Language of document : ECLI:EU:T:2009:109

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

22 avril 2009 (*)

« Marchés publics – Déclaration de défaut grave d’exécution – Article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 – Recours en annulation – Erreur de droit – Compétence du Tribunal – Intérêt à agir – Recevabilité – Détournement de pouvoir – Erreur manifeste d’appréciation – Motivation – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑286/05,

Centre européen pour la statistique et le développement ASBL (CESD-Communautaire), établi à Luxembourg (Luxembourg), représenté par Mes D. Grisay et D. Piccininno, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Dintilhac et G. Wilms, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la lettre de la Commission du 18 mai 2005, par laquelle celle-ci a informé le requérant qu’elle avait pris la décision de constater, en ce qui concerne divers contrats mentionnés, un défaut grave d’exécution en vertu de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (huitième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro (rapporteur), président, MM. S. Papasavvas et N. Wahl, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 57 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »), prévoit :

« 1.      La Commission ne peut confier des actes d’exécution sur des fonds en provenance du budget à des entités ou des organismes extérieurs de droit privé, y compris le paiement et le recouvrement, à l’exception de ceux investis d’une mission de service public, selon les dispositions de l’article 54, paragraphe 2, [sous] c).

2. Les tâches susceptibles d’être confiées, par voie contractuelle, à des entités ou des organismes extérieurs de droit privé autres que ceux investis d’une mission de service public, sont des tâches d’expertise technique et des tâches administratives, préparatoires ou accessoires qui n’impliquent ni mission de puissance publique ni exercice d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation. »

2        Aux termes de l’article 93 du règlement financier :

« 1.      Sont exclus de la participation à un marché les candidats ou les soumissionnaires :

a)      qui sont en état ou qui font l’objet d’une procédure de faillite, de liquidation, de règlement judiciaire ou de concordat préventif, de cessation d’activité, ou sont dans toute situation analogue résultant d’une procédure de même nature existant dans les législations et réglementations nationales ;

b)      qui ont fait l’objet d’une condamnation prononcée par un jugement ayant autorité de chose jugée pour tout délit affectant leur moralité professionnelle ;

c)      qui, en matière professionnelle, ont commis une faute grave constatée par tout moyen que les pouvoirs adjudicataires peuvent justifier ;

d)      qui n’ont pas rempli leurs obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale ou leurs obligations relatives au paiement de leurs impôts selon les dispositions légales du pays où ils sont établis ou celles du pays du pouvoir adjudicateur ou encore celles du pays où le marché doit s’exécuter ;

e)      qui ont fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée pour fraude, corruption, participation à une organisation criminelle ou toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés ;

f)      qui, suite à la procédure de passation d’un autre marché ou de la procédure d’octroi d’une subvention financés par le budget communautaire, ont été déclarés en défaut grave d’exécution en raison du non-respect de leurs obligations contractuelles.

2.      Les candidats ou soumissionnaires doivent attester qu’ils ne se trouvent pas dans une des situations prévues au paragraphe 1. »

3        L’article 95 du règlement financier dispose :

« Chaque institution constitue une base de données centrale où figurent les détails concernant les candidats et les soumissionnaires qui sont dans l’une des situations énoncées aux articles 93 et 94. Le seul but de cette base de données consiste à garantir, dans le respect de la réglementation communautaire relative au traitement des données à caractère personnel, l’application correcte des articles 93 et 94. Chaque institution a accès aux bases de données des autres institutions. »

4        L’article 96 du règlement financier précise :

« Les candidats ou les soumissionnaires qui se trouvent dans un des cas d’exclusion prévus aux articles 93 et 94 peuvent, après avoir été mis en mesure de présenter leurs observations, faire l’objet de sanctions administratives ou financières de la part du pouvoir adjudicateur.

Ces sanctions peuvent consister :

a)      dans l’exclusion du candidat ou du soumissionnaire concerné des marchés et des subventions financés par le budget pour une période maximale de cinq ans ;

b)      dans le paiement de sanctions financières à charge du contractant, dans le cas visé à l’article 93, paragraphe 1, [sous] f), et à charge du candidat ou du soumissionnaire, dans les cas visés à l’article 94, lorsqu’ils présentent une réelle gravité et dans la limite de la valeur du marché en cause.

Les sanctions infligées sont proportionnelles à l’importance du marché ainsi qu’à la gravité des fautes commises. »

5        Le règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1), prévoit à l’article 133, intitulé « Sanctions administratives et financières », qui établit les modalités d’application des articles 93 à 96 et 144 du règlement financier, en particulier aux paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Sans préjudice de l’application de sanctions contractuelles, les candidats ou soumissionnaires et contractants qui se sont rendus coupables de fausses déclarations ou ont été déclarés en défaut grave d’exécution en raison du non-respect de leurs obligations contractuelles dans le cadre d’un précédent marché sont exclus des marchés et subventions financés sur le budget communautaire pour une durée maximale de deux ans à compter du constat du manquement, confirmé après échange contradictoire avec le contractant.

Cette durée peut être portée à trois ans en cas de récidive dans les cinq ans suivant le premier manquement.

Les soumissionnaires ou candidats qui se sont rendus coupables de fausses déclarations sont en outre frappés de sanctions financières représentant 2 à 10 % de la valeur totale du marché en cours d’attribution.

Les contractants déclarés en défaut grave d’exécution de leurs obligations contractuelles sont de même frappés de sanctions financières représentant 2 à 10 % de la valeur du contrat en cause.

Ce taux peut être porté de 4 à 20 % en cas de récidive dans les cinq ans suivant le premier manquement.

2.      Dans les cas visés à l’article 93, paragraphe 1, [sous] a), c) et d), du règlement financier, les candidats ou soumissionnaires sont exclus des marchés et subventions pour une durée maximale de deux ans à compter du constat du manquement, confirmé après échange contradictoire avec le contractant.

Dans les cas visés à l’article 93, paragraphe 1, [sous] b) et e), du règlement financier, les candidats ou soumissionnaires sont exclus des marchés et subventions pour une durée minimale d’un an et maximale de quatre ans à compter de la notification du jugement.

Ces durées peuvent être portées à cinq ans en cas de récidive dans les cinq ans suivant le premier manquement ou le premier jugement. »

 Faits à l’origine du litige

6        Le requérant, le Centre européen pour la statistique et le développement ASBL (CESD-Communautaire), association à but non lucratif de droit luxembourgeois créée en 1989, qui a suspendu ses activités opérationnelles depuis décembre 2003, a pour objet de mettre en œuvre, au bénéfice de pays tiers, des actions de coopération technique dans le domaine statistique financées par l’Union européenne, l’Association européenne de libre-échange (AELE) ou d’autres institutions internationales.

7        Le requérant a conclu un certain nombre de contrats avec différentes directions de la Commission dans le domaine de la statistique et du développement.

8        À la suite de soupçons concernant l’éventuel détournement d’une partie des fonds communautaires attribués par Eurostat, l’office statistique des Communautés européennes, à une société dénommée Planistat, le Parlement européen a demandé que le service d’audit interne de la Commission procède à une enquête, pour l’été 2003, sur la légalité et la régularité de tous les contrats conclus entre 1999 et 2002 soit par Eurostat, soit par d’autres directions générales de la Commission en vertu d’un avis d’Eurostat.

9        Le 11 juin 2003, la Commission a donc décidé de donner instruction à son service d’audit interne d’examiner la légalité et la régularité notamment desdits contrats.

10      À la suite de l’audit de la Task Force Eurostat (ci-après la « TFES »), la Commission a décidé, le 23 juillet 2003, d’une part, de prendre des mesures de réorganisation au sein d’Eurostat et, d’autre part, de mettre fin à ses relations contractuelles avec différentes entités, dont le requérant, en ces termes :

« 1.      En complément à sa décision du 9 juillet 2003 relative à ses relations contractuelles avec le groupe Planistat et à la lumière des travaux ultérieurs de ses services, la Commission donne instruction aux ordonnateurs délégués de mettre fin au plus tôt à ces relations selon les modalités prévues dans les contrats.

