Language of document : ECLI:EU:T:2013:614

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 novembre 2013 (*)

« Référé – Enquête menée par l’OLAF – Recours en indemnité – Préjudice financier et moral prétendument subi par le requérant – Demande de mesures provisoires – Irrecevabilité – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑483/13 R,

Athanassios Oikonomopoulos, demeurant à Athènes (Grèce), représenté par Mes N. Korogiannakis et I. Zarzoura, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme A. Sauka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires introduite dans le cadre d’un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice que le requérant aurait subi dans ses activités professionnelles et en ce qui concerne sa réputation à la suite de certains agissements prétendument illégaux de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) dans le cadre d’une enquête menée par ses agents,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Athanassios Oikonomopoulos, est ingénieur électricien et homme d’affaires actif sur le marché de la robotique en matière informatique. Il a fondé, puis dirigé de 1987 à 2006, la société grecque Zenon Automation Technologies (ci-après « Zenon ») laquelle, pendant les 18 ans où le requérant était à sa direction, a exécuté plus de 50 contrats relatifs à des projets de recherche financés par l’Union européenne. Entre 2004 et 2006, la Commission des Communautés européennes a conclu avec Zenon 23 contrats relevant du sixième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration contribuant à la réalisation de l’espace européen de la recherche et à l’innovation (2002-2006). En novembre 2008, un audit a été réalisé dans les locaux de Zenon pour le compte de la Commission en ce qui concerne plusieurs contrats relevant dudit programme.

2        D’après le projet de rapport d’audit, Zenon avait demandé à la Commission le financement, pour un montant significatif, des coûts que lui avait facturés la société chypriote Comeng Computerised Engineering (ci-après « Comeng »). Ces coûts ont cependant été totalement exclus du financement, puisqu’ils n’ont été considérés comme éligibles ni en tant que coûts de personnel ni en tant que coûts de sous-traitance. Considérant que les demandes de financement avaient revêtu un caractère systématique et que Comeng n’avait servi que d’intermédiaire à Zenon pour surévaluer intentionnellement, par le biais de fausses factures, des coûts de personnel déclarés de manière non transparente, la Commission a ordonné une enquête supplémentaire.

3        Cette enquête supplémentaire a été ouverte en décembre 2009 par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), chargé, en vertu du règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO L 136, p. 1), d’effectuer des enquêtes externes, c’est-à-dire en dehors des institutions de l’Union, et des enquêtes internes, c’est-à-dire au sein de ces institutions. En février 2010, l’OLAF a procédé à une vérification auprès de Comeng à Chypre et a adopté, en février 2011, le rapport d’audit final.

4        Le 19 juillet 2011, l’OLAF a informé le requérant qu’il était considéré comme « personne concernée » par l’enquête en question. Dans ce contexte, l’OLAF a invité le requérant à un entretien, qui a eu lieu le 7 septembre 2011 à son domicile en Grèce. Par courrier du 19 septembre 2012 adressé au requérant, l’OLAF a indiqué que l’enquête était close et qu’il avait recommandé, d’une part, aux autorités judiciaires grecques d’ouvrir une procédure judiciaire, puisqu’il y aurait eu lieu de penser que des infractions pénales affectant les intérêts financiers de l’Union avaient été commises, et, d’autre part, à la Commission de procéder au recouvrement de la somme de 1,5 millions d’euros auprès de Zenon.

5        Par courrier du 10 juin 2013, le requérant a demandé à l’OLAF l’accès au dossier de l’enquête en question, conformément au règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43). La Commission a rejeté cette demande par courrier du 13 août 2013.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 septembre 2013, le requérant a introduit un recours en indemnité au titre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE visant, d’une part, à faire constater que les mesures prises par l’OLAF n’avaient aucune existence juridique et que les informations le concernant ainsi que les documents transmis aux autorités nationales (ci-après le « dossier litigieux ») constituaient des éléments de preuve irrecevables et, d’autre part, à condamner la Commission au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 2 millions d’euros pour le comportement illégal de celle-ci et pour le préjudice causé à son activité professionnelle et à sa réputation.

