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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

29 avril 2024 (*)

« Recours en annulation – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction à tout aéronef non immatriculé en Russie détenu, affrété ou contrôlé d’une autre manière par une personne physique ou morale, une entité ou un organisme russe d’atterrir sur le territoire de l’Union, d’en décoller ou de le survoler – Article 3 quinquies du règlement (UE) no 833/2014 – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑277/23,

Global 8 Airlines, établie à Bichkek (Kirghizstan), représentée par Mes E. Novicāne et K. Novicāns, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes M. Bruti Liberati, M. Carpus Carcea et B. Sasinowska, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et S. L. Kalėda, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 septembre 2023,

–        les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 30 octobre 2023,

–        la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne déposée au greffe du Tribunal le 4 septembre 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Global 8 Airlines, demande l’annulation de la décision adoptée par la Commission européenne, dont elle aurait été informée le 20 mars 2023, relative à l’inscription de deux avions d’affaires légers lui appartenant sur une liste d’aéronefs soumis à l’interdiction d’atterrir sur le territoire de l’Union européenne, d’en décoller ou de le survoler, en vertu du règlement (UE) 2022/334 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 57, p. 1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

3        La requérante est une société à responsabilité limitée de droit kirghize. Elle est une compagnie aérienne commerciale, inscrite au registre des entreprises de la République kirghize (ci-après le « registre de la République kirghize »), dont il ressort qu’elle est la propriété de M. D. L. et gérée par M. U. M., tous les deux de nationalité lettone.  

4        Le 25 février 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2022/327 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 48, p. 1) et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2022/328 modifiant le règlement no 833/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 49, p. 1), afin d’interdire, notamment, la fourniture d’une assistance technique et d’autres services en rapport avec les biens et technologies propices à une utilisation dans le secteur de l’aviation, directement ou indirectement, en faveur de toute personne physique ou morale, de toute entité ou de tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation en Russie.

5        Le 28 février 2022, dans le contexte de nouvelles mesures restrictives portant, notamment, sur la fermeture de l’espace aérien de l’Union à certaines catégories d’aéronefs, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2022/335 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 57, p. 4), et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement 2022/334 (JO 2022, L 57, p. 1).

6        L’article 3 quinquies du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel qu’inséré par l’article 1er, paragraphe 2, du règlement 2022/334, est, dans sa version applicable en l’espèce (ci-après l’« article 3 quinquies »), libellé comme suit :

« 1. Il est interdit à tout aéronef exploité par des transporteurs aériens russes, y compris en tant que transporteur contractuel dans le cadre d’accords de partage de codes ou de réservation de capacité, ou à tout aéronef immatriculé en Russie, ou à tout aéronef non immatriculé en Russie qui est détenu, affrété ou contrôlé d’une autre manière par une personne physique ou morale, une entité ou un organisme russe, d’atterrir sur le territoire de l’Union, d’en décoller ou de le survoler.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas en cas d’atterrissage d’urgence ou de survol d’urgence.

3. Par dérogation au paragraphe 1, les autorités compétentes peuvent autoriser un aéronef à atterrir sur le territoire de l’Union, à en décoller ou à le survoler, si les autorités compétentes ont déterminé qu’un atterrissage, un décollage ou un survol est nécessaire à des fins humanitaires ou à toute autre fin compatible avec les objectifs du présent règlement.

4. L’État membre ou les État membres concernés informent les autres États membres et la Commission de toute autorisation accordée en vertu du paragraphe 3 dans un délai de deux semaines suivant l’autorisation. »

7        L’article 3 sexies du règlement no 833/2014, tel qu’inséré par l’article 1er, paragraphe 2, du règlement 2022/334, puis modifié par l’article 1er, paragraphe 7, du règlement (UE) 2022/428 du Conseil, du 15 mars 2022 (JO 2022, L 87I, p. 13) est, dans sa version applicable en l’espèce (ci-après l’« article 3 sexies »), libellé comme suit :

« 1. Le gestionnaire de réseau chargé des fonctions de réseau de la gestion du trafic aérien pour le ciel unique européen aide la Commission et les États membres à assurer la mise en œuvre et le respect de l’article 3 quinquies. En particulier, le gestionnaire de réseau rejette tous les plans de vol présentés par les exploitants d’aéronefs indiquant leur intention d’exercer des activités sur le territoire de l’Union qui constituent une violation du présent règlement, de sorte que le pilote n’est pas autorisé à voler.

