décision attaquée, le refus de paiement de commissions était de nature à renforcer une telle augmentation. Il s’analysait, en effet, en un refus concerté d’octroyer aux transitaires des ristournes sur les surtaxes et tendait ainsi à permettre aux transporteurs incriminés de « maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer » (considérant 874 de ladite décision) et de soustraire ainsi les surtaxes au jeu de la concurrence (considérant 879 de cette décision).

128    Or, il ressort du considérant 17 de la décision attaquée que le prix des services de fret se compose des tarifs et de surtaxes, dont la STC et la STS. Sauf à considérer qu’une augmentation de la STC et de la STS serait, par un effet de vases communicants suffisamment probable, compensée par une baisse correspondante des tarifs et d’autres surtaxes, une telle augmentation était en principe de nature à entraîner une augmentation du prix total des services de fret entrants. Or, les requérantes ont échoué à établir qu’un effet de vases communicants était probable au point de rendre imprévisible l’effet en cause. Elles sont ainsi restées en défaut de produire les « avis d’experts économiques » qu’elles ont mentionnés au soutien de leur argumentation lors de l’audience, indiquant uniquement que la Commission avait retenu que, s’agissant d’une restriction de concurrence « par objet », il n’était pas nécessaire d’examiner les arguments tendant à prouver l’existence d’un tel effet.

129    Il est vrai que, au considérant 1190 de la décision attaquée, la Commission a relevé que des arguments avaient été soulevés lors de la procédure administrative aux fins de démontrer qu’il n’« y avait pas d’impact sur le prix total puisque les augmentations des surtaxes étaient compensées par des diminutions d’autres éléments constitutifs du prix ». Il est également vrai que la Commission a rejeté ces arguments au motif qu’ils ramenaient à l’absence d’effet de l’infraction unique et continue alors que son argumentation était purement fondée sur l’existence d’une restriction « par objet ». Il convient, cependant, d’observer que les requérantes n’ont pas démontré que ces arguments, qui se rapportaient à la détermination de la valeur des ventes dans le cadre de la fixation du montant de l’amende, tendaient à démontrer que le contexte économique et juridique pertinent était tel qu’il était suffisamment probable pour les transporteurs incriminés qu’un effet de vases communicants se produise pour rendre imprévisible l’effet en cause.

130    Dans ces conditions et malgré les dénégations « catégorique[s] », mais nullement étayées, des requérantes, il y a lieu de relever que les parties à l’entente litigieuse auraient raisonnablement pu prévoir que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle concernait les services de fret entrants, une augmentation du prix des services de fret sur les liaisons entrantes.

131    La question est donc de savoir s’il était prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur leurs propres clients, à savoir les expéditeurs.

132    À cet égard, il ressort des considérants 14 et 70 de la décision attaquée que le prix des services de fret constitue un intrant pour les transitaires. Il s’agit là d’un coût variable, dont l’accroissement a, en principe, pour effet d’augmenter le coût marginal au regard duquel les transitaires définissent leurs propres prix.

133    Les requérantes n’apportent aucun élément démontrant que les circonstances de l’espèce étaient peu propices à la répercussion en aval, sur les expéditeurs, du surcoût résultant de l’infraction unique et continue sur les liaisons entrantes.

134    Dans ces conditions, il était raisonnablement prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur les expéditeurs par le truchement d’une augmentation du prix des services de transit.

135    Or, comme il ressort des considérants 70 et 1031 de la décision attaquée, le coût des marchandises dont les transitaires organisent généralement le transport intégré au nom des expéditeurs intègre le prix des services de transit et notamment celui des services de fret, qui en sont un élément constitutif.

136    Au regard de ce qui précède, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, une augmentation du prix des marchandises importées.

137    Pour les motifs retenus au point 117 ci-dessus, il était tout aussi prévisible pour les transporteurs incriminés que, comme il ressort du considérant 1045 de la décision attaquée, cet effet se produise dans l’EEE.

138    L’effet en cause ayant relevé du cours normal des choses et de la rationalité économique, il n’était, contrairement à ce qu’ont soutenu les requérantes lors de l’audience, nullement nécessaire qu’elles « sachent ce que font les transitaires par rapport aux clients » pour pouvoir le prévoir.

139    Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause revêtait le caractère prévisible requis.

c)      Sur le caractère substantiel de l’effet en cause

140    L’appréciation du caractère substantiel des effets produits par le comportement litigieux doit s’effectuer au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce. Parmi ces circonstances figurent notamment la durée, la nature et la portée de l’infraction. D’autres circonstances, telles que l’importance des entreprises ayant participé à ce comportement, peuvent aussi être pertinentes (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 159, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 112).

141    Lorsque l’effet examiné tient à une augmentation du prix d’un bien ou d’un service fini dérivé du service cartellisé ou qui le contient, la proportion du prix du bien ou du service fini que représente le service cartellisé peut également entrer en ligne de compte.

142    En l’espèce, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, il convient de considérer que l’effet en cause, tenant à l’accroissement du prix des marchandises importées dans l’EEE, présente un caractère substantiel.

143    En effet, en premier lieu, il ressort du considérant 1146 de la décision attaquée que la durée de l’infraction unique et continue s’élève à 21 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons Union-pays tiers et à 8 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. Il ressort des considérants 1215 et 1217 de cette décision que telle était aussi la durée de la participation de l’ensemble des transporteurs incriminés, à l’exception des requérantes.

144    En deuxième lieu, s’agissant de la portée de l’infraction, il ressort du considérant 889 de la décision attaquée que la STC et la STS étaient des « mesures d’application générale qui n[’étaient] pas spécifiques à une liaison » et qui « avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons […] à destination de l’EEE ».

145    En troisième lieu, s’agissant de la nature de l’infraction, il ressort du considérant 1030 de la décision attaquée que l’infraction unique et continue avait pour objet de restreindre la concurrence entre les transporteurs incriminés notamment sur des liaisons EEE-pays tiers. Au considérant 1208 de ladite décision, la Commission a conclu que la « fixation de divers éléments du prix, y compris certaines surtaxes, constitu[ait] l’une des restrictions à la concurrence les plus graves » et a, en conséquence, retenu que l’infraction unique et continue méritait l’application d’un coefficient de gravité situé « en haut de l’échelle » prévue par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).

146    À titre surabondant, s’agissant de la proportion du prix du service cartellisé dans le bien ou le service qui en est dérivé ou le contient, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les surtaxes représentaient pendant la période infractionnelle une proportion importante du prix total des services de fret.

147    Il ressort ainsi d’une lettre du 8 juillet 2005 de la Hong Kong Association of Freight Forwarding & Logistics (Association de Hong Kong du transit et de la logistique) au président du sous-comité cargo (ci-après le « SCC ») du Board of Airline Representatives (Association des représentants des compagnies aériennes, ci-après le « BAR ») à Hong Kong que les surtaxes représentent une « part très conséquente » du prix total des lettres de transport aérien dont devaient s’acquitter les transitaires.

148    Or, comme il ressort du considérant 1031 de la décision attaquée, le prix des services de fret constituait lui-même un « élément important du coût des marchandises transportées, qui a un impact sur leur vente ».

149    Toujours à titre surabondant, s’agissant de l’importance des entreprises ayant participé au comportement litigieux, il ressort du considérant 1209 de la décision attaquée que la part de marché cumulée des transporteurs incriminés sur le « marché mondial » s’élevait à 34 % en 2005 et était « au moins aussi grande pour les services de fret […] fournis […] sur des liaisons [EEE-pays tiers] », lesquelles comprennent à la fois les liaisons au départ de l’EEE et à destination de pays tiers (ci-après les « liaisons sortantes ») et les liaisons entrantes.

150    Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause présentait le caractère substantiel requis.

d)      Sur le caractère immédiat de l’effet en cause

151    L’exigence d’immédiateté des effets produits par le comportement litigieux vise le lien de causalité entre le comportement en cause et l’effet examiné. Cette exigence a pour objet d’assurer que la Commission ne puisse, pour justifier sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, se prévaloir de tous les effets possibles, ni des effets très éloignés qui pourraient résulter de ce comportement à titre de conditio sine qua non (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 33 et 34).

152    La causalité immédiate ne saurait toutefois se confondre avec une causalité unique qui exigerait de constater de manière systématique et absolue la rupture du lien de causalité lorsqu’un tiers a contribué à la survenance des effets en cause (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 36 et 37).

153    En l’espèce, l’intervention des transitaires, dont il était prévisible que, en toute autonomie, ils répercuteraient sur les expéditeurs le surcoût dont ils avaient dû s’acquitter, est, certes, de nature à avoir contribué à la survenance de l’effet en cause. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent en substance les requérantes, cette intervention n’était pas, à elle seule, de nature à rompre la chaîne de causalité entre le comportement litigieux et ledit effet et, ainsi, à le priver de son caractère immédiat.

154    Au contraire, lorsqu’elle n’est pas fautive, mais découle objectivement de l’entente en cause, selon le fonctionnement normal du marché, une telle intervention ne rompt pas la chaîne de causalité (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, CD Cartondruck/Conseil et Commission, T‑320/00, non publié, EU:T:2005:452, points 172 à 182), mais la poursuit (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 37).

155    Or, en l’espèce, les requérantes n’établissent ni même n’allèguent que la prévisible répercussion du surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE serait fautive ou étrangère au fonctionnement normal du marché.

156    Il s’ensuit que l’effet en cause présente le caractère immédiat requis.

157    Aucun des arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

158    Il convient ainsi de relever que les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir de l’arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92). Le point 53 de cet arrêt, auquel se réfèrent les requérantes, portait sur la question de savoir si la Commission avait utilisé l’enquête qu’elle avait effectuée sur un intrant pour constater une infraction aux produits finis auxquels il était intégré. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, la Commission s’étant limitée à constater une infraction relative aux services de fret.

159    Quant au point 57 de l’arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92), auquel se réfèrent également les requérantes, il se limite à indiquer qu’il « convient tout d’abord de rappeler les principes établis par la jurisprudence en ce qui concerne la compétence territoriale de la Commission pour constater des infractions au droit de la concurrence ». Les points suivants ne mentionnent le critère des effets qualifiés, dont il est question dans le cadre du présent moyen, que pour retenir qu’il ne remet pas en cause le critère de la mise en œuvre, dont l’application n’est pas en cause dans le cadre de la présente branche (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, points 61 à 63).

160    Pour ce qui est de l’arrêt du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission (T‑104/13, EU:T:2015:610), auquel se réfèrent également les requérantes, il n’appuie pas non plus leur argumentation. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait constaté que plusieurs entreprises avaient violé l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en s’entendant au sujet des deux types de tubes à rayons cathodiques qui existaient à l’époque, à savoir les tubes couleur pour écrans d’ordinateur et les tubes couleur pour téléviseurs. Au point 159 dudit arrêt, le Tribunal a retenu ce qui suit :

« […] à juste titre, la Commission a considéré que l’infraction avait immédiatement affecté l’EEE, étant donné que, d’une part, les accords collusoires avaient directement influencé la fixation des prix et la fixation des volumes de [tubes à rayons cathodiques] fournis sur ce territoire, soit directement, soit par le biais de produits transformés [c’est-à-dire intégrés au sein d’un même groupe à un produit final et vendus ensuite par l’un des destinataires de la décision attaquée aux clients situés dans l’EEE], et que, d’autre part, tant les [tubes couleur pour écrans d’ordinateur] que les [tubes couleur pour téléviseurs] avaient été fournis et expédiés directement dans l’EEE à partir d’installations de production des membres de l’entente situées dans d’autres parties du monde. »

161    Or, ce faisant, le Tribunal n’a aucunement exclu qu’un effet immédiat puisse se matérialiser dans des circonstances telles que celles de l’espèce, dans lesquelles l’acheteur direct du service cartellisé ne se situe pas dans l’EEE. C’est d’autant plus vrai que, comme il ressort des points 117 et 137 ci-dessus, les services dont il est question en l’espèce, à savoir les services de fret entrants, présentent la particularité d’avoir précisément pour objet d’acheminer des marchandises de pays tiers vers l’EEE.

162    Il résulte de ce qui précède que l’effet en cause présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis et que le premier motif sur lequel la Commission s’est appuyée pour conclure que le critère des effets qualifiés était satisfait est fondé. Il y a donc lieu de constater que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, retenir que ledit critère était satisfait s’agissant de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé du second motif retenu au considérant 1045 de la décision attaquée.

2.      Sur les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble

163    Il convient d’emblée de rappeler que rien n’interdit d’apprécier si la Commission dispose de la compétence nécessaire pour appliquer, dans chaque cas, le droit de la concurrence de l’Union au regard du comportement de l’entreprise ou des entreprises en cause, pris dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 50).

164    Selon la jurisprudence, l’article 101 TFUE est susceptible de s’appliquer à des pratiques et à des accords servant un même objectif anticoncurrentiel, dès lors qu’il est prévisible que, pris ensemble, ils auront des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur. Il ne saurait en effet être permis aux entreprises de se soustraire à l’application des règles de concurrence de l’Union en combinant plusieurs comportements poursuivant un objectif identique, dont chacun, pris isolément, n’est pas susceptible de produire un effet immédiat et substantiel dans ledit marché, mais qui, pris ensemble, sont susceptibles de produire un tel effet (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 106).

165    La Commission peut ainsi fonder sa compétence pour appliquer l’article 101 TFUE à une infraction unique et continue telle qu’elle a été constatée dans la décision litigieuse sur les effets prévisibles, immédiats et substantiels de celle-ci dans le marché intérieur (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 105).

166    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort pas de cette jurisprudence que sa portée dans des cas d’application de l’article 101 TFUE serait restreinte à des hypothèses de « comportement sur un seul marché qui renforce les effets de comportements sur d’autres marchés », mais ne trouverait pas à s’appliquer dans un cas tel que celui de l’espèce, dans lequel l’infraction unique « repose sur un objet commun et des liens de connexité ».