7        À l’appui de son recours, il soutient, en substance, que la Commission et l’OLAF ont collecté et transmis illégalement des données à caractère personnel le concernant aux autorités judiciaires grecques ainsi qu’à des tiers. L’enquête menée à son égard n’aurait reposé sur aucune base juridique et aurait procédé d’un détournement de pouvoir. En effet, la Commission et l’OLAF auraient violé plusieurs dispositions conférant des droits au requérant, notamment le droit au respect de sa vie privée, et de ses droits de la défense, ce qui aurait causé un préjudice à sa réputation et à son activité professionnelle. Selon le requérant, ce comportement illégal rend irrecevable la totalité des éléments de preuve que l’OLAF a transmis aux autorités grecques.

8        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 10 septembre 2013, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner, d’une part, le retrait temporaire et la conservation par un « trésorier » du dossier litigieux, et, d’autre part, l’interdiction de toute utilisation dudit dossier, jusqu’au prononcé de la décision mettant fin à la procédure principale ;

–        réserver les dépens.

9        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 octobre 2013, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        réserver les dépens.

10      Le requérant a répliqué aux observations de la Commission par mémoire du 8 novembre 2013. La Commission a pris définitivement position sur celui-ci par mémoire du 19 novembre 2013.

 En droit

11      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

12      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

13      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnance Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23). Il peut également vérifier, même d’office et in limine litis, la recevabilité de la demande en référé dont il est saisi, les conditions de recevabilité d’une telle demande étant d’ordre public (voir ordonnance du président du Tribunal du 23 janvier 2012, Henkel et Henkel France/Commission, T‑607/11 R, non publiée au Recueil, point 15, et la jurisprudence citée).

14      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      En l’espèce, afin d’établir l’urgence, le requérant soutient que la Commission et l’OLAF ont illégalement communiqué à des tiers, à savoir Zenon et Comeng, ainsi qu’à leurs employés, les informations qu’ils avaient obtenues dans le cadre de l’enquête menée contre lui. Selon le requérant, ce comportement a porté atteinte à sa réputation et à son activité professionnelle. En effet, le nom du requérant, « membre éminent de l’académie grecque et de la communauté des affaires pendant trois décennies », aurait ainsi été associé, et le demeurerait, à une éventuelle fraude au détriment de l’Union. Dans l’attente d’une action des autorités grecques, il aurait été contraint de se retirer de tout engagement commercial et académique, de refuser sa nomination à des postes prestigieux et de renoncer à tout rôle consultatif auprès du gouvernement hellénique. De plus, au sein de son cercle professionnel, des « allégations insultantes » auraient été proférées contre lui. Aussi longtemps que le dossier litigieux serait conservé par les autorités grecques, le requérant ne pourrait envisager aucune activité commerciale.

16      Admettant que, à ce jour, aucune procédure judiciaire n’a été engagée contre lui devant les juridictions grecques, le requérant estime que, si une telle procédure était effectivement ouverte, cela causerait un préjudice supplémentaire à sa réputation, dès lors que, en vertu du code de procédure pénale grec, cette procédure serait publique. Même si, en fin de compte, la procédure judiciaire n’aboutissait pas et qu’il était jugé que le dossier litigieux avait été constitué et transmis illégalement ou qu’il était conclu qu’aucune fraude n’avait été commise, la réputation du requérant ne pourrait plus être rétablie. Cette dernière resterait ainsi ternie aux yeux de ses pairs et auprès du grand public, du fait même de l’ouverture de la procédure judiciaire devant les juridictions grecques.