2. Le gestionnaire de réseau présente régulièrement à la Commission et aux États membres, sur la base de l’analyse des plans de vol, des rapports sur l’application de l’article 3 quinquies ».

8        Il ressort de l’article 6, paragraphe 6, du règlement (CE) no 551/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, relatif à l’organisation et à l’utilisation de l’espace aérien dans le ciel unique européen (« règlement sur l’espace aérien ») (JO 2004, L 96, p. 20), tel que modifié par le règlement (CE) no 1070/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, modifiant les règlements (CE) no 549/2004, (CE) no 550/2004, no 551/2004 et (CE) no 552/2004 afin d’accroître les performances et la viabilité du système aéronautique européen (JO 2009, L 300, p. 34), que les États membres confient à l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), qui est une organisation internationale à vocation régionale dans le domaine du trafic aérien, ou à un autre organisme impartial et compétent la gestion des courants de trafic aérien, sous réserve de la mise en place de mécanismes de contrôle appropriés. Par la décision d’exécution (UE) 2019/709 de la Commission, du 6 mai 2019, relative à la nomination du gestionnaire de réseau chargé des fonctions de réseau de la gestion du trafic aérien pour le ciel unique européen (JO 2019, L 120, p. 27), Eurocontrol a été reconduite dans ses fonctions de gestionnaire de réseau pour la période comprise entre 2020 et 2029. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la décision d’exécution 2019/709, Eurocontrol « exécute les tâches nécessaires à l’exécution des fonctions de réseau de la gestion du trafic aérien visées à l’article 7 du règlement d’exécution (UE) 2019/123 [de la Commission, du 24 janvier 2019, établissant les modalités d’exécution des fonctions de réseau de la gestion du trafic aérien et abrogeant le règlement (UE) no 677/2011 (JO 2019, L 28, p. 1)] ». Parmi ces tâches, l’article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement d’exécution 2019/123 confie au gestionnaire du réseau de « coordonne[r] la gestion des courants et de la capacité de trafic aérien », ce qui, sur le plan opérationnel, comprend une procédure de contrôle automatisé des plans de vol qui est exécutée par le service intégré de traitement initial des plans de vol d’Eurocontrol. Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 551/2004 tel que modifié, dans sa version applicable en l’espèce, ces tâches sont accomplies au nom des États membres et des parties intéressées.

9        Par deux décisions datées, respectivement, du 9 septembre 2022 et du 20 février 2023, le conseil d’administration de la requérante a approuvé l’achat de deux aéronefs, portant les numéros de série RB274 et RB120 du constructeur (ci-après les « aéronefs »). L’achat a été conclu entre la requérante et une société russe, dont les seuls actionnaires étaient des ressortissants russes.

10      Les aéronefs ont été inscrits au registre de la République kirghize comme appartenant à la requérante le 12 septembre 2022 et le 9 mars 2023 sous les immatriculations EX-88012 et EX‑88011.  

11      Depuis leur inscription au registre de la République kirghize, l’aéronef immatriculé EX‑88012 a effectué plusieurs vols, notamment, au départ de la Russie et à destination de l’Union et l’aéronef immatriculé EX‑88011 n’a effectué aucun mouvement enregistré.

12      Le 24 février 2023, la requérante a présenté à Eurocontrol un plan de vol pour l’aéronef immatriculé EX-88012 concernant un trajet d’Augsbourg (Allemagne) à Budapest (Hongrie), qui a été rejeté le même jour par le biais d’un message automatisé.