167    Ces considérations valent, mutatis mutandis, pour l’article 53 de l’accord EEE.

168    Or, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a qualifié le comportement litigieux d’infraction unique et continue, y compris en tant qu’il concernait les services de fret entrants. Dans la mesure où les requérantes contestent cette qualification en général et le constat de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique tendant à entraver la concurrence au sein de l’EEE sur laquelle elle se fonde, leurs arguments seront examinés dans le cadre du troisième moyen, qui se rapporte à cette question.

169    Au considérant 1046 de la décision attaquée, la Commission a, comme il ressort de ses réponses aux questions écrites et orales du Tribunal, examiné les effets de cette infraction prise dans son ensemble. Elle a ainsi notamment retenu que son enquête avait révélé une « entente mise en œuvre mondialement », dont les « arrangements […] concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ». Elle a ajouté que l’« application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente [litigieuse] ». Comme l’a indiqué la Commission en réponse aux questions écrites du Tribunal, l’application uniforme des surtaxes s’intégrait dans une stratégie d’ensemble visant à neutraliser le risque que les transitaires puissent contourner les effets de cette entente en optant pour des liaisons indirectes qui ne seraient pas assujetties à des surtaxes coordonnées pour acheminer des marchandises du point d’origine au point de destination. La raison en est, comme il ressort du considérant 72 de la décision attaquée, que le « facteur temps est moins important pour le transport de [fret] que pour le transport de passagers », si bien que le fret « peut être acheminé avec un nombre d’escales plus élevé » et que les liaisons indirectes peuvent, en conséquence, se substituer aux liaisons directes.

170    Dans ces conditions, c’est à juste titre que la Commission fait valoir que lui interdire d’appliquer le critère des effets qualifiés au comportement litigieux pris dans son ensemble risquerait de conduire à une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts susceptibles d’échapper, en tout ou en partie, à la compétence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 57).

171    Il y a donc lieu de considérer que la Commission pouvait, au considérant 1046 de la décision attaquée, examiner les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

172    Or, s’agissant d’accords et de pratiques, premièrement, qui avaient pour objet de restreindre la concurrence au moins au sein de l’Union, dans l’EEE et en Suisse (considérant 903 de cette décision), deuxièmement, qui réunissaient des transporteurs aux parts de marchés importantes (considérant 1209 de ladite décision) et, troisièmement, dont une partie significative a porté sur des liaisons intra-EEE pendant une période de plus de six ans (considérant 1146 de la même décision), il ne fait guère de doute qu’il était prévisible que, prise dans son ensemble, l’infraction unique et continue produise des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE.

173    Il s’ensuit que la Commission était également fondée à retenir, au considérant 1046 de la décision attaquée, que le critère des effets qualifiés était satisfait s’agissant de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

174    La Commission ayant ainsi établi à suffisance qu’il était prévisible que le comportement litigieux produirait un effet substantiel et immédiat dans l’EEE, il convient de rejeter le présent grief et, en conséquence, le présent moyen dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner sa première branche, tirée d’erreurs dans l’application du critère de la mise en œuvre.

C.      Sur le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse

175    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au juge de l’Union d’examiner d’office le moyen, qui est d’ordre public, tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, EU:C:2000:397, point 56).

176    De jurisprudence constante, le juge de l’Union ne peut, en principe, fonder sa décision sur un moyen de droit relevé d’office, fût-il d’ordre public, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations à ce sujet (voir arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX‑II, EU:C:2009:804, point 57 et jurisprudence citée).

177    En l’espèce, le Tribunal estime qu’il lui appartient d’examiner d’office si la Commission a outrepassé les limites de sa propre compétence au titre de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, s’agissant des liaisons EEE sauf Union-Suisse, en constatant, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers et a invité les parties à présenter leurs observations à ce sujet dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure.

178    Les requérantes ont fait valoir que, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission avait retenu une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse. Elles ont ajouté que, ce faisant, la Commission avait violé l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

179    La Commission répond que la référence, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, aux « liaisons entre aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des aéroports situés dans des pays tiers » ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle inclut les liaisons EEE sauf Union-Suisse. Selon elle, la notion de « pays tiers » au sens de cet article exclut la Confédération suisse.

180    La Commission ajoute que, s’il y avait lieu de considérer qu’elle a tenu les requérantes pour responsables d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, elle aurait outrepassé les limites que l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pose à sa compétence.

181    Il y a lieu de déterminer si, comme le soutiennent les requérantes, la Commission a constaté une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée et, le cas échéant, si elle a ainsi outrepassé les limites de la compétence dont elle est investie au titre de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

182    À cet égard, il convient de rappeler que, comme il a été relevé au point 76 ci-dessus, c’est le dispositif, et non les motifs, d’une décision qui importe aux fins de déterminer la portée et la nature des infractions sanctionnées.

183    À l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission a constaté que les requérantes avaient « enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons entre aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des aéroports situés dans des pays tiers » du 19 mai 2005 au 7 décembre 2005. Elle n’a pas expressément inclus dans ces liaisons les liaisons EEE sauf Union-Suisse, ni ne les en a expressément exclues.

184    Il convient donc de vérifier si la Confédération suisse relève des « pays tiers » visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.

185    À cet égard, il convient d’observer que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée distingue les « pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres » et les pays tiers. Il est vrai que, comme le relèvent les requérantes, la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et compte donc parmi les pays tiers à celui-ci.

186    Il convient, cependant, de rappeler que, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les mêmes termes employés dans un même acte doivent être présumés avoir la même signification.

187    Or, à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, la Commission a retenu une infraction à l’article 101 TFUE sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Cette notion n’inclut pas les aéroports situés en Suisse, alors même que la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et que ses aéroports doivent dès lors formellement être considérés comme étant « situés en dehors de l’EEE » ou, autrement dit, dans un pays tiers à cet accord. Ces aéroports font l’objet de l’article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée, qui retient une infraction à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse ».

188    Conformément au principe rappelé au point 186 ci-dessus, il doit donc être présumé que les termes « aéroports situés dans des pays tiers » employés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée ont la même signification que les termes « aéroports situés en dehors de l’EEE » employés au paragraphe 2 de cet article et excluent, par suite, les aéroports situés en Suisse.

189    En l’absence de la moindre indication dans le dispositif de la décision attaquée que la Commission aurait entendu donner une signification différente à la notion de « pays tiers » visée à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, il convient de conclure que la notion de « pays tiers » visée à son article 1er, paragraphe 3, exclut la Confédération suisse.

190    Il ne saurait donc être considéré que la Commission a tenu les requérantes pour responsables d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.

191    Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que ses motifs ne contredisent pas cette conclusion.

192    Au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les « arrangements anticoncurrentiels » qu’elle avait décrits enfreignaient l’article 101 TFUE du 1er mai 2004 au 14 février 2006 « en ce qui concerne le transport aérien entre des aéroports au sein de l’U[nion] et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Dans la note en bas de page afférente (no 1514), la Commission a précisé ce qui suit : « Aux fins de la présente décision, les “aéroports situés en dehors de l’EEE” désignent les aéroports situés dans des pays autres que la [Confédération s]uisse et les parties contractantes à l’accord EEE ».

193    Il est vrai que, lorsqu’elle a décrit la portée de l’infraction à l’article 53 de l’accord EEE au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission n’a pas fait référence à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE », mais à celle d’« aéroports situés dans les pays tiers ». Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission a entendu donner une signification différente à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » aux fins de l’application de l’article 101 TFUE et à celle d’« aéroports situés dans des pays tiers » aux fins de l’application de l’article 53 de l’accord EEE. Au contraire, la Commission a utilisé ces deux expressions de manière interchangeable dans la décision attaquée. Ainsi, au considérant 824 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle « n’appliquera[it] pas l’article 101 du TFUE aux accords et pratiques anticoncurrentiels concernant le transport aérien entre les aéroports de l’U[nion] et les aéroports de pays tiers qui ont eu lieu avant le 1er mai 2004 ». De même, au considérant 1222 de cette décision, s’agissant de la cessation de la participation de SAS Consortium à l’infraction unique et continue, la Commission a fait référence à sa compétence au titre de ces dispositions « pour les liaisons entre l’U[nion] et les pays tiers ainsi que les liaisons entre l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein et les pays situés en dehors de l’EEE ».

194    Les motifs de la décision attaquée confirment donc que les notions d’« aéroports situés dans des pays tiers » et d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » ont la même signification. Conformément à la clause de définition figurant à la note en bas de page no 1514, il convient dès lors de considérer que toutes deux excluent les aéroports situés en Suisse.

195    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée ne plaident pas pour une autre solution. Certes, au considérant 1194 de cette décision, la Commission a fait référence aux « liaisons entre l’EEE et les pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse ». De même, au considérant 1241 de cette décision, dans le cadre de la « détermination de la valeur des ventes sur les liaisons avec les pays tiers », la Commission a réduit de 50 % le montant de base pour les « liaisons EEE-pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse, pour lesquelles [elle] agit sous l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] ». Or, il pourrait être considéré que, comme le relève en substance les requérantes, si la Commission a pris le soin d’insérer dans ces considérants la mention « à l’exception des liaisons entre l’Union et la Suisse », c’est qu’elle considérait que la Confédération suisse relevait de la notion de « pays tiers » pour autant qu’il était question des liaisons EEE-pays tiers.

196    La Commission a d’ailleurs admis qu’il était possible qu’elle ait « par inadvertance » inclus dans la valeur des ventes le chiffre d’affaires que certains transporteurs incriminés avaient réalisé sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse pendant la période concernée. Selon elle, la raison en est que, dans une demande d’informations du 26 janvier 2009, concernant certains chiffres d’affaires, elle n’a pas avisé les transporteurs concernés qu’il y avait lieu d’exclure le chiffre d’affaires réalisé sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse de la valeur des ventes réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers.

197    Il y a néanmoins lieu de constater, à l’instar de la Commission, que ces éléments concernent exclusivement les recettes à prendre en compte aux fins du calcul du montant de base de l’amende, et non la définition du périmètre géographique de l’infraction unique et continue, dont il est question ici.

198    Le présent moyen doit donc être écarté.

D.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du principe de courtoisie internationale et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale

199    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir enfreint l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien et le principe de courtoisie internationale et d’avoir appliqué le règlement no 1/2003 en violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale en se référant dans la décision attaquée à des contacts intervenus en Suisse (ci-après les « contacts suisses ») et à des contacts extra-EEE/Suisse.

200    En premier lieu, s’agissant des contacts suisses, l’article 11 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien répartirait les compétences entre la Commission et les autorités suisses de manière à éviter une déclaration unilatérale de compétence s’agissant d’une infraction dont le centre de gravité se trouve sur le territoire de l’autre partie contractante. L’article 11, paragraphe 2, de cet accord limiterait ainsi les compétences de la Commission en réservant aux autorités suisses la compétence exclusive pour appliquer aux transports aériens entre la Suisse et les pays tiers les règles interdisant les accords et les pratiques anticoncurrentielles. Il s’agirait notamment d’éviter d’entraver indûment la politique extérieure de la Suisse en prévenant les conflits entre les règles de concurrence et les obligations qu’elle a contractées au titre d’accords internationaux relatifs aux services aériens (ci-après les « ASA ») conclus avec différents pays tiers et dont beaucoup autorisent, encouragent ou contraignent les transporteurs à coordonner leurs tarifs.

201    La position de la Commission consistant à se prévaloir d’être seule responsable de l’application des articles 8 et 9 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux agissements constatés en Suisse autour du transport aérien entre la Suisse et des pays tiers serait donc incompatible avec le système mis en place par l’article 11 de cet accord et avec le principe de courtoisie internationale. Elle affecterait aussi de manière incidente le transport aérien entre la Suisse et l’Union.

202    Or, les contacts suisses auraient essentiellement, si ce n’est exclusivement, concerné des services de fret entre la Suisse et des pays tiers. La décision attaquée reposerait ainsi largement sur les pratiques de l’association suisse de transporteurs Air Cargo Council Switzerland (Conseil du Fret Aérien Suisse, ci-après l’« ACCS »), que la Commission aurait qualifiée de moyen de transmission des contacts entre les transporteurs incriminés, alors même qu’elle aurait été présidée par des représentants de transporteurs de pays tiers lors de la période concernée et compterait parmi ses membres des transporteurs très majoritairement issus de pays tiers et qui n’opéreraient que sur des liaisons entre la Suisse et des pays tiers. L’importance des transporteurs établis à l’extérieur de l’EEE s’expliquerait par le fait que les liaisons Union-Suisse sont négligeables par rapport aux liaisons entre la Suisse et des pays tiers. Quant à la réunion du 17 janvier 2001, sur laquelle s’appuierait la Commission pour démontrer que les contacts intervenus dans le cadre de l’ACCS portaient sur les liaisons Union-Suisse, elle aurait porté sur une baisse des prix et n’aurait réuni qu’une minorité de transporteurs européens.

203    Au stade de la réplique, les requérantes ajoutent que, quand bien même écarter les éléments de preuve relatifs aux contacts suisses devrait affecter principalement l’étendue de la participation à l’infraction d’autres entreprises, cela n’en justifierait pas moins l’annulation à tout le moins partielle du dispositif de la décision attaquée. La portée précise de l’infraction serait en effet susceptible d’avoir une incidence significative dans le cadre d’actions en dommages et intérêts.

