Language of document : ECLI:EU:T:2023:541

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 septembre 2023 (*)

« Recours en annulation – FEAGA – Règlement (UE) no 1306/2013 – Paiement indu – Lettre rejetant la demande de prolongation du délai de huit ans pour procéder au recouvrement – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑137/22,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme J. Aquilina et M. M. ter Haar, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. F. Schalin, président, I. Nõmm et Mme G. Steinfatt (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 26 avril 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le Royaume des Pays-Bas demande l’annulation de la lettre portant la référence Ares(2022) 99942 que les services de la Commission européenne lui ont adressée le 6 janvier 2022 concernant sa demande de prolongation de quatre ans du délai de huit ans prévu pour le recouvrement des paiements indûment versés à Telerscoöperatie FresQ U. A. (ci-après « FresQ ») au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) (ci-après la « lettre attaquée »).

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        FresQ était une organisation de producteurs reconnue au sens de l’article 11 du règlement (CE) no 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO 1996, L 297, p. 1). Cette disposition est, en substance, devenue l’article 152 du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671). Les membres de FresQ étaient producteurs de différentes sortes de légumes.

3        À la suite de contrôles qu’elle a effectués en 2007, la Commission a nourri des réserves quant à la compatibilité de la structure organisationnelle de FresQ avec les exigences auxquelles devait satisfaire une organisation de producteurs pour pouvoir être reconnue comme telle. En 2009, la Commission a effectué de nouveaux contrôles auprès de FresQ et de certains de ses membres affiliés.

4        Par la décision d’exécution 2011/244/UE, du 15 avril 2011, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2011, L 102, p. 33), la Commission a écarté du financement de l’Union européenne environ 22 millions d’euros de dépenses déclarées par le Royaume des Pays‑Bas de 2006 à 2008 pour le soutien aux organisations communes des marchés agricoles. Sur ce montant, environ 20,7 millions d’euros avaient trait au non‑respect des critères de reconnaissance par FresQ.

5        Le Royaume des Pays-Bas a introduit contre cette décision un recours, qui a été rejeté par l’arrêt du 16 septembre 2013, Pays‑Bas/Commission (T‑343/11, non publié, EU:T:2013:468). Par l’arrêt du 6 novembre 2014, Pays‑Bas/Commission (C‑610/13 P, non publié, EU:C:2014:2349), le pourvoi contre cet arrêt a également été rejeté.

6        Une nouvelle structure organisationnelle élaborée par FresQ devait garantir le respect de tous les critères de reconnaissance, à partir du 1er janvier 2010.

7        Cependant, une enquête menée en 2013 par la Nederlandse Voedsel- en Warenautoriteit (Autorité néerlandaise de contrôle des denrées alimentaires et des produits de consommation, Pays-Bas) a montré que FresQ n’avait pas suffisamment mis en œuvre la nouvelle structure organisationnelle et également que, à partir de 2010, elle avait continué à enfreindre divers critères de reconnaissance. Pour cette raison, le 23 août 2013, le Productschap Tuinbouw (groupement interprofessionnel des horticulteurs, Pays-Bas) a décidé de retirer à FresQ sa reconnaissance en tant qu’organisation de producteurs à compter du 1er janvier 2010. Par une décision du 12 octobre 2015, cette date a été avancée au 1er juillet 2009.

8        FresQ n’étant plus, à partir de cette date, reconnue en tant qu’organisation de producteurs, les autorités néerlandaises ont adopté, le 25 septembre 2013, quinze décisions et, le 12 octobre 2015, une autre décision afin de recouvrer les aides versées indûment à cette dernière.

9        Les décisions visées aux points 7 et 8 ci-dessus ont fait l’objet de recours administratifs et judiciaires, rejetés, en dernière instance, en 2017 et 2018 par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas), de sorte que ces décisions sont devenues définitives.

10      Afin d’exécuter les décisions de recouvrement mentionnées au point 8 ci-dessus, les autorités néerlandaises ont procédé à des saisies conservatoires des actifs de FresQ et ont émis des injonctions au sens de l’article 4:115 de la wet houdende algemene regels van bestuursrecht (Algemene wet bestuursrecht) [loi fixant les règles générales du droit administratif (loi générale sur le droit administratif)], du 4 juin 1992 (Stb. 1992, no 315). Il a ainsi été possible de recouvrer un montant d’environ 1 500 000 euros auprès de FresQ.