2.      La Commission a pris connaissance du rapport intérimaire de la TFES sur les contrats.

a)      La Commission donne instruction aux ordonnateurs délégués de mettre également fin au plus tôt, selon les modalités prévues par les contrats, à toute relation contractuelle avec les entités suivantes :

–        CESD (communautaire et national)

[…] »

11      Par courriel du 17 février 2004, adressé au directeur du requérant (M. F.), le cabinet d’audit a demandé à ce dernier de lui fournir des précisions quant à l’organisation d’un audit relatif aux contrats entre le requérant et la Commission.

12      Par contrat signé le 17 mars 2004, le cabinet d’audit a été mandaté par la Commission afin de procéder à un audit financier de tous les contrats conclus entre cette dernière et le requérant entre 1996 et 2003 en vertu des dispositions contractuelles pertinentes.

13      Le 10 mai 2004, le cabinet d’audit a présenté à la Commission un rapport intitulé « Diagnostic préliminaire sur l’audit financier d’un échantillon de contrats conclus entre l’Office de coopération EuropeAid (AIDCO) et le Centre européen pour la statistique et le développement (CESD) – Contrat EuropeAid/112574/C/SV – Conclusions préliminaires », ainsi qu’un rapport intitulé « Rapport intérimaire sur l’audit financier d’un échantillon de contrats conclus entre l’Office de coopération EuropeAid (AIDCO) et le Centre européen pour la statistique et le développement (CESD) – Contrat EuropeAid/112574/C/SV – Rapport détaillé » (ci-après le « rapport d’audit intérimaire »), qui sont formulés en des termes similaires. Ces deux rapports concluaient en des termes identiques à « l’incapacité d’exprimer une opinion pertinente pour les contrats conclus par le CESD-Communautaire (représentant 51 % de l’échantillon à auditer) au sujet des objectifs d’audit mentionnés dans [le] contrat [d’audit], à savoir le respect des termes contractuels, la recevabilité et la régularité des dépenses au regard des dispositions contractuelles et réglementaires en vigueur et l’utilisation des fonds alloués conformément aux objectifs contractuels ».

14      Le 16 juin 2004, le ministère des Affaires étrangères belge a adressé à la Commission une assignation à comparaître le 30 juin 2004 devant le tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique) introduite par le requérant dans le cadre d’un litige concernant le contrat intitulé « Projet FED n° 8 ACP TPS 091 – Formation supérieure de statisticiens ».

15      Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juillet 2004, la Commission a indiqué au requérant que l’absence de coopération et la qualité des archives comptables et financières étaient susceptibles de constituer un défaut grave d’exécution en application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier et l’a invité à présenter ses observations dans un délai d’un mois. Elle a également précisé que les 26 contrats mentionnés en annexe à ladite lettre étaient concernés par cette lettre recommandée.

16      Les 19 et 20 août 2004, le ministère des Affaires étrangères belge a adressé à la Commission deux assignations à comparaître le 15 septembre 2004 devant le tribunal de première instance de Bruxelles introduites par le requérant dans le cadre de litiges concernant les contrats intitulés « ME8/B7-4100/IB/96/023-31 – MED-IS et ME8/B7-4100/IB/023-25 – MEDSTAT MED-NA ».

17      Par lettre du 27 août 2004, adressée à la Commission en réponse à sa lettre du 26 juillet 2004, le requérant a contesté le contenu de cette dernière lettre, a précisé que, pour répondre aux arguments de la Commission, il devait disposer des éléments de preuve qui auraient permis d’aboutir aux constatations figurant dans ladite lettre et a, par conséquent, demandé à la Commission de les lui transmettre. Il s’agissait des documents suivants :

–        une copie de la décision de la Commission du 23 juillet 2003 ;

–        une copie de la preuve de la notification de cette décision au requérant ;

–        une copie de la lettre annonçant au requérant, liste de dossiers à l’appui, les références exactes des contrats faisant l’objet d’un audit de la part de la Commission ;

–        une copie de l’ordre de mission donné aux auditeurs ;

–        une copie du rapport des auditeurs qui indiquerait que les archives du requérant ne répondraient pas aux exigences de la réglementation applicable, qu’aucun accès n’aurait été donné aux archives de celui-ci, que lesdites archives apparaîtraient organisées d’une manière n’en permettant pas la lecture et que les anciens salariés du requérant auraient refusé leur aide dans le cadre de la réalisation de l’audit ;

–        une plus grande précision dans les mentions des articles des contrats s’appliquant sans rétroactivité.

Le requérant indiquait également que les anciens membres du personnel avaient toujours été disponibles pour fournir une aide normale et que les archives, qui étaient accessibles, répondaient aux exigences de la réglementation luxembourgeoise et étaient organisées de manière à permettre la réalisation d’un audit financier.

18      Par lettre du 27 octobre 2004, la Commission a transmis au requérant une copie, tout d’abord, de la lettre annonçant à ce dernier, liste de dossiers à l’appui, les références exactes des contrats qui feraient l’objet d’un audit de sa part, ensuite, de l’ordre de mission donné aux auditeurs et, enfin, du rapport des auditeurs duquel il ressortirait, notamment, que le requérant aurait refusé son aide dans le cadre de la réalisation de l’audit, précisant que les deux premiers documents étaient déjà en sa possession. La Commission a également précisé que la lettre du 23 juillet 2003 ne constituait pas une décision au sens de l’article 249 CE, puisqu’elle ne faisait que transcrire des instructions internes à ses ordonnateurs délégués de mettre fin au plus tôt aux relations contractuelles existantes, selon les modalités prévues par les contrats, en sorte qu’elle n’avait pas à être notifiée au requérant. La Commission a en outre indiqué que l’exécution de cette « décision » avait amené ses services à analyser, au cas par cas, les conditions contractuelles ouvrant droit à la résiliation de ces contrats et a donné pour exemple la résiliation du contrat ME8/B7‑4100 EuropeAid/1996‑023-40 « Organisation de divers séminaires et task forces », lequel avait été résilié en application de l’article 32.1 des conditions générales applicables. La Commission a ajouté qu’il n’était pas nécessaire de préciser davantage les articles des contrats invoqués, dès lors que la lettre du 26 juillet 2004 avait suffisamment explicité les clauses contractuelles en cause. En outre, la Commission a contesté la disponibilité du personnel du requérant lors de l’audit ainsi que l’accessibilité, l’organisation et la conformité aux exigences de la loi luxembourgeoise des archives du requérant. La Commission a conclu en faisant valoir que, ainsi qu’elle l’avait annoncé dans sa lettre du 26 juillet 2004, elle envisageait, en application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, de constater un défaut grave d’exécution à l’encontre du requérant et que, en l’absence d’éléments nouveaux, elle statuerait définitivement, dans un délai d’un mois à compter de cette lettre, sur l’existence ou non d’un défaut grave d’exécution en relation avec les 26 contrats mentionnés.

19      Par lettre du 25 novembre 2004, le requérant a réitéré sa demande de transmission de la décision du 23 juillet 2003 considérant qu’elle avait pour objet de mettre fin au plus tôt aux relations contractuelles existantes, selon les modalités prévues par les contrats. Il a d’ailleurs relevé que la Commission faisait référence à une rupture de contrat précise qui lui avait été notifiée et qui résultait de la décision du 23 juillet 2003. Le requérant a contesté l’application de manière générale du règlement financier à l’ensemble des contrats dès lors que la procédure qui était mise en œuvre par la Commission avait trait à une série de contrats conclus par différents services de celle-ci à des périodes différentes et selon des conditions variables et qui devaient donc être individuellement respectées. Le requérant a également contesté l’absence de collaboration de son personnel à l’audit. Par ailleurs, il a relevé le fait que le rapport d’audit intermédiaire n’avait pas respecté les points 4.5 et 4.6 du contrat d’audit lesquels prévoient la nécessité pour l’auditeur d’obtenir un « management representation letter » et, à l’issue de l’audit, l’obligation de tenir une réunion de clôture (closing meeting). Enfin, le requérant a précisé que l’audit ne couvrait qu’une seule analyse contractuelle et qu’aucune demande de pièce complémentaire ne lui avait été formellement adressée alors que, par ailleurs, les pièces non trouvées dans les boîtes communiquées étaient disponibles auprès d’EuropeAid.