204    En second lieu, s’agissant des contacts extra-EEE/Suisse, les requérantes reprochent, en substance, à la Commission de s’être appuyée sur des contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 pour conclure à l’existence d’une infraction unique et continue et de leur avoir ainsi appliqué le règlement no 1/2003 avant qu’il ne devienne applicable aux liaisons Union-pays tiers. Avant l’entrée en vigueur du règlement no 1/2003 à cette date, l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 3975/87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO 1987, L 374, p. 1), aurait, en effet, limité aux liaisons entre aéroports de l’Union la compétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE aux transports aériens internationaux. Cette compétence aurait été définie par le lieu de prestation des services concernés et non par la portée de l’infraction en cause.

205    Or, les contacts extra-EEE/Suisse intervenus avant le 1er mai 2004 que la Commission citerait abondamment dans la décision attaquée concerneraient, par leur nature même, les seuls services de transport aérien sur les liaisons EEE-pays tiers. Les contacts entre les représentants locaux des transporteurs lors des réunions du BAR ou dans le cadre de forums similaires à Hong Kong, en Thaïlande, aux Philippines ou encore au Japon n’auraient en rien concerné les liaisons intra-EEE. Les contacts concernant les surtaxes appliquées dans des pays tels que Hong Kong, la Thaïlande ou les Philippines n’auraient, certes, pas toujours été spécifiques à une liaison. Ils se seraient, toutefois, résumés à quelques liaisons dont aucune ne reliait des aéroports situés à l’intérieur de l’EEE. La majorité des transporteurs qui assistaient à ce type de réunions n’auraient même pas disposé des droits nécessaires à l’exploitation de liaisons intra-EEE. Quant aux transporteurs qui disposaient de tels droits, ils auraient été représentés à ces réunions par des employés locaux qui n’avaient pas autorité pour discuter du prix des vols intra-EEE et disposaient encore moins des connaissances nécessaires pour le faire.

206    Au stade de la réplique, les requérantes ajoutent, en substance, que la Commission n’est pas fondée à se prévaloir de la distinction entre une compétence pour « établir » une infraction aux règles de concurrence sur des liaisons se situant en tout ou en partie à l’extérieur de l’EEE et une compétence pour se fonder sur des contacts extra-EEE/Suisse pour établir l’existence d’une entente mondiale. En effet, cette distinction serait douteuse et ne figurerait pas dans la décision attaquée.

207    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

208    À titre liminaire, il convient de rappeler les règles pertinentes qui régissent la compétence de la Commission pour constater et sanctionner des infractions à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

209    L’article 103, paragraphe 1, TFUE investit le Conseil de l’Union européenne de la compétence d’arrêter les règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 101 et 102 TFUE.

210    En l’absence d’une telle réglementation, les articles 104 et 105 TFUE s’appliquent. Ces dispositions imposent, en substance, aux autorités des États membres l’obligation d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE et limitent les pouvoirs de la Commission en la matière à la faculté d’instruire, sur demande d’un État membre ou d’office, et en liaison avec les autorités compétentes des États membres qui lui prêtent leur assistance, les cas d’infraction présumée aux principes fixés par ces dispositions et, le cas échéant, de proposer les moyens propres à y mettre fin (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 52 à 54 et 58).

211    Le 6 février 1962, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article [103 TFUE], le règlement no 17, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204).

212    Toutefois, le règlement no 141 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement no 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), a soustrait l’ensemble du secteur des transports à l’application du règlement no 17 (arrêt du 11 mars 1997, Commission/UIC, C‑264/95 P, EU:C:1997:143, point 44). Dans ces conditions, en l’absence d’une réglementation telle que celle prévue à l’article 103, paragraphe 1, TFUE, les articles 104 et 105 TFUE sont initialement demeurés applicables aux transports aériens (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 51 et 52).

213    La conséquence en a été une répartition des compétences entre les États membres et la Commission pour l’application des articles 101 et 102 TFUE telle que celle décrite au point 210 ci-dessus.

214    Ce n’est qu’en 1987 que le Conseil a adopté un règlement concernant le transport aérien au titre de l’article 103, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit du règlement no 3975/87, qui a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux transports aériens internationaux entre des aéroports au sein de l’Union, à l’exclusion des transports aériens internationaux entre les aéroports d’un État membre et ceux d’un pays tiers (arrêt du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 11). Ces derniers sont demeurés assujettis aux articles 104 et 105 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, point 55).

215    L’entrée en vigueur, en 1994, du protocole 21 de l’accord EEE concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises (JO 1994, L 1, p. 181) a étendu ce régime à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par l’accord EEE, excluant ainsi que la Commission puisse appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE aux transports aériens internationaux entre les aéroports des États parties à l’EEE qui ne sont pas membres de l’Union et ceux de pays tiers.

216    Le règlement no 1/2003 et la décision du Comité mixte de l’EEE no 130/2004, du 24 septembre 2004, modifiant l’annexe XIV (Concurrence), le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) et le protocole 23 (concernant la coopération entre les autorités de surveillance) de l’accord EEE (JO 2005, L 64, p. 57), qui a par la suite incorporé ce règlement à l’accord EEE, ont initialement laissé intact ce régime. L’article 32, sous c), dudit règlement prévoyait, en effet, que ce dernier ne « s’appliqu[ait] pas aux transports aériens entre les aéroports de [l’Union] et des pays tiers ».

217    Le règlement no 411/2004, dont l’article 1er a abrogé le règlement no 3975/87 et dont l’article 3 a supprimé l’article 32, sous c), du règlement no 1/2003, a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux liaisons Union-pays tiers à compter du 1er mai 2004.

218    La décision du Comité mixte de l’EEE no 40/2005, du 11 mars 2005, modifiant l’annexe XIII (Transports) et le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) de l’accord EEE (JO 2005, L 198, p. 38), a incorporé le règlement no 411/2004 à l’accord EEE, conférant à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE aux liaisons EEE sauf Union-pays tiers à compter du 19 mai 2005.

219    Quant à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, il convient de relever que c’est, en principe, à la Commission qu’il incombe d’appliquer son article 8. L’article 11, paragraphe 2, de cet accord réserve néanmoins aux autorités suisses la compétence pour statuer sur l’admissibilité de tous les accords, décisions et pratiques concertées concernant les liaisons entre la Suisse et les pays tiers à cet accord.

220    En l’espèce, il est constant entre les parties que la Commission n’a, dans le dispositif de la décision attaquée, pas constaté de violation de l’article 101 TFUE sur les liaisons Union-pays tiers avant le 1er mai 2004 ou de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers avant le 19 mai 2005. Elle n’a pas davantage constaté, dans ce dispositif, de violation de l’article 101 TFUE, de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien ou de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse et des pays tiers. Elle ne s’est, à plus forte raison et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, pas prévalue d’être « seule responsable de l’application des articles 8 et 9 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] aux agissements constatés » sur de telles liaisons.

221    Il s’ensuit que le dispositif de la décision attaquée n’appuie pas l’argument des requérantes selon lequel la Commission a appliqué le règlement no 1/2003 en violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale ou a outrepassé les limites de ses compétences au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

222    Les requérantes n’en considèrent pas moins que la Commission a entaché la décision attaquée d’illégalités en se référant à des contacts relatifs à des liaisons qui, aux périodes en cause, échappaient prétendument à sa compétence territoriale pour constater une violation des dispositions pertinentes sur des liaisons qui relevaient de sa compétence. Pour ce qui est des contacts suisses, les requérantes citent 20 considérants qui auraient été « déterminants pour établir la participation de Lufthansa […] et de Swiss » (considérants 182, 203, 204, 235, 255, 331, 364, 427, 428, 461, 463, 499, 501, 502, 534, 535, 563, 573, 574 et 641), ainsi que, « par exemple », 16 considérants qui l’auraient été pour établir celle d’AF et de British Airways (considérants 182, 204, 364, 366, 427, 428, 440, 443, 461, 501, 502, 561 à 563, 573 et 574). Pour ce qui est des contacts extra-EEE/Suisse, les requérantes font référence à 24 considérants (considérants 146 à 153, 165, 183, 205 à 208, 243, 244, 256, 257, 291, 292, 306 et 332 à 334).

223    À titre liminaire, il convient de relever que cette argumentation est entachée de plusieurs inexactitudes. D’une part, la Commission n’a pas, aux considérants 773 à 783 de la décision attaquée, dans lesquels elle a énuméré les éléments de preuve contre les requérantes, retenu contre elles l’ensemble des contacts suisses décrits aux 20 considérants en cause. En effet, la Commission s’est abstenue de mentionner à ce titre les considérants 203, 204, 235, 255 et 641 de la décision attaquée.

224    Dans la mesure où les requérantes soutiennent que la Commission s’est appuyée, pour leur imputer la responsabilité de l’infraction unique et continue, sur l’ensemble des contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 visés aux 24 considérants qu’elles citent dans la requête, il y a lieu d’observer qu’elles se méprennent également. En effet, la Commission ne mentionne que sept de ces considérants aux considérants 773 à 783 de la décision attaquée (considérants 146, 152, 244, 256, 291, 292 et 306).

225    Cela étant dit, il convient d’observer que le présent moyen porte sur l’inclusion des contacts suisses et extra-EEE/Suisse dans l’infraction unique et continue, et non sur la seule participation des requérantes à tout ou partie de cette dernière. Le Tribunal examinera donc, dans les développements qui suivent, si la Commission était fondée à inclure dans l’infraction unique et continue les contacts litigieux non opposés aux requérantes et qui sont décrits aux considérants 147 à 151, 165, 183, 203, 204 à 208, 235, 243, 255 à 257, 332 à 334 et 641 de la décision attaquée.

226    D’autre part, les éléments du dossier n’étayent pas entièrement l’interprétation du contenu des contacts suisses et des contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 que les requérantes ont défendue devant le Tribunal. Il convient ainsi d’observer que le manque d’importance relatif des liaisons Union-Suisse par rapport aux liaisons entre la Suisse et des pays tiers et la circonstance que l’ACCS était présidée par des représentants de transporteurs de pays tiers lors de la période concernée et comptait parmi ses membres des transporteurs très majoritairement issus de pays tiers qui n’opéreraient que sur des liaisons entre la Suisse et des pays tiers ne sont aucunement de nature à démontrer que la Commission n’était pas fondée à considérer que les contacts suisses portaient aussi sur les liaisons Union-Suisse. Il est, en effet, constant entre les parties que des transporteurs de l’Union, dont AF, KLM, British Airways, les requérantes et Martinair, dont il n’est pas contesté qu’elles disposaient de droits de trafic sur les liaisons Union-Suisse, comptaient parmi les membres de l’ACCS. Or, ces transporteurs ont activement participé à plusieurs des contacts suisses, tant s’agissant de la STC que de la STS (voir, notamment considérants 182, 364, 427, 428, 501, 502 et 641). Dans la mesure où ces contacts visaient les liaisons au départ de la Suisse sans distinction, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré qu’ils concernaient également les liaisons Union-Suisse, fût-ce dans une moindre mesure. Pour ce qui est du fait que l’un desdits contacts concernait une baisse de la STC plutôt qu’une hausse, il est indifférent aux fins de l’application des règles de concurrence pertinentes.

227    Quant aux contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004, il convient d’observer, à l’instar des requérantes, qu’ils sont intervenus dans des pays tiers ou, à tout le moins, qu’ils impliquaient des employés locaux des transporteurs incriminés dans ces pays. Il y a, cependant, lieu de relever que rien n’empêchait les transporteurs incriminés de se coordonner ou d’échanger des informations dans de tels pays au sujet des services de fret intra-EEE. À titre d’illustration, au considérant 296 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel interne du bureau de Qantas à Singapour du 18 février 2003 dans lequel il est fait référence à l’introduction d’une STC d’un certain montant par British Airways « en Europe ». De même, pour ce qui est des contacts extra-EEE/Suisse retenus contre les requérantes, au considérant 206 de la décision attaquée, il est fait état d’un courrier du 19 novembre 2001 dans lequel le président du SCC du BAR à Hong Kong a invité les membres de l’association à « indiquer si [leur] administration centrale a[vait] l’intention de réduire ou de retirer la [STC] dans les marchés d’outremer ».

228    Cela étant posé, il convient de relever que les présents moyens seraient voués à l’échec quand bien même les contacts suisses et les contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 que citent les requérantes concernaient exclusivement des liaisons qui, sur la période concernée, échappaient à la compétence de la Commission.

229    À cet égard, il y a lieu de rappeler que cette dernière peut s’appuyer sur des contacts antérieurs à la période infractionnelle afin de construire une image globale de la situation et ainsi corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve (arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, points 427 et 428). Tel est le cas même dans l’hypothèse où la Commission n’était pas compétente pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence antérieurement à cette période (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, EU:T:2006:136, point 89, et du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission, T‑458/09 et T‑171/10, EU:T:2012:145, points 45 à 52).

230    Dans la partie de la décision attaquée intitulée « Principes de base et structure de l’entente », au considérant 107, la Commission a indiqué que son enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux, qui avaient lieu « à divers niveaux au sein des entreprises concernées […] et ont porté, dans certains cas, sur diverses zones géographiques ».

231    Aux considérants 109, 110, 876, 889 et 1046 et à la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, la Commission a précisé les modalités de fonctionnement de cette organisation à plusieurs niveaux. Selon la Commission, les surtaxes étaient des mesures d’application générale qui n’étaient pas spécifiques à une liaison, mais qui avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial. Les décisions concernant les surtaxes étaient généralement prises au niveau des sièges de chaque transporteur. Les sièges des transporteurs étaient ainsi en « contact mutuel » lorsqu’un changement de niveau de surtaxe était imminent. Au niveau local, les transporteurs se coordonnaient, dans le but, d’une part, de mieux exécuter les instructions de leurs sièges respectifs et de les adapter aux conditions de marché et à la réglementation locales et, d’autre part, de coordonner et de mettre en œuvre les initiatives locales. Au considérant 111 de la décision attaquée, la Commission a précisé que les associations locales de représentants de transporteurs avaient été utilisées à cette fin, notamment à Hong Kong et en Suisse.