17      Le requérant souligne que, si les rumeurs le concernant étaient renforcées par l’ouverture d’une procédure devant les juridictions grecques avant même l’appréciation de la légalité de la transmission du dossier litigieux, le préjudice porté à sa réputation deviendrait irréversible, puisque l’ouverture d’une procédure judiciaire et la publicité qui y est relative ne pourraient, par nature, être éliminées rétroactivement. Or, une procédure judiciaire ouverte par les autorités grecques étant fondée sur le seul dossier litigieux, il conviendrait d’empêcher provisoirement les autorités grecques d’utiliser ce dossier en tant qu’élément de preuve jusqu’au prononcé par le Tribunal d’une décision quant à la recevabilité d’une telle utilisation. C’est ainsi que tout préjudice supplémentaire à la réputation du requérant pourrait être évité.

18      La Commission, en revanche, estime que le requérant, au lieu d’établir l’urgence, s’est contenté d’avancer de pures affirmations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve. En tout état de cause, la demande en référé serait irrecevable pour plusieurs motifs.

19      À cet égard, il convient de rappeler que le recours introduit dans l’affaire principale vise, en substance, à condamner la Commission à réparer le préjudice qu’elle aurait causé au requérant. Dans la mesure où la présente demande en référé se greffe donc sur un recours en indemnité, force est de constater, d’emblée, que la finalité d’une procédure de référé ne consiste pas à assurer la réparation d’un préjudice qui s’est déjà réalisé (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 53 ; du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, non publiée au Recueil, point 37, et du 29 octobre 2009, Novácke chemické závody/Commission, T‑352/09 R, non publiée au Recueil, point 43). Il s’ensuit que la demande en référé doit être déclarée irrecevable dans la mesure où elle est fondée sur les préjudices financiers et moraux que le requérant aurait déjà subis en raison de la communication prétendument illégale à Zenon et à Comeng, ainsi qu’à leurs employés, des informations que la Commission et l’OLAF avaient obtenues dans le cadre de l’enquête menée contre lui (voir point 15 ci-dessus). En effet, il est évident que ces préjudices déjà survenus ne pourraient plus être évités par l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

20      Il y a lieu de rappeler, ensuite, que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir dans la procédure principale sur laquelle le référé se greffe [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 21 février 2002, Front national et Martinez/Parlement, C‑486/01 P‑R et C‑488/01 P‑R, Rec. p. I‑1843, point 87, et du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), Rec. p. I‑8739, point 36]. Il s’ensuit que cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à ladite procédure principale (ordonnance du président du Tribunal du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T‑228/95 R, Rec. p. II‑111, point 61), que le juge des référés ne saurait adopter des mesures provisoires qui se situeraient hors du cadre de la décision finale susceptible d’être prise par le Tribunal à l’issue de la procédure principale et que la recevabilité d’une demande fondée sur l’article 279 TFUE est subordonnée à l’existence d’un lien suffisamment étroit entre les mesures provisoires sollicitées, d’une part, et les conclusions ainsi que l’objet du recours principal, d’autre part (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 17 mai 1991, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90 R, Rec. p. I‑2557, points 23 et 24, et du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, points 38 et 39, et la jurisprudence citée).

21      Eu égard à la jurisprudence citée au point précédent, et en vue de vérifier la recevabilité de la présente demande en référé, il convient d’examiner les différentes mesures provisoires sollicitées au regard de chacun des chefs de conclusions du recours en indemnité introduit dans l’affaire principale.

22      S’agissant du chef de conclusions visant à obtenir, dans le litige principal, la condamnation de la Commission à verser au requérant la somme de 2 millions d’euros, il est vrai que la jurisprudence n’a pas exclu, par principe, qu’un paiement à titre de provision, même pour un montant correspondant à celui du recours en indemnité principal, puisse être demandé par voie de référé, lorsqu’un tel paiement apparaît nécessaire pour garantir l’efficacité de l’arrêt au fond [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C‑393/96 P(R), Rec. p. I‑441, point 37]. Toutefois, aucune des mesures provisoires présentées par le requérant dans sa demande en référé ne vise à ce qu’il soit ordonné à la Commission de lui verser une avance sur ladite somme de 2 millions d’euros. Il s’ensuit que la présente demande en référé n’a pas pour objectif de garantir la pleine efficacité d’une éventuelle condamnation de la Commission au paiement de dommages-intérêts à l’issue de la procédure principale.