20      Par lettre du 18 mai 2005 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a informé le requérant qu’elle avait « pris la décision de constater, en ce qui concerne les contrats mentionnés dans le courrier qui [lui avait] été adressé […] en date du 26 juillet 2004, un défaut grave d’exécution selon l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier ». La Commission mentionnait les dispositions des contrats invoqués à l’appui du constat de défaut grave d’exécution à la suite de l’impossibilité de mener à bien les audits en 2004. Il ressortait des dispositions de ces contrats que le requérant avait pris, en substance, l’engagement, pendant une période de cinq ans après la fin d’exécution du contrat ou après sa résiliation, de donner accès à tous les documents comptables ou bancaires à des fins d’audit ou de contrôle. La Commission a donc considéré, à la lumière des dispositions contractuelles précitées et des obligations du titulaire y figurant, que le refus de coopération avec les auditeurs mandatés par elle et l’exigence de la conclusion d’un contrat de collaboration rémunéré comme condition préalable d’une coopération étaient sans fondement. La Commission constatait que, en raison de cette absence de collaboration ainsi que des conditions mises pour l’accès aux documents et aux sources d’information, l’objectif de l’audit n’avait pas pu être atteint et que, de ce fait, la vérification du respect des termes contractuels de la recevabilité et de la régularité des dépenses au regard des dispositions contractuelles et de l’utilisation des fonds alloués par rapport aux objectifs s’était avérée impossible. La Commission précisait que le constat d’un défaut grave d’exécution apparaissait justifié, et ce indépendamment des observations formulées par le requérant dans sa lettre du 25 novembre 2004 concernant l’exécution de l’audit. La Commission a joint à cette décision une copie de la décision du 23 juillet 2003 ainsi que du communiqué de presse y afférent, en précisant qu’elle ne constituait pas une décision produisant des effets juridiques obligatoires au sens de l’article 249 CE.

21      Par lettre du 23 juin 2005, le requérant a, en réponse à la décision attaquée, rappelé qu’il ressortait clairement de la lecture des articles des différents contrats que l’obligation des cocontractants était de donner accès, pendant une période de cinq ans après la fin de l’exécution du contrat ou de sa résiliation, à tous les documents comptables ou bancaires, y compris ceux de leurs sous-contractants aux fins d’audits et de contrôles. Le requérant contestait n’avoir pas transmis les documents contractuels requis aux équipes d’auditeurs. Dans ces conditions, le défaut grave d’exécution n’aurait pas pu être constaté. Le requérant a informé la Commission qu’il envisageait d’introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision attaquée, lequel serait fondé « sur l’abus de droit commis par [les] services [de la Commission], qui ont utilisé, dans le cadre de relations contractuelles, de manière inappropriée, une procédure réservée à d’autres fins ». Il a maintenu que, selon lui, la décision attaquée était nulle pour défaut de motivation du défaut grave d’exécution. Il a enfin demandé copie de la première décision prise par Eurostat le 9 juillet 2003 ainsi que le rapport de la TFES, dans la mesure où ce dernier serait à l’origine de l’instruction donnée par la Commission aux ordonnateurs délégués de mettre fin à toute relation contractuelle avec lui.

22      Par lettre du 14 juillet 2005, le requérant, en se référant de nouveau à la décision attaquée, a demandé à la Commission quelles seraient les éventuelles conséquences de la décision qu’elle avait prise de constater le défaut grave d’exécution.

23      Postérieurement à l’introduction du présent recours le 18 juillet 2005, la Commission a, par lettre du 25 juillet 2005, répondu à la lettre du requérant du 23 juin 2005 en rappelant, d’une part, que, s’agissant de l’abus de droit invoqué par celui-ci, la procédure qu’elle avait suivie dans ce cas était précisément celle qui s’imposait à la suite du constat d’audit du cabinet d’audit, selon les dispositions pertinentes du règlement financier et, d’autre part, que, s’agissant de la motivation du défaut grave d’exécution, les dispositions contractuelles pertinentes qui avaient été enfreintes par le requérant avaient été rappelées dans sa lettre précédente. La Commission a joint à cette lettre une copie de la première décision prise par Eurostat le 9 juillet 2003 ainsi que le rapport de la TFES réclamés par le requérant.

24      Par lettre du 4 août 2005, la Commission a souhaité voir clarifier la situation statutaire et la composition des organes dirigeants du requérant et a demandé au président de ce dernier s’il était toujours habilité à représenter le requérant ainsi qu’à l’informer de la position de M. F. ainsi que la nature du mandat qu’il aurait reçu des organes dirigeants. La Commission a également demandé au président du requérant de lui fournir une copie des statuts à jour de ce dernier, des derniers procès-verbaux du conseil d’administration ainsi que de tout autre document attestant la situation actuelle de cette entité et, notamment, de son siège statutaire et du nom de ses représentants légaux.

25      Par lettre du 29 août 2005, la Commission a répondu à la lettre du requérant du 14 juillet 2005 en l’informant que l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier prévoyait l’exclusion automatique de la participation à une nouvelle procédure d’attribution de marchés (ou d’octroi de subventions en application de l’article 114 du règlement financier) pour les candidats ou soumissionnaires (ou demandeurs) à l’égard desquels le défaut grave d’exécution avait été constaté. La Commission a également indiqué que l’article 96 dudit règlement lui donnait, en sus, la possibilité d’appliquer des sanctions administratives et financières aux candidats ou aux soumissionnaires qui se trouvaient dans l’un des cas d’exclusion prévus à l’article 93 de ce même règlement et que l’article 133 du règlement n° 2342/2002 précisait les conditions dans lesquelles elle entendait utiliser ce pouvoir que lui reconnaît l’article 96 du règlement financier.

26      Par jugement du 13 janvier 2006, le tribunal de première instance de Bruxelles s’est déclaré incompétent pour statuer sur le litige opposant le requérant à la Commission dans le cadre du contrat « Projet FED n° 8 ACP TPS 091 – Formation supérieure de statisticiens » en considérant qu’il relevait de la juridiction arbitrale prévue audit contrat.

27      Par jugement du 2 janvier 2007, le tribunal de première instance de Bruxelles a rejeté la demande du requérant dans le cadre d’un contrat intitulé « TACIS Service Contract n° 00 – 0077.0 » qui ne faisait pas partie de l’échantillonnage des contrats visés dans le rapport intérimaire du cabinet d’audit. Le requérant a interjeté appel de ce jugement.

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2005, le requérant a introduit le présent recours.

29      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 26 septembre 2005, la Commission a soulevé, au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité à l’encontre du présent recours.

30      Le requérant a présenté ses observations sur cette exception d’irrecevabilité le 8 novembre 2005, date à laquelle la procédure écrite sur la recevabilité s’est terminée.

31      Dans sa requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer la requête recevable ;

–        à titre principal, déclarer le recours fondé et dire pour droit que la décision attaquée est nulle dans la mesure où elle est le fruit d’un détournement de pouvoir et/ou elle est affectée d’un défaut de motivation ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation ;

–        subsidiairement, dire pour droit que la décision attaquée est nulle en ce qui concerne les 25 contrats non visés par l’audit ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens.

33      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant maintient les conclusions figurant dans sa requête.

34      Par ordonnance du 1er octobre 2007, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé de joindre l’exception d’irrecevabilité au fond et de réserver les dépens y afférents.

35      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 novembre 2007, la Commission a présenté son mémoire en défense. Le requérant a déposé une réplique le 7 janvier 2008, suivie par une duplique de la Commission déposée le 31 mars 2008, date à laquelle la procédure écrite a été clôturée.

36      Par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 31 juillet 2008, la présente affaire et l’affaire T‑289/06 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

37      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 8 septembre 2008.

38      Lors de l’audience, la Commission a demandé l’autorisation de déposer une lettre recommandée avec accusé de réception qu’elle avait envoyée le 3 juillet 2008 au requérant et qui lui avait été retournée le 9 juillet 2008 avec les rubriques « Inconnu du facteur » et « Pas de boîte à ce nom » cochées. En accord avec le requérant, cette lettre a été versée au dossier et le Tribunal a entendu les parties en leurs observations s’y rapportant.

 Sur la recevabilité

39      La Commission prétend que le recours est irrecevable à trois titres : tout d’abord, en raison de l’erreur de droit commise par le requérant dans l’interprétation de la décision attaquée, ensuite, en raison de l’incompétence du Tribunal et, enfin, en raison du défaut d’intérêt à agir du requérant.