232    Or, les contacts suisses et les contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 que citent les requérantes s’inscrivaient précisément dans ce cadre. En effet, premièrement, les contacts suisses portaient tous sur l’instauration ou sur la mise en œuvre des surtaxes en Suisse. Quant aux 25 contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 cités par les requérantes, ils portaient, en tout ou en partie, sur l’instauration ou sur la mise en œuvre des surtaxes à Hong Kong (considérants 147 à 150, 165, 205 à 208 et 332), à Singapour (considérants 146, 243 et 333) et au Japon (considérants 183, 244, 256 et 257), ainsi que, dans une moindre mesure, en Inde (considérants 152 et 334), au Sri Lanka (considérant 153), en Thaïlande (considérant 306) ou au Canada (considérants 291 et 292). Deuxièmement, plusieurs des contacts suisses et extra-EEE/Suisse ont soit impliqué des employés du siège de transporteurs incriminés, soit fait état d’instructions de leur part ou de communications avec eux (considérants 152, 182 et 331). Troisièmement, dans leur grande majorité, ces contacts, soit reflètent au niveau local des annonces effectuées ou des décisions prises au préalable au niveau central (considérants 147 à 149, 152, 165, 182, 204, 208, 235, 243, 244, 255, 291, 331 à 333, 364, 427, 428, 443, 461, 463, 501, 502, 534, 562, 563), soit à tout le moins sont contemporains de discussions entre les sièges ou de décisions prises au niveau de ceux-ci concernant les surtaxes (considérants 146, 203, 207, 306, 334, 440, 499, 561, 573, 574 et 641). Quatrièmement, tous les contacts suisses retenus contre les requérantes et une proportion substantielle des contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 retenus contre elles ont eu lieu dans le cadre ou en marge d’associations locales de représentants de transporteurs (considérants 146, 147, 149, 152, 165, 207, 208, 243 et 332 à 334).

233    Les requérantes restent d’ailleurs en défaut de soutenir que ces contacts ne corroboraient pas l’interprétation d’autres éléments de preuve retenus aux fins d’établir l’infraction unique et continue et dont il n’est pas allégué qu’ils échappaient à la compétence de la Commission. Au contraire, les requérantes, d’une part, soutiennent que la décision attaquée « repose pour beaucoup sur les contacts suisses pour démontrer l’existence d’une violation de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien], de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE » et, d’autre part, critiquent la « référence insistante aux contacts [extra-EEE/Suisse] dans la décision pour établir l’existence d’une infraction unique et la participation des différent[s] [transporteurs] à celle-ci ». À ce sujet, il y a lieu de relever que la Commission décrit, dans la décision attaquée, s’agissant de la STC, les contacts appuyant le constat d’infraction intervenus entre fin 1999 et le printemps 2005 aux points 4.3.4 à 4.3.18 (considérants 133 à 468). S’agissant des contacts afférents à la STS, décrits aux considérants 581 à 674, ils sont intervenus dans leur immense majorité avant le 19 mai 2005, et dans leur grande majorité avant le 1er mai 2004. Ainsi, les contacts invoqués par les requérantes représentent une fraction de l’ensemble des contacts sur lesquels la Commission s’est appuyée pour établir l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, respectivement, avant le 1er mai 2004 et le 19 mai 2005, pour les liaisons pour lesquelles elle était compétente et pour les composantes tenant à la STC et à la STS.

234    Par ailleurs, dans la mesure où ces contacts ont été opposés aux requérantes aux considérants 773 à 783 de la décision attaquée, ils corroboraient l’interprétation de la Commission d’autres éléments de preuve dont il n’est pas allégué qu’ils échappaient à sa compétence. Ainsi, les quatorze contacts suisses et les sept contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 que les requérantes citent dans la requête et que la Commission a retenus contre Lufthansa au considérant 775 de la décision attaquée comptent parmi plus d’une centaine de contacts litigieux que la Commission a cités pour établir la participation de Lufthansa à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC. Quant aux quatorze contacts suisses que les requérantes citent dans la requête et que la Commission a retenus contre Swiss au considérant 781 de la décision attaquée, ils comptent parmi la soixantaine de contacts litigieux sur lesquels la Commission s’est appuyée pour conclure que Swiss avait participé à cette composante.

235    Il s’ensuit que la Commission n’a pas outrepassé les limites de sa compétence en s’appuyant sur les contacts suisses et les contacts extra-EEE/Suisse antérieurs au 1er mai 2004 cités dans la requête pour construire une image globale de l’entente litigieuse et ainsi corroborer l’interprétation d’autres éléments de preuve qu’elle a retenus.

236    L’invocation du principe de courtoisie internationale par les requérantes n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. Les requérantes sont, en effet, restées en défaut d’expliquer en quoi les intérêts d’un ou de plusieurs pays ou territoires auraient été négativement affectés du fait de la prise en compte des contacts suisses et extra-EEE/Suisse cités dans la requête.

237    Le présent moyen ne peut donc qu’être écarté.

E.      Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien

238    Les requérantes font grief à la Commission d’avoir violé l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien en appliquant de manière erronée la notion d’infraction unique et continue. Selon les requérantes, c’est en effet à tort que la Commission a inclus, sans distinction ni analyse juridique ou factuelle préalable, les contacts extra-EEE/Suisse, les contacts entretenus dans le cadre de l’alliance WOW (ci-après les « contacts WOW ») et les contacts relatifs au refus de paiement de commissions dans le périmètre de l’infraction unique et continue.

239    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’une violation de l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).

240    Lors de l’appréciation du caractère unique de l’infraction et de l’existence d’un plan d’ensemble, le fait que les différentes actions des entreprises s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, revêt un caractère déterminant. Aux fins de cette appréciation, l’identité au moins partielle des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Total Raffinage Marketing/Commission, T‑566/08, EU:T:2013:423, points 265 et 266 et jurisprudence citée), de même que les différents chevauchements matériels, géographiques et temporels entre les actes et les comportements en cause peuvent être pertinents.

241    Tel est notamment le cas de l’identité des produits et des services concernés, de l’identité des modalités de mise en œuvre, de l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et de l’identité du champ d’application géographique des pratiques en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 60).

242    Selon la jurisprudence, ces éléments doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble (arrêt du 16 septembre 2013, Masco e.a./Commission, T‑378/10, EU:T:2013:469, point 58).

243    En l’espèce, aux considérants 872 à 883 de la décision attaquée, la Commission a retenu six facteurs pour conclure que les comportements litigieux relevaient d’une infraction unique. Il s’agit, premièrement, de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique (considérants 872 à 876), deuxièmement, du fait que ces comportements portaient sur un même service (considérant 877), troisièmement, de l’identité des entreprises impliquées dans les différents agissements en cause (considérant 878), quatrièmement, de la nature unique de l’infraction (considérant 879), cinquièmement, de la circonstance que les discussions auxquelles ont participé les transporteurs incriminés avaient lieu en parallèle (considérant 880) et, sixièmement, de l’implication de la majorité des transporteurs incriminés dans les trois composantes de l’infraction unique et continue (considérants 881 à 883).

244    Au considérant 900 de la décision attaquée, la Commission a ajouté à ces facteurs la circonstance que les mêmes personnes auraient été impliquées dans les différents agissements en cause.

245    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si la Commission était fondée à inclure dans le périmètre de l’infraction unique et continue, premièrement, les contacts extra-EEE/Suisse, deuxièmement, les contacts WOW et, troisièmement, les contacts relatifs au refus de paiement de commissions.

1.      Sur les contacts extra-EEE/Suisse

246    Les requérantes font grief à la Commission d’avoir qualifié les contacts extra-EEE/Suisse d’éléments constitutifs de l’infraction unique et continue au même titre que les contacts entretenus au niveau des sièges des transporteurs incriminés. À l’appui de leur argumentation, les requérantes invoquent, en substance, quatre arguments.

247    En premier lieu, les requérantes avancent que le constat d’une identité d’objet ou d’objectif des contacts extra-EEE/Suisse et des contacts entretenus au niveau des sièges n’est pas fondé et ne suffit pas à établir la conclusion selon laquelle ils faisaient partie d’une seule et même infraction unique et continue. Il en serait de même du fait que ces deux séries de contacts portaient sur les mêmes types d’éléments de tarification. Ce serait d’autant plus vrai que les contacts extra-EEE/Suisse ne présenteraient, par définition, aucun lien avec l’EEE et ne pouvaient donc pas poursuivre l’objectif de restreindre la concurrence dans l’EEE.

248    Pour les requérantes, il aurait été nécessaire d’examiner de manière critique l’existence d’un lien de complémentarité entre ces deux séries de contacts, notamment au vu du caractère très divers des contacts en cause. Or, cette analyse ferait défaut dans la décision attaquée.

249    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que les contacts extra-EEE/Suisse étaient le reflet de conditions de marché sensiblement différentes de celles de l’EEE. Ces différences auraient été de nature réglementaire, monétaire et commerciale. La pratique décisionnelle de la Commission en matière de contrôle des concentrations reconnaîtrait d’ailleurs que les conditions de concurrence à l’extérieur de l’EEE varient d’un pays à l’autre, ou, à tout le moins, d’un continent à l’autre.

250    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte des différences de contenu et de méthode entre les contacts extra-EEE/Suisse et les contacts entretenus au niveau des sièges. Les contacts entretenus au niveau des sièges n’auraient concerné qu’un petit nombre de personnes, responsables à l’échelle mondiale de la tarification dans leurs entreprises respectives, et se seraient limités à des appels téléphoniques, à des rencontres en tête-à-tête ou à d’autres communications privées. À l’inverse, les contacts extra-EEE/Suisse auraient majoritairement été incités, motivés ou exigés par la réglementation locale et auraient généralement consisté en des réunions officielles d’associations locales des représentants de transporteurs, dans le cadre de forums déjà existants consacrés à la discussion d’enjeux commerciaux légitimes et dont les participants n’auraient été conscients ni de l’éventuelle contrariété de leurs agissements aux règles de concurrence de l’Union, ni des contacts entretenus au niveau des sièges.

251    En quatrième lieu, les requérantes avancent que c’est à tort que la Commission a constaté que les contacts extra-EEE/Suisse et les contacts entretenus au niveau des sièges impliquaient les mêmes entreprises. En effet, d’une part, de nombreux transporteurs qui n’ont pas participé aux contacts entretenus au niveau des sièges auraient participé aux contacts extra-EEE/Suisse. D’autre part, les employés qui ont représenté les transporteurs dans le cadre des contacts extra-EEE/Suisse n’auraient pas été les mêmes que ceux qui ont participé aux contacts entretenus au niveau des sièges.

252    À titre liminaire, il convient de constater que les requérantes fondent leur argumentation sur une distinction entre deux types de contacts, à savoir les contacts entretenus au niveau des sièges, qui relèveraient de l’infraction unique et continue, et les contacts extra-EEE/Suisse, qui n’en relèveraient pas. Or, la Commission a également inclus dans le périmètre de l’infraction unique et continue un troisième type de contacts, à savoir les contacts locaux intervenus dans l’EEE. Les requérantes n’ayant avancé aucun argument tendant à expliquer pourquoi il conviendrait, aux fins de l’examen du présent moyen, d’ignorer ces contacts, le Tribunal estime qu’il convient de tenir compte de ces derniers.

253    Cela étant clarifié, il convient d’observer que les requérantes ne contestent pas que, à l’instar des autres contacts litigieux, les contacts extra-EEE/Suisse concernaient les services de fret (service unique) et ont fréquemment fait l’objet de discussions conjointes (éléments discutés en parallèle).

254    La contestation des requérantes porte sur l’identité d’objectif et de nature de ces contacts ainsi que sur la question de savoir s’ils présentaient un chevauchement important s’agissant des transporteurs incriminés impliqués (c’est-à-dire s’il s’agissait des mêmes entreprises et s’il y avait implication dans les trois composantes de l’infraction unique et continue) et impliquaient les mêmes personnes.

255    Cette contestation ne saurait toutefois prospérer.

256    En premier lieu, s’agissant de l’identité d’objectif anticoncurrentiel des autres contacts litigieux, il convient de rappeler, à l’instar des requérantes, que la notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par la référence générale à la distorsion de la concurrence dans un secteur donné, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément consubstantiel à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait, en effet, de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens dans la mesure où elle aurait comme conséquence que plusieurs comportements concernant un secteur économique, interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique (arrêts du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, EU:T:2010:165, point 92, et du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission, T‑208/06, EU:T:2011:701, point 149).

257    Or, en l’espèce, la Commission ne s’est pas contentée de déterminer l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les transporteurs incriminés par une référence générale à la distorsion de concurrence dans le secteur du fret. Au considérant 872 de la décision attaquée, elle a, en effet, retenu que cet objectif « consista[i]t à entraver la concurrence dans le secteur du fret […] en coordonnant [le] comportement [des transporteurs incriminés] en matière de tarification en ce qui concerne la fourniture de services de [fret] en supprimant la concurrence concernant l’imposition, le montant et le calendrier des STC et STS et le [refus de paiement de commissions] au profit des transitaires ». Au considérant 874 de cette décision, elle a fait référence à un « réseau de contacts qui [avait] garanti le maintien de la discipline sur le marché et l’application intégrale et coordonnée des augmentations résultant des indices du carburant, supprimant ainsi l’incertitude en matière de tarification ». Elle a ajouté que « [c]ette action s’[était] étendue à la STS où les parties [avaient] à nouveau cherché à lever l’incertitude en matière de tarification » et que « [cela avait] été renforcé » par le refus de paiement de commissions sur les surtaxes, qui « permettait de maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer ». Au considérant 899 de ladite décision, elle a précisé que l’« objectif global » consistait à « se mettre d’accord sur la tarification ou à tout le moins lever l’incertitude en matière de tarification dans le secteur du [fret] en ce qui concerne la STC, la STS et le refus de [paiement] de commissions ».