11      Le 23 mai 2017, le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays‑Bas) a déclaré FresQ en faillite et a nommé un curateur.

12      Les autorités néerlandaises ont présenté leur créance auprès de FresQ dans le cadre de la faillite, dont le règlement était en cours au moment de l’introduction du présent recours.

13      Le curateur a mené une enquête sur les causes de la faillite et sur la question de l’existence d’irrégularités. Au début du mois de septembre 2020, cette enquête l’a conduit à tenir pour responsable Kaaij Brothers BV et deux anciens administrateurs de FresQ de tous les dommages subis par cette dernière.

14      En outre, depuis 2015, l’Openbaar Ministerie (ministère public, Pays‑Bas) a ouvert une enquête pénale sur les agissements des différentes parties impliquées dans l’« affaire FresQ », dont Kaaij Brothers. Cette enquête était en cours au moment de l’introduction du présent recours.

15      Considérant le recouvrement de sa créance auprès de FresQ impossible en raison de l’insolvabilité de cette dernière, le Royaume des Pays‑Bas a, par une lettre du 18 juin 2021, communiqué à la Commission sa décision de ne pas poursuivre le recouvrement, adoptée en se référant à l’article 54, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et (CE) no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2017, modifiant les règlements (UE) no 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), no 1306/2013, (UE) no 1307/2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune, (UE) no 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et (UE) no 652/2014 fixant des dispositions pour la gestion des dépenses relatives, d’une part, à la chaîne de production des denrées alimentaires, à la santé et au bien-être des animaux et, d’autre part, à la santé et au matériel de reproduction des végétaux (JO 2017, L 350, p. 15).

16      En l’absence de réponse de la Commission à cette lettre et eu égard à l’expiration, le 25 septembre 2021, du délai de huit ans visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, le Royaume des Pays-Bas a, par une lettre du 16 septembre 2021, « à titres conservatoire et subsidiaire », présenté une demande de prolongation de ce délai de quatre années supplémentaires.

17      À la suite d’un échange de correspondance entre les parties et d’une réunion tenue le 18 novembre 2021, les services de la Commission ont, dans la lettre attaquée, rejeté la demande de prolongation du délai prévu à l’article 54, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013. Selon ces derniers, la prolongation de ce délai doit être considérée comme une exception, à interpréter de manière restrictive et au cas par cas. Les services de la Commission ont estimé que les raisons qui pouvaient potentiellement justifier l’application de cette disposition étaient imputables au Royaume des Pays-Bas et à ses institutions, à ses instances juridictionnelles et à ses procédures nationales respectives. Il ressortirait des informations fournies par les autorités néerlandaises que « les retards et contestations normaux » sont dus aux procédures d’insolvabilité nationales ou sont liés à des procédures nationales ordinaires devant les juridictions nationales et relèvent donc de la catégorie des procédures pour lesquelles une prolongation a déjà été accordée dans l’acte de base. La procédure de faillite ou l’enquête pénale ne portent pas, selon les services de la Commission sur des circonstances ou des procédures en dehors du cadre national. Ainsi, ils ont estimé que l’abondance de recours juridictionnels, le rejet de la procédure de faillite, la procédure de liquidation complexe et l’enquête pénale étaient imputables au Royaume des Pays-Bas, de sorte que l’article 54, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1306/2013 ne s’appliquait pas.

18      Par une lettre du 27 janvier 2022, les autorités néerlandaises ont demandé à la Commission de revoir cette position. À titre principal, elles ont estimé, en substance, qu’il ne saurait être question d’une demande de prolongation, les procédures de recouvrement ayant déjà pris fin, de sorte que le délai de recouvrement visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 ne s’appliquerait pas au règlement d’une faillite ou d’une procédure pénale. À titre subsidiaire, elles ont soutenu que le dépassement du délai de huit ans ne leur était pas imputable.