23      En ce qui concerne les deux autres chefs de conclusions, visant à obtenir la constatation, par le Tribunal, que les mesures prises par l’OLAF n’ont aucune existence juridique et que le dossier litigieux transmis aux autorités nationales comporte des éléments de preuve irrecevables, il y a lieu de rappeler qu’il a été jugé que le juge de l’Union, dès lors qu’il a la compétence exclusive pour statuer sur les recours en réparation d’un dommage imputable à l’Union, peut imposer à celle-ci toute forme de réparation qui est conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle, y compris, si elle apparaît conforme à ces principes, une réparation en nature, le cas échéant sous forme d’injonction de faire ou de ne pas faire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, points 63 et 67).

24      Se pose alors la question de savoir si le requérant est recevable à présenter lesdits deux chefs de conclusions dans le cadre de son action indemnitaire afin d’obtenir une réparation en nature du préjudice allégué, tout en sachant que les actes de l’OLAF, y compris les rapports d’enquête et leur transmission, ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, Rec. p. II‑4017, points 66, 68 et 82, et du 20 mai 2010, Commission/Violetti, T‑261/09 P, non encore publié au Recueil, point 47).

25      Selon la Commission, les mesures provisoires demandées tendent essentiellement à « suspendre » le rapport final de l’OLAF et sa transmission aux autorités grecques, alors que le requérant ne conteste pas la légalité du comportement de l’OLAF par un recours en annulation et ne serait d’ailleurs pas recevable à le faire, de sorte que le recours en indemnité viserait, en réalité, à contourner l’irrecevabilité d’un recours en annulation et devrait donc être déclaré irrecevable, ce qui entraînerait l’irrecevabilité de la demande en référé correspondante.

26      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, le recours en indemnité est une voie de droit autonome, qui a sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et est subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique, lequel doit être distingué de celui du recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 15 octobre 2013, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, T‑13/12, non publiée au Recueil, points 46 et 47, et la jurisprudence citée). Or, le juge des référés ne saurait exclure, de prime abord, que les deux chefs de conclusions en cause sont recevables, dans la mesure où le requérant vise ainsi à neutraliser les effets préjudiciables provoqués par la transmission du dossier litigieux aux autorités grecques sur son activité professionnelle et sa réputation.

27      Dans les circonstances de la présente affaire, il n’est toutefois pas indispensable pour le juge des référés de statuer sur cette question de recevabilité soulevée par la Commission, d’autant plus que la recevabilité du recours principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure de référé (voir ordonnance du président du Tribunal du 29 août 2013, Iran Liquefied Natural Gas/Conseil, T‑5/13 R, non publiée au Recueil, point 26, et la jurisprudence citée).

28      En effet, à supposer même que, d’une part, les deux chefs de conclusions en cause puissent effectivement être considérés comme visant à obtenir une réparation en nature conforme aux critères établis par l’arrêt Galileo International Technology e.a./Commission, précité, et que, d’autre part, les mesures provisoires sollicitées par voie de référé (voir point 8 ci-dessus) soient de nature à garantir la pleine efficacité de la décision mettant fin à la procédure principale, le juge des référés serait encore appelé à examiner si ces mesures ne dépassent pas le cadre du recours principal et si elles présentent un caractère accessoire par rapport à ce recours ainsi qu’un lien suffisamment étroit avec lui (voir point 20 ci-dessus).

29      S’agissant, premièrement, de la mesure interdisant toute utilisation du dossier litigieux communiqué aux autorités grecques, le requérant la considère comme urgente au motif que l’ouverture d’une procédure judiciaire par le juge pénal grec, en raison de son caractère public, aggraverait le préjudice porté à sa réputation et le rendrait même irréversible, puisque la publicité d’une telle procédure ne pourrait pas être effacée rétroactivement. Affirmant qu’une procédure judiciaire ouverte par les autorités grecques serait fondée sur le seul dossier litigieux, le requérant juge nécessaire d’empêcher provisoirement lesdites autorités, ainsi que la juridiction compétente, d’utiliser ce dossier en tant qu’élément de preuve (voir points 16 et 17 ci-dessus).