258    En second lieu, s’agissant de l’identité de nature des contacts en cause, il convient d’observer que les requérantes ne contestent pas que, comme il ressort du considérant 879 de la décision attaquée, les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux portaient tous sur la tarification des services de fret et, plus particulièrement, sur les surtaxes.

259    Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation des requérantes tirée de l’absence de liens de complémentarité entre les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux, il y a lieu de rappeler que, certes, l’existence de tels liens entre les différents agissements en cause, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence et contribuent, par l’intermédiaire d’une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique, peut également constituer un indice objectif confortant l’existence d’un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, EU:T:2010:165, point 92 et jurisprudence citée, et du 16 septembre 2013, Masco e.a./Commission, T‑378/10, EU:T:2013:469, points 22, 23 et 32 et jurisprudence citée).

260    Toutefois, contrairement à ce que soutiennent, en substance, les requérantes, il n’est pas nécessaire, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, de vérifier s’ils présentent de tels liens. La notion d’« objectif unique » implique seulement qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent, par conséquent, pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 121).

261    Il s’ensuit que, à la supposer avérée, l’omission alléguée de la Commission d’établir un lien de complémentarité entre les accords et pratiques litigieux n’est pas, à elle seule, de nature à entacher d’erreur leur qualification d’infraction unique.

262    En tout état de cause, il convient de relever que l’argumentation des requérantes manque en fait. D’une part, c’est à tort que les requérantes soutiennent qu’il ne pouvait exister de lien de complémentarité entre les autres contacts litigieux et les contacts extra-EEE/Suisse au motif que ces derniers ne concernaient, « par définition », que les services de fret au départ de pays tiers. En effet, comme indiqué au point 227 ci-dessus, rien n’empêchait les transporteurs incriminés de se coordonner ou d’échanger des informations dans de tels pays au sujet d’autres services de fret.

263    Inversement, il a pu arriver que les autres contacts litigieux portent sur l’application des surtaxes au niveau local. Ainsi, au considérant 597 de la décision attaquée, la Commission décrit un courriel interne du 2 octobre 2001 dans lequel le directeur local de Lufthansa au Japon demande à l’un des employés du siège de « profiter par tous les moyens [d’une visite des membres de la direction de Japan Airlines en Europe] pour discuter avec eux de la [STS] dans le but de convaincre [Japan Airlines] de mettre en œuvre la même chose au Japon ». Le destinataire de ce courriel l’a transféré en interne, indiquant qu’il discuterait avec Japan Airlines le 4 octobre suivant.

264    D’autre part, quand bien même les contacts extra-EEE/Suisse auraient exclusivement porté sur les liaisons entrantes, les requérantes ne seraient pas fondées à soutenir qu’un lien de complémentarité entre eux et les autres contacts litigieux faisait défaut. Certes, la Commission n’a pas expressément examiné l’existence d’une complémentarité entre les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux dans le cadre de son examen de la nature unique de l’infraction unique et continue. La Commission s’est, en effet, dans ce cadre, concentrée sur l’examen des liens de complémentarité entre les surtaxes et le refus de paiement de commissions (considérant 879 de la décision attaquée). Il ne saurait, cependant, être reproché à la Commission de ne pas avoir dans ce cadre expressément examiné l’existence de tels liens entre toutes les différentes catégories et sous-catégories de contacts possibles et imaginables. C’est d’autant plus vrai que la Commission a, ailleurs dans la décision attaquée, exposé les motifs pour lesquels de tels liens existaient entre les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux. C’est ainsi à juste titre qu’elle a retenu au sujet de la coordination relative aux liaisons entrantes que l’application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente litigieuse (considérant 1046 de la décision attaquée). Les requérantes elles-mêmes font d’ailleurs, dans le cadre du quatrième moyen, référence à des « liens de connexité » s’agissant de la coordination sur les liaisons entrantes (voir point 166 ci-dessus).

265    Quant à l’existence d’éventuelles différences de contenu et de méthodes entre les différents agissements en cause, il y a lieu de rappeler qu’elles comptent parmi les critères employés aux fins d’apprécier les liens de complémentarité entre eux (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 144).

266    Du point de vue du contenu, il ressort du considérant 889 de la décision attaquée que les surtaxes étaient des « mesures d’application générale », qui « avaient pour but d’être appliquées sur toutes les liaisons, au niveau mondial », et qu’il en était de même du refus de paiement de commissions, qui revêtait également « un caractère général ». Ces considérations se fondent sur un ensemble d’éléments de preuve mentionnés, en particulier, aux considérants 140, 162, 210, 250 et 608 de la décision attaquée, dont il ressort que les communications de plusieurs transporteurs incriminés faisaient référence à une application mondiale des surtaxes.

267    Or, cette mise en œuvre s’opérait dans le cadre d’un système à plusieurs niveaux, central et local, décrit aux points 230 et 231 ci-dessus.

268    Comme l’a constaté la Commission à la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, les contacts locaux, dont les contacts extra-EEE/Suisse tenaient, certes, compte « des conditions ou de la réglementation des marchés locaux ». Lesdits contacts n’étaient pas pour autant purement incités, motivés ou exigés par la réglementation locale ni ne portaient exclusivement sur des enjeux commerciaux légitimes. En effet, d’une part, le personnel local recevait des instructions de son siège au sujet de la mise en œuvre des surtaxes et lui faisait rapport (voir considérants 171, 226, 233, 284, 381, 584 et 594 de la décision attaquée). Il était d’ailleurs contraint par les décisions prises au niveau des sièges. Ainsi, au considérant 237 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel interne dans lequel un employé de Qantas a indiqué que presque tous les transporteurs à Hong Kong avaient fait part de leur intention de suivre CPA, mais que Qantas et plusieurs transporteurs incriminés, dont Lufthansa, avaient fait savoir qu’ils devaient demander des instructions à leur administration centrale avant de faire de même. Au considérant 295 de la décision attaquée, il est fait référence au procès-verbal de la réunion du SCC du BAR du 23 janvier 2003 à Singapour, qui indique que les « transporteurs membres ont commenté l’augmentation de l’indice du carburant, mais n’ont pas reçu de leur siège d’instructions les amenant à augmenter la [STC] ». De même, au considérant 414 de la décision attaquée, il est fait référence à un courriel du gestionnaire local de CPA en Belgique, dont il ressort que SAC a « affirmé initialement qu’elle [augmenterait aussi la STC le 1er octobre 2004], mais [que,] par la suite, son administration centrale lui a rappelé qu’elle devait opter pour la date du 4 octobre [2004] », laquelle avait préalablement fait l’objet de plusieurs contacts au niveau des sièges (considérants 406, 410 et 411).

269    D’autre part, comme indiqué au point 232 ci-dessus, il ressort de la décision attaquée que la coordination au niveau local faisait souvent immédiatement suite aux annonces faites au niveau des sièges. À titre d’illustration, à la suite de l’annonce de Lufthansa relative à l’introduction de la STC le 28 décembre 1999 (considérant 138), la question a été abordée à Hong Kong les 10, 13 et 19 janvier 2000 (considérants 147 à 149) et en Inde le même mois (considérants 151 et 152). Il en va de même de l’annonce de Lufthansa du 17 février 2003 (considérant 274), suivie le même jour de contacts au Canada (considérant 291) et en Thaïlande (considérant 298) ainsi qu’à Singapour le lendemain (considérant 296). C’est le cas aussi de l’annonce de Lufthansa du 21 septembre 2004 (considérants 409 à 411), suivie le même jour de contacts à Hong Kong (considérant 431) et en Suisse les 23 et 24 septembre 2004 (considérants 426 et 427).

270    Quant à l’argument tiré de l’absence de connaissance par le personnel local de la coordination au niveau des sièges ou du risque de contrariété des contacts extra-EEE/Suisse au droit de la concurrence, il n’est, à le supposer établi et au vu des éléments qui précèdent, aucunement suffisant pour démontrer l’absence de lien de complémentarité entre les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux.

271    Du point de vue des méthodes, il y a lieu de constater que les différences entre les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux ne revêtent pas l’importance qu’entendent leur prêter les requérantes. Au considérant 107 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que son enquête avait « révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux entretenus sur une longue période entre les concurrents ». Au considérant 111 de cette décision, la Commission a précisé que les transporteurs avaient « pris contact les [uns] avec les autres, soit de manière bilatérale, soit en petits groupes, soit, dans certains cas, en grands forums multilatéraux » et avaient utilisé les associations locales de représentants de transporteurs.

272    Or, il ressort de la décision attaquée que tant les contacts extra-EEE/Suisse que les autres contacts litigieux ont pu prendre ces différentes formes. Il est vrai que, comme le soulignent les requérantes, bon nombre des contacts extra-EEE/Suisse, tels que ceux visés aux considérants 665, 666, 668 et 670, ont eu lieu dans le cadre de réunions officielles d’associations d’entreprises. Toutefois, certains des autres contacts litigieux, tels que ceux visés aux considérants 200, 425 et 559 de la décision attaquée, ont aussi eu lieu dans le cadre de telles réunions. De même, un nombre considérable de contacts extra-EEE/Suisse ont, à l’instar d’autres contacts litigieux, eu lieu par le biais de courriels et dans le cadre de rencontres et de discussions bilatérales et multilatérales intervenus à l’extérieur d’associations professionnelles et ne réunissant qu’un nombre limité de personnes (voir, par exemple, considérants 564, 576, 658, 674 et 702).

273    Quant à la prétendue absence d’identité entre les entreprises impliquées dans les contacts extra-EEE/Suisse et celles impliquées dans les autres contacts litigieux, il convient de relever que, comme l’a rappelé à bon droit la Commission au considérant 878 de la décision attaquée, cette identité ne doit pas être parfaite, mais peut être partielle (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 128, et du 9 septembre 2015, Samsung SDI e.a./Commission, T‑84/13, non publié, EU:T:2015:611, point 43). Or, presque tous les transporteurs incriminés qui participaient aux autres contacts litigieux comptaient, en effet, parmi les participants aux contacts extra-EEE/Suisse. Inversement, les participants aux contacts extra-EEE/Suisse qui ne participaient pas aux autres contacts litigieux ne figuraient généralement pas parmi les transporteurs incriminés.

274    Pour ce qui est de l’absence d’identité des personnes physiques impliquées dans les contacts extra-EEE/Suisse et de celles impliquées dans les autres contacts litigieux, il y a lieu d’observer qu’elle est une simple conséquence du système à plusieurs niveaux, central et local, décrit aux points 230 et 231 ci-dessus. Les requérantes ne sont donc pas fondées à s’en prévaloir.

275    En tout état de cause, il convient de relever que l’identité des personnes physiques impliquées dans les différents agissements litigieux n’est pas nécessaire à l’existence d’une infraction unique et continue. Dès lors, la Commission ayant par ailleurs établi à suffisance que les contacts extra-EEE/Suisse et les autres contacts litigieux relevaient tous de l’infraction unique et continue, il y a lieu de considérer que l’absence d’une telle identité ne saurait en aucun cas porter à conséquence.

276    La présente branche doit donc être écartée.

2.      Sur les contacts WOW

277    Les requérantes soutiennent que la Commission a enfreint l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien en retenant que les contacts WOW faisaient partie d’une infraction unique et continue au même titre que les contacts entretenus au niveau des sièges.

278    En effet, d’une part, les contacts WOW auraient poursuivi un objectif fondamentalement différent de celui des contacts secrets entretenus au niveau des sièges. Les partenaires de l’alliance WOW auraient créé de bonne foi un système intégré de fret aux fins de proposer une offre unique établie sur le principe de la neutralité du vol. Or, cela aurait exigé une meilleure harmonisation de leurs politiques en matière de surtaxes dans le cadre d’offres conjointes et ne fonderait donc pas la conclusion selon laquelle l’alliance WOW a été utilisée comme couverture pour une coopération anticoncurrentielle plus large.

279    D’autre part, les méthodes et le contenu des contacts WOW seraient différents de ceux des contacts entretenus au niveau des sièges avec des transporteurs non affiliés. Alors que les contacts entretenus au niveau des sièges auraient été généralement privés (au téléphone ou en personne), pour la plupart bilatéraux et n’auraient impliqué qu’un petit groupe d’individus, les contacts WOW relatifs aux surtaxes auraient souvent été opérés par courriel et auraient impliqué tous les partenaires et les employés de l’alliance WOW, ou à tout le moins un grand nombre d’entre eux, à tous les niveaux de leurs organisations respectives. L’intention de l’alliance WOW d’approcher le marché conjointement aurait d’ailleurs été connue sur le marché.

280    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

281    À titre liminaire, il convient de constater que les requérantes n’entendent pas, dans le cadre de la présente branche, invoquer la compatibilité des contacts WOW avec l’article 101 TFUE, leur argumentation se limitant à soutenir qu’ils ne relevaient pas de l’infraction unique et continue.

282    Par ailleurs, la contestation des requérantes porte uniquement, d’une part, sur l’identité d’objectif et de nature des contacts WOW eu égard aux contacts entretenus au niveau des sièges et, d’autre part, sur l’identité de contenu et de modalités entre ces deux catégories de contacts.

283    Les requérantes n’ayant avancé aucun argument tendant à expliquer pourquoi il conviendrait, aux fins de l’examen de la présente branche, d’ignorer les contacts autres que ceux entretenus au niveau des sièges, le Tribunal estime qu’il convient de tenir compte de ces derniers (voir point 252 ci-dessus).

