Language of document : ECLI:EU:T:2021:843

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

1er décembre 2021 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un fromage triple hélicoïdal – Dessin ou modèle international antérieur – Motif de nullité – Caractère individuel – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Article 7 du règlement (CE) no 6/2002 – Impression globale différente – Article 6 du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑662/20,

Muratbey Gida Sanayí ve Tícaret AŞ, établie à Istanbul (Turquie), représentée par Me M. Schork, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme M. Capostagno, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

M. J. Dairies EOOD, établie à Sofia (Bulgarie), représentée par Mes D. Dimitrova et I. Pakidanska, avocates,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 21 août 2020 (affaire R 1925/2019‑3), relative à une procédure de nullité entre M. J. Dairies et Muratbey Gida Sanayí ve Tícaret,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović (rapporteure), présidente, M. F. Schalin et Mme P. Škvařilová‑Pelzl, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 5 novembre 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 18 janvier 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 15 janvier 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 2 avril 2013, la requérante, Muratbey Gida Sanayí, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).

2        Le dessin ou modèle communautaire dont l’enregistrement a été demandé et qui est contesté en l’espèce est représenté dans la vue suivante :

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3        Les produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 01-03 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Fromages ».

4        Le 20 octobre 2017, l’intervenante, M. J. DAIRIES EOOD, a introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande de nullité du dessin ou modèle contesté.

5        Le motif invoqué à l’appui de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002.

6        Dans la demande en nullité, l’intervenante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté et de caractère individuel, aux termes des articles 5 et 6 du règlement no 6/2002. À cet égard, elle s’est prévalue des éléments de preuve suivants :

–        la demande de brevet international no WO 98/51471, publiée le 19 novembre 1998, et revendiquant la priorité du brevet GB 9 709 460 déposé le 9 mai 1997, pour une invention relative à un produit alimentaire hélicoïdal, comprenant notamment les images suivantes :

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–        la demande de brevet européen no EP 0 876 896 B1, publiée le 21 novembre 2001, déposée pour un produit alimentaire hélicoïdal, comprenant, entre autres, les images suivantes :

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–        des extraits non traduits de demandes de brevets en Bulgarie, en République tchèque, en Pologne et en Slovaquie, comprenant, notamment, les images ci-dessus.

7        Le 3 juillet 2019, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité sur le fondement de l’article 6 du règlement no 6/2002. En substance, elle a considéré que la divulgation du dessin contenu dans les demandes de brevets citées au point 6 ci-dessus, notamment celui identifié comme étant la « FIG[URE] no 1 » dans la demande de brevet européen et repris, à l’identique de la demande de brevet international (ci-après le « dessin ou modèle antérieur »), constituaient une preuve suffisante de la divulgation du dessin ou modèle antérieur avant la date de dépôt du dessin ou modèle contesté. En outre, elle a considéré que le dessin ou modèle représenté dans le brevet européen ne différait pas substantiellement du dessin ou modèle antérieur. Partant elle a conclu que sa divulgation antérieure faisait obstacle au caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

8        Le 29 août 2019, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 21 août 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que la requérante, en tant que titulaire du dessin ou modèle contesté, n’avait pas démontré que, en l’espèce, les milieux spécialisés du secteur concerné, à savoir celui de l’industrie alimentaire, auraient été empêchés de prendre connaissance de la publication du brevet européen contenant une représentation du dessin ou modèle antérieur, lequel devait partant être considéré comme ayant été divulgué au public au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

10      En outre, la chambre de recours a considéré que le degré de liberté du créateur des fromages, à savoir les produits concernés en l’espèce, était relativement élevé et que l’utilisateur averti à prendre en considération était un consommateur issu du grand public qui achète des denrées alimentaires et qui possède un certain degré de connaissance quant aux formes et à la taille que les fromages peuvent avoir.

11      Enfin, la chambre de recours a conclu que le dessin ou modèle contesté et le dessin ou modèle antérieur produisaient la même impression globale sur l’utilisateur averti, de sorte que le dessin ou modèle contesté ne présentait pas le caractère individuel requis par l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la demande en nullité devant être accueillie, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier les autres motifs invoqués dans ladite demande.

 Conclusions des parties

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et rejeter la demande en nullité à l’encontre du dessin ou modèle contesté ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

13      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14      Le motif de nullité retenu par la chambre de recours dans la décision attaquée est celui tiré de l’article 25, paragraphe 1, sous b), lu conjointement avec l’article 6, du règlement no 6/2002, en raison du fait que ledit dessin ou modèle était dépourvu de caractère individuel.