30      À cet égard, force est de constater que, dans la mesure où le litige indemnitaire principal oppose le requérant à la seule Commission, une mesure provisoire empêchant les autorités et juridictions grecques d’utiliser le dossier litigieux se situerait, à l’évidence, hors du cadre de la décision finale susceptible d’être prise par le Tribunal dans ce litige. Par conséquent, la demande visant à obtenir une telle mesure ne présente pas non plus de caractère purement accessoire par rapport au recours principal visant à condamner la Commission à des dommages-intérêts, ni de lien suffisamment étroit avec ce recours.

31      Par ailleurs, dans son ordonnance du 1er décembre 1994, Postbank/Commission (T‑353/94 R, Rec. p. II‑1141, point 33), le président du Tribunal a posé comme principe que le juge des référés ne pouvait adresser des injonctions à des particuliers qui, telles que les autorités grecques en l’espèce, ne sont pas parties au litige, et encore moins à des juridictions nationales, tel que le juge pénal grec en l’espèce. Il est vrai que ce principe a ultérieurement été atténué en ce sens qu’il ne saurait être exclu que le juge des référés puisse, dans des circonstances exceptionnelles, adresser des injonctions directement à des tiers si nécessaire, à condition de tenir dûment compte des droits de la défense du destinataire des mesures provisoires et s’il apparaît que, sans ces injonctions, la partie sollicitant de telles mesures serait exposé à une situation mettant en péril son existence même (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 18 mars 2008, Aer Lingus Group/Commission, T‑411/07 R, Rec. p. II‑411, point 56). Cependant, il ne ressort pas du dossier de la présente affaire que les conditions spécifiques de recevabilité posées par cette dernière ordonnance seraient réunies en l’espèce.

32      En tout état de cause, le requérant n’est pas parvenu à établir l’urgence de l’octroi, par le juge des référés, d’une mesure interdisant l’utilisation du dossier litigieux par les autorités et juridictions grecques.

33      À cet égard, il est de jurisprudence bien établie que la suite que réservent les autorités nationales aux informations qui leur sont transmises par l’OLAF relève de leur seule et entière responsabilité et que ces autorités vérifient elles-mêmes si de telles informations justifient ou exigent que des poursuites pénales soient engagées. En conséquence, la protection juridictionnelle à l’encontre de telles poursuites doit être assurée au niveau national avec toutes les garanties prévues par le droit interne, y compris celles qui découlent des droits fondamentaux et de la possibilité pour la juridiction saisie d’adresser à la Cour une demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE [voir ordonnance du président de la Cour du 19 avril 2005, Tillack/Commission, C‑521/04 P(R), Rec. p. I‑3103, points 38 et 39, et la jurisprudence citée]. Il a encore été précisé que les autorités nationales, dans l’hypothèse où elles décideraient d’ouvrir une enquête, apprécieraient les conséquences à tirer d’éventuelles illégalités commises par l’OLAF et que cette appréciation pourrait être contestée devant le juge national. Dans l’hypothèse où une procédure pénale ne serait pas ouverte ou serait clôturée par un jugement d’acquittement, l’ouverture d’un recours en indemnité, devant le juge de l’Union, suffirait à garantir la protection des intérêts de la personne concernée en lui permettant d’obtenir la réparation de tout préjudice découlant du comportement illégal de l’OLAF (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mai 2010, Commission/Violetti e.a., T‑261/09 P, non encore publié au Recueil, point 59).

34      Cette jurisprudence a ainsi pour effet, s’agissant du contentieux de la transmission par l’OLAF d’informations aux autorités nationales, de conférer à la procédure de référé devant le juge de l’Union un caractère subsidiaire par rapport à la procédure susceptible d’être engagée sur le plan national, à condition toutefois que la procédure nationale permette à la personne concernée par ces informations d’éviter effectivement de subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du président du Tribunal du 29 août 2013, France/Commission, T‑366/13 R, non publiée au Recueil, point 45).