284    Cela étant précisé, la contestation des requérantes ne saurait prospérer.

285    En premier lieu, s’agissant de l’identité d’objectif et de nature des contacts WOW avec les autres contacts intervenus dans le cadre de l’infraction unique et continue, il convient de relever que la Commission, au considérant 971 de la décision attaquée, a considéré que « la coordination des surtaxes entre les membres de [l’alliance] WOW s’[était] déroulée en dehors du cadre légitime de l’alliance » et qu’elle poursuivait ainsi le même objectif anticoncurrentiel, décrit au point 257 ci-dessus, que les autres contacts litigieux.

286    Cette conclusion fait suite à une analyse détaillée de la portée de l’alliance WOW et de sa mise en œuvre effective, à l’aune desquelles la justification des contacts WOW a été examinée (considérants 922 à 970).

287    En l’espèce, aux considérants 947 à 952 de la décision attaquée, la Commission a conclu qu’aucune des initiatives prétendument prises dans le contexte de l’alliance WOW ne justifiait une coordination générale sur les surtaxes, au motif que la coopération au sein de ladite alliance était demeurée limitée, n’avait jamais atteint le stade d’une politique intégrée de vente et de tarification et avait été circonscrite, en substance, à des projets ciblés afférents à certaines liaisons, à certains clients ou à certains produits. Pour arriver à cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur l’analyse des documents et des déclarations fournis, durant la procédure administrative, par les transporteurs incriminés membres de l’alliance en cause. Elle a également fait référence, aux considérants 951 et 952 de la décision attaquée, à plusieurs pièces du dossier qui démontreraient que les membres de l’alliance WOW conduisaient des politiques individuelles en matière de surtaxes qu’ils n’étaient pas disposés à mettre de côté pour les besoins de ladite alliance.

288    Les éléments avancés par les requérantes dans le cadre de la présente branche ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé des conclusions auxquelles la Commission est parvenue.

289    Il en est ainsi de l’invocation, par les requérantes, de la nécessaire harmonisation des politiques en matière de surtaxe des membres de l’alliance WOW lorsqu’ils déposaient des offres conjointes. En effet, il ressort de plusieurs considérants de la décision attaquée que la portée des contacts WOW excédait le cadre des quelques offres conjointes déposées par les membres.

290    Ainsi, au considérant 596 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel de SAC à l’attention de Lufthansa et de SAS du 1er octobre 2001 par lequel celle-ci indique qu’elle introduira la STS à compter du 8 octobre 2001. Outre qu’il ne ressort pas de ce courriel qu’il s’inscrive dans la perspective d’un projet d’offre spécifique porté par l’alliance WOW, il y a lieu de relever que l’introduction imminente d’une STS par SAC était discutée, dès le 28 septembre 2001, dans plusieurs forums distincts impliquant d’autres transporteurs (voir considérants 592 et 594). Il ressort également des contacts visés aux considérants 401, 434, 484, 494, 497, 512 et 546 de la décision attaquée que le niveau de la STC était discuté à intervalles réguliers entre membres de l’alliance WOW, indépendamment de tout projet spécifique à l’alliance.

291    Dès lors, l’argumentation des requérantes relative à la différence d’objectifs et de nature des contacts WOW, déduite du contexte propre à l’alliance WOW, doit être rejetée.

292    En second lieu, s’agissant de l’identité « de contenu et de modalités » des contacts WOW avec les autres contacts intervenus dans le cadre de l’infraction unique et continue, il y a lieu d’observer que les considérations relatives aux différentes formes qu’ont pu prendre les contacts en cause, à les supposer établies, ne sont pas, eu égard à leur caractère mineur, de nature à remettre en cause l’inclusion des contacts WOW dans le périmètre de l’infraction unique et continue. En tout état de cause, les requérantes n’étayent aucunement leur allégation selon laquelle la forme que prendraient les contacts WOW, d’une part, et les autres contacts, d’autre part, serait « de toute évidence » différente. Au demeurant, il ressort de la décision attaquée que, parmi les autres contacts que ceux entretenus entre membres de l’alliance WOW, de nombreux contacts étaient constitués de chaînes de courriels échangés entre de multiples destinataires. Ainsi, la prétendue spécificité des contacts WOW alléguée par les requérantes manque en fait.

293    Au regard de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche.

3.      Sur les contacts relatifs au refus de paiement de commissions

294    Les requérantes soutiennent que la Commission a enfreint l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien en retenant que les contacts relatifs au refus de paiement de commissions relevaient de l’infraction unique et continue au même titre que les contacts portant sur la STS et la STC.

295    En effet, en premier lieu, les contacts relatifs au refus de paiement de commissions s’inscriraient dans un cadre juridique et factuel substantiellement différent de celui des contacts entretenus au niveau des sièges, lesquels formeraient le cœur de l’infraction unique et continue. Les contacts relatifs au refus de paiement de commissions rendraient compte des difficultés rencontrées par les transporteurs pour répondre de manière adéquate aux efforts collectifs déployés par les associations de transitaires pour obtenir le paiement de commissions à la suite de l’adoption de la résolution 805zz de l’IATA, qui aurait modifié les conditions de rémunération des transitaires et dont l’interprétation juridique aurait fait débat.

296    En deuxième lieu, la forme des contacts relatifs au refus de paiement de commissions montrerait qu’il existait entre ces derniers et les contacts relatifs aux surtaxes des différences de nature et d’objectifs. Ainsi, à la différence des contacts de nature clandestine entretenus au niveau des sièges, la plupart des contacts relatifs au refus de paiement de commissions se seraient présentés sous la forme de lettres et de courriels aux objets dépourvus de toute ambiguïté ou de réunions officielles des BAR, dont beaucoup auraient explicitement fait référence au contexte juridique et réglementaire.

297    En troisième lieu, il serait erroné de chercher à construire un lien de complémentarité entre la coordination sur les surtaxes et un quelconque refus de paiement de commissions. Au cours de la période pertinente, les transitaires n’auraient perçu de commissions ni sur les taux de fret ni sur les surtaxes. Ils n’auraient réalisé une marge que grâce à la revente de capacités à un prix plus élevé que leur prix d’achat. Par ailleurs, les transitaires n’auraient en 2005 pas tant réclamé des ristournes sur les surtaxes que des paiements distincts.

298    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

299    À titre liminaire, il convient d’observer que les requérantes ne contestent pas que les contacts relatifs au refus de paiement de commissions et ceux relatifs aux surtaxes concernaient les services de fret (service unique), présentaient un chevauchement important s’agissant des transporteurs incriminés impliqués (c’est-à-dire qu’il s’agissait des mêmes entreprises et qu’il y avait implication dans les trois composantes de l’infraction unique et continue) et impliquaient les mêmes personnes. Les requérantes ne contestent pas davantage que les surtaxes et le refus de paiement de commissions ont fréquemment fait l’objet de discussions conjointes (éléments discutés en parallèle).

300    La contestation des requérantes porte uniquement sur l’identité d’objectif et de nature de ces deux catégories de contacts.

301    Cette contestation ne saurait toutefois prospérer.

302    En premier lieu, s’agissant de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique, il ressort du considérant 872 de la décision attaquée que ledit objectif consistait, pour les transporteurs incriminés, « à entraver la concurrence dans le secteur du fret aérien au sein de l’EEE en coordonnant leur comportement en matière de tarification en ce qui concerne la fourniture de services de fret aérien en supprimant la concurrence concernant l’imposition, le montant et le calendrier des STC et STS et le [refus de paiement de commissions] ». Au considérant 874 de la décision attaquée, la Commission a précisé que le refus de paiement de commissions visait ainsi à renforcer la coordination relative aux surtaxes en permettant de « maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer ».

303    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n’existe entre les contacts relatifs aux surtaxes et ceux relatifs au refus de paiement de commissions aucune différence de contexte juridique ou factuel qui soit de nature à remettre en cause cette appréciation.

304    Il ressort, certes, des considérants 675 à 702 de la décision attaquée que la question du paiement de commissions faisait l’objet d’interprétations juridiques divergentes entre les transporteurs et les transitaires. Cependant, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, les transporteurs incriminés ne se sont pas bornés à définir une position commune à ce sujet pour la défendre de manière coordonnée devant les juridictions compétentes ou à la promouvoir collectivement auprès des autorités publiques et d’autres associations professionnelles. Au contraire, les transporteurs incriminés se sont concertés en convenant – à un niveau multilatéral – de refuser de négocier le paiement de commissions avec les transitaires et de leur octroyer des ristournes sur les surtaxes. Ainsi, au considérant 695 de la décision attaquée, la Commission s’est référée à un courriel du 19 mai 2005, dans lequel un gestionnaire régional de Swiss en Italie indique que « tous [les participants à une réunion tenue le 12 mai 2005 avaient] confirmé [leur] volonté de ne pas accepter de rémunération STC/STS ». Au considérant 696 de ladite décision, il est fait état d’un courriel interne du 14 juillet 2005 dans lequel CPA indique que « tous [les participants à une réunion tenue la veille, dont les requérantes] ont reconfirmé leur ferme intention de ne pas accepter de négociation concernant [le paiement de commissions] ». Aussi, au considérant 700 de la même décision, la Commission a invoqué un courriel interne dans lequel une employée de Cargolux informait son administration centrale de la tenue d’une réunion « avec tou[s] les [transporteurs] opérant à l’aéroport de [Barcelone] » et indiquait que, « de l’avis général, nous ne devrions pas payer de commissions sur les surtaxes ».

305    Il ressort également de la décision attaquée que plusieurs transporteurs ont échangé des informations – à un niveau bilatéral – pour s’assurer mutuellement de leur adhésion continue au refus de paiement de commissions dont ils étaient convenus au préalable. À titre d’illustration, le considérant 688 de cette décision décrit une conversation téléphonique du 9 février 2006 au cours de laquelle Lufthansa a demandé à AF si sa position au sujet du refus de paiement de commissions restait inchangée.

306    En second lieu, s’agissant de l’identité de nature des contacts relatifs aux surtaxes et de ceux relatifs au refus de paiement de commissions, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré que le raisonnement de la Commission a méconnu le modèle de relation entre transporteurs et transitaires en procédant à partir de la prémisse erronée selon laquelle les transitaires percevaient des commissions sur les tarifs ou sur les surtaxes.

307    Le considérant 5 de la décision attaquée se lit comme suit :

« […] En refusant de payer une commission, les transporteurs faisaient en sorte que les surtaxes ne soient pas soumises à la concurrence par des remises négociées avec leurs clients. »

308    De même, au considérant 879 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les commissions étaient « en réalité » des ristournes sur les surtaxes, faisant ainsi apparaître qu’elle n’entérinait pas, par le biais de l’utilisation du terme « commissions », l’existence d’un modèle d’agence entre transporteurs et transitaires.

309    Il ressort de ces deux considérants que la Commission a analysé le refus de paiement de commissions comme une mesure de coordination tarifaire ayant pour objectif d’aligner le comportement des transporteurs incriminés devant répondre à des demandes de remises ou de ristournes de leurs clients transitaires.

310    Il est vrai que, au considérant 879 de la décision attaquée, la Commission a aussi indiqué que « les commissions sur les surtaxes […] auraient autrement dû être payées si [les surtaxes] avaient fait partie intégrante des tarifs ».

311    Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette phrase ne contredit pas les passages de la décision attaquée cités aux points 307 et 308 ci-dessus. En effet, d’une part, il ressort des considérants 675 à 702 de la décision attaquée que les ristournes demandées par les transitaires à partir de 2004 étaient présentées comme des commissions sur la perception des surtaxes auprès des expéditeurs et que les transporteurs eux-mêmes employaient, dans leurs contacts à ce sujet, les expressions « commission » ou « rémunération », comme en attestent notamment les considérants 681 à 683, 685, 695, 696, 698 et 700 de ladite décision.

312    Il s’ensuit que l’emploi du terme « commissions » par la Commission pour désigner les comportements couverts par la composante en cause de l’infraction unique et continue, loin de constituer une prise de position sur le modèle de relations commerciales alors en vigueur entre transporteurs et transitaires, ne faisait que refléter la manière dont ceux-ci désignaient les ristournes demandées par les transitaires à partir de 2004.

313    Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’évocation de « commissions sur les surtaxes » au considérant 879 de la décision attaquée est contradictoire avec l’évocation, au même considérant et ailleurs dans ladite décision, de « ristournes sur les surtaxes ».

314    D’autre part, il importe de relever que la référence, au considérant 879 de la décision attaquée, au fait que des commissions auraient été dues si les surtaxes avaient fait partie intégrante des tarifs figure immédiatement après le constat que le refus de paiement de commissions a été facilité par le maintien des surtaxes « en tant qu’éléments séparés du prix global, distincts des tarifs ». Lue dans son contexte, ladite référence se comprend donc en ce sens que les transporteurs, en distinguant les surtaxes des tarifs dans leur facturation, évitaient l’application aux surtaxes des ristournes, ou « commissions », qui étaient applicables aux tarifs.

315    Ainsi, la référence en cause, qui ne concerne pas les ristournes sur les surtaxes, mais les ristournes sur les tarifs, ne porte pas sur la nature des « commissions sur les surtaxes » et n’appuie pas en particulier la conclusion selon laquelle celles-ci étaient convenues à l’avance dans le cadre d’une relation d’agence.

316    Quant aux considérations relatives aux différentes formes qu’ont pu prendre les contacts relatifs aux surtaxes et ceux relatifs au refus de paiement de commissions, d’une part, il y a lieu d’observer que, à les supposer établies, elles ne sont pas, eu égard à leur caractère mineur, de nature à remettre en cause l’inclusion du refus de paiement de commissions dans le périmètre de l’infraction unique et continue.