 Sur l’erreur de droit commise par le requérant dans l’interprétation de la décision attaquée

 Arguments des parties

40      La Commission relève que, dans les parties IV et V de sa requête, le requérant interprète la décision attaquée comme ayant pour objet de mettre fin aux contrats en cours, ce qui est confirmé par la lecture des trois moyens invoqués, à savoir le détournement de pouvoir, le défaut de motivation et l’erreur manifeste d’appréciation, même si, dans un premier temps, le requérant avait semblé admettre que la décision attaquée avait pour seul effet légal de lui interdire, à l’avenir, de pouvoir encore conclure des contrats avec les autorités communautaires. Cette interprétation erronée serait constitutive d’une erreur de droit.

41      Or, la Commission indique avoir précisé, dans chacune de ses lettres des 26 juillet et 27 octobre 2004 ainsi que dans la décision attaquée, que la base juridique de celles-ci était l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier et que cette disposition avait pour seul objet de rendre les candidats ou soumissionnaires concernés inéligibles à la participation à de nouvelles procédures d’attribution de marchés ou d’octroi de subventions de la Communauté et ne saurait avoir d’effet sur les contrats en cours. Cela serait confirmé par la lettre de la Commission du 29 août 2005, bien qu’elle soit postérieure à l’introduction du présent recours.

42      Contrairement à ce que le requérant soutient, la Commission précise qu’elle ne confond pas la question de la recevabilité et celle de l’examen au fond. En effet, selon la Commission, dans la mesure où tous les moyens présentés dans la requête reposent sur une erreur manifeste d’appréciation des faits et du droit, ils ne donnent aucun fondement à la requête qui se trouve donc dépourvue de toute justification et sont sans rapport avec l’objet du litige, ce qui est constitutif de l’irrecevabilité invoquée. Il n’y aurait donc pas de corrélation entre l’objet du litige, à savoir l’annulation de la décision visant à écarter le requérant de marchés ou de subventions futurs, et les moyens invoqués. La Commission considère que ce constat peut être effectué au stade de la recevabilité, puisque l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure prescrirait implicitement mais nécessairement une corrélation entre l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.

43      La Commission rappelle que les parties en cause sont en litige devant les juridictions belges en ce qui concerne l’application des dispositions contractuelles pertinentes et que c’est dans ce seul cadre que peuvent se résoudre les litiges relatifs aux contrats en cours.

44      Le requérant fait valoir que la Commission confond la question de la recevabilité et celle de l’examen au fond, les arguments invoqués par cette dernière relevant uniquement du fond.

45      Dans sa réplique, il précise que la décision attaquée, d’une part, a pour effet de lui interdire de pouvoir conclure des contrats avec les autorités communautaires et, d’autre part, a pour objectif détourné de mettre fin aux contrats en cours par la voie unilatérale.

 Appréciation du Tribunal

46      La Commission prétend que le recours est irrecevable au motif, en substance, que le requérant interpréterait de façon erronée la décision attaquée comme ayant pour objet de mettre fin aux contrats en cours. La Commission ajoute que les trois moyens invoqués, à savoir le détournement de pouvoir, le défaut de motivation et l’erreur manifeste d’appréciation, confirment d’ailleurs cette interprétation par le requérant de la décision attaquée.

47      À cet égard, il convient de relever que, si, dans sa requête, le requérant a prétendu que « la décision [attaquée] n’a manifestement pas pour objet [de lui] interdire […] de participer à d’ultérieures procédures de passation de marchés », il y a également soutenu que la décision attaquée « a pour effet légal [de lui] interdire, à l’avenir, […] de pouvoir encore conclure des contrats avec les autorités communautaires ».

48      Il y a lieu également de relever que le requérant interprète, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la décision attaquée comme ayant, d’une part, « pour effet légal [de lui] interdire, à l’avenir, […] de pouvoir encore conclure des contrats avec les autorités communautaires » et, d’autre part, « un effet indirect sur les contrats en cours », en ce que la Commission serait en droit d’appliquer des sanctions financières aux différents contrats, sans devoir trouver de justification à ses sanctions, contrat par contrat.

49      Par ailleurs, dans sa réplique, bien que le requérant soutienne que la décision attaquée a pour objectif détourné de mettre fin aux contrats en cours par voie unilatérale, il constate de surcroît que ladite décision a pour effet de lui interdire de pouvoir conclure des contrats avec les autorités communautaires.

50      Dès lors, contrairement à ce que prétend la Commission, le requérant n’interprète pas la décision attaquée comme ayant uniquement pour objet de mettre un terme aux contrats en cours, mais la comprend également comme l’empêchant, à l’avenir, de pouvoir conclure des contrats avec les autorités communautaires.

51      Force est donc de constater que, en l’espèce, le requérant vise à obtenir, sur le fondement de l’article 230 CE, l’annulation de la décision attaquée par laquelle la Commission l’a informé de sa décision de constater, en ce qui concerne les contrats indiqués dans sa lettre du 26 juillet 2004 et au vu des dispositions qui y sont mentionnées, un défaut grave d’exécution, conformément à l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, en raison de l’impossibilité de mener à bien les audits en 2004, ayant pour conséquence de lui interdire de pouvoir conclure des contrats avec les autorités communautaires.

52      Il s’ensuit que le requérant n’a pas commis l’erreur de droit invoquée par la Commission.

53      Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission dans son mémoire en défense et pour autant qu’elle vise à invoquer une fin de non-recevoir tirée de la non-conformité de la requête aux exigences formelles prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, il y a lieu de relever que les moyens, tels qu’énoncés par le requérant, se rattachent tous à l’annulation d’un acte de nature administrative et non à la constatation d’une inexécution par l’une des parties de ses obligations contractuelles. C’est dans le cadre de l’examen au fond du présent recours qu’il conviendra d’examiner si, comme le prétend la Commission, lesdits moyens concernent plutôt le non-respect par celle-ci des clauses contractuelles dont l’examen échappe à la compétence des juridictions communautaires en l’absence de clause attributive de juridiction à leur profit.

54      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité tirée de l’erreur de droit.

 Sur le défaut de compétence du Tribunal

 Arguments des parties

55      La Commission indique que, puisque l’objet du recours concerne l’interprétation des 26 contrats conclus entre elle et le requérant, le recours ne relèverait pas de la compétence du Tribunal, dès lors qu’aucune clause compromissoire qui pourrait figurer dans ces contrats en vertu de l’article 238 CE ne serait invoquée par le requérant. Au contraire, chacun de ces contrats contiendrait une clause attributive de juridiction au profit soit de juridictions nationales, soit d’arbitres.

56      Ce serait d’ailleurs sur le fondement d’une telle clause que le requérant aurait, le 16 juin 2004, assigné la Commission devant le tribunal de première instance de Bruxelles.

57      La Commission soulève donc l’incompétence du Tribunal et précise que, à ce stade de la procédure, elle ne joint que deux des 26 contrats visés, tout en indiquant qu’elle tient les 24 autres à la disposition du Tribunal.

58      Dans son mémoire en défense, la Commission précise que l’absence de compétence du Tribunal dans la présente affaire est liée à l’erreur de droit du requérant qui persiste à considérer que la décision attaquée a pour objet de résilier les contrats en cause. Or, le juge de la résiliation ne pourrait être que le juge du contrat tel que prévu dans les clauses de ce dernier. En revanche, le Tribunal serait compétent pour juger du recours en annulation de la décision attaquée dès lors que celle-ci serait correctement interprétée, à savoir comme étant un acte de nature administrative de l’ordonnateur compétent visant à constater un défaut grave d’exécution des obligations contractuelles du requérant afin de l’écarter des futurs marchés publics et appels à proposition de la Commission.

59      Le requérant fait valoir que la Commission se méprend lorsqu’elle considère que le Tribunal est saisi de l’interprétation des 26 contrats en cours, puisque le recours porte exclusivement sur la décision attaquée, laquelle constitue un acte attaquable au sens de l’article 230 CE. En effet, cette décision produirait, au sens de la jurisprudence, des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Le requérant précise que, s’agissant des nombreux défauts de paiement reprochés à la Commission, il a toujours saisi les juridictions nationales mentionnées dans chacun des contrats litigieux.

 Appréciation du Tribunal

60      Il convient de constater que la Commission part du présupposé que l’objet du recours concerne l’interprétation des 26 contrats conclus entre elle et le requérant, en sorte que, en l’absence de clause attributive de juridiction au profit des juridictions communautaires, le recours ne relèverait pas de la compétence du Tribunal.