13      Le 15 mars 2023, la requérante a adressé un courriel à Eurocontrol afin d’obtenir des éclaircissements sur le message de cette dernière du 24 février 2023.  

14      Par courriel du 20 mars 2023, Eurocontrol a, d’une part, confirmé à la requérante que l’aéronef immatriculé EX-88012 figurait sur une liste des aéronefs qui relèvent de l’article 3 quinquies  (ci-après la « liste »), que la Commission lui avait fournie, et, d’autre part, l’a invitée à s’adresser à la boîte aux lettres fonctionnelle de la Commission (ci-après la « boîte fonctionnelle »), gérée par la direction générale (DG) de la mobilité et des transports, au cas où elle souhaiterait demander le retrait de l’aéronef en question de ladite liste.

15      Le 21 mars 2023, la requérante a adressé un courriel à la boîte fonctionnelle afin de clarifier sa position et obtenir, en substance, un réexamen de sa situation, en ce qui concerne, notamment, la levée de l’interdiction de vol pour les aéronefs, leur retrait de la liste, ainsi que la communication à Eurocontrol d’informations actualisées la concernant. Elle a également demandé à être renseignée, le cas échéant, sur l’autorité nationale compétente pour traiter sa demande de réexamen.

16      Par courriel du 28 mars 2023, l’agent de la DG de la mobilité et des transports gérant la boîte fonctionnelle a informé la requérante que les aéronefs faisaient l’objet d’une interdiction de vol en vertu des articles 3 quater du règlement no 833/2014 tel que modifié, dans sa version applicable en l’espèce, et de l’article 3 quinquies. Il l’a également informée du fait que cette interdiction de vol devait être maintenue ainsi que des motifs de celle-ci.  

17      Par courriel du 6 avril 2023, la requérante a répondu à l’agent de la DG de la mobilité et des transports, en lui fournissant des informations supplémentaires concernant sa situation. Le 25 avril 2023, ledit agent l’a de nouveau informée du fait qu’il n’y avait aucune raison justifiant le retrait de l’interdiction de vol en cause pour les aéronefs.  

 Conclusions des parties

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal : 

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      Dans son exception d’irrecevabilité, soulevée au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

20      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

 En droit

21      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

22      La Commission excipe de l’irrecevabilité du présent recours au motif que la décision attaquée ne constitue pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, dans la mesure où celle-ci ne produit pas d’effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante.  

23      En premier lieu, la Commission estime que la décision attaquée n’existe pas et, en tout état de cause, qu’elle ne saurait être identifiée avec précision.  

24      En deuxième lieu, la Commission fait valoir que la décision attaquée n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, car elle doit être considérée, le cas échéant, comme étant une mesure intermédiaire qui, en tout état de cause, ne produit pas des effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante.

25      En troisième lieu, la Commission soutient que l’acte faisant grief à la requérante n’est imputable qu’aux États membres, dans la mesure où seuls ces derniers ont le pouvoir de ne pas autoriser les vols des aéronefs faisant l’objet des interdictions de vol visées à l’article 3 quater du règlement no 833/2014 tel que modifié, dans sa version applicable en l’espèce, et à l’article 3 quinquies. Sa DG de la mobilité et des transports agirait simplement en tant que collecteur et diffuseur d’informations et la liste serait plutôt le résultat d’un effort coordonné avec l’Agence européenne pour la sécurité de l’aviation (AESA) et les États membres, visant à aider les autorités nationales aux fins de l’application des interdictions de vol prévues par ledit règlement. Plus particulièrement, ladite DG et l’AESA seraient parvenues à un accord avec les autorités des États membres pour coordonner les flux d’informations provenant des autorités nationales et ainsi faciliter la collecte et le traitement de ces informations, notamment, concernant tout aéronef « non immatriculé en Russie qui est détenu, affrété ou contrôlé d’une autre manière par une personne physique ou morale, une entité ou un organisme russe ». L’objectif d’un tel accord aurait été d’établir, notamment, une liste d’aéronefs soumis à l’interdiction de vol visée à l’article 3 quinquies, afin que les États membres, par le biais d’Eurocontrol, prennent des décisions coordonnées quant au traitement des plans de vol individuels, tout en disposant, en tout état de cause, d’un accès permanent à cette liste afin de la mettre à jour régulièrement ou d’en demander des modifications.  

