Language of document : ECLI:EU:F:2011:38

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

13 avril 2011 (*)

« Fonction publique – Révision d’un arrêt – Fait nouveau – Absence – Irrecevabilité »

Dans l’affaire F‑29/09 REV,

ayant pour objet une demande de révision de l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission (F‑29/09),

Giorgio Lebedef et Trevor Jones, fonctionnaires de la Commission européenne, demeurant respectivement à Senningerberg (Luxembourg) et à Ernzen (Luxembourg), représentés par Me F. Frabetti, avocat,

partie demanderesse en révision,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents,

partie défenderesse en révision,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme K. Zieleśkiewicz et M. M. Bauer, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. P. Mahoney, président, H. Kreppel et S. Van Raepenbusch (rapporteur), juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

vu la procédure écrite,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 décembre 2010, MM. Lebedef et Jones ont introduit, en vertu de l’article 119 du règlement de procédure, un recours en révision de l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission (F‑29/09, ci-après l’« arrêt du 30 septembre 2010 »).

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 44 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 7 de l’annexe I audit statut :

« La révision de l’arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision.

La procédure de révision s’ouvre par un arrêt de la Cour constatant expressément l’existence d’un fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui donnent ouverture à la révision, et déclarant de ce chef la demande recevable.

Aucune demande en révision ne pourra être formée après l’expiration d’un délai de dix ans à dater de l’arrêt. »

3        Aux termes de l’article 119 du règlement de procédure :

« 1. La révision d’une décision du Tribunal ne peut être demandée, conformément à l’article 44 du statut, qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé ou l’adoption de la décision, était inconnu du Tribunal et de la partie qui demande la révision.

Sans préjudice du délai de dix ans prévu à l’article 44, troisième alinéa, du statut, la révision est demandée au plus tard dans un délai de trois mois à compter du jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en révision est fondée.

2. Les dispositions des articles 34 et 35 sont applicables à la demande en révision ; celle-ci doit en outre :

a)      spécifier la décision attaquée ;

b)      indiquer les points sur lesquels la décision est attaquée ;

c)      articuler les faits sur lesquels la demande est basée ;

d)      indiquer les moyens de preuve tendant à démontrer qu’il existe des faits justifiant la révision et à établir que les délais prévus au paragraphe 1 du présent article ont été respectés.

La demande est formée contre toutes les parties à la décision attaquée.

La demande en révision est attribuée à la formation de jugement qui a rendu la décision attaquée.

3. Le Tribunal statue par voie d’arrêt sur la recevabilité de la demande au vu des observations écrites des parties.

Si le Tribunal déclare la demande recevable, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Ce dernier statue par voie d’arrêt.

La minute de l’arrêt portant révision est annexée à la minute de la décision révisée. Mention de l’arrêt portant révision est faite en marge de la minute de la décision révisée.

4. Lorsqu’un pourvoi devant le Tribunal de l’Union européenne et la demande en révision devant le Tribunal concernent la même décision du Tribunal, celui-ci, les parties entendues, peut suspendre la procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne. »

4        Aux termes de l’article 35 du règlement de procédure :

« 1. La requête visée à l’article 21 du statut contient :

a)      les nom et domicile du requérant ;

b)      l’indication de la qualité et de l’adresse du signataire ;

c)      la désignation de la partie contre laquelle la requête est formée ;

d)      l’objet du litige et les conclusions du requérant ;

e)      les moyens et les arguments de fait et de droit invoqués ;

f)      s’il y a lieu, les offres de preuve.

[…] »

5        Aux termes de l’article 64 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation.

[…] Le coefficient correcteur applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés aux sièges provisoires des Communautés est, à la date du 1er janvier 1962, égal à 100 %. »

6        L’article 1er de l’annexe XI du statut, intitulée « Modalités d’application des articles 64 et 65 du statut », dispose :

« 1. Rapport de l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat)

Aux fins de l’examen prévu à l’article 65, paragraphe 1, du statut, Eurostat établit chaque année avant la fin du mois d’octobre un rapport portant sur l’évolution du coût de la vie à Bruxelles, sur les parités économiques entre Bruxelles et certains lieux d’affectation dans les États membres et sur l’évolution du pouvoir d’achat des rémunérations des fonctionnaires nationaux des administrations centrales.

[…]

3. Évolution du coût de la vie en dehors de Bruxelles (parités économiques et indices implicites)

[…]

d)      L’évolution du coût de la vie à l’extérieur de la Belgique et du Luxembourg au cours de la période de référence est mesurée à l’aide des indices implicites. Ces indices correspondent au produit de l’indice international de Bruxelles et de la variation de la parité économique.