19      Par une lettre du 15 février 2022, les services de la Commission ont confirmé leur refus figurant dans la lettre attaquée. Ils ont ajouté que l’article 54, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 prenait déjà en compte la durée de toutes les procédures nationales en accordant quatre ans supplémentaires pour le délai de recouvrement. Les services de la Commission ont également évoqué un passage du rapport public du curateur, dont il ressortirait que celui-ci a pris, en concertation avec les autorités néerlandaises, la décision de ne pas poursuivre les procédures de recouvrement auprès de certains membres de l’organisation de producteurs. En outre, les services de la Commission ont indiqué que, selon eux, la procédure de recouvrement était toujours en cours et que la créance sur FresQ ne devrait pas être déclarée irrécouvrable. En effet, il y aurait des procédures d’insolvabilité, judiciaires et pénales en cours, qui seraient susceptibles de conduire à un recouvrement à la suite de la faillite de FresQ. Pour le cas où les autorités néerlandaises devaient décider de ne plus poursuivre le recouvrement, les services de la Commission les ont informées qu’ils pourraient considérer cette décision comme non justifiée et exclure les montants en question du financement de l’Union. La déclaration de ces montants comme irrécouvrables serait appréciée au moyen d’un contrôle de conformité. En outre, les services de la Commission ont rappelé leur devoir de protéger le budget de l’Union et le fait que la charge financière découlant de l’absence de recouvrement entier de la dette de FresQ devrait être répartie équitablement entre l’Union et le Royaume des Pays‑Bas.

20      Cette dernière lettre fait l’objet du recours dans l’affaire enregistrée sous le numéro T‑203/22.

21      Estimant que la décision des autorités néerlandaises de ne pas poursuivre le recouvrement et de mettre à la charge de l’Union la totalité de la créance auprès de FresQ était injustifiée au regard de l’article 54, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), du règlement no 1306/2013, les services de la Commission les ont informées, par une lettre du 28 avril 2022, conformément à l’article 33, à l’article 34, paragraphe 2, et à l’article 41, paragraphe 1, sous b), du règlement d’exécution (UE) no 908/2014 de la Commission, du 6 août 2014, portant modalités d’application du règlement no 1306/2013 en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59), qu’ils entameraient une procédure d’apurement de conformité en vue d’exclure du financement de l’Union la créance à l’égard de FresQ au titre de l’article 54, paragraphe 5, sous b) et c), du règlement no 1306/2013. En ce qui concerne la demande d’extension du délai prévu à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, les services de la Commission ont maintenu leur position telle qu’exprimée dans la lettre attaquée.

 Conclusions des parties

22      Le Royaume des Pays-Bas conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la lettre attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le Royaume des Pays-Bas aux dépens.

 En droit

24      À l’appui de son recours, le Royaume des Pays-Bas invoque deux moyens, le premier étant tiré de ce que la lettre attaquée est fondée sur l’hypothèse erronée selon laquelle la procédure de recouvrement n’est pas encore finalisée et le second étant tiré de l’application erronée de l’article 54, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1306/2013, en ce que la Commission a considéré que le dépassement du délai de huit ans lui était imputable.

25      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité par acte séparé, la Commission fait valoir que, contrairement à ce que soutient le Royaume des Pays-Bas, la lettre attaquée n’est pas un acte attaquable et que le recours est donc irrecevable.

26      Le Royaume des Pays-Bas soutient que la lettre attaquée est un acte attaquable parce qu’elle produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

27      En premier lieu, le délai de huit ans prévu à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 ayant expiré le 25 septembre 2021, le refus de le prolonger signifierait que, en vertu de cette même disposition, les conséquences financières du défaut de recouvrement de la créance à l’égard de FresQ seraient partagées à égalité, à partir de cette date, par le Royaume des Pays-Bas et l’Union (ci-après la « règle des 50 %‑50 % »).

28      En second lieu, le Royaume des Pays-Bas aurait pris la décision de ne pas poursuivre le recouvrement, mais la Commission la considèrerait comme non justifiée. Dans l’hypothèse où la Commission aurait raison sur ce point, le Royaume des Pays-Bas aurait un intérêt à pouvoir encore adopter ultérieurement une décision de ne pas poursuivre le recouvrement dans le délai visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, de sorte que les conséquences financières du non‑recouvrement seraient à la charge du budget de l’Union.