26      Ainsi, selon la Commission, l’interdiction de vol concernant l’aéronef immatriculé EX-88012 a été appliquée par Eurocontrol, conformément aux instructions des États membres ordonnant de fonder de telles décisions de refus sur la liste. Du reste, conformément à l’article 3 sexies, Eurocontrol présente des rapports réguliers sur les plans de vol rejetés.

27      La Commission fait, en outre, valoir que le recours en annulation a été dirigé contre l’acte erroné et devant une juridiction incompétente pour en connaître. En tout état de cause, à supposer qu’il ait été dirigé contre l’acte pertinent, le recours devrait être rejeté car il serait tardif.  

28      Enfin, le recours serait sans objet, compte tenu de l’interdiction d’exploitation générale dans l’Union, pour des motifs de sécurité, frappant les transporteurs aériens inscrits au registre de la République kirghize, au titre du règlement (CE) no 1543/2006 de la Commission, du 12 octobre 2006, modifiant le règlement (CE) no 474/2006 établissant la liste communautaire des transporteurs aériens qui font l’objet d’une interdiction d’exploitation dans la Communauté, visée au chapitre II du règlement (CE) no 2111/2005 du Parlement européen et du Conseil, tel que modifié par le règlement (CE) no 910/2006 (JO 2006, L 283, p. 27).

29      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante fait valoir, d’une part, que le mécanisme prévoyant l’établissement de la liste est de facto contraignant pour les États membres et Eurocontrol. D’autre part, elle estime que c’est la DG de la mobilité et des transports qui a eu un rôle décisif dans la mise en place, le suivi et le respect de ce mécanisme, ce qui serait d’ailleurs confirmé par le comportement d’Eurocontrol, de ladite DG elle-même, ainsi que des autorités allemandes.

30      Selon la requérante, il ressort des échanges de courriels qu’elle a eus avec Eurocontrol que celle-ci ne met en œuvre que ce qui est prévu dans la liste, qui est partagée par la DG de la mobilité et des transports. En outre, il ressortirait des échanges de courriels qu’elle a eus avec un agent de la Commission que cette dernière était compétente pour inclure et retirer les aéronefs de la liste et, surtout, pour maintenir l’interdiction de vol. Au demeurant, cela serait confirmé, notamment, par l’échange de courriels, qui a eu lieu après l’introduction du présent recours, dans le cadre duquel il lui aurait été demandé de fournir les pièces d’identité et les adresses de MM. L. et M. 

31      Par ailleurs, la position des autorités des États membres quant à la nature et à l’incidence du mécanisme en cause ressortirait, notamment, du courriel du 31 juillet 2023, d’un fonctionnaire du Ministère fédérale du Numérique et des Transports allemand, lequel, en réponse à un courriel de la requérante concernant la possibilité d’accéder physiquement aux aéronefs pour effectuer des opérations de maintien, lui aurait communiqué d’avoir déjà pris contact avec la Commission afin d’obtenir des éclaircissements complémentaires sur la propriété des aéronefs et l’inclusion de ceux-ci dans la liste et qu’il lui aurait bientôt fourni des informations à cet égard.  

32      Ainsi, selon la requérante, la DG de la mobilité et des transports a établi un mécanisme contraignant dans le but d’assurer la mise en œuvre de l’interdiction de vol visée à l’article 3 quinquies. Dans ce cadre, ladite DG, qui serait en charge d’approuver la liste, aurait traité les États membres et Eurocontrol comme des entités chargées de la mettre en œuvre.  