15      À cet égard, il importe de rappeler que la logique sous-jacente à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 est d’empêcher l’enregistrement de dessins ou modèles ne remplissant pas les conditions justifiant qu’ils fassent l’objet d’une protection, et notamment celle tenant à leur « nouveauté » et à leur « caractère individuel », au sens, respectivement, de l’article 5 et de l’article 6 dudit règlement.

16      En outre, il ressort du considérant 14 du règlement no 6/2002 que l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle au titre de l’article 25, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement, lu en combinaison avec son article 6, devrait consister à déterminer s’il existe une différence claire entre l’impression globale qu’il produit sur un utilisateur averti qui le regarde et celle produite sur lui par le patrimoine des dessins ou modèles.

17      Dans le cadre de l’examen du motif de nullité visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec l’article 6 de celui-ci, le dessin ou modèle antérieur a pour seule fonction de révéler ce qui doit être pris en considération dans le cadre de cet examen au sein de l’état de l’art antérieur. Celui-ci correspond au patrimoine des dessins ou modèles relatifs au produit en cause qui ont été divulgués à la date du dépôt du dessin ou modèle concerné [voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2019, Eglo Leuchten/EUIPO – Briloner Leuchten (Lampe), T‑767/17, non publié, EU:T:2019:67, point 19 et jurisprudence citée]. Or, l’appartenance d’un dessin ou modèle antérieur audit patrimoine découle de sa seule divulgation.

18      Partant, aux fins de l’application l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec l’article 6 de celui-ci, il importe d’établir que le dessin ou modèle antérieur ait fait l’objet d’une divulgation, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement.

19      En l’espèce, la requérante invoque, en substance, deux moyens à l’appui du recours. Le premier est tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, en ce que la chambre de recours a erronément conclu que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué conformément à cette disposition. Le second est tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, en ce que ladite chambre a erronément constaté que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002

20      La requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a erronément conclu qu’il y avait eu divulgation au public en 2009 du dessin ou modèle antérieur au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

21      La requérante soutient que, dans la mesure où les extraits des demandes de brevets présentés par l’intervenante se rapportent à des inventions de méthodes et ne recouvrent pas les produits en tant que tels, et encore moins les fromages, il ne saurait être attendu que les milieux pertinents concernés conduisent des recherches au sein des dossiers d’enregistrement des brevets, qui n’ont visiblement aucun lien avec les produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué. Elle estime en outre que, selon la jurisprudence, une divulgation, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, ne saurait être présumée que si la publication aurait dû être connue des milieux professionnels du secteur concerné dans la pratique normale des affaires.

22      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

23      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 précise qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans l’Union.

24      Dès lors, aux fins d’établir la divulgation au public d’un dessin ou modèle antérieur, il convient ainsi de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte [arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24].

25      En ce qui concerne la première étape de l’analyse relative aux éléments présentés dans la demande de nullité afin de prouver la divulgation au public du dessin ou modèle antérieur, il y a lieu de relever que la chambre de recours a pris en compte, un extrait de la base de données de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), concernant la demande de brevet international publiée sous le no WO 98/51471, le 19 novembre 1998, et un extrait de la base de données de l’Office européen des brevets (OEB), concernant la demande de brevet sous le no EP 0 876 896 B1, publiée le 21 novembre 2001. Ainsi qu’il a été indiqué au point 6 ci-dessus, les deux extraits susmentionnés contiennent une représentation du dessin ou modèle antérieur.

26      Partant, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que la preuve fournie par l’intervenante sur la publication de demandes de brevets contenant la représentation du dessin ou modèle antérieur, avant le 2 avril 2013, date de dépôt du dessin ou modèle contesté, notamment par l’OMPI, était suffisante pour présumer la divulgation au public dudit dessin ou modèle antérieur, au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002.

27      À cet égard, les griefs de la requérante mettant en cause le fait que les extraits concernant les demandes de brevets présentés par l’intervenante puissent constituer une méthode de divulgation valable, au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002, ne sauraient prospérer.

28      En effet, l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 mentionne expressément la publication comme l’un des modes de divulgation au public d’un dessin ou modèle. À cet égard, il a été jugé que la publication des extraits de demandes de brevets par des offices de brevets constitue une méthode valable de publication, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 [voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Promarc Technics/OHMI – PIS (Pièce de porte), T‑251/14, non publié, EU:T:2015:780, point 23]. Or, en l’espèce il est constant que les extraits concernant les demandes de brevets présentés par l’intervenante ont fait l’objet d’une publication par l’OMPI et par l’OEB, ainsi qu’il a été relevé au point 25 ci-dessus.