29      La Commission conteste les arguments du Royaume des Pays-Bas.

30      À cet égard, selon une jurisprudence constante, sont considérés comme des « actes attaquables », au sens de l’article 263 TFUE, toutes les dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir ordonnance du 14 septembre 2022, Primagra et Mlékárna Hlinsko/Commission, T‑101/21 et T‑213/21, non publiée, EU:T:2022:571, point 43 et jurisprudence citée).

31      Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent, en principe, un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution concernée au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (voir ordonnance du 14 septembre 2022, Primagra et Mlékárna Hlinsko/Commission, T‑101/21 et T‑213/21, non publiée, EU:T:2022:571, point 44 et jurisprudence citée).

32      Il n’en serait autrement que si des actes ou des décisions, pris au cours de la procédure préparatoire, non seulement réunissaient les caractéristiques juridiques décrites ci-dessus, mais constituaient eux‑mêmes le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à l’auteur de l’acte de statuer sur le fond (voir arrêt du 21 juin 2012, Espagne/Commission, T‑178/10, T‑263/10 et T‑265/10, non publié, EU:T:2012:314, point 10 et jurisprudence citée).

33      Si des mesures de nature purement préparatoire ne peuvent en tant que telles faire l’objet d’un recours en annulation, les illégalités éventuelles qui les entacheraient peuvent être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration (voir ordonnance du 14 septembre 2022, Primagra et Mlékárna Hlinsko/Commission, T‑101/21 et T‑213/21, non publiée, EU:T:2022:571, point 46 et jurisprudence citée).

34      Pour déterminer si l’acte qui est attaqué produit des effets de droit obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier lesdits effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de ce même acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur. Il ressort de la jurisprudence qu’il y a également lieu de prendre en compte l’intention de son auteur pour qualifier un acte donné (voir ordonnance du 14 septembre 2022, Primagra et Mlékárna Hlinsko/Commission, T‑101/21 et T‑213/21, non publiée, EU:T:2022:571, point 47 et jurisprudence citée).

35      Les conditions de recevabilité d’un recours s’apprécient au moment de son introduction, à savoir au moment du dépôt de la requête (voir arrêts du 28 février 2017, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, T‑162/14, non publié, EU:T:2017:124, point 40 et jurisprudence citée, et du 11 juillet 2019, Air France/Commission, T‑894/16, EU:T:2019:508, point 30 et jurisprudence citée).

36      En ce qui concerne le contenu de la lettre attaquée, les services de la Commission ont rejeté la demande des autorités néerlandaises du 16 septembre 2021 de prolonger le délai visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013.

37      Ce rejet ne saurait être apprécié isolément, mais à la lumière des pouvoirs dont dispose la Commission dans ce domaine et du contexte dans lequel s’inscrit l’envoi de la lettre attaquée.

38      Premièrement, selon l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, « [p]our tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement, d’un rapport de contrôle ou document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité ».

39      En vertu de l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, « [s]i le recouvrement n’a pas eu lieu dans un délai de quatre ans après la date de la demande de recouvrement, ou dans un délai de huit ans lorsque celui-ci est porté devant les juridictions nationales, 50 % des conséquences financières du non-recouvrement sont pris en charge par l’État membre concerné et 50 % par le budget de l’Union, sans préjudice de l’obligation pour cet État membre de poursuivre les procédures de recouvrement en application de l’article 58 [du règlement no 1306/2013] ».

40      Une exception est prévue à l’article 54, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1306/2013, selon lequel « si, pour des raisons non imputables à l’État membre concerné, le recouvrement ne peut pas être effectué dans le délai indiqué au premier alinéa […], la Commission peut, à la demande de l’État membre, prolonger le délai d’une durée correspondant au maximum à la moitié du délai initialement prévu ». Dans la mesure où les demandes de recouvrement des autorités néerlandaises de leur créance auprès de FresQ ont été portées devant les juridictions de cet État membre, c’est le délai de huit ans qui s’appliquait en vertu de l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, de sorte qu’il pouvait être prolongé d’une durée maximale de quatre ans.