61      Or, il suffit à cet égard de constater que ce présupposé est erroné, puisque, ainsi qu’il a été observé aux points 47 à 54 ci-dessus, le recours tend à l’annulation de la décision attaquée, qui a été adoptée par la Commission sur le fondement de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, et dont la compétence relève donc, en vertu de l’article 230 CE, des seules juridictions communautaires, ce qui n’est au demeurant pas contesté par la Commission, ainsi qu’elle l’a indiqué lors de l’audience en réponse à une question posée en ce sens par le Tribunal.

62      Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut de compétence du Tribunal soulevée par la Commission doit être rejetée.

 Sur l’absence d’intérêt à agir du requérant

 Arguments des parties

63      Dans son mémoire en défense, en réponse au requérant qui prétend qu’il disposerait d’un intérêt né et actuel à voir annuler la décision attaquée dans la mesure où celle-ci lui permettrait d’imposer au requérant des sanctions financières dans les contrats qui le lient encore à elle, sans que ces sanctions puissent être remises en question à un stade ultérieur dans le cadre de l’article 96 du règlement financier, la Commission considère que la décision attaquée n’impose aucune sanction financière au requérant et n’a été à la base d’aucune sanction financière. La Commission précise que la procédure prévue à l’article 96 du règlement financier est de nature administrative et qu’elle n’a aucun effet sur les contrats existants. Par ailleurs, ce moyen, qui n’aurait pas été soulevé par le requérant dans sa requête, devrait être déclaré irrecevable en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, cet argument figurerait dans la partie relative à la recevabilité de la requête (points 22 et 23) et non dans celle consacrée aux moyens invoqués, sans faire par ailleurs référence à l’article 96 du règlement financier. Enfin, le simple fait d’informer le requérant, pour des raisons de transparence, de la possibilité d’une éventuelle procédure en application de l’article 96 du règlement financier n’aurait aucun caractère décisionnel et ne saurait être considéré comme étant un acte confirmatif.

64      En outre, la Commission s’interroge sur l’existence d’un tel intérêt à agir du requérant, dès lors qu’il a indiqué avoir « suspendu ses activités opérationnelles depuis décembre 2003 », en sorte qu’il ne pourrait plus participer à de nouveaux marchés publics ou appels à participation et ne pourrait donc se voir appliquer la décision attaquée. De plus, s’il s’avérait que le requérant était en liquidation, il ne pourrait plus participer à un marché en vertu de l’article 93, paragraphe 1, sous a), du règlement financier.

65      Le requérant conteste l’argumentation de la Commission et précise qu’il dispose d’un intérêt à agir.

 Appréciation du Tribunal

66      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir ordonnance du Tribunal du 30 avril 2003, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke/Commission, T‑167/01, Rec. p. II‑1873, point 47, et la jurisprudence citée).

67      Toutefois, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, cette considération relative au moment de l’appréciation de la recevabilité du recours ne saurait empêcher le Tribunal de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours dans l’hypothèse où un requérant qui avait initialement intérêt à agir a perdu tout intérêt personnel à l’annulation de la décision attaquée en raison d’un événement intervenu postérieurement à l’introduction dudit recours (ordonnance du Tribunal du 17 octobre 2005, First Data e.a./Commission, T‑28/02, Rec. p. II‑4119, point 36).

68      En effet, pour qu’un requérant puisse poursuivre un recours tendant à l’annulation d’une décision, il faut qu’il conserve un intérêt personnel à l’annulation de celle-ci (voir ordonnance First Data e.a./Commission, point 67 supra, point 37, et la jurisprudence citée).

69      En l’espèce, si, dans ses écritures, la Commission a indiqué que l’intérêt à agir du requérant ne pouvait résulter de la possibilité qu’elle aurait de lui imposer à l’avenir des sanctions financières en vertu de la décision attaquée, elle a toutefois reconnu, à une question posée en ce sens par le Tribunal lors de l’audience, que, si le requérant était toujours en activité, il serait considéré comme ayant un intérêt à agir pour demander l’annulation de la décision attaquée dès lors qu’elle serait interprétée comme ayant pour objet de lui interdire de pouvoir conclure de nouveaux contrats avec les autorités communautaires.

70      Or, aucun élément du dossier ne permet de constater que le requérant est, ainsi que l’a fait valoir la Commission, en liquidation, cette dernière n’ayant au demeurant pas contesté, dans sa duplique, l’affirmation du requérant selon laquelle il était toujours inscrit au registre des associations luxembourgeois et qu’il n’avait pas suspendu l’ensemble de ses activités.

71      S’agissant de l’affirmation faite par la Commission lors de l’audience selon laquelle la preuve de la liquidation du requérant résulterait du fait qu’une lettre recommandée avec accusé de réception qu’elle lui a envoyée le 3 juillet 2008 lui a été retournée le 9 juillet 2008 avec les rubriques « Inconnu du facteur » et « Pas de boîte à ce nom » cochées, force est de constater que, le 27 février 2008, donc in tempore non suspecto, le requérant avait informé le Tribunal de son changement d’adresse au 26, rue Théodore Eberhart à Luxembourg. S’il eût certes été préférable que le requérant informe également la Commission de ce changement d’adresse, cette absence d’information ne saurait signifier que le requérant a été mis en liquidation. Ce changement d’adresse, bien que porté à la seule connaissance du Tribunal, tend, plutôt, à accréditer la thèse du requérant selon laquelle il n’a pas cessé son activité, mais l’a maintenue tout en la réduisant en raison de l’impossibilité de conclure de nouveaux contrats avec la Commission.

72      Dès lors que le requérant dispose d’un intérêt à agir aux fins de l’annulation de la décision attaquée en ce que cette dernière a pour conséquence qu’il est exclu de la participation à un marché pour une durée maximale de deux ans, il est sans pertinence de déterminer s’il dispose, en outre, d’un intérêt à agir qui résulterait du fait que la Commission pourrait, à l’avenir, lui imposer des sanctions financières.

73      Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’intérêt à agir du requérant doit être également rejetée.

74      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être déclaré recevable.

 Sur le fond

 Sur le premier chef de conclusions

75      Le requérant, dans sa requête, a soulevé trois moyens d’annulation, à savoir le détournement de pouvoir, l’erreur manifeste d’appréciation et l’absence de motivation. Lors de l’audience, le requérant a prétendu que la Commission avait violé ses droits de la défense, au motif qu’il n’avait pu s’exprimer dans le cadre de l’audit réalisé, lequel aurait été irrégulier et parcellaire, ne pouvant donc fonder un manquement contractuel à la base d’un constat de défaut grave d’exécution.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’un détournement de pouvoir et d’une erreur manifeste d’appréciation

–       Arguments des parties

76      Selon le requérant, la Commission a commis un détournement de pouvoir, analysé sous l’angle d’un détournement de procédure, dans la mesure où, dans la décision attaquée, elle élude les procédures particulières de règlement des conflits prévues par chaque contrat conclu avec lui, en application de l’article 57 du règlement financier, en lui substituant la voie unilatérale de la décision fondée sur l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier. Cette dernière disposition aurait été détournée de son objectif premier pour résilier des contrats dont chacun prévoirait des modes de règlement des conflits différents.

77      Or, dans la mesure où les missions confiées au requérant seraient de nature contractuelle, puisqu’elles consisteraient dans l’analyse statistique ou la communication du savoir-faire statistique européen à des pays tiers, et non dans des missions de service public, les 26 contrats conclus entre le requérant et la Commission reposeraient sur l’article 57 du règlement financier. Ainsi, la Commission aurait dû introduire à l’encontre du requérant les procédures prévues par les contrats en cause qui contiennent des stipulations contractuelles différentes en ce qui concerne notamment la désignation du tribunal compétent et du droit applicable. Il ne saurait être question d’utiliser, comme en l’espèce, en lieu et place de l’article 57 du règlement financier, une procédure ayant un objet spécifique, à savoir la procédure de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, qui viserait à ne plus permettre à une entité de contracter avec les autorités communautaires, pour tenter d’influer sur les relations contractuelles existant entre l’autorité communautaire signataire du contrat et le particulier. Cette disposition, qui ne définirait pas la notion de défaut grave d’exécution, n’aurait pas pour objet le non-respect des obligations contractuelles, auquel elle renvoie et qui doit faire l’objet d’une appréciation contrat par contrat, mais aurait pour seule vocation d’exclure un soumissionnaire déclaré en défaut grave d’exécution à l’occasion d’un premier marché de la participation à la procédure de passation d’un marché ultérieure.