35      Or, en l’espèce, le requérant n’a en rien démontré en quoi il serait empêché de contester devant le juge national, le cas échéant par voie de référé, l’éventuelle décision des autorités nationales d’ouvrir une procédure judiciaire (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 15 octobre 2004, Tillack/Commission, T‑193/04 R, Rec. p. II‑3575, point 45). Le requérant n’a pas non plus établi que les voies de recours internes disponibles en droit grec pour contester les mesures nationales susceptibles d’être prises à la suite de la transmission par l’OLAF du dossier litigieux ne lui permettraient pas d’invoquer effectivement devant le juge national les illégalités dénoncées à l’appui de sa demande en référé afin d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 109, et la jurisprudence citée).

36      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure qu’il n’apparaît pas nécessaire d’octroyer la mesure provisoire interdisant aux autorités et aux juridictions grecques l’utilisation du dossier litigieux, dès lors que le requérant s’est abstenu d’établir, à suffisance de droit, que la législation grecque excluait l’accès à d’autres possibilités plus appropriées à cet effet en saisissant le juge grec (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 juillet 2004, Região autónoma dos Açores/Conseil, T‑37/04 R, Rec. p. II‑2153, point 184).

37      Dans la mesure où le requérant se plaint encore de ce qu’il serait exclu de toute activité économique aussi longtemps que le dossier litigieux se trouverait entre les mains des autorités grecques et de ce que les rumeurs le soupçonnant de fraude persisteraient aussi longtemps que ces autorités n’auraient pas clôturé ledit dossier, il ressort des points 30 et 31 ci-dessus que la demande visant à l’octroi, par le juge des référés, d’une mesure ordonnant aux autorités et aux juridictions grecques de se dessaisir provisoirement du dossier litigieux ou de le clôturer rapidement doit être déclarée irrecevable. En tout état de cause, le requérant a omis d’établir que le droit national ne lui permettrait pas de pallier les prétendues lenteurs des autorités grecques et d’accélérer effectivement le déroulement de la procédure le concernant, soit par le biais d’une saisine officielle des autorités grecques en clamant son innocence, soit par la saisine du juge national pour solliciter, le cas échéant par voie de référé, des injonctions à l’égard des autorités nationales.

38      En outre, dans la mesure où le requérant prétend que, en cas d’ouverture d’une procédure pénale en Grèce, sa réputation serait ternie et ne pourrait plus être rétablie, même si cette procédure n’aboutissait pas ou débouchait sur son acquittement, cette affirmation ne saurait emporter la conviction. Ainsi qu’il a été reconnu par la jurisprudence, lorsqu’une décision adoptée par une institution de l’Union a porté atteinte à la réputation d’un opérateur économique, ce dernier peut en obtenir le rétablissement dans l’hypothèse d’une annulation de cette décision, le cas échéant grâce à une campagne publicitaire organisée à l’attention des milieux intéressés auxquels il appartient (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, Rec. p. II‑3485, point 126 ; du 18 juin 2008, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 100, et du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, point 61). Il en va de même pour le cas du requérant, dont la réputation serait altérée par l’ouverture, fondée sur des éléments de preuve prétendument illégaux, d’une procédure pénale en Grèce. En effet, le requérant n’a pas établi qu’il serait impossible pour lui de rétablir sa réputation, s’il était acquitté au terme de cette procédure, si l’illégalité des preuves fournies par l’OLAF était expressément condamnée dans le jugement d’acquittement et si une publicité appropriée était donnée à cette issue des poursuites pénales engagées à son égard.

39      Au demeurant, même si le juge des référés adoptait les mesures provisoires demandées par le requérant aux fins de préserver sa réputation, cette dernière resterait néanmoins menacée, dans les milieux intéressés, puisque le requérant serait toujours exposé, tout au long de la procédure principale, au risque d’un rejet de son recours en indemnité et de l’ouverture consécutive d’une procédure pénale en Grèce.