41      L’article 54, paragraphe 4, du règlement no 1306/2013 prévoit que les conséquences financières à la charge de l’État membre en vertu du paragraphe 2 de cet article sont inscrites par l’État membre concerné dans les comptes annuels à transmettre à la Commission. Cette dernière en vérifie l’application correcte et procède, le cas échéant, aux adaptations nécessaires dans l’acte d’exécution visé à l’article 51 de ce même règlement.

42      L’article 51 du règlement no 1306/2013 prévoit la procédure d’apurement comptable. Selon le paragraphe 1 de cette disposition, « [a]vant le 31 mai de l’année suivant l’exercice concerné et sur la base des informations transmises conformément à l’article 102, paragraphe 1, point c), [de ce règlement], la Commission prend une décision, au moyen d’actes d’exécution, sur l’apurement comptable des organismes payeurs agréés », « [l]a décision d’apurement des comptes couvre l’exhaustivité, l’exactitude et la véracité des comptes annuels soumis » et « [e]lle est adoptée sans préjudice des décisions adoptées ultérieurement conformément à l’article 52 [du règlement no 1306/2013] ». Conformément à l’article 33, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 908/2014, la décision de la Commission relative à l’apurement des comptes visée à l’article 51 du règlement no 1306/2013 fixe le montant des dépenses effectuées dans chaque État membre au cours de l’exercice concerné qui est reconnu imputable aux fonds agricoles, dont le FEAGA, sur la base des comptes visés à l’article 29 du règlement d’exécution no 908/2014. Cette décision fixe également les montants à imputer à l’Union et à l’État membre concerné en vertu de l’article 54, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013.

43      L’article 30 du règlement d’exécution no 908/2014 précise ce qui suit :

« 1. Aux fins de l’apurement des comptes au titre de l’article 51 du règlement no 1306/2013, chaque État membre adresse à la Commission :

a)      les informations incluses dans les comptes annuels visées à l’article 29 du présent règlement ;

[…]

3. À la demande de la Commission ou à l’initiative d’un État membre, des informations complémentaires concernant l’apurement des comptes peuvent être adressées à la Commission dans des délais fixés par celle‑ci, compte tenu de la charge de travail nécessaire pour fournir ces informations. En l’absence de telles informations, la Commission peut apurer les comptes sur la base des informations dont elle dispose. »

44      Selon l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, lorsqu’elle considère que des dépenses relevant du champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5 n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union, la Commission adopte des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union.

45      Il découle de ces dispositions qu’un rejet par les services de la Commission d’une demande de prolongation du délai prévu à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, tel que celui en question dans la présente affaire, se situe dans la procédure précédant une décision définitive de la Commission concernant l’apurement des comptes.

46      Ainsi, si l’État membre concerné inscrit dans les comptes, à la suite d’un tel rejet, la somme non recouvrée en tant que créance à laquelle s’applique la règle des 50 %-50 %, la Commission procède, dans une décision d’exécution adoptée sur le fondement de l’article 51 du règlement no 1306/2013, à l’apurement des comptes de cet État membre, qui produit des effets juridiques à son égard (voir point 42 ci-dessus).

47      En revanche, dans l’hypothèse où l’État membre ne déclare pas dans les comptes annuels la créance en question en tant que créance à laquelle s’applique la règle des 50 %-50 %, comme l’ont fait les autorités néerlandaises dans leurs comptes annuels concernant l’année 2021, la Commission peut, lorsque cette circonstance traduit une question relevant de l’exhaustivité, de l’exactitude et de la véracité de ces comptes, à la suite de son contrôle, suivi éventuellement de la fourniture d’autres informations (article 30, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 908/2014), après la communication à l’État membre des résultats de ses vérifications des informations transmises, accompagnés, le cas échéant, des modifications proposées (article 33, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 908/2014), procéder aux adaptations nécessaires dans l’acte d’exécution pris sur le fondement de l’article 51 du règlement no 1306/2013 (article 54, paragraphe 4, du règlement no 1306/2013). Les décisions d’exécution visées à l’article 51 du règlement no 1306/2013 sont arrêtées sans préjudice des décisions adoptées ultérieurement conformément à l’article 52 du règlement no 1306/2013.