33      Enfin, s’agissant de l’argument de la Commission selon lequel le recours serait sans objet, la requérante rétorque qu’elle a toujours la possibilité d’effectuer des vols non commerciaux, en ce que l’interdiction d’exploitation découlant du règlement no 474/2006, invoquée par la Commission, ne vise que les vols commerciaux.

34      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité notamment des actes de la Commission autres que les recommandations et les avis. En l’espèce, le Tribunal est donc compétent pour contrôler, comme le lui demande la requérante, la légalité de la décision attaquée, qui est un acte adopté par la Commission autre qu’une recommandation ou un avis. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission, l’interdiction d’exploitation générale dans l’Union, pour des motifs de sécurité, frappant les transporteurs aériens inscrits au registre de la République kirghize au titre du règlement no 1543/2006, ne prive pas d’objet le présent recours. En effet, l’acte en cause ne saurait être regardé comme inexistant ou n’ayant jamais été adopté compte tenu dudit règlement.

35      Selon une jurisprudence constante, le recours en annulation est ouvert à l’encontre de tous les actes pris par les institutions, les organes ou les organismes de l’Union quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 9 ; du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, EU:C:2010:40, point 51, et du 19 décembre 2012, Commission/Planet, C‑314/11 P, EU:C:2012:823, point 94).

36      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du juge de l’Union, pour déterminer si un acte produit des effets juridiques, il y a lieu de s’attacher, notamment, à la substance de cet acte ainsi qu’à l’intention de son auteur (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, EU:C:2008:422, point 42) et d’apprécier ces effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir arrêt du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C‑572/18 P, EU:C:2021:317, point 48 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, la demande d’annulation vise une prétendue décision de la Commission à laquelle renverrait le courriel d’Eurocontrol du 20 mars 2023. Il y a donc lieu d’examiner si cet acte, au regard de son contenu, du contexte factuel et juridique dans lequel il s’inscrit ainsi que de l’intention et des pouvoirs dont dispose la Commission, peut être qualifié de décision faisant grief à la requérante.

38      Par courriel du 20 mars 2023, Eurocontrol a confirmé à la requérante que l’aéronef immatriculé EX-88012 figurait sur la liste, que la DG de la mobilité et des transports lui avait fournie (voir point 14 ci-dessus). À cet égard, selon la requérante, ladite DG, en établissant cette liste, a, en substance, de sa propre initiative, établi un mécanisme contraignant, dont la finalité serait de mettre en place une évaluation unifiée, à l’échelle de l’Union, de la propriété et du contrôle des aéronefs concernés, dans le but de garantir la mise en œuvre effective de l’interdiction de vol prévue à l’article 3 quinquies. Dans un tel contexte, elle estime, en substance, que, concernant les aéronefs, la Commission pourrait être considérée comme l’auteur de la décision d’interdiction de vol visée à l’article 3 quinquies en les ayant inclus dans la liste, les États membres et Eurocontrol se limitant à l’appliquer.

39      Une telle analyse ne peut être suivie, dès lors que le contexte juridique dans lequel s’inscrit le traitement des plans de vol ainsi que la répartition des rôles respectifs des États membres, d’Eurocontrol et de la Commission dans ce processus empêche que la décision attaquée puisse être qualifiée d’acte visant à produire des effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante, au sens de la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus.

40      À cet égard, il convient de relever que les dispositions contenues à l’article 3 quinquies sont de portée générale et doivent être exécutées par les autorités nationales compétentes, lesquelles, le cas échéant, adoptent des mesures individuelles visant à les faire appliquer. Au demeurant, au titre de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 833/2014 tel que modifié, dans sa version applicable en l’espèce, les États membres arrêtent également le régime des sanctions à appliquer en cas d’infraction aux dispositions de ce règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre.

41      Ainsi, il incombe aux États membres d’assurer la mise en œuvre de l’article 3 quinquies, notamment, dans le cadre du traitement des plans de vol soumis par les exploitants des aéronefs concernés.