78      Dès lors que la décision attaquée n’aurait manifestement pas pour objet d’interdire au requérant de participer à des procédures de passation de marchés ultérieures, elle serait entachée d’un détournement de pouvoir au motif que la Commission aurait détourné la procédure de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier pour résilier des contrats qui prévoyaient chacun des modes différents de règlement des conflits, ce qui permettrait d’éviter d’analyser chaque contrat individuellement, d’échapper aux particularités procédurales de certains droits applicables aux contrats et de faire l’économie de la preuve d’un manquement dans chacun des contrats conclus. En outre, le fait que la Commission, en constatant un prétendu défaut grave d’exécution affectant les contrats, n’ait pas pris la peine de recourir aux procédures particulières instituées par chaque contrat indiquerait également l’existence d’un tel détournement de pouvoir eu égard à la décision de la Commission du 22 juillet 2003 ayant conduit à l’audit sur les activités du requérant qui avait pour objectif de « mettre également fin au plus tôt, selon les modalités prévues par les contrats, à toute relation contractuelle avec [… le] CESD (communautaire et national) ».

79      Selon le requérant, l’argument de la Commission selon lequel les contrats passés en l’occurrence ne relèveraient pas de l’article 57 du règlement financier ne serait pas pertinent dès lors que tant l’article 57 que l’article 88 du règlement financier auraient pour conséquence que, si l’une des parties au contrat reprochait à l’autre des manquements contractuels, elle se devrait d’introduire à l’encontre de celle-ci les procédures prévues par le contrat en cause.

80      Enfin, le requérant estime que c’est à tort que la Commission soutient que l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier ne conditionne pas la déclaration de défaut grave d’exécution en raison du non-respect d’une obligation contractuelle à un jugement préalable. En effet, les différents contrats prévoiraient des mécanismes propres de résiliation. Dès lors, selon le requérant, lorsqu’une partie reproche à l’autre des manquements contractuels, elle se doit d’introduire les procédures prévues par ces contrats, ce qui permet à l’autre partie de faire valoir ses observations à propos de ce qui lui est reproché, et ce conformément à la législation nationale choisie dans le contrat. À défaut de respecter une telle procédure contradictoire, la partie à laquelle un manquement contractuel est reproché pourrait voir inférée, dans les relations contractuelles existant entre elle et l’autre partie, l’existence de ce prétendu manquement, alors que ce dernier n’aurait pas été constaté par un juge. Tel serait le cas en l’espèce, la Commission utilisant le manquement contractuel pour refuser d’honorer ses engagements dans le cadre des contrats conclus avec le requérant, sans pour autant mettre en œuvre les procédures prévues à cet effet.

81      Ainsi, selon le requérant, la Commission s’est manifestement méprise sur la qualification des faits prétendument pertinents pour constater un défaut grave d’exécution. En effet, en se fondant sur l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier pour mettre fin aux contrats en cours, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation relative à la qualification des faits reprochés au requérant dans la mesure où elle a confondu la cause et la conséquence du prétendu défaut grave d’exécution. Si la Commission avait respecté le principe de légalité, elle aurait, dans un premier temps, agi devant les juridictions nationales compétentes pour chaque contrat particulier en vertu du droit national applicable aux fins d’obtenir la résiliation individuelle de chaque contrat litigieux pour défaut grave d’exécution conformément aux procédures contractuelles découlant de l’article 57, paragraphe 2, du règlement financier. Elle aurait ensuite été habilitée à prendre la décision attaquée en vertu de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier afin d’empêcher le requérant de conclure de nouveaux contrats avec les autorités communautaires.

82      La Commission conclut au rejet de ces moyens.

–       Appréciation du Tribunal

83      Ainsi qu’il l’a admis lors de l’audience, par ces deux moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, le requérant avance, en substance, la même argumentation par laquelle il fait grief à la Commission de s’être fondée sur l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier pour résilier les contrats en cours, sans recourir à la procédure prévue par les contrats et sans saisir au préalable les juridictions nationales pour chaque contrat particulier en vertu du droit national applicable aux fins d’obtenir la résiliation individuelle de chaque contrat litigieux pour défaut grave d’exécution, et d’avoir ainsi commis un détournement de pouvoir sous la forme d’un détournement de procédure et une erreur manifeste d’appréciation.

84      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d’atteindre des fins autres que celles alléguées par l’institution ou d’éluder une procédure spécifiquement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt de la Cour du 15 mai 2008, Espagne/Conseil, C‑442/04, non encore publié au Recueil, point 49, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission, T‑266/97, Rec. p. II‑2329, point 131, et du 13 janvier 2004, Thermenhotel Stoiser Franz e.a./Commission, T‑158/99, Rec. p. II‑1, point 164).

85      En l’espèce, en premier lieu, il convient de constater que, contrairement à ce que prétend le requérant, la Commission ne s’est nullement fondée sur l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier pour mettre un terme aux contrats en cours.

86      En effet, il ressort des termes de la décision attaquée que la Commission a, à la suite de ses lettres des 26 juillet et 27 octobre 2004, décidé non pas de résilier les contrats en cours, ce qui ne résulte d’aucune autre correspondance avec le requérant, mais de constater un défaut grave d’exécution au sens de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier en raison de l’inexécution par le requérant de ses obligations contractuelles.

87      Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juillet 2004, la Commission avait en effet déjà informé le requérant de la possibilité de faire application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 octobre 2004, la Commission a rappelé au requérant qu’elle envisageait, en application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, de constater à son égard un défaut grave d’exécution.

88      Par ailleurs, cette interprétation est corroborée par la lettre de la Commission du 29 août 2005 adressée au requérant en réponse à sa demande d’éclaircissement quant aux conséquences de l’application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, dans laquelle la Commission a, en des termes extrêmement clairs, précisé que « [l]’article 93 du règlement financier prévoit une exclusion automatique de la participation à une nouvelle procédure d’attribution de marchés » et que, « [e]n l’espèce, la constatation de défaut grave d’exécution […] fait donc obstacle à [votre] participation […] à une nouvelle procédure d’attribution de marchés ou d’octroi de subventions ».

89      Certes, dans sa lettre du 27 octobre 2004, la Commission a précisé au requérant que la lettre du 23 juillet 2003 transcrivait ses instructions internes à ses ordonnateurs délégués de mettre fin au plus tôt aux relations contractuelles existantes, selon les modalités prévues aux contrats, et que l’exécution de cette lettre avait amené ses services à analyser, au cas par cas, les conditions contractuelles ouvrant droit à la résiliation de ces contrats.

90      Toutefois, même s’il ressort de la lettre du 23 juillet 2003 qu’instruction était donnée aux ordonnateurs délégués de mettre fin aux relations contractuelles, d’une part, il était indiqué que cette résiliation devait intervenir selon les modalités prévues par les contrats, lesquelles étaient indépendantes de la mise en œuvre des dispositions du règlement financier, et, d’autre part, les autres correspondances échangées entre les parties et rappelées aux points 86 à 88 ci-dessus mettent en exergue le fait que la Commission, eu égard au défaut d’exécution par le requérant de ses obligations contractuelles, a, dans le cadre de la présente affaire, uniquement manifesté son intention, concrétisée effectivement par la décision attaquée, de constater un défaut grave d’exécution.

91      En second lieu, le requérant prétend que la Commission aurait dû, avant de décider d’appliquer l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, saisir les juridictions nationales compétentes pour chaque contrat particulier en vertu du droit national applicable aux fins d’obtenir la résiliation individuelle de chaque contrat litigieux pour défaut grave d’exécution. Il a précisé, lors de l’audience, que cette interprétation aurait été confirmée par la Cour dans son arrêt du 12 décembre 1990, Vandemoortele/Commission (C‑172/89, Rec. p. I‑4677).

92      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier prévoit l’exclusion de la participation à un marché des candidats ou des soumissionnaires qui, à la suite de la procédure de passation d’un autre marché ou de la procédure d’octroi d’une subvention financés par le budget communautaire, ont été déclarés en défaut grave d’exécution en raison du non-respect des obligations contractuelles.