48      Pour autant que l’inscription incorrecte de ces sommes est liée à la question de savoir si des dépenses ont été effectuées conformément au droit de l’Union, la Commission peut ouvrir une procédure d’apurement de conformité prévue à l’article 52 du règlement no 1306/2013, susceptible de conduire à l’adoption d’actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union.

49      Ce sont les décisions visées aux points 47 et 48 ci-dessus qui fixent alors définitivement la situation juridique de cet État membre et qui sont ainsi attaquables par un recours en annulation devant le Tribunal. Dans ce cadre, il est loisible à l’État membre de soulever d’éventuelles illégalités dont aurait été entaché le refus de prolonger le délai, communiqué par la lettre attaquée. La lettre attaquée ne constitue donc qu’un acte préparatoire des décisions d’exécution visées aux articles 51 et 52 du règlement no 1306/2013.

50      Par ailleurs, outre le fait que la lettre attaquée ne produit aucun effet juridique obligatoire à elle seule, elle ne saurait non plus être considérée comme le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à l’auteur de l’acte de statuer sur le fond, au sens de la jurisprudence citée au point 32 ci‑dessus.

51      Deuxièmement, le contexte de la présente affaire est également caractérisé par la particularité que, avant même d’avoir introduit la demande de prolongation du délai prévu à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, les autorités néerlandaises avaient, par une lettre du 18 juin 2021, communiqué à la Commission leur décision de ne pas poursuivre le recouvrement de leur créance auprès de FresQ.

52      C’est notamment à la suite de la réunion du 18 novembre 2021 (voir point 17 ci-dessus) qu’il s’est avéré que les services de la Commission estimaient, en substance, que, en raison des procédures civiles et pénales en cours, la créance à l’encontre de FresQ n’était pas irrécouvrable et que la décision des autorités néerlandaises de ne pas poursuivre le recouvrement pouvait être considérée comme injustifiée. Partant, les services de la Commission les ont informées qu’ils envisageaient d’ouvrir une procédure d’apurement de conformité. En vertu de l’article 54, paragraphe 5, sous b) et c), du règlement no 1306/2013, la Commission peut, pour autant que la procédure établie à l’article 52, paragraphe 3, de ce règlement ait été suivie, adopter des actes d’exécution excluant du financement de l’Union les montants imputés au budget de l’Union si elle considère que la décision de ne pas poursuivre le recouvrement prise par l’État membre conformément à l’article 54, paragraphe 3, n’est pas justifiée ou si elle considère que les irrégularités ou l’absence de recouvrement résultent d’irrégularités ou de négligences imputables à l’administration ou à un service ou organisme d’un État membre. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 28 avril 2022 citée au point 21 ci-dessus, la Commission a effectivement ouvert cette procédure.

53      En conséquence, dans l’hypothèse où la Commission n’aurait pas ouvert cette procédure ou dans l’hypothèse où elle ne déboucherait à l’exclusion d’aucun montant du financement par le budget de l’Union, par une décision d’exécution visée à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, hypothèse possible au moment de l’introduction du recours, la demande de prolongation du délai de recouvrement perdrait son objet, puisque, en application de l’article 54, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 1306/2013, tout montant non recouvré auprès de FresQ serait mis à la charge du budget de l’Union. La lettre attaquée n’aurait en rien pu modifier la position juridique du Royaume des Pays-Bas.

54      Si, en revanche, la Commission devait estimer que la décision des autorités néerlandaises de ne pas poursuivre le recouvrement de cette créance n’était pas justifiée, elle peut, en application de l’article 54, paragraphe 5, sous b), du règlement no 1306/2013, exclure du financement de l’Union les montants imputés au budget de l’Union. Il en va de même, en application de l’article 54, paragraphe 5, sous c), du règlement no 1306/2013, si la Commission considère que les irrégularités ou l’absence de recouvrement résultent d’irrégularités ou de négligences imputables à l’administration ou à un service ou organisme de cet État membre.

55      Ainsi, même dans ce cas de figure, la lettre attaquée ne produirait aucun effet sur la décision définitive que pourrait adopter la Commission au terme de la procédure d’apurement de conformité.