317    D’autre part et en tout état de cause, il convient de relever que les éléments du dossier n’étayent pas l’argumentation des requérantes. Ainsi, les contacts relatifs au refus de paiement de commissions ont souvent pris la même forme bilatérale et « clandestine » que les contacts relatifs aux surtaxes (considérants 682 et 688 de la décision attaquée). Quant aux contacts multilatéraux dans le cadre desquels le refus de paiement de commissions a été discuté, ils sont loin d’avoir tous revêtu le caractère « dépourvu d’ambiguïté » ou « officiel » que leur prêtent les requérantes. À titre d’illustration, au considérant 695 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur un courriel interne du 19 mai 2005 dans lequel le directeur régional de Swiss en Italie a indiqué que des transporteurs représentant « plus de 50 % du marché » s’étaient réunis le 12 mai précédent et avaient « tous confirmé [leur] volonté de ne pas accepter de rémunération STC/STS », tout en soulignant que cette « information [était] strictement confidentielle, en particulier pour des raisons antitrust ». En outre, et contrairement à ce que laissent entendre les requérantes, les contacts relatifs aux surtaxes sont également intervenus dans le cadre de réunions officielles d’associations locales de représentants de transporteurs, y compris dans l’Union (voir point 272 ci-dessus).

318    Au regard de ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter la présente branche, de même que le présent moyen dans son ensemble.

F.      Sur le cinquième moyen, tiré d’une appréciation erronée de l’affectation du commerce entre États membres

319    Les requérantes soutiennent qu’il n’est pas évident que les contacts extra-EEE/Suisse relatifs aux services de fret entrants aient eu un effet suffisamment appréciable sur le commerce entre États membres. Les requérantes invoquent trois arguments à l’appui de cette thèse.

320    En premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas analysé à suffisance l’existence de tels effets, lesquels ne pourraient au demeurant être déduits de la seule existence d’une restriction de concurrence.

321    En deuxième lieu, les requérantes avancent que la Commission a ignoré le point 3.3.3 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 81, ci-après les « lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce »), dont il ressortirait qu’il est nécessaire d’analyser de manière plus détaillée l’effet sur le commerce entre États membres des accords et des pratiques dont l’objet n’est pas de restreindre la concurrence au sein de l’Union. Or, la Commission serait restée en défaut de procéder à une telle analyse des effets sur le commerce entre États membres des contacts extra-EEE/Suisse relatifs aux services de fret entrants.

322    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que l’analyse de la Commission n’est pas conforme aux exigences esquissées dans les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788, point 302), desquelles il ressortirait, en substance, que l’article 101 TFUE n’appréhende un comportement collectif d’entreprises localisé intégralement en dehors des frontières de l’Union que dans la mesure où il peut être constaté un effet anticoncurrentiel direct (ou immédiat), substantiel et prévisible dans le marché intérieur.

323    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

324    À titre liminaire, il y a lieu de constater qu’il n’existe aucun motif de limiter l’examen du présent moyen aux seuls contacts extra-EEE/Suisse et d’exclure ainsi les autres contacts relatifs aux services entrants.

325    Cela étant posé, il convient de rappeler que, comme il résulte déjà du libellé de l’article 101, paragraphe 1, et de l’article 102 TFUE, pour que les règles de concurrence de l’Union s’appliquent à une entente ou à une pratique abusive, il faut que celle-ci soit susceptible d’affecter le commerce entre États membres (arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 40).

326    Cette condition doit s’interpréter et s’appliquer à la lumière de son but, qui est de déterminer, en matière de réglementation de la concurrence, le domaine du droit de l’Union eu égard à celui des États membres. C’est ainsi que relèvent du domaine du droit de l’Union toute entente et toute pratique susceptibles de mettre en cause la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre les États membres, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence sur le marché intérieur (arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 41).

327    Pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent ainsi, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et ce de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres (arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 42).

328    Selon la jurisprudence, il faut que cette influence ne soit pas insignifiante (voir arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, EU:C:2013:127, point 65 et jurisprudence citée) ou, autrement dit, qu’elle soit sensible (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Ziegler/Commission, T‑199/08, EU:T:2011:285, point 44).

329    Toutefois, comme l’a retenu à bon droit la Commission au considérant 1026 de la décision attaquée, il n’est pas nécessaire que le comportement individuel de toutes les parties à l’accord, par opposition à l’accord dans son ensemble, ait eu une influence significative ou sensible sur le commerce entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 1992, ICI/Commission, T‑13/89, EU:T:1992:35, point 304). Ainsi que le relève la Commission dans ses écritures, il n’est pas davantage nécessaire que chaque composante d’un accord, prise isolément, soit susceptible d’exercer une telle influence sur le commerce entre États membres. C’est l’accord pris dans son ensemble qui doit être susceptible d’avoir une influence de cette nature (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 1997, VGB e.a./Commission, T‑77/94, EU:T:1997:70, point 126). Un tel examen d’ensemble se justifie également en présence d’une infraction unique et continue (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, EU:C:2009:576, points 55 à 59).

330    Or, à l’article 1er et aux considérants 1 et 869 à 902 de la décision attaquée, la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue, englobant la totalité des contacts litigieux, qu’ils aient ou non eu lieu à l’intérieur de l’EEE, et des liaisons concernées, qu’elles soient entrantes, sortantes, internes à l’EEE ou relient l’Union et la Suisse. Il n’a pas été démontré que la Commission avait commis une erreur en procédant de la sorte. La Commission n’était donc aucunement tenue d’examiner isolément l’incidence sur le commerce entre États membres des contacts extra-EEE/Suisse relatifs aux services de fret entrants. Elle pouvait, au contraire, aux considérants 1028 à 1031 et 1033 de la décision attaquée, apprécier l’incidence sur le commerce entre États membres de l’infraction unique et continue dans son ensemble.

331    Il y a donc lieu de déterminer si la Commission était fondée à conclure, au considérant 1035 de la décision attaquée, que l’infraction unique et continue, prise dans son ensemble, était susceptible d’affecter le commerce entre États membres de manière sensible.

332    À cet égard, il convient de rappeler que l’appréciation du caractère significatif ou sensible de l’influence d’une décision, d’un accord ou d’une pratique sur le commerce entre États membres dépend des circonstances de chaque espèce. Elle doit s’effectuer au regard du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit cette décision, cet accord ou cette pratique (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 35).

333    Une telle appréciation s’effectue ainsi notamment au regard de la position et de l’importance des parties sur le marché de produits en cause (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, EU:C:1998:173, point 17). Peuvent aussi entrer en ligne de compte d’autres facteurs, tels que le chiffre d’affaires des parties (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 86) ou la nature de l’accord et des produits ou des services en cause (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 1981, Salonia, 126/80, EU:C:1981:136, point 17, et du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, EU:T:1993:31, point 138).

334    Or, s’agissant d’accords et de pratiques qui, premièrement, avaient pour objet de restreindre la concurrence au moins au sein de l’Union, dans l’EEE et en Suisse (considérant 903 de la décision attaquée), deuxièmement, « couvraient la totalité du territoire de l’EEE, ainsi que la Suisse », et portaient sur des liaisons intra-EEE, des liaisons entre les parties à l’accord EEE et des liaisons entre des parties à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien (considérant 1030 de la décision attaquée), troisièmement, portaient sur un service transfrontalier dont le prix est un élément important du coût des marchandises qu’il a pour but d’acheminer (considérants 76 et 1031 de la décision attaquée) et, quatrièmement, réunissaient des transporteurs aux parts de marché importantes (considérant 1209 de la décision attaquée) et dont les chiffres d’affaires variaient de plusieurs centaines de millions à plusieurs dizaines de milliards d’euros (considérants 21, 26, 32, 35, 38, 41, 45, 48, 52, 56, 59, 64 et 67 de la décision attaquée), il ne fait guère de doute que, prise dans son ensemble, l’infraction unique et continue était susceptible d’avoir une influence sensible sur le commerce entre États membres.

335    Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur que, au considérant 1035 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter « de manière sensible » le commerce entre États membres.

336    Aucun des arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

337    En premier lieu, le paragraphe 106 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce, auquel se réfèrent les requérantes, prévoit que, dans le cas d’accords qui n’ont pas pour objet de restreindre la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, il faut en principe examiner « de plus près » la question de savoir si l’activité économique transfrontalière à l’intérieur du marché commun, et donc les courants d’échanges entre États membres, est susceptible d’être affectée ou non. Or, il ressort du considérant 903 de la décision attaquée que l’infraction unique et continue « avait pour objet de restreindre la concurrence au moins au sein de l’U[nion], dans l’EEE et en Suisse ». Les requérantes ne sont donc pas fondées à se prévaloir du paragraphe 106 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce.

338    En second lieu, s’agissant du point 302 des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788), il suffit de relever qu’il porte non sur la notion d’affectation du commerce entre États membres au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais sur la question de la compétence territoriale de la Commission au titre du critère des effets qualifiés. Or, contrairement à ce qu’ont soutenu les requérantes lors de l’audience, il s’agit là de questions distinctes, la première portant sur la détermination du domaine du droit de la concurrence de l’Union eu égard à celui des États membres (voir point 326 ci-dessus), tandis que la seconde concerne la justification de la compétence de la Commission au regard du droit international public (voir point 84 ci-dessus).

339    Le présent moyen doit donc être rejeté.

G.      Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers

340    Le sixième moyen, par lequel les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis des erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle elles auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers, s’articule en trois branches. Elles sont tirées, la première, d’erreurs dans l’application aux régimes réglementaires des pays tiers du moyen de défense tiré de la contrainte étatique, la deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation résultant du défaut de prise en compte par la Commission de la lettre du département de l’aviation civile (ci-après le « DAC ») de Hong Kong du 3 septembre 2009 et, la troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la liberté résiduelle des transporteurs d’introduire des demandes individuelles auprès d’autorités des pays tiers.

1.      Sur la première branche, prise d’erreurs dans l’application du moyen de défense tiré de la contrainte étatique aux régimes réglementaires des pays tiers

341    Les requérantes soutiennent que l’interprétation et l’application du moyen de défense tiré de la contrainte étatique ne peuvent pas être les mêmes selon que l’État concerné est ou non un État membre.

342    En premier lieu, au titre du principe de sécurité juridique, il conviendrait de tenir compte de ce que, à la différence des autorités d’un État membre de l’Union, les autorités d’un pays tiers ne sont pas tenues de respecter les règles de concurrence de l’Union. En cas de contradiction entre ces règles et la réglementation des pays tiers, les entreprises ne pourraient pas invoquer le respect du droit de l’Union comme moyen de défense, devant la Commission ou dans le cadre de procédures nationales, et les autorités des pays tiers n’accepteraient pas que le droit de l’Union s’impose aux législations locales. Les entreprises devraient donc avoir plus de latitude pour faire valoir qu’elles font face à une contrainte étatique anticoncurrentielle.

343    En deuxième lieu, imposer aux entreprises l’obligation de démontrer qu’elles sont soumises à la contrainte d’un pays tiers pose des problèmes pratiques et en matière de preuve. La Commission et le Tribunal ne seraient pas compétents pour interpréter le droit des pays tiers et évaluer sa compatibilité avec le droit de l’Union. En outre, la preuve d’une contrainte étatique serait difficile à apporter pour les entreprises, car les autorités d’un pays tiers n’auraient pas pour habitude de justifier par écrit la conformité de leur législation avec les règles de concurrence de l’Union.

344    En troisième lieu, au titre du principe de courtoisie internationale, lorsqu’une entreprise produit un commencement de preuve qu’elle a agi à la demande des autorités d’un pays tiers, la Commission devrait solliciter ces dernières avant de pouvoir constater un comportement anticoncurrentiel, ce qu’elle n’avait pas fait, en l’espèce, avant d’adopter la décision attaquée. La Commission aurait d’ailleurs abandonné les références aux contacts entre transporteurs survenus à Dubaï durant la procédure administrative au regard des courriers qui lui ont été adressés par l’autorité de l’aviation civile de Dubaï.

345    La Commission conteste cette argumentation.

346    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne vise que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative. Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, l’article 101 TFUE n’est pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’implique cette disposition, dans des comportements autonomes des entreprises (voir arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, EU:C:1997:531, point 33 et jurisprudence citée).

347    Inversement, si une réglementation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises, l’article 101 TFUE peut s’appliquer. En l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d’autonomie dans le chef des opérateurs mis en cause que s’il apparaît sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l’exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (voir arrêt du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, EU:T:2003:337, points 177 et 179 et jurisprudence citée).

348    Selon la jurisprudence, tel n’est pas le cas lorsqu’une loi ou un comportement se limite à inciter ou à faciliter l’adoption, par les entreprises, de comportements anticoncurrentiels autonomes (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 258).

349    Enfin, il ressort de la jurisprudence que c’est aux entreprises concernées qu’il appartient de démontrer qu’une loi ou un comportement étatique était d’une nature telle qu’il les privait de toute autonomie dans le choix de leur politique commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, EU:T:1999:246, point 129). En effet, s’il incombe à l’autorité qui allègue une violation des règles de concurrence d’en apporter la preuve, il appartient à l’entreprise soulevant un moyen de défense contre la constatation d’une infraction à ces règles d’apporter la preuve que les conditions d’application de la règle dont est déduit ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve (voir arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, non publié, EU:C:2017:123, point 19 et jurisprudence citée).

350    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces principes sont également applicables lorsque sont en cause les régimes réglementaires de pays tiers (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 1131), comme il ressort en substance de la note en bas de page no 1435 de la décision attaquée.

351    Aucun argument des requérantes n’est de nature à remettre en cause l’applicabilité de ces principes au cas d’espèce.

352    En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort de la jurisprudence citée aux points 346 à 348 ci-dessus que le moyen de défense tiré de la contrainte étatique trouve sa justification non dans le principe de coopération loyale ou de primauté du droit de l’Union, mais dans l’absence d’autonomie des entreprises concernées dans le choix de leur politique commerciale, qui justifie l’inapplicabilité de l’article 101 TFUE.