[…] »

7        L’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, de l’annexe XI du statut dispose :

« Aucun coefficient correcteur n’est applicable pour la Belgique et pour le Luxembourg. »

8        Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, de l’annexe XI du statut :

« Pour chacun des lieux d’affectation ayant fait l’objet de la fixation d’un coefficient correcteur (à l’exclusion de la Belgique et du Luxembourg), une estimation valable pour le mois de décembre des parités économiques mentionnées à l’article 1er, paragraphe 3, est établie. L’évolution du coût de la vie est calculée selon les modalités définies à l’article 1er, paragraphe 3. »

9        Enfin, l’article 9, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut dispose :

« Les autorités compétentes des États membres concernés, l’administration d’une institution de l’Union européenne ou les représentants des fonctionnaires de l’Union européenne dans un lieu d’affectation déterminé peuvent demander la création d’un coefficient correcteur propre au lieu considéré.

La demande présentée à cet effet doit être étayée par des éléments objectifs faisant apparaître, sur plusieurs années, une distorsion sensible du pouvoir d’achat dans un lieu d’affectation déterminé par rapport à celui constaté dans la capitale de l’État membre concerné (sauf pour les Pays-Bas, où l’on se réfère à La Haye plutôt qu’à Amsterdam). Si Eurostat confirme le caractère sensible (supérieur à 5 %) et durable de la distorsion, la Commission présente une proposition de fixation d’un coefficient correcteur pour le lieu considéré. »

 Antécédents du litige

10      Estimant que le pouvoir d’achat des fonctionnaires affectés à Luxembourg donnait des signes de diminution constante depuis quelques années par rapport aux fonctionnaires affectés à Bruxelles, M. M. Ott, président du syndicat Solidarité européenne, a, le 28 octobre 2005, adressé une note à M. S. Kallas, vice-président de la Commission, par laquelle il lui demandait d’entamer une étude sur la possibilité de doter Luxembourg d’un coefficient correcteur.

11      Par lettre du 29 novembre 2005, M. Kallas a répondu qu’il n’était pas dans l’intérêt du personnel d’entamer des travaux visant à la création d’un coefficient correcteur pour Luxembourg au motif, notamment, qu’une telle mesure nécessitait une modification du statut, ce qui comportait le risque d’une renégociation de la méthode d’adaptation annuelle des rémunérations, laquelle aurait été obtenue « après de longues et difficiles négociations dans le contexte de la réforme ».

12      Le 3 avril 2007, le collectif syndical interinstitutionnel, regroupant plusieurs organisations syndicales et professionnelles du Parlement européen, de la Commission et de la Cour de justice de l’Union européenne, a adressé une note au directeur général d’Eurostat l’invitant à entreprendre une étude afin d’établir le caractère sensible de la distorsion du pouvoir d’achat des fonctionnaires affectés à Luxembourg, par rapport à ceux affectés à Bruxelles, et d’engager la procédure prévue à l’article 9 de l’annexe XI du statut en vue de la création d’un coefficient correcteur propre à Luxembourg.

13      Par note du 6 juin 2007, le directeur général d’Eurostat a répondu que toute demande d’établissement d’un coefficient correcteur échappait à la compétence d’Eurostat et devait être adressée à la direction générale (DG) « Personnel et administration » de la Commission.

14      Par note du 12 avril 2008, plusieurs organisations syndicales et professionnelles, réunies en front commun syndical, ont demandé au directeur général de la DG « Personnel et administration » une concertation interinstitutionnelle relative à la perte du pouvoir d’achat du personnel des institutions.

15      Par courrier du 12 septembre 2008, enregistré le 15 septembre de la même année par l’administration, les requérants ont introduit une réclamation à l’encontre de leurs bulletins de rémunération de juin 2008, lesquels comportaient une correction de l’adaptation des rémunérations qui avait eu lieu à la fin de l’année 2007, sans toutefois contenir de coefficient correcteur propre à leur lieu d’affectation, ainsi que contre les bulletins de rémunération des mois suivants.

16      Par décision du 17 décembre 2008, notifiée par lettre du 18 décembre suivant, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté ladite réclamation.

17      Par la suite, MM. Lebedef et Jones ont introduit un recours dans lequel ils concluaient à l’annulation de la décision implicite de refus de porter le pouvoir d’achat des rémunérations à Luxembourg à un niveau équivalent à celui du pouvoir d’achat des rémunérations à Bruxelles et, subsidiairement, de leurs bulletins de rémunération « émis pour la période à partir du 15 juin 2008 ». Ce recours a été enregistré sous la référence F‑29/09.

18      Par arrêt du 30 septembre 2010, le Tribunal a :

–        d’une part, rejeté comme irrecevable, pour non respect de la procédure précontentieuse, telle qu’elle est organisée par les articles 90 et 91 du statut, le recours en tant qu’il était dirigé contre la prétendue décision implicite de refus de porter le pouvoir d’achat des fonctionnaires affectés à Luxembourg à un niveau équivalent à celui du pouvoir d’achat des fonctionnaires affectés à Bruxelles (point 27), et

–        d’autre part, rejeté comme non fondé le recours en tant qu’il était dirigé contre les bulletins de rémunération des requérants délivrés à partir de juin 2008, en estimant notamment que les requérants s’étaient borné à formuler quelques considérations plutôt abstraites sans fournir un début de preuve de nature à établir, à tout le moins, une apparence de distorsion sensible du pouvoir d’achat des fonctionnaires affectés à Luxembourg par rapport à celui de leurs collègues travaillant à Bruxelles pouvant justifier le lancement d’enquêtes statistiques par Eurostat (points 69 et 70).