40      En conséquence, le requérant n’est pas parvenu à établir l’urgence qu’il y aurait d’octroyer la première mesure provisoire, en interdisant aux autorités et aux juridictions grecques l’utilisation du dossier litigieux.

41      S’agissant, deuxièmement, de la mesure provisoire visant au retrait temporaire et à la conservation par un « trésorier » du dossier litigieux, il est vrai que cette mesure, en ce qu’elle tend à voir adresser des injonctions à la seule Commission, ne semble pas soulever les mêmes questions de recevabilité que la première, examinée aux points précédents.

42      Cependant, le requérant s’étant limité à motiver l’urgence par l’argumentation figurant aux points 15 à 17 ci-dessus, sans formuler des griefs spécifiques à l’encontre de la Commission, il y a lieu de considérer que la demande d’octroi de la seconde mesure vise en définitive, elle aussi, à ce que les autorités et les juridictions grecques soient empêchées d’ouvrir une procédure judiciaire à l’encontre du requérant. Dans ces circonstances, les considérations exposées aux points 32 à 40 ci-dessus et justifiant le défaut d’urgence, notamment, par le caractère subsidiaire de la procédure de référé devant le juge de l’Union par rapport à la procédure susceptible d’être engagée devant le juge national, trouvent également à s’appliquer dans le présent contexte.

43      Par ailleurs, l’utilité d’un retrait, par la Commission, du dossier litigieux apparaît douteuse. En effet, le requérant n’a apporté aucun élément qui viendrait au soutien de son affirmation selon laquelle une procédure pénale devant les juridictions grecques serait fondée sur le seul dossier litigieux, tel que transmis par la Commission, c’est-à-dire les documents originaux figurant dans les classeurs constitués et envoyés par elle. Ainsi, il n’a pas établi que, conformément au régime de procédure pénale grec, seuls ces documents originaux pouvaient servir de fondement juridique à l’ouverture d’une procédure judiciaire. À défaut d’une telle démonstration, le juge des référés ne peut que considérer que les autorités grecques, en possession du dossier litigieux depuis plusieurs mois, étaient autorisées à ouvrir, elles-mêmes, d’éventuelles enquêtes ou poursuites pénales. Les renseignements contenus dans le dossier litigieux auraient ainsi uniquement servi aux autorités grecques de déclencheur et de source d’information pour diligenter leurs propres enquêtes et pour vérifier si les résultats obtenus par ces enquêtes justifiaient l’ouverture d’une procédure pénale. Par conséquent, il n’apparaît pas nécessaire d’enjoindre à la Commission de procéder au retrait et à la conservation par un « trésorier » du dossier litigieux. En effet, dans la mesure où les autorités grecques auraient déjà exploité ce dossier, le préjudice invoqué par le requérant serait déjà survenu et ne pourrait plus être évité par l’octroi de la seconde mesure provisoire (voir point 19 ci-dessus).

44      Enfin, dans la mesure où le requérant fait valoir, dans son mémoire du 8 novembre 2013, qu’il faut interdire à la Commission toute utilisation future du dossier litigieux, cette demande ne peut raisonnablement faire référence qu’à la recommandation de l’OLAF à la Commission de procéder au recouvrement de la somme de 1,5 millions d’euros auprès de Zenon (voir point 4 ci-dessus). Or, il n’apparaît pas que l’exécution de cette recommandation, fondée sur le dossier litigieux, soit de nature à causer un préjudice personnel grave et irréparable au requérant [voir, sur la nécessité d’un préjudice personnel, ordonnance du président de la Cour du 24 mars 2009, Cheminova e.a./Commission, C‑60/08 P(R), non publiée au Recueil, points 35 et 36]. Par conséquent, cet argument ne saurait non plus établir l’urgence.

45      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée en partie comme irrecevable et en partie pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris, ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 novembre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.