29      En outre, il ressort de ces extraits que les demandes de brevets concernent un produit alimentaire hélicoïdal. En effet, lesdites demandes de brevets sont encadrées par le titre « produit alimentaire hélicoïdal ». En outre, dans la partie consacrée à la classification internationale des brevets, la classe A 23, relative aux produits alimentaires, ainsi que les sous-classes A 23P, concernant la mise en forme ou le traitement des produits alimentaires non couverts intégralement par une autre sous-classe, et la sous-classe B29C, relative au façonnage des matières à l’état plastique non prévu ailleurs, avaient été cochées. Par ailleurs, dans la description détaillée de l’invention, il était expliqué qu’il s’agissait d’une invention relative à un produit alimentaire hélicoïdal, couvrant le produit lui-même, à base notamment de fromage, la méthode de fabrication et les machines pour le fabriquer.

30      Ainsi que le soutient, à juste titre, l’intervenante, dans la mesure où il s’agissait d’une invention concernant un produit alimentaire hélicoïdal, des méthodes et de machines pour la fabrication d’un tel produit, la classification pertinente était celle relevant de la classe A 23, ainsi que de la sous-classe A 23 P et de la sous-classe B 29 C.

31      De surcroît, force est de constater que les reproductions du produit hélicoïdal lui-même, qui ont servi à la comparaison par la chambre de recours des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit, figurent dans les extraits concernant les demandes de brevets présentées par l’intervenante, tel que cela ressort du point 6 ci-dessus.

32      En ce qui concerne la seconde étape de l’analyse, il ressort de la jurisprudence qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation et que, pour réfuter cette présomption, il incombe à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [voir arrêt du 8 juillet 2020, Glimarpol/EUIPO – Metar (Outil pneumatique), T‑748/18, non publié, EU:T:2020:321, point 19 et jurisprudence citée].

33      À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante n’a présenté devant la chambre de recours aucun élément de preuve susceptible de démontrer que, en l’espèce, la publication des extraits concernant les demandes de brevets, présentés à l’appui de la demande de nullité, n’aurait pas suffi à ce que les milieux spécialisés prennent connaissance du dessin ou modèle antérieur.

34      En effet, ainsi qu’il ressort du point 29 de la décision attaquée, la requérante s’est limitée à affirmer, sans aucun moyen de preuve à l’appui, que la publication des demandes de brevets en question ne permettait pas aux milieux spécialisés du secteur concerné d’avoir connaissance de la divulgation du dessin ou modèle antérieur dans la pratique normale des affaires. Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 29 ci-dessus, il ressort des extraits présentés par l’intervenante que les demandes de brevets en question concernaient une invention relative à un produit alimentaire hélicoïdal ainsi qu’aux méthodes et aux machines pour sa fabrication et contenaient une reproduction du dessin ou modèle antérieur.

35      Dans ces conditions la chambre de recours a pu conclure sans commettre d’erreur que la présomption de divulgation au public du dessin ou modèle antérieur n’avait pas été renversée en l’espèce.

36      En tout état de cause, il convient de relever que, les demandes de brevets citées au point 6 ci-dessus concernant un produit alimentaire hélicoïdal, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que le milieu spécialisé du secteur concerné était celui relevant de l’industrie alimentaire en général. De plus, même à supposer, comme le soutient la requérante, que les milieux spécialisés comprennent uniquement les professionnels actifs dans la conception et la distribution des fromages, elle n’a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que la publication d’extraits de demandes brevets sur les bases de données de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et de l’Office des brevets européens ne pouvait raisonnablement permettre auxdits professionnels d’avoir connaissance du fait que le dessin ou modelé antérieur pouvait s’appliquer également aux fromages, alors que les descriptions contenues dans lesdites demandes de brevets en cause mentionnaient expressément le fromage comme exemple de produit alimentaire hélicoïdal couvert par ces demandes de brevets.

37      À cet égard, force est de constater que les bases de données en matière de brevets peuvent être consultées en libre accès sur le site Internet de l’OMPI ainsi que sur celui de l’OEB. Partant, les informations y contenues, notamment, les publications de demandes de brevets, doivent être considérées comme étant complétement accessibles aux milieux spécialisés du secteur concerné de tous les pays, y compris ceux de l’Union.

38      Par ailleurs, selon la jurisprudence, les milieux spécialisés du secteur opérant dans l’Union, dans la pratique normale des affaires, participent aux foires et consultent les revues spécialisées de ce secteur. Il convient de relever à cet égard que, dans la mesure où les milieux spécialisés du secteur opérant dans l’Union consultent, dans la pratique normale des affaires, les revues spécialisées de ce secteur, il est d’autant plus plausible que les milieux spécialisés du secteur consultent les bases de données en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Pièce de porte, T‑251/14, non publié, EU:T:2015:780, point 25 et jurisprudence citée).