353    S’il est vrai que, à la différence des pays tiers, les États membres sont tenus de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt du 9 septembre 2003, CIF, C‑198/01, EU:C:2003:430, point 45), il n’en reste pas moins que, dans le cadre de l’examen de l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux comportements des entreprises qui se conforment à une législation d’un État membre, l’évaluation préalable de cette législation ne porte que sur la question de savoir si elle laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes de leur part, de telle sorte que sa compatibilité avec les règles de concurrence du traité ne saurait être considérée comme déterminante (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, EU:C:1997:531, points 31 et 35).

354    Quant au principe de sécurité juridique et, en particulier, au risque de conflits entre le droit de l’Union et celui de pays tiers, ils ne justifient pas que le moyen de défense tiré de la contrainte étatique soit interprété de façon moins restrictive lorsqu’est en cause la réglementation ou le comportement non pas d’un État membre, mais d’un pays tiers. En effet, comme le fait valoir à juste titre la Commission, selon ce moyen de défense, l’article 101 TFUE n’est applicable qu’aux comportements anticoncurrentiels d’opérateurs économiques qui ne sont pas rendus obligatoires par les régimes réglementaires locaux. Il s’ensuit qu’il n’existe pas, en principe, de risque de conflit entre les règles du droit de l’Union et celles du pays tiers concerné.

355    En deuxième lieu, c’est à tort que les requérantes soutiennent que l’application du moyen de défense tiré de la contrainte étatique à des cas où est en cause la réglementation ou le comportement d’un pays tiers pose d’importants problèmes pratiques et en matière de preuve.

356    Tout d’abord, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort de la jurisprudence citée au point 353 ci-dessus que, dans le cadre de l’examen de l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux comportements des entreprises qui se conforment à une législation étatique, le cas échéant celle d’un pays tiers, la Commission n’interprète pas ladite législation pour évaluer sa compatibilité avec les règles de concurrence du traité, mais se borne à apprécier dans quelle mesure la même législation contraint l’autonomie des entreprises concernées dans le choix de leur politique commerciale. Dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal contrôle, quant à lui, la légalité de cette appréciation.

357    Ensuite, il est conforme aux principes généraux relatifs à la charge de la preuve d’exiger des entreprises concernées qu’elles établissent l’existence d’une contrainte étatique justifiant l’inapplicabilité de l’article 101 TFUE (voir point 349 ci-dessus). La circonstance que le moyen de défense tiré de la contrainte étatique implique d’établir l’existence d’une contrainte née de la législation ou du comportement d’un pays tiers ne justifie aucunement de renverser la charge de la preuve.

358    En troisième lieu, l’application de l’article 101 TFUE à des comportements d’entreprises intervenus et mis en œuvre dans des pays tiers se justifie au regard du droit international public, dès lors qu’il est prévisible que lesdits comportements produisent des effets immédiats et substantiels dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Viscas/Commission, T‑422/14, non publié, EU:T:2018:446, point 101 et jurisprudence citée).

359    En revanche, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, aucun principe de droit international public n’oblige la Commission, dès lors que les entreprises en cause ont produit un commencement de preuve d’une contrainte étatique, à prendre attache avec les autorités du pays tiers concerné pour obtenir des compléments d’information. Lorsqu’un tel commencement de preuve est apporté, il appartient simplement à la Commission, conformément à la jurisprudence citée au point 349 ci-dessus, de recourir à d’autres éléments de preuve. Le principe qui prévaut alors en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38).

360    Le seul fait que la Commission, au cours de la procédure administrative, ait pu se fonder sur les lettres des autorités de Dubaï produites par les requérantes devant le Tribunal pour estimer que l’article 101 TFUE était inapplicable aux contacts intervenus à Dubaï, à le supposer établi, n’implique pas que la Commission avait l’obligation de solliciter lesdites autorités.

361    Il ressort de ce qui précède que la présente branche doit être rejetée.

2.      Sur la deuxième branche, prise d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la lettre du département du DAC de Hong Kong du 3 septembre 2009

362    Les requérantes soutiennent que le considérant 990 de la décision attaquée, dont il ressort que la Commission n’estime pas qu’une exigence de discuter des tarifs a été imposée aux transporteurs à Hong Kong, est contredit par la lettre du 3 septembre 2009 que le DAC de Hong Kong a adressée à la Commission. Dans la réplique, les requérantes ajoutent qu’il ressort du mémoire en défense que, dans la décision attaquée, la Commission se serait fondée entièrement sur une déclaration de Qantas selon laquelle ce transporteur aurait obtenu une approbation individuelle pour ses STC en octobre 2006, alors que cette déclaration n’aurait jamais été mise à leur disposition.

363    La Commission conteste cette argumentation.

364    En premier lieu, en ce qui concerne les arguments soulevés au stade de la réplique, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, d’une part, il ne ressort pas du mémoire en défense de la Commission que la décision attaquée serait fondée entièrement sur une déclaration de Qantas relative à l’approbation d’une demande individuelle de STC en octobre 2006 et, d’autre part, les considérants 973 et 1340 à 1343 de la décision attaquée, visés dans les écritures des requérantes, n’évoquent pas une déclaration de Qantas ou le fait qu’une demande individuelle de STC aurait été approuvée en octobre 2006. Par conséquent, les arguments des requérantes soulevés au stade de la réplique doivent être rejetés.

365    En second lieu, il ressort du considérant 988, sous c), de la décision attaquée que le DAC de Hong Kong a envoyé au président de la Commission une lettre datée du 5 septembre 2008, dans laquelle il a indiqué que les demandes collectives des transporteurs relatives à la STC étaient à la fois légales et souhaitables sur le plan administratif, sans toutefois mentionner une quelconque interdiction faite aux transporteurs d’introduire une demande individuelle. Au considérant 992 de la décision attaquée, la Commission a estimé que le DAC n’était pas prêt à accepter des demandes individuelles pour un mécanisme de STC, mais qu’il était prêt à accepter des demandes individuelles pour une STC d’un montant fixe.

366    Or, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort pas de la lettre du DAC du 3 septembre 2009 adressée à la Commission, relative aux négociations tarifaires impliquant le SCC du BAR de Hong Kong, que cette appréciation soit erronée.

367    Cette lettre est libellée comme suit :

« Il doit être absolument clair pour la Commission que, s’agissant du mécanisme relatif à la [STC] pour le fret basé sur un indice, nous exigeons que le [SCC du BAR] et les transporteurs participants se mettent d’accord sur les détails des demandes collectives, y compris sur le montant de la surtaxe pour laquelle l’approbation était demandée, sur les preuves qui devaient être fournies au DAC pour étayer les demandes et sur le mécanisme unique qui devait être utilisé pour la détermination de la surtaxe. Le DAC a également donné mandat aux transporteurs participants et exigé d’eux qu’ils perçoivent spécifiquement la surtaxe approuvée. De plus, nous avons donné mandat au SCC du BAR et exigé de lui qu’il soumette à l’approbation du DAC toute modification de la liste des transporteurs participant aux demandes collectives et nous avons clairement indiqué que ces transporteurs ne devaient pas percevoir de [STC] sans l’approbation expresse du DAC adressée au SCC du BAR. »

368    Cette lettre se limite ainsi à détailler les conditions exigées par le DAC lorsque le SCC du BAR et les transporteurs envisagent une demande collective relative à la STC fondée sur un indice. En revanche, elle ne fait pas allusion à une obligation générale d’introduire une demande collective pour une STC, ni à l’impossibilité d’introduire une demande individuelle pour une STC fixe.

369    Par conséquent, la présente branche doit être rejetée.

3.      Sur la troisième branche, prise d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la liberté résiduelle des transporteurs d’introduire des demandes individuelles auprès d’autorités des pays tiers

370    Les requérantes font valoir que, lors de l’analyse du régime réglementaire de pays tiers, la Commission se serait attachée au fait que les demandes d’approbation des surtaxes auprès des autorités locales auraient pris la forme de demandes collectives, et non de demandes individuelles. Pourtant, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, le caractère collectif ou individuel des demandes serait indifférent pour apprécier une restriction de la liberté des entreprises de rivaliser sur le marché. Dans le cadre d’un régime d’autorisation préalable des tarifs ayant pour objet de limiter la concurrence entre les transporteurs, l’autorité compétente d’un pays tiers pourrait parfaitement refuser les demandes individuelles si la surtaxe dont l’approbation était demandée se révélait être différente de celle appliquée par d’autres transporteurs dans le pays concerné, et obliger in fine les transporteurs à coordonner leurs tarifs.

371    De plus, la Commission aurait retenu que les transporteurs avaient entretenu des contacts multilatéraux au sujet des surtaxes alors que les ASA applicables ne prévoyaient que des consultations bilatérales, impliquant le transporteur national désigné. Cependant, selon les requérantes, un réseau de discussions bilatérales sur le montant des surtaxes à appliquer, en conformité avec les clauses tarifaires des ASA, aurait probablement produit le même résultat que les discussions multilatérales qui ont en fait été menées à la demande des autorités de l’aviation civile compétentes.

372    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

373    L’argumentation des requérantes ne saurait prospérer.

374    En premier lieu, il ressort du considérant 992 de la décision attaquée que, après avoir admis que la pratique administrative du DAC de Hong Kong pouvait avoir encouragé les transporteurs à déposer des demandes collectives en vue de l’approbation de leurs tarifs, la Commission a relevé qu’il demeurait néanmoins possible pour les transporteurs de déposer des demandes individuelles. Au considérant 1009 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, auprès des autorités japonaises, les demandes étaient introduites sur une base individuelle plutôt que collective.

375    L’objet de ces considérants était de déterminer s’il ressortait des pratiques administratives de Hong Kong ou de la loi japonaise une obligation, pour les transporteurs, de coordonner leurs tarifs. Dans ce contexte, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission pouvait, pour établir l’applicabilité de l’article 101 TFUE, retenir que les transporteurs pouvaient éviter de déposer des demandes collectives relatives à leurs tarifs, qui supposent une concertation préalable pour définir les tarifs dont l’approbation est demandée, en privilégiant le dépôt d’une demande individuelle.

376    Quant à l’argument selon lequel une autorité compétente pourrait, en pratique, instruire une série de demandes individuelles d’une façon qui oblige les transporteurs à coordonner leurs tarifs, il s’agit, comme le relève à juste titre la Commission, d’une allégation purement hypothétique, et les requérantes ne démontrent pas qu’elle corresponde aux pratiques des pays tiers concernés. Un tel argument ne saurait donc contredire utilement la décision attaquée.

377    En second lieu, c’est également en vain que les requérantes soutiennent qu’un réseau de discussions bilatérales sur le montant des surtaxes à appliquer, en vertu des ASA applicables au Japon et dans d’autres pays tiers, aurait produit le même résultat que des discussions multilatérales. En effet, ainsi que cela est relevé aux considérants 986, 1007, 1012 et 1019 de la décision attaquée, les clauses tarifaires des ASA en cause n’exigent pas de discussions multilatérales sur les tarifs applicables à différentes liaisons. Tout au plus lesdites clauses prévoient-elles que les transporteurs désignés consultent les autres transporteurs qui exploitent tout ou partie de la même liaison ou tiennent compte des tarifs pratiqués par ces derniers avant de conclure des accords tarifaires. De plus, si l’effet combiné des ASA évoqué par les requérantes pourrait expliquer l’existence de contacts entre les transporteurs désignés et différents transporteurs désignés d’autres pays pour définir les tarifs applicables à plusieurs routes, il ne saurait justifier des échanges multilatéraux de l’ampleur de ceux visés dans la décision attaquée, qui consistent en des contacts directs entre plusieurs transporteurs incriminés n’impliquant pas nécessairement le transporteur désigné concerné.

378    Il ressort de ce qui précède que la présente branche et, partant, le sixième moyen dans son ensemble doivent être rejetés.

379    Le recours doit par conséquent être rejeté dans son intégralité.

IV.    Sur les dépens

380    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

381    Aux termes de l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. En outre, aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du même règlement, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.

382    En l’espèce, les requérantes ont succombé en leurs conclusions et la Commission a expressément conclu à ce qu’elles soient condamnées aux dépens. Toutefois, le Tribunal estime que les circonstances de l’espèce justifient que la Commission supporte le tiers de ses propres dépens et que les requérantes supportent leurs propres dépens ainsi que les deux tiers de ceux de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne supportera le tiers de ses dépens.

3)      Deutsche Lufthansa AG, Lufthansa Cargo AG, Swiss International Air Lines AGsupporteront leurs propres dépens ainsi que les deux tiers des dépens de la Commission.

Kanninen

Schwarcz

Iliopoulos

Spielmann

 

      Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Procédure administrative

B. Décision du 9 novembre 2010

C. Recours contre la décision du 9 novembre 2010 devant le Tribunal

D. Décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

B. Sur le quatrième moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes

1. Sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément

a) Sur la pertinence de l’effet en cause

b) Sur le caractère prévisible de l’effet en cause

c) Sur le caractère substantiel de l’effet en cause

d) Sur le caractère immédiat de l’effet en cause

2. Sur les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble

C. Sur le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse

D. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du principe de courtoisie internationale et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale

E. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien

1. Sur les contacts extra-EEE/Suisse

2. Sur les contacts WOW

3. Sur les contacts relatifs au refus de paiement de commissions

F. Sur le cinquième moyen, tiré d’une appréciation erronée de l’affectation du commerce entre États membres

G. Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers

1. Sur la première branche, prise d’erreurs dans l’application du moyen de défense tiré de la contrainte étatique aux régimes réglementaires des pays tiers

2. Sur la deuxième branche, prise d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la lettre du département du DAC de Hong Kong du 3 septembre 2009

3. Sur la troisième branche, prise d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la liberté résiduelle des transporteurs d’introduire des demandes individuelles auprès d’autorités des pays tiers

IV. Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.