42      Cette considération n’est pas remise en cause par le fait que le paragraphe 1 de l’article 3 sexies prévoit qu’Eurocontrol assure, au nom des États membres, la mise en œuvre de l’article 3 quinquies, notamment en refusant les plans de vol (voir points 7 et 8 ci-dessus). Par ailleurs, au titre du paragraphe 2 de l’article 3 sexies, Eurocontrol présente régulièrement à la Commission et aux États membres, sur la base de l’analyse des plans de vol, des rapports sur l’application de l’article 3 quinquies.

43      Il résulte de ces considérations qu’une interdiction de vol visée à l’article 3 quinquies ne constitue pas un acte imputable à la Commission.

44      La circonstance que certains aéronefs soient inclus dans la liste fournie par la DG de la mobilité et des transports à Eurocontrol ne remet pas en cause une telle conclusion.

45      En effet, s’agissant du rôle de la Commission dans l’établissement de la liste, il convient de relever qu’il ressort du dossier de l’affaire que, dans la perspective de faciliter la mise en œuvre de l’article 3 quinquies, compte tenu du rôle d’Eurocontrol, en tant que gestionnaire de réseau, défini à l’article 3 sexies, la DG de la mobilité et des transports et l’AESA ont établi, avec les autorités des États membres, un mécanisme pour coordonner les flux d’informations provenant des autorités nationales compétentes, d’autres entités et de sources fiables, sur les aéronefs contrôlés ou affrétés par des personnes ou entités russes. L’objectif d’un tel flux d’informations est d’établir, notamment, une liste des aéronefs qui seraient susceptibles d’être soumis à l’interdiction de vol prévue à l’article 3 quinquies, de sorte que les États membres prennent des décisions coordonnées quant au traitement des plans de vol individuels soumis par les exploitants des aéronefs concernés, le système central de traitement des demandes de plans de vol étant géré, au nom des États membres, par Eurocontrol, conformément à la législation de l’Union (voir points 7 et 8 ci-dessus).

46      Ainsi, il convient de relever que, contrairement à ce que prétend la requérante, l’établissement de la liste, qui n’est qu’une compilation d’informations provenant de différentes sources, ne relève pas d’une prétendue décision prise par la Commission ou en son nom.

47      En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 3 quinquies, la Commission n’est pas compétente pour frapper d’une interdiction de vol des aéronefs auxquels s’appliquent cet article. La mise en œuvre et l’exécution des mesures restrictives de l’Union relèvent de la responsabilité des États membres (voir point 40 ci-dessus), les services de la Commission se limitant à assister ces derniers, en exerçant notamment le rôle de collecteur et diffuseur, par le biais de l’établissement de la liste, d’informations. Plus précisément, le pouvoir de rejeter les plans de vol des exploitants d’aéronefs individuels est dévolu aux États membres et exercé, au nom de ceux-ci, par Eurocontrol, conformément à l’article 3 sexies et à la lumière des informations pertinentes dont elle dispose.

48      Au vu de tout ce qui précède, il convient de conclure, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée ne produit pas d’effets juridiques obligatoires affectant la situation juridique de la requérante, dès lors que de tels effets découlent de la décision qui a imposé l’interdiction de vol prévue à l’article 3 quinquies et non de l’inclusion des aéronefs dans la liste, d’autant plus que la Commission n’est pas habilitée à adopter, par exemple, des décisions rejetant des plans de vol, l’action de ses services se limitant à la collecte d’informations et à la diffusion de la liste à partir des décisions des autorités nationales compétentes.

49      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante selon lesquels le rôle de premier plan de la DG de la mobilité et des transports dans la mise en place, la supervision et le respect d’un mécanisme visant à favoriser une évaluation unifiée, à l’échelle de l’Union, de la propriété ou du contrôle réel, direct ou indirect, des aéronefs concernés serait confirmé par la conduite effective, respectivement, de ladite DG, d’Eurocontrol ainsi que de la République fédérale d’Allemagne. À cet égard, la requérante se réfère, en substance, à la correspondance électronique entretenue à plusieurs titres avec les trois entités susmentionnées et, en particulier, avec un agent de cette DG.