39      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 6 du règlement no 6/2002

40      La requérante fait valoir que, même si le dessin ou modèle antérieur devait être pris en considération, la chambre de recours a erronément appliqué l’article 6 du règlement no 6/2002 en constatant que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel par rapport au dessin ou modèle antérieur.

41      Tout d’abord, selon la requérante, le degré de liberté du créateur est, en l’espèce, plutôt limité aux formes traditionnellement connues pour les fromages telles que les soufflés, les tranches, les formes circulaires, qui correspondent à des formes géométriques ordinaires ou à des formes râpées.

42      Ensuite, la requérante soutient que, l’utilisateur averti doit, en l’espèce, être considéré comme un consommateur issu du grand public qui achète des produits fromagers et possède un certain degré de connaissance en ce qui concerne les formes, proportions et dimensions typiques des produits fromagers disponibles.

43      Enfin, et compte tenu de ces considérations, la requérante estime que l’image identifiée comme étant la « figure no 1 » dans les extraits, concernant les demandes de brevets, présentés dans la demande de nullité, et telle que retenue par la chambre de recours, ne pouvait pas constituer un dessin ou modèle antérieur pertinent permettant de considérer que le dessin ou modèle contesté était dénué de caractère individuel. Cette image révèlerait une simple vue latérale d’une bobine ordinaire, ne montrant ni une structure hélicoïdale, qui nécessite en soi au moins deux filets entrelacés entre eux, ni l’apparence de l’avant ou de l’arrière de ce dernier dessin ou modèle. En outre, rien n’indiquerait qu’il s’agit d’un produit alimentaire. Or, le dessin ou modèle contesté présenterait une structure hélicoïdale triple, avec trois filets étroitement entrelacés, d’aspect incorporé et fermé, montrant une coupe nette et une surface plane au début et à la fin et présentant un aspect mince et long avec de nombreux tours. Par ailleurs, contrairement à d’autres fromages, le produit qui serait représenté dans le dessin ou modèle contesté peut être consommé immédiatement sans autre transformation, comme le découpage ou la séparation, ce qui le rendrait unique, et ce qui explique qu’il aurait fait l’objet de plusieurs prix internationaux. Ces caractéristiques distinctives du dessin ou modèle contesté ne seraient pas visibles dans le dessin ou modèle antérieur.

44      La requérante en conclut que les différences des caractéristiques distinctives visibles et apparentes entre le dessin ou modèle contesté et le dessin ou modèle antérieur, produiraient sur l’utilisateur averti des impressions globales différentes pour chacun des deux dessins ou modèles.

45      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

46      L’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 prévoit, notamment, qu’un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement. L’article 6, paragraphe 2, dudit règlement précise, par ailleurs, que, pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou modèle, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration de celui-ci.

47      Selon la jurisprudence, l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée).

48      C’est à la lumière des considérations énoncées aux points 46 et 47 ci-dessus et au regard du dessin ou modèle antérieur dont la divulgation au public a été démontrée qu’il convient d’apprécier si la chambre de recours a correctement conclu que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002.

49      En l’espèce, la chambre de recours a considéré, dans son analyse, que le secteur concerné par les dessins et modèles en conflit était celui des produits alimentaires, tout particulièrement celui des fromages, et que l’utilisateur averti était un consommateur issu du grand public qui achète des produits alimentaires, en particulier du fromage, et qui a un certain degré de connaissances quant aux formes et à la taille que ce produit peut avoir. Ces appréciations de ladite chambre, qui ne sont pas contestées par les parties, sont exemptes d’erreur. Il reste donc à examiner le bien-fondé desdites appréciations en ce qui concerne le degré de liberté du créateur et la comparaison des impressions globales produites par ces dessins ou modèles.

 Sur le degré de liberté du créateur

50      Selon la jurisprudence, le facteur relatif au degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté ne saurait à lui seul déterminer l’appréciation du caractère individuel dudit dessin ou modèle, mais il permet de nuancer cette appréciation. En effet, son influence sur le caractère individuel varie en fonction d’une règle de proportionnalité inverse. Ainsi, plus la liberté du créateur est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. En d’autres termes, un degré élevé de liberté du créateur renforce la conclusion selon laquelle des dessins ou modèles sans différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté ne présente pas de caractère individuel. À l’inverse, un faible degré de liberté du créateur favorise la conclusion selon laquelle les différences suffisamment marquées entre les dessins ou modèles produisent une impression globale dissemblable sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté présente un caractère individuel (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 76 et jurisprudence citée).