93      Cette disposition ne précise pas les conditions de mise en œuvre de la procédure par laquelle est constaté le défaut grave d’exécution.

94      En revanche, l’article 133 du règlement n° 2342/2002, qui a précisément pour objet d’établir les modalités d’exécution du règlement financier, fixe les conditions dans lesquelles l’exclusion des candidats ou des soumissionnaires au titre de l’article 93 du règlement financier est prononcée.

95      En effet, l’article 133 du règlement n° 2342/2002 établit une distinction entre certains cas dans lesquels l’article 93 du règlement financier ne peut être mis en œuvre qu’après notification au contractant d’un jugement et ceux dans lesquels cet article peut être mis en œuvre uniquement à compter du constat du manquement, confirmé après échange contradictoire avec le contractant.

96      L’article 133, paragraphe 2, du règlement n° 2342/2002 précise que, dans les cas visés à l’article 93, paragraphe 1, sous b) et e), du règlement financier, les candidats ou soumissionnaires sont exclus des marchés et des subventions pour une durée minimale d’un an et maximale de quatre ans à compter de la notification du jugement.

97      En revanche, dans les cas visés à l’article 93, paragraphe 1, sous a), c), d) et f), du règlement financier, les candidats ou soumissionnaires sont exclus des marchés et des subventions pour une durée maximale de deux ans à compter du constat du manquement, confirmé après échange contradictoire avec le contractant. À cet égard, d’une part, l’article 133, paragraphe 2, du règlement n° 2342/2002 prévoit que, en ce qui concerne les cas visés à l’article 93, paragraphe 1, sous a), c) et d), du règlement financier, la durée d’exclusion peut être portée à cinq ans en cas de récidive dans les cinq ans suivant le premier manquement. D’autre part, l’article 133, paragraphe 1, du règlement n° 2342/2002 précise, quant à la constatation du défaut grave d’exécution, que la durée d’exclusion maximale de deux ans peut être portée à trois ans en cas de récidive dans les cinq ans suivant le premier manquement et que des sanctions financières sont imposées aux contractants déclarés en défaut grave d’exécution.

98      Comme la Commission l’a indiqué à juste titre, l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier ne conditionne pas la déclaration de défaut grave d’exécution en raison du non-respect d’une obligation contractuelle à un jugement préalable (ou à un arbitrage) du contrat, dès lors qu’il s’agit d’une procédure administrative sans effet sur les contrats déjà passés et qui a pour but d’exclure le requérant de la participation aux marchés publics ou aux appels à proposition futurs. La différence de nature entre les constatations judiciaires des cas visés à l’article 93, paragraphe 1, sous b) et e), du règlement financier et la constatation de nature administrative du cas visé à l’article 93, paragraphe 1, sous f), dudit règlement, telle qu’elle ressort des points 96 et 97 ci-dessus, est confirmée par les différences de régime figurant à l’article 133 du règlement n° 2342/2002.

99      Cette interprétation est corroborée par la finalité du règlement financier qui est notamment de garantir une gestion rigoureuse des finances publiques afin de protéger les Communautés des fraudes et irrégularités qui pourraient grever son budget. Cet objectif de bonne gestion des finances publiques est rappelé dès le considérant 1 du règlement financier qui précise que, « [a]fin de tenir compte, en particulier, des exigences de simplification législative et administrative ainsi que d’une rigueur encore accrue dans la gestion des finances communautaires, il convient, dans un souci de clarté, de procéder à une refonte du règlement financier du 21 décembre 1977 ».

100    Par ailleurs, il est indiqué au considérant 25 du règlement financier que, « [a]fin de prévenir les irrégularités, de lutter contre la fraude et la corruption et de promouvoir une gestion saine et efficace, il y a lieu d’exclure de l’attribution des marchés les candidats ou soumissionnaires qui se seraient rendus coupables de tels actes ou qui se trouveraient dans une situation de conflit d’intérêts » et, au considérant 30 que, « [d]e façon similaire aux règles retenues pour l’attribution des marchés publics, des causes d’exclusion du bénéfice des subventions doivent être prévues pour donner aux institutions les moyens de lutter contre la fraude et la corruption ».

101    S’agissant du renvoi par le requérant à l’arrêt Vandemoortele/Commission, point 91 supra, il suffit de constater que, en l’espèce, l’interprétation préconisée par la Commission est corroborée par les termes et les objectifs de la réglementation communautaire.

102    Il ne ressort donc pas du règlement financier ni du règlement n° 2342/2002 que la déclaration de défaut grave d’exécution pour non-respect des obligations contractuelles est assujettie à la constatation préalable par une juridiction du manquement par le contractant à ses obligations contractuelles.

103    Enfin, il est constant que la Commission, avant l’adoption de la décision attaquée, a eu un échange contradictoire quant à l’application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, et a en particulier demandé au requérant, par lettres des 26 juillet et 27 octobre 2004, de lui présenter ses observations quant à son intention de constater à son égard un défaut grave d’exécution, conformément aux dispositions du règlement financier.

104    Il convient dès lors de constater que c’est sans commettre de détournement de procédure et d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a appliqué en l’espèce l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier pour constater un défaut grave d’exécution, en sorte qu’il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation

–       Arguments des parties

105    Le requérant rappelle que le défaut de motivation d’une décision constitue une violation des formes substantielles et donc un fondement à un recours en annulation au titre de l’article 230 CE. Se référant à une jurisprudence constante en la matière, le requérant considère que la décision attaquée n’est motivée ni juridiquement ni en fait.

106    Sur le plan juridique, le requérant relève que la seule disposition invoquée est l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, qui est totalement inadéquate dans la mesure où elle a trait, dans la sphère contractuelle, à la bonne gestion des marchés publics communautaires. La Commission ne pouvait donc se fonder sur cette disposition pour motiver sa décision de renoncer à l’exécution des contrats en cours, mais aurait dû, le cas échéant, se référer à l’article 57 du règlement financier qui renvoie aux dispositions contractuelles spécifiques à chaque contrat.

107    Sur le plan factuel, premièrement, le requérant prétend que l’audit s’est déroulé de manière irrégulière et non transparente et ne peut constituer une motivation valable. La décision attaquée serait fondée sur les constatations effectuées par les auditeurs mandatés par la Commission pour réaliser l’audit financier d’un échantillon de contrats – en réalité un seul contrat – alors même que le requérant n’aurait jamais été informé de l’objectif de l’audit et de la méthodologie suivie, qu’aucune demande de renseignement ne lui aurait été transmise et qu’il n’aurait jamais été informé des résultats de l’audit. À cet égard, le requérant indique que le contrat d’audit conclu avec le cabinet d’audit ne lui a été communiqué que le 27 octobre 2004, que ses responsables n’ont jamais reçu de « management representation letter » en bonne et due forme, selon les termes du contrat leur permettant d’apprécier l’étendue des informations à communiquer, qu’aucun « aide-mémoire » n’a été fourni par les auditeurs à la fin de leur travail de constatation, alors qu’un tel document aurait permis à ses responsables de fournir aux auditeurs les documents déclarés introuvables dans le rapport final d’expertise et qu’aucune réunion de clôture entre les auditeurs, ses responsables et ceux de la Commission n’a été organisée. Selon le requérant, dans la mesure où l’audit est entaché d’irrégularités flagrantes et, puisque toute la motivation factuelle de la décision attaquée repose sur les constatations effectuées à l’occasion de cet audit irrégulier, la décision attaquée ne satisfait pas à l’obligation de motivation définie par le traité et viole les formes substantielles.

108    Deuxièmement, la Commission tirerait de l’audit des conséquences qui n’en découleraient pas. Il ressortirait de l’audit qu’un support permanent et efficace de la Commission ainsi que la consultation des bases de données de cette dernière étaient nécessaires, ce qui aurait fait défaut, selon les auditeurs eux-mêmes, et ce alors que la coopération du requérant était entière. La Commission aurait donc dû permettre aux auditeurs de mener à bien leur tâche au lieu de refuser de leur prêter son concours. Par ailleurs, le rapport d’audit mentionnerait la prétendue mauvaise organisation du requérant et conclurait à l’impossibilité d’approfondir l’analyse sur cette seule base alors même qu’aucune demande de pièces spécifiques n’aurait été adressée au requérant et qu’aucune carence en ce sens n’aurait été établie. Le rapport d’audit se limiterait à établir une cotation relative à la seule qualité de documents pris dans certaines des boîtes d’archives relatives au seul contrat audité et justifierait l’impossibilité de mener à bien sa mission en arguant de certaines contraintes budgétaires et temporelles. Le rapport d’expertise ne préciserait nullement que les responsables du requérant n’auraient pas pleinement collaboré à la réalisation de l’audit. Enfin, le requérant précise que seules les photocopies, qui étaient éventuellement falsifiables, étaient en sa possession, puisque la Commission détenait les originaux.