50      S’agissant, plus particulièrement, des courriels envoyés par l’agent de la DG de la mobilité et des transports, via la boîte fonctionnelle, il importe de souligner, tout d’abord, qu’il n’y est fait référence à aucune décision prise que ce soit par la Commission ou par l’AESA ni à aucune disposition conférant à la Commission le pouvoir d’adopter une décision portant spécifiquement sur l’interdiction de vol d’aéronefs et que la requérante n’est pas parvenue à établir le contraire. Bien que ledit agent ait donné, dans le contexte d’un échange de vues sollicité par la requérante, des explications quant aux raisons justifiant l’inclusion et le maintien des aéronefs dans la liste, il ne ressort pas du dossier que de telles explications soient issues d’une quelconque décision prise à cet égard par la Commission et que, en tout état de cause, celle-ci était compétente pour frapper d’une interdiction de vol les aéronefs au titre de l’article 3 quinquies.

51      Le fait que ces courriels aient été envoyés en réponse à des courriels de la requérante, demandant expressément que la DG de la mobilité et des transports prenne position à l’égard de l’interdiction de vol concernant les aéronefs, n’est pas suffisant pour considérer l’inclusion des aéronefs dans la liste comme un acte décisionnel susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation. En effet, toute correspondance, que ce soit par lettre ou par courriel, d’une institution de l’Union envoyée en réponse à une demande formulée par son destinataire n’est pas susceptible, pour autant, de démontrer l’existence d’un acte susceptible de faire l’objet d’un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, PNB Banka/BCE, C‑326/21 P, non publié, EU:C:2022:693, point 92 et jurisprudence citée). Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, une telle correspondance émane d’un simple agent de la Commission.

52      Le fait qu’Eurocontrol, d’une part, et les autorités allemandes, d’autre part, aient précisé, toujours en réponse à des courriels de la requérante, qu’elle devait s’adresser à la DG de la mobilité et des transports ne saurait étayer la thèse de celle-ci selon laquelle la Commission disposait, en l’espèce, d’un pouvoir d’adopter un acte ayant caractère contraignant susceptible de produire des effets juridiques obligatoires à son égard.

53      Compte tenu, au sens de la jurisprudence rappelée au point 36 ci-dessus, notamment, du contenu et de la substance de la décision attaquée et de l’intention de la Commission, d’une part, ainsi que des pouvoirs de celle-ci et du contexte de son adoption, d’autre part, il ne saurait donc être conclu que la décision attaquée produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

54      Par ailleurs, dès lors qu’il incombe aux États membres d’assurer la mise en œuvre de l’article 3 quinquies, notamment, dans le cadre du traitement des plans de vol soumis par les exploitants d’aéronefs concernés, il appartient également aux États membres, conformément à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans ce domaine. Cette considération n’est pas remise en cause par le fait que les États membres ont confié certaines tâches, dans le cadre de la mise en œuvre des articles 3 quinquies et 3 sexies, à Eurocontrol, qui les exerce au nom de ceux-ci (voir points 7 et 8 ci-dessus).

55      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la décision attaquée ne constitue pas un acte susceptible de recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

56      Partant, il convient d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et, par conséquent, de rejeter le recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres motifs d’irrecevabilité soulevés par la Commission.

 Sur la demande d’intervention

57      Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque la partie défenderesse a déposé une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence telle que visée à l’article 130, paragraphe 1, dudit règlement, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. En outre, conformément à l’article 142, paragraphe 2, du même règlement, l’intervention perd son objet, notamment lorsque la requête est déclarée irrecevable.

58      Or, étant donné que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission a été accueillie en l’espèce et que la présente ordonnance met, par conséquent, fin à l’instance, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, conformément aux conclusions de cette dernière, à l’exception de ceux afférents à la demande d’intervention.

60      En application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne.

3)      Global 8 Airlines supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 29 avril 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

D. Spielmann


*      Langue de procédure : l’anglais.