51      En l’espèce, la chambre de recours a indiqué, au point 34 de la décision attaquée, que le degré de liberté du créateur de produits fromagers était relativement élevé. Ainsi, elle a relevé que, bien que cette liberté puisse être limitée par les caractéristiques naturelles de la composition du fromage et par les procédés et technologies de sa production, aucune autre contrainte ou exigence réglementaire ne serait applicable en ce qui concerne la forme de ces produits. Elle en a conclu que les produits fromagers peuvent présenter des formes définitives différentes.

52      En effet, force est de constater, que les fromages peuvent présenter divers degrés de consistance, allant des fromages à pâte dure aux fromages à pâte molle ou encore aux fromages à tartiner ou des fromages liquides. En outre, ils sont susceptibles de présenter différentes textures, notamment en fonction de leur composition et de leur degré de maturation, et couleurs et peuvent même incorporer d’autres ingrédients tels que des fruits ou des épices.

53      Par ailleurs, les fromages peuvent être présentés en différentes tailles et coupes. En effet, ainsi que la requérante elle-même le reconnaît, en présentant des images à l’appui, les produits fromagers peuvent présenter différentes formes géométriques ordinaires, telles que les soufflés, les tranches, les formes circulaires ou bien des formes râpées ou des formes plus créatives, particulièrement, lorsqu’il s’agit de fromages à pâte molle.

54      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la chambre de recours a correctement conclu que le degré de liberté du créateur de produits fromagers était relativement élevé.

 Sur la comparaison des impressions globales

55      Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différences, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

56      En l’espèce, la chambre de recours a comparé les dessins ou modèles suivants :

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57      Premièrement, il y a lieu de relever que l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par les dessins ou modèles en conflit est dominée par une forme hélicoïdale, arrondie et relativement allongée. En outre, bien que la taille relative de chacun des deux dessins ou modèles n’est pas apparente, il est ressort des représentations indiquées au point 56 ci-dessus, qu’il s’agit, dans les deux cas, de sections découpées, relativement courtes. Ces caractéristiques fondamentales produisent une impression globale semblable.

58      Deuxièmement, force est de constater que les différences entre les dessins ou modèles en conflit résident en une forme plus allongée et relativement plus fine du dessin ou modèle contesté par rapport au dessin ou modèle antérieur. En outre, le dessin ou modèle contesté révèle une extrémité plate avec trois filets, qui n’est pas apparente dans le dessin ou modèle antérieur. Par ailleurs, le dessin ou modèle contesté est représenté dans une couleur jaunâtre alors que le dessin ou modèle antérieur est présenté sans couleur. Ces différences sont relativement minimes.

59      Or, il convient de relever que, malgré son niveau d’attention relativement élevé, l’utilisateur averti n’observe pas dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les dessins ou modèles en conflit (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 72 et jurisprudence citée), dans la mesure où le fait qu’il soit « averti » n’implique pas qu’il soit en mesure de distinguer, au-delà de l’expérience qu’il a accumulée du fait de l’utilisation du produit concerné, les aspects de l’apparence du produit qui sont dictés par la fonction technique de ce dernier de ceux qui sont arbitraires [arrêt du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems (Équipement de communication), T‑153/08, EU:T:2010:248, point 48].

60      Ainsi, en l’espèce, le consommateur issu du grand public qui achète du fromage, et qui a un certain degré de connaissances, quant aux formes et à la taille que ce produit peut avoir du fait de son expérience dans la consommation de ce produit, ne saurait nécessairement relever les différences minimes entre les dessins ou modèles en conflit visées au point 58 ci-dessus, au-delà de la forme hélicoïdale et découpée du produit en question.

61      Partant, les différences minimes en cause ne sauraient écarter l’impression de « déjà vu » qui se dégage des dessins ou modèles en conflit, eu égard à leurs éléments communs, à savoir leur forme hélicoïdale, arrondie et relativement allongée, qui constituent leurs éléments les plus visibles et les plus importants.

62      Troisièmement, il convient de rappeler que le degré de liberté du créateur des fromages est relativement élevé. Dans ce contexte, les différences relativement minimes existant entre les dessins ou modèles en conflit, visées au point 58 ci-dessus, demeurent insuffisamment marquées pour produire, à elles seules, sur l’utilisateur averti des impressions globales dissemblables.

63      Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours a considéré que les dessins ou modèles en conflit produisaient une même impression globale sur l’utilisateur averti et que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.

64      Dans ces circonstances, le second moyen doit être rejeté ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

65      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

66      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Muratbey Gida Sanayí ve Tícaret AŞ est condamnée aux dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.