56      Le Royaume des Pays-Bas soutient néanmoins que si la Commission devait considérer que sa décision de ne pas poursuivre le recouvrement n’était pas justifiée, la lettre attaquée l’empêcherait d’adopter ultérieurement une autre décision de ne pas poursuivre le recouvrement qui interviendrait dans le délai visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013 et dont la conséquence serait ainsi la mise de l’intégralité de la créance non recouvrée à la charge du budget de l’Union. Elle produirait de cette manière des effets juridiques obligatoires à l’égard du Royaume des Pays-Bas (voir point 28 ci‑dessus).

57      Cette argumentation ne saurait être retenue. Si la Commission arrive à la conclusion que la décision des autorités néerlandaises du 18 juin 2021 est injustifiée, elle peut exclure les dépenses concernées du financement de l’Union. Une fois exclues du financement par le budget de l’Union au moyen d’une décision d’exécution, ces sommes ne sauraient y être réintégrées. Interrogé à l’audience à cet égard, le Royaume des Pays-Bas n’a pas remis en question cette analyse.

58      En tout état de cause, la lettre attaquée, par laquelle les services de la Commission ont rejeté la demande du Royaume des Pays-Bas de prolonger le délai de recouvrement visé à l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, ne constitue qu’un acte préparatoire d’une décision d’apurement comptable ou d’apurement de conformité (voir points 45 à 50 ci‑dessus). Il ressort de l’article 29, sous e), du règlement d’exécution no 908/2014 que les comptes annuels doivent inclure séparément également les montants à la charge de l’Union conformément à l’article 54, paragraphe 3, du règlement no 1306/2013. C’est d’ailleurs ainsi que les autorités néerlandaises ont déclaré la créance sur FresQ dans le tableau prévu par l’annexe II du règlement d’exécution no 908/2013. En l’occurrence, si la Commission n’était pas d’accord avec les conséquences financières d’une éventuelle seconde application par le Royaume des Pays-Bas de l’article 54, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), du règlement no 1306/2013, elle aurait la possibilité de s’y opposer par une décision d’exécution adoptée au terme de la procédure prévue à l’article 51 ou à l’article 52 du règlement no 1306/2013. Une telle décision serait attaquable par cet État membre, qui pourrait soulever, dans le cadre d’un tel recours, la question de la légalité de la lettre attaquée (voir jurisprudence citée au point 33 ci‑dessus).

59      Au demeurant, ainsi que le soutient la Commission, la lettre attaquée ne produit pas d’effets juridiques s’agissant de la légalité de la décision du Royaume des Pays-Bas de ne pas poursuivre le recouvrement, en application de l’article 54, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), du règlement no 1306/2013. En effet, le caractère justifié de la décision du Royaume des Pays-Bas de ne plus poursuivre le recouvrement doit être évalué, conformément à l’article 54, paragraphe 5, du même règlement, dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité, la lettre attaquée ne préjugeant pas de la position que la Commission adoptera à cet égard.

60      Par ailleurs, il découle de la lettre du 15 février 2022, par laquelle les services de la Commission ont confirmé leur refus figurant dans la lettre attaquée après avoir examiné les arguments soumis par le Royaume des Pays-Bas par la lettre du 27 janvier 2022, que leur intention n’était pas que la lettre attaquée produise, à elle seule, des effets juridiques obligatoires à l’égard de son destinataire. Cette conclusion est corroborée par l’ensemble des échanges entre les services de la Commission et les autorités néerlandaises qui ont suivi l’envoi de la lettre attaquée, dans la mesure où les services de la Commission ont clairement fait dépendre les suites à donner à la question du recouvrement de la créance à l’encontre de FresQ de l’issue de la procédure d’apurement de conformité qu’elles avaient engagée.

61      Par conséquent, eu égard au contenu de la lettre attaquée, aux pouvoirs dont dispose la Commission en la matière, au contexte dans lequel cette lettre a été envoyée aux autorités néerlandaises et à l’intention des services de la Commission, il convient de constater qu’elle ne constitue qu’une mesure préparatoire qui ne fixe pas définitivement la position de cette institution.

62      La lettre attaquée n’est donc pas, en tant que telle, susceptible de produire des effets juridiques obligatoires quelconques et ne constitue pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

63      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

65      Le Royaume des Pays-Bas ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

Schalin

Nõmm

Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.