 Conclusions des parties

19      Les requérants demandent au Tribunal de :

–        « statuer sur la recevabilité de la demande en révision et fixer une audience pour la procédure orale »,

–        annuler leurs bulletins de rémunérations,

–        condamner la Commission aux dépens.

20      La Commission demande au Tribunal de :

–        déclarer le recours irrecevable,

–        condamner les requérants aux dépens.

21      Le Conseil demande au Tribunal de :

–        déclarer le recours irrecevable,

–        condamner les requérants aux dépens.

 Sur la recevabilité de la demande en révision

22      Il ressort de l’article 44, premier alinéa, du statut de la Cour de justice qu’une demande en révision doit se fonder sur la découverte d’un ou de plusieurs faits antérieurs au prononcé de l’arrêt en cause, mais qui étaient inconnus du Tribunal et de la partie qui demande la révision, et qui sont de nature à exercer une influence décisive sur le contenu de l’arrêt. Conformément au deuxième alinéa de cet article, ce n’est que si la juridiction saisie constate l’existence d’un fait nouveau, lui reconnaît les caractères qui permettent l’ouverture de la procédure en révision et déclare de ce chef la demande recevable qu’elle peut examiner l’affaire au fond.

23      De plus, il ressort de l’article 119, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’une demande en révision doit indiquer, notamment, les moyens de preuve tendant à démontrer qu’il existe des faits justifiant la révision.

24      Il ressort des dispositions mentionnées aux points précédents que c’est à la partie demanderesse en révision qu’il incombe d’établir qu’elle n’a découvert les faits, qui sont survenus antérieurement au prononcé de l’arrêt et justifiant, selon elle, la révision de l’arrêt, qu’après le prononcé de celui-ci.

25      En l’espèce, MM. Lebedef et Jones se prévalent de la découverte de plusieurs faits, qui, selon eux, justifieraient la révision de l’arrêt du 30 septembre 2010, compte tenu spécialement des points 69 et 70 dudit arrêt.

26      Tout d’abord, ils invoquent une déclaration faite par le représentant d’Eurostat au cours d’une réunion du groupe de travail « rémunérations », institué par l’administration pour le suivi des rémunérations, qui s’est tenue le 16 septembre 2010. Le compte rendu de cette réunion, à laquelle M. Jones aurait été présent, a été diffusé le 3 novembre suivant.

27      À cet égard, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les circonstances de la découverte de cet élément, il suffit de constater que, en tout état de cause, celui-ci n’est pas de nature à exercer une influence décisive sur le contenu de l’arrêt du 30 septembre 2010. En effet, il ressort de la déclaration en cause que, selon des estimations provisoires, le niveau des prix à Luxembourg aurait été supérieur de l’ordre de 7 % de celui de Bruxelles en juillet 2010, mais que, en l’absence de tout sondage des dépenses des ménages « parmi les 10 000 effectifs au Luxembourg », ces « résultats risquaient d’être modifiés d’une manière significative ». Un tel élément ne saurait être de nature à établir une apparence de différence sensible et durable de coût de la vie entre Luxembourg et Bruxelles et donc avoir une influence décisive sur le contenu de l’arrêt du 30 septembre 2010.

28      Ensuite, MM. Lebedef et Jones invoquent un échange de courriels entre ce dernier et un fonctionnaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en date des 27 octobre 2010 et 5 novembre 2010. Il suffit de constater que ces courriels sont postérieurs à l’arrêt du 30 septembre 2010.

29      Enfin, MM. Lebedef et Jones font état d’un communiqué de presse en date du 16 juillet 2009 et l’extrait d’une base de données d’Eurostat dont la date est incertaine. Sans qu’il soit même besoin de se prononcer sur le contenu de ces documents et leur caractère décisif, il suffit de constater que MM. Lebedef et Jones ne produisent pas le moindre élément de preuve de nature à démontrer qu’ils n’auraient découvert ces faits qu’après le prononcé de l’arrêt du 30 septembre 2010.

30      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande en révision comme irrecevable.

 Sur les dépens

31      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

32      Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que MM. Lebedef et Jones ont succombé en leur recours. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément demandé que MM. Lebedef et Jones soient condamnés aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner MM. Lebedef et Jones aux dépens exposés par la Commission.

33      Par ailleurs, aux termes de l’article 89, paragraphe 4, du règlement de procédure, l’intervenant supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La demande en révision est rejetée comme irrecevable.

2)      MM. Lebedef et Jones supportent l’ensemble des dépens.

3)      Le Conseil de l’Union européenne, partie intervenante, supporte ses propres dépens.

Mahoney

Kreppel

Van Raepenbusch

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 avril 2011.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       P. Mahoney


* Langue de procédure : le français.