109    La Commission conclut au rejet du présent moyen.

–       Appréciation du Tribunal

110    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits et au juge d’exercer son contrôle. Il ne saurait toutefois être exigé que la motivation spécifie tous les différents éléments de fait et de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, non encore publié au Recueil, point 56 ; arrêts du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, points 62 et 63, et du 27 septembre 2005, Common Market Fertilizers/Commission, T‑134/03 et T‑135/03, Rec. p. II‑3923, point 156).

111    Il s’ensuit que le défaut ou l’insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l’inexactitude des motifs de la décision, dont le contrôle relève de l’examen du bien-fondé de cette décision (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67, et du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 26 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec. p. II‑813, point 45, et du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, Rec. p. II‑4739, point 107).

112    S’agissant, en premier lieu, du grief selon lequel l’application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier serait totalement inadéquate pour motiver la décision de résilier les contrats en cours, dans la mesure où la Commission appliquerait, dans la sphère contractuelle, une disposition relative à la bonne gestion des marchés publics communautaires, force est de constater que ce grief ne met pas en cause la motivation formelle de la décision attaquée, mais se confond avec le moyen relatif à l’erreur manifeste d’appréciation. Il doit donc être rejeté pour les mêmes raisons que celles mentionnées aux points 83 à 104 ci-dessus.

113    S’agissant, en second lieu, du grief selon lequel, puisque l’audit serait entaché des prétendues irrégularités flagrantes mentionnées aux points 107 et 108 ci-dessus, celui-ci ne pouvait constituer une motivation valable de la décision attaquée, il y a lieu d’observer que ce grief est irrecevable, dès lors qu’il ne relève pas de la motivation, mais se fonde sur la prétendue méconnaissance par la Commission de ses obligations contractuelles relatives à la procédure d’audit dont la compétence ne relève pas des juridictions communautaires en l’absence de toute clause attributive de juridiction en ce sens.

114    En tout état de cause et pour autant que le présent moyen puisse être considéré comme tiré de la violation de l’obligation de motivation, il convient de relever que, au regard tant de son libellé que du contexte dans lequel elle a été adoptée, la décision attaquée contient une motivation qui satisfait aux obligations énoncées à l’article 253 CE.

115    En effet, la Commission a, par la décision attaquée, informé le requérant que, en raison des manquements constatés lors de l’audit, il avait été décidé de constater un défaut grave d’exécution conformément à l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier.

116    Il ressort de la décision attaquée que la Commission a très précisément indiqué les raisons pour lesquelles le requérant avait manqué à ses obligations contractuelles, à savoir, en particulier, ainsi qu’il ressort du point 20 ci-dessus, l’absence de collaboration ainsi que les conditions mises pour l’accès aux documents et aux sources d’information, et que, en raison de ce manquement, elle constatait un défaut grave d’exécution.

117    Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe du respect des droits de la défense

–       Arguments des parties

118    À l’audience, le requérant a fait valoir que l’absence de motivation de la décision attaquée devait être également envisagée sous l’angle de la violation, par la Commission, du principe général du respect des droits de la défense, réaffirmé dans l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, non encore publié au Recueil). Le requérant prétend que ses droits de la défense ont été violés, dans la mesure où diverses irrégularités ont été commises dans le déroulement de l’audit, en particulier l’absence de communication du contrat d’audit, l’absence de « management representation letter » et l’absence d’une réunion de clôture entre les auditeurs, les responsables du requérant et ceux d’AIDCO. Cet audit irrégulier ne saurait donc constituer un élément probant permettant de fonder un manquement contractuel à la base d’un constat de défaut grave d’exécution, et ce d’autant plus qu’il constituerait le seul élément à charge à l’encontre du requérant. Un tel déroulement serait donc constitutif d’un manquement aux droits de la défense.

119    La Commission conteste cette prétention du requérant.

–       Appréciation du Tribunal

120    Sans qu’il y ait lieu d’examiner la recevabilité de ce moyen soulevé au stade de la procédure orale ou son éventuel relevé d’office, force est de constater que la violation des droits de la défense résulte, selon le requérant, de l’irrégularité de l’audit au motif qu’il n’aurait pas été pleinement informé au cours de sa réalisation. Or, outre qu’il ressort du dossier que de nombreuses correspondances ont été échangées entre les parties quant aux conditions de l’audit, il suffit de constater que la contestation de la réalisation de l’audit est, en l’absence de clause attributive de juridiction au profit des juridictions communautaires, de la seule compétence des juridictions habilitées à examiner les contrats en cours.

121    Au demeurant, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission, le requérant a été entendu avant l’adoption de la décision attaquée, puisque, par une première lettre du 26 juillet 2004, elle l’a invité à présenter ses observations sur une application éventuelle de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier. Par une deuxième lettre du 27 octobre 2004, la Commission a renouvelé ses griefs et a annoncé qu’elle envisageait de constater à l’encontre du requérant un défaut grave d’exécution en l’absence d’éléments nouveaux, ce qu’elle a fait par la décision attaquée. Il est donc constant que la Commission a entendu le requérant avant l’adoption de ladite décision.

122    Il y a donc lieu de rejeter le moyen tiré de la violation du principe du respect des droits de la défense.

 Sur le second chef de conclusions

 Arguments des parties

123    À titre subsidiaire, le requérant prétend que, à supposer que la décision attaquée soit valide en ce qui concerne le contrat ayant fait l’objet de l’audit, elle serait nulle en ce qui concerne les 25 contrats non visés par l’audit. En effet, l’audit ne concernait qu’un seul des contrats conclus, en sorte qu’aucun éventuel défaut d’exécution n’aurait été constaté pour les autres contrats.

124    Dans la mesure où, en ce qui concerne les 25 contrats non visés par l’audit, la Commission, dans la décision attaquée, n’invoquerait aucun élément précis permettant d’attester un défaut grave d’exécution, se contentant de faire référence au texte des dispositions contractuelles applicables en l’espèce, il conviendrait de constater que la décision attaquée ne serait pas motivée en fait.

125    La Commission conclut au rejet de ce chef de conclusions.

 Appréciation du Tribunal

126    Le requérant part du présupposé que la décision attaquée mettrait fin aux contrats et que, à la supposer valide, elle ne pourrait l’être qu’à l’égard du contrat ayant fait l’objet de l’audit, mais qu’elle serait nulle en ce qui concerne les 25 contrats non visés par l’audit, puisque la Commission, dans la décision attaquée, n’invoquerait aucun élément précis permettant d’attester un défaut grave d’exécution à leur égard.

127    Il suffit de constater que ce présupposé est erroné, puisque, ainsi qu’il ressort des points 85 à 88 ci-dessus, la décision attaquée n’a pour objet de mettre un terme ni aux contrats en général ni au contrat ayant fait l’objet de l’audit.

128    En effet, ainsi qu’il ressort du point 92 ci-dessus, dès lors que la Commission constate qu’un contractant a gravement manqué aux obligations contractuelles qui lui incombent dans le cadre d’un seul contrat, elle est habilitée, en vertu de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du règlement financier, à constater un défaut grave d’exécution.

129    En outre, il convient de constater que, en l’espèce, la constatation du défaut grave d’exécution s’applique aux 26 contrats mentionnés par la Commission dans l’annexe à sa lettre du 26 juillet 2004, ainsi qu’elle l’a précisé au requérant.

130    Il s’ensuit que le deuxième chef de conclusions du requérant ne saurait être accueilli.

131    Il résulte de tout ce qui précède que le recours dans son ensemble doit être rejeté.

 Sur les dépens

132    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, le requérant a succombé et la Commission a conclu à ce que celui-ci soit condamné aux dépens, en sorte qu’il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Centre européen pour la statistique et le développement ASBL (CESD-Communautaire) est condamné aux dépens.

Martins Ribeiro

Papasavvas

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 avril 2009.

Signatures


* Langue de procédure : le français.